Notes
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Cet article est publié en même temps dans les revues jésuites européennes suivantes : Stimmen der Zeit (Allemagne), Vimata (Grèce), Tavlatok (Hongrie), Przeglad Powszechny (Pologne) et Brotéria (Portugal).
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L’Organisation européenne de coopération économique (OECE) a été instituée le 16 avril 1948.
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[2]
Ces suggestions sont inspirées par un colloque européen qui fut organisé par la COMECE du 9 au 11 octobre 2006, à Clermont-Ferrand, où Philippe Herzog a fait une série de propositions.
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L’élection présidentielle d’avril 2007 sera un test fondamental pour l’avenir de la Turquie.
1L’Europe va fêter les cinquante ans du traité de Rome, signé le 25 mars 1957. Six pays avaient lancé le mouvement d’un marché commun. Aujourd’hui, vingt-sept pays se retrouvent sur un ensemble législatif qui touche tous les aspects de la vie économique et sociale. Les réalisations sont considérables ; les pères de l’Europe ont de quoi tirer quelque orgueil des succès d’une telle initiative.
2Pourtant, alors que nous sommes pris dans le tourbillon d’une campagne présidentielle, nous restons dans le doute le plus profond sur l’Europe, ne sachant plus comment avancer et nous interrogeant même sur la nécessité de poursuivre cette construction européenne, cependant beaucoup plus importante que n’importe quelle élection locale. Plus que jamais, rien n’est acquis dans ce domaine ; les résultats restent fragiles. Le retour sur quelques éléments de ce parcours donnent les clefs de cette dynamique et pourrait nous aider à reprendre la route.
Les raisons d’un traité
3Au début des années 50, Robert Schuman avait lancé le projet d’une Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA), et Jean Monnet en fut le premier président. En raison des besoins de modernisation de l’Europe dans cette époque de découvertes nombreuses, les tentatives d’approfondissement de cette communauté se sont multipliées. La France avait proposé une Communauté européenne de défense. L’idée était probablement prématurée, alors que la décolonisation n’était pas même terminée et que les troupes soviétiques occupaient encore l’Autriche. Le Parlement français lui-même y mit fin brutalement, en 1954.
4Les pays membres de la CECA voulaient avancer au moins vers une union économique plus large, domaine forcément moins sensible que le militaire. Sous la pression de différentes personnalités – Jean Monnet, Paul Henri Spaak et Johan Willem Beyen –, les gouvernements acceptent une conférence qui se tiendra à Messine début juin 1955. Sans donner de modalités précises d’intégration, cette conférence va relancer un esprit et une volonté d’aboutir. Il fallait négocier et dessiner les formes d’une association plus étroite. Les discussions ont été lancées au niveau des fonctionnaires. Mais les responsables hésitaient encore. Personne ne croyait sérieusement à une union douanière complète, à un projet d’unité européenne. Le gouvernement français de M. Guy Mollet ne s’y intéressait guère. Des blocages apparaissaient dans chaque débat délicat. On a même craint sérieusement de ne pas aboutir. Les négociations s’enlisaient.
5Deux événements sont survenus en 1956, qui ont précipité un accord et accéléré les négociations, confirmant l’idée que rien ne se fait sans confrontation à une adversité. D’une part, la révolte de Budapest, qui fut écrasée par les forces soviétiques, rendait plus que jamais nécessaire l’union à l’Ouest ; d’autre part, la crise du canal de Suez avait rendu précaires les capacités d’un approvisionnement d’énergie à bas prix. L’Europe était directement menacée dans son indépendance énergétique. C’était le moment de réagir, avec une union autour de la recherche atomique, le projet Euratom. Les dernières négociations se déroulent au château de Val Duchesse, dans les environs de Bruxelles, stimulées par les projets de Paul Henri Spaak.
