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Article de revue

Puissance de la faiblesse divine. Relire 1 Co 1,18-25 en compagnie de John D. Caputo

Pages 399 à 416

Notes

  • [*]
    Élian Cuvillier est professeur de Nouveau Testament à l’Institut protestant de théologie, Faculté de Montpellier, membre du Centre de recherches interdisciplinaires en sciences humaines et sociales (CRISES – EA 4424).
  • [1]
    Jacques Lacan, Séminaire XVII. L’envers de la psychanalyse (1969-1970), Paris, Seuil, 1991, p. 58.
  • [2]
    Pour plus de précisions sur ce type de lecture, voir infra n. 19.
  • [3]
    John D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 329.
  • [4]
    « Le christianisme contient en son fond la rancune des malades, leur instinct dirigés contre les bienportants, contre la santé. Tout ce qui est bien réussi, fier, pétulant, la beauté surtout, lui blesse les oreilles et les yeux. Une fois de plus, je rappelle l’inappréciable parole de Paul : “Ce qui est faible aux yeux du monde, ce qui est folie aux yeux du monde, ce qui est vil et méprisé aux yeux du monde, Dieu l’a choisi” : c’était cela, la formule, in hoc signo a vaincu la décadence. – Dieu sur la Croix – ne comprend-on toujours pas l’effroyable arrière-pensée de ce symbole ? – Tout ce qui souffre, tout ce qui est suspendu à la Croix est divin… Nous sommes tous suspendus à la Croix, par conséquent nous sommes divins… Nous seuls sommes divins… Le christianisme fut une victoire, un mode de pensée plus aristocratique en a péri, – le christianisme a été jusqu’ici le plus grand malheur de l’humanité –. » Friedrich W. Nietzsche L’Antéchrist, trad. de Dominique Éric Blondel, Paris, Flammarion, 1996, p. 112. Le dossier relatif à l’interprétation nietzschéenne de Paul exige que l’on se garde des caricatures, qu’elles soient chrétiennes ou anti-chrétiennes. Il convient en particulier de replacer son interprétation dans le cadre historique au sein duquel il évoluait et en tenant compte de sa propre biographie. Il n’est d’ailleurs pas exclu que, pour partie, sa critique virulente de Paul soit avant tout celle de l’interprétation du paulinisme par le christianisme de son temps. Quoi qu’il en soit d’un dossier pour le moins complexe, la radicalité de Nietzsche n’est pas sans faire écho à celle… d’un certain Paul ! Sur le sujet, voir Paul Valadier, Nietzsche et la critique du christianisme, Paris, Cerf, 1974, en particulier p. 315-335 : « L’invention paulinienne du christianisme » ; Didier FRanck, Nietzsche et l’ombre de Dieu, Paris, PUF, 1998 et, tout récemment, Abed Azzam, Nietzsche versus Paul, Columbia, University Press, 2015.
  • [5]
    J. D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 329.
  • [6]
    Élian Cuvillier, « Abaissement et exaltation en Philippiens 2,6-11 : une poétique de la foi », Études théologiques et religieuses 89 (2014), p. 373-385 ; également : Id., « Place et fonction de l’hymne aux Philippiens. Approches historique, théologique et anthropologique », in Daniel Gerber, Pierre Keith (éd.), Les hymnes du Nouveau Testament et leurs fonctions. Actes du XIIe congrès de l’ACFEB (Strasbourg 2007), Paris, Cerf, 2009, p. 137-157.
  • [7]
    J. D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 329.
  • [8]
    Sans compter qu’il faudrait s’interroger sur l’éventualité de l’authenticité de certaines paroles de Jésus, dans les Évangiles, où la figure du Dieu vengeur est présente de façon explicite.
  • [9]
    J. D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 329.
  • [10]
    Jacques Derrida, Voyous : deux essais sur la raison, Paris, Galilée, 2003, p. 13.
  • [11]
    J. D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 330. 404
  • [12]
    Ibid., p. 331.
  • [13]
    Rudolf Bultmann, Nouveau Testament et mythologie, Genève, Labor et Fides, 2013.
  • [14]
    J. D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 331.
  • [15]
    Ce que j’ai essayé de montrer dans Jean-Daniel Causse, Élian Cuvillier, Traversée du christianisme. Exégèse, anthropologie, psychanalyse, Paris, Bayard, 2013, chap. vi : « Mort du Christ et sacrifice », tout particulièrement p. 183-187.
  • [16]
    À ce sujet, on lira toujours avec profit la contribution de Jean Ansaldi, « Le sacrifice comme séduction du “Dieu obscur” », Foi et Vie 95 (1996), p. 77-91.
  • [17]
    Sur ce point, voir l’ouvrage de référence de Martin Hengel, La crucifixion dans l’Antiquité et la folie du message de la Croix, Paris, Cerf, 1981.
  • [18]
    Néologisme fabriqué à partir du mot grec pantokrator qui, appliqué à Dieu, le désigne comme « Tout-Puissant ».
  • [19]
    Ma lecture relève-t-elle d’une déconstruction au sens derridien du terme ? Je me risquerai d’autant moins à l’affirmer que Derrida lui-même a toujours gardé une certaine réserve vis-à-vis de ce terme : « Toute phrase du type “la déconstruction est x” ou “la déconstruction n’est pas x” manque a priori de pertinence, disons qu’elle est au moins fausse » (Jacques Derrida, Psyché. Inventions de l’autre, Paris, Galilée, 1987, p. 392). Je ne parle donc pas ici d’une méthode de déconstruction dans la mesure où la déconstruction n’est pas réductible à des procédures et à une technique. Plus modestement, ma lecture s’inspire d’une approche que d’aucuns diront déconstructionniste.
  • [20]
    On peut sans doute en identifier d’autres. Je m’arrête sur ceux qui sont les plus apparents.
  • [21]
    La nature exacte de cette intuition (théologique, philosophique, anthropologique) reste à définir.
  • [22]
    Au sens lacanien de ce terme. Pour Lacan, le réel n’est pas la réalité. Ce qui est accessible à chacun, c’est la réalité, le monde tel que nous le percevons avec nos sens et notre intelligence. À l’inverse, le réel se définit à partir d’une limite du savoir, limite à partir de laquelle il ne peut être appréhendé mais plutôt cerné et déduit. Le réel dans sa globalité et sa complexité c’est l’impossible à décrire donc l’impossible à dire. En ce sens, l’expérience religieuse appartient au réel. Elle fait vérité de l’existence pour celui qui l’expérimente mais elle est fondamentalement impossible à dire. Dans l’après-coup, le langage peut essayer d’en approcher la vérité de façon imparfaite et insatisfaisante.
  • [23]
    En musique, l’altération est le signe (bécarre, dièse ou bémol) modifiant la hauteur de la note placé soit à la clé, soit devant la note.
  • [24]
    On pourrait aussi s’intéresser aux quatre oppositions qui ne sont pas formulées par le texte mais qu’il construit en creux : folie versus force, folie versus faiblesse, sagesse versus force, puissance versus force. Folie versus force : la folie de Dieu (i.e. sa faiblesse) s’oppose à la force des hommes. Folie versus faiblesse : la folie des hommes (i.e. leur sagesse) s’oppose à la faiblesse de Dieu (i.e. sa folie). Sagesse versus force : la sagesse de Dieu est plus forte que les hommes (i.e. que leur sagesse). Puissance versus force : la puissance de Dieu s’oppose à la force des hommes.
  • [25]
    J. D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 336, n. 19.
  • [26]
    Ibid., p. 330.
  • [27]
    Jean-Marie Donegani, « Crise de l’Occident, crise du christianisme, crise de la différence », Recherches de Science Religieuse 101 (2013), p. 351-376, ici p. 375.
  • [28]
    « Toute vérité a une structure de fiction » : Jacques Lacan, Le séminaire VII. L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1985, p. 21. Lacan veut dire que la vérité ne peut que se mi-dire. Autrement dit, pour Lacan, la vérité est une vérité barrée.
  • [29]
    Pour reprendre le titre d’un ouvrage d’Étienne Babut, Le Dieu puissamment faible de la Bible, Paris, Cerf, 1999.
  • [30]
    J. D. Caputo, « Insistance et hospitalité : Marthe et Marie dans un monde postmoderne », voir supra, p. 363.
  • [31]
    « Nous prions d’être libres [ou dépris] de Dieu… », in « Beati Pauperes Spiritu », sermon 52 ; voir Alain De Libera, Traités et sermons, « Pourquoi nous devons nous affranchir de Dieu même », Paris, Flammarion, 1995, p. 351.
  • [32]
    J. D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 325.
« L’amour de la vérité, c’est l’amour de cette faiblesse dont nous avons soulevé le voile, c’est l’amour de ceci que la vérité cache, et qui s’appelle la castration. »
Jacques Lacan [1]

