Études 2011/9 Tome 415

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Article de revue

Le choix controversé du nucléaire en Inde

Pages 151 à 160

Notes

  • [1]
    Les autres puissances nucléaires asiatiques sont la Chine, la Corée du Nord et l’État d’Israël, même si ce pays ne confirme pas qu’il la possède.
  • [2]
    J. Stephenson et P. Tynan, « Will the U.S.-India Civil Nuclear Cooperation Initiative Light India ? », dans H. Sokolski, (dir.) (2007), Gauging U.S.-Indian Strategic Cooperation, Strategic Studies Institute, Carlisle.
  • [3]
    Le nom de l’accord vient de la section 123 de la loi américaine sur l’énergie atomique.

1Alors que les projets de centrales nucléaires se multipliaient dans le monde, la catastrophe de Fukushima au Japon a provoqué un rejet de cette technologie, ou tout du moins, une recrudescence des débats dans plusieurs pays, dont l’Inde.

2Ces dernières années, ce pays a en effet misé sur cette source d’énergie. En s’extrayant en 2008 d’un embargo imposé après ses essais nucléaires de 1974, l’Inde est devenue un partenaire légitime du commerce de matériel nucléaire civil. Pour New Delhi, l’accès à cette énergie est un droit auquel elle n’a jamais renoncé, même au coût de sanctions internationales. Son développement nucléaire répond à des besoins jugés vitaux. Le premier est d’ordre militaire, la technologie nucléaire ayant une fonction dissuasive face à des voisins menaçants. Le second concerne l’énergie, l’Inde ne pouvant poursuivre son développement économique qu’en accroissant ses ressources dans ce domaine. Pour remplir cet objectif, elle s’est lancée, depuis trois ans, dans un pro gramme d’augmentation de sa capacité nucléaire civile, en sollicitant des entreprises étrangères.

3Le choix nucléaire du gouvernement indien provoque pourtant des critiques sur des sujets très divers, allant de la diplomatie à l’écologie. En 2008, l’opposition s’inquiétait d’un alignement sur la politique étrangère américaine, l’embargo ayant été levé grâce au soutien déterminant de Washington. Dorénavant, cette crainte est supplantée par des arguments d’ordre environnemental. Toutefois, le mouvement écologiste local reste encore limité dans une société où la majorité de la population se soucie avant tout de sa survie.

Le développement nucléaire comme droit

4Les dirigeants de l’Inde indépendante ont considéré le nucléaire comme un droit et une nécessité. Le programme dédié à cette question a été lancé dès 1948, soit un an après le départ de la puissance coloniale britannique.

5Une nécessité militaire. – Dans la doctrine militaire indienne, le nucléaire tient une place cruciale dans la défense de l’intégrité territoriale. Son environnement régional est hostile : l’Inde a été confrontée, à de nombreuses reprises, à ses voisins. Son arsenal nucléaire a une double fonction. Il doit assurer sa défense face au Pakistan, auquel elle a déjà été opposée quatre fois en 1947, 1965, 1971 et 1999. Mais surtout, il vise à dissuader la Chine de l’attaquer et de l’envahir, comme ce fut le cas en 1962. Près de cinquante ans après la fin de ce conflit, la défaite face à Pékin demeure un traumatisme dans la psyché indienne, et l’arme nucléaire semble être la garantie la plus sûre pour prévenir une nouvelle guerre contre ce pays.

6L’acquisition de la technologie nucléaire est aussi le fruit d’un volontarisme politique qui a dû résister aux pressions internationales à partir de la fin des années 1960. Jusqu’alors, cette ambition bénéficiait d’un soutien actif de l’Occident : le Canada et les États-Unis ont apporté leur aide à la construction et à la maintenance du réacteur CIRUS, en 1960. Huit ans plus tard, New Delhi se retrouve isolée sur ce dossier, après le refus du Premier ministre Indira Gandhi d’adhérer au Traité sur la non-prolifération (TNP), qui appelle les États non dotés de l’arme nucléaire à cette date à abandonner la possibilité de s’en procurer. Pour la dirigeante indienne, ce texte est inacceptable car il met en place un « système d’apartheid nucléaire », qui légitime la supériorité des détenteurs de l’arme atomique de l’époque.

