Notes
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[1]
Les PNR (pôles nationaux de ressources qui ont été officiellement créés par la circulaire interministérielle du 22/4/2002) reposent sur le partenariat entre une structure culturelle, un institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) et un centre régional de documentation pédagogique (CRDP). Ils ont trois missions principales : la formation, la documentation et l’animation d’un réseau de personnes ressources.
-
[2]
François Bon, après des études d’ingénieur et plusieurs années passées dans l’industrie aérospatiale et nucléaire, publie son premier livre aux éditions de Minuit en 1982 (Sortie d’usine) et se consacre depuis lors à la littérature.
Parallèlement à son activité d’écrivain (romans, essais, théâtre), il mène une recherche continue dans le domaine des ateliers d’écriture et collabore régulièrement depuis 1996 avec le Centre dramatique national de Nancy. Pour une information complète sur l’auteur, il est possible de consulter son site : www.remue.net. -
[3]
Écrivains associés du théâtre : association qui favorise la création d’œuvres d’écrivains de théâtre vivants de langue française.
-
[4]
Marguerite Duras, Écrire, Paris, Gallimard, 1993, p. 21.
-
[5]
Antoine Vitez, Écrits sur le théâtre, I, L’École, Paris, P.O.L, 1994, p. 11.
-
[6]
Enzo Cormann, À quoi sert le théâtre ?, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2003, p. 39.
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[7]
Enzo Cormann, op. cit., p. 70.
-
[8]
Deux sites sont consultables sur cette expérience :
http://expositions.bnf.fr/lamer/ecrire et http://actu.remue.net/atelierMer.html.
« L’art est pour soi et ne l’est pas : il manque son autonomie sans ce qui lui est hétérogène. »
1L’expérience dont je rendrai compte se définit dans le cadre d’une formation de formateurs proposée conjointement par l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres et le Rectorat de Versailles au cours de l’année 2003-2004. Se situant dans un paysage d’offres de formation relativement sinistré, après les espoirs suscités par le plan du développement des arts à l’école proposé par Jack Lang en 2000, cette initiative est suffisamment remarquable pour qu’elle retienne notre attention et mérite une analyse.
Que reste-t-il de la formation artistique des enseignants ?
2Alors que la formation des enseignants avait été pointée comme une des composantes essentielles du dispositif permettant l’extension de l’éducation artistique à l’école, l’abandon, après les deux premières années, du plan de développement des arts à l’école s’est fait sentir tant en formation initiale que continue.
3En formation initiale, où les stagiaires n’ont qu’une année de formation, seuls les modules « corps et voix » empruntent aux techniques du théâtre et du chant de quoi forger les outils professionnels du futur enseignant.
4Par ailleurs, une journée de formation au partenariat artistique et culturel est enfin intégrée au plan de formation ; elle permet que se croisent, mais de façon assez superficielle, futurs enseignants, structures culturelles et équipes de création de proximité. En effet, les noyaux de résistance à un projet artistique plus développé dans le temps ou dans sa singularité sont nombreux, dans la mesure où l’essentiel de la formation est conçu en termes de réponse immédiate à des besoins clairement identifiés pour l’apprentissage du « socle » des disciplines « fondamentales ». Et l’art comme l’éducation physique et sportive en sont exclus.
5En formation continue, les coupes budgétaires, le gel de certaines opérations innovantes, les réaffectations de crédits à d’autres priorités comme l’illettrisme, l’informatique ou les nouvelles technologies ont considérablement réduit les propositions de stages artistiques faites par les rectorats, les actions d’information ou d’accompagnement offertes par les pôles nationaux de ressources [1], ainsi que le travail de recherche qui rassemblait professionnels, universitaires et enseignants dans les universités d’été.
L’atelier d’écriture de François Bon
6Quelles sont les conditions de l’expérience de la formation de formateurs avec François Bon [2] ?