1Dans le cadre de ce numéro thématique consacré à John D. Caputo, j’ai choisi d’entrer en dialogue avec lui autour de la figure de Paul. Dans un premier temps, je commenterai les trois passages où Caputo fait allusion à l’apôtre dans « L’audace de Dieu. Prolégomènes à une théologie faible » : ils illustrent, à mon sens de façon tout à fait significative, sa posture vis-à-vis du Tarsiote. Dans un second temps je proposerai une traversée de 1 Co 1,18-25 cherchant à faire droit aux potentialités d’une lecture ouverte des signifiants du texte [2]. Je conclurai en articulant ma lecture avec les propos de Caputo sur les enjeux qui traversent aujourd’hui la théologie.

John D. Caputo et l’Apôtre Paul : dette et distance

2Le premier passage dans lequel Caputo en réfère à Paul est celui qui retiendra le plus longtemps mon attention dans la mesure où l’on y trouve l’ensemble des éléments qui constitue son rapport à l’apôtre :

3

Le premier chapitre de l’Épître aux Corinthiens condense parfaitement les caractéristiques du Royaume de Dieu tel qu’annoncé par Jésus. C’est le Royaume de ceux qui ne sont ni sages ni bien nés selon les normes du monde, dans lequel Dieu a choisi les fous pour manifester sa sagesse et la faiblesse pour manifester son règne. Par une expression destinée à choquer les philosophes grecs de Corinthe, Paul dit que Dieu prend le parti de ta me onta, c’est-à-dire qu’il ne prend pas le parti du pouvoir et de la gloire de l’être, ni le parti des pouvoirs de ce monde. Pour audacieuse qu’elle puisse sembler aux orthodoxes, la « faiblesse de Dieu » n’est donc pas une expression à moi, mais une citation directe de Paul (1 Co 1,25). C’est une expression explosive, révolutionnaire, subversive, bref, le summum de l’audace. Avec The Weakness of God, j’ai poussé jusqu’au bout, systématiquement et radicalement, l’affirmation de Paul, une herméneutique de la faiblesse – mais, et voilà ma propre audace, sans la compromettre comme j’affirme que le fait Paul dans le deuxième chapitre de la Première aux Corinthiens. Paul est tout à fait clair : en dépit de tout ce discours sur la faiblesse, il a un atout dans sa manche. Il n’a pas pour intention de simplement opposer la faiblesse de Dieu au pouvoir du monde, mais de battre le pouvoir du monde avec la carte supérieure du pouvoir apocalyptique de Dieu, bien plus puissant sur le long terme (2,5-6) et qui triomphe de Satan, débarrasse le ciel de ses affidés et transforme les ennemis de Dieu en marchepieds. Pour Paul, le pouvoir de la croix finira par écraser le pouvoir du monde qui a crucifié Jésus, aussi on a tout intérêt à parier sur la folie de Dieu. Des représailles infinies et les tourments de l’enfer attendent ceux qui refusent de s’embarquer avec Paul et de l’écouter. Ce qui ressemble à la faiblesse du monde est en réalité puissance, une véritable puissance. À ce moment-là – c’est arrivé si souvent dans ce qu’on appelle le christianisme – la voix de Paul a été la plus forte, et la voix de Jésus, qui pardonne à ses ennemis, s’est tue. Une économie sacrificielle a remplacé le don absolu du pardon enseigné par Jésus. La distance entre une telle faiblesse et une telle puissance est-elle sur le même modèle que la différence entre le « Jésus historique » et le christianisme ? Ou est-ce trop simple [3] ?

4À la différence de Nietzsche [4] et de tous les contempteurs anciens et modernes de l’apôtre, Caputo reconnaît sa dette vis-à-vis de Paul. Il soutient que celui-ci a formulé de façon radicale un nouveau discours sur Dieu, qui affirme sa faiblesse. Ce discours est la parfaite traduction de la prédication de Jésus de Nazareth. La dette de Caputo vis-à-vis de Paul relève de l’importance reconnue à la concentration paulinienne sur la croix, non comme sacrifice expiatoire mais comme révélation de la faiblesse radicale de Dieu. Caputo trouve chez Paul la formulation de ce qui est au cœur de sa propre compréhension de la théologie radicale qui l’oppose et qu’il oppose à l’orthodoxie, c’est-à-dire à la dogmatique classique selon laquelle la faiblesse du Christ incarné n’est que temporaire et n’affecte en rien la toute-puissance de Dieu le Père siégeant au Ciel. C’est donc chez Paul que Caputo trouve la formule radicalement subversive de la faiblesse de Dieu.

5Mais Caputo affirme aussitôt qu’il veut en tirer des conséquences plus radicales encore que ne le fait Paul. Car chez ce dernier, il y a un retour du Dieu fort, puissant et vengeur. S’il découvre chez l’apôtre les racines de la radicalité évangélique qui caractérise sa théologie, Caputo retrouve aussi chez lui le Dieu de la théologie classique. Selon Caputo, chez Paul la faiblesse de Dieu n’est qu’apparente ou, plus exactement, elle n’est que provisoire. Derrière ou après cette faiblesse provisoire se cache une puissance divine qui va écraser ses ennemis. Au final, la voix de Paul couvre celle de Jésus, même si Caputo n’a pas manqué de souligner que « le premier chapitre de l’Épître aux Corinthiens condense parfaitement les caractéristiques du Royaume de Dieu tel qu’annoncé par Jésus [5] ».

6Je voudrais d’abord affirmer ici mon accord avec Caputo sur le constat qu’il y a bien, chez Paul, à la fois une insistance sur la faiblesse du Dieu qui se révèle dans la Croix du Christ et l’image d’un Dieu qui, au final, remportera la victoire sur ses ennemis. On trouve chez Paul une fidélité profonde à la prédication de Jésus en même temps qu’un déplacement par rapport à elle, dans le sens d’un retour d’un discours religieux plus traditionnel. J’apporterai cependant quelques nuances.

