Notes
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[1]
Voir son discours au Parlement européen au début de la présidence britannique, discours très applaudi qui avait fait naître beaucoup d’espoirs.
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[2]
Septembre et octobre 2005.
-
[3]
Visite du Président polonais à Paris le 24 février 2006.
-
[4]
Le président Chirac, en 2003, avait critiqué les Polonais et les autres pays devant adhérer à l’UE pour avoir soutenu l’engagement américain en Irak.
-
[5]
Discours d’Oxford.
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[6]
Cf. Lettre de l’OFCE, n° 265, 11 juillet 2005.
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[7]
Le 15 mars 2006, après une rencontre avec le Premier Ministre de Slovénie à Berlin.
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[8]
C’est l’invitation que faisait Pierre Defraigne, directeur de l’Europe-IFRI à Bruxelles, en février 2006, lors d’une récente conférence à l’IFRI, à Paris.
1Il y a un an, la France, suivie de la Hollande, disait non au référendum qui lui était proposé sur un projet de Constitution pour l’Union européenne. Depuis lors, l’Europe est dans l’incertitude, pour ne pas dire dans la dépression. L’Allemagne voudrait sauver la Constitution ; la Hollande comme la Pologne n’en veulent plus du tout ; la France émet plusieurs propositions : soit un mini-traité, soit une récupération en empruntant des éléments un par un ; la Grande-Bretagne a remis la consultation sine die, alors que quatorze pays sur vingt-cinq ont déjà approuvé le texte. Tout cela fait désordre. Il n’existe aucun accord ni même aucune discussion organisée sur un plan B, ni en France, ni à travers l’Europe. Des groupes multiples réfléchissent sur cette situation sans qu’aucun consensus se dégage encore. Même les pro-européens qui ont voté non se taisent bruyamment.
2Comment a-t-on pu en arriver là, après cinquante-cinq ans de développement européen, du 9 mai 1950 quand Robert Schuman lançait sa fameuse Déclaration, à ce 29 mai 2005 quand la France marquait un stop ? Comment se fait-il que l’on soit dans une telle confusion ?
3Les populations sont pourtant pro-européennes dans leur ensemble. Les sondages donnaient 70 % d’opinions favorables à l’Europe en juillet 2004. Elles ont été très favorables à l’euro. Mais l’avis qu’on leur a demandé a provoqué des collisions entre leurs préoccupations : l’inquiétude du libéralisme, l’arrivée des textiles chinois, le plombier polonais… ont empêché de voir les enjeux à plus long terme.
4Il y eut des erreurs du côté français : une stratégie de communication lamentable, une absence de préparation et de stratégie du camp des oui, une volonté secrète de M. Chirac de profiter d’un référendum apparemment facile pour rehausser sa popularité. Inutile de s’appesantir également sur le manque d’initiative des chefs d’Etat d’Europe : ils auraient pu décider de tenir un vote européen à la même date. Même si l’on ne pouvait pas comptabiliser les résultats globaux, une dynamique aurait pu se développer ; on aurait au moins su qui aurait refusé ou accepté le Traité, et évité de se retrouver avec deux pays qui disent non et qui mettent dans l’embarras ceux qui ont déjà dit oui et ceux qui doivent encore se prononcer.
5Mais, au delà de ces regrets qu’il faut bien dépasser, le projet lui-même posait problème. Les rédacteurs ont voulu en faire trop, en donnant à cette Constitution un niveau maximum. Le Sommet de Laeken de décembre 2001, qui a convoqué la Convention, n’avait pas prévu dans son agenda la rédaction d’une telle Constitution. C’est pourtant ce que les débats ont produit : tous les textes précédents étaient rassemblés dans un seul grand texte fondateur entièrement refondu. M. Giscard d’Estaing y est pour quelque chose. Il a voulu donner le profil le plus haut possible à cette Convention en la comparant à la Convention de Philadelphie en 1776, qui avait donné une Constitution aux Etats-Unis. Les Socialistes français et les Verts allemands ont aussi insisté, de leur côté, pour que le texte soit une Constitution. Y avait-il une prétention secrète à donner un texte de base à l’Europe, un texte définitif, à l’aube du grand élargissement, à l’ancienne Europe de l’Est ? Tout laisse à penser que les membres de la Convention croyaient réellement à cette perspective. Ils pensaient que les vingt-cinq, comme les quinze qui les avaient précédés, voire les six qui avaient lancé le mouvement, pouvaient encore espérer marcher d’un même pas tous ensemble à partir d’un grand texte commun.
