Notes
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[*]
Cet article s’est largement nourri d’une étude du Conseil Economique et Social présentée par E. Molinié en juin 2005, intitulée « L’hôpital public en France. Bilan et perspectives ».
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[1]
Ces valeurs sont inscrites dans le préambule, toujours en vigueur, de la Constitution de 1946, auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958, qui proclame que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé… ».
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[2]
Récemment, la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance-maladie a réaffirmé ces principes en posant, notamment, que « la Nation affirme son attachement au caractère universel, obligatoire et solidaire de l’assurance-maladie. Indépendam-ment de son âge et de son état de santé, chaque assuré social bénéficie, contre le risque et les conséquences de la maladie, d’une protection qu’il finance selon ses ressources ».
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[3]
Université Populaire du 18 janvier 2005, Mouve-ment ATD/Quart-Monde, Paris.
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[4]
Dominique Coudreau, Rapport pour l’Institut Montaigne, L’Hôpital réinventé, janvier 2004, p. 10.
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[5]
Le rapport introductif au IXe Plan (1984-1988) en annonçait les prémices : « De 1950 à 1982, la part du Produit intérieur brut consacrée à la santé est passée de 2 à 8 %. Il sera difficile de dégager, sans conséquence économique ou sociale grave, de nouvelles ressources à la mesure des masses financières nécessaires pour alimenter la poursuite d’une progression à un rythme aussi élevé. » Or, nous en sommes aujourd’hui à près de 10 %. Du fait de la réforme Debré de 1958, l’hôpital public est rapidement devenu le pivot de notre système de santé, en même temps qu’un agent économique de première importance : le poids des dépenses d’hospitalisation dans les dépenses de l’assurance-maladie est proche de 50 %. Ce poids relatif est également très important au regard de l’économie française en général. A titre d’illustration, avec plus de 80 000 salariés, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris est le premier employeur de l’Ile-de-France ; de même, 50 % de la blanchisserie industrielle en France est hospitalière…
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[6]
Elle atteint 76,7 ans pour les hommes et 83,8 ans pour les femmes en 2004 ; contre, respectivement, 75,9 et 82,9 en 2003.
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[7]
Selon le Haut Comité de la santé publique, « les effets du vieillissement sur le système de santé deviennent aussi importants que la prise en charge thérapeutique des malades. Cela implique des approches nouvelles, s’inscrivant dans un continuum et une globalité que ne permettent pas les modalités d’organisation actuelles du système de santé. L’importance des interventions à réaliser se traduit en termes d’assistance, d’accompagnement, de soutien » (Contribution du HCSP à l’élaboration de la loi de programmation en santé publique, décembre 2002).
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[8]
Il s’agit de la circulaire relative à la laïcité dans les établissements de santé, dite « circulaire CASTEX ».
-
[9]
Ainsi les missions de prévention, essentielles à l’amélioration de la santé de nos concitoyens et élément-clef du contrôle des dépenses, sont-elles souvent reléguées au second plan, peu valorisées, peu financées.
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[10]
En réaction, quelques-uns ont créé des unités de soins palliatifs, très rapidement submergées de demandes, à la fois parce qu’absolument nécessaires et parce que permettant un peu plus aux soignants d’éviter de se confronter à la mort. Cependant, progressivement, le travail, le témoignage et la diffusion de cette pratique par les premières équipes « pionnières » ont permis à la fois au public et aux soignants de prendre conscience de la nécessité de cette approche et de cette réflexion.
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[11]
Dans ce domaine, il faut saluer le travail du laboratoire Aventis qui, depuis plusieurs années, est engagé dans un programme de sensibilisation et de formation des professionnels et d’accompagnement des patients (EPAC – Ensemble, parler autrement des cancers) qui, à côté de la mise à disposition de documents divers, offre des formations de psycho-oncologie aux médecins et aide à la mise en place et à l’animation de groupes de parole sur différents thèmes autour du cancer, ouverts à tous les soignants d’un service.