7Premièrement, il me semble que cette intuition radicale de la faiblesse de Dieu déployée en 1 Co 1,18-25 est aussi à l’œuvre ailleurs chez Paul. Je pense en particulier à l’Épître aux Philippiens où la Croix (cf. Ph 2,8 et 3,18) opère un recadrage en profondeur de la compréhension non seulement de Dieu mais également de l’homme. J’ai montré ailleurs comment l’Épître aux Philippiens est structurée autour d’un schéma anthropologico-théologique où l’abaissement – la kénose (voir Ph 2,7) – est l’indispensable traversée qui permet à Christ, et après lui à Paul, d’expérimenter une vie surabondante [6]. L’exaltation qui suit la kénose du Christ (Ph 2,7-9), ou la justification qui suit le dépouillement de Paul (Ph 3,7-9), ne se présente pas comme un retour à la situation initiale, une revanche ou un gain de toute-puissance après le passage par l’épreuve, mais bien comme l’ouverture sur une autre compréhension de l’existence. Pour preuve, d’une part le fait que l’exaltation du Christ ne s’achève pas par la destruction des ennemis mais par une confession de sa seigneurie par l’univers entier (Ph 2,11), d’autre part le fait que l’attente de la récompense se formule chez Paul sous l’expression paradoxale suivante : « que j’obtienne le prix de l’appel d’en haut » (Ph 3,14), c’est-à-dire une récompense sans autre contenu que l’appel lui-même ! Paul fait l’expérience de l’abandon d’une vie religieuse réussie (Ph 3,4-6) pour être mis en mouvement vers quelque chose qui n’a pas de contenu précis. À cet égard, les trois utilisations du verbe diôkô en Ph 3 sont significatives du changement radical qui s’est opéré en lui. En Ph 3,6 le verbe exprime la « poursuite/persécution » de l’Église : un mouvement pour la mort. En Ph 3,12 et 14 il exprime le mouvement vers la vie : Paul « court vers le but pour obtenir le prix de l’appel d’en haut » (v. 14). Paul se trouve bien dans une dynamique de l’inaccompli, alors qu’auparavant la logique était celle d’un état d’accomplissement religieux (cf. Ph 3,6 : « devenu irréprochable »).

8Deuxième remarque, qui découle de la première, la longue période par laquelle Caputo décrit le retour de l’image d’un Dieu vengeur chez Paul en dit beaucoup plus sur le Dieu de la théologie classique (« triomphe de Satan », « transforme les ennemis de Dieu en marchepieds », « écraser le pouvoir du monde », « représailles infinies », « tourments de l’enfer », « économie sacrificielle » [7]) que ce que l’on trouve en 1 Co 2,1-16, passage nettement moins explicite sur le sujet. Certes Caputo pense sans aucun doute à d’autres passages où Paul déploie la figure de ce Dieu de la rétribution et du ressentiment nietzschéen ; il n’empêche : 1 Co 2,1-16 ne rétablit pas de façon aussi virulente que dans la théologie apocalyptique classique la figure d’un Dieu vengeur. Comme si la faiblesse de la Croix affirmée juste auparavant empêchait de déployer aussi facilement qu’ailleurs la figure du Dieu juge impitoyable. Il me semble donc nécessaire de tenir ensemble chez Paul, de façon plus nuancée et aussi plus dialectique, faiblesse et pouvoir de Dieu.

9Troisièmement, et toujours en prolongement de ce qui précède, il convient de s’interroger sur le rôle que joue, chez Paul, la figure du Dieu juge. Au-delà du ressentiment, n’y a-t-il pas chez lui la conviction que la Bonne Nouvelle ne peut se dire qu’en tension, avec une mise en crise de l’humain ? Quel statut le discours mythologico-apocalyptique du Jugement a-t-il chez Paul, c’est ce qu’il faut tenter de préciser et ce que John D. Caputo, me semble-t-il, ne fait pas de manière assez mesurée. Il me paraît insuffisant, même si cela est présent chez Paul, de le réduire à un simple retour du Dieu vengeur de la théologie apocalyptique classique. Quoi qu’il en soit – et quoi que Paul puisse en penser lui-même –, la faiblesse radicale de Dieu révélée à la Croix opère chez lui un déplacement qui va déséquilibrer la séquence faiblesse puis force, ou l’équivalence don et rétribution. Pour preuve le fait que l’on trouve chez Paul des discours contradictoires qui tiennent d’un côté pour acquis la punition des impies (par exemple en Ph 3,19) et de l’autre une vision que l’on peut considérer universaliste du salut (par exemple en Ph 2,11), comme si la Croix avait opéré en lui, et peut-être à son insu, une subversion des codes traditionnels.

10Quatrièmement, se pose la question – que je laisse pour l’instant en suspens – de ce que recouvrent chez Paul les notions de faiblesse et de puissance. Cette dernière est, selon moi, à distinguer de la notion de force, ce que je montrerai plus loin.

11Cinquième remarque, Caputo à la fois relie et oppose la voix de Paul à celle de Jésus. C’est ici la question du lien entre l’un et l’autre qui se pose. Il me paraît significatif que le Christ que veut connaître Paul dans la Première épître aux Corinthiens, s’il n’est pas « selon la chair » (2 Co 5,16), n’en est pas moins le Christ crucifié, c’est-à-dire un homme historiquement supplicié. Ceci simplement pour souligner que le retour au Jésus de l’histoire ne garantit absolument pas que l’on soit fidèle à ce qu’a voulu le prédicateur de Nazareth [8]. Caputo semble en être conscient lorsqu’il conclut sous forme interrogative : « La distance entre une telle faiblesse et une telle puissance est-elle sur le même modèle que la différence entre le “Jésus historique” et le christianisme ? Ou est-ce trop simple ? » Oui, oui, cher John. Peut-être cela est-il plus complexe.

12Sixième et dernière remarque : notre auteur affirme avoir « poussé jusqu’au bout [9] » l’herméneutique paulinienne de la faiblesse de Dieu. Et l’auteur de poursuivre : « voilà ma propre audace, sans la compromettre ». Ne pas compromettre, c’est-à-dire ne pas « promettre en même temps » (compromittere) deux éléments contraires. Pourtant n’est-ce pas de l’écart entre ces deux éléments mis en tension chez Paul (le Dieu faible et le Dieu fort), n’est-ce pas de cette différence/différance que peuvent surgir des potentialités nouvelles ?

13Venons-en à la seconde référence de John D. Caputo à Paul :

14

Encore une fois, nous ne devons pas opposer de façon binaire la faiblesse à la force, comme si la force, quel que soit le sens qu’on lui donne, quel que soit le contexte, devait être systématiquement évitée. Le même Paul l’a formulé par cette célèbre expression : lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort (2 Co 12,10). Encore une fois, sans doute n’ai-je pas été suffisamment clair sur ce point. Ce dont il s’agit dans le Royaume, c’est de la « force faible [10] » du pardon, de la « puissance impuissante » de la non-violence, c’est de vivre comme les lys des champs. C’est une force, une véritable force, mais une force faible ou non-violente. C’est une puissance, une véritable puissance, mais une puissance impuissante, pas la puissance telle que le monde connaît la puissance, pas une puissance de représailles dans cette vie ou dans la suivante. Par-dessus tout, ce n’est pas (comme ça l’est pour Paul) un désavantage temporaire qui contiendrait un avantage à long terme, un « secret » (1 Co 2,7) caché à ceux qui ne se doutent de rien et qui les prendrait par surprise. Il s’agit bien plutôt de la puissance impuissante du pardon en tant que tel, du pardon absolu, quoi qu’il arrive. Le pardon est un don donné sans espoir de retour, que ce soit une bonne stratégie ou une folle stratégie – surtout si c’est une folle stratégie [11].

15C’est à nouveau chez Paul que Caputo va chercher un second point essentiel de sa théologie radicale. Il insiste en effet sur un élément important : la faiblesse est puissante. Et c’est avec Paul qu’il formule ce paradoxe : lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort (2 Co 12,10). Mais aussitôt, de nouveau, Caputo affirme que Paul a trahi son intuition de départ. En effet Paul considère cette faiblesse comme un « désavantage temporaire ». Aux remarques faites précédemment et qui s’appliquent aussi à ce passage, j’ajoute ceci qui consonne avec ce que soutient Caputo tout en le nuançant : il y a bien une puissance de la faiblesse comme il le souligne. Cependant, de façon significative, ce n’est pas une force (ischuos) mais justement une puissance (dunatos) selon le passage de 2 Co 12,10 que cite Caputo et que je propose plutôt de traduire ainsi : « quand je suis faible, c’est alors que je suis puissant – dunatos ». Je reviendrai sur la différence entre force et puissance.