- un cadre : le Théâtre du Rond-Point à Paris. Selon les semaines, les stagiaires travaillent tantôt dans la grande salle de spectacle, face au décor qui accueillera le soir Philippe Caubère ou Jean-Claude Grumberg, tantôt dans la salle Topor ou dans les combles ; au bar, ils peuvent croiser les acteurs en répétition pour le « Festival Dubillard » ou côtoyer le comité de travail des EAT [3] en pleine discussion. Le théâtre est une ruche où planent encore les ombres bienveillantes de Jean-Louis Barrault, Madeleine Renaud ou Marguerite Duras.
- un temps : vingt-quatre séances de trois heures chaque mardi après-midi, soit environ huit séances par trimestre. De façon hebdomadaire, chaque stagiaire vient participer à une sorte de rituel qui se déroule de façon ternaire : écouter, écrire, écouter. Voir aussi, puisqu’il est question de scène. Des mots, des voix, leur grain, leur tremblement, leur trajet dans l’espace, leur cible.
- un groupe : vingt enseignants, soit dix professeurs de collèges et lycées et dix formateurs de formateurs travaillant en IUFM. La majorité sont des enseignants de lettres ; plusieurs ont la responsabilité d’une option théâtre lourde ou légère, mais il y a aussi un professeur de mathématiques et des enseignants d’arts plastiques. Tous sont dans une double posture, à la fois professeurs aux vifs échanges, aux prises de position tranchées, mais aussi apprentis timides ou audacieux, exposant, dans la fragilité leurs mots, leur voix, leur présence même sur une scène de théâtre. Vingt personnes réunies pour expérimenter le travail de l’écriture et les réflexions qu’elle suscite : « Je ne trouverai jamais pourquoi on écrit et comment on n’écrit pas » [4].
- un écrivain, François Bon, dont les publications récentes sont : Daewoo, son dernier roman (2004), Rolling Stones, une biographie (2002), Quatre avec le mort, théâtre (2002). Il publie aussi en 2000 Tous les mots sont adultes, méthode pour l’atelier d’écriture. Il joue ici le rôle de passeur, pour ouvrir les livres autrement, ôter la gangue, redécouvrir ce qui a présidé au choix de plusieurs enseignants présents à ce stage : la certitude que la littérature touche à l’essentiel.
7L’Éducation nationale offre donc un atelier qui met les enseignants à l’épreuve du faire. Ce stage n’est pas une « expérience privée », que parfois certains s’autorisent d’eux-mêmes hors temps scolaire ; c’est une invitation explicite à une formation professionnelle.
8La créativité personnelle peut-elle se transmettre dans une créativité professionnelle ? La dimension artistique n’est-elle pas trop éloignée de la réalité quotidienne de l’enseignement ? Comment faire que la formation des enseignants ne se fasse pas au détriment de l’art (théâtre ou/et écriture) en aboutissant à la création d’un modèle artistique purement scolaire ? Ces interrogations vont se décliner autour de trois polarités nées de l’analyse de ma propre expérience. En effet, j’ai participé de façon active à cet atelier. Par ailleurs, j’ai pu enrichir ma réflexion par la lecture attentive des bilans de mes collègues, qui répondaient au besoin légitime d’évaluation de l’expérience par les autorités qui finançaient la formation. La demande portait moins sur l’expérience artistique que sur une mise à distance réflexive visant à analyser l’apport professionnel et le réinvestissement possible en pédagogie, demande difficile à satisfaire dans le temps simultané où se déroulait la fin de l’activité de création artistique, mais ayant donné lieu à des témoignages denses et riches encore du vécu des participants.
