Études 2008/7 Tome 409

Couverture de ETU_091

Article de revue

Cinéma

Pages 96 à 104

Bienvenue chez les Ch’tis : une géographie du mépris et de l’accueil

1L’immense succès de ce film est un symptôme. Le terme de « symptôme » renvoie, pour le psychanalyste, à un conflit propre à un individu ou à une culture. Ce qui a été dénié fait alors retour, d’une autre manière. Et, en l’occurrence, c’est une certaine représentation du monde et de la culture populaire qui fut refusée. Pourquoi un tel déni ? Et pourquoi, surtout, cette difficulté, depuis bien des années, à rendre compte et à cerner ce monde des « gens d’ici » ? Ceux-ci sont présentés, depuis ce film, en un lieu loin du centre, à la périphérie déchirée d’un territoire dont l’imaginaire contemporain pense qu’il est le contraire d’un terroir : non-lieu abîmé par la déshérence industrielle et par les affres de l’anomie, sans racine et sans perspective. On a comparé Les Ch’tis, par l’ampleur du succès, à La Grande Vadrouille. La comparaison tient aussi aux personnages. Le couple Bourvil/Funès condensait, dans plusieurs films, les rapports ambivalents d’un homme du peuple (simple, le cœur sur la main, mais fin et intuitif) avec un chefaillon sûr de son intelligence, mesquin et méprisant.

2On retrouve dans Les Ch’tis ce type d’ingrédient : le « petit chef », joué par Kad Merad, débarque dans le Nord sûr de certains poncifs sur les habitants du cru. Il est rapidement convaincu du contraire, et bouleversé par la gentillesse de ses subordonnés, qui le renvoient à l’aspect artificiel de sa propre vie. A la différence de Funès, Kad n’est pas mesquin, il est même plutôt mou, et son personnage évolue dans une vie sans consistance réelle. Le Sud d’opérette qu’il quitte, ensoleillé avec de belles maisons, et auquel il « croit », entre en correspondance avec son opposé fantasmé, le Nord polaire en déconfiture économique. Le directeur d’un bureau de poste feint, en effet, la pire des épreuves, en raison de sa mutation dans le lointain Nord, et se drape dans un faux « self » tragique, afin d’apparaître en héros aux yeux de son épouse dépressive. Incapable de la simplicité d’une fragilité assumée – fragilité d’un couple qui s’ennuie et recherche une solution dans une mobilité géographique vers la mer ensoleillée –, le fonctionnaire anxieux tente de faire jouer à la géographie humaine le rôle de scène projective de son mal de vivre.

3Un attrait essentiel du film est la variation autour du thème du mépris : mépris subtil et tenace dont nous sommes atteints quand il s’agit du monde populaire, de ces « petits blancs », nécessairement franchouillards, alcooliques, voire lepénistes, comme il ont été décrits par Cabu à travers la figure du « beauf ». Une scène remarquable – breughélienne – du film se déploie quand les Ch’tis jouent à destination de l’épouse du chef, afin qu’elle continue de croire à la souffrance de son conjoint, la parodie du misérabilisme censé les décrire : ils affectent de s’alcooliser dans un décor de village minier sinistré, tirent à la carabine sur les chats pour les consommer en barbecue, tout en laissant entendre, le soir venu, les cris des violences conjugales.

4Une grande partie de notre culture conçoit, dans un registre pessimiste, le monde populaire sur le mode quartmondiste. Il n’existe plus de place, dans notre imaginaire collectif, pour l’entre-deux. L’univers social exposé par la production cinématographique est, le plus souvent, séparé : d’un côté, le sous-prolétariat décrit par les frères Dardenne ; de l’autre, les habituelles trajectoires de la bourgeoisie cossue. Pourquoi donc le monde des « petits » employés, des artisans, des ouvriers n’intéresse-t-il plus les cinéastes ? Sans doute s’est-il démographiquement rétréci. Sans doute, aussi, les mêmes créatifs s’attachent-ils peu à la créativité populaire, avec le sentiment que le « peuple » n’existe plus aujourd’hui, et ne peut qu’habiter un « non-lieu » comme celui de l’imaginaire nordique.