Le continent a changé
6L’Union européenne se trouve donc maintenant avec une Constitution dont personne ne sait plus quoi faire, dont les médias ne disent plus rien, et dont on ne discute même plus dans les sphères des experts. Ils analysent à présent la situation qui a mené à cet échec ; ils font un diagnostic sur l’ensemble de la construction européenne et envisagent les scénarios les plus étonnants : Et si la zone euro ne tenait pas ? Et si toute l’Union n’était pas en train de se détricoter ? Et s’il fallait repartir sur des bases totalement différentes ? Quel est le problème de fond derrière tous ces débats ?
7On a dit que le référendum était le signe de la fin de l’influence française en Europe et la victoire de l’Europe à l’anglaise : un grand marché, une absence de politique générale, la concentration sur des politiques particulières et techniques. D’une certaine manière, ce jugement est vrai, car les réformes politiques n’ont pas pu être réalisées et le symbolisme de la rédaction de la Charte des droits fondamentaux n’a pas pu jouer son rôle. Le Traité de Nice, qui ne manifeste pas une grande ouverture sociale, est toujours en vigueur.
8Cette interprétation n’est pourtant pas tout à fait exacte. La réalité est que les Anglais restent fidèles à eux-mêmes. Ils n’ont pas varié d’un pouce depuis Madame Thatcher en ce qui concerne l’Europe. Même si Tony Blair est très lyrique sur l’Europe quand il parle au Parlement européen [1], il oublie le sujet quand il parle en Grande-Bretagne pour y défendre la même position que ses précédesseurs.
9S’il y a des difficultés nouvelles, c’est en raison des changements à l’intérieur des pays du continent : l’Allemagne a traversé une période de grandes difficultés, même si la volonté de réforme est présente ; elle n’a pas vraiment récupéré de sa réunification. La France est écrasée par sa dette et refuse de se lancer dans les réformes structurelles nécessaires à cause de la rigidité de ses structures sociales et de ses traditions. Le couple franco-allemand est devenu incapable de prendre des initiatives. Leurs économies ne se développent pas sur des bases saines. Les leaders ne partagent pas d’enthousiasme commun sur le terrain européen. De leur côté, les Hollandais comme les Danois et toute l’Europe du Nord se sont réfugiés dans un euroscepticisme provincial, loin des grands desseins d’une Europe unie. Ils se demandent pourquoi il faut une telle administration centralisée quand il n’y a plus de menaces extérieures. L’Italie est restée très peu européenne avec Silvio Berlusconi. Seuls les Espagnols apparaissent comme des Européens dynamiques, mais ils n’ont pas les moyens politiques de faire marcher toute l’Europe.
10Le continent va donc mal. Il est politiquement sans projet et sans perspective de définition de sa propre identité. Il n’est ni politiquement identifié, ni délimité. Ses institutions communautaires restent trop complexes et ses textes trop nombreux.
11Problème supplémentaire, l’élargissement à l’Est, et l’ouverture à une diversité de plus en plus grande. En votant conservateur aux dernières élections législatives et présidentielles [2], le peuple polonais a aussi manifesté sa peur de l’ouverture à l’Europe. Le récent voyage de M. Lech Kaczynski [3] à Paris a été l’occasion d’une demi-réconciliation après les propos imprudents du Président de la République française sur ceux qui « ont perdu une occasion de se taire [4] ». Le Président polonais lui a pardonné ce dérapage, mais a voulu marquer la différence : « Ce qui intéresse le plus les Polonais, c’est ce qu’il adviendra de la Pologne. » Son pays ne poursuivra l’aventure européenne que dans la mesure où elle lui apportera quelque chose et favorisera l’intérêt national.
