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Article de revue

« Combien de mariages a fait éclore l’affaire Dreyfus ! » Mary Robinson Darmesteter et Émile Duclaux, de l’engagement partagé à la vie commune

Pages 23 à 51

Notes

  • [1]
    Vincent Duclert, « Mary Robinson Darmesteter et Émile Duclaux. Le sens d’une rencontre pendant l’affaire Dreyfus », Jean Jaurès, Cahiers trimestriels, n° 145, 1997, p. 73-92.
  • [2]
    Une thèse originellement dirigée par Madeleine Rebérioux, puis par Dominique Kalifa et soutenue à l’Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne le 17 juin 2009, 2 vol. Une partie a été publiée sous le titre : L’affaire Dreyfus. Quand la justice éclaire la République, Toulouse, Privat, 2010.
  • [3]
    L’initiative en revient à Raymond Dartevelle et à Mélanie Fabre, jeune doctorante dont je co-dirige la thèse à l’Ehess.
  • [4]
    « On ne s’ennuyait plus du tout grâce à cette extension subite de nos amitiés qui avaient souvent pour cadre l’atmosphère feutrée d’art et de livres des maisons amies ». Voir Henriette Psichari, Des jours et des hommes (1890-1961), Paris, Grasset, 1962, p. 43.
  • [5]
    Vincent Duclert, « Mathilde Salomon. Une femme d’action au tournant du siècle », in Jean-Pierre de Giorgio (dir.), L’école des jeunes filles. Mathilde Salomon, Rennes, PUR, 2017, p. 43-72.
  • [6]
    Voir en annexe de cet article la note sur les sources principales de cette histoire.
  • [7]
    Formée aux études historiques, devenue inspectrice d’académie, Jacqueline Bayard-Pierlot a choisi, sa retraite venue, de se consacrer avec raison à l’histoire et à la mémoire de Mary Duclaux. Contribuant à son histoire, elle rédigea une biographie, la première qui existe actuellement (en attendant celle annoncée de Patricia Rigg, professeure à l’université canadienne d’Acadia), Mary Duclaux, 1857-1944, d’une rive l’autre, Paris, Édition Christian, 2017. Voir également sa communication au colloque international « Artisans de la paix et passeurs – Peacemakers and Bridgebuilders », organisé par Sophie Geoffroy et Wanda Yeng Seng-Brossard à l’Université de La Réunion les 20 et 21 octobre 2017, et sa contribution à l’ouvrage dirigé par Sophie Geoffroy, Les femmes et la pensée politique : Vernon Lee et les cercles radicaux, Michel Houdiart éditeur, 2017. Au sujet de la mémoire de Mary Duclaux, Jacqueline Bayard-Pierlot s’efforce de faire connaître son nom, notamment à Aurillac, où elle a su convaincre le lycée Émile Duclaux de baptiser les trois salles du foyer des élèves du nom de Mary Robinson Duclaux.
  • [8]
    Voir à ce sujet Marie Aynié, Les amis inconnus. Se mobiliser pour Dreyfus (1897-1899), Toulouse, Privat, 2011.
  • [9]
    Voir le chapitre qui lui est consacré dans Vincent Duclert, Réinventer la République. Une constitution morale, Paris, Armand Colin, 2013.
  • [10]
    Àce sujet, voir Vincent Duclert et Anne Rasmussen, « La République des savants », in Vincent Duclert et Christophe Prochasson (dir.), Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2002, p. 439-445.
  • [11]
    Daniel Halévy, « Les trois Mary » in Mary Duclaux et Maurice Barrès, Lettres échangées, Paris, Grasset, 1959, p. 13-29. Voir aussi, de même, une courte introduction publiée dans la Revue des deux mondes en 1962 (p. 17-20). Daniel Halévy était né en 1872 et son frère Élie deux ans plus tôt.
  • [12]
    Sur Mabel Robinson, voir la note que lui consacre Henriette Guy-Loë dans Élie Halévy, Correspondance 1891-1937, préface de François Furet, Paris, Éditions de Fallois, 1996, p. 183.
  • [13]
    En 1883, elle avait publié un Emily Brontë (London, W.H. Allen), puis en 1889 The End of middle ages. Essays and questions in history (London, T.F. Unwin).
  • [14]
    Il était affecté d’une malformation du dos le rendant bossu.
  • [15]
    Voir Perrine Simon-Nahum, La cité investie. La « Science du judaïsme » français et la République, Paris, Cerf, 1991 ; Esther Benbassa, Histoire des Juifs de France, Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1997.
  • [16]
    Pour la philologie. Mais le travail accru des savants français tendait à déplacer le centre des études philologiques vers Paris.
  • [17]
    Pour la culture personnelle de James Darmesteter. Il publiait régulièrement dans les revues anglaises.
  • [18]
    « Avec James Darmesteter, historien, philosophe et poète, Mary se trouvait en communauté d’atmosphère. Le savoir de son époux lui ouvrait les domaines de cette énigmatique Perse qui, après avoir, quinze siècles durant, dominé l’Asie, disparut sans retour dans les fondrières de l’histoire. Éditeur de ses textes sacrés, il se proposait d’en suivre les traces et l’influence jusque chez les gnostiques chrétiens. Là-dessus, entre Renan et lui, que de beaux entretiens, auxquels participait Mary, helléniste et poète ! ». Voir Daniel Halévy, Les Trois Mary, op. cit., p. 24.
  • [19]
    Voir par exemple, Marguerite du temps passé, Paris, Armand Colin, 1892 ; Froissart, Paris, Hachette, 1894 et La Vie de Ernest Renan, Paris, C. Lévy, 1898, tous deux primés par l’Académie française.
  • [20]
    Mary Darmesteter, The French procession, a pageant of great writers, London, T. Fisher Unwin, 1909.
  • [21]
    En 1901, elle publie chez Calmann-Lévy, Grands écrivains d’outre-Manche : les Brontë, Thackeray, les Browning, Rossetti auquel La Fronde consacre, sous la plume de Harlor, un vibrant compte rendu en première page de l’édition du 24 juillet 1901, « Trois génies féminins » (que m’a signalé Mélanie Fabre).
  • [22]
    Sur leur amitié dès les années 1880, voir les évocations de Paul Bourget présentes dans le « Mémorandum d’un voyage en Italie, mars, avril, mai 1885 », Bibliothèque nationale de France, départements des manuscrits, Naf. 13718. (décormais, BNF). Voir également « Quelques lettres de la correspondance de Madame Émile Duclaux », (infra, p. 37).
  • [23]
    « Il y a la jeune fille en proie au mal de mer qui séduisit le vieux Robert Browning en serrant un chat sur son cœur sur le bateau de Douvres, la jeune femme qui poursuivit le fantôme d’Emily Brontë à travers les bruyères des moors, la Mary Robinson de Florence, comme disait Barrès, amie de Henry James et de John Singer Sargent, qui courait les tombes étrusques dans les collines toscanes, la disciple de Taine et l’amie de Renan qui se convertit à la chasse aux manuscrits médiévaux, et, enfin, la femme mûre qui choisit un biologiste auvergnat pour le suivre jusqu’en Auvergne et y mourir. Il y a des avatars, nombreux ; il n’y a qu’une Mary ». Voir Jacqueline Bayard-Pierlot, D’une rive à l’autre, op. cit., p. 6.
  • [24]
    « C’était un touchant spectacle, celui que donnaient ensemble le docteur octogénaire causant avec la poétesse, de très peu sa cadette […]. Au cours des années déjà ensauvagées de la récente avant-guerre, les deux vieillards semblaient survivre à un monde disparu ». Voir « Les trois Mary », art. cit., p. 29. Des lettres du docteur Roux, datant de 1921, témoignent de cette profonde et durable amitié. Voir « Quelques lettres… », op. cit., p. 34 bis et 34 ter.
  • [25]
    James Darmesteter, Critique et politique, préface de Mary Darmesteter, Paris, C. Lévy, 1895.
  • [26]
    Cet ouvrage parut en 1896 chez Calmann-Lévy. La lettre de Ludovic Halévy contenant ses propositions de correction, datée du 2 septembre 1895, est reproduite dans « Quelques lettres.. », op. cit., p. 22-24.
  • [27]
    Ludovic Halévy, lettre à Élie Halévy, 10 juillet 1895, citée in Société historique et archéologique de Sucy-en-Brie, « Haute-Maison, les Halévy et leurs proches », exposition (19 au 30 septembre 1993), p. 23.
  • [28]
    Élie Halévy, Correspondance, op. cit., p. 138.
  • [29]
    « Les petites-filles de Duclaux l’avaient enlevée au moment de l’exode et conduite dans leur province où elle avait vécu, nourrie des produits de leurs terres et chauffée du bois de leurs arbres. Ainsi donc avait-elle fermé les yeux, la fée nordique : ni lauréate, ni ‘lady’, ni portée à Westminster, mais couchée dans le caveau d’une famille de terriens auvergnats ». Voir Daniel Halévy, Les Trois Mary, op. cit., p. 15. Mary Duclaux est décédée au 6 rue Transparot. Elle est enterrée auprès de son époux Émile Duclaux au cimetière d’Aurillac.
  • [30]
    Bibliothèque nationale de France (BNF), Correspondance Gaston Paris, Nafr 24437, f°130.
  • [31]
    Élie Halévy, La formation du radicalisme philosophique, Paris, Alcan, 3 vol., 1901-1904 ; Histoire du peuple anglais au xixe siècle, Paris, Armand Colin, 6 vol., 1912-1932. Il n’existe pas encore de réédition disponible de cette œuvre magistrale bien qu’inachevée. Toutefois a débuté depuis 2016 l’édition, sous l’égide des Belles Lettres et de la Fondation nationale des sciences politiques, des œuvres complètes d’Élie Halévy, une entreprise placée sous la direction de Vincent Duclert et de Marie Scot.
  • [32]
    « Chez Mme Darmesteter, causerie. Grande impression de confiance ». Voir Daniel Halévy, Regards sur l’affaire Dreyfus, Paris, De Fallois, 1994, p. 39.
  • [33]
    Ibid., p. 257-258. Précisons que « M. J. Darmesteter » est l’une des rares femmes à signer la première protestation des intellectuels. Voir Jacques Julliard et Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Seuil, 1996, p. 382.
  • [34]
    Cette photographie est publiée en couverture du livre édité par Jean-Pierre Halévy, Regards sur l’affaire Dreyfus, op. cit. Sur la famille Halévy dans l’affaire Dreyfus, voir Vincent Duclert, « Élie et Daniel Halévy dans l’affaire Dreyfus. Le savant, le poète et le politique » in Henri Loyrette (dir.), La famille Halévy, 1760-1960. Entre le théâtre et l’histoire, Paris, Fayard-Réunion des Musées Nationaux, 1996, p. 220-235.
  • [35]
    Mary Darmesteter, lettre à Gaston Paris, 18 août 1899 (BNF, Nafr. 24437, f°151).
  • [36]
    Il a été, à ce titre, le professeur d’Élie Halévy. Sur Ferdinand Brunetière dans l’affaire Dreyfus, nous renvoyons à l’étude d’Antoine Compagnon, Connaissez-vous Brunetière ? Enquête sur un antidreyfusard et ses amis, Paris, Seuil, 1997.
  • [37]
    Célestin Bouglé, « Philosophie de l’antisémitisme (L’idée de race) », La Grande revue, 1er janvier 1899, p. 143-158. Bouglé tient particulièrement à la publication rapide de son article, et Élie Halévy lui offre aide et conseils. Voir Correspondance, op. cit., p. 235 et sq.
  • [38]
    Lettre d’Élie Halévy à Louis Havet, 17 août 1898. Voir Correspondance, op. cit., p. 253.
  • [39]
    Sur Émile Duclaux dans l’affaire Dreyfus, voir Michel Heyman, « Émile Duclaux et l’affaire Dreyfus », Revue de la Haute-Auvergne, 1993, p. 198-210 ; Vincent Duclert, « Le savant, l’intellectuel et le politique : l’exemple d’Émile Duclaux dans l’affaire Dreyfus », in Michel Wonoroff (dir.), Savant et société aux xixe et xxe siècles, Besançon, Université de Franche-Comté, 1995, p. 133-158.
  • [40]
    Plus tard, en 1903, il écrira à Joseph Reinach au sujet de James Darmesteter : « Il y a longtemps que je connais et que j’apprécie ce sang généreux et j’ai été heureux de le voir célébrer par vous » (BNF, Correspondance Joseph Reinach, Nafr 13572, f° 163).
  • [41]
    Émile Duclaux, Avant le procès, Paris, P.-V. Stock, 1898, p. 18-19.
  • [42]
    Mentionnons le rôle de la bonne, Catherine, et de la grand-mère maternelle des deux garçons, Laure Briot, comme le rappelle Jacqueline Bayard Pierlot dans sa biographie de Mary Duclaux, D’une rive l’autre, op. cit., p. 70.
  • [43]
    Jacqueline Bayard-Pierlot, D’une rive l’autre, op. cit., p. 71.
  • [44]
    « Les lettres qu’il m’écrivait assez constamment depuis le printemps de 1898 pendant toute la durée de l’Affaire ». Voir Mary Duclaux, La Vie de Émile Duclaux, Laval, L. Baméoud et cie imprimeurs, 1906, p. 245-246.
  • [45]
    Lettre d’Émile Duclaux à Mary Darmesteter, sd, citée par Gustave Bloch, « Émile Duclaux », Bulletin de l’Association des anciens élèves de l’École normale supérieure, 1905, p. 89.
  • [46]
    La lettre est publiée le 10 janvier 1898 en une du journal.
  • [47]
    Lettre citée par Mary Duclaux, La vie de Émile Duclaux, op. cit., p. 241.
  • [48]
    Mary Duclaux, La vie de Émile Duclaux, op. cit., p. 241.
  • [49]
    Ibid., p. 243.
  • [50]
    Voir aussi l’analyse de Jacqueline Bayard-Pierlot qui relève qu’effectivement la situation n’est pas présentée de façon tout à fait semblable par les deux futurs époux et souligne toutefois que les premières approches au sujet d’un possible mariage émanent de Mary. Voir Jacqueline Bayard-Pierlot, D’une rive l’autre, op. cit., p. 71-72.
  • [51]
    Daniel Halévy, Les Trois Mary, op. cit., p. 24-25.
  • [52]
    Gaston Paris, lettre à Mary Duclaux, 3 janvier 1901, en-tête du Collège de France (« Quelques lettres … », op. cit., p. 26). Le « petit souvenir » que lui réserve Gaston Paris est un petit vase du verrier Émile Gallé, choisi personnellement pour l’artiste : « Vous y placerez une fleur et vous y verrez le symbole de ma vieille et bien fidèle amitié ».
  • [53]
    Émile Duclaux, lettre à Louis Havet, 24 octobre 1900 (BNF, Nafr. 24493/2, f° 157).
  • [54]
    Émile Duclaux, lettre à Pierre Duclaux, 11 octobre 1900 (Fonds Jacqueline Bayard-Pierlot).
  • [55]
    Cité par Gustave Bloch, « Émile Duclaux », art. cit., p. 88. Voir aussi Émile Duclaux, L’éducation des cellules. Conférence faite à l’Association des étudiantes, 28 rue Serpente, sd, p. 16. Archives de l’Institut Pasteur.
  • [56]
    Vincent Duclert, « Le savant, l’intellectuel et le politique », art. cit.
  • [57]
    Mélanie Fabre, Dick May, une femme à l’avant-garde d’un nouveau siècle (1859-1925), préface de Vincent Duclert, Rennes, PUR, 2019.
  • [58]
    Sur un plan matériel et financier, Mary Duclaux dispose de revenus grâce à ses nombreux droits d’auteur et à la rubrique qu’elle tient régulièrement dans le Times Literary Supplement à partir de 1900. S’ajoute à cela un petit héritage qui lui vient de son premier mari. « Elle a eu grand souci, c’est évident, de ne pas paraître faire un mariage d’intérêt ». Voir Jacqueline Bayard-Pierlot, D’une rive l’autre, op. cit., p. 81.
  • [59]
    Mary Duclaux, Émile Duclaux, op. cit.
  • [60]
    « Il me semble que l’on n’a pas une impression suffisamment franche du milieu pastorien d’alors et de la vie de laboratoire. Sans doute dans la correspondance avec Gernez vous avez trouvé des détails qui ne peuvent être reproduits sans paraître des blasphèmes contre le Dieu de la microbie. » (Émile Roux, lettre à Mary Duclaux, 29 août 1904, AIP, f°11523).
  • [61]
    « Duclaux aimait bien mûrir un projet pendant longtemps dans son esprit, s’en débarrasser ensuite par une exécution sommaire, pour y revenir dans la suite, en reprenant son thème d’une façon entièrement neuve. La force d’un esprit, son originalité et surtout sa puissance dépendent, j’imagine, de cette patience et de cette puissance de renouvellement. M. Renan m’a un jour avoué qu’il travaillait à peu près de la même façon. » (Mary Duclaux, La Vie d’Émile Duclaux, op. cit., p. 235).
  • [62]
    Lettre à Auguste Scheurer-Kestner, publiée dans Le Temps du 10 janvier 1898.
  • [63]
    Mary Duclaux, La Vie d’Émile Duclaux, op. cit., p. 292.
  • [64]
    Lettre de Mary Duclaux à Gaston Paris, 29 mai 1902 (BNF, Nafr 24437 f° 175).
  • [65]
    Mary Duclaux, La Vie d’Émile Duclaux, op. cit., p. 293-300.
  • [66]
    Mary Duclaux, lettre à Élie Halévy, 15 août 1901, fonds Élie Halévy (ENS). On ignore la réponse d’Élie, toutefois ce dernier s’enquiert de la demande auprès d’un jeune et éminent kantien, son ami Léon Brunschvicg, qui lui écrit le 20 août (datation : Henriette Guy-Loë) : « Mon cher Élie, Voici la phrase de Kant (tr. Barni) : Deux choses remplissent l’âme d’une admiration ou d’un respect toujours renaissants et qui s’accroissent à mesure que la pensée y revient plus souvent et s’y applique davantage : le ciel étoilé au dessus de nous ; la loi morale au-dedans. »
  • [67]
    Remerciant Mary Duclaux de l’envoi d’une photographie de la « Haute Maison », Émile Roux lui confie : « Il suffit de regarder les beaux ombrages qui l’entourent pour savoir que vous êtes bien » (Émile Roux, lettre à Mary Duclaux, 9 juillet 1905, AIP, M. AI, f° 11534).
  • [68]
    On ignore les raisons pour lesquelles cet ouvrage n’a pas été commercialisé par l’un des éditeurs de Mary Duclaux. Un chapitre a été publié toutefois par la revue d’avant-garde Pages libres en mars 1907 (n° 322). Selon certaines sources, son auteur ne souhaitait pas donner une trop grande publicité à un livre qu’elle jugeait trop « progressiste ».
  • [69]
    Émile Roux, lettre à Mary Duclaux, sd [15-07-1904] (f° 11517).
  • [70]
    Émile Roux, lettre à Mary Duclaux, 10 août 1904 (f° 11520).
  • [71]
    Émile Roux, lettre à Mary Duclaux, 17 août 1904 (f° 11521). La vallée mentionnée est celle de la Cère en contrebas d’Olmet.
  • [72]
    Émile Roux, lettre à Mary Duclaux, 16 janvier 1905 (f° 11530).
  • [73]
    Émile Roux, lettre à Mary Duclaux, 10 septembre 1906 (f° 1549).
  • [74]
    Ainsi, celle du pasteur Charles Wagner écrivant à Mary Duclaux, le 5 janvier 1907 : « Merci d’avoir bien voulu m’offrir ce livre de piété et de souvenir fidèle où vous racontez la belle vie de Monsieur Duclaux. Je garderai précieusement vos pages en mémoire de lui et de vous. Et je les aime pour leur vérité, leur largeur, les choses simples et bonnes qu’elles enseignent à aimer et les horizons qu’elles ouvrent ». Citée dans « Quelques lettres… », op. cit., p. 28.
  • [75]
    « La Vie de Émile Duclaux est donc un livre de vérité », Louis Farges, tiré-à-part de la Revue de la Haute-Auvergne, Aurillac, imprimerie E. Bancharel, 1907.
  • [76]
    Mary Duclaux tenait la rubrique de la littérature française pour le supplément littéraire du Times.
  • [77]
    Le testament d’Émile Duclaux n’avait pas laissé à sa femme l’usufruit de sa maison du Cantal. Par la volonté de Jacques qui en hérita, Olmet devint l’une des demeures de Mary Duclaux. Jacqueline Bayard-Pierlot qui l’habite aujourd’hui a relevé de nombreuses traces de sa présence, « en particulier des livres, dont beaucoup dédicacés » (D’une rive l’autre, op. cit., p. 82). Mary Duclaux évoque dans ses essais « a farm in the Cantal ».
  • [78]
    Lettre de Maurice Barrès à Mary Duclaux, 10 avril 1913, in Maurice Barrès, Lettres échangées, op. cit. p. 47
  • [79]
    Mary Duclaux, lettre à Henriette Noufflard, 7 janvier 1997, copie remise par Henriette Guy-Loë à Vincent Duclert le 4 septembre 1997 accompagnée d’une lettre de cette dernière (« En rangeant des vieux papiers, je retrouve cette lettre qui vous intéressera peut-être. Je n’en avais gardé nul souvenir – pas plus d’ailleurs que celle à laquelle elle répond : qu’avais-je bien pu lui écrire sur Duclaux ? »), et reproduite p. 41.
  • [80]
    Gaston Paris, lettre à Mary Darmesteter, 3 janvier 1901, cf. supra.

