Notes
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[1]
Voir dans le livre de Louis-Michel Renier, Peut-on se passer du pardon ?, CRER, 2008, le chapitre 3, intitulé « Le pardon, une réalité à vivre et à célébrer », notamment les pages 87-115.
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[2]
Pour une présentation détaillée de cette histoire, voir l’Histoire des dogmes, vol. III, Les signes du salut DDB, 1995. Pour une présentation succincte, se reporter à Bernard Sesboüé, Invitation à croire, Des sacrements crédibles et désirables, p. 198-207.
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[3]
« La vie pénitentielle dans les communautés primitives », dans Histoire des dogmes, vol. III, op. cit., p. 93. Louis Michel Renier, op. cit., propose de remettre en valeur et d’étoffer un régime pénitentiel de ce type, permettant de vivre le pardon davantage au jour le jour (p. 143-148).
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[4]
Voir par exemple CNPL, Laissez vous réconcilier avec Dieu, Cerf, 1999.
-
[5]
Ordo Paenitentiae, 1973 (adaptation française 1977).
-
[6]
Célébrer la pénitence et la réconciliation, Rituel, Chalet Tardy, 1978, p. 34.
-
[7]
Ibid., p. 20.
-
[8]
Ibid., p. 21.
-
[9]
Ibid., p. 22.
1Le sacrement de réconciliation – appelé aussi confession ou pénitence – a mauvaise presse. Certains l’associent spontanément à l’image du confessionnal, de la pénombre et des paroles furtives qui se faufilent par un huis mystérieux, ces formules chuchotées, vite exécutées. Mauvais moment à passer ! Pour d’autres, la cause est entendue : n’y voyant qu’un mécanisme de contrôle social ou une fabrique de la culpabilité, personne ne va regretter sa disparition assurée. De fait, c’est un des sacrements qui a connu la plus forte désaffection. Une minorité parmi les catholiques pratiquants y ont recours régulièrement. Garde-t-il malgré tout encore une pertinence ?
2Du côté pastoral, on assiste depuis une quinzaine d’années, à des recherches et des efforts pour le remettre en valeur [1]. On voit se multiplier, dans les églises, des points d’accueil, agréablement disposés, avec Bible et icône, où le sacrement peut s’accompagner d’un entretien ; dans les lieux de pèlerinage et les sanctuaires, les demandes de réconciliation sont vraiment nombreuses, comme si ce geste était plus facile lorsqu’il s’inscrit dans une démarche spirituelle large ; à l’occasion de rassemblements de jeunes (JMJ, Frat, Chartres), le sacrement est proposé, en général accompagné d’une catéchèse sur le pardon ; c’est alors une véritable célébration, qui permet d’honorer la dimension ecclésiale de la réconciliation. Enfin, des paroisses ont mis au point des « journées du pardon », à l’occasion des fêtes pascales ou en préparation de Noël. Ces différentes initiatives seront-elles suffisantes pour permettre aux catholiques de redécouvrir et d’aimer ce sacrement ?
Histoire d’un sacrement paradoxal
3Le sacrement de réconciliation n’est pas facile à proposer. Il n’est jamais agréable de reconnaître ses erreurs ou ses fautes devant quelqu’un. Ce sacrement revêt une dimension paradoxale, qui le rend fragile et l’expose à des dérives possibles. Un regard sur son histoire confirme ce trait [2].