7Dépassant les clivages traditionnels, l’enjeu du nucléaire militaire a longtemps fait l’objet d’un consensus de la part des deux grandes formations politiques indiennes : les premiers essais, baptisés Pokhran I, sont menés en 1974 sous la direction d’I. Gandhi du Parti du Congrès (centre gauche) ; et les seconds, nommés Pokhran II, se réalisent en 1998 sous le mandat d’Atal Bihari Vajpayee, le leader du Bharatiya Janata Party (BJP, droite nationaliste hindoue). En réaction à ces dernières explosions, le président démocrate des États-Unis, Bill Clinton, sanctionne New Delhi dans les secteurs commercial, économique et financier. Toutefois, la position américaine fléchit rapidement, et cela pour deux raisons principales. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, Washington cherche à se rapprocher de l’Inde pour rallier ce pays à sa « guerre contre la terreur ». Ensuite, l’amélioration de leurs relations bilatérales est encouragée par le développement de la Chine, un rival commun qui inquiète les deux démocraties. Perçue par les Américains comme un contrepoids utile face à la puissance militaire de Pékin, la bombe atomique indienne cesse d’être dénoncée. Cette nouvelle attitude pousse en 2005 le président républicain George W. Bush à qualifier l’Inde d’acteur nucléaire « responsable », lors de la déclaration commune avec le Premier ministre Manmohan Singh, à Washington, qui pose les bases de la coopération nucléaire civile entre les deux États. Les conséquences de ce discours sont historiques, puisqu’il enclenche un processus qui aboutit, en 2008, à la levée de l’embargo nucléaire sur New Delhi, une décision acquise à l’issue d’un marathon diplomatique et législatif dans les deux pays, et auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et du Groupe des fournisseurs nucléaires (Nuclear Supplier Group, NSG). L’Inde devient ainsi le seul État n’ayant pas ratifié le TNP autorisé à faire commerce de matériel nucléaire civil.

8Grâce à son obstination, New Delhi est parvenue à normaliser son statut nucléaire sur la scène internationale. Mais cette stratégie a eu des résultats contradictoires. Censée garantir sa sécurité, sa capacité nucléaire est à l’origine d’une course à l’armement qui fragilise l’ensemble de l’Asie du sud. Pour le Pakistan, qui perçoit son voisin oriental comme sa principale menace depuis la Partition de 1947, une Inde nucléarisée est un péril qui doit être contré. Ce n’est donc pas une coïncidence si Islamabad fait exploser sa première bombe atomique quelques jours seulement après les essais de Pokhran II. En outre, cette rivalité a contribué à transformer l’Asie en continent le plus nucléarisé au monde [1].