1En 1997, alors doctorant, je publiai dans les Cahiers Jean Jaurès une étude sur le « sens d’une rencontre pendant l’affaire Dreyfus » [1] entre un éminent scientifique, Émile Duclaux, directeur de l’Institut Pasteur, et Mary Robinson, poétesse et essayiste née en Angleterre le 27 février 1857, venue en France où elle épousa l’orientaliste de renom James Darmesteter, professeur au Collège de France, directeur de la Revue de Paris, avant que celui-ci ne disparaisse subitement le 19 octobre 1894. C’est à la faveur d’une défense publique de la mémoire de son mari qu’au printemps 1898 Mary Darmesteter entre en relation avec Émile Duclaux. Pour ne plus le quitter. Grâce à ma thèse sur l’engagement des savants dans l’affaire Dreyfus [2], je pus réunir un corpus substantiel, mais partiel, d’écrits, de correspondances, de photographies, capable d’esquisser l’histoire de ce couple inattendu dont la vie commune, interrompue presque aussitôt par la mort du savant, resta empreinte de liberté et de mélancolie. Me préoccupant de l’histoire des femmes au tournant du siècle, me spécialisant dans l’œuvre d’Élie Halévy qui fut, avec ses parents Louise et Ludovic et son frère Daniel un très proche de Mary, me liant d’amitié avec la nièce de ce dernier, Henriette Guy-Loë, qui s’est elle aussi rapprochée de Mary Duclaux, je continuais de collecter différents documents en imaginant un jour rouvrir et compléter ce dossier d’un couple né dans l’affaire Dreyfus, dont la brièveté de l’existence le dispute à la richesse d’une vie commune.