4Dans les évangiles, se réconcilier avec Dieu est d’abord une réjouissance, une fête : « il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentir », écrit St Luc (15,7), et un peu plus loin dans la parabole de l’enfant prodigue, il montre le Père qui laisse éclater sa joie en célébrant le retour de son fils. Ce trait se retrouve dans la célébration du baptême, sacrement à tonalité joyeuse. En un seul mouvement, le croyant est délié de ce qui l’empêche d’aimer Dieu et ses frères, de ce qui l’enferme en lui-même, et il est associé à la Pâque du Christ qui rouvre pour lui le chemin vers le Père. Le baptême contient donc un élément pénitentiel important : la rémission des péchés. Il scelle une réconciliation dans laquelle Dieu s’est engagé sans retour. Dans cette perspective, on le voit bien, il n’est pas besoin d’un geste supplémentaire pour célébrer des retrouvailles qui ont déjà bien eu lieu. De fait, dans l’Eglise primitive, il n’y avait pas, comme aujour-d’hui, d’autre célébration pour le pardon des péchés que le baptême. On se contentait de faire précéder l’Eucharistie d’un rite pénitentiel (exomologèse), au cours duquel les croyants confessaient leurs fautes et se réconciliaient (cf. Didachè 14, 1-2). Comme l’écrit Bernard Sesboüé : « Il est légitime de dire que les chrétiens d’alors vivaient effectivement la réalité de grâce de la réconciliation à travers cette liturgie. [3] »
5Une question ne tarda pas à se poser : que faire lorsque des chrétiens, ayant publiquement rompu avec leur communauté – dans la crainte des persécutions notamment – demandent à être réadmis dans l’Eglise ? Après de vifs débats, il fut finalement décidé de les réintégrer après un temps de pénitence. Cette réintégration, opérée par l’évêque au cours d’une petite célébration, représentait pour le chrétien une sorte de réactualisation de son baptême. C’est là que s’origine notre sacrement de réconciliation, c’est toute sa signification : faire l’expérience de la puissance actuelle du baptême. C’est également son paradoxe : en lui-même, il n’ajoute rien au baptême, il manifeste à nouveau ce qui a été alors donné, il l’actualise. Aussitôt se profile la tentation possible de lui attribuer une consistance propre, indépendamment du baptême, comme s’il fallait quelque chose après celui-ci qui vienne le compléter. On court alors le risque de s’installer dans la représentation d’une rémission des péchés à répétition et à concevoir le salut comme une quantité qui se délivre par petits paquets, comme s’il s’agissait de trouver des arrangements avec Dieu dès que l’on se trouve dans une mauvaise posture. Dans cette perspective, la puissance du geste de réconciliation opérée par Dieu en Jésus-Christ est réduite à une sorte de commerce, à un dispositif moral chargé d’évaluer périodiquement les écarts par rapport aux normes. Sa dimension théologale – la réconciliation comme redécouverte du lien vivant à Dieu – s’estompe, et avec elle, son caractère joyeux. Quant à sa dimension communautaire, elle disparaît totalement. Il ne reste plus finalement qu’une comptabilité des fautes, à réactualiser périodiquement devant Dieu, de façon à en être blanchi.
6Ceci n’a jamais été la doctrine de l’Eglise, qui a toujours maintenu une théologie du sacrement de réconciliation en étroite dépendance avec le baptême. Mais il faut bien reconnaître que le dispositif pastoral – avec notamment l’obligation pour tout chrétien de se confesser au moins une fois l’an auprès de son curé (concile de Latran IV, 1215 ; Denzinger, n° 812), pourrait induire une ambiguïté dans la compréhension de ce sacrement en risquant de l’assimiler à une vérification périodique. De plus, dans des pays presque totalement christianisés, comment aurait-il pu ne pas être vu comme un instrument de contrôle social ? Sa fonction positive, celle de signaler dans toute la durée d’une vie l’actualité du baptême, s’estompait.
7La question pastorale, aujourd’hui, pourrait donc se formuler ainsi : comment redécouvrir la confession comme des retrouvailles avec le Christ qui, malgré nos errances, ne démentit jamais son engagement scellé lors du baptême ? Le pénitent est alors délogé d’un regard étroit sur ce qui va mal en lui ; son attention est orientée d’abord vers Dieu, vers la puissance de son amour. Et dans le même mouvement, il découvre comment l’humble reconnaissance de son péché et le pardon reçu revivifient le lien de la communion avec ses frères.
