Notes
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[1]
Rapport du jury central sur les produits de l'agriculture et de l'industrie exposés en 1849, Paris, Imprimerie nationale, 1850, t. 1, p. CLIII et t. 3, p. 494.
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[2]
Décret du 1er février 1865, publié dans le Moniteur universel du 21 février 1865. Sur Frédéric Le Play et l'Exposition universelle de 1867, voir notre article « Le Play et l'Exposition universelle de 1867 », dans Antoine Savoye et Fabien Cardoni (dir.), Frédéric Le Play (1806-1882). Parcours, audience, héritage, Paris, École des Mines, 2007, p. 79-96.
-
[3]
Archives nationales (site de Paris) [AN désormais], F12 11894, vol. 1, f° 27-29, procès verbaux de la Commission impériale, 4e séance, 9 juin 1865.
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[4]
Voir à ce sujet notre thèse sur l'Exposition universelle de 1867 (chapitre 5) : L'Exposition universelle de 1867 à Paris. Aperçu d'un phénomène de mode sous le Second Empire, université de Paris IV-Sorbonne, 2005.
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[5]
Les formulaires de demandes d'admission sont conservés aux AN, F12 3036, dossier « Demandes d'admission et d'installation pour la classe 6 (imprimerie et librairie) ».
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[6]
AN, F12 3036, dossier « Listes d'admission ».
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[7]
Voir les plans conservés aux AN, F12 3036, dossier « Produits d'imprimerie et de librairie » et la gravure présentée dans L'Exposition universelle de 1867 illustrée, 1867, t. 1, p. 360-361.
-
[8]
Paul Boiteau, « Classe 6. Produits d'imprimerie et de librairie », dans Michel Chevalier (dir.), Exposition universelle de 1867 à Paris. Rapports du Jury international. Tome deuxième : Groupe II. Matériel et applications des arts libéraux – Classes 6 à 13, p. 26-30.
-
[9]
AN, F12 11896, conseil supérieur du jury, 11e séance du 27 mai 1867, f° 95-100 et liste récapitulative des grands prix, f° 139.
-
[10]
AN, F12 1 1894, vol. 3, f° 115-131, procès-verbaux du comité des finances, 13e séance, 1er mai 1866.
-
[11]
« Exposition universelle de 1867 à Paris : jury spécial du nouvel ordre des récompenses », Moniteur universel, 13 décembre 1866.
-
[12]
Voir par exemple l'article de J. Laurent-Lapp dans L'Exposition universelle de 1867 illustrée, t. 1, p. 356-362 ou les paragraphes consacrés à Alfred Mame par Paul Boiteau dans le rapport du jury international [Paul Boiteau, « Classe 6. Produits d'imprimerie et de librairie », art. cité].
-
[13]
A. Le Roux, « Exposition universelle de 1867, nouvel ordre des récompenses, jury spécial : rapport », Exposition universelle de 1867 à Paris. Rapports du Jury international, t. 1, p. 414-417.
-
[14]
Voir H. Fougère, Les délégations ouvrières aux Expositions universelles sous le Second Empire, Montluçon, 1905 et G. Weill, Histoire du mouvement social en France (1852-1910), Paris, 1910.
-
[15]
A. Desvernay, Exposition universelle de 1867 à Paris : rapports des délégations ouvrières, Paris, 1869, t. 1, arrêté du 29 novembre 1866.
-
[16]
AN, F12 3158A, registre de souscription par ordre chronologique, versement n° 1047 du 19 juin 1867.
-
[17]
AN, F12 11 901, dossier « Mame – imprimeur ».
-
[18]
C'est ainsi qu'on voit marquer au prix de 50 centimes dans le catalogue de la maison des volumes in-32, en reliure anglaise, basane, tranche marbrée, et, par exemple, un petit paroissien romain.
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[19]
Si nous avions à parler ici de la reliure, nous ferions remarquer que c'est l'un des arts d'industrie où depuis longtemps excelle la France ; nous aurions loué, comme elles le méritent, les œuvres de nos relieurs d'à présent, qui n'ont pas exposé en assez grand nombre. La reliure française semble entrer à son tour, comme l'orfèvrerie, l'ébénisterie, dans une période d'imitation. Les reliures à compartiments et à découpages sont les plus goûtées aujourd'hui : mais, du moins, la France n'a de modèles à prendre que chez elle, et l'exposition de l'atelier de Tours suffirait pour prouver que, même en imitant, nous ne dégénérons pas. Goût, élégance, solidité, commodité, on y trouve tous les éléments des chefs-d'œuvre que les amateurs entourent de leurs soins.
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[20]
Quelques-uns de ces charmants ouvrages sont tirés à 150 000 exemplaires chaque année. Les Imitations se vendent à 100 000. La Bible même de Doré à été tirée à 7 500 exemplaires, chiffre qui prouve qu'en définitive une œuvre d'élite, publiée par un éditeur habile, trouve toujours son public, et qu'on peut hasarder de gros capitaux dans une entreprise de librairie, pourvu qu'on sache la conduire.
-
[21]
En marge, au crayon : « répondu 25 août ».
1 Pour Alfred Mame comme pour Frédéric Le Play, les expositions nationales des produits de l'industrie et les expositions universelles constituent des étapes importantes dans leur carrière.
2 Alfred Mame, imprimeur et libraire à Tours, expose pour la première fois les produits de l'entreprise familiale en 1849, où il remporte une médaille d'or pour sa première participation [1]. Il participe ensuite aux expositions universelles de 1851, 1855 et 1862, où il est à chaque fois récompensé. Quant à Frédéric Le Play, il est successivement nommé membre des jurys de récompenses pour les expositions de 1849 et de 1851, puis devient commissaire général de l'Exposition universelle de 1855 et commissaire général de la section française en 1862.
3 Si les deux hommes ont nécessairement dû se cotoyer en près de vingt ans d'expositions, c'est l'Exposition de 1867 qui va leur permettre de se connaître véritablement et d'entamer une longue collaboration.