2C’est chose faite aujourd’hui dans le cadre de ce numéro spécial consacré aux couples de la Belle époque [3], dans lequel je reprends cette étude à la lumière des nouvelles sources retrouvées sur l’union de Mary et d’Émile : si l’affaire Dreyfus a pu diviser et séparer, en témoigne la fameuse et trop invoquée caricature de Caran d’Ache, « Ils en ont parlé », elle engendra aussi d’intenses recompositions marquées dans le monde dreyfusard par une véritable redécouverte de l’amitié comme expérience morale autant que comme dynamique sociale.

3« L’extension subite de nos amitiés » selon l’expression d’Henriette Psichari [4] se nourrissait du sentiment d’appartenir à une communauté d’êtres unis par une même volonté de faire prévaloir dans la vie des sociétés les valeurs humaines les plus hautes : la justice, la vérité, la fraternité… L’engagement dreyfusard rendait ce sentiment immédiatement réel et vivant tandis que le dreyfusisme s’appliqua à en donner une traduction intellectuelle au plus près des existences comme en témoigne l’amitié indéfectible qui allait unir jusqu’à la mort du premier le philosophe Frédéric Rauh, auteur de L’expérience morale en 1903 et la pédagogue Mathilde Salomon, directrice de l’école Sévigné. Une nouvelle étude sur cette dernière jalonna cette recherche sur les couples de l’Affaire [5].

4Parmi les sources de ces enquêtes figurent au premier plan les correspondances, d’abord celles qui rapprochent les couples et construisent les unions par l’expression des sentiments, par la langue qui vient compenser l’absence et se faire présence. La rencontre d’Émile Duclaux et de Mary Robinson Darmesteter est partie de lettres échangées, elle s’est épanouie dans leur correspondance et grâce à l’intimité qu’elle offrait. Il y a aussi la correspondance avec des tiers qui renseigne sur leur rencontre. De nouvelles lettres sont venues s’ajouter à celles déjà retrouvées pour l’article de 1997. Les recherches conduites sur Émile Duclaux dans le cadre de ma thèse m’ont conduit à Aurillac, à la recherche de nouvelles archives [6] et à la découverte de la maison du savant à Olmet sur laquelle veille son arrière-petite fille devenue en 2015 la biographe inspirée de Mary Duclaux [7]. L’occasion qui m’est donnée ici de retravailler la genèse de ce couple né de l’affaire Dreyfus comme beaucoup d’autres encore ignorés [8], s’apparente de la même manière à la possibilité de retrouver la figure largement oubliée de Mary Duclaux, semblable en cela à tant d’autres femmes de ce proche et toujours lointain contemporain. Plus on entre dans l’histoire de la Belle Époque et de l’Ère des tyrannies, plus s’affirme celle de Mary – et à des échelles qu’on n’imagine pas dont celles des internationales littéraires et du laboratoire scientifique.

5Avant le tournant des années 1940 en France, les femmes étaient absentes de nombreux domaines de la société, aboutissant à les rendre toujours plus invisibles alors même que le monde changeait. Et lorsqu’elles existaient dans certains milieux, la société codifiée par des normes masculines refusait de les voir ou bien jugeait leur action à l’aune de représentations durables et réductrices. Le combat en partie victorieux de Marie Curie [9] ne peut faire oublier que son parcours de femme dans la recherche et dans la vie publique fut en tout point unique. De manière quasi-systématique, lorsque les femmes approchaient des sphères du savoir et du pouvoir, elles étaient rattrapées par de puissants préjugés qui diminuaient voire abolissaient leur œuvre. Ce sacrifice coûta considérablement aux sociétés européennes, y compris dans la connaissance qu’elles avaient d’elles-mêmes en se privant de l’apport inestimable du regard des femmes : parce qu’elles étaient repoussées sur leurs marges, elles en repéraient bien des mécanismes sociaux, intellectuels et culturels qui échappaient aux hommes.

6Mary Duclaux en fournit une singulière illustration. Sa Vie d’Émile Duclaux livre des analyses qu’aujourd’hui l’histoire des sciences pourrait faire sienne au sujet des déterminations non scientifiques intervenant dans la vie de laboratoire, de la même manière que l’historiographie des intellectuels y trouverait matière à compréhension des engagements civiques des savants [10]. Mais la parole d’une femme et d’une écrivaine, pertinente y compris dans des travaux qui l’apparentent à une historienne, n’est pas considérée, encore moins entendue. La preuve en est que la Vie d’Émile Duclaux ne trouva jamais d’éditeur, qu’on n’imagina pas que son livre puisse intéresser au-delà du cercle des collègues, des amis et de la famille du savant. L’affaire Dreyfus permit à certaines femmes de sortir de l’invisibilité, brièvement. Car Mary Duclaux retourna bientôt dans l’ombre, jusqu’à sa mort. La biographie de Jacqueline Bayard-Pierlot contribue pour cela à une compréhension nouvelle des espoirs vaincus de l’affaire Dreyfus.

« Les trois Mary »

7En 1959, un écrivain vieillissant, Daniel Halévy [11], se souvint de l’éclat de sa jeunesse illuminée par l’affection d’une jeune poétesse et essayiste d’origine anglaise, Mary Robinson, au départ une amie de ses parents Louis et Ludovic, écrivaine aujourd’hui méconnue mais d’une grande importance pour la connaissance du premier xxe siècle littéraire, animant un monde littéraire encore très masculin par ses relations cosmopolites traduites en correspondances capitales. Choisissant de publier aux éditions Grasset l’une de ces correspondances, il signa un portrait mélancolique et inspiré d’une femme aux trois vies résumées par ses patronymes, Robinson, Darmesteter et Duclaux. Mais c’est son prénom que l’écrivain choisit de mettre en exergue, donnant d’elle un portrait de femme dont la valeur aurait dépendu surtout de la qualité des hommes qu’elle rencontra. Aujourd’hui, des travaux inscrits dans une nouvelle historiographie de la production littéraire, artistique et intellectuelle mettent en lumière l’éclat de son œuvre tant anglaise que française, son rôle de passeuse entre les élites culturelles françaises et anglaises, ses choix et ses engagements qui ne tiennent qu’à elle et à ses convictions. Née à Leamington dans le Warwickshire dans une famille indépendante d’esprit et très cultivée, Agnes Mary Frances Robinson s’affirma très tôt comme une jeune poétesse et essayiste anglaise, de grande indépendance d’idée, proche des milieux indépendantistes irlandais dont elle partageait comme sa sœur Mabel [12] les convictions. Après un immédiat succès littéraire à Londres au début de ses vingt ans puis une expérience italienne aussi intense qu’artiste à Florence avec Violet Paget, dite Vernon Lee, Mary s’éprit de la langue française. Elle s’installa à Paris, d’abord avec Vernon Lee (avec laquelle elle rompt en 1887), et publia plusieurs ouvrages historiques et littéraires [13]. En 1888, Mary Robinson épousa James Darmesteter, « historien philosophe » comme le désigna plus tard Daniel Halévy, affecté d’une grave infirmité physique [14]. Leur amour fut intense, ponctué de lettres, de séparations, de retrouvailles. Orientaliste de renom, professeur de persan au Collège de France, élève de Michel Bréal, disciple de Renan, il avait été l’inventeur et le défenseur du franco-judaïsme qui aspirait à unir les valeurs intellectuelles de la religion juive et les aspirations démocratiques de la Révolution et de la République [15]. Darmesteter était, avec son frère Arsène également philologue, au centre d’un réseau scientifique moderne et complexe, international avec ses pôles berlinois [16] et londonien [17]. Son réseau était en même temps profondément français. Mary Robinson l’adopta aussitôt et l’étendit en créant l’un des salons les plus intellectuels parmi les salons parisiens. « Ainsi, d’Anglaise, elle s’était faite Française », poursuit Daniel Halévy, la voyant passer, « le plus naturellement du monde, de la cité lettrée à la cité savante » [18]. « Elle s’était faite Française », non seulement par son mariage mais aussi par ses œuvres de l’esprit et sa maîtrise de la langue dans laquelle elle traduisit nombre de ses essais originellement écrits en anglais, avant de publier directement en français [19]. Elle débuta ainsi en France une longue et originale carrière littéraire qui la mena, notamment, à participer à la création du Prix « Fémina-Vie heureuse » qu’elle présida durant de nombreuses années, à faire connaître les écrivains français en Angleterre [20] et inversement [21], et à devenir l’amie des plus grands, de Renan à Marcel Proust, d’Anatole France à Taine, de Paul Bourget [22] à Maurice Barrès, d’Henry James à George Moore. Si Daniel Halévy résuma la vie de son amie par les trois patronymes si dissemblables qu’elle allait unir, il restitua de bien plus nombreuses Mary, comme s’y employa également la biographie de 2017 [23]. Ses écrits, ses correspondances, et les souvenirs pieusement conservés par ses nombreux amis jusqu’au dernier d’entre eux, le plus cher peut-être, le docteur Roux qui succéda à Émile Duclaux [24], restituent les différents visages d’une femme remarquable vivant encore près de quarante ans après la disparition de son dernier mari. En moins de dix ans, elle dut affronter en effet la mort de James Darmesteter le 19 octobre 1894, et celle d’Émile Duclaux le 2 mai 1904, parvenant à se recréer tout en conservant le plus précieux des êtres disparus.

L’indéfectible amitié des Halévy

8La mort de James Darmesteter désespéra Mary. Elle se laissa dépérir, cessant de s’alimenter non sans avoir au préalable écrit, en mémoire de son mari, un long texte d’introduction au recueil posthume de ses articles, Critique et politique[25]. Écrivain, librettiste, personnalité qui comptait dans le Paris artiste de l’époque, Ludovic Halévy lut cette préface. Il la trouva si réussie qu’il s’en alla féliciter son auteure qu’il connaissait déjà pour avoir, notamment, lu et corrigé le manuscrit de l’avant-propos qu’elle destinait aux Nouvelles études anglaises de James Darmesteter [26]. C’était au début de l’été de 1895. Arrivé boulevard Latour-Maubourg où habitait Mary, Ludovic Halévy s’alarma de son état de grande faiblesse et insista pour qu’elle vint se reposer dans la grande demeure qu’il venait d’acquérir à Sucy-en-Brie, loin de l’Ouest parisien et des résidences de ses confrères de l’Académie. Mary finit par accepter, en se souvenant de la lettre que lui avait envoyée après la mort de son mari Mme Ludovic Halévy née Louise Breguet. Les deux femmes se connaissaient à peine, mais Mary avait été touchée du geste et du ton. Le couple s’était ému du destin de la jeune veuve et en avait parlé à leurs deux fils. Mary Darmesteter accepte une invitation à la Haute Maison au début de l’été 1895. « Elle va probablement revenir… Elle a été tout à fait, tout à fait charmante. Nous la garderons volontiers indéfiniment si elle voulait » [27], écrivit Ludovic Halévy à son aîné. À cette époque, Élie Halévy réalisait un séjour de travail en Allemagne pour y étudier l’enseignement de la philosophie, et les lettres que lui adressaient ses parents les montrent sous le charme de « cette très remarquable et jolie jeune femme », suivant l’expression d’Henriette Guy-Loë qui recueillera et éditera la correspondance de son oncle Élie [28] et qui entretint elle-même une étroite amitié avec Mary. L’une des dernières lettres qu’on lui connaisse est adressée à la jeune Henriette ; elle est datée du 7 janvier 1944. Un mois plus tard, Mary décédait à Aurillac, dans la petite patrie de son cher Duclaux [29].

