1Durant cette année 2009, des états généraux de la bioéthique ont été organisés à l’occasion de la révision en 2010 de la Loi relative à la bioéthique. Nous en avons parlé ici à plusieurs reprises, et nous venons récemment de publier un Hors-série qui retrace trente ans de discussions sur ce sujet. Les états généraux ont été l’occasion d’un vaste débat sur la vision de l’homme que chacun défend et veut promouvoir en raison. Des arguments multiples sont utilisés pour justifier des changements dans des questions aussi fondamentales que celle de la naissance ou de la mort.
2Tout le monde s’appuie sur la notion de dignité humaine, c’est déjà un point commun. Mais les conceptions de la dignité peuvent être diamétralement opposées. Pour certains, la dignité s’exprime par un refus de la dégradation de son apparence physique et de ses facultés intellectuelles. Pour d’autres, elle correspond précisément au contraire à la prise en compte de la vulnérabilité humaine dans le respect des personnes atteintes de handicaps ou de grandes maladies comme Alzheimer. De telles épreuves touchent les capacités d’autonomie et les compétences des individus, sans amoindrir leur part irréductible d’humanité. Mais il faut y ajouter l’argument de la justice, c’est-à-dire de la lutte contre toutes les inégalités qui peuvent toucher les pauvres, les malades, les vieillards, les enfants, et généralement les plus faibles. La dignité est donc invoquée dans des sens opposés et en son nom, on justifie des décisions bien différentes, depuis l’euthanasie jusqu’à la gestation pour autrui, l’information des donneurs de sperme et l’ouverture à toutes sortes de parentalité.
3Mais d’autres arguments sont employés pour justifier tous ces changements, et d’abord la liberté : liberté de disposer de son corps et de sa vie, la liberté d’avoir un enfant quand on veut, la liberté de vivre en couple sous la forme que l’on souhaite. La liberté est-elle un argument suffisant ? Certes non, et chacun le sait. Car réclamer la possibilité de faire telle ou telle chose au nom de la liberté, cela ne dit rien ni sur les limites, ni sur les critères. La liberté à elle seule ne peut pas justifier une décision. Compte tenu de la force de l’individualisme aujourd’hui, et de la distance prise par rapport à une culture commune, la liberté s’érige en juge absolu de nos actes.
4L’égalité est peut-être l’argument le plus souvent utilisé dans certains cas, par exemple le mariage homosexuel ou l’homoparentalité. Par cet argument, une volonté de reconnaissance de nouvelles formes de vie cherche à faire sa place dans le débat public, et surtout dans le système législatif. Elle cherche à gommer les différences, notamment les différences sexuelles, au mépris de la spécificité de l’homme et de la femme. Déconstruire cette spécificité, n’est ce pas affaiblir la richesse de l’humain ? Tout en respectant les choix individuels, l’invocation de l’égalité mène dans ces domaines à une impasse comme choix pour la société.
5Lorsque l’argument de l’égalité n’est pas accepté, celui de la non-discrimination cherche à entraîner l’adhésion. Traiter une catégorie de personnes de manière discriminatoire par rapport à une autre est en effet inacceptable. Mais cela ne tient pas compte des différences. On ne peut pas traiter sur le même plan des situations qui sont différentes. Notre époque nie facilement la différence, parce qu’elle ne l’aime pas, parce qu’elle y voit tout de suite un plus ou un moins, une discrimination précisément.
6Un autre argument est celui du don et de la solidarité : dans un mouvement d’émotion, l’attitude généreuse est ainsi appelée à justifier bien des actes qui posent problème. Cette générosité fait passer en second les difficultés éthiques que l’on pourrait rencontrer dans tel ou tel comportement. Ainsi, la maternité de substitution devient un acte de générosité envers un couple ayant des difficultés à avoir un enfant. Mais ce don généreux risque de masquer une exploitation et une marchandisation des corps.
7Aucun de ces arguments n’est vraiment faux et inutile, mais ils posent problème lorsqu’ils sont absolutisés en mettant de côtés des objections critiques qui peuvent être fondamentales. Le risque le plus grave de notre époque est celui de la confusion mentale qui ne sait plus sur quelle valeur fonder son existence et qui prend pour règle de vie ses désirs justifiés par des concepts absolutisés.
8L’anthropologie que nous défendons dans la revue Etudes a pour fondement la dignité de l’homme, créature de Dieu, devant être respectée dans toutes les circonstances de sa vie, quelles que soient les apparences que cette vie pourra prendre. L’apport du christianisme est de redire que la qualité de la vie humaine ne se mesure pas quantitativement, comme sur une échelle de 1 à 10 où les plus bas échelons ne vaudraient pas d’être vécus. L’homme reste une énigme qui ne se maîtrise pas quand on veut et comme on veut.
9Voulant garder ce débat au niveau anthropologique, il importe de chercher les arguments et de les exprimer en termes compréhensibles par tous. C’est ainsi que les chrétiens pourront contribuer au débat public au sein d’une société qui recherche des interlocuteurs. Le débat sur l’euthanasie qui a abouti à la loi Léonetti est en ce sens un bon exemple de la participation des chrétiens à la réflexion nationale, comme aujourd’hui le débat sur les états généraux de la bioéthique.
10Nous ne sommes pas dans une attitude intransigeante, mais dans une volonté d’exigence pour tous, car les enjeux de ces discussions sont considérables pour le présent et surtout pour l’avenir. Nous ne pouvons pas accepter que des décisions soient prises au niveau national sur les simples arguments de la liberté, de l’égalité ou de la non-discrimination.
11A toutes ces conditions, aiguillonné par la foi, le chrétien pourra alors s’avancer avec la communauté nationale sur le chemin de cette pratique difficile d’une éthique exigeante.