5Nous sommes donc « atteints » de subtilité dans le mépris. J’emploie à dessein l’image d’une atteinte, car le mépris est une figure du narcissisme négatif : il nous concerne aussi nous-mêmes en profondeur. Le mépris de l’autre se nourrit du mépris dénié de soi-même et de l’angoisse vis-à-vis de sa propre destination. Nous ne connaissons pas l’histoire du chef de bureau, mais nous pouvons imaginer qu’il est issu, comme beaucoup d’entre nous depuis une ou deux générations, de ce « peuple » des terroirs, figure noble des films d’avant-guerre dont nous savons bien qu’il n’existe plus. Ce retour « vers soi », figuré par la mutation du fonctionnaire en un opposé géographique, est hanté par l’idée de retrouvailles impossibles. Nous savons, plus ou moins, le lieu d’où nous venons, mais nous n’osons penser ce qui nous guette. La France des classes moyennes, qui peine à se percevoir dans une dynamique sociale, s’angoisse de ce qu’elle deviendrait si l’exclusion sociale ou, pire, l’ostracisme culturel lui tombait dessus. Le monde d’avant n’est plus, et réinvestir de nouveau les territoires provinciaux – ce qui est le désir de beaucoup – ne garantit pas la tranquillité pérenne que nous imaginons dans les terroirs d’antan. Les Ch’tis résident ainsi dans un territoire étrange, où les racines ne tiennent plus qu’à la langue (maternelle évidemment), le personnage de la mère de Dany Boon, possessive et infantilisante, étant, à ce titre, symptomatique. Ce lieu précaire, méprisable puisqu’il ne correspond à aucun des canons d’une vie « solaire » réussie, et puisqu’il n’est promis, semble-t-il, à aucun avenir, ne peut être habité que d’une seule manière : celle de l’accueil. C’est ici que le mépris se retourne. Celui qui méprisait, assis inconfortablement dans le vide de sa vie, se découvre attendu en un lieu qu’il n’attendait pas.

6Jacques Arènes

Un conte de Noël, de Arnaud Desplechin, film français (2 h 23), avec Catherine Deneuve, Mathieu Amalric et Emanuelle Devos, sortie le 21 mai 2008

7L’argument de Un conte de Noël repose sur des inversions de situations, soit très classiques (la famille comme lieu de désunion), soit plus recherchées (un fils se trouve en situation de donner la vie à sa mère). Mais quels peuvent bien être les enjeux réels d’une fiction qui ne cherche qu’à se dissoudre dans une fragmentation radicale ? La mélodie du récit a tôt fait de se perdre dans une atonalité stylistique, une perte de sens revendiquée comme effet de style. Si le genre par excellence du cinéma français est devenu, depuis la Nouvelle Vague, ce qu’il est convenu d’appeler le « film d’auteur », alors oui, le nouveau film d’Arnaud Desplechin est bien un film français. L’auteurisme a ceci de paradoxal qu’il prend pour modèle la littérature pour mieux s’affirmer cinéma. Intelligent, Desplechin a conscience du paradoxe, qu’il exacerbe à défaut de le dépasser. Nourris à haute dose de philosophie, ses dialogues s’affichent littéraires ; pour les faire entendre, il recourt à une théâtralité oscillant, selon ses comédiens, entre le surjeu et l’implicite. Mais, comme un film n’est ni un roman ni une pièce, il lui faut bien inventer une forme qui relève du cinéma ; pour ce Conte de Noël, ce sera la fragmentation du point de vue : Desplechin compose son film en le décomposant. Il multiplie les angles et divise les durées.

8Dès lors, comment s’attacher à des personnages qui nous échappent en permanence ? D’autant que le degré d’implication des comédiens semble lui-même variable : si Jean-Paul Roussillon, minéral, habite son rôle, Catherine Deneuve se contente du minimum d’interprétation – pour autant, d’ailleurs, qu’on puisse en juger, le ballet permanent du montage empêchant toute saisie du temps. Or le temps est la matière du cinéma, sa réalité. En optant pour un émiettement spatio-temporel à la limite du maniéré, Desplechin ôte le peu de chair d’un ensemble déjà trop porté à l’abstraction. Conscient du risque de cérébralité, il tente certes d’injecter de l’organique, mais ce qui jouait à plein dans La Sentinelle n’est plus ici qu’un pâle simulacre de La Vie des morts. Le rappel de ses premiers – et meilleurs – films n’est pas fortuit : tout se passe comme si le cinéaste se retrouvait désormais piégé par son propre univers. Sa fascination d’une altérité hors d’atteinte, aérienne, confirme ce poids du même, ce narcissisme inconscient traîné comme un boulet. Le seul personnage qui échappe à la grisaille du film est l’éclatante Emmanuelle Devos, toute de grâce dans son rôle de juive doublement étrangère – aux névroses de la famille de Roubaix et au rituel de Noël. Les scènes où elle apparaît frôlent un sentiment vrai. En posant ainsi la grâce comme hors de sa portée, Desplechin se doute-t-il qu’il rejoint le pessimisme d’un cinéaste qui lui ressemble fort, le Lillois Julien Duvivier ? Gageons que Desplechin pense plus à Bergman (qui aurait réussi ce Conte en le prenant à bras-le-corps) qu’à l’auteur des deux admirables Poil de carotte (le muet de 1926 et le parlant de 1932).

