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Article de revue

Parmi les livres

Pages 561 à 595

Littérature biblique

Christian Grappe, éd., Le Repas de Dieu. Das Mahl Gottes. 4. Symposium Strasbourg/Tübigen/Upsal. Strasbourg 11-15 septembre 2002, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « WUNT 169 », 2004. 24 cm. viii-446 p. ISBN 3-16-148362-6. € 99

1Réunissant les actes du 4e symposium des universités de Strasbourg, Tübingen et Uppsala, ce vol. aborde le thème du « repas de Dieu » dans l’histoire des religions depuis l’Égypte ancienne jusqu’au judaïsme médiéval. Dans la première étude, E. Meyer-Dietrich s’intéresse à un rite attesté dès l’époque de l’Ancien Empire et qui se perpétue jusqu’à l’époque ptolémaïque. Ce rite devait conduire le mort à sa divinisation au moyen d’un repas offert avant l’aube, en conclusion d’autres rites de passage. A. Marx examine le motif vétérotestamentaire du Dieu invitant au festin à partir de quelques métaphores sacrificielles qui décrivent l’ambivalence de yhwh, présenté comme Dieu sacrifiant dans la guerre eschatologique qui mène à l’annihilation des ennemis et à sa communion avec Israël, ainsi que comme Dieu offrant un banquet aux nations sur la montagne de Sion. B. Janowski examine une forme particulière du sacrifice de communion ou de louange (todah) qui, dans le Ps 116, symbolise le parcours du malheur à la vie, voire de la mort à la vie (cf. Es 25, 1-10). C. Grappe met en relation différents types de « repas de Dieu » présents dans l’AT – le repas cultuel, le festin de la Sagesse et le banquet eschatologique – afin d’étudier dans quelles conditions l’autel du Temple a pu devenir la table domestique, puis le repas du Seigneur qui transfère la légitimité du temple à la communauté. M. Hengel traite du dernier repas de Jésus avant sa mort en 1 Co 11, 23 sq. (cf. 15, 3-8) et de sa fonction au sein du discours relatif à la mort et à la résurrection avant l’apparition des Évangiles. Il observe qu’une influence des repas cultuels hellénistiques ne peut pas être prouvée. R. Kieffer examine le repas eschatologique chez Luc. Rappelant que dans cet Évangile Jésus apparaît comme le Christ ressuscité qui siège à la droite de Dieu, il soutient que le motif du repas comprend d’emblée l’anticipation de la croix ainsi que l’attente d’un repas eschatologique de la communauté postpascale. Le motif du repas relie les thèmes de l’institution eucharistique et de l’alliance entre Dieu et son peuple. M. Philonenko propose un arrière-plan targumique et philonien pour les formules eucharistiques « Ceci est mon corps » et « Ceci est mon sang ». A.-M. Schwemer étudie le motif évangélique du Ressuscité mangeant une nourriture humaine et le met en relation avec le « tombeau vide », suggérant que les deux traditions jouent un rôle déclencheur pour la tradition. H. Lichtenberger traite de la métaphore du repas dans l’Apocalypse de Jean (19, 9 et 19, 11-21) et montre ses liens étroits avec les énoncés du jugement et du salut. La contribution de J.-M. Prieur est consacrée aux Actes apocryphes anciens qui, à l’exception des Actes d’André, contiennent des récits de célébration eucharistique témoignant de l’existence d’une telle pratique aux iie et iiie siècles de notre ère. R. Minnerath s’intéresse à la présidence de l’eucharistie chez Tertullien et dans l’Église des trois premiers siècles sous l’aspect de son institutionnalisation. A. Hultgård étudie le thème du repas du dieu à partir de l’iconographie mithriaque et de ses liens avec le mazdéisme et le monde gréco-romain, sans oublier la polémique chez Justin Martyr et Tertullien. M. Arnold examine quelques sermons de Luther sur l’institution de la cène évoquant les bienfaits du repas de Dieu reçu dans la foi. L’évolution dans les sermons montre que l’accent porte successivement sur la supériorité des paroles d’institution par rapport au signe (1522), sur la présence réelle (1525), sur la confession des péchés et l’absolution (1528), sur la communion des croyants et sur le rappel de la dimension eschatologique (1534). S. Schreiner se concentre sur l’idée du banquet des justes dans le paradis des traditions du judaïsme médiéval (Talmud, Otiyyot de Rabbi Aqiva, Biblia Ambosia). Chacun des articles se termine par un résumé détaillé en allemand et en français. Un index volumineux de 70 pages (textes, auteurs modernes, index thématique) achève ce recueil remarquable.

2Michaela Bauks

Marc Bochet, Salomé. Du voilé au dévoilé. Métamorphoses littéraires et artistiques d’une figure biblique, Paris, Cerf, coll. « Figures bibliques 1 », 2007. 21,5 cm. 143 p. ISBN 978-2-204-08261-7. € 20

3Marc Bochet analyse comment, à partir des quelques lignes qui se trouvent dans les Évangiles de Marc (Mc 6, 17-29) et Matthieu (Mt 14, 3-12), a pu se constituer le mythe encore vivant aujourd’hui. Son propos, clair, est organisé de façon chronologique depuis l’origine du mythe jusqu’à son apothéose.

