Notes
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[1]
Ce qui suit, cherchant à répondre à la problématique choisie par les coordinateurs de ce numéro, Raymond Dartevelle et Mélanie Fabre, se fonde sur Hannelore Schlaffer, Die intellektuelle Ehe. Der plan vom Leben als Paar, Munich, Hanser, 2011. À partir de là, nous élaborons un cadre de référence pour analyser le couple formé par Max et Marianne Weber. Cette étude de cas repose sur deux enquêtes publiées dans le cadre de notre participation à une édition historico-critique des œuvres de Max Weber, amendées et complétées pour le présent numéro spécial de la revue Les Études sociales : Ingrid Gilcher-Holtey, « Max Weber und die Frauen », in Jürgen Kocka, Christian Gneuss (dir.), Max Weber. Ein Symposium, Munich, dtv, 1988, p. 142-154, et id., « Modelle ‘moderner’ Weiblichkeit. Diskussionen im akademischen Milieu Heidelbergs um 1900 », in M. Rainer Lepsius (dir.), Bildungsbürgertum im 19. Jahrhundert, Teil 3 : Lebensführung und ständische Vergesellschaftung, Stuttgart, Klett/Cotta, 1992, p. 176-205.
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[2]
H. Schlaffer, Die intellektuelle Ehe, op. cit., p. 9. Toutes les citations d’ouvrages en langue allemande ont été traduites en français par Marianne Floc’h.
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[3]
Ibid.
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[4]
L’objectif affiché par les coordinateurs consiste à analyser la liaison entre vie intime et vie publique en intégrant les individus dans leurs réseaux de sociabilité.
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[5]
H. Schlaffer, Die intellektuelle Ehe, op. cit., p. 8.
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[6]
Litt. « réforme de la vie », NdT.
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[7]
Marianne Weber, Max Weber. Ein Lebensbild, Tübingen, Mohr Siebeck, 1984 [1926], p. 188.
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[8]
Ibid., p. 188.
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[9]
Fondé en 1890, le Congrès évangélique-social réunissait des théologiens, des économistes, des juristes et des politiciens qui se proposaient de réfléchir du point de vue de la morale protestante à la question sociale qui se faisait jour dans le sillage de l’industrialisation.
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[10]
Lettre adressée par Max Weber à ses frères et sœurs en 1918, reproduite dans Eduard Baumgarten, Max Weber. Werk und Person, Tübingen, Mohr Siebeck, 1964, p. 629.
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[11]
Marianne Weber, Lebensbild, op. cit., p. 22.
-
[12]
Voir Michel Lallement, Tensions majeures. Max Weber, l’économie, l’érotisme, Paris, Gallimard, 2013.
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[13]
Marianne Weber, Lebensbild, op. cit., p. 188.
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[14]
Voir Max Weber, Wirtschaft und Gesellschaft. Grundriß der verstehenden Soziologie (1921), Tübingen, Mohr Siebeck, 1976 [1921], p. 307.
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[15]
Marianne Weber, Lebensbild, op. cit., p. 183.
-
[16]
Ibid., p. 216.
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[17]
En français dans le texte, NdT.
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[18]
Lettre de Max Weber à Marianne Weber, citée dans Marianne Weber, Lebensbild, op. cit., p. 198.
-
[19]
Ibid., p. 216.
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[20]
Ibid., p. 199.
-
[21]
Marianne Weber, Lebensbild, op. cit., p. 215.
-
[22]
Marianne Weber emploie ce terme de manière récurrente dans son livre Lebensbild, op. cit. Voir aussi Tilman Allert, « Max und Marianne Weber : Die Gefährtenehe », in Hubert Treiber, Karol Sauerland, Heidelberger Schnittpunkt intellektueller Kreise, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1995, p. 210-241 ainsi que H. Schlaffer, Die intellektuelle Ehe, op. cit., p. 28-71. L’un des biographes de Max Weber, Joachim Radkau, parle quant à lui d’« époux-camarades ». Voir Joachim Radkau, Max Weber. Die Leidenschaft des Denkens, Munich, Hanser, 2006, p. 77 et sq.
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[23]
Marianne Weber, Lebensbild, op. cit., p. 243.
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[24]
J. Radkau, Max Weber, op. cit., p. 254.
-
[25]
Ibid., p. 85.
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[26]
Voir B. Meurer, Marianne Weber, op. cit., p. 144, 145, 148.
-
[27]
Voir Peter Behringer, Gabriela Zejpert-Hassinger, 100 Jahre Mädchen-Gymnasium in Deutschland, Karlsruhe, Stadt Karlsruhe & G. Braun GmbH, 1993, p. 5.
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[28]
À la fin du xixe siècle, l’éducation est au cœur des revendications féministes en Allemagne. L’organisation « Études et formation des femmes », dont Marianne Weber a créé à Heidelberg une section locale, milite pour que soit dispensée aux filles et aux femmes une éducation leur permettant d’accéder aux professions exercées par les hommes, y compris aux plus prestigieuses. L’association milite notamment pour la création de lycées de filles dont les programmes d’enseignement soient identiques à ceux des lycées de garçons, ainsi que pour l’accès des bachelières à l’université. Une percée advient en 1893 au Bade, avec l’ouverture du premier lycée de filles (Gymnasium) d’Allemagne, à Karlsruhe. En 1899, des jeunes femmes obtiennent pour la première fois l’Abitur (équivalent allemand du baccalauréat), et avec lui l’autorisation d’entrer à l’université. Il faudra toutefois attendre la République de Weimar pour que le nombre de bachelières et d’étudiantes prenne un essor tangible dans toute l’Allemagne. Voir aussi B. Meurer, Marianne Weber, op. cit., p. 147.
-
[29]
Marianne Weber, « Fichte’s Sozialismus und sein Verhältnis zur Marxschen Doktrin » in Carl Johannes Fuchs, Gerhard Schulze-Gaevernitz, Max Weber (dir.), Volkswirtschaftliche Abhandlungen der Badischen Hochschulen, Tübingen, Mohr Siebeck, 1900, p. VI.
-
[30]
Ibid.
-
[31]
Voir aussi H. Schlaffer, Die intellektuelle Ehe, op. cit., p. 30 ainsi que l’introduction consacrée à Max Weber, in Gerd Krumeich, M. Rainer Lepsius (dir.), Max Weber. Briefe 1918-1920, vol. 1, Tübingen, Mohr Siebeck, 2012, p. 28.
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[32]
Voir I. Gilcher-Holtey, « Modelle ‘moderner’ Weiblichkeit », loc. cit., p. 33-39 Marianne Weber, « Die Beteiligung der Frau an der Wissenschaft » (1904), in Marianne Weber, Frauenfragen – Frauengedanken. Gesammelte Aufsätze, Tübingen, Mohr, 1919, p. 6 ; « Die Frau und die objektive Kultur » (1913), ibid., p. 114.
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[33]
Voir B. Meurer, Marianne Weber, op. cit., p. 246 et p. 269-270.
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[34]
Ibid., p. 246.
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[35]
Lettre de Marianne Weber à Hélène Weber du 20 janvier 1907, ibid., p. 247.
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[36]
Voir Emanuel Hurwitz, Otto Gross. Paradies-Sucher zwischen Freud und Jung, Zurich, Suhrkamp, 1979 ; Wolfgang Schwentker, « Leidenschaft als Lebensform. Erotik und Moral bei Max Weber und im Kreis um Otto Gross », in Wolfgang J. Mommsen, Wolfgang Schwentker (dir.), Max Weber und seine Zeitgenossen, Göttingen / Munich, Vandenhoek & Ruprecht, 1988, p. 661-681.
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[37]
Cité par Martin Green, Else und Frieda. Die Richthofen-Schwestern, Munich, 1980, p. 74.
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[38]
Ibid., p. 80 et 56.
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[39]
Ibid., p. 776.
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[40]
Marianne Weber, « Sexual-ethische Prinzipienfragen » (1907), in Marianne Weber, Frauenfragen, op. cit., p. 45.
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[41]
Marianne Weber, « Die Formkräfte des Geschlechtslebens » (1918), in Marianne Weber, Frauenfragen, op. cit., p. 220.
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[42]
M. Green, Else und Frieda, op. cit., p. 234.
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[43]
Max Weber, « Essai sur le sens de la ‘neutralité axiologique’ dans les sciences sociologiques et économiques », in Max Weber, Essais sur la théorie de la science, 1992 [1922], Paris, Plon, p. 389.
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[44]
Voir Eberhard Demm, Else Jaffé-von Richthofen. Erfülltes Leben zwischen Max und Alfred Weber, Düsseldorf, Droste, 2014, p. 16 et 21.
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[45]
Ibid., p. 21.
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[46]
Ibid., p. 86-87. Voir aussi Franziska zu Reventlow, Von Paul zu Pedro, in id., Sämtliche Werke, Briefe und Tagebücher, 1 : Romane, Oldenbourg, Igel-Verlag, 2004, p. 219-220.
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[47]
Voir Volker Weidermann, Träumer. Als die Dichter die Macht übernahmen, Cologne, Kiepenheur & Witsch, 2017, p. 76-77.
-
[48]
E. Demm, Else Jaffé-von Richthofen, op. cit., p. 160.
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[49]
Ibid., p. 160.
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[50]
Assemblée parlementaire, NdT.
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[51]
Sur les liens entre Marianne Weber et le Landtag, voir Isabelle Berrebi-Hoffmann, Michèle Dupré, Michel Lallement, Gwenaëlle Perrier, « Les formes de travail parlementaire. Une causerie », traduction et commentaire d’un texte de Marianne Weber (1919), Revue française de science politique, 2014, vol. 64, n° 3, p. 459-478.
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[52]
Lettre de Marianne Weber à Else Jaffé du 9 juin 1920, citée dans B. Meurer, Marianne Weber, op. cit., p. 417.
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[53]
Voir l’introduction consacrée à Max Weber in Briefe 1918-1920, op. cit., p. 18.
