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Le Petit-Palais. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Avenue Winston-Churchill, 75008 Paris. Renseignements : 01 53 43 40 00 et <www. petitpalais.paris.fr>. Entrée gratuite dans les collections permanentes. Ouvert tous les jours, sauf le lundi et les jours fériés, de 10 h à 18 h ; le mardi, jusqu’à 20 h.
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Musée du Louvre. 75001 Paris. Ailes Sully et Richelieu. Renseignements : 01 40 20 53 17 et <www. louvre. fr>. Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 9 h à 18 h (nocturnes mercredi et vendredi, jusqu’à 21 h 45). Le parcours peut être suivi dans sa totalité, sauf le jeudi, le dimanche et le vendredi, en nocturne en raison des fermetures de salles.
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1001 Peintures au Louvre, de l’Antiquité au xixe siècle, sous la direction de Vincent Pomarède, 24,5 x 28 cm, 1017 illustrations en couleur, Musée du Louvre Editions/Cinq Continents, 584 pages, 65 €.
Paris retrouve son Petit-Palais [*]
1Le musée du Petit-Palais vient de rouvrir ses portes à Paris après quatre ans de travaux, entre le Rond-Point des Champs-Elysées et la place de la Concorde. Le bâtiment monumental, construit pour l’Exposition universelle de 1900, n’a de petit que le nom ; et, peut-être, ses dimensions raisonnables, comparées à celles du Grand-Palais qui lui fait face et qui est, lui aussi, l’objet d’une rénovation. L’Exposition universelle de 1900 occupait toute l’Esplanade des Invalides sur la rive gauche de la Seine, le Pont Alexandre III et les Jardins des Champs-Elysées sur la rive droite. Après 1900, le Grand-Palais accueillira les grandes manifestations culturelles nationales. Le Petit-Palais sera dévolu à la ville de Paris et à son musée des Beaux-Arts, inauguré en 1902.
2A la fin du xixe siècle et après l’Exposition universelle, les Jardins des Champs-Elysées sont un haut lieu de la vie sociale parisienne. Les nounous y promènent des enfants. On y donne ses rendez-vous. Les hommes tirent leur chapeau devant les élégantes qui répondent par une révérence discrète, abritées derrière leurs éventails. Les jardins ont perdu depuis une grande partie de leur éclat. On y trouve toujours des théâtres, des restaurants de luxe, des kiosques à musique quelque peu délabrés et, côté nord, le Palais présidentiel de l’Elysée. Au sud, entre le Petit-Palais et la Concorde, les massifs servent d’abri aux SDF et de point de rendez-vous aux voyageurs venus des pays de l’Est, déposés tout près par les autocars.
3Après des décennies de purgatoire, d’indécision urbanistique et de priorité automobile, les Jardins se réveillent. Leur renaissance, celle du Grand- et du Petit-Palais prolongent l’axe culturel de Paris, qui commence au Centre Pompidou, continue par Le Louvre et le musée d’Orsay des deux côtés de la Seine, par le jardin des Tuileries qui est désormais dans le giron du Louvre, et par les deux musées des Tuileries, le Jeu de Paume et l’Orangerie, dont la rénovation s’achèvera bientôt.
4La plupart des musées construits au tournant du xxe siècle brillent par leur grandiloquence. Le Petit-Palais n’en manque pas : coupole, façades à colonnades, arbres, décors compliqués ; avec, au centre, un jardin tropical dont l’effondrement progressif a précipité le lancement des travaux. Le Petit-Palais possède une collection éclectique, qui va de l’Antiquité gréco-romaine au début du xxe siècle. On y trouve des émaux et des ivoires ciselés du Moyen-Age, de la peinture primitive italienne et française, des icônes russes, quelques tableaux de tout premier ordre, dont plusieurs grandes toiles de Gustave Courbet qui valent à elles seules la visite, un autoportrait de Rembrandt ou des Cézanne.
5On pourra chipoter sur l’exposition temporaire d’ouverture, confiée à un dessinateur anglais, Quentin Blake, spécialiste des livres pour la jeunesse et illustrateur de Roald Dahl, dont les frises autour des tableaux rappellent les expositions pédagogiques de patronage ; sur un accrochage si aéré qu’il condamne pas mal de chef-d’œuvres à un séjour dans les réserves ; sur l’hétérogénéité de l’ensemble, due au fait que le patrimoine de la ville est en partie constitué de legs et de donations. On chipote, parce qu’on est à Paris, pas loin du Louvre, et qu’on a de mauvaises habitudes.
6Le musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris fait penser à quelques grands établissements municipaux du même genre, à Lyon, Lille, Bordeaux ou Nantes. L’excellent y côtoie le moins bon : suffisamment de bon pour y courir ; quelques nanars de l’art pompier du xixe pour s’amuser. L’ambiance est un peu désuète malgré la blancheur des murs, la qualité de la lumière et la rigueur des vitrines. Le mélange des genres et des époques ajoute un désordre assez tendre. Rénovons sans trop refaire à neuf ni singer les musées high-tech, se sont dit opportunément les architectes, les historiens d’art et les gens chargés de l’entreprise. Ils ont réussi à préserver un parfum de plus en plus rare dans une ville qui aime se grimer en capitale du monde. Grâce à eux, grâce au patrimoine du Petit-Palais, Paris a toujours, un siècle après sa première inauguration, son grand musée à l’esprit provincial, son temple à la gloire de l’art tel qu’on le concevait il y a cent ans.
