Notes
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[1]
Avec mes remerciements à Véronique Lemaire pour l’aide à la traduction française.
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[2]
C(h)œurs, conçu et mis en scène par Alain Platel, création mondiale au Teatro Real de Madrid, mars 2012.
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[3]
Paul Virilio, Vitesse et Politique : essai de dromologie, Paris, Galilée, 1977.
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[4]
Kwartet (Quartett) de Heiner Müller, mis en scène et scénographié par Peter Missotten, une coproduction du Toneelhuis d’Anvers et du Schauspielhaus de Vienne, octobre 2006.
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[5]
The Waste Land (La Terre vaine) de T.S. Eliot, mis en scène et scénographié par Peter Missotten, une coproduction du Toneelhuis d’Anvers et de la Filmfabriek, septembre 2007.
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[6]
De Indringer (L’Intruse) de Maurice Maeterlinck, mis en scène et scénographié par Peter Missotten, coproduction de la Filmfabriek et du Toneelhuis d’Anvers, mars 2010.
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[7]
Illbegone, conçu, mis en scène et scénographié par Peter Missotten, coproduction de la Toneel-academie de Maastricht en collaboration avec le SIA RAAK et The Department of Contemporary Arts at Manchester Metropolitan University. Prix de la meilleure pièce théâtrale étrangère au ITS festival Amsterdam, juin 2010.
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[8]
Illbeback, conçu, mis en scène et scénographié par Peter Missotten, coproduction de la Toneelacademie de Maastricht en collaboration avec le SIA RAAK, décembre 2011.
1Je suis à Madrid, au Teatro Real. Pour être précis, je suis assis au centre du cinquième balcon et je regarde la scène de C(h)œurs, la dernière création d’Alain Platel [2]. Le plateau est assez fort incliné ce qui, d’où je suis placé, rend la perspective un peu étrange, comme en trompe-l’œil, un peu à la manière dont Dieu nous regarde…
2Pour aider les « pauvres » placés au cinquième balcon à une centaine de mètres de la scène (ils ont payé leur place plus de vingt-cinq euros et ne sont donc décidément pas si pauvres), le metteur en scène a placé deux écrans vidéo de part et d’autre de la salle sur lesquels est retransmise en direct la captation du spectacle. Cela me complique les choses car, non seulement je regarde le spectacle à la manière de Dieu, mais je peux en plus choisir de le regarder en même temps à la télévision.
3Ce qui est très étrange, c’est que les deux spectacles paraissent être joués par les mêmes danseurs en même temps, alors que ce ne sont pas les mêmes spectacles. Ils ont chacun leur rythme et leur émotion propre, nettement différents. Le spectacle médiatisé ne me paraît pas moins bien mais il n’a simplement rien à voir avec la présentation live que je suis en train de vivre en tant que spectateur. Tout se passe comme si j’étais dans une salle en train de regarder un spectacle – d’ailleurs fascinant et bouleversant – et qu’il y avait sur le côté une fenêtre magique à travers laquelle je pouvais voir un autre spectacle, dans un autre temps, joué par la même compagnie.
4Le spectacle live retransmis sur écrans est « découpé » et « monté » en direct et offre continuellement des changements d’axes de vue de la scène, permettant aux spectateurs de découvrir des angles de vision qui lui sont normalement inaccessibles. Le découpage déconstruit la continuité espace-temps, comme dans un tableau de Georges Braque ou de Francis Bacon. De plus, il en accentue la vitesse, en comparaison avec celle qui est propre au médium le plus lent du monde : le théâtre.
5En regardant les deux spectacles en même temps (j’avoue que j’ai rapidement évité de regarder les écrans), la puissance déconstructiviste, triomphatrice et même dévoratrice du médium vidéo m’est apparue de plus en plus évidente.
6La personne assise à côté de moi m’indique que je m’incline un peu trop en avant, obstruant sa vision ; non pas celle qu’elle aurait de la scène, mais celle de l’écran… The medium is the massage/message – en effet.
Les différents états de la réalité
7À la Filmfabriek – collectif d’artistes dont j’étais le directeur artistique ces dernières années –, nous avons, au fil des années, expérimenté presque tous les médias. Nous produisions des courts et longs métrages – fiction et non fiction –, des installations vidéo, des cédéroms interactifs, du graphisme, des sites internet et des scénographies. Cela m’a rendu hyper sensible aux astuces, aux messages – et aux massages – que peut produire chaque médium. Ma formation de vidéaste est probablement à l’origine de cette sensibilité.
