Ancien Testament
Bernd Janowski, Gernot Wilhelm, éd., Texte zum Rechts- und Wirtschaftsleben, Gütersloh, Gütersloher, coll. « TUAT, NF 1 », 2004. 25 cm. xvi-372 p. ISBN 978-3-579-05289-2. € 148. Staatsverträge, Herrscherinschriften und andere Dokumente zur politischen Geschichte, Gütersloh, Gütersloher, coll. « TUAT, NF 2 », 2005. 25 cm. xviii-406 p. ISBN 978-3-579-05288-5. € 148
1Cette collection propose la traduction en allemand des textes anciens les plus importants pour l’étude comparative de L’AT. Un premier projet, édité par O. Kaiser, a été achevé en 2001 sous forme de trois tomes suivis d’un supplément (en tout 3 196 p. ; entre-temps accessibles sur CD-Rom). Les textes sélectionnés sont ordonnés par région, époque, genre littéraire et par thème. Chaque texte est présenté par un chercheur reconnu, spécialiste d’égyptologie, d’assyriologie, de langues sémitiques et d’Iran.
2Depuis 2003, deux nouveaux éditeurs ont pris le relais et dix autres vol. sont prévus. Les traductions sont, comme précédemment, accompagnées par des introductions traitant de la composition des textes, de l’histoire de leur tradition et de leur histoire textuelle. La traduction est accompagnée de commentaires philologiques. Le premier vol. réunit des textes concernant le droit et l’économie orientale de la région centrale de Mésopotamie, Mari, Nouzi, Ougarit, Alalakh, Emar, ainsi que de d’Égypte, d’Iran, de Palestine, de Phénicie, de Syrie et d’Arabie du sud. Le second vol. comprend des traités d’État, des inscriptions royales, des chroniques et autres documents concernant l’histoire politique des différents peuples mésopotamiens, des hourrites, des hittites, et des anciennes cités syriennes Ougarit et Alalakh, d’Égypte, d’Iran, des peuples sémitiques du Nord Ouest et d’Arabie du sud. Un index des passages bibliques et une table chronologique concluent chaque vol.
3Il s’agit d’un outil indispensable et de haut niveau pour tous les chercheurs en littérature du Proche-Orient ancien. Soulignons en particulier la pertinence de la sélection présentée et la qualité philologique des traductions.
4Michaela Bauks
F. V. Greifenhagen, Egypt on the Pentateuch’s Ideological Map. Constructing Biblical Israel’s Identity, Sheffield, Sheffield Academic Press, coll « JSOTS 361 », 2002. 24 cm. xii-325 p. ISBN 978-0-8264-6211-4. £ 90
5Cet ouvrage, réécriture d’une thèse soutenue à Duke University, Durham, N.C., présente en introduction la manière d’aborder le motif de l’Égypte dans le Pentateuque (Pt). Le but du Pt, racontant les origines d’Israël, est de forger l’identité d’Israël à l’époque perse. F. V. Greifenhagen part de l’hypothèse que l’identité israélite se construit par opposition à l’Égypte. Les mentions de l’Égypte renvoient moins à sa spécificité géographique ou ethnographique qu’à sa construction symbolique (imaginative map ou mental map). Après avoir exploré le « topos Égypte » dans la Genèse, l’Exode, et du Lévitique au Deutéronome, G. l’interprète dans le cadre de la production et du contexte du Pt.
6Dans la Genèse, l’Égypte, sur laquelle le lecteur n’apprend presque rien, joue un rôle de marqueur idéologique qui sert à différencier Israël. La nation Égypte selon Gn 10 est exclue du lignage choisi. Dans le cycle d’Abraham, l’Égypte est une place dangereuse, elle y est décrite de manière plus négative que la Mésopotamie. Elle fait courir le risque de l’assimilation (Gn 12 et 16). L’image positive et ambiguë de l’Égypte dans l’histoire de Joseph contraste avec ce cadre négatif dans lequel elle est insérée artificiellement. Genèse reflète un débat entre tendances pro- et anti-égyptiennes.
7L’Exode souligne l’identité non égyptienne d’Israël en insistant sur la distinction ethnique entre le « nous » et le « eux ». Les destinataires sont conduits à accepter cette séparation comme constitutive de leur identité. À cet effet, la distinction est présentée comme le résultat d’un acte divin qui sépare physiquement Israël de l’Égypte. Cette distinction, bien que remise en cause par des allusions aux racines égyptiennes d’Israël ou au regret de l’Égypte plantureuse et sécurisante, rend impossible la perspective d’un retour en Égypte. Moïse lui-même est une figure ambiguë et le livre s’efforce d’amoindrir ses origines égyptiennes. L’Exode intensifie les traits négatifs de l’Égypte pour contester les points de vue proégyptiens. L’Égypte représente « l’autre » contre lequel se construit l’identité d’Israël. C’est pourquoi elle est présente en tant qu’« autre nécessaire » dans le rite et la loi, dans la mémoire, pour rappeler et renouveler la distinction d’Israël.
8En Lévitique, Nombres et Deutéronome, on retrouve la même préoccupation de distinction dans la description négative du pays et l’interdit du retour en Égypte. Le portrait ne contient pas d’allusions aux pratiques religieuses de l’Égypte (ce sont plutôt celles de Canaan qui sont condamnées), mais ces livres insistent sur le joug égyptien et le statut d’étrangers des Israélites. En Nombres la rupture entre les générations des pères et des fils met en avant l’ethnogénèse d’Israël. Seule la nouvelle génération sera capable de se détacher du lien égyptien. Même Moïse meurt en dehors de la terre promise en raison de son appartenance à la génération née en Égypte. Tout lien avec l’Égypte est expurgé. Il y a une tension dans l’idéologie du Pt entre le rejet de l’Égypte et la référence à l’Égypte comme lieu d’origine d’Israël.
9Offrant un état de la question sur la forme finale du Pentateuque, G. estime qu’il est bien une production des époques perse et hellénistique (entre 450 et 350 av. J.-C.). L’image négative de l’Égypte dans le Pt reflète le contexte historique : l’empire perse doit en effet faire face à des troubles nationalistes en Égypte ; des colons judéens au service des Perses sont confrontés à ces troubles. L’anti-égyptianisme du Pt s’expliquerait dans ce contexte.
10Dans le chap. final, G. reprend la thèse de la double origine d’Israël développée par T. Römer et A. de Pury, mais l’interprète différemment. Il ne s’agit pas de deux mythes d’origine (origine autochtone et origine égyptienne) que l’on réunit dans le compromis littéraire du Pt. Mais le Pt, en favorisant l’ethnogénèse en Mésopotamie, fait du séjour en Égypte un détour qui construit une image négative du pays. Cette image dominante fait de l’Égypte un lieu d’origine à rejeter.
11C’est pourquoi le Pt neutralise avec Abraham l’image plus positive de Joseph comme Exode à l’envers (exodus-in-reverse, p. 261) et celle de Moïse. L’Égypte renvoie moins à une réalité géopolitique qu’à un emblème servant à dire la spécificité d’Israël par contraste.
12Derrière l’image négative de l’Égypte, un des buts du Pt serait de promouvoir la loyauté à l’égard du pouvoir perse chez ses auditeurs. Le Pt serait aussi écrit pour rendre illégitime la communauté juive d’Égypte puisque Israël ne peut pas y servir yhwh.