9La justification économique. – Le programme nucléaire indien comporte également un important volet civil. Pour le gouvernement central, cette technologie doit permettre de relever le défi de l’approvisionnement énergétique d’un pays très dépendant des exportations de matières premières, comme le charbon, le pétrole et le gaz. Pour alimenter la forte croissance de son produit intérieur brut (PIB) – estimée à 8,2 % pour 2011 –, New Delhi doit augmenter ses sources d’énergie. Or le pays a de réelles difficultés à répondre aux besoins actuels de son industrie. Il fait aussi face à la demande exponentielle des ménages, surtout celle de sa classe moyenne hétéroclite, estimée entre 100 et 300 millions de personnes. À ceux-là s’ajoutent 40 % des habitants qui attendent toujours d’être raccordés au réseau électrique. Il existe donc un enjeu crucial concernant la production, la diversification et la dépendance énergétiques.
La consommation de l’Inde repose à plus de 50 % sur le charbon, une source d’énergie fort critiquée. Son approvisionnement affecte l’économie du pays, puisqu’il est en partie assuré par des importations qui creusent son déficit commercial. Sa consommation menace l’environnement, en provoquant l’émission de gaz à effet de serre. Face à ces problèmes, l’énergie nucléaire présenterait de nombreux atouts. En soulageant la demande exponentielle de l’Inde en énergie fossile, elle relâcherait sa pression sur le marché mondial des matières premières, et atténuerait notamment la concurrence avec la Chine pour leur appropriation. De plus, cette « énergie propre » limiterait le réchauffement climatique aggravé par la consommation de charbon. Consciente de ces avantages, New Delhi a décidé de développer sa capacité nucléaire civile. L’Inde, qui compte vingt réacteurs nucléaires en activité, prévoit d’en acquérir 20 autres d’ici à 2030, pour se doter de 60 000 mégawatts supplémentaires d’énergie, contre les 4 780 qu’elle produit actuellement. Ce projet suppose des investissements évalués à 100 milliards d’euros, l’objectif étant de produire ainsi 25 % de l’énergie du pays en 2050, contre moins de 3 % aujourd’hui. Ces chiffres sont néanmoins contestés. Le lobby antinucléaire américain, à l’instar du Nonproliferation Policy Education Center (NPEC), est loin de partager cet optimisme. Selon cette institution, ces projections sont surévaluées, et le nucléaire devrait fournir moins de 10 % de l’électricité indienne d’ici à 2032 [2]. Malgré la multiplication de centrales nucléaires, le NPEC affirme que ce pays continuera à s’alimenter avant tout en matières fossiles.
Au-delà de cette polémique, les perspectives économiques liées à l’ouverture du marché nucléaire indien ont encouragé Washington à soutenir la normalisation du statut nucléaire de l’Inde. Cette coopération, voulue par G. W. Bush, est poursuivie par son successeur démocrate, Barack Obama, pourtant élu sur le thème du changement en 2008. La volonté d’intensifier le partenariat avec l’Inde est à l’origine de sa visite de trois jours dans ce pays, au début du mois de novembre 2010. Preuve de l’importance de ce rapproche ment, New Delhi est dorénavant soutenue par Washington pour obtenir un siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Cependant, ce soutien provoque la méfiance d’une partie de la classe politique indienne.

Polémiques autour du nucléaire

10L’indépendance nationale. – Le développement nucléaire a longtemps été soutenu par les principaux partis politiques indiens. Or la signature de l’accord indo-américain en 2008 a rompu ce consensus et fait bouger les lignes de fractures politiques traditionnelles. Le Parti du Congrès, connu pendant la Guerre Froide pour son antiaméricanisme, est devenu son partisan le plus ardent sous le premier mandat de M. Singh. En revanche, le BJP l’a vilipendé, alors qu’il est lui-même à l’origine de ce rapprochement. A.B. Vajpayee a en effet promu l’initiative Next Steps in Strategic Partnership (NSSP) en 2004, qui encourage la coopération nucléaire civile entre les deux nations. Malgré ce rôle, le parti nationaliste hindou a appuyé, en 2008, les critiques des formations marxistes comme le Parti communiste de l’Inde (PCI) et le Parti communiste de l’Inde-Marxiste (PCI-M), auxquelles son idéologie est par principe opposée. Pour comprendre cette concordance insolite entre les deux mouvances, il faut rappeler que la campagne contre l’accord indo-américain a eu lieu moins d’un an avant les élections législatives de 2009. La stratégie du BJP semble répondre à des motifs opportunistes, la formation voulant exploiter une polémique pour faire basculer le scrutin en sa faveur.