1L’hôpital public est souvent présenté comme le miroir de notre société, de ses détresses comme de ses joies, de ses limites comme de ses progrès. Plus encore, les valeurs qui sous-tendent l’hôpital public sont le reflet des valeurs qui fondent notre société : des valeurs humanistes traduisant en termes de santé physique et morale le respect de la dignité de chacun, la non-discrimination et l’égalité de traitement due à chaque citoyen [1].
2Le premier droit de la personne malade est de pouvoir accéder aux soins que son état nécessite, quels que soient ses revenus. Dès 1945, le système de protection sociale garantit aux usagers un égal et libre accès aux soins. Tous les acteurs de santé – les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes de prévention ou de soins, les autorités sanitaires – doivent le mettre en œuvre au bénéfice de toute personne. Depuis, à plusieurs reprises, la loi a confirmé et précisé ce principe [2].
3Dans ce contexte, l’hôpital public occupe une place centrale, car, tant en matière sanitaire que sociale, il est pour toute personne malade le recours ultime, lorsque toutes les autres possibilités de prise en charge se sont révélées inefficaces – et parfois le premier, voire le seul. De plus, pour les personnes en situation de précarité, le service d’urgences de l’hôpital est souvent la « seule porte d’entrée dans le système de soins [3] ».
4Lieu de soins, l’hôpital public joue donc aussi un rôle de lien social, fondé sur une valeur très ancienne qui a pour nom aujourd’hui « solidarité ». L’exercice de cette valeur demande de façon implicite de faire appel, chez les professionnels hospitaliers tant administratifs que soignants, à des qualités humaines telles que l’accueil de la personne dans sa globalité, la courtoisie, l’écoute, le dialogue, la confidentialité et, de façon plus générale, l’estime de l’autre et le respect de sa dignité.
5Mais cette belle harmonie apparente ne saurait masquer les importantes difficultés tant externes qu’internes de cette institution. La première difficulté est un constat : les dépenses de santé augmentent plus vite que l’accroissement de la richesse nationale et, dans ce contexte, le vieillissement de la population est problématique à double titre.
Le progrès médical et son coût
6Le progrès technique dans le secteur de la santé est porteur de fortes ambitions, mais aussi d’attentes contradictoires. Il offre l’espoir de réaliser dans le système de santé des gains de productivité, mais il est en même temps accusé de faire indûment croître les dépenses de santé.
7Le progrès médical peut permettre de limiter certaines dépenses. Ainsi, un diagnostic plus précoce ou un traitement plus actif peut réduire les besoins et raccourcir les durées de séjour à l’hôpital. Mais le redéploiement des ressources ainsi rendu possible restera limité et ne pourra compenser l’augmentation des dépenses liées aux progrès de la médecine. Tous les spécialistes s’accordent à considérer que les besoins médicaux augmenteront et que le progrès médical restera une cause structurelle d’augmentation des dépenses de santé. Il est donc impératif que le coût du progrès soit mieux pris en compte dans le financement des établissements de santé. Au niveau collectif, cela impliquera, dans une situation de contrainte budgétaire, des arbitrages et la définition de priorités de santé publique claires.
8Comme le souligne un rapport récent [4], le progrès médical exige une grande réactivité et une adaptation continuelle des services de soins.
Ces progrès modifient en permanence les relations au travail entre disciplines et demandent des changements d’organisation importants. Comment comparer la chirurgie digestive d’il y a trente ans avec celle d’aujourd’hui en plein bouleversement, compte tenu du développement de l’endoscopie ? Quel point commun y a-t-il entre une opération de la cataracte il y a encore dix ans et l’intervention en hôpital de jour aujourd’hui ? De même, les innovations thérapeutiques de médicaments bouleversent considérablement la prise en charge. Ce fut le cas avec la trithérapie [pour les malades du sida] et la chimiothérapie anticancéreuse, et bientôt peut-être pour le traitement de la maladie d’Alzheimer. Les services se spécialisent de plus en plus, avec des professionnels de plus en plus « pointus », et de moins en moins généralistes.