12De nombreux pays d’Europe sont tentés, à des degrés divers, par ce retour sur soi (y compris la France), mais ils ne le disent pas clairement et sont encore prêts à faire droit à une idée communautaire de l’Europe. Après tout, ce qui est bon pour l’Europe est bon aussi pour chacun d’entre eux. Mais la Pologne apporte un ton différent, proche de celui des Britanniques. La souveraineté nationale doit être défendue. Le vote à l’unanimité, permettant à chacun de bloquer tout le système si son intérêt est en jeu, n’est pas près de disparaître.
13Au delà de l’enthousiasme que devrait susciter la réunification du continent, l’élargissement de l’Union reste le problème le plus délicat du continent européen. La multiplicité des membres (aujourd’hui vingt-cinq, et très bientôt vingt-sept) élargit la diversité des peuples et des traditions. Chacun étant plus centré sur lui-même dans une lutte pour son intérêt national, une gestion collective risque de devenir impossible. Puisqu’il n’y a plus, à la Commission européenne, de tête capable de rallier les suffrages de tant de pays si différents, une politique commune devient imprévisible, car l’hétérogénéité entre les membres augmente : le désaccord est profond sur le modèle d’organisation de l’Union. Les uns veulent des institutions qui prennent des initiatives et donnent des lignes de force communes avec une bonne dose de fédéralisme ; les autres (la majorité) souhaitent une simple coordination de quelques politiques précises fondées sur la liberté des Etats souverains, sans la moindre trace de fédéralisme, comme le disait Tony Blair [5] à la fin de la très controversée Présidence Britannique. Ce sont deux mondes idéologiques différents qui étaient encore gérables lorsque les Anglais étaient seuls à tenir ce langage nationaliste. Mais ils ne sont plus les seuls.
14Autre grande hétérogénéité, la marge d’autonomie vis-à-vis des Etats-Unis. La Pologne a créé le trouble quand elle a envoyé ses troupes en Irak à la suite de la Grande-Bretagne, alors que la France et l’Allemagne s’opposaient très fortement à une telle entreprise – mais le conflit en Irak n’est pas la seule pomme de discorde. Les relations aux bases américaines ou à l’armement, le rapport à l’euro, etc., divisent l’Europe.
15A tous ces motifs de division s’ajoute la question non réglée, mais toujours présente, de l’intégration de la Turquie dans l’Union. La Grande-Bretagne porte à son crédit d’avoir réussi à commencer les négociations d’intégration avec ce grand voisin le 3 octobre 2005, comme prévu. Est-ce vraiment une victoire, quand on sait que tous ces efforts seront obligatoirement soumis à référendum en France ? N’est-on pas en train de mettre la charrue avant les bœufs si on laisse ouverte la possibilité d’un échec et que l’on commence à négocier ? En tout cas, l’éventualité de l’intégration de la Turquie laisse planer une ombre supplémentaire sur les possibilités d’une gestion commune de tant de pays différents, dont la diversité va encore s’accroître.
16L’élargissement des frontières géographiques de l’Union correspond à une diversification des conceptions politiques. A l’angoisse de l’Europe sans limite géographique s’ajoute donc l’absence de définition et de limite politique. Comment décider de ce que sera l’Europe future quand une double et aussi forte incertitude plane sur l’identité et le nombre des participants supposés travailler ensemble ?
Quel rebond ?