16Troisième et ultime référence du philosophe américain à Paul :

17

En théologie faible, l’histoire que Paul a imaginée est traitée comme un effort mythologique pour capitaliser sur la mort de Jésus, comme si l’exécution cruelle et injuste à laquelle il a été soumis était un sacrifice consenti en vue de la rédemption éternelle, comme si son abba pouvait être satisfait par un sacrifice de sang. Du point de vue du christianisme radical – si Jésus est l’image de Dieu –, c’est du paganisme, avec les pires des païens ensanglantés tirant profit de la crucifixion. La faiblesse de Dieu est une audace inouïe, ce n’est pas un triomphe divin qui aurait bouleversé le cours du monde entier en écrabouillant les ennemis de Dieu [12].

18Ce que Caputo souligne ici, c’est la dimension mythologique du propos paulinien. Dit autrement, Paul a redéployé l’événement de la Croix en discours religieux. Le dévoiement de l’intuition paulinienne de la faiblesse radicale de Dieu est son prolongement en mythe de salut. En mythologisant la Croix, Paul en trahit l’intuition fondamentale. Le constat me paraît pertinent et renvoie à une thématique chère à Bultmann [13]. J’y reviendrai en conclusion mais je me contente pour l’instant d’une remarque : pouvait-il en aller autrement ? L’histoire personnelle de Paul, sa responsabilité pastorale, le contexte profondément religieux au sein duquel il évolue expliquent sans doute cela. Paul n’avait pas lu Bultmann et Heidegger et on ne peut lui en tenir rigueur. Mais, s’agissant de l’interprétation de la mort du Christ, il me paraît excessif de parler chez lui de l’idée d’un « sacrifice consenti en vue de la rédemption éternelle [14] ». Ce thème est en effet peu présent chez Paul (Rm 3,25 fait quasiment figure d’exception) et il sera surtout déployé après lui. Quand bien même, il faudrait voir si la relecture sacrificielle n’est pas subvertie, comme je pense que c’est le cas, dans l’Épître aux Hébreux [15]. Sans aucun doute Anselme de Canterbury et la tradition dogmatique pluriséculaire, toutes confessions chrétiennes confondues, viennent ici gauchir notre lecture des textes néotestamentaires [16].

Relire une fois encore 1 Co 1,18-25

19

18La parole de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, pour nous, elle est puissance de Dieu. 19Car il est écrit : Je détruirai la sagesse des sages et j’anéantirai l’intelligence des intelligents. 20Où est le sage ? Où est le docteur de la Loi ? Où est le raisonneur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas rendue folle la sagesse du monde ? 21En effet, puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. 22Les Juifs demandent des signes et les Grecs recherchent la sagesse ; 23mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, 24mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. 25Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.

Quelques éléments d’analyse diachronique

20Commençons par souligner les principaux éléments d’analyse du passage paulinien qu’une exégèse historico-critique permet de faire ressortir. Il s’agit de resituer le propos paulinien dans son contexte de communication. Dans cette perspective, six éléments décisifs sont utiles à l’interprétation du texte.

21En premier lieu, le cadre du passage est donné par les v. 10-17. À Corinthe, il existe des partis religieux se réclamant tous du Messie Jésus, mais aux marqueurs identitaires discriminants : les « pauliniens », les « pétriniens », ceux se revendiquant d’Apollos, d’autres encore du Christ (peut-être les « spirituels » de la communauté). Les uns et les autres comprennent la foi au Messie dans le registre identitaire. D’une manière similaire aux « œuvres de la loi » que dénonçaient Paul en Galatie (circoncision, sabbat et règles de pureté alimentaire comme signes identifiant les judéo-chrétiens), on pourrait nommer ici les références des Corinthiens des « œuvres de la croyance » (se réclamer de tel ou tel parti, et en avoir les signes tel que le baptême au nom de Pierre, Paul ou Apollos devenant par exemple une marque identitaire). La foi n’est plus le seul critère décisif de l’appartenance à la communauté messianique : des particularismes semblent désormais entrer en ligne de compte. Le danger est la remise en cause de l’universalisme de la proclamation.

22En deuxième lieu, pour interpeller l’ensemble des protagonistes, Paul se décentre par rapport à ses propres marqueurs. Utiliser ses catégories théologiques habituelles (le langage de la justification tel qu’on le trouve dans les Épîtres aux Galates, aux Romains et en Ph 3) aurait en effet pour conséquence de confirmer les particularismes des uns contre ceux des autres. Il aurait alors pris parti (celui des « pauliniens »). Au lieu de cela, Paul crée un langage différent, non identitaire, donc non récupérable par l’un ou l’autre des partis. Ce langage est celui de la Croix.

23Autre élément : l’interprétation paulinienne de la Croix n’est pas une théologie du sacrifice. Rappelons que les premiers disciples ont été confrontés au défi d’interpréter ce qui fut d’abord vécu comme un échec radical : le Messie dont ils attendaient la libération est mort. Pas comme un héros qui meurt sur un champ de bataille, les armes à la main. Au contraire, Jésus est mort condamné comme un paria rejeté par tous : la crucifixion était en effet le supplice le plus infamant qui soit, réservé la plupart du temps aux esclaves [17]. Les écrivains du Nouveau Testament vont alors puiser dans la Torah et les Prophètes ainsi que dans l’univers religieux ambiant pour tenter de donner du sens à ce qui n’en a pas : ce seront les figures du juste ou du serviteur souffrant, le sacrifice expiatoire, l’agneau pascal, le bouc émissaire, etc. Représentations dont nous sommes encore héritiers aujourd’hui. Et Paul, à l’occasion (voir Rm 3,25), fera droit à cet arrière-plan. Mais, dans la Première aux Corinthiens, il va opérer un geste véritablement novateur qui fait qu’aujourd’hui encore il est considéré comme une figure de la pensée par des auteurs qui ne se réclament pas de la foi chrétienne.

24Quel geste fait Paul ? Il convoque le signifiant de la croix en dehors même de toute interprétation religieuse et il affirme : la croix parle (1 Co 1,18 : ho logos ho tou staurou, lit. « La parole, celle de la croix »). Insistons sur ce point fondamental pour la pensée elle-même et qui constitue l’élément décisif de l’élaboration de Paul : il est le premier, dans l’histoire des religions, à déployer une interprétation non religieuse, donc profane, de la foi dont il se fait le proclamateur ! Et non seulement profane, mais encore non-identitaire : qui, en effet, irait se réclamer d’un objet de supplice, d’un instrument de torture ? La difficulté réside dans le fait qu’actuellement la Croix est devenue un objet identitaire dont on se réclame. Or le geste fondateur de Paul est de dire quelque chose de révolutionnaire au plan religieux donc au plan identitaire : il invite les croyants de Corinthe à se revendiquer de quelque chose dont personne ne se revendiquerait. En risquant un anachronisme, c’est comme si aujourd’hui il disait : « La chaise électrique parle et dit quelque chose de décisif sur Dieu et sur l’existence humaine dans le monde. C’est en elle qu’il vous faut trouver le sens de votre existence » !