10Autre conséquence du progrès médical et des mutations de notre société, les malades expriment de nouvelles demandes et sont de plus en plus exigeants à l’égard de la médecine. L’attitude consumériste du patient n’a cessé de se développer, et le contentieux de la responsabilité juridique de l’hôpital a explosé, ces dernières années, majorant ainsi le coût des polices d’assurance. Cela modifie les rapports soignants/soignés et exerce une forte pression sur le praticien, qui peut être tenté, dans ces conditions, de pratiquer une médecine « défensive » consistant, par exemple, à multiplier les examens rendus possibles grâce aux progrès des techniques médicales ou à refuser de pratiquer des interventions sophistiquées à risque.
11La question financière a toujours été présente à l’hôpital, bien avant la Révolution française. Cependant, la conjonction de la prise en charge financière pour tous de la demande de soins, grâce à l’assurance-maladie, et de la technicisation croissante des soins médicaux, a entraîné une augmentation exponentielle des coûts hospitaliers, rendant nécessaire une gestion financière plus rigoureuse, qui lui était peu familière [5].
12La confrontation brutale, imposée par les faits, entre le monde de la médecine et celui de la gestion, est de plus en plus ressentie par les professionnels comme un grave conflit de valeurs, source de désarroi, de désenchantement, voire de mécontentement. Surtout, nombre d’entre nous refusent d’avoir à faire des choix sur ce qui va être mis en œuvre, ou non, sur le plan médical pour tel ou tel patient : sur quels critères peut-on et doit-on se déterminer pour définir si tel ou tel peut bénéficier des dernières thérapeutiques particulièrement onéreuses, qui vont encore creuser un peu plus le déficit ?
13Si la demande (les besoins) de soins et les possibilités techniques (les progrès) augmentent plus vite que la richesse du pays, les décisions à prendre appartiennent non pas au médecin, mais à la nation tout entière, à chaque citoyen qui, à travers ses députés, vote le budget de l’Etat et les réformes de la Sécurité sociale, mais, curieusement, pas son budget. C’est à nos responsables politiques de faire preuve de pédagogie et de responsabilité, et de présenter la nécessité de ces choix à ses électeurs.
L’allongement de la durée de la vie
14En 2004, l’espérance de vie à la naissance dépasse pour la première fois 80 ans, hommes et femmes réunis [6]. Chaque année, l’espérance de vie des Français augmente et, en même temps, l’âge d’entrée dans la dépendance s’élève. Pour autant, les progrès de la médecine amènent de plus en plus de personnes à vivre plus vieilles avec des pathologies chroniques ou invalidantes, entraînant, à terme, une perte d’autonomie. Conserver son indépendance et une vie sociale devient donc un objectif primordial [7].
15Sauf rupture imprévisible, la part dans la population des personnes les plus âgées continuera à augmenter dans les vingt ans à venir. A partir de 2020, les effets du baby-boom se produiront sur la classe d’âge des plus de 75 ans : celle-ci devrait représenter alors près de 10 % de la population, et les personnes de 85 ans, un peu plus de 3 %.
16Cet effet d’âge se combine avec un effet de génération. Car les comportements de consommation médicale évoluent en fait d’une génération à l’autre, ce qui a un impact important sur les dépenses de santé. En outre, le corollaire du vieillissement de la population est évidemment une diminution de la proportion de la population active, dont le travail est la principale ressource financière de la Sécurité sociale.
Des contraintes croissantes
17La deuxième grande difficulté à laquelle est affronté l’hôpital réside dans une somme croissante de contraintes internes et externes.