8J’ai rapidement observé une attitude naïve vis-à-vis de l’usage de la vidéo au théâtre : tout ce qui était plus facile – et meilleur marché – à être projeté qu’à être construit courait le risque d’être projeté. Un cochon projeté est beaucoup plus concevable et manipulable sur scène qu’un vrai cochon – et est, de surcroît, moins cher. Mais cette naïveté risque de tuer la raison d’être du théâtre – et du cochon –, qui réside probablement dans sa lenteur intrinsèque (j’emprunte les termes « vitesse/lenteur » à l’œuvre de Paul Virilio [3]).
La vitesse du cinéma
9À cause de l’invention du cinéma et de l’utilisation artistique qui en a très rapidement été faite, la fiction est devenue impotente au théâtre. Le quatrième mur du théâtre lui a littéralement été volé par le cinéma, en même temps que son rideau et tout son décorum. Le cinéma est une fiction absolue. Il n’y a que la fiction : il n’y a plus d’acteurs mais seulement des personnages. Il n’y a aucune présence vivante et, même en tant que spectateur, nous sommes seuls dans notre propre fiction. Cela se voit clairement dans l’évolution architecturale des salles de cinéma modernes, les cinépôles. On a perfectionné ce « quatrième mur de la fiction » : les rideaux – dès le début parfaitement inutiles – ainsi que le cadre ont disparu. Les sièges sont devenus beaucoup plus larges et plus profonds, et le niveau sonore très élevé afin d’isoler chaque spectateur dans sa fiction. On y est seul dans son rêve. L’endroit le plus proche des anges n’est probablement plus l’église, mais la salle de cinéma. Le cinéma est l’art de l’absence.
10Cette fiction crée, par son absence, un vide moral. Tout y est possible, concevable et acceptable. Aucune action projetée et vécue n’a de conséquences morales. Le film d’horreur est par conséquent probablement l’essence même du cinéma : un poème d’immoralité rendu acceptable par son absence.
11Tout à coup, le théâtre a perdu sa fonction de « lieu de fiction », comme Bertolt Brecht et Antonin Artaud l’ont d’ailleurs compris très vite. On n’y vient plus pour rentrer dans la fiction, on s’y rend pour la narration. C’est-à-dire pour voir – et même participer à – la construction de la fiction. Au théâtre, nous sommes dans l’incapacité morale de nous immerger intégralement dans la fiction. Quand Roméo se tue sur scène, il ne me reste que deux possibilités éthiques : soit je vole à son secours – ce qui serait tout à fait possible, surtout dans les salles de théâtre modernes où la séparation physique entre le public et la scène a disparu –, soit je ne crois pas à son geste. Au mieux, on est dans un moment d’incrédulité suspendue (suspended disbelieve) : on « oublie » momentanément de ne pas y croire. Mais cette attitude est assez fragile ; des émotions trop fortes – comme l’horreur et la violence – brisent assez vite ce rapport ambigu avec la fiction scénique. Pardon à Antonin Artaud mais le théâtre de la cruauté (dans son sens littéral) n’a jamais bien marché sur scène.
12Plus tard, cette fonction du théâtre comme lieu du réel vivant a encore été radicalisée par l’art de la performance et de la danse moderne. Dans le théâtre actuel, on assiste à la construction d’événements nouveaux, à la construction de la réalité même. Le théâtre est devenu un lieu de construction de nouvelles réalités.
Le diable à deux visages : la télévision
13Immédiatement après son invention, la télévision s’est, comme le cinéma, tournée vers le théâtre pour y puiser son identité : elle est devenue du théâtre virtuel. Malgré son apparence, elle n’a pas grand-chose à voir avec le cinéma. La télévision fait tout pour nous faire croire qu’elle est le médium par excellence de la réalité. Elle nous regarde dans les yeux, comme un public de théâtre contemporain. Elle est accro à des références à la réalité : le journal, la météo, la présence du public live sur le plateau qui forme notre double… En général, toutes ces références à la réalité sont mensongères puisque le vivant est préenregistré, les candidats du quizz ne reviennent pas le lendemain mais changent simplement de chemise pour poursuivre l’enregistrement de l’émission. (Des chercheurs ont d’ailleurs découvert qu’en moyenne l’être humain n’a qu’une mémoire de trois chemises, ce qui tombe bien pour la télévision…) Et la météo ? Eh bien, c’est la météo…
14Comme dans le théâtre traditionnel, l’ensemble des personnages semble ignorer le quatrième mur, à l’exception du présentateur, ce qui lui confère un net privilège si l’on considère que seuls les rois et présidents reprennent ce pouvoir lorsqu’ils s’adressent à la nation. La machine-à-réalité de la télévision est une machine mensongère du pouvoir. Elle nous ment jusqu’aux moindres détails : elle est l’art du mensonge.
