Études 2009/7 Tome 411

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Article de revue

Une lecture de Tintin au Tibet

Pages 77 à 86

English version

1De tous les albums d’Hergé consacrés aux aventures du reporter Tintin, le vingtième, Tintin au Tibet, paru en 1960, est sûrement le plus personnel. Cet album peut être lu et étudié sous différents angles : géographique avec la représentation du fait montagnard, géopolitique avec le problème du Tibet et de son annexion par la Chine, géo-environnemental avec la question du maintien ou de la disparition d’espèces faunistiques étranges. Pourtant, l’intérêt le plus remarquable de cet album doit être recherché dans une autre direction. En effet, Tintin au Tibet n’évoque pas simplement l’Himalaya et ses dangers, les traditions tibétaines et ses lamasseries, ou l’existence hypothétique du Yéti. Son propos principal porte sur le sens de l’amitié, et plus encore constitue une sorte de quête du Bien. En effet, Hergé conte l’histoire d’un homme prêt à donner sa vie pour aller sauver un ami que toutes les apparences donnent pour mort... Dès lors, qui est véritablement cet homme prêt à tout pour sauver son prochain ? C’est la lecture d’un Tintin au Tibet comme allégorie moderne et laïcisée du bon samaritain que nous souhaiterions privilégier. Car si cet album semble à peu près apolitique, il revêt une dimension philosophique et spirituelle inégalée dans les autres albums de la série.

Un album quasiment apolitique

2Etudier une œuvre, c’est aussi la resituer dans le contexte historique de sa réalisation. Or, précisément, 1959, l’année de rédaction de Tintin au Tibet constitue un tournant historique pour le Tibet. Depuis 1950, le Tibet est considéré par la Chine de Mao comme une province à part entière du pays. Cependant, une résistance culturelle à cette domination, forgée au sein des lamasseries, se met en place. C’est donc au cours de cette année 59 que l’armée chinoise, pour réprimer une insurrection, envahit militairement le Tibet, invasion qui provoqua l’exil du Dalaï Lama en Inde. Hergé travaille sur son récit entre septembre 1958 et novembre 1959. L’invasion militaire chinoise au Tibet, qui commence fin mars 1959, est rapidement connue en Occident. Pourtant, on ne trouve dans l’album, aucune allusion à ce fait géopolitique alors que presque toute l’œuvre d’ Hergé est soit directement, soit indirectement aux prises avec l’actualité politique. Tous les historiens savent effectivement que la série d’albums des Tintins est parsemée d’allusions politiques liées à l’Histoire du xxe siècle : que ce soit l’invasion de la Mandchourie par le Japon évoquée dans Le Lotus bleu, l’Anschluss évoqué dans Le Sceptre d’Ottokar, les tensions au Proche-Orient et la naissance d’Israël dans L’Or Noir (dans sa version initiale de 1950), ou la course à l’espace dans Objectif Lune. Même Le secret de la Licorne, qui semble loin de toutes considérations politiques, contient une fine allusion à la situation de Bruxelles occupée par l’armée allemande et aux restrictions de circulation des tramways imposées par l’occupant.

3Tintin au Tibet apparaît donc bien à part dans la collection des Tintins, comme une BD quasiment apolitique. On trouve bien une allusion, savoureusement formulée, à la longue marche de Mao d’octobre 1934 à octobre 1935 : « et la longue marche continue… » Après tout, cette dernière passa effectivement par les marges du Tibet – le Tibet historique mais non la province du Tibet actuel – et ne laissa d’ailleurs pas de bons souvenirs puisque les troupes de Mao, puis les troupes nationalistes qui les poursuivaient, durent réquisitionner des vivres auprès des populations dans les villages.