18La multiplicité des missions confiées au service public hospitalier est impressionnante, et la liste ne cesse de s’allonger. Il est, certes, tenu à assurer, jour et nuit, les examens de diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes, en tenant compte des aspects psychologiques du patient. Mais il doit aussi participer à des actions médico-sociales et à la lutte contre l’exclusion sociale, veiller à la sécurité sanitaire des soins et collaborer au dispositif de vigilance sanitaire du pays, concourir à la recherche médicale, à la formation des médecins, des sages-femmes et du personnel paramédical, ainsi qu’à des actions de médecine préventive et d’éducation à la santé. Et cette liste est loin d’être exhaustive.
19Tenu à favoriser l’accès à des soins de qualité, le service public hospitalier doit s’adapter en permanence aux mutations technologiques, de plus en plus rapides, et aux besoins nouveaux des malades. Ces derniers exigent de plus en plus une « médecine organisée », qui informe, prend en compte tous les aspects de l’hospitalisation (accueil, hôtellerie, respect de la vie privée, soins…), en les coordonnant afin d’optimiser les conditions de leur prise en charge.
20Malgré cette multiplicité de tâches et la difficulté de les coordonner, la répartition des pouvoirs n’est pas claire. Il est difficile de savoir qui est responsable du bon (ou du mauvais) fonctionnement d’un établissement public de santé. Ainsi, le directeur de l’hôpital n’est parfois qu’une simple courroie de transmission de décisions ministérielles, tandis que le maire préside le conseil d’administration de l’établissement sans en être le financeur ni même le véritable décideur. L’agence régionale d’hospitalisation (ARH), dont les pouvoirs vont sans cesse croissant, est cependant bien souvent court-circuitée par des décisions politiques, comme le montre le maintien de maternités ou le refus de fusion d’établissements proches, en contradiction avec les principes d’amélioration de la qualité du service rendu et d’efficience.
21Le fonctionnement administratif centralisé de l’hôpital public se traduit par une inflation de textes divers et parfois contradictoires, qui rigidifient l’organisation, multiplient les hiérarchies parallèles et découragent l’approche managériale.
Une insuffisance de personnel préoccupante
22Comme dans bien d’autres secteurs, la mise en œuvre brutale de la réduction du temps de travail s’est traduite par très peu de créations de postes, et donc par une augmentation de la charge de travail, là encore au détriment de la qualité d’écoute et d’accompagnement du malade.
23La situation des personnels infirmiers est actuellement préoccupante. Les CHU soulignent les difficultés de recrutement sur l’ensemble du territoire national, même si des disparités existent d’une région à l’autre. A l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), 1 200 postes d’infirmières étaient à pourvoir au dernier trimestre 2004, sur un effectif global de près de 20 000. Ainsi, de nombreux hôpitaux ont lancé des campagnes de recrutement à l’étranger.
24Pour les médecins, la situation n’est guère meilleure. La réduction du temps de travail a provoqué une forte baisse (souvent jusqu’à 20 %) de leur temps d’activité, qui n’a pas pu être compensée. Dans les CHU, le recrutement de médecins étrangers (7,5 % du personnel médical en 2002) permet de pallier en partie le manque de praticiens hospitaliers français, mais certains chefs de service sont parfois obligés d’effectuer eux-mêmes des remplacements, au détriment de leur mission d’enseignement ou de recherche, d’organisation et de gestion, de mise en place de projets et de réseaux. Dans les établissements faiblement attractifs (hôpitaux locaux, hôpitaux géographiquement désavantagés), la situation est plus difficile encore, entraînant parfois la fermeture de certains services.
Des résistances et des conflits
25Les difficultés analysées jusqu’à présent sont, pour la plupart d’entre elles, d’origine externe ; mais certaines proviennent de l’intérieur même de l’hôpital.