9Mary Darmesteter élut donc domicile durant l’été 1895 à la « Haute Maison » de Sucy. Dans une lettre du 31 août 1896, elle parle à Gaston Paris de son travail sur la version française de son Renan et semble prendre beaucoup de plaisir à la vie à la campagne dont elle fait une description enthousiaste [30]. Elle retourne aussi régulièrement en Angleterre où demeurent sa mère et sa sœur. En septembre 1896, les deux jeunes frères Halévy accompagnés d’un grand ami d’Élie, le futur sociologue Célestin Bouglé, font un bref voyage en Angleterre et se rendent chez « les Robinson », la mère de Mary et sa sœur Mabel qui viendront vivre ensuite à Paris, devenant notamment des intimes des Halévy. À l’inverse, grâce aux nombreuses relations de Mary outre-Manche, Élie peut nouer les premiers contacts avec l’élite littéraire anglaise, complétant des réseaux plus universitaires qui le dirigent vers le radicalisme philosophique et l’histoire du peuple anglais [31]. En France, Mary a adopté la demeure de Sucy et elle y fait de nombreux séjours. Elle revoit aussi à Paris les Halévy, recevant fréquemment Daniel et l’aidant, comme la cousine de ce dernier, Geneviève Strauss, à s’affirmer dans le Paris des salons et des avant-gardes.

L’affaire Dreyfus, vécue ensemble

10L’amitié la liant aux Halévy va se renforcer encore dans l’affaire Dreyfus, attestant de la dimension morale et de l’espoir intellectuel nés de ce grand événement. Dans les débuts de l’Affaire au cours de l’hiver 1897, Mary Darmesteter est d’un précieux secours pour redonner confiance [32] et mobiliser les confrères hésitants de James Darmesteter, dans la perspective notamment d’une protestation solennelle au projet de laquelle travaillent Élie et Daniel :

11

J’ai eu un après-midi bien Dreyfus, écrit-elle au second. Après que votre père est parti, j’ai eu la visite de M.A. Leroy-Beaulieu, du Dr. Henry Cazalis et de M. Gaston Paris. Tous ces hommes étaient bien flottants, bien indécis. Mais ils m’ont quittée dans un meilleur esprit. Pourvu que cela dure ! Et je crois qu’en tout cas vous pouvez vous présenter chez eux sans être sûr d’avance d’essuyer un refus [33].

12Beaucoup des grands noms de la science française se cantonnent toutefois dans une prudente réserve, à l’inverse de la famille Halévy qui se passionne pour « l’affaire ». Le procès de Rennes captive la Haute Maison. Une scène saisie pendant l’été 1899 (vraisemblablement par Louise, les parents Halévy s’étant entichés de la photographie) montre ainsi Élie, Daniel et sa jeune femme Marianne, Ludovic et Mary Darmesteter, tous plongés dans la lecture du Figaro et de ses comptes rendus d’audiences [34]. Une lettre de Mary à Gaston Paris évoque elle aussi ce moment fondateur qui déterminera des vies et des engagements et qui prend place dans la tranquillité de la demeure de Sucy :

13

vous devinez que nous ne pensons qu’à cela et ne parlons que d’elle [l’Affaire]. Élie et moi sont [sic] pour l’acquittement, croyant irrésistibles la force et le poids de la Vérité. M. Halévy est bien pessimiste. Daniel et Louise se rangent tantôt de son côté tantôt du nôtre. On me dit que Galliffet est admirable de décision. Mais en somme que peut- il faire ? La déposition de Picquart si ferme, si claire, contrastée avec le petit esprit de Mercier, les […] déments de Roget, est ce sur quoi je base mon espoir, et rien d’extérieur… Quant à Dreyfus, je le crois très malade. Il doit avoir des absences, être souvent, presque constamment, bien loin de son affaire. Puis, quelques brusques sursauts, quelques subits et affreux réveils. Un ressort est détraqué en cette âme : la volonté persiste, mais je me demande si la conscience (je ne parle pas de la conscience morale) n’est pas déjà bien confuse et obscurcie. C’est affreux. C’est Philoclèle qui revient de son île, en homme qui ne peut plus vivre parmi les autres hommes [35].

Une rencontre avec Émile Duclaux sous le signe de l’engagement

14En mars 1898, en pleine Affaire, la réputation scientifique de James Darmesteter est attaquée par Ferdinand Brunetière. Le directeur de la Revue des deux mondes, membre de l’Académie française, maître de conférences à l’École normale supérieure [36], publie à la suite du procès Zola un habile réquisitoire contre l’engagement des savants pour le droit et la vérité. L’argumentation tranche avec les attaques des antidreyfusards. Brunetière est plus modéré, en apparence. Car ses critiques sont assassines. Récusant à titre personnel tout antisémitisme, il en fait remonter la responsabilité aux anthropologues et philologues qu’il combat dans sa croisade contre la science, accusant cette dernière d’avoir généré l’inégalité des races et engendré par là le développement de l’antisémitisme moderne. La charge est assez caricaturale d’un positivisme mal compris qui, par ailleurs, était déjà, à cette époque, largement abandonné par la science comme le montrera, en réponse à Brunetière, Célestin Bouglé dans un article de la Grande Revue[37]. Parmi les savants soi-disant « responsables » de l’antisémitisme, Brunetière désigne particulièrement les Juifs et s’en prend nommément aux travaux de James Darmesteter.

15Les confrères de James Darmesteter qui sont aussi les amis de Mary, tardent à réagir, malgré les demandes pressantes d’Élie Halévy, à Louis Havet notamment [38]. Gaston Paris se cantonne dans un silence prudent bien qu’il soit acquis en son « for intérieur » aux dreyfusards. Mais le directeur de l’Institut Pasteur a pris les devants [39]. Les attaques contre les juifs, contre la science, contre la démocratie révoltent Émile Duclaux [40]. Dès les premiers jours de 1898, il était déjà intervenu comme savant dans l’affaire Dreyfus. Prenant la tête de la pétition « des intellectuels », il avait déposé au procès Zola. Il répondit alors à Ferdinand Brunetière dans un article d’abord publié par la Revue du Palais puis en plaquette par l’éditeur Stock. Il y critiquait la vision d’une science fermée et démontrait la légitimité de l’engagement intellectuel des savants. Mais il ne manquait pas non plus de prendre la défense de la mémoire de James Darmesteter [41]. Touchée par ces mots, Mary Darmesteter écrivit à Émile Duclaux qu’elle ne connaissait pas, pour le remercier de sa défense. Il lui répondit. Veuf depuis près de vingt ans après la mort de sa femme née Mathilde Briot, il avait élevé seul [42] leurs deux fils. Mary Darmesteter, âgée seulement de quarante ans, décida de faire une visite au savant de près de vingt ans son aîné (Émile Duclaux allait sur ses cinquante-huit ans) pour le remercier de son acte de courage. « Ils continuent à se voir, Émile se met à fréquenter le salon de Mary, en devient familier, et petit à petit, chacun se met à espérer qu’il puisse y avoir une issue favorable à leur double solitude » [43].

Les aveux d’une correspondance

16Entre Mary Darmesteter et Émile Duclaux débuta une intense correspondance où s’épanouit une relation de plus en plus proche, à mi-chemin de l’amitié et de l’amour. Il lui racontait dans ses lettres fréquentes [44] sa double vie de militant dreyfusard et de savant pastorien, s’efforçant de conjuguer l’exposition publique très vive à laquelle il était contraint et une vie de laboratoire et d’administrateur loin des passions politiques. Elle l’admirait, il s’en défendait : « Vous m’estimez trop haut. Il faut distinguer entre ceux qui ont des qualités rares, et ceux qui marchent avec des qualités communes fécondées par la volonté et le travail » [45].

17Nous ne connaissons pas les toutes premières lettres qu’ils échangèrent, mais Mary publia des extraits des suivantes dans le livre qu’elle consacra à la vie de Duclaux et qui parut, hors-commerce, en 1906, deux ans après sa mort. Dans ses missives, Duclaux fit notamment le récit du jour où il a décidé de s’exprimer publiquement dans l’Affaire, par une lettre solennelle du 8 janvier 1898 adressée au Siècle[46]. À la suite d’une demande du sénateur dreyfusard Auguste Scheurer-Kestner qui l’avait interrogé sur ce qu’il pensait « comme savant » de l’acte d’accusation dressé contre Dreyfus et qui venait d’être publié dans la presse, il décide de rendre publique sa réponse, revendiquant hautement le pouvoir de l’esprit scientifique capable d’orienter les consciences vers les décisions nécessaires – quand bien même ces dernières devaient impliquer d’importants sacrifices personnels :

18

Je me vois encore remontant vers l’heure de midi la rue d’Assas, avec à la main ma lettre à Scheurer-Kestner, qui m’a mêlé à l’Affaire, et me disant tout le long du chemin : « Mon ami, tu es à un des tournants de ta vie. Cette démarche, à laquelle rien ne te sollicite et que tu peux interrompre, va peut-être, une fois faite, te mener bien loin ». Je n’ai pourtant pas fait un pas en arrière et j’ai eu un soupir de soulagement quand ma lettre a été mise entre les mains de la bonne de mon ami Appell, auquel j’allais la porter. […] J’ai essayé de mener de front la vie d’affaires et la vie de recherches. Etant condamné à la première il faut que je renonce à la seconde [47].

19D’autres lettres, toujours révélées par Mary Duclaux, racontent cette double vie de savant et de citoyen :

20

Vous ne pouvez avoir aucune idée de la vie que je mène ! Maintenant surtout que cette affaire Zola est venue se mêler à toutes mes autres occupations. Quand je rentre chez moi le soir, pour retrouver un peu de repos et de liberté, je suis éreinté et j’échoue sur mon fauteuil. Bienheureux sont encore les jours d’échouage. Ce soir, par exemple, je dîne chez notre amie, Mme X… Agréable compagnie, à coup sûr, mais combien plus agréable celle de mes pantoufles !
[…] Au fond, je suis sorti de mon naturel […]. Mais j’ai fini par entraîner tout le monde [48].

21Dans son livre sur Duclaux, Mary ne craint pas de revenir longuement sur ces années d’engagement, « pour sonder l’abîme qui, depuis l’Affaire, divise les deux moitiés de la France contemporaine. Autant que les révolutions des deux derniers siècles, l’Affaire est désormais une de nos “origines” » [49]. Elle ne croyait pas si bien dire puisque l’affaire Dreyfus avait été aussi à l’« origine » d’une vie brève avec Émile Duclaux et d’un élan déposé sur les quarante années où elle survécut à son mari.