25Cinquième élément : pour Paul, la Croix atteste d’une manière paradoxale la divinité et l’altérité de Dieu. Ce Dieu que les sages cherchent dans la philosophie, ce Dieu qu’Israël cherche dans les grands événements qui ont fait son histoire, ce Dieu n’est pas là où le prétendent Juifs et Grecs – qui sont des figures de l’humanité. Dieu se révèle aux côtés d’un crucifié, c’est-à-dire dans la faiblesse, la déréliction et le dénuement radical. En se révélant à la Croix, Dieu est donc totalement différent des images habituelles que s’en font les hommes. Il se révèle là où personne ne songerait à aller le chercher. Paul propose ainsi une compréhension proprement révolutionnaire de Dieu. Car cette compréhension est non communautaire : il n’est pas le Dieu d’un peuple élu. Elle est aussi non religieuse : il n’est pas le Dieu des gens pieux, et non philosophique : il n’est pas le Dieu des sages et des philosophes. Elle est de surcroît non « pantocratique [18] » dans la mesure où il est un Dieu marqué par une faiblesse radicale. Pour tout dire, c’est une compréhension non métaphysique de Dieu : il n’est tout simplement pas le Dieu du théisme. Une véritable révolution dont on n’a pas fini de tirer toutes les conséquences : Paul fait descendre Dieu du ciel pour le suspendre au bois d’une croix ! Folie pour les Grecs, scandale pour les Juifs, mais sagesse paradoxale pour celui qui croit. Car, en parlant de façon nouvelle de Dieu, c’est aussi de l’homme que la Croix parle.

26Dernier élément : la Croix conteste en effet la sagesse des hommes. Ces hommes pensent depuis toujours qu’ils peuvent découvrir Dieu par leur philosophie (les Grecs), par le privilège de l’élection (les Juifs), par leur piété (Paul le Pharisien), par des marqueurs identitaires (les Galates et les Corinthiens) ou en maîtrisant les forces surnaturelles (les spirituels de Corinthe). Or ils se trompent tous autant qu’ils sont. La Croix met les quêtes religieuses des hommes en accusation. Elle affirme leur égarement. Mais pour celui qui reconnaît dans la Croix la Révélation de Dieu et la contestation de ses prétentions à la sagesse, à la piété, à certains privilèges ou à une figure toute-puissante de Dieu, la Croix est source de libération et de salut. Cette interprétation paulinienne de la Croix s’élabore autour d’un certain nombre d’oppositions qu’il faut maintenant analyser pour elles-mêmes.

De quelques oppositions structurantes

27L’approche que je propose de 1 Co 1,18-25 (avec 1 Co 2,1-5) s’éloigne du cadre habituel de l’exégèse historico-critique pour emprunter les sentiers moins balisés d’une approche ouverte aux effets de sens des oppositions repérables dans le passage. J’entends ici que la signification d’un texte est le résultat de la différence entre les mots employés, plutôt que la référence aux choses qu’ils représentent. Il s’agit d’une différence active, qui travaille en creux le sens de chacun des mots qu’elle oppose. Appliqué à ce texte de la Première épître aux Corinthiens, il s’agit de faire surgir, de l’analyse des mots, les postulats anthropologiques sous-jacents aux écrits de Paul e t d’en proposer une relecture pour l’interprète d’aujourd’hui, dans le monde qui est le sien. Il s’agit en somme d’être disponible à l’inattendu qui peut surgir de textes trop souvent lus et commentés [19].

28Partons du constat que le texte est organisé autour d’un certain nombre de termes mis en opposition les uns avec les autres (au sens du latin oppositio, c’est-à-dire celui d’antithèse mais aussi de contraste), oppositions dont je postule qu’elles structurent le passage en profondeur. Ce ne sont pas seulement, comme on le dit parfois un peu rapidement, deux couples de termes – sagesse/folie et faiblesse/puissance – mais au moins six couples qui sont ainsi mis en tension [20] : folie versus puissance (1,18 et 23) ; folie versus sagesse (1,20-23 et 25a) ; faiblesse versus force (1,25b et 27b) ; faiblesse versus puissance (2,3) ; faiblesse versus sagesse (2,3-4) ; sagesse versus puissance (2,5). Le champ de signification de chacun de ces couples est plurivoque. Cette diversité de sens est la résultante de la qualification que chacun des termes reçoit à l’intérieur de l’opposition (selon, par exemple, que la sagesse sera celle de Dieu ou celle des hommes, ou que la folie sera celle de Dieu, de la croix, de la prédication ou celle de la sagesse du monde). L’accumulation de ces oppositions témoigne à la fois de la densité du propos et de la difficulté de rendre compte de l’intuition dont il est porteur [21]. D’où une première remarque : l’écriture paulinienne est une écriture barrée. C’est-à-dire une écriture qui ne permet pas de traduire le réel [22] de l’expérience apostolique, expérience faite à même le corps de l’apôtre si l’on juge par ce texte de la Seconde aux Corinthiens – étroitement lié à celui qui m’occupe – et qui condense (on pourrait dire aussi ramène, réduit, résume) l’ensemble des oppositions dans le seul couple faiblesse/puissance :

29

7bAussi, pour que je ne sois pas trop orgueilleux, il m’a été donné une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me frapper – pour que je ne sois pas trop orgueilleux. 8Trois fois j’ai supplié le Seigneur de l’éloigner de moi, 9et il m’a dit : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. » Je mettrai donc bien plus volontiers ma fierté dans mes faiblesses, pour que la puissance du Christ repose sur moi. 10Aussi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les désarrois, dans les persécutions et les angoisses, pour le Christ ; en effet, c’est quand je suis faible que je suis puissant.
(2 Co 12,7b-10)

30Pour en revenir à 1 Co 1,18-2,5, relevons que les membres de chacune des six oppositions élaborées par le propos paulinien se laissent déconstruire par une altération (au sens de changement, de modification) réciproque [23] :

  • v. 18 et 23 : folie versus puissance. Pour les croyants, la Croix est affectée (au sens de touché par mais aussi modifié par) d’une puissance d’origine divine : elle est puissance de Dieu. En retour, la puissance divine est affectée (c’est-à-dire elle-même touchée et modifiée par) des qualités de la folie : cette croix qui est puissance de Dieu est en effet, dans le même temps, folie pour les païens dans le sens précis où elle est le signe de la honte qui s’abat sur le crucifié.
  • v. 20-23 et 25a : folie versus sagesse. La sagesse des hommes est affectée de folie (la sagesse des hommes est folie), tandis que la folie de Dieu devenant une sagesse supérieure à celle des (ou aux) hommes est affectée de sagesse (la folie de Dieu est sagesse).
  • v. 25b et 27b : faiblesse versus force. La faiblesse divine est affectée d’une force supérieure à la force des hommes, sans pour autant être dite forte en elle-même (elle est simplement plus forte que les hommes). Il ne s’ensuit pas pour autant que les humains sont caractérisés par la faiblesse. Conséquence : ce qui singularise la faiblesse de Dieu n’est pas tant la force (ischuos) que la puissance (dunamis). En retour, les hommes ne sont pas dits faibles mais moins forts que la puissance de Dieu. Dit autrement, d’une part la faiblesse de Dieu est puissance plutôt que force ; d’autre part les hommes ne sont qualifiés ni par la puissance ni par la faiblesse.
  • 2,3 : faiblesse versus puissance. La faiblesse de l’apôtre est une démonstration de puissance ; ainsi, en retour, la puissance est affectée de faiblesse. Comme la faiblesse de Dieu, celle de l’apôtre est puissance, en conséquence de quoi sa puissance est faiblesse.
  • 2,3-4 : faiblesse versus sagesse. La sagesse des humains n’est pas affectée de puissance non plus que de faiblesse : elle est privée des deux qualités principales de Dieu et donc du croyant (puissance et faiblesse). Comme précédemment, la sagesse des hommes n’est ni faiblesse ni puissance.
  • 2,5 : sagesse versus puissance. Double oxymore final : la sagesse folle des humains s’oppose à la puissance faible de Dieu. La sagesse des hommes est folie et la folie de Dieu est sagesse.