26Ainsi, les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la politique hospitalière tiennent, pour une bonne part, aux résistances multiples rencontrées à tous les niveaux. Au niveau politique, d’abord : faut-il rappeler que le conseil d’administration de chaque hôpital public est présidé par le maire de la commune ? Mais, de leur côté, les directions hospitalières, de plus en plus pléthoriques, engagent une réglementation interne renforçant ipso facto leur légitimité et le nombre d’emplois administratifs, et résistent aux réformes qui pourraient diminuer leurs prérogatives ou remettre en cause leur légitimité. Bien des médecins refusent toute idée de contrôle, de limitation de moyens, d’évaluation. Les syndicats, dans certains hôpitaux, empêchent tout changement par la simple crainte qu’ils suscitent auprès des politiques et de la direction.
27Le changement, souvent réclamé, est aussi redouté dans la mesure où il contribue moins à améliorer les conditions de travail qu’à mettre en œuvre de nouvelles dispositions réglementaires dont le but est l’amélioration de la qualité des soins. Mais cet objectif n’est pas toujours perceptible, et il est souvent vécu comme une contrainte supplémentaire ou comme un éloignement du lit du malade, ces nouvelles dispositions exigeant toujours de nouvelles saisies-papier ou informatiques et étant rarement accompagnées de créations de postes.
28Le climat de l’hôpital peut aussi être alourdi par les débats éthiques qui agitent le monde environnant. Ils prennent souvent une acuité particulière dans le monde hospitalier, confronté en son sein, tant du côté des soignés que des soignants, aux questionnements de la société sur le don de la vie, l’interruption de grossesse et le dépistage prénatal des anomalies fœtales, le soin des malades en fin de vie et l’euthanasie, la violence, le harcèlement – pour ne prendre que quelques exemples.
29En troisième lieu, les questions politiques ne s’arrêtent pas non plus aux portes de l’hôpital. Le problème de l’immigration et de l’accès gratuit aux soins des personnes en situation irrégulière est encore un exemple d’une source de clivage interne ; comment concilier l’obligation de soins qui nous est faite avec les contraintes économiques que nous subissons ? Comment ne pas comprendre les réactions de certains soignants qui s’insurgent contre des soins dentaires réalisés gratuitement, alors que ces même soins ne leur sont pas remboursés ?
30Si la question de la laïcité à l’école est très débattue, elle revêt un aspect particulier à l’hôpital. La circulaire du 2 février 2005 [8] a rappelé le principe de neutralité du personnel soignant : « Tous les patients sont traités de la même façon, quelles que puissent être leurs croyances religieuses. » Elle précise aussi : « Le libre choix du praticien par le malade ne peut aller à l’encontre du tour de garde ou de l’organisation des consultations […]. Le libre choix du praticien doit être exercé par le malade, et non par un parent ou par un proche. » Ces deux points sont particulièrement cruciaux quand il s’agit du refus que les soins soient pratiqués par un praticien homme.
31Sur cette question, il arrive bien souvent que l’on assiste à des réactions vives de la part des soignants, qui, en fonction de leurs convictions propres, vont soutenir de façon excessive les exigences des malades ou bien s’y opposer parfois violemment ; ou qui vont vivre de façon schizophrène la dissociation entre leurs propres convictions de citoyens et leurs obligations professionnelles.
Technicité et humanité
32Parmi les nombreuses missions hospitalières, la recherche prend une place importante sur l’ensemble du territoire à travers le grand nombre de CHU, qui tous participent quotidiennement à des actions de recherche, de même qu’un très grand nombre d’autres établissements hospitaliers. Cette dynamique permet la diffusion rapide d’un bon niveau de connaissances médicales et des nouvelles techniques [9]. Elle contribue aussi à ancrer très profondément la conviction que les progrès à venir sont entre les mains de la chimie et de la technique. Cette fuite en avant éperdue est encore renforcée par l’obligation de moyens qui s’imposent à tout médecin. Elle maintient l’idée que la valeur première est la guérison, et que sa non-obtention est un échec [10].