La notion de temps dans la formation
9Tout d’abord, c’est une action qui s’installe dans la durée, ce qui mérite d’être souligné dans le « zapping » perpétuel des formations auquel nous sommes soumis et que nous dispensons. « Construire une relation, c’est d’abord donner du temps », dit Marie-José Mondzain. La régularité des séances, leur échelonnement dans le temps, leur répétition ritualisée induit une expérience concrète qui met en jeu plus qu’une évolution, une transformation de chaque participant. En effet, la proposition d’écriture qui est au départ une induction « extérieure » devient progressivement un enjeu de plus en plus personnel, jusqu’à devenir en fin de parcours une urgence « intérieure », qui fait que chacun va trouver la forme de ce qu’il a à dire, le style de sa propre histoire. Le passage de l’essai hebdomadaire sur une proposition chaque fois différente à une écriture longue travaillée sur quatre ou cinq séances avec sa propre dynamique, ses résistances, ses avancées et ses reprises transforme « l’exercice » en une « prise de risque » individuelle, un trajet personnel où chacun est libre d’engager ce qu’il veut, de s’engager aussi loin qu’il veut. Néanmoins, il ne s’agit à aucun moment de parler de soi en direct, mais toujours d’envisager le passage à l’écriture comme une mise en jeu de formes permettant d’entrer dans la fiction.
10Nous sommes ici dans une durée qui sort du temps modulaire très court de la majorité des dispositifs (entre trois et dix-huit heures), qui répond souvent à une demande en attente de savoir-faire immédiatement reproductibles. Mais cette expérience sur la durée montre qu’on ne peut pas réduire le temps de la formation au seul temps de la réception ou de la consommation de la formation. Il y a le temps de l’invisible, le temps où l’on reste en contact avec sa temporalité intime, le temps où les trois heures quantifiables de la formation cheminent en vous. Et nous touchons là le temps de la singularité de l’expérience temporelle en art, qui est contraire aux planifications, aux prévisions instituées, à l’hypothèse du tout visible.
L’artiste-pédagogue
11Nous avons donc travaillé l’écriture dans un atelier de pratiques artistiques et, qui plus est, non pas dirigé – selon le dogme partenarial en vigueur dans l’Éducation nationale française – par un binôme enseignant/artiste, mais par un artiste-pédagogue à lui tout seul. Ce constat mérite une double réflexion.
12L’exemple de François Bon en tant qu’« artiste-pédagogue » n’est pas unique. Si nous nous tournons vers le théâtre, nous rencontrons des personnes comme Antoine Vitez, Louis Jouvet, Peter Brook. Ils ont fait école, ils ont formé des gens, ils ont laissé des textes théoriques, tout en induisant l’artistique au sein du pédagogique. Bernard Dort écrit dans la préface des Écrits sur le théâtre, I : « Antoine Vitez a été un marginal du théâtre […] Sa marginalité singulière tient à ce qu’il a été avant tout un pédagogue » [5], et la réflexion pédagogique sera le noyau actif de son œuvre. En soulignant la « marginalité » d’Antoine Vitez, Bernard Dort, qui fut lui aussi un grand pédagogue, insiste sur la liaison toujours problématique entre l’art et la mise à distance qui accompagne sa transmission.
13L’« école » d’Antoine Vitez, le travail de Jacques Lecoq, les ateliers de François Bon permettent d’envisager un travail d’exercices purement pratiques et « une élévation du travail sur le sens », dimension qui manque souvent à l’intérieur du dispositif scolaire. C’est une posture d’exigence, qui confronte chaque proposition artistique à une pensée critique construite et non à l’autosatisfaction narcissique, ou à la fascination pour le monde de l’art qui hypnotise souvent le monde scolaire ; ce dernier ne fonctionne plus alors que sur le mode de l’adhésion. Or précisément l’école est un lieu où le jugement esthétique peut échapper au poids dominant de la notoriété médiatique ou de la rentabilité économique et sociale.