4Par ailleurs, Hergé, en faisant visiter Delhi à ses héros, cite un certain nombre de monuments et fait explicitement allusion à Gandhi… Le Qutab Minar, le fort rouge et le Jama Mashid évoqués dans l’album sont les trois monuments les plus caractéristiques de Delhi. Notons qu’Hergé a également su saisir avec humour une part de la réalité sociale du Tiers Monde qui caractérise encore l’Inde en 1960 : trois guides proposent leurs services à deux visiteurs (Tintin et Haddock) et un chien (Milou) ! En quelques monuments, la complexité de l’ histoire des Indes est ainsi sommairement esquissée, avec l’influence islamique à l’époque du sultanat de Delhi (Minaret de Qutab Minar), ou les joyaux architecturaux de l’empire moghol (mosquée Jama Mashid, fort rouge). Enfin, la BD évoque le Raj Ghat, dont Hergé précise qu’il s’agit du mémorial dédié à Gandhi, père de la nation indépendante. Cette sobre plate forme en marbre fut élevée là où le corps du Gandhi, assassiné par un fanatique hindouiste le 30 janvier 1948, fut incinéré.

Le désir de transformation de soi

5On ne peut comprendre véritablement une œuvre sans rien connaître de son auteur au moment où il l’écrit. Or, précisément, de tous les albums de la série, Tintin au Tibet est l’œuvre la plus personnelle d’Hergé, la seule qui fut écrite à une époque de remise en cause profonde et douloureuse de son auteur. Depuis 1956, comme le raconte très bien David Assouline dans la superbe biographie qu’il lui a consacré, Hergé, qui est marié à Germaine Kieckens depuis 1932, est tombé amoureux d’une jeune collaboratrice des studios Hergé : Fanny Vlamynck. Parallèlement, il vient de vivre une période de retraite et de méditation personnelle à l’abbaye de la Trappe de Scourmont puis, toujours en solitaire, sur les rives du lac Leman en Suisse. Agé d’une cinquantaine d’années, il semble faire un bilan de sa vie et des valeurs catholiques qui l’ont animé depuis sa jeunesse. Hergé rentre en pleine période d’introspection.

6Comme l’analyse David Assouline : « La découverte des philosophies orientales, la révélation d’une sagesse étrangère à la morale judéo-chrétienne, et la rencontre de Fanny ont catalysé tout ce qui, en lui, aspirait au changement. » C’est une véritable crise intérieure que vit alors Hergé, car l’on ne se débarrasse pas aisément de son éducation catholique d’autant plus que cette dernière ne fut jamais un vernis pour lui. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il connaît alors à cette période de sa vie une série de rêves obsédants et récurrents qui le poussent à consulter un psychanalyste. Hergé le racontera lui-même plus tard dans les entretiens qu’il réalisa avec Numa Sadoul : « A cette époque, je traversais une véritable crise et mes rêves étaient presque toujours des rêves en blanc et ils étaient très angoissants. J’en prenais note et je me souviens de l’un deux où je me trouvais dans une espèce de tour constituée de rampes successives. Des feuilles mortes tombaient et recouvraient tout. A un certain moment, dans une sorte d’alcôve d’une blancheur immaculée est apparu un squelette tout blanc qui a essayé de m’attraper. Et à l’instant, tout autour de moi, le monde est devenu blanc, blanc. »

Tintin au Tibet, p. 25. © Hergé/Moulinsart 2009

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Tintin au Tibet, p. 25. © Hergé/Moulinsart 2009

7Dans sa production artistique Hergé semble bloqué. Il a exploré une série de pistes de scénarii pour un nouvel album, (un scénario d’espionnage, un autre sur les Peaux Rouges, un autre où Nestor trouve un rôle majeur (qu’il n’occupera jamais dans l’œuvre), mais il finit par abandonner tous ses projets, sans doute parce qu’ils ne sont pas en adéquation avec ce qu’il vit intimement. Puis brusquement, comme après un rêve qui vous impressionne et vous dicte un récit, apparaît l’esquisse de ce qui sera le scénario de Tintin au Tibet ; Hergé écrit ces mots : « thème général très simple : sagesse tibétaine – lama, abominable homme des neiges. Pourquoi partent-ils au Tibet ? »

8Certaines questions personnelles le taraudent et sont à l’origine d’une véritable crise intérieure : qu’est-ce que faire le Bien ? Quel chemin m’indique ma conscience ? Abandonner mon épouse après près de 20 ans de vie commune et laisser mes sentiments me conduire à épouser Fanny ? Ou me condamner à passer à côté d’un nouveau bonheur ? Rejeter ou du moins relativiser l’enseignement spirituel de l’abbé Wallez, père spirituel d’Hergé ? Ou suivre sa direction au risque de ne jamais s’en affranchir ?