33Les missions d’accompagnement psychologique et de réflexion éthique sont souvent marginalisées, à la fois de façon globale dans la vie des services hospitaliers et de façon organisationnelle, puisque confiées à quelques-uns, limitant l’implication de chacun et la remise en cause de tous. A cet égard, il est symptomatique de voir que la réponse la plus fréquente à l’identification de la nécessité d’une prise en charge globale des patients est la création d’un poste de psychologue, auquel le soignant va adresser le patient qui pleure pour pouvoir mieux se concentrer sur le soin technique.
34L’exemple récent du « dispositif d’annonce » mis en place dans le « plan cancer » est intéressant à double titre. Il identifie avec force la nécessité d’entreprendre une action d’envergure sur les modalités de réalisation de ce temps crucial qu’il décompose en quatre ; l’élément le plus significatif est le deuxième temps qui suit la consultation médicale, qui est une consultation paramédicale avec une « infirmière spécialisée », laquelle va pouvoir orienter le patient vers le psychologue. Un tel dispositif, s’il n’est pas accompagné d’un travail de réflexion, de formation et d’évaluation des professionnels en équipe, n’échappera pas aux travers habituels [11].
La réforme en cours et le nouveau mode de financement
35Annoncé lors des débats parlementaires consacrés à la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2003, le plan Hôpital 2007 était conçu pour redonner espoir et ambition au monde hospitalier. Il s’organise autour de quatre orientations : soutien volontariste à l’investissement ; rénovation du mode de financement des établissements de santé ; assouplissement des règles de planification ; mise en œuvre d’une nouvelle gouvernance. C’est l’une des plus vastes réformes de l’hôpital depuis 1958.
36La mise en œuvre de la tarification à l’activité (T2A) se présente comme une réforme majeure du mode de financement. Elle concerne tous les établissements de santé exerçant des activités de médecine, chirurgie, obstétrique – qu’ils soient publics ou privés. Fondé sur l’activité réelle des établissements, qui doivent progressivement être rémunérés en fonction de coûts moyens nationaux par pathologie, ce système est une forte incitation à la réalisation de gains de « productivité » et le vecteur d’une allocation plus équitable des ressources entre les établissements. Désormais, les contrats d’objectifs et de moyens conclus entre les agences régionales d’hospitalisation (ARH) et les établissements de santé fixent les objectifs quantifiés des activités de soins et des équipements lourds, et en définissent les conditions de mise en œuvre.
37Simple dans son principe, la T2A est un mécanisme de dotation budgétaire qui se révèle extrêmement complexe dans son application. Après une mise en route un peu difficile, voire chaotique, un certain nombre d’ajustements devraient permettre de donner une meilleure visibilité aux établissements. Toutefois, un gros effort de pédagogie et de formation des médecins est encore nécessaire pour qu’ils s’approprient ces nouvelles règles du jeu et en voient tout l’intérêt.
38En effet, la tarification à l’activité est un formidable élément de dynamisme, dont manquait cruellement le service public. Il peut contribuer à l’évaluation de la pertinence du choix des examens et des thérapeutiques : le service médical rendu par chacun doit en effet être mis en regard du coût provoqué. Nous disposons désormais de moyens de comparaison des coûts de prise en charge des patients par pathologie entre établissements tant publics que privés. Reste à mettre en œuvre une comptabilité analytique suffisamment fine pour comprendre où sont les surcoûts au sein de chaque service, et aider à la mise en place de mesures correctives – ce qui manque encore cruellement dans nombre d’établissements.
La nouvelle gouvernance
39Le concept de gouvernance, qui trouve son origine au xvie siècle dans la langue française, est réapparu dans les années 90 pour devenir un nouveau concept. Il permet de rejeter l’analyse classique des rapports de pouvoir conçus sur le mode de la verticalité, et d’explorer une analyse en réseaux au sein desquels une pluralité d’acteurs échange et interagit, sur le mode de la coopération, vers un même but. Il s’agit donc de coordonner l’action de tous les professionnels de l’hôpital.