Le Louvre buissonnier [**]
7Le Louvre, 40 à 50 000 visiteurs par jour en période de pointe. Comment éviter la cohue ? Il suffit de contourner les vedettes maison : La Joconde, bien sûr, La Vénus de Milo et La Victoire de Samothrace. Le Louvre, un patrimoine de 350 000 objets environ, des milliers de peintures aux cimaises, dont la plupart ne sont jamais vues par des visiteurs épuisés. Voici un itinéraire de délestage dont l’idée nous est venue à cause de la publication d’un livre monumental, 1001 Peintures au Louvre de l’Antiquité au xixe siècle [***]. Un itinéraire sans attroupements intempestifs – quelquefois dans des zones quasi désertes où l’on trouve néanmoins des trésors. Une sélection aussi impitoyable que capricieuse. Une douzaine de tableaux côté nord et est (ailes Sully et Richelieu). Cette promenade prend environ deux heures. Une pause est possible à mi-parcours au café Richelieu situé au premier étage.
8Premier objectif : la galerie-est de l’aile Sully, et la peinture française du xviiie siècle. Départ sous la pyramide direction l’aile Richelieu. Pour atteindre le département des peintures, on passera par les Antiquités orientales au niveau rez-de-chaussée, en veillant à ne pas s’éloigner des fenêtres qui donnent sur la cour Napoléon. On traverse les salles consacrées à l’Iran antique jusqu’aux grandes parois de briques colorées du Palais de Darius Ier, la fameuse Frise des archers qui date d’un demi-millénaire avant J.-C. A côté de la frise la plus grande, à droite, s’ouvre une petite porte qui ne paie pas de mine. Ne pas se laisser impressionner par son aspect d’armoire à balais. A l’intérieur, il y a un ascenseur qui permet d’accéder d’un coup au deuxième étage et à la section française du département des peintures.
9On débouche alors dans une salle dont les tableaux monumentaux donnent la mesure d’un royaume, celui du Roi Soleil, qui se voulait le plus grand du monde. Mais il faut poursuivre sans s’attarder, vers la droite, jusqu’à la salle 39, pour voir une petite toile de Chardin, L’Enfant au toton (1738). Un jeune garçon, immobile et le buste droit, est absorbé dans la contemplation d’une toupie qui tourne encore sur son axe. C’est l’image de l’instant suspendu, de l’attente d’un événement qui est déjà visible dans le tableau mais ne s’est pas encore produit ; une recréation du temps dans la peinture – le temps suspendu, l’attente, le regard, ces ingrédients de la peinture. Parfois l’attente est d’une autre sorte, comme dans L’Odalisque de Boucher (1745, salle 40), étendue les fesses à l’air sur un lit défait. Parfois le temps est arrêté, comme dans cette nature morte de Chardin, Le Panier de pêche (1768, salle 47), qui évoque pourtant indirectement, avec ses fruits à la peau veloutée, la sensualité du tableau de Boucher. On retrouvera l’attente une vingtaine de salles plus loin, le désir, mais aussi une espèce d’effroi dans une toile de Chassériau, La Toilette d’Esther (1841, salle 63).
10En poursuivant vers la droite, on accède aux œuvres des premiers peintres français de plein air, et à l’une des parties les plus étranges du musée du Louvre, car elle contient des collections données sous condition d’être présentées dans leur état intégral. On y rencontre des Degas, des Monet, des Renoir – qui devraient plutôt être au musée d’Orsay –, mais aussi un petit portrait du Dauphin Charles-Orlant (1494, salle A) de Jean Hey (le Maître de Moulins) et un Goya, La Comtesse del Carpio (1795, salle A), une femme austère et droite, le regard vrillé sur le peintre et sur le spectateur, un regard qui n’attend rien car il sait qu’il a droit à tout. On continue alors vers l’aile Richelieu en tournant vers la gauche. Après avoir poussé une porte, on reprend le parcours chronologique à partir des Primitifs français pour atteindre une petite salle consacrée aux peintres de portraits du xvie siècle, et Elisabeth d’Autriche (1571, salle 8) par François Clouet, une peinture d’une incroyable précision dans la miniature, un être gelé en modèle réduit, dont la carnation et surtout les vêtements et les bijoux sont une démonstration extrême de la mimésis en peinture.