4Dans une première partie – qui occupe un tiers du livre – il suit « les textes » de façon chronologique, cherchant les racines du mythe dans l’AT puis montrant comment s’est développée la figure de Salomé. Les silences du texte ont permis que s’enrichisse son personnage en fonction de la personnalité de celui qui parle et de la visée de son discours : simple « fille d’Hérodiade » dans le NT, elle acquiert son identité propre chez Flavius Josèphe et s’affranchit peu à peu de sa mère jusqu’à devenir le personnage principal. Les Pères de l’Église en font un « instrument du démon » et mettent en garde contre les dangers de la séduction féminine. Augustin va plus loin : véritable bacchante qui reçoit sa juste punition, elle meurt, décapitée à son tour par les glaces d’un fleuve gelé …

5Les éléments essentiels du mythe sont en place : banquet, danse, décollation, punition, c’est la réception faite au mythe qui en changera maintenant la signification : reine des sorcières au Moyen-Âge, elle représente la chair – dangereuse, condamnable – en opposition à Jean-Baptiste, l’Esprit. Laissée dans l’ombre par l’âge classique, elle revient en force avec le romantisme. Tous les courants littéraires du xixe s. investissent cette figure de femme fatale ou idéale. Amoureuse éconduite par le Saint dans les légendes germaniques, juive errante, poursuivie par la culpabilité, figure de la beauté chez les poètes ou les peintres du xixe s., le personnage de Salomé n’en finit pas de s’actualiser, au risque de se perdre. Mais le mythe rebondit au xxe s. entre les bouleversements suscités par la Grande Guerre et les découvertes de Freud : femme phallique, castratrice, cruelle ou innocente, « c’est en tout homme l’obsession féminine » (p. 64). Mêlant des thèmes fondamentaux – sexualité, amour et mort – elle intéresse aussi bien les philosophes que les artistes. Selon l’auteur, l’élément principal en est la tête, « tête relique … tête icône » que veut posséder Salomé. « C’est à cette tentative surhumaine de vouloir posséder l’être de l’autre que l’on doit à notre avis la permanence et la continuelle modernité du mythe » (p. 73).

6B. analyse ensuite « La diffusion du mythe littéraire », reprenant de façon parallèle ses développements dans les arts – opéra, cinéma, peinture et sculpture – avant de proposer en quelques pages « La psychanalyse du mythe » qui met en avant le psychodrame à quatre (mère, père de substitution et amant qui se refuse à cette fille sans père) et transforme cette fête en « Cène tragique » où la tête s’offre aux baisers de l’amoureuse. « L’apothéose du mythe » montre le chemin parcouru depuis la décollation de Jean-Baptiste jusqu’au « décollement de l’être » que permet « la danse d’Éros et de Thanatos », véritable danse mystique. En définitive, depuis sa brève apparition évangélique, « la figure de Salomé s’est enrichie de tout un imaginaire littéraire qui en fait une figure centrale de l’Éternel féminin vue sous les feux du désir masculin », elle représente le « problème du Mal incarné dans la forme la plus charmante ».

7Marie-Laure Veyron-Maillet

Daniel Marguerat, Yvan Bourquin, Pour lire les récits bibliques. Initiation à l’analyse narrative, Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 20094. 21 cm. 255 p. ISBN 978-2-204-08877-0/978-2-8309-1352-1. € 29

8Cette quatrième édition (pour la première et la troisième, cf. respectivement ETR 1999/2, p. 281 et ETR 2005/2, p. 279) du désormais classique manuel d’analyse narrative bénéficie d’une bibliographie actualisée (plusieurs dizaines de références parues depuis 2005 mais aussi avant), d’un complément au chapitre sur l’étude de l’intrigue (4.4) et du remplacement de la notion de « focalisation » de Gérard Genette (5.9) par celle de « point de vue » d’Alain Rabatel.

9Sur ce dernier point, sans contester l’apport des travaux de Rabatel à l’analyse narrative, on peut se demander dans quelle mesure la complexification qu’induit leur introduction dans l’exposé de ce manuel est utile. Les deux avantages mentionnés (p. 102) ne sont pas évidents : (1) la confusion entre « focalisation externe » et neutralité de l’instance énonciative ne tient pas à l’usage, il suffirait d’en souligner le risque ; (2) le caractère opératoire meilleur de la notion de « point de vue » nécessiterait de plus longs développements ; d’ailleurs, l’analyse de l’exemple de la guérison de la femme à la perte de sang est – mises à part les quelques modifications de vocabulaire induites par ce changement de référence technique – strictement identique dans ses modalités et ses résultats à celle proposée dans l’édition précédente. N’aurait-il pas été plus pertinent, vu l’objectif de l’ouvrage, de consacrer un encadré aux recherches (passionnantes) de Rabatel, largement présentes dans la bibliographie, gardant ainsi à l’exposé la limpidité de l’édition de 2004 ? Quitte, pour le lecteur intéressé, à aller plus loin : la finesse des analyses de Rabatel et la complexité de ses exposés théoriques ne peut se résumer ainsi, en quelques paragraphes.

10On voit par contre tout l’intérêt de l’ajout du paragraphe 4.4 : « Une approche pragmatique de l’intrigue : la tension narrative » (p. 69-75). S’appuyant sur Raphaël Baroni, les auteurs élargissent ainsi le champ de l’analyse narrative à l’effet du texte sur le lecteur. Deux remarques cependant. (1) Le lecteur en question n’est-il pas construit un peu artificiellement à l’aide de présupposés de l’exégète (du genre : la réussite d’un miracle doit forcément provoquer l’admiration) ? Et du coup cette démarche, si elle reste théorique, ne fait-elle pas courir à l’analyse le risque de se disperser dans des considérations qui n’apportent pas grand-chose à la compréhension (au sens fort) du texte ? (2) On est toujours un peu surpris du caractère conventionnel des conclusions d’une démarche exégétique innovante. La « visée théologique » (p. 74-75) du récit de la guérison du démoniaque (Marc 5, 1-20) se résume-t-elle vraiment à l’affirmation de la puissance libératrice du Christ ?

11La forme de l’ouvrage reste inchangée : nombreuses illustrations, schémas, propositions d’exercices (les corrigés sont en fin de volume), glossaire, index biblique et thématique. Il reste donc incontournable pour qui veut s’initier (ou progresser) dans l’analyse narrative de la Bible.