9On l’aura compris, la vision de Un conte de Noël s’avère éminemment décevante. Pourtant, le film est loin de se réduire à sa perception immédiate – à croire que Desplechin, cinéaste attentif aux signes contemporains, croit aujourd’hui plus au différé qu’au direct, au figuré qu’au littéral. Tournant le dos au miracle esthétique de l’incarnation du monde telle qu’un Bazin a pu la défendre et un Rossellini l’illustrer, il paraît élaborer des processus à double ou triple détente, comme autant de reflets d’un présent sans présence, qui se voudrait déconnecté du réel et s’étourdit de tout au risque du kitsch, ce relativisme généralisé. Les segments brisés que le cinéaste dispose en séries de coups de billard seraient sa réponse à la disparition de la grande ligne, celle du sens, qui ordonnait l’art et la vie ; les grandes arches s’étant effondrées, on bricole dans les décombres.

10Si l’on reprend le film avec un peu de distance, on peut d’abord y distinguer une métaphore de son sujet. La maladie que Deneuve manifeste si peu, on la diagnostique plus sûrement à l’échelle du film. La prolifération anormale des plans est très précisément à l’image d’un cancer qui le rongerait, l’apparentant à la catégorie des « films malades ». La lumière blafarde, froide, anémie les plans à la façon d’un vampire. Et le sang qui manque au film lui est fourni par une constante perfusion de musiques : si les scènes les plus anodines se trouvent agrémentées de linéaments musicaux où se côtoient les genres les plus divers – du classique (plutôt virtuose, de Scarlatti à Mendelssohn) au jazz (plutôt expérimental), en passant par la musique du monde et les musiques dites actuelles –, c’est qu’il s’agit encore de les farder, de les maquiller avec insistance, dénonçant ainsi leur fausse bonne santé.

11Enfin, puisqu’il est censé s’agir d’un conte, on peut aussi comprendre le film comme un miroir fissuré tendu à un pays qui le serait aussi : la France. Deneuve serait évidemment la Nation, bien malade en vérité mais bien portante en apparence ; et son mari, Roussillon, l’Etat qui gère les affaires courantes quoi qu’il arrive, son entreprise de teinturerie pouvant même figurer le mythe usé d’une identité à base de diversité ; quant aux enfants et à leurs conjoints, ils joueraient le rôle de citoyens perdus se déchirant à belles dents – autant de symptômes d’un malaise profond. Que le film de Desplechin ait représenté la France au dernier festival de Cannes ne manque pas de sel et, somme toute, de logique ; le petit prix fort diplomatique attribué à Deneuve pour la circonstance est venu confirmer la nature symbolique de sa prestation.

12Philippe Roger

Langue sacrée, langue parlée, de Nurith Aviv, France/Israël, 2008, documentaire (1 h 13), sortie le 4 juin

13Après D’une langue à l’autre (2003), la documentariste Nurith Aviv poursuit son œuvre aux allures d’enquête linguistique et philosophique sur la judéité et son rapport à la langue. Jamais choisis au hasard, les artistes et écrivains israéliens qu’elle a filmés dans leur bureau expliquent que la particularité de l’hébreu, langue reconstituée ou, si l’on veut, ressuscitée depuis la création d’Israël, s’avère une langue maternelle paradoxale – ou une langue paradoxalement maternelle. N. Aviv ouvre son film sur un voyage dans le temps et l’espace : le trajet en train de Jérusalem à Jaffa, que filma le tout premier opérateur de la société des frères Lumière, en 1897, l’année même du premier congrès sioniste. Les plans ferroviaires, actuels ceux-là, servent ensuite de respiration à cette série d’entretiens brefs, dénués de tout bavardage et montés au cordeau.