13Cette approche du motif de l’Égypte sensibilise le lecteur à l’aspect idéologique des textes du Pt au moment où ils sont produits. Mais cette étude originale se heurte à une difficulté méthodologique et théologique : celle de considérer les traditions concernant l’Égypte dans une synchronie qui ne renverrait qu’à l’époque perse. L’opposition à l’Égypte est ancienne et les traditions de l’Exode sont liées à l’époque préexilique et à celle de Josias. Là se joue aussi une spécificité théologique que G. ne met guère en valeur. Il a certes noté que les traditions de Joseph sont en tension avec celles de l’Exode, mais il ne s’agit pas seulement des positions pour ou contre l’Égypte et d’une critique de la diaspora égyptienne. Il s’agit plutôt d’une contestation par cette même diaspora de la vision judéo-centrée de la communauté de Jérusalem. De plus il est difficile de lire l’expulsion d’Hagar en Gn 16, récit préexilique, comme le rejet de tout ce qui relie à l’Égypte. G. ne tient pas assez compte du fait qu’Ismaël est sauvé et qu’en Gn 17 (relecture sacerdotale de Gn 16) il est circoncis et appartient à l’alliance abrahamique. La Genèse insiste sur la dimension universelle et inclusive de la promesse divine. Enfin, il est peu probable que le Pt ait été écrit pour appeler à la loyauté à l’égard des Perses tant les « documents officiels perses », favorables à la Torah, du livre d’Esdras sont des reconstructions.
14Malgré cette lecture partielle du motif de l’Égypte dans le Pt, cette étude que complètent un appendice et des index, demeure un outil fort utile pour comprendre l’Égypte à l’époque du second Temple.
15Dany Nocquet
Markus Witte, Konrad Schmid, Doris Prechel, Jan Christian Gertz, éd., Die deuteronomistischen Geschichtswerke. Redaktions- und religionsgeschichtliche Perspektiven zur “Deuteronomismus” – Diskussion in Tora und Vorderen Propheten, Berlin/New York, Walter de Gruyter, coll. « BZAW 365 », 2006. 23,5 cm, xviii-444 p. ISBN 978-3-11-018667-3. € 98
16Cet ouvrage est issu d’un symposium international qui s’est tenu à Heidelberg sur le thème « L’histoire deutéronomiste (HD) de Genèse à 2 Rois », et d’une session à Mainz sur « Contrat, serment de fidélité et alliance ».
171re partie : « Histoire de la recherche et perspectives méthodologiques ». Les textes de l’Antiquité étaient mémorisés et servaient à la formation d’une élite. À partir de ce constat, D. Carr (p. 1) plaide pour une approche empirique de l’analyse de la genèse des textes à partir d’une étude du Deutéronome. Il convient de comparer les différentes recensions des textes en s’inspirant de la littérature cunéiforme. La comparaison de Samuel et des Rois avec Chroniques serait à approfondir. K. Schmid, « Hätte Wellhausen Recht ? » (p. 19), montre comment la position de Wellhausen sur une composition prédtr des livres des Rois sape l’hypothèse de Noth (pour lequel HD [Jos-R] est l’œuvre d’un auteur du vie s. av. J.-C) et de l’école de Göttingen. 2 R 17, 22-23 appartient à un niveau rédactionnel préexilique tardif. Une position qui trouve une nouvelle jeunesse avec les travaux de Cross. T. Römer (p. 45) se situe entre Wellhausen et Noth en montrant l’existence d’un dtr au viie s. qui fait l’objet d’une réécriture « babylonienne » et d’une actualisation à l’époque perse (T. Römer développe cette position dans La première histoire d’Israël, Genève, Labor et Fides, 2007).
182e partie : « Le Deutéronome deutéronomiste ». E. Otto, « Das post deuteronomistische Deuteronomium » (p. 71), montre comment la « fable du Pentateuque » qui s’est construite après l’exil à été transmise et portée par la rédaction postdtr et l’écriture sacerdotale. J.-C. Gertz (p. 103) analyse Dt 1-3 qu’il comprend comme une relecture des récits non sacerdotaux d’Exode à Josué. Le but est d’intégrer la loi deutéronomique originelle et indépendante dans l’histoire du Pentateuque en en faisant le discours d’adieu de Moïse. J. Pakkala (p. 125) s’interroge sur la dépendance de Dt 13 à l’égard d’un contrat de vassalité néoassyrien (celui d’Assarhaddon). Mais s’inspirant d’un contrat de droit de l’Orient ancien, Dt 13 et son intolérance religieuse fut intégré à l’Exil et transformé théologiquement.
193e partie : « Pré et postdeutéronomisme dans les prophètes antérieurs ». U. Becker (p. 139) étudie Jos 23 et 24, leurs couches rédactionnelles tardives et leurs liens avec l’ensemble Gn-R. Selon son étude Dt 1-2 R 25 fut un ensemble indépendant à l’origine. En analysant 1 S 9-10, A. A. Fischer, « Die SaulÜberlieferung » (p. 163), montre l’existence d’une vieille histoire royale dtr de 1 S 9 à 1 R 2. 1 S 8, plus tardif, servait de lien entre cette histoire et celle de Juges. Pour K.-P. Adam (p. 183), étudiant la révolte d’Absalom, Samuel et Rois sont une histoire de la royauté et non une histoire des rois. 2 S 18-19 et la rébellion contre le roi faisait partie de l’histoire royale prédtr. Cet élément essentiel fut retravaillé à travers la figure d’Absalom. Selon S. B. Parker, « Ancient Northwest Semitic Epigraphy and […] Kings » (p. 213), les inscriptions royales, distinctes littérairement de R, sont comparables aux chroniques néobabyloniennes, objets d’une croissance rédactionnelle. Avec R elles partagent une même provenance, les cercles des cours royales, et en complètent l’image.
204e partie : « Aspects d’histoire religieuse ». U. Rüterswörden (p. 229) analyse le terme « amour » en Dt comme une fidélité à une suivance ordonnée, terme ancien attesté jusqu’à l’époque néoassyrienne. En Dt 6, 4, d’époque exilique et postexilique, cette notion reflète l’interrogation sur la manière de mettre en place la loyauté à yhwh auprès des personnes vivant dans la dispersion. J. Pakkala (p. 239) étudie l’évolution de la représentation de Dieu au moment où se forme une communauté postétatique. Dt à 2 R reflète le passage d’une monolâtrie tolérante de la fin de la royauté à une monolâtrie exclusive de l’époque exilique pour devenir un monothéisme nomiste après l’Exil. À partir des notices cultuelles de HD, C. Frevel, « Wovon reden die Deuteronomisten ? » (p. 249), résume 30 ans de débat sur le monothéisme. Il y a bien une discontinuité entre la période exilique et postexilique. Mais la recherche sur HD doit encore interroger la plausibilité historique ainsi que les différences littéraires et les convergences avec les sources extrabibliques.
215e partie : « Les contextes de la représentation deutéronomiste de l’alliance ». Le regard de G. Beckman (p. 279) sur les traités étatiques du 3e au 1er millénaire montre l’éclectisme des sources entre les traités de parité (entre « frères ») et les traités de vassalité (entre un « fils » et son suzerain). Ces traités empruntent aux structures des relations des familles élargies de la société mésopotamienne. L’influence des traités hittites jusqu’au 1er millénaire concernant les notions d’« alliance et [de] serment » demeure une question ouverte. Dans la suite, L. d’Alfonso (p. 303) indique que la tradition hittite des traités est encore connue dans le Nord de la Syrie au début du 1er millénaire. Cependant les liens avec les traditions mittannienne et assyrienne des traités ne sont pas clairement établis. H. U. Steymans (p. 331) éclaire la fonction du traité de vassalité d’Assarhaddon. Parmi les destinataires, certains bénéficient d’une autonomie politique et territoriale. En estimant que Manassé se trouvait dans une telle situation, l’auteur considère possible qu’un contrat de loyauté (adê) se trouvait dans le temple de Jérusalem. Selon K. Radner (p. 351) le concept d’adê, traité de loyauté, lié à celui de serment, impose l’allégeance aux partenaires du contrat. Le temple de la divinité Nabû, patron des tablettes du destin, était le lieu où étaient conservés les serments de loyauté. L’auteur se montre prudent quant à l’hypothèse qui considère les serments de loyauté assyriens comme le seul modèle qui aurait servi pour Dt. Enfin, C. Koch, « Zwishen Hatti und Assur » (p. 379), s’interroge sur les origines de la théologie de l’alliance. L’examen de l’inscription de Sfiré du viiie s., près d’Alep en Syrie, et des sentences de malédiction témoigne d’une influence hittite et néoassyrienne. La théologie de l’alliance de l’histoire deutéronomiste relève d’un mélange de traditions.