12Christophe Singer

Bible hébraïque

Maria Brutti, The Development of the High Priesthood during the Pre-Hasmonean Period. History, Ideology, Theology, Leiden/Boston, Brill, coll. « SJSJ 108 », 2006. 24,5 cm. 342 p. ISBN 978-90-04-14910-6. 119/$US 177

13Le livre de Maria Brutti est la publication d’une thèse soutenue à l’université grégorienne et pontificale de Rome. L’ouvrage fait suite au travail d’A. Cody qui a publié en 1969 l’histoire de la prêtrise de l’Ancien Testament. A. Cody s’était arrêté à l’aube de la période hellénistique. La recherche de B. poursuit l’étude de l’institution du grand prêtre et de sa succession pendant la période grecque de 301 (début de la domination des Ptolémées) à 152 (début du sacerdoce de Jonathan, grand prêtre, 1 M 10, 20) avant le règne des Hasmonéens.

14Dans une 1re partie « Enjeux préliminaires », B. passe en revue les sources qui servent à son enquête en évaluant la crédibilité des deux livres des Maccabées à l’idéologie marquée. 2 M demeure une source précieuse pour connaître le développement de la charge de grand prêtre dans la période préhasmonéenne. Parmi les sources, l’ouvrage de Flavius Josèphe (FJ) sur les Antiquités Juives fournit une somme considérable d’informations et constitue une source principale. Puis l’étude porte sur les enjeux philologiques des termes iereus megas et archiereus qui désignent le grand prêtre. Le dernier terme désignait les charges d’un fonctionnaire séleucide un superintendant des places cultuelles appointé par le roi. Il est le plus utilisé par FJ et les M même s’il y a des fluctuations dans l’appellation grand prêtre en grec. B. s’intéresse également au terme prostasia : celui qui est chargé de collecter les offrandes présentées à la divinité. La 1re partie s’achève sur les incertitudes concernant l’identité de certains grands prêtres et la succession. Les sources disponibles demeurent imprécises en raison de la pratique de la paponymie qui consistait à nommer un enfant d’après le nom de son grand-père, ainsi selon la liste de FJ : Onias-Simon-Onias-Simon-Onias est d’un usage délicat. La charge du grand prêtre fut l’objet de luttes familiales ainsi que de légitimations invérifiables. Ainsi en est-il de la prétendue origine sadocite des Oniades, rien ne permet de l’attester.

15La partie centrale du livre (« Reconstruction ») dresse une histoire des rapports du pouvoir politique aux grands prêtres. Sous les Ptolémées, l’interprétation délicate des sources est débattue quant à leurs prérogatives dans Hécatée d’Abdère, sur la position d’Eléasar, grand prêtre, dans la lettre d’Aristée et dans FJ, et sur Onias II. Avec M. Hengel l’auteur estime aussi qu’un conflit opposa les Tobiades (grands propriétaires) et les Oniades soutenus par le pouvoir royal. Sous les Séleucides existait une fonction appelée strategos-arhiereus qui a eu des droits de gouvernance sur la Coelésyrie (comprenant la Judée). Un tel gouverneur n’était pas identique au grand prêtre en Judée. L’étude des traditions d’Onias III dans 2 M permet de penser que ce n’est pas lui qui fonda le temple de Léontopolis, mais un membre d’une branche colatérale de la famille du grand prêtre. B. s’est penchée sur les récits des grands prêtres Jason, Menélas et Alkime pendant et après le règne d’Antiochus IV et sur leur implication dans la prétendue « hellénisation » de la Judée. Pour l’auteur, ils sont improprement désignés « hellénisateurs », car le phénomène d’hellénisation est à comprendre dans un contexte plus large dans lequel les prêtres et l’élite aristocratique ont pris conscience de la nécessité de mettre fin à un certain isolement (1 M 1, 11-13). Cela produisit des tensions entre « séparatistes » et « assimilationnistes ». La fin de la tendance assimilationniste conduisit à une forme de fermeture du judaïsme sur lui-même. Cependant, les formes linguistiques, la philosophie et l’historiographie grecques ont profondément marqué la période suivante.

16La 3e partie offre une synthèse sur l’importance politique et historique du grand prêtre et l’aspect théologique de son institution. Sur le plan politique, à l’époque ptolémaïque, il semble que sous la prêtrise d’Onias II, la fonction de grand prêtre perdit temporairement celle de représentation du peuple (protasia) et celle de la collecte des impôts. Cette période voit la présence d’une classe de grands propriétaires (les Tobiades), à l’influence grandissante sur le pays, pour ou contre le grand prêtre. Il y a enfin la naissance d’une idéologie selon laquelle le grand prêtre est le garant du peuple et de la Torah. À l’époque séleucide, les grands prêtres ont perdu la charge de la collecte des impôts. Cependant, une relation plus serrée de l’institution sacerdotale avec le pouvoir étranger s’établit, ce qui aboutit à faire d’eux des fonctionnaires du pouvoir séleucide. Mais cette fonction au pouvoir limité entraîna la constitution de factions et de profondes divisions au sein du judaïsme. La question du pouvoir du grand prêtre reste donc ouverte à l’époque hellénistique ; seule certitude l’institution ne devient toute-puissante qu’à l’époque maccabéenne.

17Sur le plan théologique, Simon et Onias III représentent le paradigme de l’identité religieuse du grand prêtre avec la vertu en particulier de l’eusebeia (crainte de Dieu) et celle de la dikaiosunè (justice) qui garantissent au peuple paix et harmonie (2 M 3, 1 sqq.). Les concepts utilisés sont enracinés dans la culture grecque et ont été incorporés par le judaïsme hellénophone pour décrire la fonction la plus emblématique du judaïsme, le grand prêtre.