Modernité et maturité d’une vie commune

22La succession des lettres et le bonheur de les écrire dirigèrent plus intimement Émile Duclaux vers Mary Darmesteter. En 1902, Émile demanda à Mary de l’épouser, selon le témoignage Daniel Halévy que contredit toutefois une lettre du premier citée plus bas [50]. Mary hésita, mais peu de temps, d’après Halévy qui souligna que c’était là une même histoire intellectuelle et affective qui continuait par-delà la mort de Darmesteter, et en dépit de toutes les différences entre les deux personnalités :

23

Duclaux, c’était une toute autre pâte : il se tenait droit comme un pieu, son visage aux méplats accentués faisait penser à une motte de terre argileuse taillée à la bêche. James Darmesteter, c’était la Judée hellénisée ; Duclaux, c’était l’Auvergne rustique, la France dans toute la force et la saveur de sa prose. Ce qu’il voulait, il le voulait bien, et il voulait que la fée (Mary dans ses quarante ans était fée comme à vingt) devint sa femme. Celle-ci, d’abord, écarta sa démarche, puis l’ajourna, puis consentit et entra dans une nouvelle vie. Duclaux était tout le contraire d’un savant terne. Comme Pasteur, son maître, il était doué d’une imagination puissante, passionnée. Mary le suivit dans ses recherches, s’intéressant avec lui au monde des bacilles comme avec Darmesteter elle s’était intéressée aux mazdéo-gnostiques. Duclaux ayant entrepris d’écrire une étude sur Buffon, elle fut pour lui secrétaire et lectrice [51].

24Suite à une lettre du 14 septembre 1900 où elle annonça à Gaston Paris son mariage, celui-ci s’associa à son bonheur retrouvé et choisit avec soin le « petit souvenir » qu’il lui demande « d’emporter dans la vie nouvelle » [52].

25D’autres amis communs avaient favorisé ces noces dreyfusardes. Le philologue Louis Havet et sa femme Olympe née Marie, petite-fille du républicain de 1848, connaissait bien Mary Darmesteter. Jouant rapidement un grand rôle dans la mobilisation des intellectuels, ils étaient naturellement entrés en relation avec Émile Duclaux. Celui-ci reconnut dans une lettre qu’il leur adressa le 24 octobre 1900 l’influence qu’ils avaient eue dans leur décision de s’unir par les liens du mariage, relevant au passage « combien de mariages a fait éclore l’affaire Dreyfus » [53]. Ces liens, les deux époux les envisagaient dans toute l’extension de vies et des destins, comme Émile Duclaux s’en ouvrit à son fils Pierre installé à Haï Phong.

26

Je pense que tu as été un peu étourdi par ma dernière lettre. Il est certain que je ne m’attendais pas du tout à avoir un jour à l’écrire, et que j’ai été l’homme le plus étonné du monde quand j’ai été mis en face de cette proposition de me remarier. J’ai d’abord répondu par un refus formel. […] J’ai passé à cela mes vacances, à peser le pour et le contre, et en fin de compte, je finis par accepter. Ce n’est pas la crainte de la solitude. Avec du travail, on n’est jamais seul, et dieu sait que je vais en avoir encore pendant quelques années plus que jamais. Ce n’est pas non plus le besoin d’une femme : à mon âge, on ne songe plus à cela […].Mme D.[armesteter] est seule, isolée, sans famille et sans appui […]. Bref, mis en demeure de choisir entre ne pas la voir ou l’épouser, je me suis décidé à la prendre pour femme [54].

Duclaux et l’émancipation intellectuelle des femmes

27Pour son ami Gustave Bloch, professeur d’histoire romaine à la Sorbonne, qui prononça en janvier 1905 l’éloge d’Émile Duclaux à l’Assemblée annuelle des anciens élèves de l’École normale supérieure, l’union avec « celle qui devait jeter un rayon de bonheur sur ses dernières années » correspondait à l’idée que Duclaux se faisait du rôle de la femme dans la société et de sa foi en l’enseignement comme vecteur d’émancipation :

Il est très positif, écrivait-il, que si j’avais un peu plus de temps, je demanderais à être chargé d’un cours de demoiselles. […] Il ne s’agit pas de défiler l’ensemble des propositions d’Euclide en les démontrant de son mieux ; il s’agit de développer le côté intuitif de la géométrie en mettant en jeu une faculté très développée chez la femme, celle de l’imagination [55].
Dans l’étude que nous avions consacrée en 1996 à Émile Duclaux [56], nous avions souligné combien les dernières années de sa vie, celles de son union avec Mary précisément, avaient été marquées par un effort constant pour penser l’éducation moderne des jeunes filles et pour s’y consacrer comme pédagogue et créateur d’institutions nouvelles. Mélanie Fabre qui a consacré un livre à Dick May [57], souligne comment cette femme d’avant-garde sut mobiliser Duclaux dans l’École libre des hautes études sociales qu’elle créa en 1900 et dont elle lui confia la direction. À la même période, Duclaux soutint aussi la toute nouvelle école d’infirmières laïque fondée dans le sillage du dreyfusisme par Gabrielle Alphen-Salvador. La compagnie de sa nouvelle épouse, elle-même très émancipée [58] tout en assumant les passages obligés de l’existence mondaine dans le Paris fin-de-siècle, a joué décisivement aussi dans ce progressisme d’un homme en avance sur son temps. Les pages qu’elle lui consacre dans sa biographie de 1906 le disent avec une parfaite clarté [59].

Une pastorienne d’adoption

28L’union d’Émile Duclaux et de Mary Robinson Darmesteter rapprocha deux mondes, très proches intellectuellement mais encore séparés socialement et professionnellement. L’engagement dreyfusard avait particulièrement fait se rencontrer les sphères littéraires et historiennes d’une part, et l’univers des pastoriens de l’autre. Construite sur une vision idéale de la recherche, laquelle tenait autant du mythe politique que d’une réalité vivante et partagée, l’identité pastorienne existait bel et bien et Duclaux en avait été le principal inspirateur. Dans la biographie dont elle débute l’écriture dès les lendemains de la mort de son époux, Mary Duclaux démontra sa familiarité avec le monde pastorien. Elle abordait avec un regard neuf, distant et attachant en même temps, qui déconcerte parfois son premier lecteur, le Dr. Roux. Aujourd’hui, les recherches en histoire des sciences donnent raison à l’auteure pour son étude du milieu humain des laboratoires, des pratiques et habitudes de travail des savants, des incertitudes aussi voire de l’irrationalité qui pouvait exister « au laboratoire Pasteur » [60]. Son analyse de la démarche intellectuelle du savant [61] rejoignit la description que celui-ci en avait donnée dans sa lettre à Scheurer-Kestner protestant contre la négation de l’esprit scientifique dans la recherche de la vérité dans l’affaire Dreyfus :

29

Si, dans les questions scientifiques que nous avons à résoudre, nous dirigions notre instruction comme elle semble l’avoir été dans cette affaire, ce serait bien par hasard que nous arriverions à la vérité. Nous avons des règles tout autres, qui nous viennent de Bacon et de Descartes : garder notre sang-froid, ne pas nous mettre dans une cave pour y voir plus clair, croire que les probabilités ne comptent pas, et que cent incertitudes ne valent pas une seule certitude. Puis, quand nous avons cherché et cru trouver la preuve décisive, quand nous avons même réussi à la faire accepter, nous sommes résignés à l’avance à la voir infirmer dans un procès de révision auquel nous présidons nous-même. Nous voilà bien loin de l’affaire Dreyfus ; et, vraiment, c’est à se demander si l’État ne perd pas son argent dans ses établissements d’instruction, car l’esprit public est bien peu scientifique [62].

Face à l’accident et à la mort d’Émile Duclaux

30Survinrent sans prévenir, avec une rapidité douloureuse, l’accident et la mort d’Émile Duclaux. Les amitiés pastoriennes entouraient un couple qui subit sa fin proche et inexorable. Les épreuves de la vie furent avivées par le rejet que subit Duclaux dans sa petite patrie cantalienne en majorité révoltée par son engagement en faveur du capitaine Dreyfus. Il dut se démettre de responsabilités qu’il assumait autrefois avec bonheur. Plus tard seulement, Aurillac saura honorer la mémoire de Duclaux, y compris sa part dreyfusarde. Le poids de l’engagement dreyfusard rejaillit sur Mary Duclaux qui souffrait des sacrifices auxquels consentait à la cause dreyfusiste un homme déjà âgé. Vice-président de la Ligue des droits de l’homme depuis sa naissance en juin 1898, il était de la plupart des combats lancés dans le sillage de l’Affaire, prenant même la tête de plusieurs d’entre eux comme la bataille pour l’hygiène sociale. Sa femme s’inquiétait de l’accumulation des charges, comme le soir du 13 janvier 1902. Il la quitta pour une réunion du Comité de la Ligue rue Jacob. Victime d’une attaque d’hémiplégie alors qu’il s’exprimait « sur une question toujours passionnante pour qui s’intéresse à l’hygiène comme pour qui se soucie de la morale » [63], il revint à son domicile porté par des camarades, brisé à jamais.

31À la suite de cette attaque, Duclaux dut abandonner la plupart de ses tâches d’enseignement, d’engagement, de recherche et d’administration. Mary se pressa à son chevet dans leur maison adossée au parc de Saint-Cloud, où ils avaient déménagé. Les amitiés se reformèrent très vite autour de l’homme désormais diminué et malade. Mary veillait particulièrement à ce que rien ne changea quand bien même tout s’était transformé. « Que nous serions contents si le ménage Paris voulait bien venir dîner avec le ménage Duclaux ! écrivait-elle à son ami Gaston. Nous sommes libres tous les jours » [64]. La famille pastorienne entourait elle aussi Duclaux, dépêchant quotidiennement l’un de ses membres. Comme ceux qui les avaient précédés, les derniers étés de la vie de Duclaux furent vécus à Olmet, au cœur de la « patrie » auvergnate qui le rapprochait de la grande patrie de la science et de la République, comme s’en souvint Mary :

32

Le 7 juillet (1902), nous pouvions regagner le Cantal. Pendant tous ces mois douloureux, Olmet nous était apparu comme une sorte de lieu saint […]. Il fallait pourtant quelque courage, le moment venu, pour nous isoler de la sorte, si loin de Roux, des Metchnikoff, de notre bon Landowski [65].

33L’Auvergne demeurait un havre de paix et de repos pour Duclaux. Mais au début de l’année 1904, l’hémiplégie récidiva. Cette fois, Duclaux ne put se rétablir. Il décéda à Paris le 2 mai 1904.

Les Halévy, toujours

34Plongée dans la tristesse d’une nouvelle disparition dix ans après celle de son premier époux, Mary Duclaux retrouva auprès des Halévy présence et réconfort. Leur amitié était toujours aussi forte et attentive, elle ne s’était pas relâchée dans le temps de l’union avec Duclaux. Mary correspondit avec toute la famille. En août 1901, depuis Olmet, sur une carte postale représentant le château de Pestel à Polminhac (Cantal), elle s’adressa ainsi à Élie pour s’enquérir d’une précision relative à « une ligne de Kant que je n’ai aucun moyen de vérifier ici » [66] dans la perspective d’une « édition à peu près complète » de ses vers. Elle termina son courrier en mentionnant les « admirables photographies » que lui avait adressées Ludovic Halévy. Émile Roux à qui elle en destina une fut conquis lui aussi [67]. Plusieurs d’entre ces clichés la ramenaient au temps de sa rencontre avec Émile Duclaux et de ses séjours fréquents à la Haute Maison pendant l’Affaire. Elle continue de s’y rendre à l’invitation de ses hôtes. La Haute Maison devenue, plus encore que leurs résidences parisiennes, le centre des vies des deux frères Halévy et de leurs parents, l’accueilla dans ce temps où l’avait frappé un second veuvage. L’attachement de Mary à Sucy était tel qu’elle et sa sœur Mabel choisiront ce village de l’est parisien comme sépulture pour leur mère décédée en 1917.