22Pour tous ceux qui s’intéressent à l’émergence des livres historiques de l’AT, ce livre apporte des clés de lecture indispensables pour comprendre le « deutéronomisme », et en mesurer les différentes représentations et la complexité des influences à la source du phénomène.
23Dany Nocquet
Nouveau Testament
Jean-Noël Aletti, Saint-Paul. Épître aux Philippiens. Introduction, traduction et commentaire, Paris, Gabalda, coll. « Études bibliques, Nouvelle Série 55 », 2005. 24 cm. viii-359 p. ISBN 2-85021-171-0. € 65
24Cet ouvrage s’inscrit résolument dans le courant des approches structurales et rhétoriques qui depuis les années 1990 domine l’exégèse des Épîtres pauliniennes. Il suffit de le comparer avec le dernier commentaire français de Ph, celui de Jean-François Collange qui date de 1973, pour mesurer le changement. Sans se prononcer de manière définitive sur la question qui a été longtemps au centre des discussions, à savoir si Ph est d’un seul tenant ou s’il est l’assemblage de plusieurs lettres de Paul, A. estime que le texte actuel de Ph, étant pourvu d’une cohérence à la fois sémantique, thématique et structurelle, fait sens. Pourtant, jusqu’à présent, ni les études structurales qui ont repéré une construction concentrique dans Ph (A. B. Luter et M. V. Lee), ni les études rhétoriques qui ont mis en lumière une argumentation (D. F. Watson, L. G. Bloomquist) ne sont parvenues, selon A., à rendre vraiment compte de la pensée qui s’exprime et se déploie dans cette lettre originale de Paul. Ph se distingue d’autres Épîtres de Paul (Rm, Ga, 1 et 2 Co) en ce qu’elle est plus proche d’une lettre que d’un discours argumenté : l’approche épistolaire s’avère donc plus appropriée que la rhétorique du discours dans le cas de Ph. La lettre se caractérise, comme l’a montré P. Rolland, par un parallélisme et une progression entre les chapitres 2 et 3, que les exégètes ont souvent rattachés à des lettres différentes vu leurs tonalités contrastées. Se référant à la liste des modèles épistolaires attribuée à Démétrios de Phalère, A. situe Ph à cheval entre la lettre d’amitié et la lettre d’exhortation ; c’est surtout de ce dernier type de lettre que Ph est proche. Nous avons un ensemble exhortatif constitué de deux séries qui s’enchaînent et forment un tout cohérent : une première exhortation à l’entente et à l’unité en 2, 1-18 est suivie d’une double exhortation à résister aux adversaires en 3, 2-16 et 3, 17-4, 1. Chaque exhortation suit le même schéma ABA’ (A : exhortation, B : exemple, A’ : reprise de l’exhortation). L’ensemble exhortatif s’harmonise avec le cadre épistolaire empreint d’amitié, de joie et de reconnaissance : sentiments et pensées qui tiennent au fait que Paul et ses destinataires, tout en vivant les mêmes épreuves et les mêmes combats, participent tous à la progression de l’évangile du Christ, qui est l’œuvre même de Dieu. La maîtrise rhétorique de Paul se manifeste dans l’alternance entre nouvelles, exhortations et exemples, et surtout dans l’éloge de lui-même – la périautologie – en 3, 4-14 qui s’inspire de l’éloge du Christ en 2, 6-11. Si la définition de Ph 3, 4-14 comme périautologie est éclairante, l’application d’un même schéma à toutes les exhortations semble par contre moins pertinente (pourquoi, par ex., rattacher 1, 27-30 à 1, 12-26 plutôt qu’à 2, 1-18 ? En 3, 2-16 la longueur de l’exemple est tellement disproportionnée par rapport à celle des exhortations que le schéma ABA’ ne s’impose pas pour cette section). La séduisante architecture de Ph proposée par A. n’est pas sans fragilité.
25Trois exemples peuvent illustrer la mise en œuvre par A. de ses options herméneutiques dans l’exégèse détaillée de Ph. Premièrement, l’analyse de 2, 6-11, passage considéré comme étant le joyau littéraire et théologique de Ph. Dans la ligne de la traduction que A. donne du v. 5 – « Ayez entre vous les sentiments qui furent aussi en Christ Jésus » –, le Christ est proposé dans les versets qui suivent comme modèle éthique aux Philippiens, les invitant à un phronein empreint d’humilité, en particulier au sein de l’Église. Ce n’est pas de la « kénose » du Verbe préexistant dont il est question en 2, 6-7b – ce dernier ne pourrait pas être donné en exemple aux croyants ; c’est l’itinéraire du Christ incarné, s’humiliant volontairement jusqu’à la condition d’esclave et la mort sur une croix, qui est esquissé de manière prégnante et proposé comme modèle de vie en 2, 6-8. Que « l’hymne » soit de la main de Paul ou provienne d’une tradition liturgique prépaulinienne, elle s’inscrit admirablement dans le mouvement de Ph et confère leur véritable sens aux exhortations adressées aux Philippiens. L’absence de la dimension sotériologique n’est pas un argument contre une rédaction paulinienne du passage, cette absence s’explique par la fonction de Ph 2, 6-11 comme exemple : la christologie est mise au service de l’éthique en même temps que celle-ci est christologisée, devenant un vivre et un agir à la suite du Christ et en communion avec lui.
26Deuxième exemple : Ph 3, 4-14. La caractérisation rhétorique de 3, 2-4,1 comme argumentation passe à côté de la nature et de la fonction de 3, 4-14 comme exemple et comme périautologie. Ph 3, 4-14 présente en effet tous les traits typiques de la périautologie : la comparaison entre Paul et ses adversaires ou entre différentes étapes de la vie de Paul, le renvoi aux origines, à l’éducation et aux actes de Paul, les corrections successives qui conduisent à une subversion de l’éloge. Évoquant son propre itinéraire, Paul emprunte plus d’un trait à celui du Christ esquissé en 2, 6-11 ; l’apôtre communie aux souffrances du Christ dans la perspective de la résurrection, c’est ce qui l’amène à exhorter ses lecteurs à l’imiter (3, 17). L’étroite relation entre 2, 6-11 et 3, 4-14 est un argument supplémentaire en faveur de l’intégrité de Ph.
27Troisième exemple : Ph 3, 9. A. donne de ce verset, qui fait partie de la périautologie, une interprétation s’écartant des lectures habituelles qui y voient une confirmation de la doctrine paulinienne de la justification. Serait opposée en 3, 9, à la justice dont l’homme se prévaut – sa justice propre –, la justice venant de Dieu, la justice extérieure à l’homme et comprise comme un don de Dieu. Selon A. cette lecture est grammaticalement fautive ; l’opposition est en fait entre « une justice mienne venant de la Loi » et une autre « justice également mienne, mais venant de Dieu par la foi ». Le croyant possède bien une justice qui est véritablement la sienne, mais cette justice résulte uniquement de sa foi en Christ (il faut, selon A., rendre ici l’expression « foi de Christ » par « foi en Christ »). On voit les conséquences éthiques de sa lecture.
28Si A. s’en tient strictement au texte de Ph, il ne se désintéresse pourtant pas de son arrière-plan historique, religieux et culturel. Les informations livrées par Paul sont cependant trop lacunaires et trop floues pour permettre la reconstitution de sa situation et de celle de l’Église de Philippes (en particulier l’identité des adversaires évoqués en Ph) lors de la rédaction et de l’envoi de la lettre. L’apôtre, en effaçant ce qui était trop local ou spécifique, a voulu que ses pensées et ses propos fussent universalisables. Ce qui est pourtant à noter, ce sont les emprunts de Paul au langage politique, militaire, commercial et sportif en Ph, ainsi que les affinités avec la philosophie et la morale grecques, ou la description de la vie chrétienne en termes religieux et sacrificiels, qui rappellent la figure du Serviteur chez Ésaïe. Paul est familier des deux cultures, grecque et juive.
