1 Une de plus ! Après la pétition dénonçant l’inaction climatique de l’État, voici venu celle exigeant un « Lundi vert ». C’est-à-dire un lundi sans viande, car il est entendu que le bon comportement écologique est de manger le moins possible de rosbif, voire, et c’est même l’espoir secret des promoteurs de cette pétition, de n’en plus mastiquer du tout. Ainsi le monde sera-t-il plus pur, l’agriculture ne sera plus cette malfaisante activité qu’elle est, ainsi les animaux ne souffriront plus, et notre corps s’engraissera moins et nous, humains, ne vivrons plus jamais dans la peur du châtiment pour nos fautes, le cancer.
2 Le texte est laborieux, les répétitions y sont nombreuses. Comme si l’on avait eu du mal à se freiner. Sous des allures de pétition œcuménique, on sent la rage du croisé qui ne demande qu’à pourfendre le carnivore assassin. Personne n’est contre cette réalité qu’à l’échelle mondiale, l’élevage, donc, la consommation de viande, abîme la planète et les physiologies. Une vache, ça pète, ça rote, ça chie, ça a besoin d’espace. Plus on en mange, plus il en faut, c’est un cercle qui n’est certes pas vertueux. Pour autant, difficile de croire, comme l’affirment les auteurs, que l’élevage soit responsable de tant de dégâts. Qu’il soit un « gaspillage de ressources naturelles » et « l’une des activités humaines ayant les conséquences les plus néfastes pour l’environnement », tandis que la viande rouge « est une cause certaine de cancer ». L’excès doit toujours éveiller le doute. Méfiance… Ces messieurs, car ce sont deux messieurs qui ont écrit le pensum, ont des certitudes. Pourtant, ce sont des scientifiques. La viande donne le cancer et la vache dévaste la planète, c’est aussi simple que cela. Il faut en conséquence les éliminer. En ne mangeant plus l’une et en n’élevant plus la seconde, en commençant par un boycott des protéines animales le premier jour de la semaine, on comprend que les problèmes soulevés seront réglés.
3 Mais qui peut croire en cette fable ? En passant d’une alimentation centrée sur la viande à une alimentation centrée sur le végétal, l’agriculture sera demain une amie de la planète ? En quoi devenir végétarien changerait-il la face du monde ? En quoi ne plus manger que des légumes et des légumineuses serait-il plus sain, parce que manger de la viande est malsain ? Simpliste et grossière, la pétition prétend que, lorsqu’on a un problème, il suffit d’en éliminer la source. C’est moins fatigant que de chercher à comprendre pourquoi le problème est apparu. Vous avez du bide ? Ne mangez plus de beurre ! Le cholestérol ce n’est pas bon ! Les nutritionnistes nous avaient déjà fait le coup. Alors, aujourd’hui, parce que l’élevage a des conséquences néfastes, éliminons-le. En commençant par la viande.
4 C’est étrange, cette rhétorique. La pétition dénonce à juste titre l’élevage industriel, mais elle omet de le désigner comme tel. C’est donc tout l’élevage qui est néfaste, celui du Lot et de l’Irlande comme celui de la Californie et du Brésil. Tout pareil. Rien n’est dit sur ce qui est à l’origine de la dérive, à savoir le système productiviste financiarisé qui a transformé la viande en minerai, l’éleveur en gardien de prison et le consommateur en intestin. C’est plus médiatique de taper sur la viande. Pourtant, cette boîte noire qu’est le système alimentaire mondialisé ne s’allumera pas comme par enchantement, dès lors qu’elle n’aurait plus que des légumes à échanger ! Tant qu’on n’aura pas modifié le fonctionnement du système, la boîte restera opaque.
5 Manifestement, ce n’est pas le but des auteurs de la pétition. Ils s’accommodent fort bien du système. Faire de l’idéologie évite d’avoir à penser un projet politique. Jouer sur la souffrance animale – enfin, de quelques animaux – permet de capter l’émotion pour détourner la raison des véritables problématiques. Par exemple, la sociologie de la viande.
6 La viande dévastatrice pour l’environnement et le métabolisme, dénoncée par la pétition, est celle que consomment les pauvres. Parce qu’ils n’ont pas les moyens d’en acheter une autre, et que, chez les pauvres, le steak demeure la preuve symbolique qu’on est encore debout. On les avait dénoncés comme des beaufs à cigarette et à diesel, voilà qu’on les désigne maintenant comme des tortionnaires d’animaux et des salisseurs de la planète. Ils n’en finissent jamais de subir la peine de leurs faibles capitaux sociaux et financiers. Il y a du mépris de classe dans cette pétition.
7 En réalité, ce n’est pas à un lundi sans viande auquel il faudrait réfléchir, mais à beaucoup moins de viande pour beaucoup plus de qualité. Non, décidément, cette pétition est ridicule, hypocrite et néfaste.