La participation à la Commission impériale
4 Pour organiser l'Exposition universelle de 1867, Napoléon III nomme par décret du 1er février 1865 une Commission impériale, présidée par son cousin le prince Napoléon, et dont le secrétaire général est Frédéric Le Play [2]. Les deux hommes, forts de leur expérience des Expositions de 1855 et de 1862, donnent une inflexion originale à celle de 1867. Au lieu de se contenter d'un financement totalement public, ils obtiennent de recourir à l'initiative privée en suscitant la création d'une Association pour le capital de garantie regroupant des souscripteurs privés chargés de garantir les recettes propres de l'Exposition et dont des représentants doivent venir renforcer la Commission impériale. Alfred Mame fait partie des souscripteurs à l'Association pour le capital de garantie et, le 7 juin 1865, son nom est proposé pour la représenter à la Commission impériale par le tourangeau Ernest Gouïn, directeur de la Société de construction mécanique des Batignolles. Alfred Mame est élu membre de la Commission impériale le 9 juin, avec 24 voix sur 32 votants, en tant que représentant des grandes villes et des chambres de commerce [3]. Sa nomination est ensuite ratifiée par un décret impérial du 1er juillet 1865. La participation d'Alfred Mame aux travaux de la Commission impériale n'est cependant pas décisive. S'il ne fait pas partie des membres les moins assidus, il ne joue pas non plus un rôle déterminant dans les débats de la Commission [4]. Sa présence à la Commission impériale lui permet cependant de faire davantage connaissance avec Frédéric Le Play.
L'exposition de la maison Mame
5 Avant d'être organisateur de l'Exposition, Alfred Mame est en effet avant tout un industriel soucieux de présenter ses produits au public (documents 1 et 2). Il prend officiellement part au concours industriel dans la classe 6 (Imprimerie et librarie), en présentant deux demandes d'admission : la première pour des livres reliés (n° 10666) et la seconde pour des spécimens de typographie (n° 10668) [5]. Ses demandes sont définitivement acceptées lors de la séance du comité d'admission de la classe 6 du 25 août 1866 et Alfred Mame est inscrit comme exposant de la classe 6 sous le numéro 46 [6]. Le comité d'admission lui octroie un emplacement exceptionnel à droite de l'entrée de la galerie II dévolue au matériel des arts libéraux, donnant directement sur le vestibule d'honneur du palais du Champ de Mars. Il y est confronté à Louis Hachette, ce qui lui offre une visibilité optimale [7]. Il est difficile de connaître exactement la nature des objets exposés par la maison Mame, à l'exception de la Bible illustrée par Gustave Doré et publiée sur vélin, signalée par Paul Boiteau dans son rapport pour le jury international [8]. Néanmoins, les produits présentés lui valent la plus haute distinction que le jury international puisse décerner : le grand prix [9].
La récompense par le jury spécial du nouvel ordre des récompenses
6 Ce succès industriel n'aurait pas à lui seul permis de renforcer les liens d'Alfred Mame et de Frédéric Le Play. Il en va autrement de sa réussite dans l'initiative la plus personnelle du commissaire général, le nouvel ordre des récompenses (documents 3 à 6). Frédéric Le Play profite en effet de sa position pour transformer l'Exposition en tribune pour ses idées sociales, présentées dans la première édition de La Réforme sociale en France déduite de l'observation comparée des peuples européens, publiée en 1864 chez Plon. Il met ainsi en application son projet d'enquête en obtenant la création d'un nouvel ordre des récompenses destiné à mettre en valeur les « institutions et les moeurs qui assurent le bien-être à tous les producteurs et qui établissent entre eux l'harmonie [...] ; les contrées et les établissements qui offrent ce genre de mérite » [10]. Le projet de Frédéric Le Play est approuvé successivement par la Commission impériale et par l'Empereur par décret du 9 juin 1866. Parmi les 108 candidatures qui sont transmises pour examen au jury international constitué auprès de la Commission impériale figure celle d'Alfred Mame qui attire l'attention du rapporteur chargé de son examen qui n'est autre que Frédéric Le Play. Douze critères sont retenus pour l'analyse des dossiers, pondérés par des coefficients : l'existence de sociétés mutualistes et d'institutions destinées à assurer l'avenir des ouvriers (caisses de secours mutuels, caisses de retraites, pensions de reversions aux veuves et orphelins) ; les efforts faits pour lutter contre le vice et l'intempérance (répression de l'ivrognerie, lutte contre l'influence néfaste des cabarets, lutte contre le concubinage, bon exemple donné par le patron) ; l'organisation d'établissements scolaires (instauration de cours, de bibliothèques, d'une instruction religieuse, de sociétés de musique et de gymnastique) ; l'attribution de gratifications aux ouvriers (primes, participation aux bénéfices) ; l'établissement de subventions ou de pratiques aptes à établir la stabilité chez les ouvriers (don de terres, d'animaux domestiques, aide pour l'achat d'un remplaçant au service militaire, fourniture à bon marché de biens de première nécessité) ; l'encouragement à l'épargne ; l'absence de débats sur les salaires et de grèves ; la permanence des bons rapports entre patrons et ouvriers ; l'alliance de travaux agricoles et industriels ; l'augmentation du nombre de propriétaires chez les ouvriers ; la protection des jeunes filles ; le maintien des femmes au foyer [11]. Le dossier de Mame présente par rapport à ces critères trois originalités principales : l'implantation urbaine de l'entreprise, ce qui rend impossible d'allier travaux agricoles et industriels pour les salariés ; la présence de femmes parmi les employés ; le caractère moralisateur des ouvrages publiés par Mame, qui lui vaut au contraire les reproches des rapporteurs industriels du jury international et des critiques [12]. Frédéric Le Play est obligé de défendre à deux reprises la note qu'il attribue à Alfred Mame. Elle lui permet néanmoins de recevoir un des prix décernés par le jury [13].