14Dans l’expérience de l’atelier de François Bon, ce que j’ai découvert et qui me paraît essentiel, c’est l’état d’esprit d’écriture artistique. Qu’est-ce à dire ? En aucun cas, au cours du travail, nous n’avons été amenés à appliquer un procédé, une technique, une recette. Chaque fois, nous étions devant une énigme à résoudre, un secret à percer. Nous ne pouvons pas dire que François Bon nous introduisait dans sa petite fabrique d’écriture à lui, puisque à chaque fois, il travaillait à partir d’un écrivain différent (Beckett, Artaud, Jabès, Borges, Koltès, Kafka,…). Et pourtant, ce qu’il essayait de nous transmettre, c’était la résonance qu’avait eue l’écriture de tel ou tel écrivain en lui, comment sa propre écriture à lui, François Bon, avait été traversée à un moment donné par celle d’un autre. Et ce qu’il nous demandait dans ses propositions, c’était de faire en sorte que notre écriture devienne « poreuse » à celle d’un écrivain, qu’une transfusion s’opère de manière imprévisible et imprévue, une sorte de « contamination » essentielle qui insuffle une autre vitalité à nos mots, au rythme de notre syntaxe, à la construction ou à la déconstruction de nos phrases, à leur cadence ou à leur danse. C’était comme s’il nous branchait en réseau sur l’écriture d’un autre ; mais ce branchement, c’est lui qui l’opérait, en choisissant tuyaux et connections, dans un enchevêtrement de nombreux fils que chacun pouvait tirer à sa guise.
15J’essaie de décrire ainsi ce que j’appelle une démarche artistique avec un double « pontage », un pontage à la source, je veux dire une induction à partir d’une écriture littéraire particulière (ce qui est assez fréquent dans plusieurs démarches d’ateliers d’écriture), et un pontage sur une personne impliquée elle-même, peut-être d’abord en tant que lecteur passionné d’écritures multiples, et qui nous introduit, sans le dire explicitement, au cœur de ses préoccupations et de ses interrogations personnelles.
16C’est en cela que cette démarche est originale et paradoxalement peut sembler assez étrangère aux démarches attendues par l’école, car elle met en jeu l’incertain, le « tremblé », l’aléatoire et le pluriel, concepts qui sont difficilement évaluables, quantifiables et, par conséquent, acceptables par l’école. Mais justement ce sont ces expériences véhiculées par une pratique artistique, dans le hors-champ des apprentissages proprement dits qui, loin d’être irréductibles à l’enseignement, peuvent lui être salutaires et le dynamiser, apportant une expérience esthétique, psychique, intellectuelle, dans le champ didactique qui fonde l’institution scolaire.
Une démarche à trois temps : un appel à la re-singularisation
17Le déroulement d’une séance avec François Bon est ternaire, une valse lente où, sur trois heures d’atelier d’écriture, les deux tiers se passent dans l’oralité.
18Le premier temps est celui de la parole de François Bon. Il nous « branche » pour nous faire entrer en écriture. Pour cela, il convoque, pêle-mêle, l’extrême contemporain, la rencontre avec la langue, l’autobiographie des auteurs annoncés, des souvenirs personnels, des fragments de textes qu’il nous lit. Il nous livre du matériau en vrac. Il ouvre devant nous un champ d’exploration, de fouilles, où la reproduction est impossible, où l’inconnu et la conquête de formes neuves sont l’enjeu. Les stagiaires que nous sommes ne peuvent percevoir qu’un remuement, une ligne d’induction floue, avec ses vertiges et ses zones d’ombre destinées à nous mettre en mouvement. François Bon parle, se parle, nous parle, nous lit, dans un acte de « suggestion orale » jusqu’à l’épuisement de l’écoute qui nous oblige à passer à l’acte. Cette prise de parole n’appartient qu’à François Bon et ne peut être reproduite à l’identique. C’est dans ce premier temps que se manifeste ce qu’a d’unique et d’irréductible la parole de l’artiste.