Le renouveau opéré par Vatican II
8Des efforts ont été faits, ces dernières années, pour redonner vigueur à ces dimensions ecclésiale et théologale du sacrement de réconciliation, intimement liées entre elles, comme le souligne le concile Vatican II : « Ceux qui s’approchent du sacrement de Pénitence y reçoivent de la miséricorde de Dieu le pardon de l’offense qu’ils lui ont faite et du même coup sont réconciliés avec l’Eglise que leur péché a blessée et qui, par la charité, l’exemple, les prières, travaille à leur conversion » (Lumen Gentium n° 11). A lire cet extrait, on mesure le décalage entre ces nouveaux accents donnés au sacrement de réconciliation et la compréhension communément partagée : le catholique moyen voit-il d’abord le péché comme « une offense faite à Dieu » ? Ressent-il le besoin de se réconcilier avec l’Eglise pour l’avoir ainsi « blessée » ? Une catéchèse serait ici sans doute nécessaire pour reconnaître le péché d’abord comme un obstacle au don de Dieu – en moi-même, dans ma vie relationnelle, ou en ce qui concerne mes responsabilités dans la société –, qui étouffe la Bonne Nouvelle et repousse ainsi d’autant l’Eglise dans l’insignifiance [4].
9Le rituel de la pénitence et de la réconciliation, promulgué dans les années qui ont suivi le Concile [5], propose des gestes qui aident à entrer dans cette intelligence du sacrement. En voici trois exemples.
10La Parole de Dieu est remise à l’honneur au cours de la célébration du sacrement (plus de cent cinquante textes sont proposés). Pour le choix des lectures le rituel invite à « porter spécialement l’attention sur :
- l’annonce de la Bonne Nouvelle de Dieu qui aime et pardonne et, par là, invite à la conversion ;
- le jugement de Dieu qui n’est pas condamnation, mais révélation de la présence du péché, dont Dieu veut nous sauver. Il nous révèle ainsi que le péché n’est pas le dernier mot de nos vies : le pardon de Dieu nous ouvre un avenir ;
- la mise en lumière du mystère de la réconciliation qui se réalise par la mort et la résurrection du Christ, ainsi que par le don de l’Esprit Saint. Renouvelés par l’Esprit, les croyants retrouvent la force de changer de vie et de témoigner de l’amour du Christ. [6] »
11La présence du ministre – indispensable pour célébrer le sacrement – figure l’accueil bienveillant du Christ à tous ceux qui ploient sous le fardeau (« Le prêtre accueillera le pénitent avec la charité d’un frère, s’il en est besoin, le saluera avec des paroles bienveillantes [7] »). Elle est aussi lue comme présence miséricordieuse de l’Eglise à ses membres fragiles. A travers lui, c’est avec toute la communauté que le pénitent est réconcilié. Ainsi, le rituel, commentant la formule de l’absolution, signale qu’elle « met en lumière l’aspect ecclésial du sacrement, du fait que la réconciliation avec Dieu est demandée et accordée par le ministre de l’Eglise. [8]»
12La possibilité de célébrations communautaires. – Le rituel indique : « Une célébration commune manifeste plus clairement la nature ecclésiale de la pénitence. Car les croyants entendent ensemble la Parole de Dieu qui, proclamant la miséricorde divine, les invite à la conversion ; en même temps, ils confrontent leur vie à cette même Parole de Dieu et s’entraident par la prière. Après que chacun a confessé ses péchés et reçu l’absolution, tous ensemble louent Dieu pour les merveilles qu’il accomplit au profit du peuple que son Fils s’est acquis au prix de son sang. [9] » Est ainsi mise en valeur la dimension collective de ce sacrement et qui peut aider à prendre conscience des formes structurelles du péché dans toute société.
13De nombreuses initiatives ont été prises par des paroisses ou des aumôneries afin d’aider les catholiques à redécouvrir le sacrement de réconciliation. C’est ainsi qu’à St Pierre de Montrouge (Paris XIVe) nous avons développé depuis les années 1990 des « journées du pardon », proposition que l’on retrouve également dans d’autres paroisses et diocèses. C’est une réalisation menée à l’échelle du doyenné (ici, quatre paroisses), et un véritable événement pour les communautés qui contribue grandement à rappeler le caractère ecclésial de ce sacrement.
14Deux formes ont été données à ces journées, afin de répondre aux attentes et aux besoins des chrétiens selon leur âge. L’une, destinée aux collégiens, lycéens et étudiants, prend place avant Noël (avec des horaires adaptés aux rythmes scolaires). L’autre, ouverte à tous, est toujours située au cours de la Semaine Sainte, le mardi. Au fil des années, elle est devenue un rendez-vous habituel, et désormais, les chrétiens l’attendent comme un moment incontournable de la célébration de Pâque. Le sacrement de réconciliation retrouve sa place dans la vie liturgique de l’Eglise.