29Malgré quelques coquilles, la présentation du commentaire est très soignée, le plan suivi pour l’exégèse de chaque section (traduction, remarques sur le texte et la traduction, bibliographie, présentation et composition, exégèse et reprise théologique) facilite son utilisation. Il marque, à l’image des autres ouvrages d’A., une étape importante dans l’étude de cette Épître et dans les études pauliniennes en général, en particulier dans le monde exégétique francophone trop souvent à l’écart des avancées de la recherche biblique.
30Jean-Jacques Muller
Histoire
François Cassingena-Trevedy, Les Pères de l’Église et la liturgie. Un esprit, une expérience. De Constantin à Justinien, Paris, DDB, coll. « Théologie à l’Université 5 », 2009. 23,5 cm. 384 p. ISBN 978-2-220-06018-7. € 32
31L’art épistolaire désormais consacré du frère Cassingena-Trevedy, se met ici au service d’une très élégante édition d’un florilège ordonnancé des meilleures pièces patristiques afférant à la liturgie.
32Composé selon un plan quaternaire, C.-T. se plaît à nous faire entrer dans une belle cathédrale mystagogique : de l’assemblée chrétienne à l’expérience liturgique, en passant par « l’accès » et « l’action » (p. 334).
33Dans l’avant-propos sont énumérés les axes épistémologiques s’orientant autour de la théurgie dont l’homme est le sujet bénéficiaire, ceci dans la vie ecclésiale sans cesse tendue entre le « je » et le « nous », soulignée d’emblée par l’insistance sur l’assemblée. La participation se dévoile comme la dimension nécessaire et primordiale. Participation au sens d’une adhésion pleine et entière de cœur et d’esprit à la louange eucharistique, communion mystique du ciel et de la terre. Aussi le lecteur sera sensible au beau déploiement de la mission et de la présence des anges (p. 80-92). Si aujourd’hui certains déplorent à juste titre le manque de ferveur des baptisés par rapport à la pratique dominicale, ils pourraient être consolés – hélas serait-il bon d’ajouter – par les « larmes » de saint Jean Chrysostome (p. 53-54). Mais sur un plan plus positif, nous sommes conviés à la contemplation du rayonnement de l’ordo liturgique où la symphonie des voix et des prières se doit d’être digne et garante de la grandeur d’un tel Mystère.
34Mystère qui selon ces mêmes Pères reste caché aux non-initiés selon la discipline de l’arcane. C.-T., dans ce qu’il appelle « accès », rappelle les dimensions de foi, de purification et de crainte, inhérentes à sa célébration (p. 93-136). Le souci d’articuler la pratique chrétienne avec certains fondements anthropologiques des religions antiques, donne des clefs utiles et pédagogiques (cf. par ex., « frictos » p. 115). Le développement pertinent sur la place et l’équilibre portés par le silence dans le rythme de l’action liturgique est à lire avec grande attention et pourrait aujourd’hui servir pour ceux qui ont la charge de présider des assemblées dominicales ou autres. Ce silence habité n’ouvre-t-il pas l’espace à la tension irréductible de l’horizon eschatologique de « l’Aujourd’hui » ? (p. 220-226). Tout le troisième chap. sur l’action est dans ce domaine capital et incontournable pour entrer vraiment dans une perspective intelligente et profondément chrétienne. Là aussi le dossier étymologique sur héortè panèguris ou festum – solemnitas, aide à mieux percevoir à la fois les continuités et la rupture que provoque en face des liturgies antiques la radicale nouveauté de la synaxe eucharistique.
35De l’assemblée à l’expérience. Éclate ici un plaidoyer pour la joie de célébrer. Nous renvoyons particulièrement aux cinq critères exprimés par Jean Chrysostome (p. 279-280). Mentionnons enfin parmi tant de perles sagement disposées au long de ce magnifique ouvrage, le lien indispensable entre la participation à la liturgie dominicale et la sollicitude pour les plus petits. Beau lieu de discernement spirituel face à une façon de considérer quelquefois la liturgie comme lieu de sécurité, de refuge ou de confort personnel.
36Parmi les sources de prédilection, nous notons Ambroise, Éphrem, Grégoire de Nazianze, Grégoire le Grand, Sévère d’Antioche, Théodore de Mopsueste, et surtout Augustin et Jean Chrysostome, ce dernier se révélant le chantre de la « théoria » dans son action liturgique. Vraiment, cet ouvrage donne du souffle pour au moins trois raisons : la manière dont les Pères ont façonné, pensé et prié l’action liturgique – lignes reprises par les initiateurs du mouvement liturgique (fin xixe-début xxe siècles) – ; la dynamique festive et joyeuse qui mériterait d’être plus souvent actualisée ; la nécessaire dimension communautaire qui invite à recentrer toute propension trop individuelle dans une participation toujours plus ouverte au « Beati qui ad Cenam Agni vocati sunt ».
37Ce livre est tout simplement un régal bien en phase avec l’objet qu’il veut servir.
38Philippe Molac
Justin Mossay, Nazianze et les Grégoire, Bruxelles, éditions Safran, coll. « Langues et cultures anciennes 15 », 2009. 24 cm. 192 p. ISBN 978-2-87457-028-5. € 32
39Aborder l’environnement géographique et culturel dans lequel ont évolué les « deux Grégoire » n’avait jusqu’à ce jour pas reçu de traitement vraiment particulier. Le livre du professeur Mossay vient apporter cette touche neuve et indispensable pour mieux comprendre les caractères et les choix de ces nobles personnages. En dix chapitres d’inégale longueur sont retracés non seulement les portraits de ces deux personnages mais aussi celui d’une famille du ive siècle, sise au cœur de la Cappadoce.
40M., qui avoue au fil des pages son attrait intrigué pour cette région, met à la portée d’un grand nombre – et c’est le but louable de cette entreprise – les résultats des recherches archéologiques les plus sérieuses. Si la localisation exacte de Nazianze reste encore un problème difficile à résoudre (p. 26), il semble plus certain que le domaine d’Arianze soit aujourd’hui situé dans un quartier du bourg turc de Karvali. Au passage, M. souligne les effets pour le moins problématiques de la déportation des populations hellénophones et turcophones, conséquences du traité de Lausanne (1923). Il n’est pas interdit de se demander ici avec le recul de l’histoire comment ceux qui ont signé un tel traité pouvaient se targuer d’être profondément « démocrates » ? Il est sûr qu’à travers cet exemple, nous avons perdu une source de très haute tradition.
41C’est donc dans cet univers étrange et captivant que sont transmises les biographies croisées d’une famille chrétienne engagée dans sa foi et dans l’histoire de son temps. Les troubles politiques et théologiques sont rappelés avec une grande finesse. L’empereur Julien (361-363) est nommé « philosophe » et non plus Apostat : une justice rendue à cet homme dont Grégoire le théologien a largement assombri la mémoire, et auquel les historiens aujourd’hui savent restituer l’austérité et la rigueur personnelles avec lesquelles il unifia sa vie.
42Les sources littéraires sont bien sûr les panégyriques prononcés par l’évêque de Constantinople, ainsi que les épitaphes. Ainsi nous en connaissons un peu plus sur « Grégoire l’Ancien », celui qui fut en définitive l’authentique Grégoire de Nazianze. Les événements de sa conversion sont soulignés et l’auteur nous permet de mieux cerner la secte des hypsistariens à laquelle appartenait l’illustre personnage auparavant. Les figures féminines de Nonna – épouse de Grégoire – et de leur fille Gorgonie auraient peut-être mérité un peu plus d’insistance ; en particulier pour montrer comment à travers ces deux figures est présentée la femme chrétienne idéale de cette époque, reproduction en quelque sorte de la femme forte de l’Ecclésiaste. Cependant, M. montre aussi combien elles contribuent à donner un statut plus respecté à la femme à cette époque. Intéressant aussi le chap. sur Césaire et sa fonction d’« archiâtre » et de fonctionnaire royal. Le lecteur ne sera pas étonné de ce que la monographie sur le « Théologien » soit bien plus longue : elle développe la question des études philosophiques athéniennes et la manière dont Grégoire a pu en bénéficier. Les sous-sections sur le sacerdoce et le synode de Constantinople (381) manifestent, malgré tout, une moindre aisance de M. dans le registre des réflexions théologiques, sur lesquelles par moment il laisse planer des doutes, non sans quelque dépit. Tout comme la recherche pointilleuse et positiviste de certains historiens est, elle aussi, de temps en temps mise à mal, avec des expressions familières inappropriées.