-
[54]
Max Weber, Sociologie des religions, Paris, Gallimard, 1996, p. 443.
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[55]
Lettre de Max Weber à Else Jaffé du 7 mars 1919, reproduite dans Briefe 1918-1920, vol. I, op. cit., p. 514.
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[56]
Lettre de Max Weber à Else Jaffé non datée, probablement antérieure au 14 janvier 1919, reproduite dans Briefe 1918-1920, vol. I, op. cit., p. 391.
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[57]
Voir J. Radkau, Max Weber, op. cit. ; H. Schlaffer, Die intellektuelle Ehe, op. cit., p. 40, 47 et 70.
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[58]
Voir E. Demm, Else Jaffé-von Richthofen, op. cit., p. 84-85.
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[59]
Martin Green, Else und Frieda. Die Richthofen-Schwestern, Reinbek bei Hamburg, Kindler, 1974, p. 14.
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[60]
Marianne Weber, « Sexual-ethische Prinzipienfragen » (1907), in Marianne Weber, Frauenfragen, op. cit., p. 38-51.
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[61]
Lettres de Max Weber à Else Jaffé des 8 et 9 octobre 1919, reproduites dans Briefe 1918-20, vol. II., op. cit., p. 810.
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[62]
Lettre de Max Weber à Else Jaffé du 10 août 1919, reproduite dans Briefe 1918-20, vol. II., op. cit., p. 714.
-
[63]
Ibid.
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[64]
Lettres de Max Weber à Else Jaffé des 8 et 9 octobre 1919, op. cit., p. 809-810.
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[65]
Lettre de Max Weber à Else Jaffé du 26 février 1920, reproduite dans Briefe 1918-1920, op. cit., vol. II, p. 928.
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[66]
Lettre de Max Weber à Marianne Weber du 14 mai 1920, reproduite dans Briefe 1918-1920, op. cit., vol. II, p. 1090.
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[67]
Lettre d’Else Jaffé à Alfred Weber, février 1920, reproduite dans J. Radkau, Max Weber, op. cit., p. 826.
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[68]
Lettre de Max Weber à Else Jaffé, fragment du 24 avril 1920, reproduit dans Briefe 1918-1920, op. cit., vol. II, p. 1030.
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[69]
Lettre de Max Weber à Mina Tobler du 30 avril 1920, reproduite dans Briefe 1918-1920, op. cit., vol. II, p. 1056.
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[70]
Les quatre enfants vivaient à l’Odenwald-Schule, une école réformée employant leur mère comme assistante du proviseur, dont elle était la maîtresse.
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[71]
Voir Pierre Bourdieu, Sozialer Raum und, Klassen. Leçon sur la Leçon. Zwei Vorlesungen, Francfort-sur-le-Main, 1985, p. 18-19 ; Was heißt sprechen ? Die Ökonomie des sprachlichen Tausches, Vienne, 1990, p. 131 ; Id., Das politische Feld. Zur Kritik der politischen Vernunft, Constance, 2001, p. 93 et sq.
1Comment vécurent Max et Marianne Weber ? Quelle était leur vision de la vie à deux ? Leur ménage de « compagnons-époux » constitue-t-il un modèle de couple fondé sur un lien intellectuel ? Les expressions « couple d’intellectuels » ou « union d’intellectuels » sont des concepts visant à analyser la remise en question du couple traditionnel et l’expérimentation de nouvelles formes de vie commune entre 1880 et les années 1920-1940 [1]. Ils regroupent et conceptualisent des projets ou visions modernes des relations de couple. Nous partons du principe qu’une union ne saurait être qualifiée d’« intellectuelle » au seul motif qu’au moins l’un de ses deux membres exerce une profession considérée comme telle. En revanche, il est décisif que « le choix du partenaire et du mode de vie commun corresponde à une vision personnelle, justifiable d’un point de vue rationnel » [2]. Ainsi, c’est la conception de la vie à deux qui structure la relation de couple et lui confère de la stabilité. Selon l’essayiste littéraire Hannelore Schlaffer, « l’union d’intellectuels se fonde sur la pensée, et non sur la loi ; elle perdure du fait de la volonté, et non de l’institution » [3].
2Par ailleurs, la relation de couple est qualifiée d’« intellectuelle » lorsque l’institution du mariage fait l’objet de critiques verbalisées par des membres de groupes éloquents, notamment des écrivains, des artistes et des érudits (hommes ou femmes) qui, dans leurs publications, discussions ou provocations, remettent en question des critères établis concernant la représentation des sexes et leurs différences, y compris certaines normes touchant à la sexualité. Enfin, le « couple d’intellectuels » peut caractériser des personnes qui utilisent leur capital culturel pour participer à la vie politique [4].
3L’« intellectualisation » du mariage est considérée comme un projet contemporain qui, né à la marge de la société, fut poursuivi au tournant du siècle par un nombre croissant de couples dans toute l’Europe [5]. Ses partisans incitèrent les femmes à s’émanciper socialement par l’éducation et l’acquisition de compétences, et exhortèrent les hommes non pas à entraver, mais à conforter ce processus intellectuel qui érodait leur position dominante au sein du couple traditionnel. Dans quelles conditions, avec quelles idées maîtresses et quels effets concrets le projet de couple d’intellectuels put-il prendre forme et se concrétiser ? Nous apporterons des éléments de réponse en analysant à titre d’exemple le couple formé par Max et Marianne Weber. Nous examinerons dans un premier temps leur projet de couple de « compagnons-époux » et l’influence de cette union sur leur engagement respectif dans le domaine scientifique. Nous nous pencherons ensuite sur les difficultés inhérentes à ce modèle durant l’éclosion du mouvement bohème de la Lebensreform [6] dans les milieux universitaires de Heidelberg, en 1907-1908. Enfin, nous dépeindrons les « compagnons-époux » dans le contexte de l’éros et de la révolution, de 1918 à 1920.
Les « compagnons-époux »
Haut monte le flot agité des passions et l’obscurité nous entoure. Quittons, ma généreuse camarade, les eaux calmes et résignées du port pour prendre le large où, dans le tourbillon des âmes, les hommes grandissent et s’affranchissent de l’éphémère. Mais, souviens-toi : le marin doit garder la tête et le cœur clairs quand la houle sous ses pieds se déchaîne. Nous ne devons pas nous abandonner inconsidérément à des états d’âme ténébreux et mystiques. Car, si l’émotion te gagne, il te faut la dompter, afin de te pouvoir diriger en toute lucidité [7].
5Ces lignes, qui semblent prôner le renoncement à toute passion, sont issues d’une missive dans laquelle Max Weber propose à sa cousine Marianne Schnitger de devenir son épouse. Le mariage noué par Max et Marianne Weber en octobre 1893 est empreint d’un sentiment réciproque de responsabilité morale. Cette union est encouragée par la mère de Max Weber, Hélène, qui considérait déjà Marianne comme sa fille bien avant qu’elle ne devienne sa bru. Si les deux femmes sont très proches, elles n’ont pas la même conception de la vie. Marianne, née en 1870, et Hélène, née en 1844, appartiennent à deux générations bien distinctes de femmes bourgeoises, et elles en incarnent parfaitement les influences culturelles respectives. Nous retracerons rapidement ces caractéristiques afin de cerner le modèle de couple des « compagnons-époux » Max et Marianne Weber, car elles sont au cœur de la structure de leur union. « J’aurais facilement pu devenir un autre homme », écrit Max à Hélène Weber en 1914, « si je n’avais pas réalisé autrefois la nature de ton existence, ardue en apparence, plaisante en réalité » [8]. Issue d’une famille de négociants huguenots, Hélène Weber fut élevée dans une tradition protestante française qui devait non pas se cantonner à une intériorité pieuse, mais s’exprimer chaque jour dans des réalisations concrètes. Ce principe sous-tendait la manière dont Hélène concevait son rôle de femme et de mère. Déjà accaparée par une famille nombreuse comprenant huit enfants (dont deux moururent en bas âge), elle assumait de multiples missions à l’extérieur de la famille. Elle s’engageait ainsi en faveur d’enfants défavorisés et de travailleuses enceintes, non pas en mots, mais en actes, en leur préparant des repas sur ses propres fourneaux. Elle organisait des collectes de vêtements dans des milieux bourgeois (ce qu’elle appelait sa « collection de chiffons ») et les distribuait, parfois après les avoir transformés, à des familles de nécessiteux. Elle impulsa la création d’un foyer pour jeunes prolétaires, d’une association de soins à domicile et d’une organisation caritative à Berlin-Charlottenbourg. Cet investissement pour les populations qui n’étaient pas en mesure de subvenir à leurs besoins était pour elle une évidence, voire davantage : c’était sa « vocation ».
6Plus Hélène s’épanouissait dans ses activités socio-politiques (dans les années 1890, elle soutint le Congrès évangélique-social [9]), plus son époux, Max Weber senior, lui opposait une résistance en tant que conseiller municipal de Berlin et député libéral-national à la Chambre des représentants de Prusse. Lui, qui n’était pas un patriarche notable, le devint au fil du temps, à mesure qu’Hélène Weber échappait à son autorité en se démarquant des représentations des femmes traditionnellement reléguées à la gestion domestique. Le clivage présent dès le départ entre la vision spirituelle chrétienne de la femme et l’humanisme éclairé de l’homme, typique de nombreux couples bourgeois de l’époque, s’accentua au point que ces systèmes de valeurs divergents entraînèrent l’émergence de modes de vie autonomes. À cet antagonisme s’ajoutaient des tensions nées de « sentiments différents quant aux plaisirs de la chair » [10]. Hélène avait été durablement marquée, à l’âge de 16 ans, par un cours d’histoire et de littérature antique durant lequel l’historien Georg Gottfried Gervinus, de près de 40 ans son aîné, avait tenté de la séduire. Toute sa vie, elle estima que les passions physiques étaient « avilissantes et entachées de culpabilité » [11]. Elle était convaincue que la communauté conjugale, pour avoir une raison d’être, devait s’appuyer sur un socle situé au-delà de la chair. Mais un tel socle resta absent de son mariage. Ses enfants, du moins ses fils aînés, percevaient le conflit opposant leurs parents. Face à ces deux modèles, ils prirent parti : Alfred, le cadet, opta pour l’hédonisme paternel, tandis que Max, l’aîné, se décida pour l’éthique du devoir de sa mère.