9Ces rêves en blanc, évoqués précédemment, étouffent littéralement Hergé et il a besoin de s’en libérer, comme il a besoin de se déprendre de la pesanteur des conventions sociales et de son éducation catholique : la création de Tintin au Tibet va ainsi tenter de répondre à un profond besoin de métamorphose de son auteur.

Une démarche proche de la sainteté

10Aux vertus cardinales de la création artistique d’une BD comme chef-d’œuvre (clarté, simplification, dépouillement, sobriété), correspondent les vertus cardinales de son héros sur le plan religieux (la prudence, la justice, la tempérance et la force), vertus qui se trouvent aussi associées aux vertus théologales qui semblent plus que jamais habiter Tintin (la foi, l’espérance, la charité). C’est bien, du point de vue spirituel, une véritable démarche de sainteté que semble poursuivre Tintin. Le saint au sens chrétien est celui qui va jusqu’au bout de la révélation de la vérité du Christ, comme Tintin va jusqu’au bout de la révélation qui lui fait apparaître son ami Tchang comme vivant.

11Tout d’abord, Tintin apparaît dans toute sa faiblesse d’homme, alors qu’il est, dans les autres albums, une sorte de héros vertueux, asexué mais assez irréel, rarement ému, toujours vaillant et jamais désespéré. On le voit ici abattu, pleurant, plusieurs fois tout prêt à renoncer (« adieu Tchang adieu »), puis plus tard à la lamasserie (« et voilà nous retournons… sans Tchang hélas »), ce qui est absolument unique dans l’ensemble de la série. Enfin, la démarche qu’il entreprend est d’abord éminemment solitaire : il décide de partir seul, même si le capitaine, contrairement à ce qu’il annonce, finit, chaque fois, par le rejoindre.

12Pour tendre vers la sainteté, il faut se rappeler sa condition humaine, c’est-à-dire accepter sa faiblesse, afin de pouvoir éventuellement la transcender ; par ailleurs cette démarche vers la sainteté est avant tout intérieure et singulière ; elle ne peut se vivre qu’en solitaire. L’album s’ouvre sur un étrange songe au cours duquel Tintin croit voir son ami Tchang l’appeler à son secours. Alors que dans tous les autres albums l’intrigue était lancée par un événement extérieur qui alertait Tintin (une statuette volée, une étoile qui grossit, des savants qui tombent malades, l’enlèvement de Tournesol, etc.), l’intrigue est ici comme intériorisée par le héros lui-même. Ce songe « hallucinant de vérité » commande à Tintin d’agir et d’aller sauver Tchang. Le songe agit ainsi comme une révélation (Tchang est vivant) qui poussera et sous-tendra toute l’action de Tintin. C’est bien dans ce songe que Tintin puise la foi que Tchang, malgré toutes les apparences, a survécu à la catastrophe. Cette espérance lui permettra de soulever les montagnes, ou plutôt de gravir les versants de l’Himalaya… Le songe accompagne les démarches de sainteté dans de nombreux récits de la tradition chrétienne – à commencer par Saint-Martin auquel le Christ apparaît en songe : « ce que tu as fait en couvrant ce mendiant de ton manteau, c’est à moi que tu l’as fait. » Le chemin vers la sainteté exige aussi un long dépouillement de soi, de ses vanités, de ses appréhensions et de ses a priori. Ce n’est sans doute pas un hasard si cette aventure de Tintin se déroule sur les plus hautes montages du monde, car la montagne est, par excellence, le cadre d’une géographie mystique, le lieu du dépassement de soi. Le blanc qui entoure Tintin, et qui était la couleur obsédante des rêves d’Hergé à cette période de sa vie, apparaît alors comme l’allégorie de cette pureté que semble atteindre son jeune héros.