Écrire pour encore vivre à deux

35On mesure la perte que représenta, pour Mary, la disparition d’Émile Duclaux, à travers le livre intense qu’elle lui consacra et auquel elle donna près de deux années de sa vie. Écrire son histoire signifiait pour elle la possibilité de continuer d’être auprès d’un homme qu’elle avait trop peu connu et aimé. Ce livre fut comme le prolongement d’une vie commune. Il n’existe que de très rares exemplaires d’un ouvrage qui n’a bénéficié que d’une publication hors commerce, tiré à cent exemplaires [68] et qui a pourtant joui de toutes les attentions, notamment de celle d’Émile Roux. Celui qui succéda à Émile Duclaux à la direction de l’Institut Pasteur se révéla d’un soutien capital en prodiguant une lecture constante et exigeante des chapitres manuscrits que Mary lui adressa avec régularité, à sa demande. Pastorienne d’adoption, elle avait noué avec lui des liens d’amitié profonde qui allaient se maintenir toute leur vie.

36Les lettres d’Émile Roux envoyées à Mary Duclaux ne témoignent pas seulement de l’aide qu’il lui apporta tout au long du travail d’écriture. Elles montrent aussi comment cette amitié s’approfondit. Elles renferment les aveux d’un homme austère, mystérieux, connu pour son refus de tout épanchement, qui détruisit les traces de son passé personnel pour mieux se retirer devant l’institution et sa gloire. Les lettres d’Émile Roux à Mary Duclaux à l’inverse, conservées à l’Institut Pasteur, témoignent d’une amitié intellectuelle autant affective que sensible. Le souvenir du « grand disparu » ne cesse d’unir les deux amis qui vont dès lors partager cette aventure qu’est l’écriture par Mary de l’histoire de son mari. Elle s’y employa de 1904 à 1906, y consacrant ses étés qu’elle passe à Olmet dans la petite maison que le savant avait acquise sur les hauteurs de Vic-sur-Cère, une ville d’eau du Cantal, ou bien chez Ludovic Halévy dans la Haute Maison, ou encore à La Commanderie chez les Rothschild : « Cela vous soulagera de l’écrire et tous les amis du tant regretté auront un précieux souvenir » [69], lui confia par lettre le docteur Roux. Celui-ci l’encouragea dans son dessein et lui procura une aide précieuse, en amont de la rédaction puis en acceptant de relire l’intégralité du manuscrit, puis les épreuves du livre : « vous pouvez compter que je vous donnerai mon sentiment tout cru, en camarade » [70] :

37

Je ne vous renvoie pas le manuscrit tout de suite. Je vais maintenant le relire à tête reposée, le crayon à la main, notant en marge tout ce qui me paraît devoir être repris […]. N’essayez pas de mettre trop de choses dans vos portraits, n’ajoutez que peu à ce qui a coulé naturellement de la plume. Chaque fois que vous y réfléchissez il vous paraîtra que vous avez oublié quelque trait, ne cédez pas à la tentation de vouloir trop parfaire. Une sobre figure est en général plus ressemblante qu’un portrait poussé à la minutie. Je vous dis cela parce qu’avec Duclaux vous ne finiriez jamais de peindre si vous voulez tout mettre. Je suis heureux que vous subissiez l’influence de votre travail et du beau spectacle de votre vallée et que votre état moral se ressente des sereines splendeurs qui vous entourent [71].

38Ne ménageant pas ses encouragements, Émile Roux ressentit lui aussi le poids de la mort et la difficulté à s’arracher à la tristesse de la disparition de Duclaux, le « cher disparu » [72]. En septembre 1906, à la veille d’achever une écriture difficile sur tous les plans mais qui aura été une manière de prolonger de deux ans sa vie avec Duclaux, Mary reçut une nouvelle lettre d’Émile Roux, toujours exigeant sur le manuscrit, toujours entier dans son amitié.

39

Bien chère amie, je vous envoie un gros paquet d’épreuves, tout ce que vous m’avez envoyé. L’histoire d’un esprit et l’Institut Pasteur ont besoin de quelques retouches. Il y a des redites, ainsi la comparaison des esprits de Duclaux et de Pasteur revient à plusieurs reprises. Comme vous le dites fort bien ce sont les chapitres les plus difficiles à faire. Les autres vont très bien et le dernier est émouvant dans sa simplicité. Vous avez eu du courage de l’écrire [73].

40Mary Duclaux adressa son livre à nombre des amis de Duclaux. Certaines des lettres de remerciements ont été conservées [74]. Un parent éloigné d’Émile Duclaux, Louis Farges, choisit de consacrer son premier article dans la Revue de la Haute-Auvergne au compte-rendu élogieux du livre qu’il conçut aussi comme une forme de réparation pour l’opprobre qu’avait connu le savant dans sa petite patrie avec son engagement dans l’Affaire [75].

« Mme Duclaux »

41Pendant quarante ans jusqu’à sa mort le 9 février 1944, Mary Duclaux allait vivre entre Paris, l’Angleterre et le Cantal, contribuant pleinement avec ses œuvres et ses relations à ce que Daniel Halévy appela « une renaissance française des lettres » [76], demeurant fidèle à des amis que la mort allait lui arracher, nouant de nouvelles amitiés dont celles de Barrès et de Proust. Le souvenir d’Émile Duclaux ne la quittait pas. Mary pouvait aussi se reposer sur la reconnaissance de ceux qui avaient combattu avec Duclaux au moment de l’affaire Dreyfus, et sur l’affection d’une nouvelle génération, celle des enfants de son mari qui s’attachèrent définitivement à elle [77], celle aussi du patriotisme de la Résistance. Deux lettres très différentes incarnent ce passage de génération : l’une de Maurice Barrès à la veille de la Première Guerre mondiale, l’autre à Henriette Guy-Loë (à l’époque Henriette Noufflard) vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. La première traduit le haut sentiment que Mary inspirait à Barrès, lui l’antidreyfusard obsessionnel s’inclinant devant la mémoire d’un savant dreyfusard :

42

Madame,
Je suis bien fâché de n’être pas à Paris vendredi… Depuis que je vous ai quittée, j’ai continué de causer avec vous, car Halévy m’a prêté la Vie de Émile Duclaux. Quel livre intéressant, quel bonheur de transformer en sympathie une dure incompréhension ! […] Et puis dans ce pays de Barrès qui est un de mes lieux de rêve, cette vie sur la terrasse d’Olmet, au milieu des sources que vous appelez filles, comme elle me touche ! car j’ai le respect, moi aussi, l’amour attendri, le culte des sources. Je suis enchanté de ce livre où la grâce de Mary Robinson s’associe sans s’y confondre à la force d’un terrien du plateau central [78].

43Si la lettre de Barrès témoigne des nouvelles amitiés, sa relation avec la nièce d’Élie Halévy poursuit une relation inaugurée un demi-siècle plus tôt. Émile Duclaux est toujours au centre :

44

Ma chère Henriette,
Si vous saviez le plaisir que m’a fait votre si bonne petite lettre ! Cela m’est toujours un bonheur d’entendre parler de mon cher Émile, et un regret que mes petits-enfants [en vérité, ceux d’Émile] n’ont jamais pu sentir son influence. Je tâche d’y suppléer un peu, mais si faiblement, et je suis ravie quand un témoignage m’arrive d’ailleurs [79].

45Il apparaît qu’au-delà des renoncements qu’exigeaient des sociétés européennes figées dans la domination masculine et l’obsession conservatrice, Mary Duclaux parvint à diriger son existence aussi bien personnelle que publique. Elle fera de sa solitude une force et une liberté, elle conjuguera une carrière de femme de lettres avec la vie d’un salon parisien et l’attachement aux siens, son attachement à sa sœur et à sa mère ainsi qu’à la famille pastorienne et à celle des enfants de Duclaux. Le fait d’avoir noué cette brève et profonde relation avec Émile Duclaux au cœur même de l’affaire Dreyfus lui avait transmis une sagesse sans égal, civique autant qu’affective, politique autant que philosophique, morale en un mot. Fidèle en cela au vœu de Gaston Paris dans sa lettre accompagnant l’envoi du petit vase offert pour son mariage, elle avait trouvé, « comme dit notre vieux roman du Saint Graal, “l’accomplissement de [son] cœur” » [80].


Annexe

Note sur les sources relatives à Mary et Émile Duclaux

46Les sources principales mobilisées pour cette histoire croisée de Mary Robinson Darmesteter et d’Émile Duclaux sont nombreuses, variées et convergentes. Du côté de Mary Duclaux, on dispose aux Archives de l’Institut Pasteur d’un fonds Mary Duclaux formé des documents (1902-1944) conservés à son domicile et confiés au Musée Pasteur par Madame Riffard en 1954 et 1962, et complété par le don d’un poème de Mary Duclaux (en photocopie) par le docteur Sicari Ruffo, en 2006. Il existe également un fonds Mary Robinson-Duclaux à la Bibliothèque nationale de France (BNF) ; d’elle sont conservées aussi, dans un fonds familial exploité par Jacqueline Bayard-Pierlot pour sa biographie, des lettres de Mary Duclaux relatives à ses « fiançailles avec M. Duclaux » et conservées par sa mère qui vivait à Londres (comme sa seconde fille Mabel à cette époque).

47Du côté d’Émile Duclaux, l’Institut Pasteur conserve un fonds personnel et un fonds relatif à sa direction. Une petite partie de la correspondance d’Émile Duclaux est accessible dans un autre fonds personnel, celui des Archives départementales du Cantal (incluant de nombreuses lettres adressées à son beau-père Charles Briot, père de sa première femme Mathilde). Les lettres renseignant sur leur rencontre de 1898, leur couple et sa postérité, adressées à des tiers, émanent en particulier de Mary Duclaux : on les trouve notamment dans la correspondance passive d’Élie Halévy et de Henriette Guy-Loë (conservée à la bibliothèque de l’École normale supérieure), dans celle de Louis Havet et de Gaston Paris (BNF), dans celle de Salomon Reinach (quelques lettres conservées à la bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence, dont un petit bleu datant de 1931 relatif aux activités d’historienne de Mary Duclaux, boîte 36 : Marie Duclos [sic] Darmesteter ; boîte 45 : Mary James Darmesteter), dans celle de Jane Misme sur une question relative au féminisme (que me signale Mélanie Fabre ; fonds Jane Misme, Bibliothèque Marguerite Durand).

48Des pièces de la correspondance passive de Mary Duclaux ont été remises à André Noufflard, père d’Henriette Noufflard et sœur de Florence, épouse d’Élie Halévy, par Mabel Robinson après la Seconde Guerre mondiale. Elles ont été transcrites et réunies dans un tapuscrit reproduit à quatre exemplaires (« Quelques lettres de la correspondance de Madame Émile Duclaux – 1881-1927 », 59 p.). Henriette Guy-Loë (Noufflard) a bien voulu m’en communiquer une copie ; plusieurs de ces lettres évoquent la mémoire d’Émile Duclaux après son décès et le couple qu’il formait avec Mary.

Émile Duclaux photographié par Pierre Petit à la fin du xixe siècle

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Émile Duclaux photographié par Pierre Petit à la fin du xixe siècle

Crédit : Wellcome collection, CCBY.