14Les locuteurs d’hébreu de Langue sacrée, langue parlée signalent tous, à leur manière, une fêlure secrète dans l’hébreu entre sa force religieuse, voire performative (la langue du texte, différente de celle réactivée au xxe siècle) et son usage quotidien, plus souple. Un poète comme Shimon Adaf interprète, par exemple, une prière sur un rythme contemporain quasiment « pop », tandis qu’un poète come Roy Greenwald relate son passage par l’apprentissage du yiddish à un moment de sa vie, pour prendre de la distance avec l’hébreu qu’il percevait comme monolithique. Tous les interlocuteurs de Nurith Aviv ont ceci de précieux : de cette fracture interne à l’hébreu, langue à deux facettes, ils ont fait acte de création ; leur capacité à l’exprimer, en peu de mots, à analyser ce qui reste le plus souvent une pratique linguistique méconnue, n’est pas le moindre mérite de ce documentaire.

15Charlotte Garson

Valse avec Bashir, de Ari Folman, film israélien d’animation (1 h 27), sortie le 25 juin

16Grand absent du palmarès du dernier festival de Cannes, le film d’animation Valse avec Bashir était donné par certains pronostiqueurs comme le vainqueur possible de la Palme d’or. L’originalité de sa proposition formelle y était pour beaucoup : à partir d’entretiens réels avec d’anciennes connaissances et même avec un haut responsable israélien, Ari Folman a conçu le premier « documentaire d’animation » – autobiographique qui plus est. Une sorte de cousin de Persépolis ? Pas vraiment : le Bashir du titre est en effet Bashir Gemayel, le président libanais assassiné en 1982 ; si Marjane Satrapi, dans l’adaptation de sa propre bande-dessinée, relatait avec espièglerie son exil politique plus ou moins choisi, ainsi que son quotidien d’adolescente iranienne en Autriche, le narrateur de Valse avec Bashir tourne autour d’un seul fait, certes de taille : le massacre des camps palestiniens de Sabra et Chatila, du 16 au 18 septembre 1982, par les troupes de Chrétiens phalangistes, suite à l’assassinat de Gemayel. Il pose la question-tabou du degré de participation de l’armée israélienne à ce massacre. Un documentaire récent, Massaker, de Monika Borgmann et Lokman Slim, se risquait à interviewer des bourreaux, qui étaient formels : Tsahal leur avait « payé » un séjour d’entraînement sur les plages israéliennes et aurait fait davantage que détourner le regard pendant le massacre. L’Israélien Ari Folman ne peut en affirmer autant ; il livre son expérience de tout jeune soldat – et encore : tout le film est fondé sur son amnésie, sa difficulté à « faire image ». A-t-il participé ou non à ces crimes ? Au delà de l’autobiographie, il est permis d’entendre une question à l’échelle nationale. Mais il explore aussi, en s’entretenant avec son psychothérapeute, le fonctionnement du refoulement individuel, principe de la survie psychique.

17Cet angle psychanalytique autorise le cinéaste à une liberté que, a priori, son sujet pouvait entraver. Les résistances psychiques sont ainsi prétexte à détours par des souvenirs de la Seconde Guerre mondiale transmis par son père et déroulés sur Bach ou Chopin comme autant de « flash-back-écran » comme la psychanalyse a pu parler de souvenirs-écran. Valse avec Bashir, comme l’indique son titre, joue également de l’amalgame à l’œuvre dans le cerveau et les affects d’un tout jeune Israélien qui doit brutalement troquer son baladeur pour un lance-roquette. Comme Fabrice sur le champ de bataille dans La Chartreuse de Parme, il se repère comme il peut parmi les signes inconnus, la mort proche mais invisible, les tirs d’origine indiscernable. Un journaliste de renom avance sous les balles comme s’il en était magiquement protégé ; un soldat nage pour rejoindre sa compagnie dont une partie vient d’être décimée derrière lui… Le narrateur comprend que le culte voué à « Bashir » équivaut plus ou moins à l’adoration qu’il voue lui-même à… David Bowie. La plasticité du dessin animé et les choix musicaux bigarrés mettent en scène avec brio un véritable choc mental et culturel, l’absurde immaturité de ceux qui appuyaient sur la gachette. Film impur, qui se perd parfois dans les méandres d’un esprit et s’éloigne de l’Histoire, film tout entier tendu vers un finale puissant et que l’on aurait tort de dévoiler ici, Valse avec Bashir ressemble à un autre « ovni » cinématographique récent, qui a dérouté par sa forme autant que par son propos : Redacted de Brian De Palma.