La Commission d'encouragement pour les études des ouvriers
7 Enfin, le volet social de l'Exposition universelle de 1867 reprend une pratique déjà initiée en 1862 : l'organisation de visites de l'exposition par des délégations ouvrières [14]. La commission d'encouragement pour les études des ouvriers, prévue dès l'origine, est officiellement créée par un arrêté du ministère d'État du 29 novembre 1866 (documents 7 à 10). Elle est chargée de réunir les souscriptions nécessaires à son action, d'organiser les visites des ouvriers et de publier les rapports rédigés par ces derniers [15]. Alfred Mame souscrit à cette opération pour une somme de 500 francs, modeste en comparaison de celles du couple impérial (15 000 francs), de James de Rothschild ou de Froment-Meurice (2 000 francs), mais supérieure à celle d'autres imprimeurs comme Henri Plon (100 francs) [16]. Est-ce cet investissement qui a conduit la commission à le choisir pour procéder à l'impression des rapports des délégations ouvrières ? Ou la commission avait-elle en Alfred Mame un candidat naturel, honoré d'un grand prix de l'Exposition pour la classe de l'imprimerie et de la librairie, et également récompensé pour son action sociale au titre du jury spécial du nouvel ordre des récompenses ? Les archives de la Commission impériale ne permettent pas de le savoir. En revanche, il est possible de suivre très précisément, jusqu'en 1869, les travaux d'impression, mais aussi de contrôle – spécialement contre les attaques portées à la religion – assurées par le Tourangeau [17].
8 L'Exposition de 1867 consacre donc Alfred Mame, à la fois comme un grand entrepreneur d'imprimerie, mais aussi comme un patron social, soucieux du bien-être de ses ouvriers. Il attire en tout cas l'attention de Frédéric Le Play, commissaire général de l'Exposition, qui fera dès 1870 de Mame son éditeur personnel, et ce jusqu'à son décès en 1882.
Documents
L'exposition de la Maison Mame
DOC. 1. Paul Boiteau, « Classe 6. Produits d'imprimerie et de librairie », dans Michel Chevalier (dir.), Exposition universelle de 1867 à Paris. Rapports du Jury international. Tome deuxième : Groupe II. Matériel et applications des arts libéraux – Classes 6 à 13., p. 26-30
9 § 2 – Imprimeries et librairies particulières
10 C'est à la fin du siècle dernier que la maison Mame a été fondée à Tours ; mais c'est depuis 1845 seulement que, dirigée par M. Alfred Mame, elle a été agrandie et transformée. Les vieux ateliers furent alors remplacés par des constructions spacieuses où toutes les opérations de l'imprimerie et de la librairie trouvèrent leurs aises dans l'ordre le plus parfait ; les presses mécaniques y vinrent faciliter le travail en multipliant ses produits, et de nouvelles collections d'ouvrages enrichirent l'ancien fonds, qui ne composent que de petits ouvrages d'éducation et de piété, déjà convenablement soignés, mais remarquables surtout par leur bon marché. Lors de l'Exposition de 1849, la première où elle parut, la maison Mame possédait déjà 20 presses mécaniques, et imprimait 70 000 rames de papier par an, c'est-à-dire, par jour, environ 10 000 volumes in-12 de 10 feuilles de texte.
11 Bientôt M. A. Mame, animé d'un esprit organisateur et commercial dans le sens le plus élevé du mot, voulut joindre à sa librairie et à son imprimerie un atelier de reliure où pussent s'appliquer en grand et dans toute leur utilité les principes de la division et de la spécialité du travail. Près de 700 ouvriers y sont occupés maintenant dans un bâtiment construit pour eux et où se trouvent réunies toutes les ressources que la mécanique peut offrir à la main-d'œuvre. Ce nouveau personnel s'est recruté dans Tours même et aux environs et a été formé avec une rapidité surprenante. Rien n'est comparable à la bonne organisation de ces magnifiques ateliers qui exécutent à la fois les plus riches travaux de l'art et des reliures d'un bon marché incompréhensible [18]. Il n'y avait rien à l'Exposition, ni en France, ni en Angleterre, qui pût être comparé aux reliures de luxe sorties de cet atelier de famille [19].
12 30 machines glacent, coupent, impriment, montent le papier. La production est maintenant de 20 000 volumes par jour, ou de 6 millions par an, chiffre auquel n'atteignaient point, il n'y a pas encore bien longtemps, les presses réunies du monde entier.
13 La maison Mame, qui n'imprime que pour elle, n'a aussi recours qu'à elle-même pour alimenter son activité. Aux fonctions, aux devoirs de l'éditeur, du libraire, de l'imprimeur, du relieur, du stéréotypeur, son chef a joint la direction des travaux du dessinateur, du graveur, de l'imprimeur en taille douce, de l'imprimeur lithographe (il n'a pas été encore fait de lithographie en couleur dans ses ateliers) et la surveillance de la fonderie, de la gravure des caractères, de la fabrique d'encre, de la papeterie, de la peausserie. De cette manière s'est formée l'usine typographique la plus vaste, la plus complète et la mieux ordonnée qui sans doute ait existé jamais. C'est l'un des établissements industriels que la France put montrer avec le plus d'orgueil à l'étranger, et l'un de ceux où l'on trouve à s'instruire le plus heureusement des conditions d'existence de la grande industrie. Nous ne pouvons oublier de dire que, en même temps que la plus haute récompense lui était acquise pour la perfection ou le bas prix de ses produits, elle a obtenu un des prix de 10 000 francs du nouvel ordre de récompenses créé pour les établissements où règnent à un degré éminent l'harmonie sociale et le bien-être des ouvriers.
14 Il suffit de feuilleter le catalogue ordinaire de MM. Mame pour voir comment s'est peu à peu agrandi le cadre de leurs publications. Comme en agriculture on commence par les travaux simples et les récoltes sûres pour tenter ensuite avec succès les expériences et se donner le luxe des nouveautés, de même ils ont assis sur leur vieux fonds de livres d'éducation et de piété diverses séries d'instruction élémentaire, couronnées par des collections d'ouvrages de la plus grande richesse ; ils ont ainsi mérité toute leur réputation et la soutiennent.
15 On a admiré en 1855 leur Touraine. C'est peut-être encore aujourd'hui leur principal chef-d'œuve. La grande Bible, de Gustave Doré, qu'ils ont achevée en 1865, a joui d'un succès plus étendu peut-être, mais ce n'est pas un livre plus beau pour le véritable amateur. On en peut trouver le caractère un peu fin pour le format, inconvénient qu'il n'était pas possible d'éviter en ne donnant que deux volumes au texte sacré. Les ornements si bien étudiés, d'un symbolisme si juste et d'une si heureuse élégance, qui séparent les deux colonnes de chaque page, enlèvent peut-être aussi de leur apparence à ces caractères que, en eux-mêmes, on ne saurait que louer ; et enfin il est permis de croire qu'un ouvrage du premier rang ne doit pas être uniquement orné de gravures sur bois, quelque neuves, quelque hardies qu'elles soient, et que la gravure sur acier doit jouer le principal rôle dans sa décoration, que les bois relèvent alors et enrichissent.