43L’histoire des manuscrits se concentre surtout sur l’édition des Mauristes, dont il nous est révélé qu’elle fut particulièrement difficultueuse. Une juste appréciation louangeuse est accordée au travail lui aussi inachevé du professeur polonais Sinko. La multiplicité des œuvres du Nazianzène demandera encore beaucoup de temps pour l’editio major in extenso. Si des spécialistes tels que Gallay, Bernardi et Hauser-Meury sont largement cités, sans oublier Coulié, Trisoglio et Calvet-Sebasti, il est étonnant que d’autres noms n’apparaissent guère, en particulier ceux de Moreschini et Palla, et même Spidlik. Mais ces réserves ne sauraient remettre en cause un apport nécessaire et bienvenu pour l’étude du Sitz im Leben de la plus illustre famille de Nazianze.
44Philippe Molac
Saint Antoine de Padoue, Sermons des dimanches et fêtes. Vol. III : Du dix-septième dimanche après la Pentecôte au troisième dimanche après l’ octave de l’Épiphanie, Paris/Padoue, Cerf/Le Messager de saint Antoine, coll. « Sagesses chrétiennes », 2009. 20 cm. 469 p. ISBN 978-2-204-08761-2. € 48
45Comme les deux précédents ce troisième volume est annoté par les soins de Valentin Strapazzon, frère mineur conventuel. Nous avons dix-sept sermons écrits pour une période liturgique charnière : des derniers dimanches de l’année liturgique aux dimanches du cycle Avent-Épiphanie, selon l’ordo missae du temps de saint Antoine (env. 1195-1231).
46Pour le lecteur qui commencerait par ce volume, nous rappelons l’introduction générale au vol. I, p. iii-l. Dans ce troisième tome, nous retrouvons les clefs exégétiques et homilétiques du saint portugais. Chaque sermon suit une structure très précise : l’exposition des thèmes abordés, puis un exorde qui situe la problématique générale. Deux ou trois parties viennent ensuite déployer les lignes théologiques et spirituelles que le prédicateur veut faire passer. Chacune de ces parties est divisée en plusieurs petits traités. Enfin un retour à l’épître permet de donner une dernière exhortation avant de conclure par une oraison récapitulative.
47Ces sermons sont émaillés de nombreuses citations de l’Écriture. Tous les livres de la Bible sont cités. Cependant certains le sont plus que d’autres. Pour le Pentateuque, la Genèse est dix fois plus mentionnée que l’ensemble des quatre autres livres réunis : le récit de la chute et la geste de Joseph sont des sources fréquentes pour le franciscain. Les livres historiques sont très chichement utilisés, à l’inverse de la littérature prophétique qui fait le miel de notre orateur : Ézéchiel et surtout Ésaïe qui est le chantre de l’Avent : dix fois plus de citations que Jérémie. Les livres de Sagesse tiennent une place non négligeable : Job, les Proverbes et le Siracide. Pour le NT, des quatre Évangiles, Matthieu est le plus apprécié : deux fois plus de renvois qu’à Luc ou à Jean. Par contre, curieusement, saint Paul est moins convoqué, si ce n’est les Épîtres aux Philippiens et aux Éphésiens. Enfin l’Apocalypse est relativement présente, mais pas selon un quelconque aspect eschatologique qui n’apparaît paradoxalement pas dans ces homélies des derniers dimanches liturgiques.
48Les sources patristiques sont les mêmes que celles du premier vol. : Augustin, Jérôme, et Grégoire le Grand. Les exemples pris au bestiaire sont empruntés à l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien.
49Les développements dogmatiques ne sont jamais très longs, l’aspect anagogique est rapidement mis en avant. La dimension pénitentielle est toujours très présente, avec en toile de fond le schéma : contrition, confession, satisfaction. Ce souci de la conversion du cœur se retrouve tout au long de ces dix-sept prédications, y compris pour celles des dimanches de la Nativité. Cette tonalité nous amène à dire que nous sommes loin de la scintillance théologique de Léon le Grand, quant à la manière de magnifier le mystère de l’Incarnation. Ici l’objectif est strictement moral et s’y inscrivent même des pointes d’austérité. Très souvent reviennent au long de ces pages, les clercs et les moines. Ceux-ci sont stigmatisés quand ils sont trop peu soucieux de témoigner d’une vie spirituelle digne et conforme au mystère de la croix du Christ. Les images des châtiments éternels viennent dans ce cadre illustrer la juste rétribution divine. Le combat spirituel est vraiment marqué par cette lutte entre les vertus et les vices au cœur de l’être humain, et les animaux sont abondamment convoqués pour soutenir par des évocations, parfois audacieuses, ces élans oratoires. Néanmoins, il convient de reconnaître que les phrases sont courtes, le style sobre et dépouillé, les mots la plupart du temps employés à bon escient pour faire vibrer l’auditoire sur l’essentiel de la vie chrétienne. La force des nombres est également manifeste : la triple charité, la triple robe nuptiale, les quatre animaux qui vivent uniquement des quatre éléments, les cinq manières dont arrivent les maladies, les neuf ordres des anges et leur signification … Certainement doit-on penser ici à quelque procédé mnémotechnique simple afin que les auditeurs puissent retenir le maximum de la prédication.
50Il y a toujours un aspect surprenant pour le lecteur contemporain dans ces sermons de saint Antoine. Par ex., la façon dont il symbolise les personnes peut surprendre : « Joseph signifie croissance, Marie étoile de la mer, Syméon celui qui entend la tristesse, Anne celle qui répond » (p. 354). Et nous pourrions continuer longtemps la litanie des audaces étymologiques et des champs explicatifs qu’elles ouvrent. Mais, au-delà ou au cœur de ces audaces, nous pouvons nous en remettre à la connaissance des moindres recoins de la psychologie humaine que saint Antoine devait avoir.
51Ce troisième vol. confirme en bien des points qu’une lecture assidue et contextualisée permet de saisir la mesure de cette catéchèse populaire : un style sans grand artifice, au service d’une prédication arrimée à l’Écriture, avec des images appropriées.
52Les notes de bas de page auraient sans doute gagnées à préciser à la fois les contextes de telle ou telle prédication, ainsi que les enjeux théologiques et spirituels. Quelques timides renvois sont proposés, en particulier à des « maîtres » cisterciens, mais ils auraient pu être plus nombreux. Enfin, un index des mots clefs aurait été précieux en fin de volume.
53Philippe Molac
Saint Antoine de Padoue, Sermons des dimanches et fêtes. Vol. IV : Sermons pour les fêtes des saints et sermons marials, Paris/Padoue, Cerf/Le Messager de saint Antoine, coll. « Sagesses chrétiennes », 2009. 20 cm. 466 p., ISBN 978-2-204-08762-9/978-88-2502311-4. € 44
54Ce quatrième et dernier volume est toujours dirigé par le frère Valentin Strapazzon, frère mineur conventuel. Nous sont ici livrées des œuvres un peu différentes de celles des précédents volumes : dix-huit sermons pour des fêtes du Christ ou des saints, et six sermons prononcés lors de fête de la Vierge Marie.