Dance with the devil
15Étant vidéaste, les metteurs en scène ont souvent fait appel à moi pour la conception de décors-vidéo. Il va de soi que cela m’a toujours mis mal à l’aise. Comment intégrer le médium de l’absence (ou encore pire, le médium du mensonge) dans une pièce de théâtre, sans trahir sa raison d’être ? Comment réconcilier la construction de la réalité avec la construction de l’absence ? Comment danser avec le diable ?
16Un bon exemple est Bezonken Rood (Rouge décanté), un spectacle mis en scène par Guy Cassiers d’après un livre de Jeroen Brouwers. Il fut créé en 2002 au Ro Theater à Rotterdam et tourne aujourd’hui encore en trois ou quatre langues.
17Écrit sur le mode autobiographique (l’histoire est basée sur les expériences de guerre de l’auteur en Indonésie et sur la relation trouble qu’enfant il entretint avec sa mère), c’est un livre extrêmement émouvant mais également problématique. En effet, il est fondé sur une construction littéraire de l’émotion tellement parfaite dans sa symétrie qu’elle se dévoile lentement en tant que construction fictive. Si on lit le livre comme une autobiographie, on risque de se sentir trahi vers la fin de l’histoire lorsque cette construction devient tangible.
18L’usage du médium vidéo sur scène pour l’adaptation scénique du livre nous donnait la possibilité de jouer le même jeu. En disposant cinq caméras en prise directe sur scène, nous pouvions agrandir l’émotion de l’acteur – fabuleusement joué par Dirk Roofthooft –, en projetant son visage sur un écran géant composé de lamelles de cuivre « vrai ». Lors de ces scènes médiatisées, le public entre dans le domaine du cinéma. L’acteur, toujours présent en live, disparaît presque face à l’image pour faire place à son fantôme absent : son close-up. Ce qui donne la possibilité au public de se plonger dans le vide éthique d’émotions sans conséquences « vraies ». Ému jusqu’aux larmes (ce qui est assez rare au théâtre), le public, qui se comporte en tant que collectivité dans une salle de théâtre, se déconstruit alors en individus « absents » et solitaires dans la fiction de leur émotion.
19En concevant ce dispositif anti-théâtral, j’ai tout fait pour le rendre le plus visible et lisible possible par le spectateur. L’angle de vue – fixe – de chaque caméra était marqué sur le sol par une ligne rouge auto-illuminante. De plus, chaque caméra, visible par les spectateurs, comportait une lentille téléobjectif dont la mise au point fixe était volontairement réglée de façon exagérément lointaine. Par conséquent, lorsque l’acteur avançait lentement vers la caméra, celle-ci en agrandissait l’expression et la physionomie mais à un certain point les rendait floues. À cet instant, le spectateur se réveillait de son rêve cinématographique pour retrouver l’acteur live sur scène et redevenir un public vraiment vivant et présent en tant que collectivité. Le groupe de spectateurs individuels devenait à nouveau un public purement théâtral et chacun pouvait voir très clairement l’instrument qui avait construit son rêve. Ce procédé soi-disant mensonger était la traduction – je n’aime pas le mot « métaphore » – de la construction de l’émotion propre au livre.
20Ainsi, en tant que vidéaste-scénographe, j’étais beaucoup plus intéressé par cette « machine à sentiments » qui sème le doute de façon visible, que par la fiction elle-même. J’avais d’ailleurs fait une autre proposition à Guy Cassiers, assez subversive et destructrice je l’avoue, où l’acteur aurait eu une télécommande avec laquelle il aurait pu changer de chaîne et introduire ainsi en direct les programmes télévisuels régionaux. Si l’émotion devenait trop intense pour l’acteur – et donc pour le rêve du spectateur –, il pouvait brusquement nous faire basculer dans la réalité mensongère de la télévision, en changeant de chaîne, et introduire de la sorte le quizz live du moment, un sitcom ou encore un match de football… Malheureusement, cette idée subversive n’a pas survécu à l’avis de l’acteur ni à celui du metteur en scène.