40La contractualisation interne, telle qu’elle est prévue dans le plan, implique une forte interpénétration organisationnelle des différents acteurs, c’est-à-dire que, non seulement ils définissent un cadre de coopération, mais encore réalisent certaines activités en commun.
41La mise en place de pôles d’activité, unités de taille suffisante pour être dotées d’autonomie et de responsabilité, doit contribuer à la déconcentration de la gestion. Dirigés par des praticiens, des administratifs et des cadres soignants, ces pôles sont, dans cet esprit, engagés dans une démarche de contractualisation interne pour simplifier la gestion quotidienne et assurer la mise en œuvre des objectifs stratégiques de l’établissement. Au sein des pôles, des structures internes – services, unités fonctionnelles ou autres structures – ont pour mission d’assurer l’organisation de la prise en charge médicale des malades et de participer à l’évaluation des pratiques professionnelles.
42C’est un changement radical pour bien des responsables de service, qui doivent passer d’une logique de territoire (mon service, mes lits, mes infirmières) à une logique d’activité et à une vision transversale (regroupement de moyens humains, techniques, logistiques mis à disposition pour une activité donnée).
43L’activité devient donc le critère de référence : l’efficacité des pôles d’activité dépendra de la capacité de management des chefs de pôle, donc de leur motivation, de leur formation et de leur marge de manœuvre pour les structurer. Mais, d’ores et déjà, l’impact sur les équipes soignantes est significatif avec l’intégration systématique de la notion d’« efficience » – pour ne pas dire de rentabilité – dans la pratique quotidienne. C’est pourquoi il est impératif que les chiffres bruts d’activité soient modulés par d’autres indicateurs, reflets de la qualité des soins.
44Par ailleurs, il est essentiel que ce qui fait la principale motivation des différents acteurs de soins à l’hôpital soit respecté et valorisé. L’hôpital et les personnels qui assurent son fonctionnement défendent des valeurs professionnelles profondes. Les métiers de santé sont choisis, dans une large mesure, par vocation. C’est tout particulièrement le cas pour tous ceux qui s’exercent à l’hôpital. La priorité donnée au service des patients établit un lien étroit entre tous les personnels de santé. Il en résulte une culture hospitalière originale, mélange de capacités techniques de très haut niveau, de dévouement et de compassion au service de ceux qui souffrent.
45* * *
46L’hôpital public apparaît en crise du fait de mutations profondes, nombreuses et rapides, nourrissant un doute de plus en plus répandu sur les valeurs qui sous-tendaient son organisation. Si la dernière réforme qui institue la « nouvelle gouvernance hospitalière » se résume à une vision gestionnaire des unités de « production de soins » que sont les hôpitaux, alors la crise risque d’être profonde et durable. En revanche, si cette réforme offre la possibilité de nous réapproprier les valeurs de l’hôpital public, s’ouvre alors la perspective de sortir grandis de cette crise. La tradition humaniste de l’hôpital et la très haute technicité de la médecine actuelle sont loin d’être inconciliables, et la primauté du soin sur l’économique doit être clairement réaffirmée. Mais le corollaire en est une implication nationale : au delà du débat parlementaire sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, un vaste débat public et un réel effort pédagogique doivent avoir lieu sur les choix à faire en matière de financement des soins, de prévention, de recherche et de prise en charge sociale de la maladie et du handicap.
47De plus, les missions du service public sont à redéfinir, à clarifier et à évaluer périodiquement autour de trois valeurs principales : l’accès de tous à des soins de qualité, l’équité et l’efficience.
48Enfin, le besoin de reconnaissance, de remotivation et de réassurance des personnels hospitaliers passe par le renforcement des fonctions d’écoute et d’accompagnement des usagers comme des soignants, et par des temps de réflexion éthique au sein de chaque unité de soins [*].
