Études 2010/5 Tome 412

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Article de revue

Maternité et paternité, les métamorphoses

Pages 580 à 582

Notes

  • [*]
    La revue Etudes est partenaire des prochaines Rencontres de Malagar sur le thème, « La filiation en péril ? » (cf. p. 672)
English version

1Le lien parental est complexe. Il relève de plusieurs ordres, nouant le biologique, le juridique, l’éducatif, l’affectif et le spirituel. Le fait de la naissance se suffit rarement à lui-même. Inscrire l’enfant à l’état civil, le reconnaître publiquement comme « fils ou fille de », garde toute sa force symbolique. Cependant, avec les évolutions de la biomédecine, nous constatons un retour de la valorisation de « la vérité biologique » du lien parental qui répond à l’attachement ancien aux liens de sang. Désormais, le lien parental peut se « dépister » en laboratoire et se « prouver » génétiquement. Cet accès à « la vérité biologique » de la filiation est revendiqué par les personnes nées sous X et les premières générations d’enfants nés de procréation médicalement assistée avec donneur anonyme. Certains d’entre eux poursuivent des quêtes désespérées de leur origine. S’estimant privés d’inscription dans une généalogie, ils ont des difficultés à construire leur identité. Sans nécessairement confondre leur géniteur et leur parent, ils souffrent du secret autour de leur conception. Même si le parent qui reconnaît et éduque l’enfant apparaît plus important que le géniteur, comment faire silence sur l’identité de ce dernier ou considérer qu’il compte pour rien ? Paradoxalement, le secret qui entoure le géniteur finit par lui donner une place considérable dans l’imaginaire de la filiation. La réduction de ses origines à la trace génétique s’accompagne ainsi, dans notre culture, d’un appauvrissement des discours sur la paternité et la maternité. Finalement, nous ne savons plus trop ce que signifie « naître d’un père » et « naître d’une mère ».

2Selon l’adage bien connu, la paternité a toujours été incertaine et suppose un acte volontaire de reconnaissance. En France, le père continue d’occuper une place stratégique dans la reconnaissance de l’enfant par la transmission du nom. Depuis la loi de 2005, les parents ont certes le choix de transmettre à leur enfant soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit les deux. Cependant, l’inscription de l’enfant dans la lignée patrilinéaire reste encore majoritaire. Elle apparaît certainement comme un contrepoids face à la puissance des mères dans la transmission de la vie. Que déduire de cette préséance de la mère en matière de transmission de la vie ? La gestation et l’accouchement impriment à la maternité des caractéristiques charnelles différentes de la paternité. Attendre un enfant, le mettre au monde est l’appren- tissage même de l’amour humain, de la prise en compte de la dépendance et de la séparation. La mère n’attend pas la venue du père pour se séparer de l’enfant comme « chair de sa chair ». Cependant, elle sait d’emblée que ce travail de séparation ne s’accomplit pas sans difficulté et doit être soutenu par un « tiers » qui compte à ses yeux.

3Les pères et mères d’aujourd’hui semblent davantage assumer leur incomplétude et s’accepter défaillants, en ayant renoncé à la tentation de la toute puissance. Mais ils paient cette perte de pouvoir d’une plus grande incertitude sur leurs rôles et leurs capacités à transmettre. La figure du pater familias romain, du chef de famille qui exerce une autorité sans partage, a disparu. La notion de puissance paternelle est désormais abolie avec la promotion de « l’autorité parentale partagée ». Les pères y ont gagné une plus grande proximité affective et éducative avec leurs enfants. Ils consentent à se montrer plus vulnérables, mais ils peuvent aussi se révéler plus en défaut dans leur aptitude à transmettre. Longtemps sacralisée, la maternité fait l’objet de critiques qui visent à « libérer » les femmes de leur destin reproductif et de leur attachement exclusif à l’enfant. S’il y avait toujours un soupçon possible sur l’identité du père, celle de la mère était jusqu’ici certaine puisque c’était elle qui portait l’enfant et le mettait au monde. Ceci est désormais remis en question avec la division de la maternité introduite par la possibilité technique de « la gestation pour autrui ». A qui l’enfant né d’une « mère porteuse » devra-t-il dire maman ? A sa mère génétique ? A celle qui l’a porté pendant les neuf mois de la gestation et accouché ? Ou bien à celle qui l’a désiré et reconnu, qui lui a apporté soin, éducation et amour ?
En réalité, nous savons bien qu’il ne suffit pas de procréer, de mettre au monde un enfant, ni même de le reconnaître devant la loi pour devenir parents. C’est l’aventure à hauts risques de toute une vie. Elle se forge dans un long parcours de reconnaissance et d’adoption, par l’accueil sans condition d’un enfant et de l’adulte imprévisible qu’il deviendra. Une des grandes originalités du lien parental est de tendre vers cette reconnaissance inconditionnelle qui s’émerveille, encourage, protège, console, porte une attention sans répit à la croissance de l’enfant et continue à prendre soin de lui à distance quand il a quitté le nid familial. Cette certitude d’avoir été aimé inconditionnellement donne une confiance primordiale et la liberté de surmonter bien des épreuves. Il est possible d’assumer une telle responsabilité parentale auprès de personnes auxquelles ne nous relie aucun lien biologique. Si la part biologique de la filiation ne doit pas être sous-estimée, ce que nous rappelle par exemple la blessure des enfants conçus par insémination artificielle avec donneur anonyme, elle ne doit pas être non plus survalorisée. Ni trop, ni trop peu considérée.
Le commandement biblique exhorte à « quitter son père et sa mère » pour naître vraiment. Jésus bouleverse la perception commune des liens familiaux en invitant à se détacher des liens de sang afin d’entrer dans une autre filiation : « Qui est ma mère, qui sont mes frères ? », interroge-t-il alors que les siens sont partis à sa recherche. Par cette interrogation, il incite à se hisser à la hauteur d’une paternité et d’une maternité exigeantes qui ne soient plus ancrées simplement dans la chair, mais dans le cœur et l’esprit. Pourquoi ne pas rappeler la hauteur de ces exigences quand semble faire retour le désir d’ancrer la filiation dans la certitude la plus étriquée qui soit, celle du lien biologique – non pas même de la chair mais du gène ?

Notes

  • [*]
    La revue Etudes est partenaire des prochaines Rencontres de Malagar sur le thème, « La filiation en péril ? » (cf. p. 672)
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