Mary Darmesteter et Ludovic Halévy dans la “Haute Maison” de Sucy-en-brie, printemps 1898 (la série de photographies qui suit est due à Louise Halévy, épouse de Ludovic Halévy et provient du fonds personnel d’Henriette Guy-Loë)

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Mary Darmesteter et Ludovic Halévy dans la “Haute Maison” de Sucy-en-brie, printemps 1898 (la série de photographies qui suit est due à Louise Halévy, épouse de Ludovic Halévy et provient du fonds personnel d’Henriette Guy-Loë)

Mary Darmesteter lisant, Sucy-en-Brie, printemps 1898

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Mary Darmesteter lisant, Sucy-en-Brie, printemps 1898

Lettre de Mary Duclaux à Henriette Guy-Loë datée du 7 janvier 1944 (nous renvoyons à la retranscription de la première partie de cette lettre, supra, p. 36)

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Lettre de Mary Duclaux à Henriette Guy-Loë datée du 7 janvier 1944 (nous renvoyons à la retranscription de la première partie de cette lettre, supra, p. 36)


Date de mise en ligne : 31/03/2020.

https://doi.org/10.3917/etsoc.170.0023

Notes

  • [1]
    Vincent Duclert, « Mary Robinson Darmesteter et Émile Duclaux. Le sens d’une rencontre pendant l’affaire Dreyfus », Jean Jaurès, Cahiers trimestriels, n° 145, 1997, p. 73-92.
  • [2]
    Une thèse originellement dirigée par Madeleine Rebérioux, puis par Dominique Kalifa et soutenue à l’Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne le 17 juin 2009, 2 vol. Une partie a été publiée sous le titre : L’affaire Dreyfus. Quand la justice éclaire la République, Toulouse, Privat, 2010.
  • [3]
    L’initiative en revient à Raymond Dartevelle et à Mélanie Fabre, jeune doctorante dont je co-dirige la thèse à l’Ehess.
  • [4]
    « On ne s’ennuyait plus du tout grâce à cette extension subite de nos amitiés qui avaient souvent pour cadre l’atmosphère feutrée d’art et de livres des maisons amies ». Voir Henriette Psichari, Des jours et des hommes (1890-1961), Paris, Grasset, 1962, p. 43.
  • [5]
    Vincent Duclert, « Mathilde Salomon. Une femme d’action au tournant du siècle », in Jean-Pierre de Giorgio (dir.), L’école des jeunes filles. Mathilde Salomon, Rennes, PUR, 2017, p. 43-72.
  • [6]
    Voir en annexe de cet article la note sur les sources principales de cette histoire.
  • [7]
    Formée aux études historiques, devenue inspectrice d’académie, Jacqueline Bayard-Pierlot a choisi, sa retraite venue, de se consacrer avec raison à l’histoire et à la mémoire de Mary Duclaux. Contribuant à son histoire, elle rédigea une biographie, la première qui existe actuellement (en attendant celle annoncée de Patricia Rigg, professeure à l’université canadienne d’Acadia), Mary Duclaux, 1857-1944, d’une rive l’autre, Paris, Édition Christian, 2017. Voir également sa communication au colloque international « Artisans de la paix et passeurs – Peacemakers and Bridgebuilders », organisé par Sophie Geoffroy et Wanda Yeng Seng-Brossard à l’Université de La Réunion les 20 et 21 octobre 2017, et sa contribution à l’ouvrage dirigé par Sophie Geoffroy, Les femmes et la pensée politique : Vernon Lee et les cercles radicaux, Michel Houdiart éditeur, 2017. Au sujet de la mémoire de Mary Duclaux, Jacqueline Bayard-Pierlot s’efforce de faire connaître son nom, notamment à Aurillac, où elle a su convaincre le lycée Émile Duclaux de baptiser les trois salles du foyer des élèves du nom de Mary Robinson Duclaux.
  • [8]
    Voir à ce sujet Marie Aynié, Les amis inconnus. Se mobiliser pour Dreyfus (1897-1899), Toulouse, Privat, 2011.
  • [9]
    Voir le chapitre qui lui est consacré dans Vincent Duclert, Réinventer la République. Une constitution morale, Paris, Armand Colin, 2013.
  • [10]
    Àce sujet, voir Vincent Duclert et Anne Rasmussen, « La République des savants », in Vincent Duclert et Christophe Prochasson (dir.), Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2002, p. 439-445.
  • [11]
    Daniel Halévy, « Les trois Mary » in Mary Duclaux et Maurice Barrès, Lettres échangées, Paris, Grasset, 1959, p. 13-29. Voir aussi, de même, une courte introduction publiée dans la Revue des deux mondes en 1962 (p. 17-20). Daniel Halévy était né en 1872 et son frère Élie deux ans plus tôt.
  • [12]
    Sur Mabel Robinson, voir la note que lui consacre Henriette Guy-Loë dans Élie Halévy, Correspondance 1891-1937, préface de François Furet, Paris, Éditions de Fallois, 1996, p. 183.
  • [13]
    En 1883, elle avait publié un Emily Brontë (London, W.H. Allen), puis en 1889 The End of middle ages. Essays and questions in history (London, T.F. Unwin).
  • [14]
    Il était affecté d’une malformation du dos le rendant bossu.
  • [15]
    Voir Perrine Simon-Nahum, La cité investie. La « Science du judaïsme » français et la République, Paris, Cerf, 1991 ; Esther Benbassa, Histoire des Juifs de France, Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1997.
  • [16]
    Pour la philologie. Mais le travail accru des savants français tendait à déplacer le centre des études philologiques vers Paris.
  • [17]
    Pour la culture personnelle de James Darmesteter. Il publiait régulièrement dans les revues anglaises.
  • [18]
    « Avec James Darmesteter, historien, philosophe et poète, Mary se trouvait en communauté d’atmosphère. Le savoir de son époux lui ouvrait les domaines de cette énigmatique Perse qui, après avoir, quinze siècles durant, dominé l’Asie, disparut sans retour dans les fondrières de l’histoire. Éditeur de ses textes sacrés, il se proposait d’en suivre les traces et l’influence jusque chez les gnostiques chrétiens. Là-dessus, entre Renan et lui, que de beaux entretiens, auxquels participait Mary, helléniste et poète ! ». Voir Daniel Halévy, Les Trois Mary, op. cit., p. 24.
  • [19]
    Voir par exemple, Marguerite du temps passé, Paris, Armand Colin, 1892 ; Froissart, Paris, Hachette, 1894 et La Vie de Ernest Renan, Paris, C. Lévy, 1898, tous deux primés par l’Académie française.
  • [20]
    Mary Darmesteter, The French procession, a pageant of great writers, London, T. Fisher Unwin, 1909.
  • [21]
    En 1901, elle publie chez Calmann-Lévy, Grands écrivains d’outre-Manche : les Brontë, Thackeray, les Browning, Rossetti auquel La Fronde consacre, sous la plume de Harlor, un vibrant compte rendu en première page de l’édition du 24 juillet 1901, « Trois génies féminins » (que m’a signalé Mélanie Fabre).
  • [22]
    Sur leur amitié dès les années 1880, voir les évocations de Paul Bourget présentes dans le « Mémorandum d’un voyage en Italie, mars, avril, mai 1885 », Bibliothèque nationale de France, départements des manuscrits, Naf. 13718. (décormais, BNF). Voir également « Quelques lettres de la correspondance de Madame Émile Duclaux », (infra, p. 37).
  • [23]
    « Il y a la jeune fille en proie au mal de mer qui séduisit le vieux Robert Browning en serrant un chat sur son cœur sur le bateau de Douvres, la jeune femme qui poursuivit le fantôme d’Emily Brontë à travers les bruyères des moors, la Mary Robinson de Florence, comme disait Barrès, amie de Henry James et de John Singer Sargent, qui courait les tombes étrusques dans les collines toscanes, la disciple de Taine et l’amie de Renan qui se convertit à la chasse aux manuscrits médiévaux, et, enfin, la femme mûre qui choisit un biologiste auvergnat pour le suivre jusqu’en Auvergne et y mourir. Il y a des avatars, nombreux ; il n’y a qu’une Mary ». Voir Jacqueline Bayard-Pierlot, D’une rive à l’autre, op. cit., p. 6.
  • [24]
    « C’était un touchant spectacle, celui que donnaient ensemble le docteur octogénaire causant avec la poétesse, de très peu sa cadette […]. Au cours des années déjà ensauvagées de la récente avant-guerre, les deux vieillards semblaient survivre à un monde disparu ». Voir « Les trois Mary », art. cit., p. 29. Des lettres du docteur Roux, datant de 1921, témoignent de cette profonde et durable amitié. Voir « Quelques lettres… », op. cit., p. 34 bis et 34 ter.
  • [25]
    James Darmesteter, Critique et politique, préface de Mary Darmesteter, Paris, C. Lévy, 1895.
  • [26]
    Cet ouvrage parut en 1896 chez Calmann-Lévy. La lettre de Ludovic Halévy contenant ses propositions de correction, datée du 2 septembre 1895, est reproduite dans « Quelques lettres.. », op. cit., p. 22-24.
  • [27]
    Ludovic Halévy, lettre à Élie Halévy, 10 juillet 1895, citée in Société historique et archéologique de Sucy-en-Brie, « Haute-Maison, les Halévy et leurs proches », exposition (19 au 30 septembre 1993), p. 23.
  • [28]
    Élie Halévy, Correspondance, op. cit., p. 138.
  • [29]
    « Les petites-filles de Duclaux l’avaient enlevée au moment de l’exode et conduite dans leur province où elle avait vécu, nourrie des produits de leurs terres et chauffée du bois de leurs arbres. Ainsi donc avait-elle fermé les yeux, la fée nordique : ni lauréate, ni ‘lady’, ni portée à Westminster, mais couchée dans le caveau d’une famille de terriens auvergnats ». Voir Daniel Halévy, Les Trois Mary, op. cit., p. 15. Mary Duclaux est décédée au 6 rue Transparot. Elle est enterrée auprès de son époux Émile Duclaux au cimetière d’Aurillac.
  • [30]
    Bibliothèque nationale de France (BNF), Correspondance Gaston Paris, Nafr 24437, f°130.
  • [31]
    Élie Halévy, La formation du radicalisme philosophique, Paris, Alcan, 3 vol., 1901-1904 ; Histoire du peuple anglais au xixe siècle, Paris, Armand Colin, 6 vol., 1912-1932. Il n’existe pas encore de réédition disponible de cette œuvre magistrale bien qu’inachevée. Toutefois a débuté depuis 2016 l’édition, sous l’égide des Belles Lettres et de la Fondation nationale des sciences politiques, des œuvres complètes d’Élie Halévy, une entreprise placée sous la direction de Vincent Duclert et de Marie Scot.
  • [32]
    « Chez Mme Darmesteter, causerie. Grande impression de confiance ». Voir Daniel Halévy, Regards sur l’affaire Dreyfus, Paris, De Fallois, 1994, p. 39.