La beauté diabolique de la prothèse
21Cette construction de la réalité – inventer une machine théâtrale qui construira de nouvelles réalités – est le point de départ de tout mon travail scénographique. Qui a le contrôle du dispositif fictionnalisant ? Si le théâtre veut survivre à la concurrence des autres médias de la fiction, beaucoup plus rapides et persuasifs, il doit se débarrasser de chaque mensonge. Semblable à un programme écologique, il doit devenir le plus « lent » possible. Le théâtre, c’est le slow food des arts.
22Lors de la construction de mes « machines théâtrales » (« décor » est un terme que j’évite à tout prix), j’insiste de manière assez naïve et même infantile sur l’usage de matériaux vrais comme le cuivre et l’acier. Ce qui s’est compliqué au fil des années puisque j’essaie de maintenir un subtil équilibre entre ma crédibilité en tant qu’artiste et le prix du cuivre – qui monte malheureusement plus vite que ma crédibilité. Si j’utilise de la vidéo sur scène – ce qui n’est pas toujours ma propre volonté –, c’est surtout pour mettre en évidence cette machinerie du rêve et de l’absence, la rendre visible, tangible et douteuse. On pourrait la comparer avec un tour de magie : lisible mais extrêmement douteux à la fois. C’est en tant que construction que cette machinerie devient réelle et vraie, donc théâtrale (dans le sens où le théâtre est le lieu de la réalité).
23Cette prothèse construisant de la fiction m’a toujours attiré, séduit et révulsé en même temps. Je lis l’évolution de l’humanité comme un mouvement migratoire vers la disparition dans le virtuel, une marche vers l’absence, un voyage vers les anges – des êtres fondamentalement virtuels. Nos jouets électroniques sont des machines d’absence, les prothèses d’une réalité dont nous voulons nous débarrasser.
Organiser des absences théâtrales
24Pour la mise en scène et scénographie de mes propres performances, je me concentre sur des coupures nettes de la réalité, c’est-à-dire que je remplace les attributs constitutifs de la présence vivante par des prothèses. D’une part, pour montrer leur beauté, leur pouvoir de séduction et leur rapidité par rapport à l’inertie du réel vécu. D’autre part, pour montrer ouvertement les dangers qu’ils comportent – assez morbides, même mortels d’après moi.
25Dans Kwartet de Heiner Müller [4] et de manière assez semblable dans ma mise en scène du poème The Waste Land de T.S. Eliot [5], j’ai supprimé les vraies voix des jeunes acteurs et les ai remplacées par les voix préenregistrées d’actrices plus âgées de vingt ans. Un ordinateur a morcelé cet enregistrement en plus de mille quatre cents fragments (un fragment pouvant comporter quelques mots, une phrase entière ou seulement un bruit de souffle) à partir desquels, en studio, j’ai reconstruit une version soi-disant parfaite du texte (en coupant parfois dans cinq enregistrements différents pour obtenir une seule phrase). Cette version ultime était contrôlée par les jeunes acteurs. Flottant sur une plaque en plexi disposée au-dessus des spectateurs allongés au sol, les acteurs qui jouaient donc en playback pouvaient, d’une seule pression des doigts sur la souris de l’ordinateur, contrôler le démarrage de chaque fragment de texte et donc le rythme de son déroulement. Entre eux étaient disposées dos à dos deux caméras qu’ils manipulaient eux-mêmes et qui étaient connectées à quatre projecteurs. Il n’y avait aucune intervention technique de l’extérieur. À l’exception de leurs voix, les acteurs avaient le contrôle total du spectacle. (Remarquez ici aussi que mon obsession pour les mécanismes de pouvoir apparaît comme un fil rouge à travers mes spectacles.) Le spectacle fut repris à Vienne, en version allemande, avec les mêmes acteurs qui ne connaissaient pas l’allemand : ils ont appris le texte allemand phonétiquement pour pouvoir réaliser le playback.
26En néerlandais comme en allemand, le préenregistrement des voix eut des conséquences assez imprévues. Nombre de spectateurs n’ont pas compris que les acteurs ne parlaient pas vraiment. Ils sentaient qu’il y avait quelque chose d’étrange qu’ils attribuaient souvent à la technologie. Et même moi, en tant que metteur en scène, je persistais souvent à faire des remarques aux acteurs à propos de leur prononciation du texte, oubliant que celui-ci était préenregistré. L’être humain n’est vraiment pas fait pour distinguer la différence entre la réalité et sa prothèse. Et même lorsqu’on lui montre clairement les ruptures de réalité et le dispositif technique utilisé pour les réaliser, il a tendance à oublier, supprimer cela. Il se plonge naïvement dans une réalité vécue comme live.
