1Fin d’après-midi dans l’encadrement d’une fenêtre. Soleil oblique, ombres étirées. Tout est calme. Seul un colloque silencieux se dessine entre les profils ciselés et parallèles d’un chat et de sa maîtresse. Presque sans bouger, le félin touche du bout de sa patte rosée la moire de la bergère, chaude de soleil. Il y enfonce légèrement ses griffes pour en sentir la résistance craquante et jouir d’un fil qui cède. Il love un peu plus son dos dans le moelleux du coussin, et offre sa patte à la lumière. Pur plaisir de Seigneur. La morgue de ses lointains cousins grands fauves coule sous sa robe. Ses maîtres, imprudents, ont prénommé ce chat Ulysse. Il en a toute la metis. L’intelligence rusée qu’il partage avec le héros grec est pragmatique?: le meilleur siège sera le sien. Et tant pis si il ne reste plus à sa maîtresse estompée que d’être une ombre portée près de lui. Il vient peut-être même de lui dérober cette place pour se glisser dans sa chaleur. Mais si la soie justifie tous les quant-à-soi, l’erreur serait de voir là un égoïsme ordinaire. Car le chat, léonin ou malingre, de gouttière ou de lointaines forêts birmanes, n’est rien de moins qu’un roi. L’on est autant soumis à ses exigences que comblé de ses largesses. Appartenir à un chat – car il faut renoncer à l’expression avoir un chat, réservée aux néophytes –, est un monde d’élection définitive, de voluptés insoupçonnées et de présence perpétuelle. Jamais yeux mi-clos n’ont si bien vu passer une ombre au front d’un homme. Et tendre est celui qui, sortant de sa torpeur, vient d’une seule caresse chasser le malheur. Cartier-Bresson, qui photographie ici deux êtres qu’il aime, le sait au point d’espérer un jour savoir exercer son art «?comme un chat?».