18L’ouvrage de B. reste mesuré et fourmille d’analyses détaillées de textes peu étudiés. Avec une conclusion nuancée, ce travail constitue une contribution sérieuse et importante au dossier historique et théologique complexe du rapport entre hellénisme et judaïsme.

19Dany Nocquet

Michaela Bauks et Christophe Nihan, éd., Manuel d’exégèse de l’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, coll. « Le monde de la Bible 61 », 2008. 22,5 cm. 236 p. CHF 39/ € 27. ISBN 978-2-8309-1274-6

20Ce manuel de méthodologie de l’exégèse vient combler une lacune en langue française où le dernier de ce genre date de 1987 (P. Guillemette et M. Brisebois). Il présente en cinq chapitres les principales démarches de l’exégèse vétérotestamentaire, telle qu’elle s’est considérablement renouvelée ces dernières années.

21Le premier chap. élaboré par J. Joosten est consacré à la critique textuelle. Il aborde tout d’abord les témoins principaux du texte de l’AT, l’aspect problématique de la notion de « texte original » et la question du maniement de l’apparat critique. Il examine ensuite l’histoire de l’interprétation que reflètent les targums, la Septante, les rouleaux de Qumran et les corrections des scribes pour montrer que l’histoire du texte est très liée à celle de l’exégèse. J. fournit un mode d’emploi qui montre les phases par lesquelles la critique textuelle doit passer pour être féconde (analyse et traduction du texte de base, sélection des autres témoins, collation des témoins, explications des variantes, utilisation de l’apparat critique.

22Le deuxième chap., dû à J.-P. Sonnet, nous introduit à l’analyse narrative des récits bibliques. Après une notice sur l’histoire et la préhistoire de l’approche narrative et sur l’art composite de la Bible, S. examine de près l’art narratif biblique avec les éléments constitutifs qui sous-tendent les récits bibliques : le modèle narratif, l’intrigue et ses étapes, les personnages, le point de vue et la répétition. Intéressante aussi la manière dont l’auteur nous fait entrer dans le débat sur le paramètre temporel de la narrativité biblique (ou générale). Les réflexions sur la relation entre Histoire et histoires montrent finalement de quelle manière l’art qu’a la Bible de raconter des « histoires » s’allie à sa présentation de raconter l’« Histoire ». Et les lecteurs trouvent à la fin de ce chap. un mode d’emploi constitué essentiellement de questions à poser au texte.

23M. Bauks examine, au troisième chap., les aspects de l’analyse des formes et des genres littéraires, ainsi que l’histoire des traditions. Les lecteurs apprendront une foule d’informations, tant pour cette méthode de lecture que pour les connaissances de l’AT : des formes et formules typiques, des genres de la littérature hébraïque et des réflexions sur l’histoire des motifs relevant des traditions bibliques et sur les courants théologiques. Là aussi deux fiches récapitulatives consacrées au mode d’emploi viennent conclure cette contribution.

24Dans le quatrième chap., C. Nihan aborde minutieusement les enjeux de l’analyse rédactionnelle qui s’efforce de préciser la nature et l’origine des révisions successives d’un texte en indiquant tant leurs caractéristiques communes du point de vue du style, du langage et des thèmes que leur visée et leur contexte historique. Pour illustrer cette démarche, N. présente les indices classiques de la méthode historico-critique, tels les doublets, les tensions, les contradictions, les changements de style, les gloses, etc. Il s’intéresse également au processus rédactionnel d’un texte, à l’intention de ses rédacteurs, au profil littéraire d’une rédaction, au contexte historique et au milieu sociologique du rédacteur, aux destinataires et aux opposants. Le mode d’emploi qui clôt ce chap. comprend l’analyse et la synthèse ; il est très aisément applicable.

25Enfin, un cinquième chap. de T. Römer et J. Joosten applique ces différentes approches au récit de la rébellion contre Moïse en Nb 12. Sur la base d’une multitude d’observations clairement présentées, on passe en revue tous les outils mis à disposition dans les quatre chap. précédents. Ce manuel se termine sur une courte liste d’abréviations et un petit glossaire des termes techniques de l’exégèse ; les données bibliographiques compilées au début de chaque chap. et sous-chap. sont fort utiles.

26Lévi Ngangura Manyanya

Thomas Hieke, Die Genealogien der Genesis, Fribourg en-Brisgau, Herder, coll. « Herders Biblische Studien 39 », 2003. 23,5 cm. xii-420 p. + tableaux. ISBN 978-3-451-2806-5. € 60/CHF 102

27Cette thèse d’habilitation présentée à l’université de Regensburg se distingue des précédents travaux sur le même sujet par son choix de ne traiter ni de l’histoire de la tradition ni de la genèse littéraire. H. aborde en effet les généalogies de la Genèse en s’intéressant à la rédaction finale à partir d’une approche dite canonique. Il met à jour un enrichissement notable du sens « à partir de textes souvent considérés comme secs et monotones » (p. 323). Consciente de la croissance lente du texte ainsi que de la diversité et des contradictions du matériel généalogique (Toledot), l’exégèse de la version finale permet d’agencer les textes en fonction de leurs liens théologiques. Par ces imbrications, l’auteur montre que les textes généalogiques servent de clé de voûte normative à un recadrage contextuel opéré en lien avec l’AT (Gn-Ex 6 ; Nb 3 ; Rt 4 ; 1 Ch 1-9), voire la Bible en son entier (Mt 1) ou la littérature judaïque antique (Douze Patriarches et Qumran). Dans ces généalogies, il n’est pas seulement question des lignées importantes pour la naissance du peuple d’Israël, mais également de la royauté présentée de façon dynastique et de la lignée d’Aaron. L’attention concentrée sur Juda (Gn 49) et Lévi (Ex 6) cache des chiffres pour la royauté et le sacerdoce tels qu’on les retrouve dans le livre des Chroniques. Les écrits du judaïsme antique font référence à une double attente eschatologique, avec la figure d’un messie royal ou sacerdotal. De ces interconnections, une approche canonique permet de conclure que le livre de la Genèse exerce un rôle déterminant pour le reste de l’œuvre en instaurant la structure de composition des généalogies. La structure des généalogies assume des fonctions littéraires, sociopolitiques et théologiques qui sont toujours à l’œuvre simultanément dans les textes (voir illustration p. 345). (1) Au niveau littéraire, les généalogies permettent une certaine progression narrative. Elles servent ainsi de passerelles dans le temps, fournissent des liaisons jusqu’à l’aboutissement et concentrent finalement l’histoire sur les deux thèmes du sacerdoce et de la royauté. Elles servent de plus à donner un rythme aux textes en favorisant une tension entre la narration et le récit. (2) En parallèle, les généalogies remplissent une fonction sociale, politique et ethnique : elles visent à clarifier et à interpréter l’origine, la différenciation (ou distinction) et la focalisation. Par un élément qui présente une certaine actualité, elles passent à l’interprétation du monde, que ce soit dans les rapports présents ou les règles et les principes anthropologiques. (3) Au niveau théologique, les généalogies soulignent la représentation libre, souveraine et inaccessible du comportement divin et de l’idée d’élection. Le concept des généalogies incarne également la continuité et l’avenir en dépit des entraves.