7À la fin de ses études, en 1886, Max Weber regagna le domicile parental de Berlin-Charlottenbourg pour effectuer son stage d’avocat. Après la liberté estudiantine, il dut se soumettre à nouveau à l’autorité paternelle. Il s’éleva contre ce joug, sans pour autant pouvoir s’y soustraire, faute d’indépendance financière. La situation de sa mère lui paraissait encore plus oppressante que la sienne. Pour la première fois, il prit véritablement conscience du conflit qu’elle vivait au sein de son couple. Cette expérience le conduisit plus tard à fustiger les structures patriarcales régissant les unions et les familles, et à s’engager pour l’émancipation des femmes et des épouses. Durant les années qui suivirent (Max Weber demeura dans la maison paternelle jusqu’à son trentième printemps), il soutint sa mère contre son père. Le conflit ouvert ne fut évité que de justesse. Max Weber réalisait l’attachement de sa mère à des valeurs religieuses, sans pour autant partager sa foi. « Dépourvu de tout talent pour la religion, selon ses propres dires, il hérita néanmoins de sa mère un sens aigu des responsabilités qu’il transposa dans toutes ses relations, y compris avec la gent féminine. Il adopta également ses exigences de maîtrise rationnelle et de sublimation des sentiments [12]. Tandis que son frère Alfred s’affranchissait dès l’école de ces préceptes pour s’adonner à un mode de vie sensuel et passionné, Max Weber luttait contre ses pulsions hédonistes. « À grand peine et avec un succès mitigé », il tentait, selon ses écrits, « de réfréner les passions élémentaires […] que la nature avait placées en [lui] » [13]. Ce refoulement violent des instincts primaires, du corps, de la sensualité correspondait, comme il l’analysa plus tard, au mode de vie d’un érudit pur et dur, issu d’une classe privilégiée, « associant son aspiration à la rédemption à une conception strictement intellectualiste du salut » [14]. Et il avait choisi cette « conduite de vie ».
8Durant la seconde moitié du xixe siècle, la tendance à la sécularisation philosophique gagne aussi les filles de la bourgeoisie culturelle (Bildungsbürgertum). Chez ces dernières, la religion est remplacée par la « foi » en l’éducation, qu’elles identifient comme un outil permettant de s’autodéterminer et de se forger une personnalité. Marianne Weber, fille de médecin et petite-fille d’un proviseur de lycée, en fait partie. Elle bénéficie d’une formation très diversifiée pour l’époque : d’abord scolarisée dans un lycée de filles à Lemgo, elle est ensuite envoyée à Hanovre, dans un pensionnat féminin exigeant et considéré comme « distingué ». Lorsqu’elle quitte l’école, à l’âge de 19 ans, elle est devenue selon ses propres écrits « une femme éminemment cultivée à tous points de vue » [15]. Elle nourrit le désir de continuer à se former. « La soif de dépasser la sphère du féminin pour intégrer l’universel [est] forte » [16]. Deux ans plus tard, elle se marie, sans pour autant renoncer à ses ambitions. Malgré les recommandations de Max Weber qui, avant leur union, lui a conseillé de se consacrer aux tâches domestiques, afin d’avoir un domaine de travail réservé, indépendant du sien – une « pièce de résistance » [17], un espace « dans lequel [il] ne puisse pas entrer en compétition avec [elle] comme dans celui de la pensée » [18], elle développe « son besoin de réfléchir au sens de l’existence et du monde » [19]. Max Weber soutient son projet. Cependant, persuadé qu’il n’est « souhaitable » à personne « de confondre la satisfaction d’un appétit de connaissance avec la véritable substance de la vie et ‘ce qui confère à l’être humain son humanité’ » [20], il oriente les centres d’intérêt de Marianne vers un domaine d’activité pratique : le mouvement féministe.
9À Fribourg-en-Brisgau, la femme du nouveau professeur – Max Weber a accepté en 1894 une chaire d’économie politique à l’université de la ville – et sa curiosité scientifique font sensation. « En surface, les époux mènent une vie tout à fait conforme aux conventions de leur milieu », selon Marianne Weber. « Cependant, ils semblent ‘différents’. Leur vision de la société et des rapports entre les sexes n’est pas encore familière à leur environnement » [21]. Mais cela va plus loin. Les murs du logement conjugal sont ornés de gravures de Max Klinger que Max Weber a acquises et offertes à son épouse peu après leur mariage. Les visiteurs sont choqués par ces silhouettes largement dénudées et par leur symbolique sensuelle et érotique. Lorsqu’Hélène Weber rend visite aux époux à Fribourg, elle leur recommande instamment de décrocher ces œuvres. Les gravures restent, mais le rêve que nourrissait sans doute Max Weber en les achetant ne se réalise pas. Dans sa première lettre, il avait qualifié Marianne de « généreuse camarade », et c’est ce qu’elle demeurera pour lui. Ni sensualité, ni érotisme ne s’épanouiront au sein du couple ; la sexualité sera sublimée et transformée en connivence intellectuelle. Faute de lien charnel avec son épouse, Max Weber réduit la relation aux femmes à une question abstraite. Il prône résolument l’égalité entre les sexes et subordonne la sensualité à l’objectivité de la morale, tout en se languissant d’un érotisme débridé. Rationnellement, il se résigne à son sort, et Marianne Weber accepte elle aussi que leur union repose sur « des points communs situés au-delà de la sexualité ». Tous deux deviennent des « compagnons » [22] au service de valeurs rationnelles. Ils nourrissent leur existence de tâches et d’obligations choisies, en présumant parfois de leurs forces.
La science, profession et vocation
10En 1897, Max et Marianne Weber déménagent à Heidelberg, où ils se heurtent rapidement aux usages et aux structures de communication des milieux universitaires. Refusant de se plier à des convenances corporatistes surannées selon lesquelles à l’issue d’un dîner entre collègues, hommes et femmes doivent se retirer respectivement dans des fumoirs et des boudoirs séparés, ils décident de rompre avec cette forme de vie sociale. Dès le premier semestre, Marianne Weber fonde une « association pour la diffusion des idéaux féministes modernes », afin de défendre l’égalité des sexes non seulement dans la sphère privée, mais aussi dans la vie publique. Il s’agit de la section locale de l’association « Études et formation des femmes », créée et présidée par ses soins. Cette initiative fait sensation, car il existe déjà, à Heidelberg, une organisation représentant les intérêts des femmes. Promouvant des valeurs traditionnelles, elle est dirigée par un homme et placée sous le haut patronage de la grande-duchesse. L’association de Marianne Weber est très différente : ses membres ne pratiquent ni le tricot, ni les ventes de charité – elles discutent. Lors de ces « soirées-débats » également ouvertes aux hommes, ce sont des femmes qui prennent la parole pour exposer aux citoyens et citoyennes de Heidelberg les objectifs et méthodes de l’association, ainsi que l’évolution des mouvements féministes en Allemagne comme dans d’autres pays d’Europe.
11Max Weber est l’un des rares professeurs de l’époque à s’engager pour que l’université de Heidelberg accueille aussi des femmes. Avant que celle de Bade n’ouvre officiellement la voie, en 1900, il autorise des femmes à participer à ses séminaires et leur apporte son soutien. Sa première étudiante est Else von Richthofen, qui fréquentait déjà ses cours à Fribourg et s’est liée d’amitié avec Marianne Weber. Le couple la convainc de se consacrer à une indispensable mission sociale : se faire l’avocate des travailleuses. Max Weber l’aide à obtenir un poste au sein de l’inspection badoise des usines. Elle devient ainsi la première inspectrice du travail de l’Empire allemand. Alors que les époux semblent parvenir à faire éclore des idées novatrices dans les milieux universitaires de Heidelberg, conférant ainsi forme et substance à leur existence commune, leur vie vacille. Les parents de Max, Hélène Weber et Max senior, leur rendent visite ; dès leur arrivée, les événements prennent une tournure dramatique. « L’impensable se produit », rapporte Marianne Weber : Un fils fait le procès de son père. En présence des femmes, il règle ses comptes. Rien ne le retient » [23].
12La dispute porte sur la liberté d’Hélène Weber. Max reproche à son père d’infliger à son épouse des viols psychiques, puis le met à la porte. Max senior quitte la maison et meurt quelques semaines plus tard, sans la moindre tentative de réconciliation de part et d’autre. Mais la tragédie se poursuit. Max Weber tombe malade, traverse de graves dépressions, cesse d’enseigner, se retire complètement de la vie universitaire. Est-il miné par la culpabilité ? Max Weber assure le contraire. Une fois guéri, plusieurs années après la disparition de son père, il reconnaîtra ses torts, non pas sur le fond, mais sur la forme. Son incapacité à travailler, d’abord estimée à quelques semaines, perdure des mois, puis des années. « Neurasthénie liée à plusieurs années de surmenage », diagnostique le psychiatre Ernst Kraepelin [24], qui envoie Max Weber dans plusieurs sanatoriums et lui fait suivre les traitements les plus innovants de l’époque, notamment des cures thermales, des électrochocs et la prise d’héroïne en guise de somnifère. L’énergique érudit traverse des phases durant lesquelles même la sculpture thérapeutique à l’argile se révèle par trop épuisante. Totalement dispensé d’enseignement au semestre d’été 1899, Max Weber tente de proposer un cours à l’été 1900, hélas sans succès ; il est obligé d’interrompre le séminaire avant la fin. En 1903, âgé de 39 ans, il démissionne de son poste de professeur, au grand regret de son épouse. La fortune apportée par Marianne Weber au ménage, ainsi que ses tantièmes hérités d’une filature de lin à Bielefeld-Örlinghausen, permettent à Max Weber de se retirer de la fonction publique. En effet, il avait pris ses dispositions pour que le contrat de mariage l’autorise à disposer entièrement du patrimoine de sa femme. Si certaines clauses concédaient aux épouses un accès restreint à leurs biens, Max Weber n’en tenait aucun compte, considérant la dot de Marianne comme sa propre fortune. L’intéressée ne se révolta pas. Mais plus tard, dans son étude sur « l’épouse et la mère dans l’évolution du droit », en 1907, elle critiqua de manière générale la tutelle financière imposée aux femmes mariées [25].