19Le deuxième temps est celui de l’écriture solitaire, du recueillement, du doute devant l’interprétation d’une consigne qui n’a jamais été vraiment formulée, mais qu’on voudrait se donner à soi-même. À l’opposé d’une exhibition rassurante de ses protocoles d’écriture, François Bon sollicite chez chacun une posture singulière. Chaque stagiaire part à la découverte de son style, de son intensité, de ses espaces jubilatoires, en cherchant ce que la proposition de François Bon peut avoir de vivant pour lui. « La seule posture susceptible de créer, avec l’élève et la matière enseignée, de la vie, est de réapprendre cette position d’improvisation, de danger et de don qui nécessite beaucoup d’investissement dans la pratique de la lecture et de l’écriture », note une de mes collègues. Une autre souligne que la littérature « cesse d’être une théorie pour devenir une expérience ». Il ne s’agit plus de discours, mais d’essais, où l’on « éprouve soi-même ce qui se passe quand on écrit, quand on lit ». Il faut accepter de quitter les références à la littérature « monument », les citations « mausolées », les grilles, et de passer par un vide nécessaire pour que s’écrivent « les agencements singuliers qui nous énoncent et font de nous ce que nous sommes et non ce que nous devrions être » [6]. « Trop de métier, trop (ou trop peu) de savoir, trop de Sorbonne, trop d’usure. Trop nous éloigne », écrit une de mes collègues.
20Le troisième temps est celui de la lecture à voix haute devant les autres stagiaires. Passage de l’expérience intime de l’acte d’écriture à la profération devant le collectif. Le corps du texte en jeu ? Le corps de l’écrivant qui se donne à lire à travers le texte ? La pulsation de l’écriture qui se donne à entendre par la voix du lecteur ? Le « plaisir du texte » mis en partage ? Passage de l’écrire au lire, à l’écoute. « Écrire, lire et jouer, c’est tout un : un même geste collectif, territorial. Territoire de la parole et des corps parlants, territoire de la pensée incarnée, de la quête… À nous de l’habiter, de le cultiver, d’en repousser les limites » [7]. Ce moment est toujours chargé d’intensité, d’émotion, d’effroi parfois, dû à des instants d’appréciation ou de dépréciation de soi-même. Donner à entendre le surgissement du texte, le lieu d’où il résonne, les voix de l’écriture : le lecteur ne se trouve plus coupé du processus d’écriture. Il l’éprouve à travers un corps physique et musculaire, à travers le souffle et la respiration. Les textes s’égrènent dans un ordre aléatoire, selon une désignation libre ou imposée. Une sorte de théâtralité minimaliste s’instaure entre celui qui lit et ceux qui écoutent. Le mouvement qu’imprime l’acteur au texte le tire du passé de l’écriture pour le projeter sur la scène du présent. L’artisan acteur fait alors du présent comme l’artisan boulanger fait du pain, dans le concret du geste.
21Nous sommes souvent sidérés par la diversité des textes, les réalisations plurielles de la proposition initiale. Rarement il est possible d’entendre tous les textes en une heure. Mais dans la semaine suivante, nous pouvons en lire la totalité sur le site internet de François Bon.
De la nécessité d’une formation de haut niveau
22Il est toujours délicat de clarifier les bienfaits d’une formation artistique, sans se référer à des critères « instrumentalisants » chers à l’école ou à des critères purement hédonistes, faisant le jeu des détracteurs de la dépense improductive que serait l’art.
23Pourtant, un certain nombre de réflexions de mes collègues permettent de dégager des points de vue communs : l’accès à la littérature ne passe pas forcément par l’analyse intellectuelle des textes. Le parcours de formation a permis de dégager une sensibilité vivante à l’acte d’écrire et la certitude que l’intimité avec les œuvres se nourrit d’une pratique, qu’elle soit de l’ordre du théâtre ou de l’écriture, associée à un questionnement et une réflexion. En invitant à reconsidérer l’ensemble des certitudes affichées, des habitudes, des ressassements derrière lesquels chacun se retranche, le travail proposé ne met pas dans la dépendance d’un modèle, mais dans l’élan d’une liberté.