31C’est de l’action antagoniste des séries de couples que procèdent l’originalité et la capacité suggestive du propos paulinien. Les couples de mots ne sont pas dans un simple rapport d’opposition mais dans une tension dialectique. Par dialectique, j’entends que les pôles que chaque couple met en regard sont dans une relation de réciprocité, d’interaction qui, pour chacun, provoque par altération des deux membres du couple une autre définition de l’un et de l’autre : la folie, la puissance, la sagesse, la faiblesse, la force ne sortent pas indemnes de la mise en relation de l’une avec l’autre [24]. À s’en tenir au seul texte de 1 Co 1,18-2,5, il semble difficile sinon impossible d’envisager Dieu dans le registre de la force (ischuos) et les hommes dans celui de la puissance (dunamis). De même l’idée d’une faiblesse (astheneia) des hommes est absente. Précisons ce que j’entends par cette restriction : les trois termes, force, puissance et faiblesse (et eux seulement dans le texte de Paul ici analysé) ne désignent pas les deux groupes de protagonistes mis en scène (i.e. Dieu le Christ et les croyants « tant Juifs que Grecs » d’un côté, et les non-croyants Juifs et Grecs de l’autre), mais un seul des deux. Si la sagesse de Dieu et la sagesse des hommes sont en confrontation directe, tout comme pour la folie de Dieu (de la Croix et de la prédication) et la folie de la sagesse des hommes, il n’en va pas de même pour la notion de faiblesse qui est attribuée seulement à Dieu, à Paul et aux Corinthiens. Elle n’a pas d’équivalent chez les Juifs et les Grecs puisque le texte ne suggère jamais qu’ils sont caractérisés par la faiblesse. Leur sagesse est dite « folle » mais pas faible. Quant à l’idée de puissance (dunamis), elle semble réservée à Dieu – et profite ainsi aux croyants – mais n’est pas utilisée pour désigner une qualité des incroyants, Juifs et Grecs (v. 26 : il y a seulement quelques « puissants » parmi les croyants de Corinthe). Quant à la force (ischuos), elle est réservée au monde (v. 27) et ne sert pas à qualifier Dieu. Ni Dieu ni les croyants ne sont en effet désignés comme forts (même si au v. 25 la faiblesse de Dieu est dite « plus forte » que les hommes, sous-entendu plus forte que leur force).

32Faisons un rapide bilan du parcours effectué : sagesse et folie se distribuent d’un côté et de l’autre. Du point de vue des hommes (incroyants), ce qui ressort, c’est la folie de Dieu (de la Croix et de sa prédication). Du point de vue de Dieu (et des croyants), cette folie est sagesse – plus sage que les hommes – et elle implique une faiblesse qui est plus forte que les hommes ; d’où le choix qu’il fait des choses folles et faibles du monde (les croyants de Corinthe) pour confondre les sages et les fortes. Faiblesse et puissance sont du côté de Dieu : cela implique qu’en Dieu, la puissance suppose la faiblesse. La puissance de Dieu est marquée (castrée ? barrée ?) du sceau de la faiblesse. À l’inverse, la force est du seul côté de l’homme. Elle n’est donc pas synonyme de puissance et n’est pas marquée par la faiblesse. C’est une force non entaillée, brute. En même temps elle est confondue par plus forte qu’elle, à savoir la folie et la faiblesse de Dieu. D’où le paradoxe que la puissance (divine) entaillée par la faiblesse est plus forte que la force (humaine) non entaillée. Le paradoxe paulinien se formule donc de la façon suivante : Dieu est simultanément puissance et faiblesse, sagesse et folie. Plus encore, sa puissance est faiblesse et folie comme sa sagesse est folie. Sa faiblesse est puissance et sa folie est sagesse et puissance combinées. L’homme n’est ni puissance ni faiblesse. Il peut être fort. Sa sagesse est folie, mais le contraire n’est pas vrai : autrement dit sa folie n’est pas sagesse.

33La force (i.e. celle du monde) est sans puissance (i.e. sans souffle dynamisant et vivant) précisément parce qu’elle est non marquée par la faiblesse. Elle est simplement forte c’est-à-dire qu’elle contraint. Ce n’est qu’à être entaillée, castrée, barrée (c’est-à-dire à faire l’expérience de la faiblesse), qu’elle peut devenir puissante (dynamique, porteuse de vie), changeant ainsi de nature ! À l’inverse, il peut aussi exister une faiblesse non entaillée, non castrée, une pseudo-faiblesse en quelque sorte qui ne serait pas puissante (au sens de dynamique et porteuse de vie). Parce que non barrée, elle ne laisse pas de place à autre chose qu’à elle-même : elle est alors forte au sens de contraignante.

34Si on le traduit en termes de vérité, l’idée est alors que la puissance de la vérité suppose la castration de cette même vérité : une vérité « faible » (i.e. qui a fait l’expérience de la limite) est puissante (dynamique, vivante). Donc, en retour, une vérité forte (c’est-à-dire non castrée) est sans puissance véritable (sans dynamique de vie). Cela nous ramène au final à la citation de Jacques Lacan mise en exergue : « L’amour de la vérité, c’est l’amour de cette faiblesse dont nous avons soulevé le voile, c’est l’amour de ceci que la vérité cache, et qui s’appelle la castration ». Il y a, dans cette affirmation, une formulation proche de ce que dit Paul, à savoir celle d’une vérité faible, impuissante, castrée. L’idée de Lacan est que la puissance de la vérité suppose la castration de cette même vérité et donc, en retour, qu’une vérité non castrée (i.e. non faible) serait sans puissance. Chez Paul cela se traduit par la suggestion que la force (i.e. celle des hommes ou du monde) est sans puissance (i.e. sans souffle dynamisant et vivant) précisément parce qu’elle est non castrée, non entaillée, c’est-à-dire non marquée par la faiblesse.

35Pour l’exprimer dans les catégories de John D. Caputo – qui indique toutefois que Lacan ne fait pas partie de son itinéraire personnel [25] – je dirai que la force de Dieu (s’il en est !) est une « force faible ». De là précisément, j’ajouterai que naît sa puissance paradoxale, celle qui consiste à accueillir l’espace d’un inattendu porteur de vie véritable – au lieu de saturer l’espace d’une force envahissante et mortifère. Comme le dit notre auteur lui-même :

36

La force faible du Royaume de Dieu, c’est la force d’une demande qui nous est faite inconditionnellement mais sans pouvoir, et qui s’élève avec une gloire étrange au-dessus des pouvoirs de ce monde – comme ce baiser donné par Jésus au cardinal Grand Inquisiteur des Frères Karamazov et qui désarme totalement ce puissant personnage, ou comme le pouvoir sans pouvoir de l’homme qui pardonne à ses bourreaux [26].

Ouverture

37Il ne s’agit pas d’opposer de façon binaire et antithétique la force et la faiblesse. Selon Caputo, en 1 Co 1,18-25, c’est d’une « force faible » dont il est question. Pour ma part, je parlerai plutôt d’une puissance faible, considérant qu’il faut s’intéresser, chez Paul, à la grammaire profonde – une grammaire que je pense, comme Caputo, être celle de la faiblesse du Dieu crucifié –, qui structure sa pensée et donne vie et corps à ses textes. Mais, « parler de “grammaire” implique alors de ne pas superposer légèrement la structure grammaticale d’un texte et le contenu textuel généré par cette grammaire [27] », c’est-à-dire de ne pas réduire la Bonne Nouvelle à sa traduction historiquement datée. Je partage donc l’avis de Caputo : après avoir insisté sur la faiblesse de Dieu, Paul reconstruit un Dieu fort, celui de la théologie officielle. Cependant, je m’interroge : peut-on ne pas « compromettre » le Dieu faible comme l’ambitionne notre auteur ? La Vérité, qui toujours se « mi-dit » [28], peut-elle passer ailleurs que dans les promesses non tenues que nous formulons ou, plus exactement, dans les promesses contradictoires que nous faisons et que nous essayons de tenir ensemble, dans cet écart entre nos promesses contradictoires (nos compromissions) ? Et si Paul trahit, s’il compromet la Bonne Nouvelle du Dieu « puissamment faible [29] », il nous offre lui-même la possibilité voire l’exigence de le critiquer : « Mais si quelqu’un, même nous ou un ange du ciel, vous annonçait un Évangile contraire à celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème ! » (Ga 1,8). N’est-ce pas ce que fait Caputo : le critiquer parce qu’ayant reçu de lui l’essentiel ?