13Pendant la maladie de son mari, Marianne Weber poursuit les études qu’elle avait commencées à Fribourg. En tant qu’épouse de Max Weber, elle a obtenu l’accès non seulement aux cours de ce dernier, mais aussi à ceux de ses collègues. Elle assiste en particulier aux conférences et séminaires du philosophe Heinrich Rickert. À Heidelberg, elle reprend ses études de philosophie auprès de Kuno Fischer et de Paul Hensel. Cependant, elle reste aussi fidèle à Rickert, qui la considère comme sa « disciple ». Sous sa direction, elle entreprend une thèse intitulée « Le socialisme chez Fichte et Marx ». Elle s’en ouvre à Hélène Weber dans ses lettres, tout en lui demandant de ne pas l’évoquer en retour, afin de ne pas inquiéter Max [26]. Son projet de thèse tourne court à l’été 1899 : les toutes premières bachelières d’Allemagne venant d’obtenir le droit d’entrer à l’université [27], la faculté de philosophie de Fribourg décide de ne plus délivrer de titre de doctorat aux femmes non titulaires de l’Abitur [28]. Or, Marianne Weber a terminé ses études secondaires avant que les jeunes femmes ne soient autorisées à présenter cet examen. Marianne Weber ne baisse pas les bras. Elle publie en 1900 son étude sur « Le socialisme de Fichte et son rapport à la doctrine marxiste » dans les Cahiers d’économie politique des universités badoises. Dans la préface, elle adresse ses remerciements à Paul Hensel, Kuno Fischer, Alois Riehl et « plus particulièrement Heinrich Rickert ». Elle ajoute : « On reconnaîtra l’influence des théories de mon époux, notamment aux pages 16 (La République de Platon) et 66 à 71 (cf. notes p. 1 et p. 102.103) » [29]. Max Weber, coéditeur de la revue, souligne dans un commentaire de la préface cette indépendance revendiquée [30]. Marianne Weber a atteint son objectif : mener une vie intellectuelle propre [31]. Mais cela ne lui suffit pas. Non contente de lutter pour ses droits individuels, elle milite publiquement pour que l’on reconnaisse aux femmes la capacité de produire des travaux intellectuels indépendants et novateurs. Cela se manifeste notamment lors de sa passe d’armes avec le philosophe et sociologue berlinois Georg Simmel, en 1904, sur la question de l’apport des femmes à la science [32].
14Après la lente guérison de Max Weber, le couple se rend en Amérique, en 1904. Marianne est impressionnée par l’avance de ce pays sur l’Allemagne en matière d’émancipation féminine. Elle estime que cela tient principalement aux valeurs démocratiques des États-Unis. L’exemple américain la conforte dans l’idée que la libération des femmes dans la sphère privée doit passer par leur émancipation dans la vie publique. C’est pourquoi elle lutte sans relâche pour l’égalité juridique des femmes au sein du mariage, pour l’obtention d’un statut d’égalité civique ainsi que pour l’égalité des chances dans le domaine de l’éducation et de la formation. Max Weber lui apporte son soutien. Simultanément, il lui suggère de se livrer à une analyse scientifique des liens entre les normes juridiques et le quotidien de la gent féminine. Quelle est la portée concrète des lois sur les conditions de vie objectives des femmes ? Sur quelles sources reposent les normes juridiques matrimoniales ? Quelles considérations matérielles et idéologiques les ont influencées ?
15Rédigée à partir de ces questionnements, l’étude de Marianne Weber, publiée en 1907 sous le titre L’épouse et la mère dans l’évolution du droit, ne se contente pas de livrer un aperçu du droit matrimonial et des conceptions du mariage, des peuples primitifs aux cultures modernes, en passant par les civilisations antiques. En prenant pour exemple le droit matrimonial, elle met en évidence les interactions entre les idées et les intérêts (matériels et idéels) et démontre le rôle d’aiguilleur des forces idéelles – des conceptions religieuses et morales – dans l’évolution de ces normes juridiques. Ce faisant, elle intervient dans le différend entre la conception matérialiste de l’Histoire et la théorie socialiste de l’émancipation féminine. La problématisation et le développement de son travail révèlent l’importante influence épistémologique de Max Weber. Marianne Weber le confirme d’ailleurs dès la préface, en évoquant le rôle des échanges intellectuels qu’elle nourrit avec son mari, « à chaque fois qu’il est question d’aspects généraux liés à l’histoire culturelle ». Cependant, les sept années de travail consacrées à des recherches colossales et à la rédaction de l’étude sont le fruit de ses seuls efforts. Max Weber intervient uniquement sur le chapitre consacré aux droits des mères, qui déclenchera de véhémentes critiques d’Émile Durkheim [33], et se charge de la rédaction finale. « Évidemment, il surveillait le livre », écrit Marianne Weber à Eduard Baumgarten en 1950, « mais lorsqu’il voulait interférer, je m’insurgeais » [34]. En 1907, elle se plaint ainsi que son mari exige certains ajouts, ainsi que l’intégration de fragments de texte (« quand il m’y superpose des pensées à lui ») [35]. Revendiquant son indépendance face à son mari, quitte à le défier, Marianne Weber démontre, dans ce deuxième ouvrage de 573 pages publié aux prestigieuses éditions Mohr Siebeck, qu’il est possible de s’émanciper par l’éducation, même dans des conditions difficiles. En 1907, la question féminine semble en principe réglée pour le couple, en théorie comme en pratique. Cependant, c’est précisément à cette époque que l’autre versant du rapport entre les sexes fait une percée spectaculaire ; au-delà de l’égalité des droits, la problématique porte sur les relations intimes entre hommes et femmes, sur la sexualité et l’érotisme.
Quand le privé devient politique
16Dans le sillage de la libération sexuelle des femmes, en 1907-1908, une nouvelle vague émancipatrice déferle sur Heidelberg : le mouvement érotique. Prenant le contrepied des normes et contraintes imposées par les structures patriarcales au sein du couple et de la famille, il vise à transformer les rapports entre les sexes en libérant l’érotisme et la sexualité des femmes. Max et Marianne Weber n’adhèrent ni à l’esprit du mouvement, ni à sa stratégie, mais ils le vivent indirectement, par le truchement d’amis qui s’y associent et par des débats interminables avec les tenants d’une nouvelle éthique sexuelle dont fait partie Else von Richthofen, doctorante de Max Weber. Le débat est lancé par un homme intégré à la fois aux milieux universitaires et à la subculture bohème : Otto Gross [36]. Élevé dans une famille d’érudits – son père était professeur de criminologie –, diplômé de médecine, il s’est spécialisé en neurologie et en psychiatrie, en qualité de bénévole et de médecin-assistant. Il a adopté les méthodes de la psychothérapie sous l’influence de Sigmund Freud, qui le considère comme le « seul esprit original » (outre Carl Gustav Jung) parmi ses disciples, avant de le désavouer en 1909. Habilité à diriger des recherches à 28 ans, Otto Gross obtient en 1906 une chaire à l’Université de Graz. Convaincu que l’érotisme revêt une valeur philosophique, métaphysique et surtout vitale, il estime qu’il est indispensable de le déployer pour s’émanciper intérieurement et personnellement. « C’est en reconnaissant et en acceptant l’érotisme tel qu’il est », écrivait-il, « que l’on peut le maîtriser suffisamment pour s’engager à être toujours soi-même » [37]. Selon Otto Gross, la libération de l’érotisme passerait par l’émancipation de la femme ; cette dernière incarnant naturellement le principe érotique, sa révolte contre les normes patriarcales régissant mariage et famille impulserait une transformation de la société au profit d’une « nouvelle éthique », fondée sur l’érotisme comme force vitale et source de toutes les valeurs.
17Au printemps 1907, Otto Gross fait connaître sa théorie de l’émancipation érotique dans les milieux universitaires de Heidelberg par l’entremise d’Else Jaffé, une amie de l’épouse d’Otto Gross, Frieda Gross, née Schloffer. Elle le décrira plus tard comme un homme doté d’une immense « force de suggestion », affirmant que leur relation lui aurait permis de découvrir « pour la première fois sa propre nature profonde » [38]. Ses détracteurs eux-mêmes sont happés par sa théorie, dans la mesure où ils se sentent obligés d’élaborer des arguments pour la réfuter. Les discussions portent régulièrement sur les liens entre éthique et érotisme – l’érotisme est-il une valeur philosophique, métaphysique et surtout vitale ? Dans l’entourage amical de Max et Marianne Weber, les débats passionnés sur les principes moraux liés à la sexualité s’affranchissent progressivement de la théorie d’Otto Gross, dont Else Jaffé elle-même s’éloigne. La question de la sexualité et de l’érotisme, ainsi que de la libération sexuelle des femmes, se recentre sur le domaine plus général des valeurs culturelles et des principes d’action, avant de cristalliser une problématique que tous jugent décisive – existe-t-il des règles morales universelles, ou uniquement des lois individuelles ?