13Le saint, de par son rayonnement, exerce aussi une autorité morale qui est de nature à transfigurer radicalement ses proches. Dès la première page, le capitaine Haddock nous apprend que les randonnées en montagne ne l’intéressent guère : « s’obstiner à grimper sur des tas de cailloux, ça me dépasse » ; c’est pourtant ce que va faire Haddock en accompagnant Tintin au Tibet – certes en maugréant et à l’aide du whisky qu’il amène dans son sac ! Mais la force de cette amitié bourrue qu’il ressent pour Tintin le pousse à surmonter son dégoût pour la marche et à devenir, à sa manière, un homme de Bien. Le guide Tharkey se transforme également au cours du récit. Après avoir abandonné Tintin et Haddock, il revient comme l’on se détourne d’une mauvaise action : « Toi jeune sahib blanc, et toi risquer ta vie pour sauver jeune garçon jaune », « Moi, faire demi-tour et revenir vers toi ». En somme, Tintin est celui pour lequel chacun sort de ses habitudes, de son confort quotidien, afin de le suivre, comme on suit un saint parce qu’une force morale nous enjoint à le faire.

14Le mot de la fin semble nous être donné par le lama qui vient à la rencontre de Tintin et de Tchang : « Ce que tu as fait, peu d’hommes auraient osé l’entreprendre. Sois béni, Cœur Pur, sois béni pour la ferveur de ton amitié, pour ton audace et pour ta ténacité. » Tintin acquiert ainsi une nouvelle dimension, le héros s’est transfiguré ; il s’engage dans une démarche de sainteté, à la recherche d’une forme de bien absolu. Son fidèle compagnon Milou, que l’on a trop tendance à oublier, s’est lui aussi quelque peu métamorphosé, puisque Hergé l’a doté d’une bonne et d’une mauvaise conscience. Ainsi, peut-être pur reflet de l’état d’esprit d’Hergé lorsqu’il rédige l’album, c’est lui qui s’interroge sur ce qu’il doit faire (ou ne pas faire). Unique dans cet album au sein de la série, Milou, à deux reprises, voit son ange gardien et en même temps son démon l’interpeller : l’un pour le dissuader et l’autre pour le tenter de boire du whisky ; une autre fois, pour le pousser à s’emparer d’un os plutôt que d’apporter le message de secours écrit par Tintin.

La quête du vrai Bien

15Le véritable secret de l’album, Michel Serres, grand tintinophile et ami personnel d’Hergé, l’a percé par cette remarque qui souligne la possible réversibilité du récit : l’album s’ouvre par un montagnard vu de face (Tintin dans les Alpes) et se termine par le Yéti, « l’abominable homme des neiges » vu de dos. Car l’autre véritable héros du récit, peut être le seul, c’est précisément ce Yéti qui sauve Tchang en le recueillant dans sa grotte, en prenant soin de lui… Il y a réversibilité du récit dans la mesure où Tchang a été au début arraché à Tintin par l’accident d’avion ; tout comme Tintin vient arracher Tchang aux mains du Yéti… Aux pleurs de Tintin font échos les lamentations du Yéti, désormais seul dans la montagne. Bien sûr cette réversibilité ne tient que si l’un peut être assimilé à l’autre, Tintin au Yéti, l’homme à la bête. Hergé esquisse lui-même une réponse à cette question dans l’avant-dernière image en faisant parler Tchang à propos du Yéti : « Pourtant, je t’assure, Tintin, il a agi avec moi d’une telle façon que je me suis parfois demandé si ce n’était pas un être humain. » « Qui sait ? » répond Tintin. Le véritable homme de Bien, celui qui sauve Tchang est d’abord tout autant cette figure du Yéti que Tintin lui-même. Cette figure du Bien représentée par le Yéti peut apparaître comme une transposition de la baleine de Jonas qui tout en emprisonnant Jonas l’empêche de se noyer et le sauve, ou bien encore du bon Samaritain. Le Yéti, tel le Samaritain de l’Evangile, a mauvaise réputation. Pourtant, c’est cet « abominable homme des neiges » qui soigne et nourrit Tchang alors que les sherpas seraient arrivés trop tard pour le sauver. Le Bon n’est donc pas toujours celui que l’on croit et le Bien peut surgir de là ou l’on ne l’attend pas, en chaque être. Cet Esprit d’amour qui peut atteindre tout homme, aussi « abominable » semble-t-il, est le cœur du message chrétien.