55Comme dans les recensions des autres volumes, nous invitons le lecteur à se reporter à l’introduction générale du vol. I, p. iii-l. Il est curieux que ce volume IV soit intitulé sermons pour la fête des saints, dans la mesure où ce sont autant de sermons prononcés lors des grandes solennités soulignant les mystères du Christ. Cela depuis la Nativité jusqu’à l’Ascension, avec le prolongement pentecostal. De plus il apparaît important de considérer que les saints évoqués dans l’une des prédications du franciscain portugais, le sont comme icônes du Christ. Saint Étienne est le prototype du martyre dont le dépouillement total renvoie à celui de la croix. Saint Jean l’évangéliste est celui qui a suivi de manière la plus proche l’enseignement du cœur de Jésus. Les saints Innocents sont enfantés dans la Passion. La fête de la conversion de Paul est la manifestation de la puissance de la grâce de Dieu acquise dans le sang versé sur la croix. La chaire de Saint-Pierre veut montrer que l’Église est gouvernée avec force, sagesse et discernement, sous la conduite de l’Esprit Saint. Les saints Philippe et Jacques sont vus comme ceux qui ont interrogé le Christ et qui se sont vus répondre qu’Il est « la voie, la vérité et la vie ». Retenons au passage, le procédé mnémotechnique d’Antoine qui donne trois mots commençant par la lettre « v ». Il est également intéressant de constater la dimension « terrienne » de ces sermons : l’un d’eux est donné lors de la fête des Rogations.
56Par rapport aux volumes précédents, nous pouvons observer un allègement de la forme. Souvent trois parties charpentent les sermons.
57Un premier temps amène des clefs spirituelles et théologiques du mystère célébré, puis un deuxième temps développe une lecture allégorique, qui aboutit en un troisième temps à un registre plus moral. Certainement ce type de structuration a permis au Père de Lubac de montrer combien la lecture d’Origène continuait à être pratiquée pendant le Moyen-Âge, avec les réserves que cela suscite néanmoins. La lecture allégorique est moins précise que celle du maître alexandrin, et souvent beaucoup plus audacieuse dans les rapprochements entre scènes de la première alliance et la révélation du Christ. Il est certain que le franciscain bénéficie de multiples traditions antérieures. La question morale se centre principalement sur la confession des péchés et la réception du sacrement de pénitence. Cette dimension de conversion et de confession des péchés est très présente et, par ex., un lecteur contemporain pourra être surpris de la voir apparaître dès les premiers développements du sermon sur la Nativité du Seigneur. Au passage, il n’est pas anodin de noter l’ironie parfois mordante avec laquelle le prédicateur n’hésite pas à remettre en cause les autorités ecclésiastiques en ce domaine.
58Comme dans les autre tomes, bien des livres de l’Écriture sont repris, avec toujours la même préférence pour la Genèse ou les livres prophétiques, en particulier Ésaïe. Pour les explications étymologiques, nous retrouvons Pline l’Ancien dans l’Histoire Naturelle, ou saint Jérôme dans le De Viris Illustribus ou encore Isidore de Séville. Étymologies qui la plupart du temps font aujourd’hui sourire ! Les sources patristiques demeurent les mêmes : Augustin, Jérôme et Grégoire le Grand.
59Nous redisons que les fondements dogmatiques sont souvent tenus. La dimension pénitentielle est très présente, avec, très prégnant – comme pour les précédents volumes – le schéma : contrition, confession, satisfaction. La vie spirituelle est vraiment marquée par le combat incessant entre les vertus et les vices au cœur de l’être humain. Et nous le soulignons encore : il est clair que saint Antoine est un fin connaisseur de la psychologie humaine.
60Ce quatrième volume vient confirmer bien des points qui avaient été précisés dans les précédentes recensions. La présente édition nous annonce la parution de trois index pour nous permettre de recourir à ces sermons sans trop se perdre : un bestiaire utile, agrémenté des explications des principaux symboles, avec enfin la reprise des principaux lieux bibliques et patristiques. Cela viendra couronner une œuvre de grande envergure dévolue aux prédications d’un des premiers grands compagnons de saint François. Il est certain que les historiens ont ainsi une source seconde leur permettant de considérer la prédication populaire au xiiie siècle. Pour les théologiens, il leur est maintenant possible de discerner avec plus d’aisance quelques lignes importantes des fondements et des déploiements de la spiritualité franciscaine à son aurore.
61Philippe Molac
Calvin, Œuvres, texte établi, introduit et annoté par Francis Higmann et Bernard Roussel ; introduction sur la langue et les graphies de Trung Tran, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade 152 », 2009. 17,5 cm. lxxxiv-1 432 p. ISBN 978-2-07-011446-7. € 52,50
62L’introduction sur le contexte historique et la biographie de Calvin de Francis Higmann et Bernard Roussel se termine sur une apologie du réformateur, notamment par rapport aux accusations lancées par Stefan Zweig dans Conscience contre violence, ou Castellion contre Calvin (1946), mais aussi par rapport aux thèses défendues par Max Weber dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1904), selon lequel le calvinisme serait responsable du développement du capitalisme. Ils présentent ensuite une chronologie des principaux événements de la Réforme, de la vie de C. et de la publication de ses œuvres, et expliquent leurs choix éditoriaux : orthographe modernisée pour faciliter la lecture ; notes sur la compréhension de certains mots qui ont pu changer de sens depuis l’époque de C. dans les notes de bas de page, mais renvoi à la fin du volume des notes philologiques, historiques ou théologiques ; mise en exergue des citations bibliques. Trung Tran fournit ensuite une explication détaillée des principes de la modernisation des graphismes. Remarquons que si l’orthographe a été modernisée le langage et le style restent ceux de C., ce qui rend la lecture tout de même un peu malaisée. Car si le réformateur était un écrivain hors pair en son temps, la langue a évolué depuis.
63Le corps de l’ouvrage, correspondant à l’édition du texte, classe les œuvres de C. par genres, plutôt que par chronologie, pour rendre compte des différentes facettes de la pensée du grand réformateur. Une introduction à chaque genre, ainsi qu’à chaque œuvre, comportant la bibliographie des éditions, introduit chaque fois les notes correspondantes en fin de volume. Cet appareil explicatif occupe 391 p. pour 1 000 p. du texte commenté. Bibliographie générale et index terminent le volume.
64Ce travail colossal se limite aux œuvres écrites en français dont il donne une vue d’ensemble, à l’exception pourtant de L’Institution de la religion chrétienne et de sa « Préface adressée au Très chrétien Roi de France, François premier de ce nom, par laquelle ce présent livre lui est offert pour confession de Foi », peut-être parce que les éditions de cette œuvre centrale sont nombreuses ?
65La première partie, réservée à la correspondance, est particulièrement intéressante comme témoignage autobiographique, représentation de soi dans un style tout biblique où l’auteur se comprend à l’occasion comme compagnon des grandes figures de la Bible. Mais ces lettres jettent aussi une lumière particulière sur les conflits religieux de l’époque.
66Les commentaires bibliques, à part l’introduction écrite pour la traduction française de la Bible, correspondent surtout à l’enseignement que C. prodigue aux futurs pasteurs, donné en latin avant d’être traduit en français : une partie de la Genèse, le Psaume 22, les Béatitudes, l’Épître de Jacques.
67Dans les écrits ecclésiastiques, on trouve L’instruction et confession de foi, ainsi que La Forme des prières ecclésiastiques qui précise la liturgie qui doit correspondre à l’Église ainsi renouvelée, ouvrage maintes fois réédité ; ensuite un des quelques 5 000 sermons que C. a prononcé, non de sa plume directement mais transcrit par Raguenier. Il s’agit de celui sur le cantique du roi Ézéchias, à cause de sa portée ecclésiologique. Quinze lettres ont finalement été reproduites dans cette section, témoignant du souci pastoral.
68Le chapitre « Luttes » rassemble des écrits plus polémiques, répartis en trois sous-chapitres, « Contre les papistes », « Contre les nicodémites » et « Contre les radicaux ».
69« Les Doctrines » sur la sainte Cène, la prédestination, les articles de la foi et les sacrements, ainsi que l’« Envoi » (discours d’adieu et testament) terminent le corpus.