18Marianne Weber prend position sur ce débat en 1907, lors de la Pentecôte – quelques semaines après avoir rencontré pour la première fois Otto Gross – à l’occasion d’une conférence devant le Congrès évangélique-social. Ses propos reflètent, précisera-t-elle plus tard, « une conviction éthique commune » à Max Weber et à elle-même, « affinée par la casuistique, à partir de nombreuses réflexions sur des théories nouvelles et de multiples impressions personnelles » [39]. « Elle argumente ainsi :
Nous ne jugerons plus, comme le font le puritanisme et la « morale bourgeoise », l’entière valeur morale d’un individu à l’aune d’idéaux éthiques en matière de sexualité, en qualifiant d’« immoraux » ceux qui ne les atteignent pas. Nous avons appris à comprendre que la noblesse de l’humanité s’exprimait à travers une multitude de caractéristiques et de manières d’agir, et qu’il n’était pas nécessaire de nier cette noblesse lorsqu’une personne, malgré de sérieux efforts, n’atteignait pas ces idéaux moraux en matière de sexualité. Nous devrions de ce fait nous montrer circonspects dans nos condamnations « morales », et il est de notre devoir, avant de porter des jugements, de comprendre la nature et les causes des événements [40].
20Marianne Weber souscrit ainsi à l’« individualisme moral », qui prône pour l’individu une marge plus généreuse d’acceptation et de tolérance, ainsi qu’un élargissement de l’« éthique bourgeoise ». En accordant à l’individu une indépendance morale vis-à-vis du monde extérieur, elle valide le principe fondateur du « relativisme moderne », dans la mesure où elle revendique elle aussi le droit à une éthique personnelle autonome et réfute le caractère obligatoire et universel des normes morales. Dans le cadre de ce principe fondateur, qui est non seulement défendu, mais mis en pratique dans les milieux universitaires de Heidelberg, deux interprétations nouvelles et concurrentes du rapport entre éthique et érotisme se font jour. D’une part, la reconnaissance de l’érotisme comme force vitale, non soumise à une justification morale, dans la mesure où elle constitue une valeur « en soi » et revêt une dignité intrinsèque. D’autre part, la sublimation de l’érotisme et sa subordination à l’éthique, qui ne légitime l’érotisme que dans les limites d’une « responsabilité pérenne ». Les partisans de la première thèse prêtent à l’érotisme le pouvoir d’« élever l’existence jusqu’à l’extase ». Ses référentiels sont l’individu et la personnalité, qui ne s’épanouissent que dans et à travers la relation érotique.
21Les tenants de la thèse adverse intègrent d’emblée à leurs réflexions les effets potentiels de l’érotisme, en postulant ses évolutions logiques : essoufflement de l’expérience érotique, liens de domination entravant l’égale répartition des bénéfices vitaux (la passion faisant alors souffrir l’un des partenaires), conflits entre la relation érotique et les autres liens. Anticipant ces conséquences, ils subordonnent l’érotisme à l’exigence de « responsabilité pérenne », qui « renvoie les personnes ainsi unies à des règles intrinsèques à leur relation, au-delà de leur bonheur personnel, et à des obligations communes durables » [41]. Quant aux femmes optant pour l’émancipation érotique, elles réfléchissent de manière non moins critique, comme le montre l’exemple de Marianne Weber, au rapport entre théorie et pratique, ainsi qu’à la problématique des conflits normatifs liés à leurs actes. Elles en parlent ouvertement en comité restreint, mais pas en public. Leurs actions relèvent d’un choix personnel qu’elles revendiquent comme un droit individuel, et elles ne les imposent pas à la collectivité. Else Jaffé écrit à Marianne Weber qu’elle pourrait elle aussi tirer de son « cas personnel des considérations sur le rôle des femmes dans les relations humaines », mais qu’elle s’en abstient. Et d’ajouter, avec l’ironie qui la caractérise : « Tu pourras en faire une conférence ». Cependant, c’est non pas Marianne, mais Max Weber qui s’exprime sur la valeur intrinsèque de l’érotisme.
22Au début, Max Weber a réfuté de manière catégorique la valeur de l’érotisme proclamée par les tenants de la révolution sexuelle. Mais une discussion avec Else von Richthofen, en 1908, le fait réfléchir. À son interrogation « Vous n’allez tout de même pas prétendre que l’érotisme recèle la moindre valeur ? », elle rétorque « Bien sûr que si ». Et lorsqu’il lui demande laquelle, la réponse fuse : « La beauté » [42]. En 1908, cette réponse le laisse pantois. En 1917, il y revient dans son essai sur « Le sens de la ‘‘neutralité axiologique’’ des sciences sociologiques et économiques ». Il y écrit que l’érotisme pourrait, même si le caractère concret de l’expérience rend caduc le terme de « valeur »,
[…] constituer […] une sphère qui, tout en s’affirmant comme indifférente ou hostile à toute sainteté ou bonté, à toute loi morale ou esthétique, à toute signification culturelle et à toute évaluation de la personnalité, pourrait néanmoins prétendre, et justement pour cette raison, à une dignité propre et ‘immanente’ dans le sens le plus large du terme [43].
24Ce faisant, Max Weber révise son postulat originel sur la subordination de l’érotisme à l’éthique au service de l’autodétermination rationnelle. Il reconnaît à l’érotisme une force vitale autonome, un contre-pouvoir à l’univers de la rigueur professionnelle et de la fidélité aux valeurs morales. Il enrichit les rapports entre les sexes d’une dimension plus profonde, par-delà l’égalité des droits et la division des tâches, à la croisée de l’épanouissement personnel et du don émotionnel de soi.
25Le revirement de Max Weber fait suite à une relation érotique consentie avec son amie Mina Tobler. Cette native de Suisse, qui interprète et enseigne le piano à Heidelberg, a participé aux débats sur le mouvement érotique. Dans ses lettres, Max Weber l’appelle Judit, pseudonyme inspiré par le personnage de Judith dans le roman de Gottfried Keller Henri le vert. Il exprime ainsi son propre conflit intérieur. Comme le personnage d’Henri Lee, Max Weber est tiraillé entre deux femmes. Passionnément attiré par « Judit », qui fleure l’érotisme et la sensualité, il se sent moralement lié par sa relation intellectuelle et sentimentale avec son épouse, Marianne. Quoiqu’irréconciliables, les deux histoires coexisteront plusieurs années durant. Sous l’influence de sa maîtresse, Max Weber s’intéresse à la musique moderne, à la peinture, à la sculpture et à la littérature. Il projette de rédiger une sociologie de tous les arts, et il en jette les bases avec une étude sur Les fondements rationnels et sociaux de la musique. Il fait l’acquisition d’un nouveau piano (il avait vendu le premier à Robert Michels pour renflouer les finances du ménage durant sa maladie) et se produit pour les visiteurs sur un Steinway flambant neuf. En 1919, il quitte Heidelberg et la compagnie régulière de Judit/Mina. Sans renoncer à leur relation, il accorde la priorité à Else.
Éros et révolution
26La relation entre Max Weber et Else von Richthofen remonte aux années passées par les Weber à Fribourg (1894-1896). Cette jeune femme déterminée, qui s’est battue pour obtenir le droit de suivre des études en passant son diplôme d’enseignante, fait d’emblée grande impression sur Max Weber. Son sens de la répartie, son ironie et sa causticité le mettent à l’épreuve, sa grâce et sa beauté le charment. Elle devient rapidement une invitée permanente au domicile fribourgeois des époux Weber, et l’une des plus intimes confidentes de Marianne. Else von Richthofen admire l’engagement de cette dernière au sein du mouvement féministe, et se joint à sa lutte. C’est d’ailleurs grâce au réseau de Marianne qu’elle fait la connaissance des principales représentantes du mouvement à Berlin, et qu’elle peut participer à leurs activités durant ses études sur place, en 1898-1899. À Berlin comme à Fribourg, elle fréquente le domicile des Weber, où elle rencontre Hélène Weber et son fils Alfred, ainsi qu’Edgar Jaffé. Elle tombe amoureuse d’Alfred Weber ; leur relation fait long feu [44]. Une fois ses études terminées, en 1901, Else fait une brève carrière d’inspectrice du travail à Karlsruhe, puis s’unit en 1902 à l’économiste politique Edgar Jaffé, issu d’une riche famille de négociants hambourgeois. « Comme Alfred n’avait pas pu ou voulu me prendre pour femme, j’ai épousé Jaffé », déclarera-t-elle dans les années 1950 [45]. Cette union la ramène à Heidelberg, une nouvelle fois à proximité de Max et Marianne Weber. Comme à Fribourg, elle continue d’entretenir avec les deux époux une étroite amitié. Et cela ne change pas lorsqu’en 1907, Else, auréolée d’un certain prestige en tant que féministe, intellectuelle, femme mariée et mère de deux enfants, amène à Heidelberg Otto Gross, le grand inspirateur du mouvement érotique, et devient sa maîtresse.
27Bien au contraire : la problématique qui émerge alors, sa crise conjugale avec Edgar Jaffé, la rapproche encore de Max et Marianne Weber. Les deux époux l’aident à surmonter cette situation délicate. Max Weber devient le parrain de Peter, le fils né de la relation d’Otto Gross avec Else Jaffé. Il défend résolument les prérogatives de cette dernière lorsqu’elle décide de se séparer d’Edgar Jaffé. Il lui prodigue des conseils juridiques et personnels lorsqu’elle fonde son propre foyer et fait valoir son droit de garde sur les enfants. Quoiqu’en désaccord avec les actions d’Else et les idées qui les guident, Max Weber lutte pour son droit à mener une vie autonome. Ce faisant, il la perd au profit de son frère Alfred, car c’est avec ce dernier qu’Else Jaffé se met en concubinage à partir de 1910. Professeur d’économie politique à l’université de la ville, Alfred réside à Heidelberg depuis 1907, tandis qu’Else vit avec ses quatre enfants à Wolfratshausen, près de Munich, séparée d’Edgar Jaffé, mais percevant de ce dernier une pension généreuse. En 1910, Edgar a accepté une chaire à l’École supérieure de commerce de Munich. Il s’installe ainsi à Schwabing, dans une maison ouverte qui devient l’un des quartiers généraux de la bohème des environs. La comtesse Franziska zu Reventlow, figure majeure de ce milieu, qualifie la relation entre Else et Edgar Jaffé de « mariage à distance » et, emplie d’admiration, la considère comme une version moderne des usages matrimoniaux et résidentiels qui avaient cours dans l’aristocratie française du xviiie siècle [46].