28Ce travail qui allie précision exégétique, rigueur conceptuelle et profondeur théologique s’achève par diverses annexes, une bibliographie et des index (textes bibliques et extrabibliques, mots et auteurs).

29Michaela Bauks

Francesca Stavrakopoulou, King Manasseh and Child Sacrifice. Biblical Distortions of Historical Realities, Berlin/New York, Walter de Gruyter, coll. « BZAW 338 », 2004. 23,5 cm. xvi-405 p. ISBN 978-3-11-017994-1. € 118

30Dans cette thèse de doctorat révisée pour la publication, S. essaye de mieux comprendre la présentation biblique du pire des rois, Manassé, selon 2 R, traditionnellement attribué à un rédacteur deutéronomiste (dtr), et plus particulièrement le reproche qui lui est fait d’avoir pratiqué des sacrifices d’enfants. L’enquête s’ouvre sur une comparaison des versions du règne de Manassé en 2 R 21 et 2 Ch 33. S. est très prudente en ce qui concerne la discussion concernant l’histoire dtr et se contente pour le livre des Rois de l’hypothèse suivante : « It will be assumed that Kings in its present form is a post-monarchic composition, addressed to a post-monarchic audience » (p. 21), une affirmation qui laisse le lecteur sur sa faim. On aurait souhaité mieux comprendre quel milieu a un intérêt à faire de Manassé un bouc émissaire comme elle le constate. Contrairement à l’auteur de 2 R, le chroniste ne sent pas le besoin de montrer que c’est le comportement de Manassé qui a provoqué la chute de Jérusalem et l’exil babylonien. Pour lui, Manassé a été puni de ses péchés de son vivant, et il a pu se convertir à yhwh par la suite. Avec raison et à la suite de nombreux auteurs, l’auteur démontre que le chroniste, contrairement aux rédacteurs des Rois, ne s’intéresse pas à l’étiologie de l’exil mais cherche à donner des réponses aux préoccupations de la communauté judéenne postexilique réunie autour du Temple (p. 58). Dans une deuxième partie, S. confronte le Manassé biblique au Manassé historique. Après une introduction (trop longue) sur la situation en Israël et Juda aux viiie et viie siècles avant notre ère qui s’appuie notamment sur les travaux de Finkelstein et l’étude des inscriptions de Jamieson-Drake, elle propose la reconstruction suivante. Le nom de Manassé indique que ce roi avait un lien étroit avec Israël (le « Royaume du Nord ») probablement via un mariage. Ce nom a sans doute facilité, voire initié, le portrait négatif du livre des Rois. Le Manassé historique fut, par contre, un roi intelligent qui réussit à faire de Juda un royaume prospère, sachant s’arranger pour le bien de son état avec l’empire assyrien. Après un bref aperçu du noircissement de l’image de Manassé dans la littérature postbiblique, S. se tourne vers les accusations de sacrifices d’enfants dont Manassé est accablé déjà dans la Bible. Elle s’oppose avec raison à l’idée courante que la pratique des sacrifices humains était une « pratique cananéenne » absolument incompatible avec la religion yahwiste. Elle montre que la Bible elle-même ne cache pas le lien des sacrifices humains avec le culte de yhwh (Jg 11 ; Ez 20 ; etc.). Se pose alors la question de l’historicité d’une telle pratique que S. tente de résoudre en s’intéressant d’abord au dossier phénicien. Elle semble d’abord exprimer une sympathie pour la vieille hypothèse d’Eissfeldt selon laquelle le terme mlk phénicien qui désigne un type de sacrifice humain qui pourrait se retrouver dans les sacrifices offerts à « Molek » dans la Bible (p. 236 et 260). En même temps, elle souligne que le terme biblique de « Molek » (sans doute une vocalisation péjorative pour Mèlèk, « roi ») ne désigne pas une divinité païenne, mais est un « caractère biblique » pour cacher le fait que des sacrifices humains étaient en réalité liés au culte de yhwh. Il existait trois types de sacrifices humains en Juda à l’époque de la monarchie : le sacrifice des premiers-nés, le sacrifice de type mlk, et les sacrifices offerts à des divinités de type shadday, divinités dont la Bible garde la trace dans le titre divin « (El) Shadday » en Gn 17 ou dans le livre de Job. La dissociation entre les sacrifices humains et le culte de yhwh se fait à l’époque postexilique, durant laquelle ces sacrifices sont jugés contraires au culte de yhwh ; par conséquent on les transforme en des rites « étrangers ». Et puisque, dans 2 R 21, Manassé est critiqué pour être un roi idolâtre important des cultes étrangers, on lui attribue également la pratique des sacrifices d’enfants.