11A partir de la galerie-ouest de l’aile Richelieu (Ecoles du Nord), l’exercice consiste à préférer les petits cabinets latéraux aux grands tableaux du parcours principal. Pour commencer, une peinture célèbre mais difficile à trouver, car elle est invisible si on ne passe pas la porte, le Portrait de l’artiste tenant un chardon (1493, salle 8) de Dürer, œuvre de jeunesse, brillante et flatteuse, d’un peintre qui a dépassé le statut d’artisan et revendique la noblesse de son art. Un peu plus loin, dans un autre cabinet latéral, on entre dans les coulisses de l’atelier de Rubens (1577-1640, salle 22) – une véritable entreprise de production de tableaux destinés à l’Europe entière – pour voir les esquisses que le maître préparait avec une incroyable virtuosité en vue de l’exécution de ses œuvres par son personnel. Ensuite, toujours dans un petit cabinet, Le Chœur de l’église Saint-Bavon de Haarlem (1630, salle 29) propose une vision inverse et contemporaine de celle de Rubens, la vision modeste de Saenredam, un artiste spécialisé dans les portraits d’Eglise qu’admirait Mondrian et qui a inspiré l’art abstrait.
12C’est maintenant le moment de fêter un anniversaire, celui de la naissance de Rembrandt (1606-1669, salle 31), qui donnera lieu cette année à de nombreuses expositions. La salle qui lui est consacrée recèle quelques-uns des trésors les plus émouvant du musée du Louvre, le Portrait de l’artiste au chevalet, Le Christ et les pèlerins d’Emmaüs, Bethsabée au bain ou Le Philosophe en méditation. Mais on s’arrêtera cette fois devant un tableau rare, qui aura une postérité au xxe siècle, notamment chez Soutine et chez Bacon, Le Bœuf écorché (1655). On ne connaît pas son exacte signification, une vanité peut-être, un Memento mori ou simplement un grand exercice de peinture. La carcasse de l’animal est projetée vers le spectateur, saisissante de précision alors que la facture semble rapide, instantanée. Il y a dans cette peinture la volonté – que l’on retrouvera dans les natures mortes de Cézanne – de faire passer immédiatement le visible dans la toile et de rendre de manière impérieuse la matérialité d’une chose prise dans son propre espace.
13Ce regard direct, qui deviendra la règle de l’art à partir du début du xixe siècle, est aussi vigoureux dans un tableau plus banal, un simple paysage hollandais du milieu du xviie siècle, que les premiers peintres de plein-air de l’Ecole de Barbizon (dont on a pu apercevoir les œuvres dans l’aile Sully au cours de cette visite) avaient élu parmi les chefs-d’œuvre, Le Buisson ou le Chemin dans les dunes harlemoises (vers 1649, salle 33) de Jacob Isaacks van Ruysdael : un paysage recomposé à partir de l’observation, avec une vue plongeante sur l’horizon à gauche, un arbre qui coupe le tableau en deux et, à droite, un chemin légèrement montant éclairé par un rayon de soleil ; en d’autres termes : à gauche le regard est aspiré dans le lointain, à droite il est pris au piège d’un plan horizontal rabattu vers l’avant et d’une tache de lumière, et au centre le volume arborescent relie les deux parties tout en les séparant. Une mise en scène efficace, mais aussi un répertoire de formes qui va devenir un modèle.
14Le parcours se termine un peu plus loin devant un tableau de Pieter de Hooch, une scène de genre hollandaise, La Buveuse (1658, salle 38), saisie dans un intérieur vu à la dérobée comme chez Vermeer. La puissance théâtrale pour rendre la banalité, la précision dans l’usage de la lumière, renvoie à Vermeer, mais aussi au Buisson de Ruysdael que l’on vient de quitter, et à toute la peinture hollandaise du xviie siècle dont la narration simple est soutenue par une science implacable de l’espace. La Buveuse, c’est la fête du vin, celle de l’ambiguïté du don associé à la séduction, le moment où l’on perd la tête (faut-il céder ? faut-il résister ?). La tentation. Du plaisir, bien sûr, mais aussi de la chute et de la déchéance. La tentation contenue jusque dans le regard de chacun des personnages : celui, perdu, de la buveuse ou, insidieux, de l’homme qui s’apprête à remplir son verre. Les regards se cherchent et s’évitent, se voient sans se croiser, se touchent. Ils dansent. C’est le sujet de la peinture, de toute peinture. Et sa morale. Dans la vie, pas vu, pas pris. C’est la faute. Mais en peinture ? Il est doux de montrer ce qu’on n’aurait pas dû voir puisque ce n’est qu’un tableau.
Notes
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Le Petit-Palais. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Avenue Winston-Churchill, 75008 Paris. Renseignements : 01 53 43 40 00 et <www. petitpalais.paris.fr>. Entrée gratuite dans les collections permanentes. Ouvert tous les jours, sauf le lundi et les jours fériés, de 10 h à 18 h ; le mardi, jusqu’à 20 h.
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Musée du Louvre. 75001 Paris. Ailes Sully et Richelieu. Renseignements : 01 40 20 53 17 et <www. louvre. fr>. Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 9 h à 18 h (nocturnes mercredi et vendredi, jusqu’à 21 h 45). Le parcours peut être suivi dans sa totalité, sauf le jeudi, le dimanche et le vendredi, en nocturne en raison des fermetures de salles.
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1001 Peintures au Louvre, de l’Antiquité au xixe siècle, sous la direction de Vincent Pomarède, 24,5 x 28 cm, 1017 illustrations en couleur, Musée du Louvre Editions/Cinq Continents, 584 pages, 65 €.