38Comme le philosophe le souligne à juste titre, Paul re-mythologise ce que la Croix lui avait permis de démythologiser. Aborder Paul de façon objectivante – naïve devrais-je dire – revient à rester dans une démarche métaphysique, c’est-à-dire en deçà de l’indispensable démythologisation que requiert notre condition postmoderne. Assumer la tâche sans cesse à reprendre de la démythologisation (Bultmann reste ici incontournable) revient à accepter que par-delà le langage mythologique que Paul utilise, il traite de l’existence humaine dans le monde et que c’est ainsi qu’il faut l’analyser. Quoi qu’il en dise, Paul ne parle pas de Dieu, en soi ou d’un arrière-monde mystérieux, il parle de l’humain confronté aux grandes questions de l’existence. Du discours paulinien il convient de comprendre la signification dans un geste interprétatif qui en déplie les potentialités de sens pour le lecteur d’aujourd’hui. Toute lecture de Paul qui refuse cette tâche de démythologisation en vient à re-mythologise en quelque sorte le propos de l’apôtre. Cette re-mythologisation se contente de dupliquer, en l’actualisant, le discours religieux, c’est-à-dire le discours sacrificiel, apocalyptique ou moraliste. Le risque est alors de perdre la dimension d’ouverture et d’imprévisible qu’offre le texte paulinien. La dimension idéologique ou moraliste propre au discours religieux (i.e. mythologique) propose en effet davantage de réponses qu’elle n’ouvre à l’imagination créative. Or, les propos de Paul relèvent d’une poétique de la foi et de l’action. Dit autrement, interpréter Paul ne signifie pas répéter son discours religieux ou imiter ses actes, mais puiser à la source de ses propos pour rencontrer une parole autre et imaginer des formes de l’action qui en découlent.

39Comme le rappelle J. D. Caputo [30], Maître Eckhart priait Dieu d’être libéré de Dieu [31]. C’est une des prières les plus célèbres qui soient, une des plus radicales, et une des contributions les plus importantes à la théologie, une théologie libérée des chaînes de la métaphysique, c’est-à-dire d’une pensée encore largement mythologique. La théologie doit se libérer de la pensée mythologique. Elle doit donc, elle aussi, prier Dieu de la débarrasser de Dieu. Prier le Dieu de la Croix de la débarrasser du Dieu que les mythologies religieuses ont construit à partir de la Croix. « L’insistance de Dieu » désigne le problème insistant, la tâche insistante, le défi, qui se présente au théologien : le nom de Dieu – question centrale s’il en est une chez Paul – n’est pas le nom d’une réalité objectivable qui ouvrirait les arcanes de la métaphysique ou le mystère de la vraie religion. Le nom de Dieu est le nom de la possibilité d’un événement, la chance d’une grâce qui provoque le trouble et ouvre à la réflexion. Le nom de Dieu est ce qui arrive dans l’événement que peut constituer la rencontre avec Paul.

40

Le nom de Dieu n’est pas le nom d’un être, même pas du plus élevé ni du premier des êtres (ens supremum, primum ens), qui ferait d’impossibles choses. Ce n’est pas le nom de l’Être ni du fondement des êtres, comme chez Hegel ou Tillich, ce qui n’est au fond qu’une théologie post-théiste ou « panenthéiste » un peu plus métaphysique. Ce n’est pas non plus le nom de l’être par-delà l’être ou sans être (hyperousios) de la théologie mystique, qui n’est par ailleurs qu’un discours provocateur trop souvent alourdi par le bagage d’une métaphysique néoplatonicienne (hyperousiologique). L’audace de Dieu, c’est celle-ci : Dieu n’existe pas – comme être, comme l’être des êtres, comme super-être –, Dieu insiste. Dieu a l’audace de n’exister pas, de se contenter de mots, d’un texte, de textes sacrés, dans lesquels quelque chose se fait dire – figurer, narrer, poétiser – dans et sous le nom (de) « Dieu » dans un texte « sacré ». Le nom (de) « Dieu » se diffuse, se dissémine dans une concaténation d’effets textuels sacrés. Dieu a l’audace de se contenter d’un appel, c’est-à-dire quelque chose qui se fait appeler dans et sous le nom de Dieu, avec insistance, s’insinuant jusque dans la vigueur même de notre vie facticielle, dérangeant sa tranquillité, amenant l’épée et non la paix. Dieu a l’audace de nous laisser l’existence et la force, d’en appeler à nous pour la force, interrompant les sillons bien établis de notre vie quotidienne [32].

41C’est ce Dieu-là qu’il nous faut chercher à faire surgir des textes pauliniens, parce que, chez Paul et parfois malgré lui, c’est ce Dieu-là qui insiste, persiste ou subsiste. L’autre, le Dieu de la métaphysique religieuse, celui qui se contente d’exister en récompensant les justes et en punissant les méchants, ne doit plus être l’objet d’une théologie paulinienne pour notre temps. Seul le Dieu qui « insiste » est digne d’intérêt. L’insistance de Dieu signifie que, lorsque nous lisons Paul, le nom de Dieu appelle une réponse de notre part. Dieu n’est pas quelqu’un qui fait des choses et nous demande d’obéir à des injonctions qu’il s’agirait de déduire des textes de Paul. Dieu est le nom de l’appel qui réside au cœur du propos de Paul et dont le travail exégétique tente de rendre compte et de dire la pertinence pour le monde d’aujourd’hui. Pour Paul, le nom de Dieu, c’est le nom d’un appel, comme une série de coups inattendus et insistants à la porte de notre bureau de théologien, d’exégète, de pasteur, de prédicateur, de simple croyant. Dérangeante visite au cœur de nos occupations : Dieu en soi ne veut pas être l’objet de la réflexion de Paul ni de la nôtre. Mais le nom de Dieu, ce Dieu à la puissance faible, le Dieu du crucifié, doit devenir le sujet qui nous inquiète et dont nous ne devons cesser de nous demander comment il convient de traduire les questions essentielles qu’il pose à ceux qui, par le truchement des textes de Paul, acceptent de se mettre à l’écoute de son appel insistant.