17Les leçons du passé sont toujours bonnes à entendre, surtout dans ces périodes d’incertitude [6]. L’épisode du refus de la Communauté européenne de Défense en août 1954 par le Parlement français a laissé les membres de la CECA dans l’interrogation la plus profonde, d’autant que Jean Monnet venait de démissionner par dépit de ce vote. Au lieu d’enterrer le projet lancé tout juste quelques années auparavant, la Conférence de Messine qui a suivi l’a au contraire relancé en l’élargissant « vers la fusion progressive des économies nationales, la création d’un marché commun et l’harmonisation de leurs politiques sociales ». Il s’agissait d’en rester à une communauté économique. Mais le rebond a eu lieu.
18Autre rebond, mais plus difficile, celui qui a suivi la crise de la « Chaise vide » en 1965. Après le refus de la France de siéger pendant six mois au Conseil des ministres pour assurer la reconnaissance du droit de veto sur les secteurs d’intérêt stratégique, la construction européenne est bien repartie, mais alourdie du handicap de l’unanimité. Les sorties de crise ne sont pas toujours des renouveaux. En imposant l’unanimité comme règle de décision, le compromis de Luxembourg ralentira la vitesse d’intégration de la construction européenne.
19Aujourd’hui, le débat porte sur une démarche hautement politique, l’étape d’une Constitution commune. Le blocage se produit devant une telle proposition. Il faut bien trouver une issue. Elle pourrait se situer, comme toujours, quelque part entre deux extrêmes : le refus absolu de cette Constitution ou son acceptation. Mais, parce que les demi-mesures sont dans cette matière difficiles à inventer, il faut probablement penser en des termes différents.
20Une solution a été esquissée par Madame Merkel [7]. Elle a proposé l’arrêt de l’intégration de nouveaux membres après l’entrée programmée de la Bulgarie et de la Roumanie. Les Etats des Balkans pourraient devenir de simples partenaires privilégiés – un statut qui a souvent été évoqué pour la Turquie ou pour l’Ukraine. Cette option permettrait de limiter le nombre de membres, de fixer des frontières à l’Union et de réengager des débats sur la Constitution. On éviterait ainsi l’inconvénient majeur de la construction européenne d’aujourd’hui : une indétermination sur l’identité et les limites de l’Europe.
21Monsieur de Villepin avait la même prudence en janvier dernier quand il disait que « l’Europe n’a pas vocation à s’élargir indéfiniment ». Le Parlement européen va dans le même sens en écrivant que « le blocage de la ratification du Traité empêche l’Union d’augmenter sa capacité d’intégration ». L’idée, approuvée par les deux Chambres françaises, de faire passer par un référendum tout nouvel élargissement est du même ordre : tenter de limiter l’élargissement de l’Union. Malheureusement, cette option est insuffisante, car inévitablement provisoire et peu acceptable pour les pays des Balkans, à l’égard desquels nous avons des responsabilités considérables. Ces tentatives ne s’affrontent pas à la question de fond : la volonté des voisins de l’Union d’en faire partie et l’impossible gestion uniforme d’un tel ensemble toujours grandissant.
Avant-garde
22Quelle issue trouver pour une Union européenne qui aura bientôt trente-cinq membres ? Comment s’organiser ? Il est temps de reprendre l’idée de « l’avant-garde [8] ». Avec un tel nombre de pays et une diversité plus grande que jamais, on ne peut avancer sur un chemin communautaire qu’en créant une avant-garde d’un petit nombre de pays qui approfondiront les éléments qu’ils partageront. Les autres suivront, s’ils le souhaitent, y compris les Anglais. Jean Monnet disait volontiers que les Anglais s’opposeraient toujours aux initiatives européennes, mais qu’ils suivraient de toute façon, si cela marche.
23Il faut donc faire son deuil d’une Europe où tous les pays membres avanceraient d’un même pas, partageraient les mêmes institutions et les mêmes projets. Cette conversion n’est pas simple, car, dans l’esprit des fondateurs, l’idée d’une fédération orientait vers un système où tous les membres seraient égaux et partageraient les mêmes droits et devoirs. C’était un idéal, mais la non-maîtrise de la croissance géographique et numérique le rend impossible. D’une certaine manière, le gel de la Constitution représente la fin de ce rêve de communauté homogène, rêve estimable, justifié, mais irréalisable. Les Français n’en sont pas fautifs : ils n’ont fait que révéler ce qui était en germe dans le projet – les Anglais et les Polonais se préparant de toute façon à dire non.