11Le thème choisi par le BJP et les partis marxistes pour dénoncer l’accord n’est pas anodin, puisqu’il s’agit de la défense de l’indépendance nationale. La levée de l’embargo ayant été rendue possible après que l’Inde a accepté le contrôle de certains de ses réacteurs par l’AIEA, les opposants accusent le gouvernement d’abandonner une partie de la souveraineté militaire, de limiter le développement de l’arsenal nucléaire, et donc d’affaiblir le pays face à ses voisins. Ces reproches ont forcé le Premier ministre M. Singh à soumettre la poursuite des négociations avec Washington à un vote de confiance de la Lok Sabha, la Chambre basse du Parlement. Celui-ci a révélé les profondes divisions de la classe politique, ainsi que le risque endémique de corruption : avant le vote, trois députés du BJP ont montré à la Chambre des billets de banque qui leur auraient été remis pour acheter leur vote en faveur du gouvernement. Pourtant, M. Singh a été renforcé par cette épreuve : quelques mois après cette crise, la coalition menée par le parti du Congrès était reconduite pour un second mandat.

12Le BJP et la gauche marxiste ont soulevé la question de la sécurité nationale et de l’indépendance du pays pour justifier leur opposition, un discours qui s’élève contre un possible réalignement de l’Inde sur la politique étrangère des États-Unis. Pour les marxistes indiens, cette harmonisation diplomatique est illustrée par le rapprochement de l’Inde avec l’un des principaux alliés stratégiques américains : l’État d’Israël. Jérusalem est devenue, depuis la normalisation de leurs relations en 1992, l’un de ses fournisseurs d’armes les plus importants. Mais la preuve la plus tangible du réaligne ment sur Washington serait donnée par les votes de New Delhi contre le programme nucléaire iranien à l’AIEA en 2005, 2006 et 2009. Autre signe de ce qui est ressenti comme une forme de suivisme : à la fin de l’année 2010, la Banque de réserve de l’Inde a interdit aux compagnies nationales d’utiliser l’Asian Clearing Union (ACU), un mécanisme de paie ment qui permet d’acheter du pétrole et du gaz à l’Iran sans être affecté par les sanctions américaines visant à empêcher les échanges avec ce pays. Cette décision a été ressentie par les communistes indiens comme une nouvelle capitulation face aux pressions américaines.

13Toutefois, il est assez aisé de relativiser la dépendance de l’Inde envers les États-Unis. Malgré son rôle déterminant dans la levée de l’embargo, Washington n’est pas favorisé par New Delhi dans l’allocation des contrats nucléaires. D’autres puissances en bénéficient autant, voire davantage. Avant même de finaliser l’accord 123 [3] qui permet à Washington et à New Delhi de coopérer dans le nucléaire civil, l’Inde se liait à la France, le 30 septembre 2008, par son premier accord nucléaire civil. En décembre 2010, Areva a signé un accord-cadre avec la Nuclear Power Corporation of India Ltd (NPCIL). Ce texte prévoit la construction de deux réacteurs de troisième génération, dits EPR (European Pressurized Reactor ou Evolutionary Power Reactor), à Jaitapur, dans le Maharashtra, à environ 250 km au sud de Bombay, la capitale économique et commerciale du pays. New Delhi coopère également avec Moscou, et cela depuis la fin des années 1980. La compagnie russe Rosatom, qui construit déjà deux réacteurs à Kudankulam, dans le sud du pays, entend remporter d’autres contrats. De son côté, la Grande-Bretagne a signé avec l’Inde une Déclaration commune sur la coopération civile nucléaire en février 2010. L’intense diplomatie commerciale indienne et la multiplication des partenariats prouvent que New Delhi limite sa dépendance envers Washington dans le domaine nucléaire. Cette stratégie devrait rassurer, en partie, ceux qui craignaient un réaligne ment de la diplomatie indienne sur celle des États-Unis, après la levée de son embargo nucléaire.

14La préoccupation écologique. – Dans le reste du monde comme en Inde, la majorité des critiques à l’encontre du développement nucléaire se concentre sur les conséquences écologiques de cette activité. Depuis la catastrophe de Fukushima, plusieurs pays européens ont déclaré vouloir rompre avec leur dépendance nucléaire : la Suisse, puis l’Allemagne ont décidé de fermer progressivement l’ensemble de leurs réacteurs, d’ici à 2034 pour le premier pays, avant 2022 pour le second, tandis que les Italiens ont rejeté la relance de la filière nucléaire lors du référendum de juin 2011.