Des propositions pour des jeunes
15Durant le temps de l’Avent, les jeunes sont invités à St Pierre de Montrouge pour une célébration de la réconciliation. L’église est aménagée avec soin et beauté, autour d’une icône, placée en position centrale, bien éclairée, ainsi que d’une Bible ouverte. D’autres installations peuvent rappeler tel ou tel passage de l’Evangile. Ainsi, une année, pour évoquer le récit du paralysé remis debout par le Christ (Mc 2), on a disposé une civière près de l’autel, et monté une sorte de maison au toit ouvert, où chacun pouvait venir puiser une parole de l’Ecriture. Les bancs et les chaises sont disposés autrement qu’à l’habitude, en fonction de ces points focaux. Trois lieux distincts sont créés dans l’église : celui de l’accueil, pour expliquer, mettre en confiance et inviter à l’intériorité ; celui de l’écoute, qui peut ou non s’accompagner du sacrement (des animateurs d’aumôneries, préparés, sont là, en effet, comme « écoutants adultes », en plus des prêtres) ; et celui de l’action de grâce, de la prière personnelle, où l’on peut écrire une lettre de pardon, personnaliser un psaume biblique, etc.
16Le dialogue avec le jeune s’appuiera toujours sur une parole de l’Ecriture. Le prêtre accueille par exemple le jeune avec ces mots que Jésus avait adressés à Zachée : « Aujour-d’hui, il me faut demeurer chez toi. » Il signifie ainsi que le sacrement rappelle le lien vivant avec le Christ, et invite à vivre cette rencontre spirituelle. En effet, la tendance spontanée, dans les confessions des enfants ou des adolescents, est de comprendre la pénitence dans sa dimension morale. La découvrir comme retrouvailles avec le Christ demande de la pédagogie de la part de l’Eglise.
17Durant ce temps fort d’une demi-journée, trois à quatre cents jeunes de différents établissements scolaires peuvent être accueillis. C’est aussi pour eux l’occasion de déborder le cadre habituel de leur aumônerie, notamment de leur tranche d’âge. Ils se retrouvent, appelés à la réconciliation en même temps que des plus jeunes et des plus âgés. Là où, dans la vie de tous les jours, on établit spontanément des hiérarchies, tous sont à égalité devant Celui qui les rejoint dans leur faiblesse. Ce rassemblement permet aussi à chacun de s’adresser à un prêtre qu’il ne connaît pas ou à un chrétien adulte qui l’écoute. L’ouverture au pardon, en même temps qu’invitation à une lecture spirituelle de sa vie, est donc aussi l’occasion d’un élargissement des horizons ecclésiaux.
18D’autres possibilités sont données aux jeunes de célébrer le sacrement de réconciliation dans le cadre de pèlerinages ou de rassemblements. Les dimensions affectives et esthétiques y sont en général bien engagées ; il s’agit alors à la fois de les intégrer et de les dépasser pour que le sacrement soit véritablement le signe de Jésus-Christ et de l’Eglise. Au Frat de Lourdes (qui réunit 10 000 jeunes lycéens d’Ile de France), la prairie, la grotte, la nuit, les flambeaux, l’atmosphère générale constituent un environnement porteur pour entrer dans la confiance, indispensable pour une remise de soi au Christ.
19Souvent, cela restera comme un moment marquant pour le jeune, car il s’est risqué à une parole de vérité sur lui-même, face au Christ qui l’accueille comme il est, et qui l’aime : certains en reparlent, des années plus tard, à l’occasion de leur préparation au mariage par exemple. En revanche, la proposition du sacrement de réconciliation dans la vie paroissiale est peu attirante pour les jeunes, surtout lorsqu’elle est dissociée d’une célébration plus large qui aide à y entrer. Un défi pour la pastorale consiste à articuler les temps forts (grands rassemblements) avec le temps ordinaire qui permet à la confiance en Dieu de s’enraciner et de porter du fruit dans un itinéraire. Les « journées du pardon » sont une contribution pour réduire ce hiatus entre l’exceptionnel et le quotidien.