70Waltraud Verlaguet
Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne (1541), édition, introduction et notes d’Olivier Millet (2 vol. en coffret), Genève, Droz, coll. « Textes littéraires français 598 », 2008. 18 cm. 1 816 p. ISBN tome I : 978-2-600-01251-5, tome II : 978-2-600-01252-2, le coffret : 978-2-600-01240-9. € 72 le coffret
71Cette édition de l’œuvre majeure du grand réformateur s’inscrit dans la tendance actuelle de la recherche qui privilégie des manuscrits particuliers, tels qu’ils nous sont parvenus, plutôt que de reconstruire un hypothétique état textuel idéal. Olivier Millet a choisi comme base la première édition de la version française de 1541, d’après le manuscrit de Lyon, relativement peu connu. En effet, cette première parution constitue un événement majeur dans l’histoire théologique et littéraire. Pour la première fois, le débat théologique se rend accessible à tous. Calvin, dès la parution de la version latine en 1539, s’était inscrit dans une démarche plus catéchétique qu’académique, sans rien céder sur le fond.
72Millet présente le texte du manuscrit avec seulement des ajustements typographiques et de ponctuation pour le rendre plus lisible. Il met ainsi en lumière le génie littéraire de C. avec toute sa richesse de vocabulaire et de style, ainsi que sa verve souvent polémique. Cette attitude combative distingue le réformateur genevois de Melanchthon dont Millet souligne l’influence sur C., tout comme celle de Bucer, notamment en ce qui concerne la prédestination.
73Chaque chapitre est précédé d’une introduction qui en situe le contexte et indique les principales éditions, traductions ou réutilisations du temps de C. Les notes précisent quelques variantes textuelles des versions ultérieures, les références des sources et des explications philologiques, historiques ou théologiques.
74Les quatre premiers chap. campent la théologie : une anthropologie pessimiste et une affirmation du serf arbitre suivies des trois usages de la Loi et d’une réflexion sur le credo, qui inclut, après le Père, le Fils et le Saint-Esprit, l’Église dont il souligne le caractère multitudiniste.
75Le chap. V est nettement plus polémique, ne se contentant pas de dénier le statut de sacrement à la pénitence, mais affirmant que le purgatoire est « construict de plusieurs blasphèmes ».
76Suivent la justification et l’articulation entre cette dernière et la sanctification. Millet souligne le changement du modèle herméneutique au cours de la Réforme, passant d’une lecture typologique de l’Ancien Testament à une appropriation édifiante par identification émotionnelle avec les grandes figures bibliques.
77La réflexion sur la prédestination s’inscrit dans la question de la délimitation de la « vraie » Église et se rattache à la Rédemption. Le Notre Père comme itinéraire spirituel est suivi de plusieurs chap. sur les sacrements : la théorie en est inspirée de Bucer et Melanchthon et s’efforce de dépasser l’opposition entre Luther et Zwingli. C. ne retient que deux sacrements, le baptême et la Cène. La question du baptême des enfants lui semble si délicate que c’est un des rares endroits où la traduction française diffère de l’édition latine de 1539. C. reprend l’argument de Zwingli pour qui le baptême d’enfant a le même statut que la circoncision, celui d’un signe objectif faisant entrer l’enfant dans le peuple de Dieu. Concernant la Cène, il élabore la notion d’une présence réelle purement spirituelle. Moins irénique que Melanchthon qui garde la confession, le genevois rejette les cinq autres sacrements. Il va jusqu’à prévenir les « simples » contre le respect qu’ils risquent d’éprouver à l’égard du sacré du chiffre sept.
78Le chap. XIV sur la liberté chrétienne, après des considérations sur la justification et l’obéissance volontaire à Dieu, précise que tout « scrupule » concernant des choses indifférentes aux yeux de Dieu équivaut à de la superstition.
79C. n’accorde à l’Église aucune dimension spirituelle ou mystique, et juge légitime le pouvoir politique en tant que nécessité historique et sociale. Le réformateur est ici surtout soucieux de laver les protestants français du soupçon de rébellion contre le roi.
80Le dernier chap. résume comment mettre en pratique la doctrine exposée. Il est inspiré de Melanchthon, mais aussi de L’imitation de Jésus Christ de Kempis. La vie morale est une réponse reconnaissante de l’homme à l’amour de Dieu. En écartant tout le système traditionnel des vices et des vertus et en intégrant l’antiascétisme de la Renaissance, C. « démocratise » la spiritualité.
81Un appendice donne la préface à l’édition latine de 1539 et la liste chronologique des éditions du vivant de C. Un fort précieux glossaire indique les termes tombés en désuétude (« estoupper » pour « boucher ») ou que C. utilise dans des acceptions différentes de l’usage moderne (« exaction » pour « exigence », « imbécille » pour « faible »). Index biblique et des noms propres complètent l’ensemble.
82Une belle édition très abordable d’une œuvre fondatrice du protestantisme français.
83Waltraud Verlaguet
Éthique
René Simon, Pour une éthique commune. Réflexions philosophiques et éclairages théologiques 1970-2000, textes réunis par Éric Gaziaux et Denis Müller, Paris, Cerf, coll. « Recherches morales », 2009. 21,5 cm. 559 p. ISBN 978-2-204-08665-3. € 44
84Prêtre salésien, professeur de théologie morale à l’Institut catholique de Paris, René Simon (1912-2004) est l’un des principaux théologiens moralistes et éthiciens français de la deuxième moitié du xxe siècle. En plein débat sur la contraception, il conteste l’encyclique Humanae vitae, avec une liberté de ton qui lui vaut d’être dénoncé à Rome et de connaître de sérieux démêlés avec l’institution. Son maître ouvrage, Éthique de la responsabilité, paraît en 1993 aux éditions du Cerf. Cofondateur de l’ATEM (Association des théologiens pour l’étude de la morale), il en est le premier président, de 1969 à 1978. Denis Müller, qui fut le 2e président protestant de l’ATEM, et Éric Gaziaux, président de l’association depuis 2005, publient dans le présent recueil les principaux textes que S. a produits pour des revues et ouvrages collectifs. Un hommage à l’homme, à l’ami, au compagnon de route toujours à l’écoute de l’autre, dans le respect des arguments et la fraternité. Un complément précieux pour faire connaître toute l’étendue de la pensée de S., « qui n’a pas encore vraiment trouvé la reconnaissance scientifique et ecclésiale » qu’elle mérite.
85Les contributions – vingt-six au total – ont été réparties en quatre entrées, non par ordre chronologique mais sous les rubriques : Éthique et morale, Dignité de la personne et responsabilité, Spécificité de l’éthique chrétienne et, enfin, Vérité, vie et amour : concrétisations de l’éthique chrétienne. On y retrouve les grandes problématiques auxquelles la théologie morale du xxe siècle s’est affrontée. S., en grand lecteur d’E. Levinas, de H. Jonas et de P. Ricœur, y apparaît sans cesse animé du souci de l’autre, du plus fragile et du plus vulnérable. Il exerce sa vigilance pour que l’homme soit la mesure de toute chose : les concepts ne prennent sens, selon lui, qu’inscrits dans l’« humus » de l’être humain ; le corps, objet d’investigations techniques, est avant tout « le corps propre de la personne » ; le médecin doit toujours « donner priorité au patient sur sa maladie », et la personne prime sur « la littéralité de la loi ». Malgré l’évolution de la législation sur les questions de bioéthique, les prises de position de l’auteur gardent toute leur pertinence par la finesse de leur argumentation et le respect de la pensée de l’autre dont elles témoignent.
86La réflexion théologique est en constant dialogue dans les écrits de S. avec la pensée philosophique, en vue d’établir l’unité de l’agir humain et chrétien. Pour lui, « aimer l’autre en vérité, c’est aussi aimer Dieu, sans que jamais l’amour d’autrui soit considéré comme un simple échelon pour s’élever vers le Seigneur, ni que les deux amours soient confondus ». Une pensée qui tire sa force de la double confiance de S., en l’homme et en Jésus-Christ.
87Apport appréciable en vue d’une étude approfondie de son œuvre, les articles ici compilés peuvent constituer également une bonne introduction à sa pensée.