6Deux traités seront finalement signés à Rome, le 25 mars 1957 : le traité du Marché commun et le traité d’Euratom. Un préambule fut rédigé au dernier moment, dans lequel les six pays fondateurs annoncent l’établissement des « fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens ». Les Etats-Unis étaient très favorables à ces négociations. Le plan Marshall même, qui devait aider économiquement à la reconstruction de l’Europe, avait été conditionné à l’établissement de l’OECE [1] qui devait pousser les nations d’Europe à travailler ensemble ; les Américains ont donc favorisé les premiers pas d’une Europe unie.
7Dès cette époque, la Grande-Bretagne fait cavalier seul. Elle ne croyait pas à la communauté européenne et pensait qu’elle ne fonctionnerait pas. Elle créera même, en 1959, l’Association européenne de libre-échange (AELE) pour contrer le développement de la CEE. Et elle est toujours opposée à une Europe politique. Néanmoins, elle cherchera à entrer dans la communauté dès 1961, car ses industriels le souhaitaient ; mais elle devra encaisser les deux refus du général de Gaulle, en 1963 et 1966. Ces refus étaient en partie justifiés, la Grande-Bretagne voulant tout renégocier, y compris la Politique Agricole Commune (PAC).
8Le projet d’intégration économique sera un immense succès. Les droits de douane sont progressivement supprimés ; la libéralisation des échanges facilite un commerce de plus en plus actif ; la Politique agricole commune garantit les approvisionnements et améliore la productivité ; les délais de réalisation du Marché commun seront même abrégés.
9Le traité de Rome était bien un traité d’union économique, et pas seulement de libre-échange, car il contenait des procédures à suivre et des législations communes. Tous étaient ainsi prêts pour un développement rapide, sauf la France, qui a perdu plusieurs années en raison de la guerre d’Algérie. L’Allemagne et l’Italie allaient avoir des taux de croissance de 10 % par an. Les conditions de la mise en application du traité de Rome, en ces temps de reconstruction après la guerre, étaient les meilleures possibles. Tous les pays en ont largement profité.
10La dynamique européenne s’est développée avec l’Acte unique en 1986, avec de nouvelles politiques communes sur la recherche et l’environnement. La signature du traité de Maastricht, en 1992, répondait à la fin de l’empire soviétique en proposant un élément d’intégration supplémentaire, la monnaie unique. Le traité d’Amsterdam, en 1998, a continué l’adaptation du système dans les domaines sociaux et institutionnels. Dans la plus mauvaise ambiance européenne jamais vue, le traité de Nice a préparé, en 2000, l’élargissement de la communauté de quinze à vingt-sept membres.
11Les réalisations de l’Union européenne sont considérables : la création d’un marché unique, jusqu’à la monnaie unique, un corpus de législation qui touche tous les secteurs économiques, l’environnement, la recherche, la justice et tant d’autres domaines. Voilà un acquis dont tous les Européens profitent. Cette unification a permis un développement, qui aurait été impossible avec le maintien des anciennes frontières. Des entreprises européennes ont permis des avancées techniques et commerciales exceptionnelles. La recherche s’est européanisée pour le bien de tous. Dans le domaine social et juridique, une harmonisation des exigences et des règlements a permis une circulation généralisée.
12La seconde grande réalisation est l’élargissement à vingt-sept membres. L’intuition originale ne touchait qu’une petite partie de l’Europe ; maintenant, elle inclut la quasi-totalité de ce continent, permettant une dynamique commune, une circulation facile, des contacts multipliés, enfin une réunification, où tous les pays membres se retrouvent pour la première fois sur un pied d’égalité, loin des divisions d’autrefois. Entre l’Est et l’Ouest, l’Europe de 2007 est tout autre que celle de 1957, encore marquée par les malheurs et les haines des guerres récentes.
