Notes
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[1]
Lire son interview dans Le Monde, le mardi 22 juillet 2008, p. 16.
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[2]
Même interview de Tony Blair.
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[3]
Bharatiya Janata Party, Parti du Peuple indien.
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[4]
Etvdes publiera en novembre prochain un article sur les relations entre religion et politique en Allemagne.
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[5]
Il fera l’objet d’un article de Denis Lacorne dans Etvdes, octobre 2008.
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[6]
Voir notre éditorial, « Laïcité, ignorance et reconnaissance », Etvdes, mars 2008.
1Tony Blair s’est converti au catholicisme lorsqu’il a quitté le 10, Downing Street. Ce que l’on sait moins, c’est son attachement à la foi et à la religion dans sa vie et dans la vie collective. Il affirme qu’ « on ne peut pas prétendre gouverner le monde sans comprendre ce qui touche profondément les peuples et correspond à leur irrésistible aspiration à une spiritualité » [1].
2Il contredit ce que notre contexte européen a longtemps voulu occulter et ce que les Européens eux-mêmes ne partagent pas : les religions vivent au cœur de nombreuses sociétés dans le monde, au cœur des multiples cultures. Entre l’Amérique latine et son christianisme, l’Inde pétri d’hindouisme, la Russie appuyée sur son orthodoxie, l’Indonésie agitée par l’islam, partout la religion est présente comme une force sociale, une inspiratrice de la vie ensemble, un facteur d’identité, parfois un foyer d’agitations et de violences. Nos pays européens forment plutôt une exception dans ce domaine ; les Européens l’oublient. Les tenants d’une sécularisation extrême – comme Harvey Cox avec la mort de Dieu, ou comme Marcel Gauchet avec la sortie de la religion – ont d’ailleurs évolué eux-mêmes pour réaffirmer au cœur de nos démocraties la présence et le rôle des religions.
3« La pensée des Lumières a voulu nous faire croire que le progrès irrésistible de l’humanité était synonyme d’extinction des religions dont nous n’aurions plus besoin ; que Dieu était condamné. Quelle erreur ! Une étude récente Gallup montre qu’à la question : ‘‘La religion est-elle importante dans votre vie’’, 90 à 96 % des interrogés dans les pays musulmans répondent ‘‘oui’’. Ce taux tourne autour de 70 % aux Etats-Unis, de 36 % au Royaume-Uni [2]».
4La place centrale des religions dans les sociétés est donc largement partagée, mais elle n’apparaît pas comme une évidence partout. Dans la majorité des pays en voie de développement, et particulièrement dans les pays musulmans, nous verrons comment la religion est omniprésente. La question se pose de savoir si, dans nos sociétés libérales développées, la religion tient un rôle particulier ou reste au contraire en marge de la vie collective.
5Les religions, en tout cas, ne se résument pas à ce simple « fait religieux » que nous analysons en France presque comme un fait divers ; elle représente un lieu de dynamisme, là où se joue la vie des familles et des nations, le lieu de la vie et de la mort, celui des grandes émotions collectives et des forces historiques. Une géopolitique de la religion reste une lecture pertinente de la réalité internationale.
Le temps de la séparation
6Durant un long temps de théocratie, un seul pouvoir (tout autant politique que religieux) dominait les populations et l’Etat. Parfois, ce sont les autorités religieuses qui ont commandé le monde au nom de Dieu ; parfois aussi, ce sont les autorités politiques qui ont utilisé et mis en coupe réglée les Eglises et les religions. Ces modèles théocratiques multiples ont duré pendant des siècles sous des formes, des religions et des cultures très différentes ; et sont encore durables dans bien des régions, de l’Arabie Saoudite à l’Iran.
7Les séparations entre les dieux et les césars furent longues et difficiles, parfois violentes, comme avec la Révolution française devenue le symbole de cette séparation, lorsque la religion refusait ces changements. Elle a d’abord concerné le christianisme, qui a tardé, et sous des formes très diverses, à abandonner la tutelle sur le politique. La particularité de la Révolution française est qu’elle a voulu démolir la théocratie chrétienne, en écartant la royauté pour promouvoir la démocratie. Même si elle a elle-même gardé une référence à un Etre suprême, ses successeurs ont, en outre, cherché à vider le ciel de tout contenu et de tout Dieu pour mieux libérer les forces politiques de la terre. Ils ont ainsi procédé à une double opération en France : la séparation des autorités religieuse et politique, mais aussi la négation de la religion dans l’espace démocratique.