27Étrangement, la longueur de deux représentations construites sur le préenregistrement du texte variait de la même manière qu’entre deux représentations d’un spectacle live : la durée, ainsi que l’émotion qui se dégageait, changeaient assez fortement d’un soir à l’autre.
En noyant les anges
28Ces dernières années, j’ai poursuivi mes travaux sur les possibilités expressives de la prothèse au théâtre. Comment remplacer l’entièreté de l’acteur vivant par une apparition virtuelle sans détruire les qualités du théâtre ?
29Dans L’Intruse de Maurice Maeterlinck, La Servante est le seul personnage à venir de l’extérieur. Immédiatement, elle fait l’objet d’une question du Père sur son existence : « Où êtes-vous ? ». Dans la mise en scène que j’ai faite de la pièce [6], j’ai virtualisé ce personnage. La Servante est devenue une projection, un fantôme qui insiste dans sa réplique sur sa « présence » extrêmement simple : « Mais Monsieur, je suis à trois pas de la porte ! ».
30Cette recherche – que l’on peut suivre sur le site www.thevirtualbody.org – s’est poursuivie dans la performance Illbegone (« Jeseraiparti ») [7], où tous les acteurs ont été remplacés graduellement par leur prothèse, leur fantôme, leur ange, à l’insu de la plupart des spectateurs. Pour en finir avec ma dernière performance, Illbeback [8] (« Jereviendrai »), où le personnage du treizième ange – l’ange déchu – est noyé virtuellement.
Pourquoi pas ?
31Il y a certainement une position romantique, nostalgique et discutable dans mon travail. Pourquoi cette attitude subversive – et même de refus – vis-à-vis des technologies de communication ? Quand je regarde les jeunes artistes autour de moi qui interagissent d’une manière tout à fait naturelle – au moins en apparence – avec tous les médias disponibles, je me demande si un médium sans médium, comme le théâtre, recouvre encore une nécessité, une raison d’être. Pourquoi ne pas s’abandonner à la vitesse des technologies ? Peut-être parce que cette vitesse domine déjà tellement notre vie de tous les jours ? Parce que la lenteur réelle est devenue un risque d’extinction ? Parce que l’on devient de plus en plus isolé sous l’avalanche des communications à distance ? Parce que le public collectif, dans sa capacité à se taire pendant plus d’une heure et à applaudir ensemble à la fin de la représentation, est devenu quelque chose de très rare, de précieux, d’anachronique même ? Parce que quoi que nous fassions, nous restons collés à la lenteur de la gravité de la terre et non à la vitesse des anges ? Ou parce que j’aime l’odeur des cochons ? Pourquoi pas ?
Notes
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[1]
Avec mes remerciements à Véronique Lemaire pour l’aide à la traduction française.
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[2]
C(h)œurs, conçu et mis en scène par Alain Platel, création mondiale au Teatro Real de Madrid, mars 2012.
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[3]
Paul Virilio, Vitesse et Politique : essai de dromologie, Paris, Galilée, 1977.
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[4]
Kwartet (Quartett) de Heiner Müller, mis en scène et scénographié par Peter Missotten, une coproduction du Toneelhuis d’Anvers et du Schauspielhaus de Vienne, octobre 2006.
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[5]
The Waste Land (La Terre vaine) de T.S. Eliot, mis en scène et scénographié par Peter Missotten, une coproduction du Toneelhuis d’Anvers et de la Filmfabriek, septembre 2007.
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[6]
De Indringer (L’Intruse) de Maurice Maeterlinck, mis en scène et scénographié par Peter Missotten, coproduction de la Filmfabriek et du Toneelhuis d’Anvers, mars 2010.
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[7]
Illbegone, conçu, mis en scène et scénographié par Peter Missotten, coproduction de la Toneel-academie de Maastricht en collaboration avec le SIA RAAK et The Department of Contemporary Arts at Manchester Metropolitan University. Prix de la meilleure pièce théâtrale étrangère au ITS festival Amsterdam, juin 2010.
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[8]
Illbeback, conçu, mis en scène et scénographié par Peter Missotten, coproduction de la Toneelacademie de Maastricht en collaboration avec le SIA RAAK, décembre 2011.