16 Reconnaissons, du reste, qu'il n'y a rien de mieux réussi et de plus beau que le tirage de l'exemplaire sur vélin qui a figuré à l'Exposition. Les encres sont d'un noir du velouté le plus riche, et la lettre est partout venue sans un défaut, mérite qu'apprécient les gens du métier qui savent combien la peau se prête peu à l'impression. Nul doute que cet exemplaire ne devienne un jour l'un des joyaux d'élite dans le musée de l'histoire de l'imprimerie.
17 Les Jardins n'affectent pas le style comme la Bible, mais c'est un livre d'une élégance remarquable. Quelques-uns des bois qui le décorent font l'effet de jolis aciers.
18 On doit des éloges, dans un autre genre, au grand Missel Romain de MM. Mame, dont l'illustration est bien entendue et dont les pages ont un bon air de fermeté qui n'exclut point la grâce ; mais ce qu'il y a pour nous de mieux réussi dans les 1 000 volumes exposés par la maison Mame, ce sont, après la Touraine, la Bible et le Missel, les bréviaires, et surtout les éditions de poche de l'imitation de Jésus-Christ et de la Vierge et du Petit Paroissien Romain. Tout fin qu'il est, le caractère en est agréable à lire, et la composition est d'un goût achevé [20].
19 En somme, on n'a jamais imprimé avec plus de soin que dans l'imprimerie de Tours, et, quand il faut juger ses œuvres, si nombreuses et toujours si bien exécutées, on hésite entre le plaisir d'approuver le zèle et l'habileté qui donnent constamment un mérite typographique à ses impressions et le regret de voir tant d'art et tant d'expérience se dépenser, dans un très-gand nombre de cas, pour la publication d'ouvrages dont le texte s'accommoderait souvent d'une moindre parure. On dirait quelquefois de magnifiques vases de cristal taillé qui ne doivent jamais renfermer qu'une liqueur sans saveur. Pourquoi cette typographie si riche et si habile ne réaliserait-elle pas, comme un dernier progrès, le vœu de ceux qui souhaitent de lui voir imprimer des œuvres de la littérature moderne, dans ce qu'elle a de plus relevé ?
DOC. 2. J. Laurent-Lapp, « L'imprimerie et la librairie françaises », L'Exposition universelle de 1867 illustrée, 1867, t. 1, p. 356-362.
20 Je ne veux pas m'étendre sur l'exposition de MM. Mame. Le prix exceptionnel que leur a accordé le jury spécial chargé de récompenser « les établissements où règnent à un degré éminent l'harmonie sociale et le bien-être des populations » me permettra de leur consacrer un second article. Je dirai alors que leurs travaux font vivre près de deux mille personnes ; qu'autour d'eux l'aisance se répand et s'accroît ; que peintres, dessinateurs, graveurs, fondeurs, marchands de papiers, ouvriers et collaborateurs de toute espèce, profitent des résultats dus à la féconde activité des chefs de la maison ; que c'est par la préoccupation constante des intérêts de l'art et de l'industrie, du bien-être de leurs collaborateurs, par le zèle et le dévouement de tous, que MM. Mame maintiennent la haute position acquise par l'imprimerie de Tours.
21 Il me suffira de dire aujourd'hui que la haute récompense que MM. Mame ont obtenue, est largement justifiée par deux qualités rarement unies, la perfection et le bon marché. Il ne faut pas croire que les Jardins, la Touraine, la Bible, les Caractères de La Bruyère, toutes ces splendides éditions auxquelles ont coopéré principalement nos amis MM. Lancelot et Anastasi, constituent la spécialité de la maison Mame. Ce qu'il faut voir aussi, c'est le nombre considérable de livres de prix, d'éducation, de liturgie, de sciences, qui se tirent à 30, 40, 50, 100 000 exemplaires et qui se vendent cartonnés à des prix incroyables. Des in-8° à quatre-vingt centimes, des in-18 à vingt-cinq centimes, des in-32 à dix centimes. Dans les éditions de luxe même ils ont des prix modérés. Une Imitation, in-32 – un petit bijou – dont le titre est à deux couleurs et dont chaque page est encadrée d'un filet de couleur, dont le papier est fort beau, et le caractère élégant, dont la reliure est en cuir de Russie plein, doublée de soie, avec gardes en soie, se vend six francs. Quand MM. Mame entreprennent une publication de luxe, ils font mieux que personne ; quand ils se bornent aux ouvrages ordinaires qui pour se vendre en grand nombre, sont d'un prix peu élevé, ils connaissent peu de rivaux.
22 N'est-il pas à regretter pourtant que, au lieu de faire servir cette immense force productive à répandre des ouvrages de science et de littérature, MM. Mame se fassent les éditeurs d'une série de puérilités religieuses et de sentimentalités cléricales ?
Le prix du jury spécial du nouvel ordre des récompenses
23 Source : Archives nationales (site de Paris), F12 11896, volume « Jury spécial du nouvel ordre des récompenses ».
DOC. 3. 7e séance du jury spécial du nouvel ordre des récompenses, 17 mai 1867 (f° 49-55).
24 « En dernier lieu, l'ordre du jour appelle l'examen du dossier de MM. Mame et fils, imprimeurs et libraires à Tours.
25 – M. Le Play, rapporteur, explique que cette affaire serait cotée plus haut, si l'établissement ne s'était trouvé dans des conditions locales qui ont empêché d'attribuer une cote à l'un des paragraphes concernant l'alliance des travaux agricoles et manufacturiers. L'habitation des ouvriers soumis à toutes les influences de l'offre et de la demande, que l'on rencontre dans toutes les agglomérations urbaines, n'a également conduit qu'à une cote peu élevée. En revanche, trois catégories distinctes de mérite ont été reconnues au § 13, formant un total de 110 points.
26 – M. Faider demande quelques explications sur les motifs qui ont conduit le comité à élever le nombre de 378 du premier rapporteur au chiffre de 610 points proposés.
27 – M. Le Play explique que la raison de cette différence doit être cherchée dans l'absence de règles bien définies au début de l'examen du jury. La jurisprudence s'est formée par la comparaison et par l'étude des dossiers.