8D’autres pays européens, moins étatistes que la France, ne sont pas entrés dans cette négation ; ils ont conservé une relation étroite et souvent positive entre religion et démocratie, sans que les autorités religieuse et politique soient confondues. Chacun gardait son domaine, même si, dans le cas de l’Angleterre, la Reine reste le chef de l’Eglise anglicane sans exercer aucun pouvoir.
9Dans cette séparation, l’Eglise catholique a difficilement trouvé sa place dans les sociétés libérales modernes. Habituée au pouvoir, elle n’a changé qu’avec le concile Vatican II, qui a reconnu l’autonomie de la sphère politique et la liberté religieuse. Ce changement considérable s’est fait à la quasi-unanimité des responsables catholiques.
10Mais, en ces temps de démocratie, le thème de la séparation concerne toutes les religions. Celles-ci ne sont pas encore clarifiées, y compris dans la sphère chrétienne. L’orthodoxie a plus de mal que le catholicisme dans ce domaine – les interventions, pour ne pas dire les compromissions, entre les pouvoirs étant nombreuses en Russie. En Grèce, le poids de l’Union européenne a été nécessaire pour qu’il y ait une distance à l’égard de l’Eglise orthodoxe.
11Dans ce cas, comme dans celui de l’hindouisme en Inde, il s’agit d’une question d’identité. Etre russe veut-il dire que l’on soit orthodoxe, comme c’était le cas au xixe siècle ? Etre indien signifie-t-il que l’on soit nécessairement hindou ? C’est bien ce que pense un parti comme le BJP [3], qui s’appuie sur de grands groupes religieux et développe une doctrine nationaliste et volontiers antichrétienne. Qu’en est-il aussi au Tibet, dirigé par le Dalaï Lama, autorité tout à la fois politique et religieuse qui tente de défendre son pays contre les interventions chinoises ?
12Mais cette question de séparation entre les pouvoirs concerne surtout aujourd’hui le monde musulman. La structure même de l’islam et du Coran marque cette proximité – voire une similitude – entre le religieux et le politique, qui aboutit à un régime théocratique où les religieux sont finalement « les guides suprêmes », comme en Iran. La question est loin d’être tranchée, car les interprétations sont diverses sur ce point, selon que l’on s’adresse à l’un ou l’autre courant islamique.
Le poids de l’histoire
13La modernité contraint donc la majorité des pays à trouver un modus vivendi où les structures religieuses et politiques soient séparées. Mais le poids de l’histoire a donné des figures bien différentes à ce modèle de séparation. Ainsi, dans tous les pays du monde, la culture locale a inventé une relation spécifique entre les religions et l’Etat. Politique et religion s’occupent, après tout, des mêmes personnes : les citoyens d’un pays.
14Les modèles de présence de la religion dans un pays sont presque aussi variés que le nombre des pays eux-mêmes. Si l’Europe a les mêmes origines avec Rome et Athènes, les contextes nationaux montrent des situations très diverses entre la France et la Belgique, très laïques, l’Italie et la Pologne, proches du catholicisme, l’Allemagne, où l’Etat et les religions coopèrent [4]. Des réflexes pragmatiques ici, ou bien des réactions idéologiques et révolutionnaires là, vont changer les relations entre le pouvoir et les religions. Le poids de l’histoire est considérable : c’est elle qui a constitué la laïcité européenne, sa forme et ses institutions ; et elle n’a pas toujours été un fleuve tranquille. Dans certains pays comme la France, elle a été acquise à travers des crises, qui se sont répétées à plusieurs reprises, sorte de répliques du tremblement de terre primordial que fut la Révolution de 1789.
15Les sociétés asiatiques sont généralement plus religieuses que les sociétés européennes. Le bouddhisme, l’hindouisme, le taoïsme – mais aussi l’islam (ainsi que le christianisme pour les Philippines) – sont présents dans la vie publique comme dans la vie privée, dans les maisons comme dans les rues ; et jusqu’au Japon où, il n’y a pas encore si longtemps, l’empereur était vénéré comme Dieu sur la terre. La facette religieuse des identités nationales joue, bien sûr, un rôle dans la relation des religions au pouvoir.