Le coup d’arrêt du 29 mai 2005
13Début 2005, la dynamique européenne est en pleine action. Deux Conventions, en 2000 et 2003-2004, ont rédigé un Traité constitutionnel qui a été signé en grande pompe dans la salle des Horaces et des Curiaces à Rome, le 29 octobre 2004. Les discussions dans l’espace public européen ont parfaitement fonctionné. Les élites européennes ont fait l’expérience d’un travail de fond qui a pu aboutir à un texte aussi large et aussi positif que possible. Mais ces débats, qui avaient lieu dans les salles feutrées du Parlement européen, n’ont pas eu d’écho dans l’opinion. Les journaux en ont peu parlé. La population a été tenue à l’écart. Les gouvernements ont leurs responsabilités dans cet isolement, parce qu’ils n’ont pas su – ou pas voulu – expliquer les raisons de ces débats. Les médias ont aussi manifesté leur frilosité en ne donnant pas les échos nécessaires auprès des opinions publiques.
14Les responsables européens s’étaient lancés dans une opération de refondation de l’Union à l’instigation du Président de la deuxième convention, Valéry Giscard d’Estaing – un projet peut-être trop ambitieux ou prématuré. Mais les impératifs extérieurs de 1956 n’existaient pas. Les menaces contre l’Europe sont diffuses et indéterminées. La mondialisation n’apparaît pas encore comme une menace réelle. Les pays membres manifestent de plus en plus leurs réticences aux exigences du travail en commun.
15Or, le temps venait où il fallait ratifier ce traité. Plusieurs pays l’ont approuvé par un vote parlementaire. L’Espagne et le Luxembourg l’ont ratifié par un référendum ; mais, par la même procédure, la France a voté « non » le 29 mai 2005, suivie par la Hollande. Le processus de ratification s’en est trouvé bloqué, et les référendums ultérieurs prévus par l’Angleterre, comme par la Pologne ou le Danemark, ont été suspendus, malgré le vote positif de dix-huit membres sur vingt-cinq. Les plans B, alternatifs de ce texte constitutionnel, qui avaient été annoncés pour justifier le refus de la Constitution, n’ont jamais été explicités. Chacun, en rang dispersé, émet des hypothèses de sortie de crise sans qu’aucune s’impose. Les mois passent, les années passent, et l’on remet à 2009 une nouvelle décision sur ce traité. L’anniversaire des cinquante ans du traité de Rome est passé sans que le traité de Rome-II ait été signé.
Sortie de crise
16Soyons clair : ce projet de traité constitutionnel est mort. On ne peut faire voter de nouveau ni ceux qui ont dit « oui », ni ceux qui ont dit « non ». Il faudrait poser une autre question sur un autre projet. Pour relancer les propositions, il conviendra d’évaluer combien va coûter la non-ratification d’un nouveau traité, sur le plan économique, social, institutionnel. Le Parlement européen, par exemple, possède aujourd’hui moins de pouvoir que dans la Constitution. Régression démocratique. Et dans le domaine social, les protections de la Charte des droits fondamentaux ne peuvent s’exercer. Sur les projets mêmes de l’Europe, la dynamique n’y est plus. Et l’on prend des années de retard.
17Les propositions de sortie de crise n’ont pas tardé à se multiplier – en ordre dispersé. La Commission européenne a toujours maintenu l’idée d’une ratification du texte complet. La Commissaire chargée de la communication, Margot Wallstrom, a redit, le 22 novembre 2006, que « la substance politique du Traité constitutionnel devait être préservée autant que possible ».
18Ces déclarations visaient le projet proposé par Nicolas Sarkozy, celui d’un mini-traité qui consisterait essentiellement à conserver la première et la deuxième partie du Traité constitutionnel. Divers membres de la Commission ont accueilli cette proposition de manière favorable, mais à titre personnel. L’Allemagne, qui a longtemps maintenu l’idée de reprendre la totalité du Traité constitutionnel – en y ajoutant, éventuellement, un protocole additionnel social –, pourrait se rallier à cette idée et tenter d’y rallier également les autres membres de l’Union pendant sa présidence au premier semestre 2007.