28 – M. Faider et M. Talabot, tout en s'accordant à reconnaître l'intérêt particulier de cette affaire, ne croient pas que la cote 45 attribuée à la nature des ouvrages répandus dans le public par cette maison, rentre dans le programme.
29 – M. Herzog est d'avis que ce mérite comporterait plutôt la citation au rapport, l'éditeur a d'ailleurs une part d'influence moins grande que l'écrivain.
30 – M. Dubochet fait remarquer que le mérite consiste surtout à mettre de bons livres à la portée des petites bourses par la modicité de leur prix.
31 – M. Herzog aperçoit un mérite spécial dans le genre d'industrie de M. Mame. Si par système cet imprimeur n'autorisait chez lui que l'impression de bons livres, en faisant échapper ainsi les ouvriers à l'influence démoralisante que produit la lecture de mauvais ouvrages chez les ouvriers qui en font la composition.
32 – M. Le Play, sans dénier la justesse de cette opération, croit que l'action salutaire exercée par de bons livres, lorsqu'ils rayonnent et produisent leur effet sur des milliers de lecteurs doit être portée en ligne de compte.
33 La condition du milieu est également digne de remarque et il serait fâcheux de ne pas avoir à récompenser un établissement placé dans de pareilles conditions.
34 – M. Faider demande qu'il soit bien entendu que le jury se met dans l'appréciation du mérite particulier, en dehors de toute considération religieuse et n'apprécie que la portée morale de l'œuvre.
35 – M. Talabot, sans proposer une diminution sur la cote générale, insiste pour que le vote sur le chiffre total n'entraîne pas l'établissement d'une jurisprudence sur le point qui vient d'être traité.
36 Sous ces réserves, le chiffre de 610 points est mis aux voix [et] adopté.
DOC. 4. 11e séance du jury spécial du nouvel ordre des récompenses, 31 mai 1867 (f° 80 et suiv.).
37 Frédéric Le Play : « Quant à M. Mame, le comité est d'avis, qu'étant en présence de mérites à peu près équivalents, il devait donner une certaine satisfaction aux diverses parties du territoire français, dont la partie orientale était déjà représentée par le groupe de Guebwiller et M. Goldenberg.
38 Si la question de l'analyse comparative doit être posée entre M. Mame et la Vieille Montagne, elle doit faire l'objet d'un nouvel examen, mais dans la pensée de M. Le Play, le degré de mérite de M. Mame est supérieur à celui du concurrent que l'on vient actuellement lui opposer. »
DOC. 5. Alfred Le Roux, « Exposition universelle de 1867, nouvel ordre des récompenses, jury spécial : rapport », Exposition universelle de 1867 à Paris. Rapports du Jury international, t. 1, p. 414-417.
39 MM. Mame. Imprimerie à Tours (Indre-et-Loire)
40 L'imprimerie de MM. Mame offre le type d'un établissement urbain.
41 Ce n'est point ici le lieu de parler du développement considérable qu'a pris, au point de vue matériel, cette importante maison, qui arrive aujourd'hui à un tirage de 20 000 volumes par jour, soit 6 millions par an ; qui embrasse dans ses publications depuis l'humble essai de morale ou d'industrie élémentaire jusqu'aux plus vastes monuments de bibliothèques, et unit aux travaux de l'imprimeur et du relieur les entreprises du libraire et de l'éditeur.
42 Ce qui frappe, dans l'ordre de choses qui a appelé l'attention du Jury, c'est que cette maison n'a pour ainsi dire réalisé aucun progrès, au point de vue de l'extension de ses affaires, sans apporter aussitôt quelques améliorations à la condition des ouvriers qu'elle occupe, en sorte que l'histoire de ses développements est liée de la façon la plus étroite avec les faits qui témoignent de sa bienfaisante influence.
43 Amenés par les circonstances, vers 1798, à établir dans une ville le siège de leur industrie, MM. Mame ont eu à lutter avec tous les inconvénients qu'entraînent d'ordinaire avec eux les centres urbains. Ils se trouvaient en présence de difficultés particulières, et pour installer leurs ateliers dans des conditions hygiéniques, et pour maintenir les bonnes mœurs parmi la population ouvrière, et enfin pour créer entre eux et cette population des liens intimes et durables. Ces difficultés, non seulement ils ont su les vaincre, mais ils ont en quelque sorte trouvé dans cette lutte même une énergie qui a décuplé l'efficacité de leurs efforts.
44 Il est difficile, en visitant les établissements de MM. Mme, de n'être pas vivement impressionné de la sollicitude toute particulière dont la santé et le bien-être de l'ouvrier dans l'atelier y sont l'objet. En parcourant ces vastes ateliers, bien aérés, d'une propreté si grande qu'ils sont presque élégants, entourés de jardins au dehors, on ne se souvient plus que cet établissement est emprisonné dans une ville. Tout a été ménagé avec un soin minutieux dans les salles, dans les escaliers, dans les cours pour éviter à la fois tous les inconvénients, assurer la salubrité et la propreté, et rendre la surveillance efficace. Les ouvriers se pénètrent tout naturellement de cet air de décence imprimé aux lieux où ils travaillent, et le respect d'eux-mêmes est la première leçon qu'ils reçoivent lorsqu'ils sont admis dans la manufacture de MM. Mame.
45 Les soins particuliers donnés à la bonne tenue des ateliers pourront peut-être paraître secondaires auprès d'autres améliorations. Ils ont certainement joué leur rôle et un rôle qui n'est pas sans importance dans les efforts tentés par MM. Mame pour moraliser leurs ouvriers. Cette tâche n'était point aisée. La maison Mame est obligée, par la nature même de son industrie, d'employer un grand nombre de femmes, de jeunes filles ; d'un autre côté, le séjour de la ville abonde en occasions de désordre. Tout a été mis en œuvre pour remédier à ces conditions défavorables ; une surveillance vigilante, le bon choix des contremaîtres, les prédications de l'exemple, l'influence de l'esprit religieux, les conseils, la sévérité de la répression.