16Entre l’Europe et l’Asie, la Turquie est un exemple de débat très vif et conflictuel sur la place du religieux dans un pays qui s’annonce laïque. Le parti AKP au pouvoir défend une identité islamiste contre une forte tradition séculière depuis Mustapha Kémal. Le débat n’est pas clos, et la question est mouvante puisque le Conseil constitutionnel a menacé de suspendre le parti AKP qui domine la politique turque. L’armée et une partie du pays craignent le surgissement de forces islamistes qui s’empareraient du pouvoir. Deux visions de la société s’affrontent sur la question de la place du religieux dans la société.
17Le cas américain est spécifique [5] en ce qu’il est un pays occidental, chrétien et développé, mais sans avoir subi la sécularisation dont l’Europe a fait l’expérience. L’Amérique est un pays de migrants, qui rendent grâce à Dieu d’avoir trouvé une terre de refuge et de liberté. Tous les citoyens, Président en tête, célèbrent ce don lors de la fête de Thanks giving. C’est sous la présidence de Eisenhower, en 1956, que la devise de l’Amérique, E Pluribis Unum, a été changée en In God we trust (formule qui est maintenant imprimée sur tous les billets de banque). Des critères comme le taux de natalité (2,5 enfants par femme aux Etats-Unis, 1,52 en Europe) montrent une culture et un rapport à la vie très différents de ceux de l’Europe. Pourtant, les traditions laïques n’ont pas non plus manqué aux Etats-Unis pour garder les religions à distance du pouvoir politique.
18En Afrique, on ne comprend pas comment des Européens peuvent être athées, sans spiritualité et sans Dieu. Cela ne veut pas dire que les Africains se retrouvent tous sur une même religion, loin de là, mais ils manifestent une grande avidité pour ce qui est spirituel et religieux. Les conversions à l’islam et au christianisme sont aujourd’hui très nombreuses, ainsi que les vocations sacerdotales ou religieuses.
19Pourtant, partout la sécularisation marque de son empreinte les civilisations urbaines et modernes. Elle touche le christianisme dans les villes d’Amérique latine, de l’Inde, où les vocations sacerdotales et religieuses sont nettement moins nombreuses que dans les campagnes ; elle touche l’hindouisme et l’islam chez les plus jeunes, qui se détachent de la pratique religieuse ; en Afrique même, les cadres qui sont pris dans la mondialisation économique et sociale marquent facilement des distances par rapport à leurs pratiques religieuses, même s’ils retournent fréquemment dans leur village pour y revivre leurs traditions.
20Malgré une diversité de situations, la religion est toujours une question centrale pour l’identité d’un pays, même dans un pays sécularisé. Elle est parfois occultée, parce que les habitants de ce pays ont pris à titre individuel des distances par rapport à elle. Mais, dans tous les cas, si l’on commence à toucher à l’équilibre qui s’est établi entre religion et société, les habitants descendent dans la rue, et les intellectuels réagissent de manière très vive, au nom d’une identité nationale particulière. C’est dire que le débat sur religion et société dépasse le cadre juridique strict d’une laïcité bien organisée séparant les pouvoirs.
La démocratie
21En raison d’une séparation grandissante entre elles, l’influence des religions sur la politique devient donc, le plus généralement, diffuse et lointaine. La politique tend à être indépendante des pouvoirs religieux. L’Etat reste neutre par rapport aux visions du monde que peuvent partager les citoyens ; mais il doit garantir les mêmes libertés à la conscience de chacun et à toutes les communautés religieuses. Quand religion et politique sont ainsi séparées et que l’Etat de droit est respecté, on entre dans la liberté politique d’organisation de la communauté nationale ; c’est le temps de la démocratie et des droits de l’homme.
22Mais démocratie et droits de l’homme ne signifient pas ignorance entre religions et pouvoir politique dans le cadre national. La cohabitation est indispensable, car les religions sont des corps sociaux importants, remplissant des rôles qui touchent à la vie collective. Leur tâche d’enseignement, de santé publique ou d’œuvre sociale est souvent cruciale pour les populations. Chacun sait que, dans les quartiers dits sensibles, les organisations confessionnelles sont souvent très présentes auprès des citoyens le plus en difficulté ; et les Etats les plus séculiers n’hésitent pas à les utiliser abondamment.