24Ce deuil ne devrait pourtant pas prendre une figure dramatique, car nous sommes déjà habitués à cette multiplicité d’appartenances à l’euro et à l’espace Schengen, que tous ne partagent pas. Il s’agit donc simplement de généraliser la diversité d’appartenances, en partant d’un noyau dur de quelques pays. Mais il est vrai que nous avons mauvaise conscience d’en arriver là, un regret de ne pas avoir été capables de faire cette unité européenne avec toute l’Europe. Notre esprit français, rationnel et unificateur, s’en trouve mal à l’aise. Il devra pourtant s’y habituer.
25La fin du modèle d’une Europe partagée par tous de la même manière ne signifie pas la fin de la dynamique européenne, mais seulement la fin d’un modèle. Elle marque l’entrée dans un modèle plus complexe, fait d’initiatives et d’attentes, où la solidarité n’est pas absente.
26Pour mettre en route cette dynamique d’une Europe à géométrie variable, il faut commencer par se réformer soi-même. Car on ne fera pas des avant-gardes avec une somme de pays qui sont en difficulté, qui ne se réforment pas, qui traînent des dettes publiques insensées et qui peuvent à peine – et très difficilement – suivre les critères qu’ils ont fixés ensemble pour gérer leur économie. Chaque Etat doit donc commencer par balayer devant sa porte. Inutile de se plaindre d’une Europe faible si les Etats font tout pour l’affaiblir.
Les trois cercles d’Europe
27Une nouvelle figure de l’Europe s’appuierait donc sur trois cercles. Le cercle de base de l’Europe inclurait toute l’Union européenne actuelle, les Quinze membres historiques avec les Dix qui s’y sont rajoutés en 2004. Ainsi voisineraient les diversités que l’on connaît actuellement, du cœur des plus européens parmi les fondateurs, jusqu’à des pays plus eurosceptiques : l’Europe du Nord et tous ceux qui suivent les options des Anglais et des Polonais. Ils pourraient partager de nombreuses institutions, notamment le Parlement, la Commission et le Conseil qui caractérisent l’Union européenne, avec son drapeau et l’identité que nous connaissons. Ce cercle de vingt-cinq membres garderait les caractères de l’Union sans augmenter les liens politiques qui les relient, et sans approfondissement institutionnel. Ils pourront poursuivre ensemble de nombreux projets industriels et économiques, et garantir le développement des régions en difficulté par des aides européennes.
28Mais, à l’intérieur de ce cercle de base, un petit cercle de pays pourrait se développer. Ce serait l’avant-garde dont l’Europe a besoin. La zone euro pourrait devenir le centre de cette avant-garde. Si cette zone de douze membres, déjà très liés entre eux, prenait une identité plus marquée, elle aurait une possibilité réelle de développement. Mais, dans cette zone même, la vigilance s’impose, car des tentations de délitement du Marché unique apparaissent. Plusieurs pays se donnent des règles nouvelles sur les OPA pour empêcher la liberté à l’intérieur même de l’Union ; d’autres voudraient renationaliser les tarifs de TVA alors qu’il faudrait, au contraire, viser une harmonisation fiscale. Des gouvernements sacrifient les avantages à long terme d’une action commune aux petits gains électoraux à court terme en misant sur la fibre nationale. L’esprit communautaire est loin. La bataille européenne se livre donc d’abord dans la zone euro.
29Ainsi, par opportunisme et manque de vision, les pays du cœur de l’Europe menacent ce qu’ils ont mis si longtemps à construire. Ce n’est pas tant à Bruxelles mais à Paris, à Berlin et à Rome qu’il faut poser la question de l’avenir de l’Europe. Il leur revient de relancer la zone euro en respectant d’abord les critères qui la constituent. Ensuite, ils pourront se donner de nouveaux projets et s’orienter vers la mise en place d’une formation politique particulière.