88Christine Renouard
Pierre Gire, L’éthique à l’épreuve de la vie. Problématiques d’éthique fondamentale, Paris, Cerf, coll. « Recherches morales », 2010. 21,5 cm. 392 p. ISBN 978-2-204-09220-3. € 34
89Le présent recueil regroupe des analyses proposées de 1990 à 2008 dans le cadre de l’enseignement universitaire et de la formation permanente en éthique au sein du Centre interdisciplinaire d’éthique de l’université catholique de Lyon par Pierre Gire, qui fut le doyen de la faculté de philosophie de cette université. Si ces études n’avaient pas vocation à être rassemblées dans un même recueil, elles trouvent néanmoins, de par leur judicieuse répartition en trois sections, une belle unité. Notons seulement que la lecture de ces articles est plus ou moins exigeante, probablement en raison du public différent auquel ils étaient destinés.
90Rappelons d’abord, comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage, qu’il s’agit ici de problématiques d’éthique fondamentale. On ne sera donc pas surpris de trouver une première partie consacrée aux principes fondamentaux de l’éthique, avec successivement la dialectique entre éthique et morale, l’exigence d’une interrogation métaphysique, une analyse de la conscience de soi comme conscience existentielle, morale et métaphysique, une réflexion sur la loi naturelle entre immanence et transcendance, une recherche de références communes pour une éthique qui ne soit pas que catégorielle, etc. Christianisme, philosophie et éthique s’articulent avec aisance sous la plume de G.
91La deuxième partie, « Éthique et vie sociale », confronte la réflexion éthique à la réalité de la vie sociale, abordant les questions soulevées par le travail, la mondialisation, la biologie, l’espace social. Il semble que quelques études de cas auraient été les bienvenues dans cette section qui se veut en prise avec la réalité. Il ne s’agit pas cependant d’un oubli de l’auteur, mais de sa volonté de rester dans une démarche purement réflexive, comme il le précise dans l’introduction.
92La troisième partie, « Questions vives et interrogations éthiques », aborde le mal, la souffrance, la violence, la miséricorde, le pardon … On y trouvera notamment de belles pages sur l’intime et la pudeur, le corps et la parole. Un article comme « Choisir la vie. L’Église et l’euthanasie », paru en 1998, pâtit un peu de l’évolution de la législation en la matière.
93En conclusion, des études de facture classique qui, dans une langue précise et élégante, font apparaître des lignes de pensée significatives :
- l’existence humaine, entre présence au monde et ouverture à la transcendance, exige pour être interprétée « le chemin long » de l’intelligibilité ;
- c’est par son souci pour le bien commun, exprimé à travers son agir, son pâtir et son dire que s’affirme la transcendance de l’être humain ;
- la fraternité et la relation à Dieu sont les lieux où le sujet cherche le sens de son « être-au-monde », tendu entre vulnérabilité et espérance.
Olivier du Roy, La règle d’or. Le retour d’une maxime oubliée, Paris, Cerf, coll. « Sciences humaines et religion », 2009. 21,5 cm. 178 p. ISBN 978-2-204-08427-7. € 18
94Dans sa forme négative (« Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ») ou positive (« Agis comme tu voudrais être traité »), la règle d’or est attestée dès le ve siècle av. J.-C., dans toutes les cultures et dans tous les pays. Mais, constate Olivier du Roy, ancien moine bénédictin, docteur en théologie, si cette maxime est prisée dans le monde anglo-saxon, où elle contribue notamment à la lutte contre l’esclavage au xviie siècle, elle suscite en revanche peu d’intérêt dans le monde francophone jusqu’à ces dernières décennies. C’est pourquoi il entend faire redécouvrir cette maxime, à laquelle il a consacré une thèse de philosophie, soutenue en octobre 2007 à l’Université de Paris-Est Marne-la-Vallée, sous le titre La Règle d’or. Histoire et portée d’une maxime éthique, qui doit être publiée prochainement aux éditions du Cerf. En attendant cette étude exhaustive, le présent ouvrage présente une version résumée mais néanmoins déjà assez étoffée de ses recherches.
95Le plan de l’ouvrage, en quatre grandes parties, est simple : après en avoir dégagé la signification, au-delà des mécompréhensions et reformulations qu’elle a connues, puis en avoir retracé l’extension et l’histoire, R. rapproche la règle d’or de l’amour agapè prêché par Jésus dans l’évangile, puis en analyse les fondements anthropologiques et philosophiques.
96Si la règle d’or revient sur le devant de la scène après un siècle d’oubli, c’est à la faveur de la vogue de la réflexion éthique, constate R. En effet, et c’est là l’une de ses thèses, la règle d’or n’est pas seulement une règle d’équité mais une règle d’empathie, supposant de « sortir de soi pour traiter l’autre comme un moi ». Proche de l’impératif catégorique de Kant en ce qu’elle ne renferme pas de contenu propre, elle peut être caractérisée comme une posture qui consiste à renverser les rôles, à se mettre à la place de l’autre. On ne sera donc pas étonné qu’une large place soit accordée ici aux philosophes du sujet : Merleau-Ponty, pour qui « il y a un moi qui est autre, qui siège ailleurs et me destitue de ma position centrale », Levinas et sa conception d’une précédence absolue de l’Autre, Ricœur qui souligne néanmoins la nécessaire capacité d’accueil en soi de cet appel. Intéressante aussi est la phénoménologie de la pitié que relève R. chez Emmanuel Housset, pour qui la pitié consiste « à être dépossédé de soi, être troublé par une altérité », et donc constitue « le moment pathique de toute situation éthique ».
97« Inventive et exigeante », « fondée sur l’autonomie du sujet mais décentrée de soi » : telle est cette « morale sans contenu prescriptif », ce « commandement qui transforme notre empathie en comportement éthique ». Un beau retour, en effet, finement analysé et bien documenté, sur « une maxime oubliée », comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage.
98Christine Renouard
Vient de paraître
Élian Cuvillier, Emmanuelle Steffek, De Jésus à Jean de Patmos. L’annonce de l’Évangile dans le Nouveau Testament, Lyon, Olivétan, coll. « Commentaires de la Bible », 2010. 22,5 cm. 168 p. ISBN 978-2-354-79116-2. € 21
99Cet ouvrage propose une analyse successive des principaux auteurs du NT, en tant qu’il constitue un témoin singulier d’une certaine compréhension de la mission. Les témoins convoqués ont nom Paul bien sûr, mais également chacun des quatre évangélistes (avec pour Luc un intérêt tout spécial porté sur les Actes des Apôtres et pour Jean sur l’Apocalypse qu’à tort on n’a pas coutume de convoquer sur le sujet), sans oublier Jésus lui-même. Concernant les Évangiles et les Actes des Apôtres, c’est la construction narrative de la mission qui est au cœur de l’enquête. Pour Paul et pour l’Apocalypse, l’approche est plus historique et théologique. Concrètement, l’investigation commence par la question du rapport de Jésus à la mission, puis sont successivement abordés Paul, Marc, Matthieu, Luc-Actes, Jean et l’Apocalypse. Le survol permet de prendre conscience de l’importance ainsi que de la complexité de la dimension missionnaire du christianisme naissant. L’universalisme est au fondement de la mission : plus de différence disqualifiante entre les individus. Chacun est reconnu dans sa singularité universelle et non dans son particularisme identitaire. Cela se traduit chez Paul par la justification par la foi, chez Mt par le déplacement. Le renversement de la compréhension de soi du missionnaire est au cœur de la compréhension de la mission : il n’est pas d’abord celui qui apporte mais celui qui se laisse recevoir par l’autre. Matthieu le montre dans le discours missionnaire. Marc et Paul attestent que ce renversement trouve son fondement dans une compréhension particulière de Dieu et du Christ (la théologie de la croix). Le missionnaire ne peut donner que ce qu’il n’a pas. Dans le quatrième Évangile, la mission est comprise comme révélation de l’individu à lui-même. Nouveau paradigme de la foi et de la vocation missionnaire, l’évangélisation est un « je » qui s’adresse à un « tu ». Cela ne se fait jamais autrement que dans la rencontre et le face-à-face. La mission est enfin acte « politique » de dissidence au cœur du monde : l’Apocalypse est le témoin de cette compréhension bien spécifique de la mission. In fine, non pas une compréhension de la mission mais de multiples façons de penser le témoignage ; et cette diversité est aujourd’hui encore une réalité.
100É. C.