15En Inde, le débat sur le nucléaire est moins populaire qu’en Europe, mais la mobilisation gagne de l’ampleur : des associations de défense de l’environnement, à l’instar de Greenpeace India, incitent les banques européennes à ne pas financer le programme nucléaire de ce pays. La presse d’investigation, représentée par l’influent hebdomadaire Tehelka, s’est saisie du problème et participe à la conscientisation de la classe moyenne indienne. Pour le moment, ces acteurs ne sont pas parvenus à affaiblir la conviction nucléaire du gouvernement mené par M. Singh. Son voyage au Kazakhstan, le 16 avril dernier, quelques semaines après le désastre de Fukushima, le confirme : ce déplacement visait à intensifier la coopération avec l’un des principaux producteurs d’uranium au monde. Ce choix pro-nucléaire est assumé par le reste du gouvernement. Le ministre de l’Environnement et des forêts d’alors, Jairam Ramesh, a écarté toute remise en cause de l’autorisation accordée au projet nucléaire de Jaitapur, au lendemain de l’accident japonais. Il s’agit d’une excellente nouvelle pour le français Areva, en négociation pour la vente de 6 EPR sur ce site.

16L’Inde est un pays d’autant plus sensible au thème des risques industriels qu’elle a été le théâtre de l’une de ses plus grandes tragédies : l’explosion d’une usine de pesticide à Bhopal, dans le centre du pays, en 1984. Le nuage de gaz qui s’en est échappé aurait provoqué la mort de 25 000 personnes, et affecté gravement la santé de 100 000 autres. Bhopal reste un traumatisme encore très vivace en Inde, les huit anciens dirigeants locaux de l’usine n’ayant été condamnés que 25 ans après l’explosion, alors qu’Union Carbide, le propriétaire de l’usine, a été condamné en 2010 à 8 000 euros d’amende pour avoir remis au gouvernement indien 470 millions de dollars en 1989.
L’anxiété de l’opinion indienne au sujet du nucléaire est liée à ce traumatisme. Celui-ci cumule la douleur des pertes et des souffrances humaines, la méfiance envers les matières toxiques, la frustration liée à la lenteur de la justice et la crainte que les entreprises étrangères ne soient pas tenues responsables des accidents ayant lieu dans les usines qu’elles détiennent en Inde. Le Premier ministre M. Singh ne l’ignore pas, lui qui déclarait en 2009 que la catastrophe de Bhopal « rongeait la conscience collective » de son pays. Pour cette raison, il tente de rassurer ses concitoyens sur le nucléaire. Peu de temps après la catastrophe de Fukushima, le gouvernement s’est engagé à créer un organisme de régulation indépendant afin d’améliorer les mesures de sécurité des installations actuelles et futures. Quant au projet de loi sur la responsabilité nucléaire, qui rend le fournisseur responsable en cas de dysfonctionnements, il vise à combattre le traumatisme de 1984.
Ces mesures sont loin d’être suffisantes pour une partie des Indiens. Le risque sanitaire causé par l’activité nucléaire est au centre des préoccupations. Selon Tehelka, qui a mené des enquêtes dans la région du réacteur nucléaire de Kalpakkam dans le sud-est du pays, cette activité provoque déjà des ravages auprès de la population. Le nombre de personnes souffrant de cancers et de maladies thyroïdiennes serait particulièrement élevé dans les villages alentour en raison de l’exposition aux radiations. Autour des mines d’uranium dans le Jharkhand – l’un des États les plus pauvres de l’Inde –, le journal pointe aussi le taux inquiétant de mortalité infantile et de déformations physiques dans les communautés locales.