31La thèse se conclut par une bibliographie et les index habituels. C’est un livre bien informé, qui fait bien le point sur cette question souvent encore traitée d’une manière plus apologétique que scientifique. S. reste prudente quant aux questions de datation et de milieux sociaux responsables de ces textes, un peu plus d’audace aurait rendu ce livre encore meilleur. Nonobstant, S. a fourni une enquête de très bonne qualité.

32Thomas Römer

Jack R. Lundbom, Jeremiah 21-36. A New Translation with Introduction and Commentary, New York, Doubleday, coll. « The Anchor Bible 21B », 2004. 24 cm. xiv-649 p. ISBN 978-0-385-41113-4. $US 45. Jeremiah 37-52. A New Translation with Introduction and Commentary, New York, Doubleday, coll. « The Anchor Bible 21C », 2004. 24 cm. xiv-624 p. ISBN 0-385-51160-4. $US 45

33Ces deux tomes volumineux concluent l’énorme commentaire du livre de Jérémie de Jack R. Lundbom, dont la première partie a été publiée en 1999. C’est une mine de renseignements d’ordre philologique et historique. Ceux qui s’intéressent à une théorie élaborée sur la formation du livre de Jérémie (ou des livres de Jérémie, étant donné les différences énormes entre le texte massorétique et le texte de la traduction grecque) resteront un peu sur leur faim, car conformément au concept du « Anchor Bible Commentary », il s’agit d’avantage de notes de lectures très élaborées que de l’application d’une théorie rédactionnelle comme on la trouve dans la plupart des commentaires germanophones. Rappelons également que le commentaire offre une traduction originale qui se trouve au début de chaque tome, suivie d’une bibliographie. Le commentaire de chaque péricope reprend la traduction. L’auteur commente d’abord la rhétorique et la composition du passage et fournit ensuite des notes de détail. Pour l’introduction au livre et à sa formation, L. renvoie d’ailleurs le lecteur au premier tome de 1999.

34L. adopte une approche classique, conservatrice, pour expliquer le livre de Jérémie, puisqu’il est convaincu que ce livre nous donne des informations précises et fiables sur le Jérémie historique. Les textes authentiques se trouvent surtout dans les oracles écrits en vers, mis par écrit par son secrétaire Baruch, qui a aussi noté un texte comme Jr 24, une vision que le prophète lui aurait dictée. La « biographie de Jérémie » (Jr 37-44) aurait été mise par écrit par des témoins oculaires. L. s’intéresse (comme déjà dans ses travaux antérieurs) à de grandes structures du livre qui l’amènent à postuler une césure principale après le chap. 20, contrairement au consensus (auquel l’auteur de ces lignes adhère) selon lequel c’est la première partie du chap. 25 qui forme le pivot du livre. Pour les deux vol. sous recension, L. propose la répartition suivante : Jr 21-23 sont un appendice à 1-20 qui constitue le rouleau primitif écrit en 604 avant notre ère. Jr 24 fait partie avec Jr 27-29 d’un cluster autour du personnage de Sédécias, écrit au début de son règne, alors que Jr 25-26 et 35-36, des textes qui à l’origine formaient une unité littéraire, font apparaître un autre cluster concernant Yehoyakîm. Pour Jr 30-33, L. suit l’idée qu’il s’agit d’une collection d’oracles de salut transmise d’abord d’une manière isolée avant son incorporation dans le rouleau de Jérémie. Pour le dernier vol., l’auteur accepte la répartition traditionnelle en 37-44 et 45-52. L. n’admet pas de rédactions importantes qui auraient formé le livre après l’activité de Baruch. La phraséologie deutéronomiste vient simplement du fait que le prophète utilisait le même langage que les deutéronomistes. On regrette également que la question des deux versions du livre soit plutôt traitée en marge, et qu’il y ait peu de réflexion sur les différentes visées théologiques des deux éditions du livre. Il aurait été souhaitable que l’auteur engage davantage le dialogue avec l’exégèse européenne et plus particulièrement germanophone du livre de Jérémie. Malgré ces réserves, ce commentaire fournit à son utilisateur une boîte à outils importante qu’il pourrait même utiliser autrement que l’auteur du commentaire.

35Thomas Römer

Mayer I. Gruber, éd., Rashi’s Commentary on Psalms, Leiden/Boston, Brill, coll. « The Brill Reference Library of Judaism 18 », 2004. 25 cm. xvi-914 p. 1 carte. ISBN 978-90-04-13251-1. € 192/US$ 274

36Ce vol. comprend premièrement le commentaire original du Rabbi Shlomo Yitzhaki de Troyes (xie s.), édité en hébreu sous la forme du manuscrit Vienna 220, daté de 1525, au lieu de suivre l’édition critique d’I. Maarsen, fondée sur le ms. Oxford Bodleian ms. Opp. 34 (1936). G. intègre au commentaire les variantes de 60 autres manuscrits consultés. Le vol. comprend en outre la traduction anglaise du commentaire, dans un souci de révéler ses problèmes idiomatiques. L’éditeur a annoté sa traduction d’un grand nombre de précisions concernant l’expression particulière de Rashi : marquée par le dialecte de son temps, elle diffère considérablement d’une traduction standard des textes bibliques. Il y ajoute encore quelques notes concernant l’histoire textuelle de la Bible et les sources dont Rashi s’est servi pour expliquer le texte. De plus, G. distingue le commentateur Rashi en tant qu’exégète biblique et en tant que penseur rabbinique. Lorsque Rashi analyse et explique un problème philologique, les enjeux sont bien présentés, de même que la solution proposée par Rashi. Ses propositions sont mises en rapport avec d’autres explications données par des exégètes de son temps et même des commentaires modernes. Diverses notes expliquent également les aspects polémiques, folkloriques ou dogmatiques liés aux discussions de l’époque de Rashi. Le vol. s’ouvre par une introduction substantielle (p. 1-169) consacrée notamment à la biographie du savant, à son école, aux techniques et aux grands principes de son commentaire. Une longue bibliographie (p. 765-796) et de précieux index (sources bibliques ; manuscrits et versions bibliques anciens ; sources rabbiniques ; auteurs anciens et médiévaux ; manuscrits médiévaux ; auteurs modernes) complètent utilement cette publication impressionnante.