19Reste la solution minimale, évoquée par plusieurs, celle qui consisterait à voter par petits morceaux un certain nombre de réformes prévues dans ce traité. Les sommets européens pourraient procéder à un certain nombre de ces grandes réformes sans pour autant avoir recours à la lourde machine d’un traité ou d’une constitution nouvelle.
20Depuis le 29 juin 2005, l’Union européenne a manifesté une incroyable paralysie, une étonnante impossibilité de prendre une initiative, de sortir de cette situation ahurissante où l’un des fondateurs dit « non » à ce qu’il a fondé cinquante ans auparavant, après avoir parcouru un chemin si remarquable avec tous les autres membres de l’Union.
Ce dont il faudrait parler
21L’Union européenne a besoin d’une nouvelle conférence de Messine pour comprendre ce qui s’est passé, et de leaders authentiques qui puissent donner une vision à l’Europe. Nous avons besoin d’un travail de fond pour retisser les éléments d’une vie ensemble. Depuis cinquante ans, l’Europe est en marche. Nous avons vu que ses réalisations sont considérables. Mais les soubresauts du 29 mai 2005 ont manifesté qu’elle n’était pas suffisamment fondée. Il faut donc retravailler les racines de ce vivre-ensemble pour passer cette étape et poursuivre la route déjà engagée. Trois chantiers s’ouvrent aux Européens [2].
Une acculturation européenne
22Les Européens possèdent un socle commun de valeurs qu’ils ignorent le plus souvent, parce qu’ils n’ont pas véritablement rencontré l’Europe ; ils en restent éloignés. Ils ne la connaissent pas et ne connaissent pas de l’intérieur les autres pays partenaires. Les aspirations des Français sur ce point étaient pourtant clairement exprimées dans des sondages qui avaient eu lieu un an avant le référendum et qui donnaient 70 % des Français favorables à l’Europe. Mais ils ne perçoivent pas bien ce qui a été fait. S’ouvre donc devant nous une période de dix ou vingt ans durant laquelle il faut labourer l’Europe par en bas pour l’expliquer à chacun et ouvrir les esprits aux valeurs fondamentales européennes, dont l’essentiel se résumerait par le partage dans la rencontre. La liberté de circulation permet cette rencontre multiple, cette découverte des autres, cette compréhension de la différence. Il faudrait partout des jumelages entre les écoles, des Erasmus multipliés par cinq, une véritable acculturation européenne.
Le modèle économique et social
23L’Europe est un laboratoire pour accomplir les évolutions nécessaires dans le domaine économique et social. On s’est peut-être trop centré sur le modèle social européen, en oubliant la relance de l’économie et la redéfinition d’un modèle de liberté qui puisse se développer dans la mondialisation. Il faut redéfinir le rôle des Etats, revoir les libertés prises par rapport à la dette publique, insister sur les nouvelles modalités de formation et d’emploi, sécuriser les parcours. Il ne s’agit pas d’uniformiser le social et l’économique dans tous les pays, mais d’assurer une équité entre les pays et entre les générations. On ne peut pas imposer notre niveau français d’exigences sociales aux Polonais. Partout l’exigence doit tenir compte de la situation locale, par exemple de nos sociétés vieillissantes. Mais tous, il nous faut nous adapter à la mondialisation et être prêts, dans la flexibilité, aux changements nécessaires.
24La France a toujours voulu imposer son modèle propre, celui du dirigisme et de la centralisation. L’Allemagne est davantage orientée vers une libre compétition, incluant une attention sociale que l’Angleterre laisse à l’initiative privée. Les débats entre ces théories n’ont pas cessé depuis le début de l’Union européenne. Le point de vue français l’a très longtemps emporté, malgré les refus récurrents de la France contre cette Europe qui n’était pas assez française. Et pourtant, la modernisation de la France aurait été impossible sans l’Europe. Le temps est venu, pour la France, de comprendre que l’Europe sera plus européenne si elle n’est pas modelée sur un système français.