24Certains enseignants soulignent que l’atelier a produit un déplacement dans leur questionnement sur l’écriture et par conséquent sur l’enseignement du français. « Être préoccupé par la création, c’est se déplacer d’une posture d’enseignant extérieure à la matière qu’il enseigne à une posture d’engagement, d’appropriation par l’intérieur. » Paradoxalement, en travaillant une démarche créatrice pour elle-même, l’enseignant transforme son regard non seulement sur la discipline artistique, mais aussi sur les apprentissages fondamentaux. Il découvre l’importance de la sollicitation des sens et de la sensibilité dans le développement de l’intelligence et de la compréhension.
25Plusieurs enseignants se demandent quelle légitimité ils ont à transmettre, et que transmettre : un art ? une démarche créatrice ? « Réinvestir n’est pas reproduire, reprendre tel ou tel exercice, mais construire pour l’élève une démarche comparable » et les conditions d’un rapport personnel et intuitif à ce qu’il apprend.
26Le recul de l’année 2004-2005 montre que certains enseignants ont engagé leurs élèves dans un travail d’écriture en ligne, proposé par François Bon en liaison avec la Bibliothèque Nationale de France à partir de la grande exposition sur le thème de la mer [8]. D’autres ont mis en place des projets en partenariat avec d’autres artistes, écrivains ou hommes de théâtre.
27Dans tous les cas, ces enseignants formés aux pratiques contemporaines sur la durée d’une année se révèlent plus compétents et plus impliqués pour instaurer la dimension artistique dans le processus de développement de l’élève et pour mettre en place des situations qui font surgir des questionnements féconds à partir de la rencontre avec des œuvres et des artistes.
28Nous affirmons ici l’importance de la formation des enseignants pour l’entrée de la création artistique vivante à l’école, non comme produit de consommation culturelle, mais comme véritable projet de coopération entre l’artiste, l’enseignant et les élèves, mené dans l’invisible de la durée et créant un espace de résistance et d’échange qui est au centre de l’expérience. Lors du travail, la position de chacun, artiste, élève, enseignant, se modifie par glissements permanents et chacun entre dans une dynamique de transformation réciproque.
29En visitant le terrain de l’école, le théâtre, comme l’écriture, se déplace et ainsi se déprend lui aussi de ses propres repères. La rencontre de l’art et de l’école permet d’inventer un espace médian où chacun s’enrichit du chemin qu’il a fait vers l’autre, sans perdre de vue qu’ils poursuivent pourtant des objectifs différents.
Notes
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[1]
Les PNR (pôles nationaux de ressources qui ont été officiellement créés par la circulaire interministérielle du 22/4/2002) reposent sur le partenariat entre une structure culturelle, un institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) et un centre régional de documentation pédagogique (CRDP). Ils ont trois missions principales : la formation, la documentation et l’animation d’un réseau de personnes ressources.
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[2]
François Bon, après des études d’ingénieur et plusieurs années passées dans l’industrie aérospatiale et nucléaire, publie son premier livre aux éditions de Minuit en 1982 (Sortie d’usine) et se consacre depuis lors à la littérature.
Parallèlement à son activité d’écrivain (romans, essais, théâtre), il mène une recherche continue dans le domaine des ateliers d’écriture et collabore régulièrement depuis 1996 avec le Centre dramatique national de Nancy. Pour une information complète sur l’auteur, il est possible de consulter son site : www.remue.net. -
[3]
Écrivains associés du théâtre : association qui favorise la création d’œuvres d’écrivains de théâtre vivants de langue française.
-
[4]
Marguerite Duras, Écrire, Paris, Gallimard, 1993, p. 21.
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[5]
Antoine Vitez, Écrits sur le théâtre, I, L’École, Paris, P.O.L, 1994, p. 11.
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[6]
Enzo Cormann, À quoi sert le théâtre ?, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2003, p. 39.
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[7]
Enzo Cormann, op. cit., p. 70.
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[8]
Deux sites sont consultables sur cette expérience :
http://expositions.bnf.fr/lamer/ecrire et http://actu.remue.net/atelierMer.html.