16Mais l’allusion biblique n’est pas épuisée par cette remarque, car le rapport au temps qui ponctue le récit semble être aussi intéressant à analyser. Georges Rémi n’était certes pas un grand adepte de randonnées en montagne, mais adolescent, lorsqu’il était chef de patrouille chez les scouts, il avait randonné autour du cirque de Gavarnie. Comme le dit Pierre Assouline : « le cirque de Gavarnie fut son Himalaya ». Il avait donc le minimum d’expérience de la montagne pour comprendre que le temps mis pour atteindre tel ou tel point est une mesure de l’effort accompli en fonction de la dénivellation franchie. On peut alors se demander si l’indication « Trois jours plus tard » qui revient souvent, notamment lorsque le dénouement approche, est totalement fortuite. Le grand précieux qui dirige la lamasserie indique effectivement à Tintin : « Le museau du yack : il y a une montagne qu’on nomme ainsi, à trois jours de marche, près de Charahbang » et Tintin y arrive bien trois jours plus tard… Comme il mettra trois jours de plus pour arriver au pied de cette montagne où le Yéti est censé cacher/protéger Tchang dans une grotte. Ces trois jours à répétition que met Tintin pour arriver à Tchang renvoient aussi aux trois jours que mettra Jonas pour sortir de la baleine et aux trois jours que connaît le Christ pour vivre la passion et la résurrection. « Comme Jonas a été dans le ventre du Cétacé trois jours et trois nuits, de même le fils de l’homme sera dans le cœur de la terre trois jours et trois nuits » (Mt, 12, 40-41). Car c’est aussi une sorte de résurrection, du moins une résurrection à la vie sociale, que va connaître Tchang grâce à Tintin.

17En se posant finalement cette question qui parcourt l’album, « Qu’est ce que le Bien ? », Hergé indique encore une autre piste de lecture. En effet, Michel Serres est sensible à une image qui représente le Yéti aveuglé par le flash de l’appareil photographique que Tintin déclenche fortuitement… et l’on déduit qu’à cette distance, et dans ces conditions, la photo prise est illisible. On peut percevoir dans cette scène une analyse avant-gardiste du rejet de « la société du spectacle » dans laquelle l’hyper-médiatisation nous a fait entrer. L’insistance répétée du capitaine Haddock pour que Tintin prenne absolument une photographie du Yéti illustre bien cette avidité de voyeur qui recherche avant tout le spectaculaire. Sauf que le vrai Bien est insaisissable, il ne peut pas se montrer en spectacle. Cette scène fait d’ailleurs écho à une autre scène de même nature et qui la précède : lorsque Tintin, rescapé dans la lamasserie, raconte son aventure au grand précieux, il n’arrive pas à formuler le but réel de son expédition car il est interrompu de façon incongrue et très comique par le capitaine Haddock, qui vient réclamer un chausse-pied : « Pour nous grand Précieux, ce n’est ni la soif des records, ni le goût de l’alpinisme qui nous a conduits jusqu’ici. Notre But était de… » C’est ensuite le Capitaine qui reprendra, à sa façon très pittoresque, le récit. Là encore le véritable Bien ne peut pas s’exposer. Il échappe à toute explication et relève presque de l’absurde, simplement parce qu’une force irrépressible, qui vient dont on ne sait où, appelle à l’accomplir. Il est irréductible à une loi civile ou religieuse, à un quelconque sens tiré de la raison, et lorsque l’on croit le saisir, il nous échappe toujours.

18Tintin au Tibet, paru en 1960, est pour Georges Remi l’album de la sagesse personnelle comme Le Lotus bleu, paru en 1936, a été l’album de la maturité politique et du dépassement des a priori, notamment grâce à sa rencontre à Bruxelles avec le dessinateur chinois Tchang Tchong Jen, en mai 1934. « Sorte de chant dédié à l’amitié » (Hergé), « véritable épure » (Benoît Peeters), « album de la plus précieuse des raretés » (Michel Serres), Tintin au Tibet devrait constituer une sorte de vraie fin, sublime et magistrale, à l’ensemble de la série des Tintins. Les bijoux de la Castafiore, l’album qui suivra en 1963, et dont on peut dire qu’il annonce une fin de l’Histoire, et d’une certaine façon, une autre vraie fin de la série, est également d’un intérêt analytique remarquable. Les albums qui suivront, à l’inspiration moins personnelle et davantage dictés par l’actualité, 714 pour Sydney et les Picaros, seront malheureusement moins convaincants pour de nombreux tintinophiles. L’ultime album, L’Alph art, restera inachevé comme une fin manquée.

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