  • [33]
    Ibid., p. 257-258. Précisons que « M. J. Darmesteter » est l’une des rares femmes à signer la première protestation des intellectuels. Voir Jacques Julliard et Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Seuil, 1996, p. 382.
  • [34]
    Cette photographie est publiée en couverture du livre édité par Jean-Pierre Halévy, Regards sur l’affaire Dreyfus, op. cit. Sur la famille Halévy dans l’affaire Dreyfus, voir Vincent Duclert, « Élie et Daniel Halévy dans l’affaire Dreyfus. Le savant, le poète et le politique » in Henri Loyrette (dir.), La famille Halévy, 1760-1960. Entre le théâtre et l’histoire, Paris, Fayard-Réunion des Musées Nationaux, 1996, p. 220-235.
  • [35]
    Mary Darmesteter, lettre à Gaston Paris, 18 août 1899 (BNF, Nafr. 24437, f°151).
  • [36]
    Il a été, à ce titre, le professeur d’Élie Halévy. Sur Ferdinand Brunetière dans l’affaire Dreyfus, nous renvoyons à l’étude d’Antoine Compagnon, Connaissez-vous Brunetière ? Enquête sur un antidreyfusard et ses amis, Paris, Seuil, 1997.
  • [37]
    Célestin Bouglé, « Philosophie de l’antisémitisme (L’idée de race) », La Grande revue, 1er janvier 1899, p. 143-158. Bouglé tient particulièrement à la publication rapide de son article, et Élie Halévy lui offre aide et conseils. Voir Correspondance, op. cit., p. 235 et sq.
  • [38]
    Lettre d’Élie Halévy à Louis Havet, 17 août 1898. Voir Correspondance, op. cit., p. 253.
  • [39]
    Sur Émile Duclaux dans l’affaire Dreyfus, voir Michel Heyman, « Émile Duclaux et l’affaire Dreyfus », Revue de la Haute-Auvergne, 1993, p. 198-210 ; Vincent Duclert, « Le savant, l’intellectuel et le politique : l’exemple d’Émile Duclaux dans l’affaire Dreyfus », in Michel Wonoroff (dir.), Savant et société aux xixe et xxe siècles, Besançon, Université de Franche-Comté, 1995, p. 133-158.
  • [40]
    Plus tard, en 1903, il écrira à Joseph Reinach au sujet de James Darmesteter : « Il y a longtemps que je connais et que j’apprécie ce sang généreux et j’ai été heureux de le voir célébrer par vous » (BNF, Correspondance Joseph Reinach, Nafr 13572, f° 163).
  • [41]
    Émile Duclaux, Avant le procès, Paris, P.-V. Stock, 1898, p. 18-19.
  • [42]
    Mentionnons le rôle de la bonne, Catherine, et de la grand-mère maternelle des deux garçons, Laure Briot, comme le rappelle Jacqueline Bayard Pierlot dans sa biographie de Mary Duclaux, D’une rive l’autre, op. cit., p. 70.
  • [43]
    Jacqueline Bayard-Pierlot, D’une rive l’autre, op. cit., p. 71.
  • [44]
    « Les lettres qu’il m’écrivait assez constamment depuis le printemps de 1898 pendant toute la durée de l’Affaire ». Voir Mary Duclaux, La Vie de Émile Duclaux, Laval, L. Baméoud et cie imprimeurs, 1906, p. 245-246.
  • [45]
    Lettre d’Émile Duclaux à Mary Darmesteter, sd, citée par Gustave Bloch, « Émile Duclaux », Bulletin de l’Association des anciens élèves de l’École normale supérieure, 1905, p. 89.
  • [46]
    La lettre est publiée le 10 janvier 1898 en une du journal.
  • [47]
    Lettre citée par Mary Duclaux, La vie de Émile Duclaux, op. cit., p. 241.
  • [48]
    Mary Duclaux, La vie de Émile Duclaux, op. cit., p. 241.
  • [49]
    Ibid., p. 243.
  • [50]
    Voir aussi l’analyse de Jacqueline Bayard-Pierlot qui relève qu’effectivement la situation n’est pas présentée de façon tout à fait semblable par les deux futurs époux et souligne toutefois que les premières approches au sujet d’un possible mariage émanent de Mary. Voir Jacqueline Bayard-Pierlot, D’une rive l’autre, op. cit., p. 71-72.
  • [51]
    Daniel Halévy, Les Trois Mary, op. cit., p. 24-25.
  • [52]
    Gaston Paris, lettre à Mary Duclaux, 3 janvier 1901, en-tête du Collège de France (« Quelques lettres … », op. cit., p. 26). Le « petit souvenir » que lui réserve Gaston Paris est un petit vase du verrier Émile Gallé, choisi personnellement pour l’artiste : « Vous y placerez une fleur et vous y verrez le symbole de ma vieille et bien fidèle amitié ».
  • [53]
    Émile Duclaux, lettre à Louis Havet, 24 octobre 1900 (BNF, Nafr. 24493/2, f° 157).
  • [54]
    Émile Duclaux, lettre à Pierre Duclaux, 11 octobre 1900 (Fonds Jacqueline Bayard-Pierlot).
  • [55]
    Cité par Gustave Bloch, « Émile Duclaux », art. cit., p. 88. Voir aussi Émile Duclaux, L’éducation des cellules. Conférence faite à l’Association des étudiantes, 28 rue Serpente, sd, p. 16. Archives de l’Institut Pasteur.
  • [56]
    Vincent Duclert, « Le savant, l’intellectuel et le politique », art. cit.
  • [57]
    Mélanie Fabre, Dick May, une femme à l’avant-garde d’un nouveau siècle (1859-1925), préface de Vincent Duclert, Rennes, PUR, 2019.
  • [58]
    Sur un plan matériel et financier, Mary Duclaux dispose de revenus grâce à ses nombreux droits d’auteur et à la rubrique qu’elle tient régulièrement dans le Times Literary Supplement à partir de 1900. S’ajoute à cela un petit héritage qui lui vient de son premier mari. « Elle a eu grand souci, c’est évident, de ne pas paraître faire un mariage d’intérêt ». Voir Jacqueline Bayard-Pierlot, D’une rive l’autre, op. cit., p. 81.
  • [59]
    Mary Duclaux, Émile Duclaux, op. cit.
  • [60]
    « Il me semble que l’on n’a pas une impression suffisamment franche du milieu pastorien d’alors et de la vie de laboratoire. Sans doute dans la correspondance avec Gernez vous avez trouvé des détails qui ne peuvent être reproduits sans paraître des blasphèmes contre le Dieu de la microbie. » (Émile Roux, lettre à Mary Duclaux, 29 août 1904, AIP, f°11523).
  • [61]
    « Duclaux aimait bien mûrir un projet pendant longtemps dans son esprit, s’en débarrasser ensuite par une exécution sommaire, pour y revenir dans la suite, en reprenant son thème d’une façon entièrement neuve. La force d’un esprit, son originalité et surtout sa puissance dépendent, j’imagine, de cette patience et de cette puissance de renouvellement. M. Renan m’a un jour avoué qu’il travaillait à peu près de la même façon. » (Mary Duclaux, La Vie d’Émile Duclaux, op. cit., p. 235).
  • [62]
    Lettre à Auguste Scheurer-Kestner, publiée dans Le Temps du 10 janvier 1898.
  • [63]
    Mary Duclaux, La Vie d’Émile Duclaux, op. cit., p. 292.
  • [64]
    Lettre de Mary Duclaux à Gaston Paris, 29 mai 1902 (BNF, Nafr 24437 f° 175).
  • [65]
    Mary Duclaux, La Vie d’Émile Duclaux, op. cit., p. 293-300.
  • [66]
    Mary Duclaux, lettre à Élie Halévy, 15 août 1901, fonds Élie Halévy (ENS). On ignore la réponse d’Élie, toutefois ce dernier s’enquiert de la demande auprès d’un jeune et éminent kantien, son ami Léon Brunschvicg, qui lui écrit le 20 août (datation : Henriette Guy-Loë) : « Mon cher Élie, Voici la phrase de Kant (tr. Barni) : Deux choses remplissent l’âme d’une admiration ou d’un respect toujours renaissants et qui s’accroissent à mesure que la pensée y revient plus souvent et s’y applique davantage : le ciel étoilé au dessus de nous ; la loi morale au-dedans. »
  • [67]
    Remerciant Mary Duclaux de l’envoi d’une photographie de la « Haute Maison », Émile Roux lui confie : « Il suffit de regarder les beaux ombrages qui l’entourent pour savoir que vous êtes bien » (Émile Roux, lettre à Mary Duclaux, 9 juillet 1905, AIP, M. AI, f° 11534).
  • [68]
    On ignore les raisons pour lesquelles cet ouvrage n’a pas été commercialisé par l’un des éditeurs de Mary Duclaux. Un chapitre a été publié toutefois par la revue d’avant-garde Pages libres en mars 1907 (n° 322). Selon certaines sources, son auteur ne souhaitait pas donner une trop grande publicité à un livre qu’elle jugeait trop « progressiste ».
  • [69]
    Émile Roux, lettre à Mary Duclaux, sd [15-07-1904] (f° 11517).
  • [70]
    Émile Roux, lettre à Mary Duclaux, 10 août 1904 (f° 11520).
  • [71]
    Émile Roux, lettre à Mary Duclaux, 17 août 1904 (f° 11521). La vallée mentionnée est celle de la Cère en contrebas d’Olmet.
  • [72]
    Émile Roux, lettre à Mary Duclaux, 16 janvier 1905 (f° 11530).
  • [73]
    Émile Roux, lettre à Mary Duclaux, 10 septembre 1906 (f° 1549).
  • [74]
    Ainsi, celle du pasteur Charles Wagner écrivant à Mary Duclaux, le 5 janvier 1907 : « Merci d’avoir bien voulu m’offrir ce livre de piété et de souvenir fidèle où vous racontez la belle vie de Monsieur Duclaux. Je garderai précieusement vos pages en mémoire de lui et de vous. Et je les aime pour leur vérité, leur largeur, les choses simples et bonnes qu’elles enseignent à aimer et les horizons qu’elles ouvrent ». Citée dans « Quelques lettres… », op. cit., p. 28.
  • [75]
    « La Vie de Émile Duclaux est donc un livre de vérité », Louis Farges, tiré-à-part de la Revue de la Haute-Auvergne, Aurillac, imprimerie E. Bancharel, 1907.
  • [76]
    Mary Duclaux tenait la rubrique de la littérature française pour le supplément littéraire du Times.
  • [77]
    Le testament d’Émile Duclaux n’avait pas laissé à sa femme l’usufruit de sa maison du Cantal. Par la volonté de Jacques qui en hérita, Olmet devint l’une des demeures de Mary Duclaux. Jacqueline Bayard-Pierlot qui l’habite aujourd’hui a relevé de nombreuses traces de sa présence, « en particulier des livres, dont beaucoup dédicacés » (D’une rive l’autre, op. cit., p. 82). Mary Duclaux évoque dans ses essais « a farm in the Cantal ».
  • [78]
    Lettre de Maurice Barrès à Mary Duclaux, 10 avril 1913, in Maurice Barrès, Lettres échangées, op. cit. p. 47
  • [79]
    Mary Duclaux, lettre à Henriette Noufflard, 7 janvier 1997, copie remise par Henriette Guy-Loë à Vincent Duclert le 4 septembre 1997 accompagnée d’une lettre de cette dernière (« En rangeant des vieux papiers, je retrouve cette lettre qui vous intéressera peut-être. Je n’en avais gardé nul souvenir – pas plus d’ailleurs que celle à laquelle elle répond : qu’avais-je bien pu lui écrire sur Duclaux ? »), et reproduite p. 41.
  • [80]
    Gaston Paris, lettre à Mary Darmesteter, 3 janvier 1901, cf. supra.
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