46 Les résultats ont répondu à tant d'efforts ; car, sur 530 ouvrières employées dans l'établissement, il s'en rencontre une ou deux tout au plus dont la conduite, dans le cours d'une année, laisse à désirer, et qui provoque quelques mesures disciplinaires : trait digne de remarque et qui prouve que les femmes peuvent être employées dans les usines, sans courir toujours les dangers que l'on déplore. Du reste, en ce qui concerne l'ouvrière mère de famille, MM. Mame se sont toujours efforcés de la retenir autant que possible au foyer domestique, bien persuadés que tel est le moyen le plus important de moralisation auquel on puisse avoir recours. Les travaux de pliage, de couture des livres sont réservés aux femmes mariées et donnés à domicile.
47 On sait combien les établissements qui se fondent dans des centres urbains éprouvent de peine à s'attacher leurs ouvriers ; combien les liens qui unissent ces derniers à leurs patrons sont peu solides ; le plus souvent, ils ne se connaissent pas. L'ouvrier passe d'une manufacture à une autre avec une facilité qui éloigne toute permanence dans les rapports.
48 Cette observation rendra plus frappante encore les sentiments que les chefs de la maison Mame ont su inspirer à leurs ouvriers. Ce n'est guère qu'en cas de renvoi qu'un ouvrier se décide à quitter ces établissements, et ces cas eux-mêmes sont fort rares. On voit cette population saisir avec un réel empressement toutes les circonstances qui permettent de témoigner à ses chefs son respect et son dévouement.
49 Une si complète harmonie s'explique quand on pénètre dans l'intimité des faits, et il suffira d'un exemple pour en donner le secret : le chômage est chose inconnue dans la maison Mame. Dans les époques les plus difficiles, le travail n'a point été suspendu ni ralenti par elle ; les salaires sont restés les mêmes. Mais il faut savoir aux [sic] prix de quels sacrifices MM. Mame ont obtenu ce résultat.
50 La crise de 1848 surprit MM. Mame au milieu de grands travaux de transformation et d'agrandisement ; elle leur suscita des embarras qui semblaient ne pouvoir être surmontés que par la fermeture immédiate de leurs ateliers. Aucun expédient ne paraissait de nature à conjurer cette triste éventualité. MM. Mame en trouvèrent un. Ils possédaient, à peu de distance de Tours, une belle et vaste propriété, bien de famille auquel ils étaient profondément attachés. MM. Mame vendirent leur terre au prix auquel on le vendait alors, et leurs ateliers ne connurent pas le chômage.
51 Si l'on ajoute à l'absence complète de chômage les institutions créées par MM. Mame directement, ou encouragées par eux, institutions qui ont pour objet de supprimer, non seulement pour l'ouvrier lui-même, mais pour toute sa famille, les frais de maladie, ou qui lui assurent une pension pour ses vieux jours, pensions atteignant jusqu'à 600 francs, en certains cas ; si l'on tient compte des subventions et secours de toute sorte qui lui sont donnés pour pourvoir à des besoins accidentels, on trouvera toute naturelle l'explication des rapports qui unissent à MM. Mame la population de leur usine, et l'on comprendra la valeur de l'exemple que le Jury a cru devoir récompenser.
DOC. 6. J. Laurent-Lapp, « Les Récompenses du jury spécial. La maison Alfred Mame à Tours », L'Exposition universelle de 1867 illustrée, t. 2, p. 98-99.
52 [...] La création du 10e groupe – et par là nous entrons dans le vif de notre sujet – eut pour corollaire nécessaire la formation d'un jury spécial chargé de rechercher et de signaler à la reconnaissance publique les établissements et localités où règnent à un degré éminent l'harmonie sociale et le bien-être des populations.
53 Sur un rapport de M. Rouher, ce jury fut institué par un décret impérial et prit le nom de jury spécial du nouvel ordre des récompenses.
54 Ce rapport établissait que les expositions précédentes n'avaient pas mis en lumière tous les mérites qui contribuent à la prospérité de l'agriculture et de l'industrie ; que cette prospérité n'était pas seulement établie par la bonne qualité des produits et par la perfection des méthodes de travail, mais qu'elle dépendait aussi de l'heureuse condition de tous les producteurs et des bons rapports qui les unissent. Le ministre proposait donc de décerner des récompenses aux personnes, aux établissements ou aux localités qui, par une organisation ou des institutions spéciales, avaient développé la bonne harmonie entre toux ceux qui coopèrent aux mêmes travaux, et avaient assuré le bien-être matériel, moral et intellectuel. Ce bien-être procure aux producteurs de tout rang et à la localité que leur travail enrichit, le bienfait de la paix publique.
55 À la tête du jury, comme présidents, furent placés MM. Rouher, ministre d'État, de Forcade la Roquette, ministre des travaux publics, et le maréchal Vaillant, ministre des beaux-arts. Vingt autres membres, parmi lesquels toutes les nations venues au Champ de Mars furent représentées, formèrent le comité, qui s'adjoignit deux secrétaires et trois secrétaires des enquêtes.
56 Nous avons publié dans notre numéro 18 le résultat des travaux de ce jury. Treize établissements furent récompensés, et entre autres la maison Mame de Tours, qui reçut, en outre, un grand prix pour ses produits d'imprimerie et de librairie.
57 À propos de ce grand prix, j'ai parlé longuement de la maison Mame, dans un précédent numéro. J'ai dit la beauté de ses éditions de luxe, la perfection de ses tirages, la modicité de prix de bon nombre de ses produits. Les Jardins, la Touraine et les Caractères de La Bruyère, sont des chefs-d'œuvre de typographie.
58 Aujourd'hui nous donnons, pour expliquer la distinction accordée à cette maison par le jury spécial, trois vues de l'établissement de M. Mame de Tours.
59 Dès la fin du siècle dernier une imprimerie fut fondée par M. Amand Mame, père de M. Alfred Mame ; mais ce n'est que depuis 1845 que ce dernier, résolu de donner à son industrie un développement qui la mît en rapport avec les besoins de son époque, transforma complètement les vieux ateliers, et jeta les premières bases de l'établissement qui existe encore aujourd'hui et qui fut une dernière fois agrandi en 1859, alors que M. Paul Mame fut appelé à partager avec son père la responsabilité de cette vaste entreprise.
60 Par une heureuse combinaison MM. Mame ont réuni dans leur main les industries diverses qui doivent se mouvoir dans la même sphère d'activité ; ainsi celles de l'imprimeur, de l'éditeur, du libraire, du relieur, du clicheur auxquelles viennent se joindre tout un monde de dessinateurs, de graveurs, etc. Ils ont également voulu avoir chez eux toutes les matières premières qui concourent à la fabrication d'un livre ; et une fonderie, une usine à encre, une papeterie, une peausserie se sont élevées à côté des ateliers de composition, d'impression et de reliure.