23Au delà de ces contributions, les religions peuvent avoir des demandes particulières liées à leur propre doctrine, touchant la nourriture, les cimetières, les jours de congé, les fêtes religieuses – toutes questions qui peuvent empiéter sur les règles de la vie commune. Jusqu’où accepter les traditions de l’une ou l’autre religion dans la vie nationale ? Les Français jouissent, par exemple, de quatre jours de congé directement hérités des grandes fêtes chrétiennes. Faut-il les supprimer parce que la pratique religieuse a baissé ? Faut-il créer de nouvelles fêtes pour les nouvelles religions ? Au moment de son indépendance, en 1968, l’île Maurice a redistribué les jours chômés pour les grandes fêtes religieuses en proportion de la population.
24On voit que les raisons de négociation entre l’Etat et les religions sont multiples. Mais est-il suffisant de dire que religions et Etat doivent négocier ? Car les religions véhiculent des valeurs, des visions du monde. Elles peuvent respecter la démocratie et se vouloir pacifiques, respectueuses de la loi quand elle est votée à la majorité. Elles ont aussi des manières de voir les relations sociales, l’éducation, la vie collective, la vie de famille, la bioéthique, l’accueil des immigrés. Elles peuvent être intransigeantes sur certains points débattus dans les instances politiques et parlementaires. Elles interviendront donc inévitablement dans le débat national.
25La démocratie elle-même a ses problèmes. Travaillée par l’individualisme, elle a de plus en plus de mal à gérer le bien commun. Les corporatismes se développent, et les évolutions nécessaires deviennent difficiles à mettre en œuvre. Les identités nationales – et, pour la France, la République – deviennent des idées vides de sens, incapables de mobiliser des énergies éclatées. La question se pose donc de savoir qui va animer la vie commune et orienter les options des gouvernants.
26La séparation du religieux et du politique dans un système de laïcité ne signifie pas que le pouvoir politique ne soit pas interrogé par les religions. La démocratie n’est pas sans valeur, mais elle est agnostique, laïque ; elle ne peut se référer à une croyance particulière. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne peut pas se fonder sur des valeurs qui, par ailleurs, ont des motivations religieuses universelles.
27Une telle affirmation ouvre à quantité de nouvelles questions : quelle est l’influence de la religion ? Une société laïque développée peut-elle refuser l’influence des religions dans la mesure où les valeurs des citoyens sont inspirées par la religion ? A quelle condition accepterait-elle ces valeurs ? Et, du côté de la religion, est-on condamné à ne parler que pour la communauté à laquelle on appartient, sans référence possible à la vie publique ?
28Autrement dit, faut-il obliger les citoyens à diviser leur vie entre l’existence publique laïque et une existence privée religieuse ? Les prises de position religieuses ne peuvent-elles avoir un sens au niveau public ? Peut-être doivent-elles alors trouver le langage compréhensible par tout homme pour être recevables…
29En fait, de nombreuses personnalités politiques croyantes pratiquent déjà cette relation personnelle entre leur action publique et les motivations religieuses qui sont les leurs et qui les inspirent. Personne ne vient leur demander des comptes sur l’origine de leurs valeurs et de leurs options qui n’ont pas à se prononcer en termes religieux. Ils n’en sont pas moins inspirés par elles, sans qu’il y ait tutelle d’une quelconque autorité religieuse.
L’interrogation sur les fondements
30Les difficultés de la démocratie attaquée par l’individualisme, le rapport délicat entre religion et Etat, qui n’ont pas les mêmes logiques, le questionnement sur les finalités du vivre-ensemble, conduisent à l’interrogation sur les fondements de la démocratie elle-même.
31La difficulté du politique vient de ce que, par nature, il n’a pas de fondements. La démocratie est le résultat des opinions de chacun des citoyens présents dans le pays concerné. Si ces opinions évoluent et changent progressivement, les lois peuvent changer à leur tour. On le voit très bien par rapport aux questions morales touchant les personnes. L’exemple de l’euthanasie le montre : elle est légalisée dans certains pays, refusée dans d’autres ; de même pour les drogues, le divorce ou l’avortement. En évoluant, les lois d’un pays manifestent des changements culturels ; l’Espagne en est un bon exemple : le régime de Zapatero a fait des réformes impensables il y a vingt ans, aujourd’hui validées par l’opinion.
32Certains diront que la loi progresse vers davantage de liberté ; c’est précisément là qu’il peut y avoir des difficultés, car la liberté en soi n’est pas un programme, et les lois peuvent être en conflit avec les principes des religions pratiquées sur un territoire. On voit bien comment le politique est attaqué de tous côtés par cet idéal de liberté, par un individualisme de plus en plus fort, par des médias dont la logique reste celle de l’ouverture à la liberté la plus large. A la liberté est accolé le principe de non-discrimination, qui permet d’écarter toutes les différences au point d’effacer les particularités, y compris religieuses.