37La mission que G. s’est donnée est de rendre enfin accessible aux lecteurs anglophones le commentaire médiéval de Rashi pour rendre possible l’étude des psaumes à la manière de l’exégèse juive médiévale en général et à la manière de Rashi en particulier (p. 148). En 1998 il en avait présenté la première partie (Ps 1-89) ; désormais tout le commentaire est sous nos yeux.

38Michaela Bauks

Joseph Mélèze Modrzejewski, La Bible d’Alexandrie. Troisième livre des Maccabées, Paris, Cerf, coll. « La Bible d’Alexandrie 15.3 », 2008. 20 cm. 190 p. ISBN 978-2-204-08690-5. € 35

39Le choix du troisième livre des Maccabées, pour ce 15e volume de la traduction commentée de la Septante, a quelque chose de surprenant. En effet, alors que certains livres importants de la coll. de Margueritte Harl ne sont pas encore édités, pourquoi choisir un des textes qui n’ont été reconnus ni par l’Église catholique du concile de Trente, ni par les Églises de la Réforme ? Mais la personnalité de MM. répond à cette question, de par sa grande connaissance du judaïsme alexandrin antique. MM. est un spécialiste mondialement connu de la papyrologie égyptienne et on lui doit, entre autre, un maître-livre : Les juifs d’Égypte de Ramsès II à Hadrien, (Paris, Armand Colin), 1991. Il est donc naturel que la traduction et le commentaire de 3 M entre dans son domaine de compétence.

40L’ouvrage est divisé en trois parties d’inégale longueur. Il s’ouvre sur treize pages d’une bibliographie qui, quoi qu’en dise l’auteur, confine à l’exhaustivité.

41Ensuite vient une partie introductive qui en cinq chapitres guide véritablement le lecteur face aux difficultés du texte et à la complexité du contexte. D’abord MM. replace 3 M dans le cadre de la littérature judéo-alexandrine dans lequel il s’inscrit, fait l’inventaire de sa réception dans le christianisme, repère les influences que le texte a dû subir, et propose un plan du livre et les fils conducteurs capables d’orienter le lecteur. Puis, à travers le paysage historique de l’Égypte lagide, à travers les coutumes, à travers les législations en vigueur pendant le règne de Ptolémée IV Philopator, de son épouse Arsinoé III et de sa cour, MM. nous fait part des découvertes issues de ses récentes recherches en papyrologie. Le troisième chap. est réservé à l’étude très fouillée du judaïsme en Égypte, particulièrement à Alexandrie. MM. y définit le « Polituma » juif comme l’entité juridique juive en Égypte centrée sur la pratique de la Loi. Le rapport au religieux est d’ailleurs explicite au quatrième chap., où l’on voit l’intransigeance des juifs contre l’idolâtrie s’opposer au culte ptolémaïque de Dionysos. MM. signale deux réactions contre ce conservatisme juif inflexible. D’une part l’incompréhension et le refus des rois grecs qui les incitent à la répression. D’autre part la dénonciation par les juifs de l’apostasie de certains des leurs, qui préfèrent la culture grecque à la religion des ancêtres. MM. prend enfin le texte de 3 M pour peindre le portrait de l’auteur anonyme, un juif alexandrin de bonne famille, issu d’un milieu aisé et très cultivé. Ensuite, il expose le débat autour de la datation de 3 M : période haute (avant 70 apr. J.-C.) ou période basse (100 av. J.-C.) ? Enfin, il analyse les intentions du juif anonyme auteur de 3 M : est-ce une fiction historique ? Est-ce un roman politique ? 3 M est avant tout un appel aux juifs hellénisés pour les affermir dans la fidélité à la Loi, contre les tentations de l’idolâtrie dionysiaque.

42La dernière partie du volume contient une traduction nouvelle de 3 M, abondamment commentée. L’ouvrage se termine par deux index, celui des mots grecs et celui des références scripturaires.

43Jean-Louis Prunier

Nouveau testament

Brevard S. Childs, The Church’s Guide for Reading Paul. The Canonical Shaping of the Pauline Corpus, Grand Rapids, Mich./Cambridge, Eerdmans, 2008. 23 cm. xii-276 p. ISBN 978-0-8028-6278-5. $ 28/£ 15,99

44L’objectif de cette monographie est d’explorer les implications exégétiques et herméneutiques du corpus paulinien en tant qu’entité canonique pour sa compréhension dans le contexte de l’Église. Dans le chap. introductif, C. relève la position prééminente de l’Épître aux Romains placée à la tête du corpus paulinien et ainsi pourvue d’une fonction canonique spéciale. Dans ce chap., C. esquisse aussi deux approches différentes pour interpréter la Bible, l’analyse historico-critique et l’approche canonique, en présentant les éléments de continuité (texte grec, critique textuelle, contexte historique et sociologique, critique littéraire) et de discontinuité (le texte véhicule la vérité divine, le contenu christologique, la personne de Jésus-Christ n’est pas une figure du passé) entre ces deux méthodes. Selon C., le problème herméneutique essentiel pour l’interprétation provient du fait que les deux approches ne peuvent ni être fusionnées ni être séparées.

