Dure, la terre
1Vieille France... Cela tient à peu de choses : une casquette, un vêtement, une porte d’étable donnant sur la nuit des bêtes, et un regard. L’homme n’est pas pris au sortir du bureau. Lui, du bois, l’obscurité derrière, la lumière en face, c’est tout. Du sérieux. Un paysan sans paroles. Il n’est pas là pour s’amuser ou nous distraire. Il se prête au jeu de la photographie, mais sans prendre de mines, sans sourire fabriqué. Il a cédé à Raymond Depardon quelques minutes de son temps, passé une chemise du dimanche, seule concession à sa « médiatisation ». Sa confidence est dans ses yeux quasi fermés, aux paupières habituées à se méfier du soleil. Pas d’esbroufe, pas de cancans, pas de rumeurs à colporter. Autour, le silence que l’on devine intégral, entêté, sans fioritures, avec seulement des meuglements. Des propos minimalistes, opérationnels, le refus de s’épancher. Farouche ? Dur ? En colère ? Jaloux du destin des urbains qui le regardent comme un animal curieux ? Non, il fait ce qu’il faut pour se montrer tel qu’il est et que furent ses aïeux de longue lignée : sobre en mots, tendu vers le labeur, pauvre ad vitam aeternam, pas bucolique, jamais sûr du futur, entretenant avec la terre des rapports d’amour et de haine. Il est paysan, mot banni un temps du langage mais qui est revenu quand nous nous sommes avisés que, sans paysans, un pays pouvait s’enfoncer dans la grisaille vaniteuse. Pas commode, notre homme ! Gai comme un piquet planté au bord d’un chemin. C’est qu’il nous regarde passer et se demande où nous allons.