L’union politique
25Le traité constitutionnel qui était proposé au référendum a marqué un effort symbolique considérable pour renforcer l’union politique du continent. Il importe de sauver les avancées de ce traité. Une renégociation par une autre convention n’est pas envisageable, car aucune assemblée ne serait plus représentative de toutes les opinions européennes que celle qui a été organisée. Il ne peut guère y avoir de texte meilleur que ce qui a été fait. Et ceux qui rêvent d’en avoir un plus à gauche ou plus à droite démontrent qu’ils ne veulent pas admettre le résultat du débat démocratique.
26Pour poursuivre le travail commencé et interrompu, il faut prendre, en ce début d’année 2007, la route d’une Conférence intergouvernementale (CIG) qui proposera des réformes empruntées à ce traité et qui en fera l’occasion d’un nouveau progrès européen par la décision d’un sommet de chefs d’Etat. Elle pourra préciser les contours de la subsidiarité, c’est-à-dire des compétences de l’Union et des Etats. Des réformes institutionnelles sont nécessaires ; elles peuvent être faites sans difficulté. Elles permettront ensuite de poursuivre de grands projets, tels une politique énergétique commune, le développement de transports propres et une vaste politique de développement durable.
27Ces projets ne se feront peut-être pas tous en même temps. L’Europe doit rester différenciée, c’est-à-dire qu’elle avancera par petites étapes ; peut-être pas toutes en même temps sur les mêmes sujets, mais dans le but d’un partage des mêmes approfondissements.
28Il importe, surtout, de retrouver les citoyens, et que ceux-ci retrouvent confiance en de grands projets qui les touchent directement.
Limite et identité
29Reste une question très délicate, celle de l’élargissement de l’Union et des limites de l’Europe. Cette question est directement liée à la conscience que les citoyens européens peuvent avoir de l’espace politique dans lequel ils vivent. Comment peuvent-ils se dirent Européens s’ils ne savent pas ce que l’on met derrière ce qualificatif ? L’élargissement régulier de l’Union rend une identification difficile avec un territoire et un peuple particuliers si ceux-ci ne cessent de changer. Ce point de vue interroge ceux qui pensent que l’Union est davantage un concept, un ensemble de règles et de valeurs indépendantes d’un territoire géographique.
30Il importe au plus haut point de faire une pause dans le processus d’élargissement que nous connaissons depuis les origines. Dix pays sont entrés dans l’Union en 2004, et deux autres en janvier 2007. Peut-on s’arrêter là, dans l’immédiat ? Les contours de cette pause doivent être précisés. Celle-ci doit s’imposer après l’intégration de tous les pays des Balkans qui sont situés entre la Grèce et l’Italie. Certains d’entre eux, comme la Slovénie, sont déjà membres de l’Union ; d’autres, comme la Croatie, sont candidats ; les derniers ont évidemment vocation à entrer le plus rapidement possible.
31Les obstacles à de telles entrées ne doivent pas être minimisés. La France a déjà pris une mesure malheureuse, à cet égard, en exigeant un référendum à l’entrée de tout nouveau candidat après la Roumanie et la Bulgarie. Ces entrées des pays des Balkans sont pourtant indispensables, moralement et politiquement : moralement, parce que cette région a besoin d’être soutenue et entraînée dans la dynamique de toute l’Europe pour stabiliser une paix difficile et développer des régions qui ont connu leur lot de souffrances ; politiquement, parce que, tant que ces pays ne sont pas dans l’Union, l’Europe n’est pas vraiment réunifiée.