61 Chacun des services de la maison est placé sous la direction d'un chef spécial, assisté de plusieurs contre-maîtres. Ces différents services sont installés largement ; partout il y a de la place et de l'air. Les ateliers sont entourés de jardins, et l'enfant de l'ouvrier qui s'étiolerait dans le domicile paternel, s'épanouit en travaillant selon ses modestes forces, au milieu de l'excellent air qu'il respire et de la propreté minutieuse qu'on lui recommande.
62 Plus de mille ouvriers sont directement attachés à la maison, plus de mille autres travaillent au dehors pour elle. Les salaires sont élevés, le chômage n'existe jamais, et tout le monde se rappelle au prix de quels héroïques sacrifices M. Mame parvint en 1848 à ne point fermer sa maison. Dans les différents ateliers, il existe aussi des caisses de secours pour les malades, créées sous l'impulsion et placées sous la protection de M. Mame.
63 La population de Tours connaît M. Mame de longue date ; elle sait que, dans le malheur, elle peut compter sur lui.
64 Dans l'atelier d'impression on a établi toutes les nouvelles machines qui, depuis quelques années, ont été inventées pour répondre au besoin de production toujours plus croissant de jour en jour. Et, dans la maison Mame, la production est énorme. Plus de vingt mille volumes sortent par jour de ses presses, ce qui élève le résultat de la production au chiffre prodigieux de six millions de volumes par an.
65 Son atelier de reliure est sans analogue en France. Plusieurs centaines d'ouvriers des deux sexes y trouvent une occupation quotidienne ; une de nos gravures représente cette ruche d'abeilles. La promptitude dans l'exécution, l'élégance et le goût du travail, la modicité du prix, sont les mérites qu'il faut signaler dans cette branche de service.
66 L'atelier de composition et le magasin de librarie, dans lequel il règne une activité qui semble d'abord incompatible avec l'ordre qu'il faut pourtant y reconnaître, sont emménagés avec les mêmes avantages.
67 Un esprit d'organisation hors ligne a veillé et veille encore tous les jours à l'administration de cette ville du travail.
68 Non, le jury spécial ne s'est pas trompé en accordant une récompense supérieure à MM. Mame. Leur établissement peut servir de modèle pour avoir rempli toutes les conditions du programme, et il est édifiant qu'il en soit ainsi, pour l'honneur de la profession libérale qu'ils représentent, de cette profession qui, la première entre toutes, répand les lumières dans le peuple.
La commission d'encouragement pour les études des ouvriers
69 Source : Archives nationales (site de Paris), F12 11901, dossier « Mame – Imprimeur ».
DOC. 7. Brouillon d'une lettre du président de la Commission d'encouragement à Alfred Mame (sans date).
70 Mon cher et très honoré collègue,
71 Je m'empresse de répondre à votre lettre. Voici l'objet dont je désirais vous entretenir : la C[ommissi]on d'en[coura]g[emen]t pour les ouvriers a l'intention de faire imprimer un très bel ouvrage g[ran]d in-8° exclusivement rédigé par les délégués des ouvriers. De très bons rapports qui n[ou]s ont déjà été déposés nous engagent à faire illustrer cet ouvrage qui contiendrait 2 ou 300 pages de beaux dessins représentant les produits exposés. Les exposants eux-mêmes n[ou]s offrent de faire la dépense des dessins et de leur impression. Quant à la C[ommissi]on, elle supporterait toute la dépense de la composition et du tirage du texte.
72 L'ouvrage serait tiré à 4 000 exemplaires de 600 pages plus 2 ou 300 pages de dessins. La justification serait dans le genre du modèle que je vous envoie sauf vos observations.
73 Nous estimons que la dépense totale pourra s'élever dans les environs de 50 000 francs, mais nous avons les moyens suffisants pour y faire face.
74 Ayez l'obligeance de n[ou]s répondre le plus tôt possible car nous voudrions commencer de suite l'impression.
75 Nous arriverons peut-être plus vite au but si vous écrivez à votre fondé de pouvoir de se rendre auprès de nous dans le cas où vous ne pourriez pas y venir v[ou]s-même.
DOC. 8. Alfred Mame au président de la Commission d'encouragement.
76 Tours, le 4 7bre 1867
77 Mon cher et honoré collègue,
78 Nous sommes très disposés à nous charger du travail que vous nous proposez et à l'exécuter rapidement et avec le plus grand soin.
79 Votre lettre m'annonçait un modèle pour la justification que je n'y ai point trouvé.
80 Nous aurons aussi besoin de nous entendre sur le choix du caractère, l'épaisseur du papier, [etc.]
81 Un volume de 600 pages de texte plus 300 pages de gravures sera bien épais !
82 Mon fils sera vendredi 8 à Paris. Il se présentera à votre bureau de la Commission d'encouragement dès 1 à 2 h[eure]s. J'espère qu'il vous y rencontrera et que vous vous entendrez très facilement avec lui sur les questions de détail de cette opération à laquelle nous sommes heureux d'attacher notre nom.
83 Recevez, mon cher et honoré collègue, l'assurance de mes sentiments les plus distingués.
84 A. Mame
DOC. 9. Alfred Mame et fils au président de la Commission d'encouragement.
85 Tours, le 14 août 1868,
86 Monsieur le président,
87 Nous vous adressons aujourd'hui la suite des placards du très long rapport des mécaniciens, et des épreuves en page du rapport des tourneurs sur cuivre. robinettiers.
88 Suivant votre désir, nous vous signalons dans ce dernier rapport de longues considérations sur la part qu'a prise autrefois et que prend actuellement en France le clergé dans l'instruction de la jeunesse. Elles commencent page 14, au bas de la 1e colonne, par ces mots Mais les avancées permanentes et se terminent au haut de la page 16. On y trouve nombre d'affirmations entièrement fausses et des raisonnements absurdes. Tout cela est singulièrement ridicule dans la bouche des tourneurs sur cuivre, robinettiers.
89 Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de mon entier dévouement.