28Fin 1918, Max Weber et Else Jaffé partagent donc un passé long et tortueux lorsqu’éclot leur véritable lien : leur relation érotique latente se mue en histoire d’amour. L’Empire allemand est en plein bouleversement quand ils se rencontrent à Munich, le 5 novembre. À Kiel, des marins ont refusé de quitter le port, des conseils d’ouvriers et de soldats se sont créés, essaimant ensuite aux quatre coins du pays. À Munich, la révolution éclate un jour avant celle de Berlin, à l’initiative du journaliste et écrivain Kurt Eisner, membre du Parti social-démocrate indépendant (USPD). La monarchie des Wittelsbach s’effondre au bout de près de 800 ans, sans effusion de sang. La Bavière devient un « État libre » (selon l’expression d’Eisner), une république. Cent ans après la 9e Symphonie de Beethoven, Kurt Eisner entend créer une œuvre comparable dans la société, au service de cette dernière [47]. Selon lui, cela doit passer par un mélange de démocratie directe et représentative, un système de conseils et un parlement. Il décide de nommer Edgar Jaffé ministre des Finances. Du jour au lendemain, Else von Richthofen devient « Madame le ministre » et se montre fière de son époux, qui se voit en mesure « d’avoir enfin quelque valeur », de lui offrir quelque chose de spectaculaire, de faire mieux que les « fabuleux Weber » [48]. Elle lui rend visite au ministère, le conseille et, comme elle l’écrira à Marianne Weber, « gouverne un peu avec lui » [49]. Max Weber considère la révolution comme un affligeant « carnaval » d’hommes de lettres égarés. Il aurait préféré une monarchie parlementaire, mais il est disposé à prendre des responsabilités au sein de la première République allemande. Il se présente donc aux élections du Reichstag pour le tout nouveau Parti démocrate allemand (DDP). En décembre 1918 et en janvier 1919, il s’engage passionnément en tant que tribun dans la campagne électorale, mais sa lutte pour un mandat de député se solde par un résultat médiocre. En revanche, Marianne Weber obtient sous la bannière de la même formation politique un siège au Landtag [50] de la République de Bade. Elle sera ainsi la première femme à s’exprimer lors de la séance inaugurale de cette assemblée [51].
29À défaut de percer en politique, Max Weber poursuit une brillante carrière académique. Il est convoité par trois universités : Francfort, Bonn et Munich. La succession à la chaire munichoise de Lujo Brentano lui est proposée contre la volonté de Kurt Eisner. Elle est décidée par le conseil des ministres du gouvernement provisoire, en l’absence d’Eisner et à l’initiative de son ministre des Finances, Edgar Jaffé. L’offre de Bonn est la plus alléchante : le traitement est le même, alors que l’enseignement se limite à un seul séminaire par semestre. Max Weber est conscient que cette université lui propose une « chaire de recherche », un poste idéal pour lui. Hésitant, il s’en remet à la décision de Marianne Weber. Elle opte pour Munich, « sachant sous quelle étoile cela placera l’existence » de son époux [52]. Là-bas, Max cherchera à se rapprocher d’Else Jaffé. Quoique conscient du problème inhérent à sa relation avec Else, Max Weber se laisse tenter. Le 1er avril 1919, il prend ses fonctions en tant que professeur d’études sociales, d’économie politique et d’histoire économique. Le 7 avril, la République des conseils de Bavière est proclamée à Munich. Les écrivains anarchistes Ernst Toller, Erich Mühsam et Gustav Landauer prennent le pouvoir. Le gouvernement des conseils ne maintient pas à son poste de ministre de l’Économie Edgar Jaffé, qui en fait une dépression nerveuse. Max Weber donne son premier cours sur le socialisme après le renversement de la République des conseils, en mai 1919. Il est tellement demandé que sa conférence se tient dans le grand amphithéâtre de l’université [53]. Dans un premier temps, Marianne Weber demeure à Heidelberg pour pouvoir participer régulièrement aux séances du Landtag badois. Elle est au fait de l’amitié de Max Weber avec Else Jaffé, sans pour autant soupçonner sa nature érotique et sensuelle. Max Weber est à nouveau tiraillé entre deux femmes. Il exprime ce conflit dans la « Considération intermédiaire » de la Sociologie des religions, en commençant par le conceptualiser. Il opère une distinction entre l’amour-amitié de « l’érotisme sublimé » et l’ivresse amoureuse de « l’érotisme pur ». Le premier est transcendé par la responsabilité morale d’un engagement réciproque, qui se manifeste de manière classique dans la « camaraderie » de la culture hellénique dont a hérité le christianisme. Le deuxième, tel un « ‘avoir’ mystique », se suffit à lui-même, légitimé par la beauté de la passion dionysiaque et l’abandon infini à une personne. La valeur particulière de ce dernier – de « l’érotisme pur » – culmine, selon Max Weber, lorsqu’il advient dans la profession-vocation, sur le terreau d’une culture intellectualiste. « C’est dans cette opposition au rationalisme journalier », écrit-il, « que ce qui [sort] du quotidien, en particulier la sexualité hors mariage, [peut] apparaître comme l’ultime attache […] reliant encore l’homme à l’origine naturelle de toute vie ». Car :
Non seulement en vertu de l’intensité de l’expérience, mais aussi en fonction de la réalité possédée en toute immédiateté, l’amant se sait implanté au cœur de la vie vraie, celle qui est à jamais inaccessible à toute entreprise de la raison ; il sait qu’il échappe complètement à l’emprise mortelle et glacée des ordres rationnels comme à la platitude quotidienne [54].
31Le « désir », confie Max Weber à Else Jaffé, « est l’essence de mon existence ». Cependant, il a simultanément l’impression que son « cerveau » est enfermé dans « une chambre froide » (Eisschrank). Conscient que cette dernière a « souvent été [son] ultime recours », il ressent le « désir » d’être « libéré de [son] emprise […], aussi sacrée soit-elle et quelle que soit la protection qu’elle, et elle seule [ait] pu [lui] apporter » [55]. Mina Tobler et Else – ces femmes, qu’il appelait « enfants des dieux », avaient le pouvoir de le libérer de la « chambre froide ». Toutes deux l’enchantaient. Else le dominait ; et il se soumettait à cette domination. Leur relation reposait sur une inégalité. Max Weber décrivait lui-même ce « rapport de soumission », comme il l’appelait, avec une ironie pseudo-juridique :
§1 : J’ai le devoir de rester coi […].
§ 2 : Je suis soumis à une « obligation de signaler » toute autre tentation ou tout égarement.
§ 3 : J’ai le devoir de me bien comporter uniquement avec vous (j’implore ici platement votre mansuétude concernant Judit).
§ 4 : Vous seule avez le pouvoir de décider à quel point je peux me montrer bon avec vous [56].
33De nouvelles études interprètent ce « rapport de soumission » comme l’expression d’une disposition psychique de Weber, à savoir d’un certain « masochisme » [57]. Cependant, nous postulons qu’il reflète surtout une constellation sociale complexe. Else Jaffé est doublement liée : au frère de Max Weber ainsi qu’à Edgar Jaffé, qui subvient à ses besoins et à ceux de ses enfants. Elle n’a l’intention ni de quitter Alfred Weber, ni de divorcer d’Edgar Jaffé. Son époux lui verse jusqu’à 13 000 reichsmark par an, ce qui représente en Prusse le revenu d’un chef de gouvernement (un professeur des universités perçoit un traitement annuel d’environ 6 800 reichsmark). Alfred Weber lui a fait don de son héritage, dont elle tire des intérêts permettant de financer son train de vie. Elle fait ainsi partie de la classe favorisée, des 0,9 % de personnes les plus aisées de Bavière [58]. En s’unissant avec Max Weber, elle perdrait ce statut. Issue d’une famille de nobles déchus, elle ne veut à aucun prix abandonner la position qu’elle a acquise. Martin Green, qui lui rendra visite à Heidelberg en 1971 – elle aura alors 97 ans – la décrira en ces termes :
Elle était la Reine Elisabeth, et nous, tels les comtes d’Essex et de Leicester, n’étions là que pour être taquinés, éprouvés, cajolés, examinés. Elle voulait savoir ce que nous avions à lui enseigner, et elle était prête à apprendre, mais elle entendait aussi nous faire comprendre que notre pouvoir était limité. Je la tiens pour l’une des interlocutrices les plus ironiques qu’il m’ait jamais été donné de rencontrer [59].
35Max Weber est conscient que sa relation avec Else Jaffé ne peut pas durer indéfiniment. Elle correspond d’ailleurs au « lien libre et temporaire » [60] prôné par le mouvement érotique. En octobre 1919, il lui déclare ainsi : « Je bénis le sort chaque jour que tu m’autorises à passer auprès de toi, comme maintenant » [61]. Il attribue à leur relation érotique et sensuelle le mérite de l’avoir « aidé à se trouver » et affirme le caractère unique de leur lien, tout en pensant constamment à la rupture. Comme il le formule, « Oh, les réalités qui nous ‘‘possèdent’’, dans lesquelles nous sommes ancrés, lorsque nous tendons les bras l’un vers l’autre – je ne suis pas sans les sentir… » [62]. Il décrit sa maîtresse comme « une vénérée créature des dieux de la beauté » qu’il ne cherche pas à trop fidéliser, afin, lui assure-t-il, qu’elle puisse « créer ou obtenir une distance à tout moment, sans rupture ni heurt… [elle a] toute latitude » [63]. Else Jaffé ne se décide ni pour une séparation, ni pour une relation exclusive avec Max Weber. Ce dernier adhère-t-il à « l’érotisme pur » pour sa fonction de libération intramondaine vis-à-vis du rationalisme ?