Notes
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[*]
Cet article s’est largement nourri d’une étude du Conseil Economique et Social présentée par E. Molinié en juin 2005, intitulée « L’hôpital public en France. Bilan et perspectives ».
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[1]
Ces valeurs sont inscrites dans le préambule, toujours en vigueur, de la Constitution de 1946, auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958, qui proclame que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé… ».
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[2]
Récemment, la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance-maladie a réaffirmé ces principes en posant, notamment, que « la Nation affirme son attachement au caractère universel, obligatoire et solidaire de l’assurance-maladie. Indépendam-ment de son âge et de son état de santé, chaque assuré social bénéficie, contre le risque et les conséquences de la maladie, d’une protection qu’il finance selon ses ressources ».
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[3]
Université Populaire du 18 janvier 2005, Mouve-ment ATD/Quart-Monde, Paris.
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[4]
Dominique Coudreau, Rapport pour l’Institut Montaigne, L’Hôpital réinventé, janvier 2004, p. 10.
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[5]
Le rapport introductif au IXe Plan (1984-1988) en annonçait les prémices : « De 1950 à 1982, la part du Produit intérieur brut consacrée à la santé est passée de 2 à 8 %. Il sera difficile de dégager, sans conséquence économique ou sociale grave, de nouvelles ressources à la mesure des masses financières nécessaires pour alimenter la poursuite d’une progression à un rythme aussi élevé. » Or, nous en sommes aujourd’hui à près de 10 %. Du fait de la réforme Debré de 1958, l’hôpital public est rapidement devenu le pivot de notre système de santé, en même temps qu’un agent économique de première importance : le poids des dépenses d’hospitalisation dans les dépenses de l’assurance-maladie est proche de 50 %. Ce poids relatif est également très important au regard de l’économie française en général. A titre d’illustration, avec plus de 80 000 salariés, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris est le premier employeur de l’Ile-de-France ; de même, 50 % de la blanchisserie industrielle en France est hospitalière…
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[6]
Elle atteint 76,7 ans pour les hommes et 83,8 ans pour les femmes en 2004 ; contre, respectivement, 75,9 et 82,9 en 2003.
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[7]
Selon le Haut Comité de la santé publique, « les effets du vieillissement sur le système de santé deviennent aussi importants que la prise en charge thérapeutique des malades. Cela implique des approches nouvelles, s’inscrivant dans un continuum et une globalité que ne permettent pas les modalités d’organisation actuelles du système de santé. L’importance des interventions à réaliser se traduit en termes d’assistance, d’accompagnement, de soutien » (Contribution du HCSP à l’élaboration de la loi de programmation en santé publique, décembre 2002).
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[8]
Il s’agit de la circulaire relative à la laïcité dans les établissements de santé, dite « circulaire CASTEX ».
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[9]
Ainsi les missions de prévention, essentielles à l’amélioration de la santé de nos concitoyens et élément-clef du contrôle des dépenses, sont-elles souvent reléguées au second plan, peu valorisées, peu financées.
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[10]
En réaction, quelques-uns ont créé des unités de soins palliatifs, très rapidement submergées de demandes, à la fois parce qu’absolument nécessaires et parce que permettant un peu plus aux soignants d’éviter de se confronter à la mort. Cependant, progressivement, le travail, le témoignage et la diffusion de cette pratique par les premières équipes « pionnières » ont permis à la fois au public et aux soignants de prendre conscience de la nécessité de cette approche et de cette réflexion.
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[11]
Dans ce domaine, il faut saluer le travail du laboratoire Aventis qui, depuis plusieurs années, est engagé dans un programme de sensibilisation et de formation des professionnels et d’accompagnement des patients (EPAC – Ensemble, parler autrement des cancers) qui, à côté de la mise à disposition de documents divers, offre des formations de psycho-oncologie aux médecins et aide à la mise en place et à l’animation de groupes de parole sur différents thèmes autour du cancer, ouverts à tous les soignants d’un service.