30Des progrès dans l’intégration sont possibles : d’abord, dans une harmonisation fiscale, indispensable à la cohérence économique de l’ensemble ; dans une politique sociale commune, qui évite les différences trop marquantes ; et dans un refus des politiques nationales non coopératives. Des « biens publics », comme la recherche ou la défense, pourraient être l’objet de politiques communes. Tous ces projets peuvent se réaliser dans le cadre de coopérations renforcées, qui sont présentes dans la Constitution. Cette zone deviendrait l’acteur d’une action collective, qui permettrait un approfondissement de l’intégration. Les processus de décision doivent y être efficaces. Certains pays, absents pour l’instant de cette zone euro, pourraient s’y joindre.
31Pour que ce petit cercle prenne consistance, il est capital que les grands pays comme la France, l’Allemagne, peut-être l’Italie et en tout cas l’Espagne, puissent travailler ensemble. Non pas qu’un directoire soit nécessaire, mais cette entente, cette coopération renforcée (pour prendre un terme européen), est vitale pour la dynamique de la zone euro.
32Un troisième cercle, plus grand que le cercle de base, serait formé par les pays actuellement candidats, sous la forme de partenariats privilégiés qui pourraient éventuellement se transformer en une adhésion. Tous ses membres devraient partager les principes démocratiques fondamentaux de l’Europe tels qu’ils sont inscrits dans le projet de Constitution. Ils s’engagent à travailler pour la paix entre eux et avec l’extérieur. Cette troisième zone a vocation à regrouper tous les pays d’Europe sans exception. Des partenariats économiques pourraient faire partie de ce projet.
33Cette Europe à géométrie variable n’est pas une manière de diviser le continent. Cette formule veut simplement la rendre plus flexible, afin de dépasser l’obstacle constitutionnel. Il faut sortir de cette impasse en permettant différentes appartenances et une variété d’engagements. L’objectif reste bien la constitution progressive d’un peuple européen au delà des découpages de l’histoire en nations séparées et opposées. Mais cette crise de mai 2005 sera-t-elle soldée par un nouveau ralentissement, ou bien par un nouveau rebond ? La réponse n’est pas encore donnée. Elle dépendra de multiples acteurs, notamment dans les capitales européennes et les opinions publiques.
34La France n’est pas en bonne position dans cette recherche commune, à cause de tous les problèmes qu’elle ne parvient pas à régler chez elle, mais aussi en raison de la période électorale dans laquelle elle entre. Toute polarisée par ses débats internes, elle ne pourra s’ouvrir au long terme nécessaire pour parler d’Europe. Elle devra pourtant prendre ses responsabilités, le temps venu, car c’est elle qui a dit non (comme les Hollandais). Dans cette perspective, c’est à l’Allemagne, présidente de l’Union pendant le premier semestre 2007, que reviendra la lourde responsabilité d’animer la reprise de la dynamique européenne.
Notes
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[1]
Voir son discours au Parlement européen au début de la présidence britannique, discours très applaudi qui avait fait naître beaucoup d’espoirs.
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[2]
Septembre et octobre 2005.
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[3]
Visite du Président polonais à Paris le 24 février 2006.
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[4]
Le président Chirac, en 2003, avait critiqué les Polonais et les autres pays devant adhérer à l’UE pour avoir soutenu l’engagement américain en Irak.
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[5]
Discours d’Oxford.
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[6]
Cf. Lettre de l’OFCE, n° 265, 11 juillet 2005.
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[7]
Le 15 mars 2006, après une rencontre avec le Premier Ministre de Slovénie à Berlin.
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[8]
C’est l’invitation que faisait Pierre Defraigne, directeur de l’Europe-IFRI à Bruxelles, en février 2006, lors d’une récente conférence à l’IFRI, à Paris.