36Dans ses lettres, il proclame la « victoire » d’Else sur sa personne, « ce Grauli » [64], comme ils le surnomment tous deux d’après le fameux dragon Graoully de l’amphithéâtre de Metz, décrit par François Rabelais comme « ayant les yeux plus grands que le ventre, et la tête plus grosse que tout le reste du corps ». Max Weber considère qu’Else Jaffé a eu le dessus dans le débat qui les a opposés en 1908 sur la « valeur » de l’érotisme. Lui-même a fait l’expérience de cette valeur pour son existence. Néanmoins, il se demande dans ses missives si la relation érotique et sensuelle a le pouvoir de résister au quotidien, à son « visage professoral ». Il écrit :
Faire cours ne me convient pas. Cependant, je voudrais me montrer à la hauteur. D’innombrables personnes doivent exercer un métier qui ne leur correspond pas et il serait bien faible de vouloir me plaindre, vraiment. Mais ce que je sais, c’est que l’on n’a alors pas grand-chose à offrir aux autres.
38Selon lui, il est difficile de mesurer « tout ce qui doit être mis entre parenthèses pour que cela ‘fonctionne’ » [65]. L’enseignement demande à Max Weber une énergie considérable et le met à rude épreuve. En novembre 1919, au tout début du second semestre munichois, il demande à ce que sa chaire de professeur ordinaire soit convertie en chaire extraordinaire de sociologie (avec un traitement réduit) et suggère à l’université de faire appel à deux économistes politiques pour assurer l’enseignement à sa place. Dans ses lettres, il accuse Else Jaffé de « vouloir ‘s’amuser’ sans fournir de véritables efforts » [66], tandis qu’elle se plaint de leur relation « étouffante » [67]. Rétrospectivement, Karl Jaspers attribue à Max Weber « une disposition biologique maniaco-dépressive » et s’appuie sur des documents datés du printemps 1920 pour formuler l’hypothèse d’une nouvelle dépression sous-jacente. De la dernière missive adressée à Else Jaffé, il ne subsiste qu’un fragment, une seule phrase recopiée par l’intéressée : « Surtout : je ne peux vivre dans la vérité que vis-à-vis d’une seule personne et le fait que j’en aie la possibilité et le droit constitue pour moi l’ultime nécessité vitale, plus éminente et plus forte que n’importe quel dieu » [68]. Six jours plus tard, il écrit à Mina Tobler que leur passé commun résonne encore au présent, et l’implore – « si tu le peux, crois bien que j’accompagne amoureusement tes pas, même si tu ne me vois pas » [69]. Se détourne-t-il d’un « rapport de soumission » pour renouer avec son inclination pour « Judit », ou se retire-t-il dans la « chambre froide » ? Dans la « Considération intermédiaire », l’érotisme figure parmi plusieurs sphères de valeurs concurrentes, qui s’opposent toutes irrémédiablement à l’éthique chrétienne de la rédemption. Aucune d’entre elles n’est a priori « ultime » ou supérieure aux autres ; cela relève d’un choix individuel. Or, les décisions sont influencées par les circonstances. Au printemps 1920, l’univers de Max Weber vacille à nouveau. Sa sœur Lili Weber-Schäfer, veuve, mère de quatre enfants, s’ôte la vie le 7 avril 1920, par amour pour un homme entretenant des relations avec plusieurs femmes. Max et Marianne Weber sont disposés à adopter ses quatre enfants et à loger les deux plus jeunes dans leur appartement munichois [70]. Après avoir partagé vingt-cinq années en tant que « compagnons-époux », ils posent ainsi les jalons d’une vie de famille. Au début du semestre d’été 1920, Max Weber est contaminé par la grippe espagnole. À cette époque où la pénicilline n’a pas encore été découverte, son organisme surmené succombe à la maladie. Quelques jours avant son trépas, il dédicace à quatre femmes ses livres en cours de publication et à paraître. Économie et société est « à la mémoire de [sa] mère Hélène Weber, née Fallenstein, 1844-1919 ». Le premier tome de la Sociologie des religions sera dédicacé à Marianne Weber, avec la mention « de 1893 ‘au pianissimo du plus grand âge’ », le deuxième à Mina Tobler et le troisième à « Else Jaffé-Richthofen ». Max Weber s’éteint le 14 juin 1920 à Munich, en présence de Marianne Weber et d’Else Jaffé von Richthofen.
Mina Tobler, env. 1907. Photographie : collection particulière – DR
Mina Tobler, env. 1907. Photographie : collection particulière – DR
Max Weber en 1919. Photographie : Leif Geiges, Maison de l’Histoire du Bade-Wurtemberg, Stuttgart
Max Weber en 1919. Photographie : Leif Geiges, Maison de l’Histoire du Bade-Wurtemberg, Stuttgart
Else Jaffé en 1919. Photographie : Leif Geiges, Maison de l’Histoire du Bade-Wurtemberg, Stuttgart
Else Jaffé en 1919. Photographie : Leif Geiges, Maison de l’Histoire du Bade-Wurtemberg, Stuttgart
39Si l’on postule que le politique naît avec la critique de schémas de perception ou de classification, l’émergence du « couple d’intellectuels » ou de l’« union intellectuelle » correspond à une remise en question, par des discours subversifs et performatifs, de l’acceptation tacite des structures établies [71]. Comme l’illustre l’histoire des « époux-compagnons », une forme d’« union intellectuelle », il s’agit de la révolte d’une génération bourgeoise souhaitant déconstruire le mariage traditionnel pour réinventer le couple. Max et Marianne Weber font partie des personnes qui ont ébauché des relations d’un genre inédit ; ils en ont construit une au sein de leur foyer, puis l’ont défendue dans le monde extérieur. Qu’il s’agisse de l’égalité juridique, sociale et politique des femmes et de leur participation à la culture objective, ou encore de l’« amour libre » et de la révision de principes moraux liés à la sexualité, les « compagnons » prennent position et le font savoir de manière semi-publique, c’est-à-dire dans les milieux universitaires de Heidelberg, ainsi que dans des livres et des revues.
40Le débat sur l’érotisme, auquel ils ont contribué, révèle que les représentations de la morale et de la sexualité, de l’érotisme et du mariage font l’objet d’approches novatrices, non seulement chez les tenants actifs d’une « nouvelle éthique », mais aussi chez les représentants de la bourgeoisie culturelle qui observent les mutations en cours. La rencontre de ces partis pris divergents engendre une théorie qui exporte la problématique de la sexualité hors de la sphère intime de la bourgeoisie culturelle. Si le système normatif de valeurs a pu s’ouvrir à ces idées inédites, c’est parce que leurs auteurs font eux-mêmes partie de cette bourgeoisie culturelle, dont ils tentent de réformer les représentations. Durant ce processus de refonte des valeurs, ce sont les femmes qui jouent le rôle d’agent provocateur et qui, par leur transgression des normes, impulsent un débat sur ces dernières. À Heidelberg, on n’a pas attendu mai 68 pour réaliser que le privé était politique ; on l’avait découvert dès 1908.
Notes
-
[1]
Ce qui suit, cherchant à répondre à la problématique choisie par les coordinateurs de ce numéro, Raymond Dartevelle et Mélanie Fabre, se fonde sur Hannelore Schlaffer, Die intellektuelle Ehe. Der plan vom Leben als Paar, Munich, Hanser, 2011. À partir de là, nous élaborons un cadre de référence pour analyser le couple formé par Max et Marianne Weber. Cette étude de cas repose sur deux enquêtes publiées dans le cadre de notre participation à une édition historico-critique des œuvres de Max Weber, amendées et complétées pour le présent numéro spécial de la revue Les Études sociales : Ingrid Gilcher-Holtey, « Max Weber und die Frauen », in Jürgen Kocka, Christian Gneuss (dir.), Max Weber. Ein Symposium, Munich, dtv, 1988, p. 142-154, et id., « Modelle ‘moderner’ Weiblichkeit. Diskussionen im akademischen Milieu Heidelbergs um 1900 », in M. Rainer Lepsius (dir.), Bildungsbürgertum im 19. Jahrhundert, Teil 3 : Lebensführung und ständische Vergesellschaftung, Stuttgart, Klett/Cotta, 1992, p. 176-205.
-
[2]
H. Schlaffer, Die intellektuelle Ehe, op. cit., p. 9. Toutes les citations d’ouvrages en langue allemande ont été traduites en français par Marianne Floc’h.
-
[3]
Ibid.
-
[4]
L’objectif affiché par les coordinateurs consiste à analyser la liaison entre vie intime et vie publique en intégrant les individus dans leurs réseaux de sociabilité.
-
[5]
H. Schlaffer, Die intellektuelle Ehe, op. cit., p. 8.
-
[6]
Litt. « réforme de la vie », NdT.
-
[7]
Marianne Weber, Max Weber. Ein Lebensbild, Tübingen, Mohr Siebeck, 1984 [1926], p. 188.
-
[8]
Ibid., p. 188.
-
[9]
Fondé en 1890, le Congrès évangélique-social réunissait des théologiens, des économistes, des juristes et des politiciens qui se proposaient de réfléchir du point de vue de la morale protestante à la question sociale qui se faisait jour dans le sillage de l’industrialisation.
-
[10]
Lettre adressée par Max Weber à ses frères et sœurs en 1918, reproduite dans Eduard Baumgarten, Max Weber. Werk und Person, Tübingen, Mohr Siebeck, 1964, p. 629.
-
[11]
Marianne Weber, Lebensbild, op. cit., p. 22.
-
[12]
Voir Michel Lallement, Tensions majeures. Max Weber, l’économie, l’érotisme, Paris, Gallimard, 2013.
-
[13]
Marianne Weber, Lebensbild, op. cit., p. 188.
-
[14]
Voir Max Weber, Wirtschaft und Gesellschaft. Grundriß der verstehenden Soziologie (1921), Tübingen, Mohr Siebeck, 1976 [1921], p. 307.
-
[15]
Marianne Weber, Lebensbild, op. cit., p. 183.
-
[16]
Ibid., p. 216.