90 A. Mame & fils
DOC. 10. Alfred Mame à M. Desvernay, secrétaire de la Commission d'encouragement.
92 Cher monsieur,
93 On me signale de Tours dans le rapport des tourneurs sur cuivre et robinettiers une tirade contre l'enseignement religieux où l'ignorance et l'absurdité coulent à pleins bords. Comme vous m'avez engagé à vous faire remarquer tout ce qui nous semblerait contraire à la religion, je crois devoir insister auprès de vous pour que ce passage, qui peut réellement nuire à votre publication et qu'il me répugnerait beaucoup d'imprimer, soit supprimé.
94 J'espère que vous êtes maintenant exactement servi et qu'il n'y a plus rien en retard à l'imprimerie. Je rentrerai dans très peu de jours à Tours et je donnerai, s'il y a lieu, une nouvelle impulsion à ce travail.
95 Veuillez agréer, cher monsieur, l'expression de mes sentiments les plus dévoués.
96
A. Mame
Hôtel du Panorama – Ems (Nassau)
Alfred Mame et fils à Tours. Notice et spécimen. Tours, imprimerie Alfred Mame, 1867
Alfred Mame et fils à Tours. Notice et spécimen. Tours, imprimerie Alfred Mame, 1867
Notes
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[1]
Rapport du jury central sur les produits de l'agriculture et de l'industrie exposés en 1849, Paris, Imprimerie nationale, 1850, t. 1, p. CLIII et t. 3, p. 494.
-
[2]
Décret du 1er février 1865, publié dans le Moniteur universel du 21 février 1865. Sur Frédéric Le Play et l'Exposition universelle de 1867, voir notre article « Le Play et l'Exposition universelle de 1867 », dans Antoine Savoye et Fabien Cardoni (dir.), Frédéric Le Play (1806-1882). Parcours, audience, héritage, Paris, École des Mines, 2007, p. 79-96.
-
[3]
Archives nationales (site de Paris) [AN désormais], F12 11894, vol. 1, f° 27-29, procès verbaux de la Commission impériale, 4e séance, 9 juin 1865.
-
[4]
Voir à ce sujet notre thèse sur l'Exposition universelle de 1867 (chapitre 5) : L'Exposition universelle de 1867 à Paris. Aperçu d'un phénomène de mode sous le Second Empire, université de Paris IV-Sorbonne, 2005.
-
[5]
Les formulaires de demandes d'admission sont conservés aux AN, F12 3036, dossier « Demandes d'admission et d'installation pour la classe 6 (imprimerie et librairie) ».
-
[6]
AN, F12 3036, dossier « Listes d'admission ».
-
[7]
Voir les plans conservés aux AN, F12 3036, dossier « Produits d'imprimerie et de librairie » et la gravure présentée dans L'Exposition universelle de 1867 illustrée, 1867, t. 1, p. 360-361.
-
[8]
Paul Boiteau, « Classe 6. Produits d'imprimerie et de librairie », dans Michel Chevalier (dir.), Exposition universelle de 1867 à Paris. Rapports du Jury international. Tome deuxième : Groupe II. Matériel et applications des arts libéraux – Classes 6 à 13, p. 26-30.
-
[9]
AN, F12 11896, conseil supérieur du jury, 11e séance du 27 mai 1867, f° 95-100 et liste récapitulative des grands prix, f° 139.
-
[10]
AN, F12 1 1894, vol. 3, f° 115-131, procès-verbaux du comité des finances, 13e séance, 1er mai 1866.
-
[11]
« Exposition universelle de 1867 à Paris : jury spécial du nouvel ordre des récompenses », Moniteur universel, 13 décembre 1866.
-
[12]
Voir par exemple l'article de J. Laurent-Lapp dans L'Exposition universelle de 1867 illustrée, t. 1, p. 356-362 ou les paragraphes consacrés à Alfred Mame par Paul Boiteau dans le rapport du jury international [Paul Boiteau, « Classe 6. Produits d'imprimerie et de librairie », art. cité].
-
[13]
A. Le Roux, « Exposition universelle de 1867, nouvel ordre des récompenses, jury spécial : rapport », Exposition universelle de 1867 à Paris. Rapports du Jury international, t. 1, p. 414-417.
-
[14]
Voir H. Fougère, Les délégations ouvrières aux Expositions universelles sous le Second Empire, Montluçon, 1905 et G. Weill, Histoire du mouvement social en France (1852-1910), Paris, 1910.
-
[15]
A. Desvernay, Exposition universelle de 1867 à Paris : rapports des délégations ouvrières, Paris, 1869, t. 1, arrêté du 29 novembre 1866.
-
[16]
AN, F12 3158A, registre de souscription par ordre chronologique, versement n° 1047 du 19 juin 1867.
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[17]
AN, F12 11 901, dossier « Mame – imprimeur ».
-
[18]
C'est ainsi qu'on voit marquer au prix de 50 centimes dans le catalogue de la maison des volumes in-32, en reliure anglaise, basane, tranche marbrée, et, par exemple, un petit paroissien romain.
-
[19]
Si nous avions à parler ici de la reliure, nous ferions remarquer que c'est l'un des arts d'industrie où depuis longtemps excelle la France ; nous aurions loué, comme elles le méritent, les œuvres de nos relieurs d'à présent, qui n'ont pas exposé en assez grand nombre. La reliure française semble entrer à son tour, comme l'orfèvrerie, l'ébénisterie, dans une période d'imitation. Les reliures à compartiments et à découpages sont les plus goûtées aujourd'hui : mais, du moins, la France n'a de modèles à prendre que chez elle, et l'exposition de l'atelier de Tours suffirait pour prouver que, même en imitant, nous ne dégénérons pas. Goût, élégance, solidité, commodité, on y trouve tous les éléments des chefs-d'œuvre que les amateurs entourent de leurs soins.
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[20]
Quelques-uns de ces charmants ouvrages sont tirés à 150 000 exemplaires chaque année. Les Imitations se vendent à 100 000. La Bible même de Doré à été tirée à 7 500 exemplaires, chiffre qui prouve qu'en définitive une œuvre d'élite, publiée par un éditeur habile, trouve toujours son public, et qu'on peut hasarder de gros capitaux dans une entreprise de librairie, pourvu qu'on sache la conduire.
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[21]
En marge, au crayon : « répondu 25 août ».