Les « journées du pardon »
20La paroisse St Pierre de Montrouge propose tous les jours aux adultes une permanence dans l’église pour la confession ou l’entretien spirituel. Mais chaque année, « la journée du pardon » permet de souligner son importance dans la vie chrétienne. Le sacrement de réconciliation, ainsi mis à l’honneur, sort de l’ombre et devient accessible au plus grand nombre.
21Ce jour-là (c’est donc, à St Pierre de Montrouge, le mardi de la Semaine Sainte), l’église est particulièrement accueillante. Les portes sont ouvertes de 6h30 le matin jusqu’à 22h le soir. Sous le porche, à l’extérieur, un café est offert à ceux qui passent, invitation à découvrir ce qui se vit à l’intérieur. Ensuite, un accueil est organisé dans l’église, pour expliquer le sens de cette démarche. Chacun reçoit une feuille qui comporte d’un côté, le texte d’une parabole évangélique (par exemple Lc 15, « le fils prodigue »), et de l’autre, quelques questions pour se disposer à la réconciliation. La cuve baptismale est placée au centre de l’église, rappelant le baptême, notre source de vie. En se signant avec l’eau de cette cuve, le chrétien se souvient qu’il n’est pas seul pour affronter son péché, ses échecs, ses enfermements. La croix est également mise en valeur. Dans la nef centrale, des paroissiens prient ; ils ont été invités dans les semaines qui précèdent à participer à ce moment de foi. L’église devient comme un oratoire où chacun trouve sa place. Autour de ce centre, une dizaine de prêtres se relaient toute la journée pour entendre les confessions, tandis que des laïcs-écoutants et des religieux – formés à l’accompagnement spirituel – reçoivent également ceux qui voudraient simplement parler ou demander conseil.
22Dans la crypte, ou dans un lieu un peu à part, de courts enseignements (un quart d’heure) sont donnés tout au long de la journée, sur le sacrement de pénitence – comment le préparer, le célébrer –, et également sur la question délicate des manières de vivre la réconciliation alors que, pour des raisons canoniques, on ne peut recevoir l’absolution. Sur ces mêmes lieux, on peut s’arrêter pour visionner une vidéo du Père Paul Baudiquey sur le tableau de Rembrandt, « Le retour du fils prodigue ». Des chrétiens formés au conseil conjugal se rendent aussi disponibles pour écouter et conseiller dans le domaine de la réconciliation familiale.
23Il y a parfois un lieu pour écrire. Une lettre de réconciliation ou une prière à Dieu. Ces dernières sont déposées dans des enveloppes cachetées, devant le tabernacle (puis brûlées à la fin de la journée).
24Ces propositions ne sont pas systématiquement faites chaque année, elles s’inventent en fonction des besoins et selon ce qui sera apparu à la relecture de la précédente célébration.
25Cette multiplicité de lieux et de gestes vise à faciliter la prière de tous, à permettre à chacun de vivre une démarche personnelle en déployant différents aspects du pardon. Ainsi, les personnes empêchées de vivre le sacrement (en raison d’un remariage, par exemple, ou bien parce qu’elles ne sont pas baptisées) peuvent se retrouver dans d’autres gestes qui signifient qu’elles sont aussi touchées par la réconciliation donnée dans le Christ.
26Au cours de la journée, entre 700 et 1 000 personnes passeront dans l’église. Certains sont des catholiques qui se confessent régulièrement, d’autres renouent à cette occasion avec ce sacrement, d’autres encore, entrés là par hasard, ont l’occasion de redécouvrir ce chemin de réconciliation. Ils trouvent un lieu pour confier une souffrance, une culpabilité et être écouté. La qualité des différents accueils est décisive. Parfois, les prêtres ou les laïcs-écoutants sont face à des demandes qui nécessitent le recours à d’autres compétences. C’est pourquoi l’on cherche à travailler en réseau avec des psychologues, conseillers conjugaux, conseillers en éducation, qui permettent d’apporter une aide complémentaire. Il arrive ainsi que le prêtre accompagne spirituellement quelqu’un qui, par ailleurs, travaille également les mêmes points selon une autre approche, notamment psychologique.