Le site de Jaitapur, au Maharashtra, attise l’attention des médias et la colère des antinucléaires. L’une des principales critiques s’adresse à Areva et à ses EPR. Un article très diffusé de The Hindu, le journal de l’intelligentsia indienne, juge ces réacteurs trop chers, et toujours à l’état de proto types, comme le prouveraient les retards répétés et l’augmentation du coût de construction de l’OL3 en Finlande et de Flamanville3 en France. Le mécontentement se concentre sur les risques environnementaux. Les opposants reprochent aux réacteurs, en activité et en projet, d’être localisés souvent dans des zones concernées par des tremblements de terre. C’est le cas de Jaitapur, dont la région est classée zone III (assez modéré) sur l’échelle des risques sismiques qui va jusqu’à V. Une étude du Geological Survey of India, relayée par la presse indienne, démontre qu’elle a subi 92 tremblements de terre entre 1985 et 2005, le plus puissant d’une magnitude de 6,2 en 1993. On est loin de la force du tremble ment de terre qui a frappé le Japon. Mais les villageois autour du site, principalement des agriculteurs et des pêcheurs, craignent que ce projet ne détériore leur mode de vie. Ils refusent d’abandonner leurs terres face aux pressions de la NPCIL, l’institution chargée du dossier, accusée de manquer de transparence. Ce mécontentement s’exprime par des manifestations qui ont dégénéré, avec la mort d’un villageois le 18 avril dernier. Pour expliquer ce drame, certains analystes indiens accusent le Shiv Sena, un parti politique régional connu pour son usage de la violence, d’attiser les passions à des fins électoralistes. Cette hypothèse ne devrait pourtant pas conduire à minimiser la frustration et l’angoisse des autochtones face au projet nucléaire de Jaitapur. Un autre site nucléaire en projet présente une situation comparable : celui de Mithi Virdi au Gujarat, qui se trouve également dans une zone sismique de niveau III, et qui a été touché par un séisme particulièrement violent en 2001. Dans ce contexte, la crainte d’une catastrophe du type de celle de Fukushima se propage en Inde. Cette inquiétude est d’autant plus réaliste que des réacteurs comme ceux de Kalpakkam et de Kudankulam se situent sur le littoral du Tamil Nadu, une région durement meurtrie par le tsunami de 2004. Le mouvement antinucléaire indien est encore assez faible, mais il ne doit pas être sous-estimé. Moins populaires qu’en Europe, ses protagonistes savent tirer parti des rouages du système politique indien. En dépit de ses imperfections, ce pays est une démocratie et un État de droit, dans lequel l’opinion publique et les médias détiennent un réel pouvoir de pression et d’influence, capable de faire fléchir les gouvernements central ou régionaux. L’histoire récente nous l’a prouvé. En 2008, le fleuron industriel national Tata a dû fermer et déplacer ses usines de production de la voiture Nano – « la voiture la moins chère du monde » – du Bengale occidental, sous la pression d’un mouvement populaire qui dénonçait l’expropriation forcée de terres, et qui était encadré par une formation politique locale, le Trinamool Congress Party. Un tel scénario est susceptible de se reproduire dans les régions choisies pour la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Bien que l’arrêt de cette activité soit pour le moment hors de propos, ce mouvement peut ralentir les travaux et obtenir des garanties de sécurité et des compensations supplémentaires pour les communautés concernées.


Date de mise en ligne : 30/08/2011

https://doi.org/10.3917/etu.4153.0151

Notes

  • [1]
    Les autres puissances nucléaires asiatiques sont la Chine, la Corée du Nord et l’État d’Israël, même si ce pays ne confirme pas qu’il la possède.
  • [2]
    J. Stephenson et P. Tynan, « Will the U.S.-India Civil Nuclear Cooperation Initiative Light India ? », dans H. Sokolski, (dir.) (2007), Gauging U.S.-Indian Strategic Cooperation, Strategic Studies Institute, Carlisle.
  • [3]
    Le nom de l’accord vient de la section 123 de la loi américaine sur l’énergie atomique.

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