Notes

  • [*]
    Élian Cuvillier est professeur de Nouveau Testament à l’Institut protestant de théologie, Faculté de Montpellier, membre du Centre de recherches interdisciplinaires en sciences humaines et sociales (CRISES – EA 4424).
  • [1]
    Jacques Lacan, Séminaire XVII. L’envers de la psychanalyse (1969-1970), Paris, Seuil, 1991, p. 58.
  • [2]
    Pour plus de précisions sur ce type de lecture, voir infra n. 19.
  • [3]
    John D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 329.
  • [4]
    « Le christianisme contient en son fond la rancune des malades, leur instinct dirigés contre les bienportants, contre la santé. Tout ce qui est bien réussi, fier, pétulant, la beauté surtout, lui blesse les oreilles et les yeux. Une fois de plus, je rappelle l’inappréciable parole de Paul : “Ce qui est faible aux yeux du monde, ce qui est folie aux yeux du monde, ce qui est vil et méprisé aux yeux du monde, Dieu l’a choisi” : c’était cela, la formule, in hoc signo a vaincu la décadence. – Dieu sur la Croix – ne comprend-on toujours pas l’effroyable arrière-pensée de ce symbole ? – Tout ce qui souffre, tout ce qui est suspendu à la Croix est divin… Nous sommes tous suspendus à la Croix, par conséquent nous sommes divins… Nous seuls sommes divins… Le christianisme fut une victoire, un mode de pensée plus aristocratique en a péri, – le christianisme a été jusqu’ici le plus grand malheur de l’humanité –. » Friedrich W. Nietzsche L’Antéchrist, trad. de Dominique Éric Blondel, Paris, Flammarion, 1996, p. 112. Le dossier relatif à l’interprétation nietzschéenne de Paul exige que l’on se garde des caricatures, qu’elles soient chrétiennes ou anti-chrétiennes. Il convient en particulier de replacer son interprétation dans le cadre historique au sein duquel il évoluait et en tenant compte de sa propre biographie. Il n’est d’ailleurs pas exclu que, pour partie, sa critique virulente de Paul soit avant tout celle de l’interprétation du paulinisme par le christianisme de son temps. Quoi qu’il en soit d’un dossier pour le moins complexe, la radicalité de Nietzsche n’est pas sans faire écho à celle… d’un certain Paul ! Sur le sujet, voir Paul Valadier, Nietzsche et la critique du christianisme, Paris, Cerf, 1974, en particulier p. 315-335 : « L’invention paulinienne du christianisme » ; Didier FRanck, Nietzsche et l’ombre de Dieu, Paris, PUF, 1998 et, tout récemment, Abed Azzam, Nietzsche versus Paul, Columbia, University Press, 2015.
  • [5]
    J. D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 329.
  • [6]
    Élian Cuvillier, « Abaissement et exaltation en Philippiens 2,6-11 : une poétique de la foi », Études théologiques et religieuses 89 (2014), p. 373-385 ; également : Id., « Place et fonction de l’hymne aux Philippiens. Approches historique, théologique et anthropologique », in Daniel Gerber, Pierre Keith (éd.), Les hymnes du Nouveau Testament et leurs fonctions. Actes du XIIe congrès de l’ACFEB (Strasbourg 2007), Paris, Cerf, 2009, p. 137-157.
  • [7]
    J. D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 329.
  • [8]
    Sans compter qu’il faudrait s’interroger sur l’éventualité de l’authenticité de certaines paroles de Jésus, dans les Évangiles, où la figure du Dieu vengeur est présente de façon explicite.
  • [9]
    J. D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 329.
  • [10]
    Jacques Derrida, Voyous : deux essais sur la raison, Paris, Galilée, 2003, p. 13.
  • [11]
    J. D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 330. 404
  • [12]
    Ibid., p. 331.
  • [13]
    Rudolf Bultmann, Nouveau Testament et mythologie, Genève, Labor et Fides, 2013.
  • [14]
    J. D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 331.
  • [15]
    Ce que j’ai essayé de montrer dans Jean-Daniel Causse, Élian Cuvillier, Traversée du christianisme. Exégèse, anthropologie, psychanalyse, Paris, Bayard, 2013, chap. vi : « Mort du Christ et sacrifice », tout particulièrement p. 183-187.
  • [16]
    À ce sujet, on lira toujours avec profit la contribution de Jean Ansaldi, « Le sacrifice comme séduction du “Dieu obscur” », Foi et Vie 95 (1996), p. 77-91.
  • [17]
    Sur ce point, voir l’ouvrage de référence de Martin Hengel, La crucifixion dans l’Antiquité et la folie du message de la Croix, Paris, Cerf, 1981.
  • [18]
    Néologisme fabriqué à partir du mot grec pantokrator qui, appliqué à Dieu, le désigne comme « Tout-Puissant ».
  • [19]
    Ma lecture relève-t-elle d’une déconstruction au sens derridien du terme ? Je me risquerai d’autant moins à l’affirmer que Derrida lui-même a toujours gardé une certaine réserve vis-à-vis de ce terme : « Toute phrase du type “la déconstruction est x” ou “la déconstruction n’est pas x” manque a priori de pertinence, disons qu’elle est au moins fausse » (Jacques Derrida, Psyché. Inventions de l’autre, Paris, Galilée, 1987, p. 392). Je ne parle donc pas ici d’une méthode de déconstruction dans la mesure où la déconstruction n’est pas réductible à des procédures et à une technique. Plus modestement, ma lecture s’inspire d’une approche que d’aucuns diront déconstructionniste.
  • [20]
    On peut sans doute en identifier d’autres. Je m’arrête sur ceux qui sont les plus apparents.
  • [21]
    La nature exacte de cette intuition (théologique, philosophique, anthropologique) reste à définir.
  • [22]
    Au sens lacanien de ce terme. Pour Lacan, le réel n’est pas la réalité. Ce qui est accessible à chacun, c’est la réalité, le monde tel que nous le percevons avec nos sens et notre intelligence. À l’inverse, le réel se définit à partir d’une limite du savoir, limite à partir de laquelle il ne peut être appréhendé mais plutôt cerné et déduit. Le réel dans sa globalité et sa complexité c’est l’impossible à décrire donc l’impossible à dire. En ce sens, l’expérience religieuse appartient au réel. Elle fait vérité de l’existence pour celui qui l’expérimente mais elle est fondamentalement impossible à dire. Dans l’après-coup, le langage peut essayer d’en approcher la vérité de façon imparfaite et insatisfaisante.
  • [23]
    En musique, l’altération est le signe (bécarre, dièse ou bémol) modifiant la hauteur de la note placé soit à la clé, soit devant la note.
  • [24]
    On pourrait aussi s’intéresser aux quatre oppositions qui ne sont pas formulées par le texte mais qu’il construit en creux : folie versus force, folie versus faiblesse, sagesse versus force, puissance versus force. Folie versus force : la folie de Dieu (i.e. sa faiblesse) s’oppose à la force des hommes. Folie versus faiblesse : la folie des hommes (i.e. leur sagesse) s’oppose à la faiblesse de Dieu (i.e. sa folie). Sagesse versus force : la sagesse de Dieu est plus forte que les hommes (i.e. que leur sagesse). Puissance versus force : la puissance de Dieu s’oppose à la force des hommes.
  • [25]
    J. D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 336, n. 19.
  • [26]
    Ibid., p. 330.
  • [27]
    Jean-Marie Donegani, « Crise de l’Occident, crise du christianisme, crise de la différence », Recherches de Science Religieuse 101 (2013), p. 351-376, ici p. 375.
  • [28]
    « Toute vérité a une structure de fiction » : Jacques Lacan, Le séminaire VII. L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1985, p. 21. Lacan veut dire que la vérité ne peut que se mi-dire. Autrement dit, pour Lacan, la vérité est une vérité barrée.
  • [29]
    Pour reprendre le titre d’un ouvrage d’Étienne Babut, Le Dieu puissamment faible de la Bible, Paris, Cerf, 1999.
  • [30]
    J. D. Caputo, « Insistance et hospitalité : Marthe et Marie dans un monde postmoderne », voir supra, p. 363.
  • [31]
    « Nous prions d’être libres [ou dépris] de Dieu… », in « Beati Pauperes Spiritu », sermon 52 ; voir Alain De Libera, Traités et sermons, « Pourquoi nous devons nous affranchir de Dieu même », Paris, Flammarion, 1995, p. 351.
  • [32]
    J. D. Caputo, « L’audace de Dieu : prolégomènes à une théologie faible », voir supra, p. 325.
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