18Charlotte Garson

Chronique des morts vivants, de George A. Romero, film américain (1 h 35), avec Michelle Morgan, Shawn Roberts, Nick Alachiotis, sortie le 25 juin

19Chronique des morts vivants débute par un double homicide. Alors qu’une journaliste et un cameraman couvrent une scène de crime dans l’espoir d’information croustillante, les victimes décédées se lèvent devant leurs caméras et attaquent violemment les personnes alentour. Les médias, impuissants, enregistrent ainsi les premières heures d’une contagion qui se répand comme une traînée de poudre sur tout le globe : les morts ne dormiront plus du sommeil du juste, les voici maintenant condamnés à ressusciter sous la forme de zombies avides de chair humaine. En une scène, George A. Romero, grand « spécialiste » du film d’horreur et de la série B, brosse un catastrophisme où la médiasphère le dispute à la monstruosité. La maladie étrange dont souffre notre société serait donc l’emphase médiatique où la télévision, les podcasts et autres « buzz » (des bruits de couloir) sur Internet démultiplient l’information jusqu’à sa plus complète déformation.

20Ce propos, parfois trop didactique, se nuance grâce aux protagonistes de Chronique des morts vivants : un petit groupe d’étudiants en cinéma cueillis par ces événements tragiques, alors qu’ils tournent leur projet de fin d’études… un film d’horreur ! L’exercice de style – la forêt en pleine nuit rappelle Le Projet Blair Witch – fait donc place à un documentaire. Soucieux de témoigner en faveur de ceux qui réchapperont de ce mal, Jason Creed, le réalisateur en herbe, décide de tenir un journal de bord cinématographique où la mémoire de ses amis, les minutes de leur périple pour survivre, alimente sa soif de 7e Art. L’occasion est trop belle : le jeune Creed n’a plus qu’à enregistrer ce qu’il s’escrime à créer avec ses amis.

21Son voyeurisme n’est pourtant pas du goût de tout le monde. A commencer par Debra, sa petite-amie, exaspérée du fait que l’urgence et la peur ne prennent pas le pas sur ce tournage « non stop ». Pour qui filme-t-il ? Lui ? Des survivants potentiels ? Finalement personne ? Quand la confection passive du témoignage doit-elle cesser ? Quelle attitude adopter lorsque l’on est devant le spectacle de la douleur humaine ? Il n’est pas besoin de convoquer la fiction pour trouver une réponse. Rappelons-nous les attentats de Madrid, le 11 mars 2004 : dans les décombres fumants, des quidams invectivaient les reporters qui se « contentaient » de filmer au lieu de prêter main forte aux secours. Le journalisme semble exclure ses serviteurs, les déposer à la lisière des événements comme les spectateurs d’un film dans une salle de cinéma.

22On comprend donc mieux pourquoi Jason et ses amis se baladent avec une caméra en main dans une Amérique sans- dessus-dessous. Ce principe d’un tournage permanent les protège, les extirpe, en quelque sorte, du carnage alentour. Il en fait aussi des êtres veules, ferraillant sans cesse avec le sens moral : en effet, ne sont-ils pas les spectateurs carnassiers du genre humain qui se décompose sous leurs yeux ? Cette cruauté fait tout le prix de Chronique des morts vivants : jamais gratuite, elle intègre le film d’épouvante dans une problématique morale plus large, où Romero ausculte les dérives de la société américaine. Comme souvent, les films pop corn (pour grand-public américain) font écho aux angoisses des Etats-Unis. Le hasard veut que l’été soit particulièrement sanglant outre-Atlantique. On dénombre pas moins de quatre films d’horreur qui sortiront en juillet et en août (notamment, Le Bal de l’horreur, Tous les garçons aiment Mandy). L’angoisse sera donc à son comble avant les élections présidentielles.

23Aurélien Lester


Date de mise en ligne : 01/07/2008

https://doi.org/10.3917/etu.091.0096

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