27Cette formule d’une journée du pardon existe maintenant dans de nombreux diocèses et secteurs paroissiaux. Faut-il y voir les prémices d’un regain d’intérêt pour la confession ? On peut supposer que notre époque appelle de tels lieux : les liens familiaux ou sociaux y sont particulièrement mis à l’épreuve, expériences douloureuses pour beaucoup, tandis que sont promues des images de soi qui laissent les personnes les plus les fragiles sans recours. Non pas qu’elles soient mises en position d’accusées ; elles sont simplement laissées seules face à leur désarroi. Et avec cette raréfaction de l’accompagnement de nos misères, la miséricorde, elle aussi, risque fort de nous devenir étrangère.
Inscrire le sacrement dans un tissu
28Ce qui, au cours de l’histoire, a porté préjudice au sacrement de pénitence et de réconciliation, c’est probablement son isolement. Lorsqu’il n’y a plus grand-chose de sensible pour montrer son lien étroit avec la Pâque du Christ, il risque de perdre sa signification initiale : rappeler que le salut scellé lors de notre baptême est plus fort que tout ce qui peut nous éloigner de Dieu et nous isoler des frères. « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? […] En tout cela, nous sommes les grands vainqueurs par Celui qui nous a aimés » (Rm 8, 35-37).
29Grâce à l’importance donnée aux textes bibliques, le croyant réapprend à regarder sa situation dans une perspective spirituelle : il n’est ni le premier ni le dernier pécheur. Bien d’autres avant lui – tous d’ailleurs ! – ont fait l’expérience de cette fermeture du cœur qui coupe à la fois de l’amour de Dieu et des hommes, de l’estime de soi, de la vérité et de la liberté. Ils ont traversé l’épreuve, parce qu’ils ont rencontré le Christ qui s’est affronté à la fermeture la plus radicale pour ouvrir un chemin vers le Père. De même, le fait que le pardon soit célébré en communauté permet de comprendre autrement son cas personnel. Nous sommes solidaires dans ce combat qui nous dépasse mais nous y avons tous notre place. Les gestes que le pénitent est invité à faire – assis pour le temps de la louange et de l’aveu, à genoux pour recevoir l’absolution – ainsi que la prière, rappellent que le sacrement réintroduit dans la vie de Dieu.
30C’est lorsqu’il est inséré dans ce tissu de significations que le sacrement de réconciliation est pleinement révélateur des deux dimensions de la croix, verticale et horizontale. Ce sacrement est cruciforme, comme notre vie. Souvent, il est perçu à partir de son plan horizontal (ma vie avec les autres) au risque, si l’on en reste là, le réduire à un simple exercice moral. La tradition chrétienne invite à prendre en compte d’abord la dimension verticale de l’existence, en montrant qu’elle est inextricablement associée à l’axe horizontal. Notre relation à Dieu et aux autres forme un même lien depuis l’Incarnation du Fils. Le sacrement de réconciliation retrouve toute sa force lorsqu’il permet ainsi aux chrétiens de vivre le pardon dans cette double perspective. C’est sur la croix que le ciel et la terre sont réconciliés.
Notes
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[1]
Voir dans le livre de Louis-Michel Renier, Peut-on se passer du pardon ?, CRER, 2008, le chapitre 3, intitulé « Le pardon, une réalité à vivre et à célébrer », notamment les pages 87-115.
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[2]
Pour une présentation détaillée de cette histoire, voir l’Histoire des dogmes, vol. III, Les signes du salut DDB, 1995. Pour une présentation succincte, se reporter à Bernard Sesboüé, Invitation à croire, Des sacrements crédibles et désirables, p. 198-207.
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[3]
« La vie pénitentielle dans les communautés primitives », dans Histoire des dogmes, vol. III, op. cit., p. 93. Louis Michel Renier, op. cit., propose de remettre en valeur et d’étoffer un régime pénitentiel de ce type, permettant de vivre le pardon davantage au jour le jour (p. 143-148).
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[4]
Voir par exemple CNPL, Laissez vous réconcilier avec Dieu, Cerf, 1999.
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[5]
Ordo Paenitentiae, 1973 (adaptation française 1977).
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[6]
Célébrer la pénitence et la réconciliation, Rituel, Chalet Tardy, 1978, p. 34.
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[7]
Ibid., p. 20.
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[8]
Ibid., p. 21.
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[9]
Ibid., p. 22.