32Mais la pause doit avoir lieu après ces entrées, et être déclarée clairement. L’Ukraine et la Biélorussie sont actuellement trop liées au monde russe pour qu’elles soient des candidats crédibles rapidement. Reste le cas complexe de la Turquie. On sait que, depuis de nombreux mois, les négociations avec ce pays sont au point mort. Ses relations avec Chypre n’ont pas évolué. La situation de la liberté religieuse reste inacceptable. Mais, surtout, les partis nationalistes et islamistes reprennent force en Turquie, marquant une nette différence avec des valeurs européennes et un refus d’entrer dans l’Union. De bons connaisseurs suggèrent même que la Turquie n’a plus véritablement envie d’intégrer l’Union [3], mais qu’elle attend simplement que l’Union lui refuse cette entrée. Quoi qu’il en soit, tous s’attendent à une très longue négociation avec ce pays, y compris les autorités turques, tel le ministre des Affaires étrangères, M. Abdullah Gül.
33Il importe donc de faire comprendre à l’opinion européenne que la pause se situe avant l’entrée de la Turquie, et qu’ainsi l’Union dispose d’une vingtaine d’années pour approfondir son fonctionnement et renforcer l’attachement des citoyens à cette entité politique.
Répondre ensemble aux défis de la mondialisation
34L’Union souffre-elle d’une absence de conscience historique commune, chaque pays s’étant refermé sur soi devant l’Europe qui attend ? Le sentiment de la nécessité de faire l’Europe est-il si loin ?
35Pour aboutir dans un projet européen, il faut retrouver la confiance européenne dans ses missions, car il n’y a plus un besoin fondamental d’Europe comme autrefois, avec la construction de la paix ou les menaces de 1956 ; c’est par la compréhension de cette mission que nous pouvons avancer.
36Une nouvelle dynamique devrait venir d’une réflexion sur la mondialisation et ses effets, telle est notre préoccupation commune, à laquelle nous devons faire face avec une voix commune. Pour ce faire, il convient de retrouver des motivations nouvelles et efficaces. Si l’Europe n’est pas une histoire d’amour, elle a été une histoire de nécessité. Cette nécessité étant peu apparente et mal comprise, elle doit devenir une histoire de raison, afin d’être expliquée.
37Or, cette mission est en relation directe avec la mondialisation et les défis qu’elle pose. Voilà le nouvel impératif qui devrait nous pousser à avancer. Les défis soulevés par le développement de la Chine ou de l’Inde, les éventuelles concurrences ou les conflits commerciaux à venir, le rapport à une Afrique mise en marge mais si proche de nous, l’intervention dans des conflits armés dont nous avons trop souvent été absents, notamment au Proche-Orient, les négociations avec les Etats-Unis qui ne doivent pas rester les seuls maîtres du monde – toutes ces questions devraient nous conduire à nous retrouver ensemble européens pour les affronter. Séparément, nous n’avons aucun pouvoir de réaction, et le marasme actuel le prouve.
38Les sujets capables de nous faire sortir de notre torpeur ne manquent pas, ne serait-ce que la simple question du développement durable : nos réactions sont toujours de l’ordre de l’immédiat, contre notre bien-être futur, contre celui des générations qui nous suivent. L’Europe est une grande promesse d’avenir, au delà d’une politique locale le plus souvent réduite à l’immédiat.
39Si le Traité constitutionnel est mort, l’Europe garde l’avenir devant elle, pourvu que les citoyens sachent s’ouvrir à cette réalité que le « non » français a brouillée.
Notes
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Cet article est publié en même temps dans les revues jésuites européennes suivantes : Stimmen der Zeit (Allemagne), Vimata (Grèce), Tavlatok (Hongrie), Przeglad Powszechny (Pologne) et Brotéria (Portugal).
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L’Organisation européenne de coopération économique (OECE) a été instituée le 16 avril 1948.
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Ces suggestions sont inspirées par un colloque européen qui fut organisé par la COMECE du 9 au 11 octobre 2006, à Clermont-Ferrand, où Philippe Herzog a fait une série de propositions.
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L’élection présidentielle d’avril 2007 sera un test fondamental pour l’avenir de la Turquie.