33Si la démocratie doit rester neutre, elle n’en a pas moins construit un ensemble de valeurs et de principes fondamentaux partagés, que l’on trouve dans les constitutions des divers pays démocratiques – les droits de l’homme étant un fondement répété et solide pour la vie collective. Ces droits ne sont pas seulement des droits politiques individuels, mais aussi des droits sociaux, inscrits comme des projets à réaliser. La « Charte des droits fondamentaux », qui devait faire partie de la Constitution européenne, était exemplaire de ces fondements débattus ensemble et toujours à reprendre dans leurs énoncés et leurs applications.
34Qu’en est-il alors de la recherche spirituelle inhérente à tout homme ? Les sociétés pluralistes proposent, dans ce domaine, la neutralité. Mais si le pouvoir doit rester neutre, il ne peut être spirituellement vide, parce qu’il a trait aux grandes options d’une société, notamment à son avenir à long terme. Les questions, sur ce point, sont innombrables, depuis le rapport à la vie humaine jusqu’à la conservation de la planète. Le pouvoir doit donc mobiliser toutes les énergies spirituelles nationales pour l’animation de la vie commune.
35Cela était, semble-t-il – au delà des polémiques –, le but des déclarations du président de la République, Nicolas Sarkozy, dans son fameux discours de Latran du 20 décembre 2007 [6].
Le choc des civilisations
36Les religions, de leur côté, ne remplissent pas toujours les conditions de cette contribution à la vie commune. De nouveaux mouvements – pentecôtistes du côté chrétien, islamistes du côté musulman – ont créé de multiples conflits, en raison de leur refus de partager la vie commune, et qui représentent des exacerbations de l’identité collective ou des volontés d’affirmation individualiste en dehors de l’autorité politique. C’est une nouvelle forme d’autonomie, le règne du choix personnel, celui de l’émotion – sans tenir compte de l’environnement, mais, au contraire, en s’y opposant de manière intolérante. Que reste-t-il de la politique, en tant que gestion de la cité – c’est-à-dire de la vie en commun –, si la loi commune n’est pas entendue ?
37Ces formes de religion créent des oppositions à l’autorité. S’il y a heurts entre religion et politique, c’est parce qu’il y a concurrence de pouvoir ou parce que les fondements de la religion entrent en conflit avec la pratique du politique. Comme la religion porte ici un projet global, on a parlé de civilisation, et donc d’opposition entre des civilisations – voire de chocs entre elles. Cette expression est inventée par Samuel Huntington pour les besoins d’une démonstration qu’il prolongera par la suite, en opposant hispaniques et blancs américains aux Etats-Unis. Ce n’est pas le choc des religions, mais des races et des cultures qui est monté en épingle ; or, c’est le choc des fondamentalismes, et notamment du fondamentalisme musulman avec la civilisation démocratique, qu’il ne peut accepter.
38Il importe donc de combattre les fondamentalismes – non pas simplement à partir d’une politique étatique, mais directement à partir du cœur des religions qui provoquent ce fondamentalisme. C’est pourquoi une réunion récente laisse quelques traces d’espoir : le 16 juillet dernier, une conférence a réuni à Madrid – à l’initiative du souverain saoudien, le roi Abdallah – des responsables des grandes religions : l’islam, le christianisme, le judaïsme, le bouddhisme… Ils ont conclu leurs travaux par un appel à « combattre les causes profondes du terrorisme ». La conférence de Madrid a souhaité l’organisation d’une session spéciale de l’Assemblée générale des Nations unies consacrée au dialogue interreligieux. Cette demande manifeste clairement combien, plus que jamais, les religions sont au cœur de nos sociétés et des relations internationales. Le dialogue interreligieux nourrit la paix.
Notes
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[1]
Lire son interview dans Le Monde, le mardi 22 juillet 2008, p. 16.
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[2]
Même interview de Tony Blair.
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[3]
Bharatiya Janata Party, Parti du Peuple indien.
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[4]
Etvdes publiera en novembre prochain un article sur les relations entre religion et politique en Allemagne.
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[5]
Il fera l’objet d’un article de Denis Lacorne dans Etvdes, octobre 2008.
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[6]
Voir notre éditorial, « Laïcité, ignorance et reconnaissance », Etvdes, mars 2008.