-
[17]
En français dans le texte, NdT.
-
[18]
Lettre de Max Weber à Marianne Weber, citée dans Marianne Weber, Lebensbild, op. cit., p. 198.
-
[19]
Ibid., p. 216.
-
[20]
Ibid., p. 199.
-
[21]
Marianne Weber, Lebensbild, op. cit., p. 215.
-
[22]
Marianne Weber emploie ce terme de manière récurrente dans son livre Lebensbild, op. cit. Voir aussi Tilman Allert, « Max und Marianne Weber : Die Gefährtenehe », in Hubert Treiber, Karol Sauerland, Heidelberger Schnittpunkt intellektueller Kreise, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1995, p. 210-241 ainsi que H. Schlaffer, Die intellektuelle Ehe, op. cit., p. 28-71. L’un des biographes de Max Weber, Joachim Radkau, parle quant à lui d’« époux-camarades ». Voir Joachim Radkau, Max Weber. Die Leidenschaft des Denkens, Munich, Hanser, 2006, p. 77 et sq.
-
[23]
Marianne Weber, Lebensbild, op. cit., p. 243.
-
[24]
J. Radkau, Max Weber, op. cit., p. 254.
-
[25]
Ibid., p. 85.
-
[26]
Voir B. Meurer, Marianne Weber, op. cit., p. 144, 145, 148.
-
[27]
Voir Peter Behringer, Gabriela Zejpert-Hassinger, 100 Jahre Mädchen-Gymnasium in Deutschland, Karlsruhe, Stadt Karlsruhe & G. Braun GmbH, 1993, p. 5.
-
[28]
À la fin du xixe siècle, l’éducation est au cœur des revendications féministes en Allemagne. L’organisation « Études et formation des femmes », dont Marianne Weber a créé à Heidelberg une section locale, milite pour que soit dispensée aux filles et aux femmes une éducation leur permettant d’accéder aux professions exercées par les hommes, y compris aux plus prestigieuses. L’association milite notamment pour la création de lycées de filles dont les programmes d’enseignement soient identiques à ceux des lycées de garçons, ainsi que pour l’accès des bachelières à l’université. Une percée advient en 1893 au Bade, avec l’ouverture du premier lycée de filles (Gymnasium) d’Allemagne, à Karlsruhe. En 1899, des jeunes femmes obtiennent pour la première fois l’Abitur (équivalent allemand du baccalauréat), et avec lui l’autorisation d’entrer à l’université. Il faudra toutefois attendre la République de Weimar pour que le nombre de bachelières et d’étudiantes prenne un essor tangible dans toute l’Allemagne. Voir aussi B. Meurer, Marianne Weber, op. cit., p. 147.
-
[29]
Marianne Weber, « Fichte’s Sozialismus und sein Verhältnis zur Marxschen Doktrin » in Carl Johannes Fuchs, Gerhard Schulze-Gaevernitz, Max Weber (dir.), Volkswirtschaftliche Abhandlungen der Badischen Hochschulen, Tübingen, Mohr Siebeck, 1900, p. VI.
-
[30]
Ibid.
-
[31]
Voir aussi H. Schlaffer, Die intellektuelle Ehe, op. cit., p. 30 ainsi que l’introduction consacrée à Max Weber, in Gerd Krumeich, M. Rainer Lepsius (dir.), Max Weber. Briefe 1918-1920, vol. 1, Tübingen, Mohr Siebeck, 2012, p. 28.
-
[32]
Voir I. Gilcher-Holtey, « Modelle ‘moderner’ Weiblichkeit », loc. cit., p. 33-39 Marianne Weber, « Die Beteiligung der Frau an der Wissenschaft » (1904), in Marianne Weber, Frauenfragen – Frauengedanken. Gesammelte Aufsätze, Tübingen, Mohr, 1919, p. 6 ; « Die Frau und die objektive Kultur » (1913), ibid., p. 114.
-
[33]
Voir B. Meurer, Marianne Weber, op. cit., p. 246 et p. 269-270.
-
[34]
Ibid., p. 246.
-
[35]
Lettre de Marianne Weber à Hélène Weber du 20 janvier 1907, ibid., p. 247.
-
[36]
Voir Emanuel Hurwitz, Otto Gross. Paradies-Sucher zwischen Freud und Jung, Zurich, Suhrkamp, 1979 ; Wolfgang Schwentker, « Leidenschaft als Lebensform. Erotik und Moral bei Max Weber und im Kreis um Otto Gross », in Wolfgang J. Mommsen, Wolfgang Schwentker (dir.), Max Weber und seine Zeitgenossen, Göttingen / Munich, Vandenhoek & Ruprecht, 1988, p. 661-681.
-
[37]
Cité par Martin Green, Else und Frieda. Die Richthofen-Schwestern, Munich, 1980, p. 74.
-
[38]
Ibid., p. 80 et 56.
-
[39]
Ibid., p. 776.
-
[40]
Marianne Weber, « Sexual-ethische Prinzipienfragen » (1907), in Marianne Weber, Frauenfragen, op. cit., p. 45.
-
[41]
Marianne Weber, « Die Formkräfte des Geschlechtslebens » (1918), in Marianne Weber, Frauenfragen, op. cit., p. 220.
-
[42]
M. Green, Else und Frieda, op. cit., p. 234.
-
[43]
Max Weber, « Essai sur le sens de la ‘neutralité axiologique’ dans les sciences sociologiques et économiques », in Max Weber, Essais sur la théorie de la science, 1992 [1922], Paris, Plon, p. 389.
-
[44]
Voir Eberhard Demm, Else Jaffé-von Richthofen. Erfülltes Leben zwischen Max und Alfred Weber, Düsseldorf, Droste, 2014, p. 16 et 21.
-
[45]
Ibid., p. 21.
-
[46]
Ibid., p. 86-87. Voir aussi Franziska zu Reventlow, Von Paul zu Pedro, in id., Sämtliche Werke, Briefe und Tagebücher, 1 : Romane, Oldenbourg, Igel-Verlag, 2004, p. 219-220.
-
[47]
Voir Volker Weidermann, Träumer. Als die Dichter die Macht übernahmen, Cologne, Kiepenheur & Witsch, 2017, p. 76-77.
-
[48]
E. Demm, Else Jaffé-von Richthofen, op. cit., p. 160.
-
[49]
Ibid., p. 160.
-
[50]
Assemblée parlementaire, NdT.
-
[51]
Sur les liens entre Marianne Weber et le Landtag, voir Isabelle Berrebi-Hoffmann, Michèle Dupré, Michel Lallement, Gwenaëlle Perrier, « Les formes de travail parlementaire. Une causerie », traduction et commentaire d’un texte de Marianne Weber (1919), Revue française de science politique, 2014, vol. 64, n° 3, p. 459-478.
-
[52]
Lettre de Marianne Weber à Else Jaffé du 9 juin 1920, citée dans B. Meurer, Marianne Weber, op. cit., p. 417.
-
[53]
Voir l’introduction consacrée à Max Weber in Briefe 1918-1920, op. cit., p. 18.
-
[54]
Max Weber, Sociologie des religions, Paris, Gallimard, 1996, p. 443.
-
[55]
Lettre de Max Weber à Else Jaffé du 7 mars 1919, reproduite dans Briefe 1918-1920, vol. I, op. cit., p. 514.
-
[56]
Lettre de Max Weber à Else Jaffé non datée, probablement antérieure au 14 janvier 1919, reproduite dans Briefe 1918-1920, vol. I, op. cit., p. 391.
-
[57]
Voir J. Radkau, Max Weber, op. cit. ; H. Schlaffer, Die intellektuelle Ehe, op. cit., p. 40, 47 et 70.
-
[58]
Voir E. Demm, Else Jaffé-von Richthofen, op. cit., p. 84-85.
-
[59]
Martin Green, Else und Frieda. Die Richthofen-Schwestern, Reinbek bei Hamburg, Kindler, 1974, p. 14.
-
[60]
Marianne Weber, « Sexual-ethische Prinzipienfragen » (1907), in Marianne Weber, Frauenfragen, op. cit., p. 38-51.
-
[61]
Lettres de Max Weber à Else Jaffé des 8 et 9 octobre 1919, reproduites dans Briefe 1918-20, vol. II., op. cit., p. 810.
-
[62]
Lettre de Max Weber à Else Jaffé du 10 août 1919, reproduite dans Briefe 1918-20, vol. II., op. cit., p. 714.
-
[63]
Ibid.
-
[64]
Lettres de Max Weber à Else Jaffé des 8 et 9 octobre 1919, op. cit., p. 809-810.
-
[65]
Lettre de Max Weber à Else Jaffé du 26 février 1920, reproduite dans Briefe 1918-1920, op. cit., vol. II, p. 928.
-
[66]
Lettre de Max Weber à Marianne Weber du 14 mai 1920, reproduite dans Briefe 1918-1920, op. cit., vol. II, p. 1090.
-
[67]
Lettre d’Else Jaffé à Alfred Weber, février 1920, reproduite dans J. Radkau, Max Weber, op. cit., p. 826.
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[68]
Lettre de Max Weber à Else Jaffé, fragment du 24 avril 1920, reproduit dans Briefe 1918-1920, op. cit., vol. II, p. 1030.
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[69]
Lettre de Max Weber à Mina Tobler du 30 avril 1920, reproduite dans Briefe 1918-1920, op. cit., vol. II, p. 1056.
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[70]
Les quatre enfants vivaient à l’Odenwald-Schule, une école réformée employant leur mère comme assistante du proviseur, dont elle était la maîtresse.
-
[71]
Voir Pierre Bourdieu, Sozialer Raum und, Klassen. Leçon sur la Leçon. Zwei Vorlesungen, Francfort-sur-le-Main, 1985, p. 18-19 ; Was heißt sprechen ? Die Ökonomie des sprachlichen Tausches, Vienne, 1990, p. 131 ; Id., Das politische Feld. Zur Kritik der politischen Vernunft, Constance, 2001, p. 93 et sq.