45Dans le chap. suivant, C. ébauche cinq tentatives récentes essayant de reformuler la méthode historico-critique. Il commence par la Wirkungsgeschichte (U. Luz), puis continue avec l’intertextualité (R. B. Hays) qui est suivie de la présentation de la lecture éthique (F. Young). Ensuite, il discute le point de vue de L. T. Johnson qui tranche clairement entre le travail exégétique et le travail herméneutique. Ce tour d’horizon se termine avec la présentation de l’analyse sociologique de W. A. Meeks. Certains points de ces cinq approches seront repris ou rediscutés dans la présentation de quelques exemples pour l’interprétation canonique du corpus paulinien (chap. 4).

46Avant ce travail majeur qui forme le cœur de l’ouvrage, C. explique sa démarche pour une interprétation canonique du corpus paulinien (chap. 3). Il décrit deux particularités de sa structure canonique. Du fait qu’elle ouvre le corpus paulinien, l’Épître aux Romains sert de guide pour la gamme d’interprétations possibles des Épîtres qui suivent. Vu que l’Épître aux Romains est la formulation la plus compréhensive de la théologie paulinienne, cette Épître est la norme canonique selon laquelle les autres Épîtres doivent être interprétées. À l’autre bout du corpus paulinien se trouvent les Épîtres pastorales qui offrent le témoignage final de Paul qui attend sa mort imminente. Les Pastorales considèrent l’enseignement de Paul présent dans les autres Épîtres comme le dépôt de la « saine doctrine ». Le début et la fin du corpus déterminent le contexte canonique pour l’interprétation des Épîtres pauliniennes.

47Dans le chap. 4, C. présente huit exemples pour démontrer de quelle manière son approche exégétique est mise en pratique dans les paramètres établis par le corpus paulinien. Il commence son tour d’horizon avec l’apostolat paulinien et le termine par l’apocalyptique qui a été un facteur déterminant de la théologie paulinienne. Entre ces deux pôles, il discute et met en évidence les implications herméneutiques des textes suivants : la foi d’Abraham (Ga 3 et Rm 4), la vie dans l’Esprit (Rm 8, Ga 5 et 2 Co 3), les dons de l’Esprit (1 Co 12-14, Rm 4 et Ep 4), les fonctions ecclésiastiques (les Pastorales), le faible et le fort (1 Co 8-11 et Rm 14-15), Israël et l’Église (Rm 9-11). Le résultat de cette recherche détaillée peut être résumé de la manière suivante : l’Épître aux Romains offre une cohérence à l’égard des particularités contextuelles des Épîtres précédentes alors que les Épîtres pastorales actualisent le rôle normatif de l’enseignement paulinien pour les futures générations de l’Église.

48Dans le chap. 5, C. décrit d’abord la fonction des Actes en relation avec le corpus paulinien. Selon lui, les Actes établissent la légitimité de l’interprétation paulinienne de l’Évangile. Ainsi, la relation entre les Actes et le corpus paulinien fait partie de l’interprétation canonique du NT sans toutefois obscurcir les tensions historiques entre les deux. Puis, il essaie de répondre à deux questions concernant l’Épître aux Hébreux. Premièrement, pourquoi cette Épître a-t-elle été canonisée comme Écriture et pourquoi a-t-elle été jointe au corpus paulinien ? Deuxièmement, quel est l’effet de son inclusion dans le corpus paulinien pour la compréhension de l’ensemble. Quant à la première question, C. admet qu’il n’y a pas de réponse sans équivoque. Concernant la deuxième, il affirme que l’Épître aux Hébreux a joué un rôle important pour unifier les Épîtres aux Colossiens et aux Éphésiens avec les Épîtres pauliniennes authentiques.

49Le chap. final résume quelques implications théologiques de la lecture canonique du corpus paulinien. C. accentue l’importance de la question du canon pour l’étude du Paul historique et de ses Épîtres. La formation du corpus paulinien offre une directive théologique et herméneutique pour les futures générations de la communauté chrétienne. Le corpus paulinien montre l’importance de la christologie et la centralité des Écritures juives – qui mettent en évidence la fidélité de Dieu à l’égard de ses promesses – dans la pensée paulinienne. Bref, le canon paulinien fixe les paramètres pour l’interprétation des Épîtres pauliniennes.

50Deux des points forts de cette monographie sont l’accent mis sur le rôle important de la communauté chrétienne dans la formation du corpus paulinien et la présentation de l’évolution du statut de l’enseignement et du rôle de Paul dans ce corpus. Par contre, un des points faibles est le refus de C. de voir dans l’Épître aux Romains des allusions à des situations concrètes dans les communautés chrétiennes de Rome. Vu que l’Épître aux Romains tient une position éminente dans le corpus paulinien et que les autres Épîtres sont lues à travers la loupe de cette Épître, on peut se demander si les aspects spécifiques et le contexte historique particulier de chaque Épître ne sont pas minimisés.

51Daniel Gloor

Daniel Gerber, Pierre Keith, dir., Les hymnes du Nouveau Testament et leurs fonctions. XXIIe congrès de l’Association catholique française pour l’étude de la Bible (Strasbourg, 2007), Paris, Cerf, coll. « Lectio Divina 225 », 2009. 21,5 cm. 490 p. ISBN 978-2-204-08702-5. € 34

52Ce recueil rassemble les contributions du xxiie congrès de l’ACFEB. Contrairement à ce que le titre indique, le champ d’études dépasse le strict cadre néotestamentaire pour traiter de textes de Qumran, de l’Ancien Testament, de Targums, des « Constitutions apostoliques », etc.

53La recherche exégétique sur les hymnes est aujourd’hui en crise. C’est à ce constat que s’attache T. Osborne dans l’une des premières conférences rapportées dans ce volume. Avec les premiers critères d’identification des hymnes (proposés naguère par E. Norden), les apports de la critique des formes et de l’histoire des religions, un nombre toujours plus grand d’hymnes a été identifié par les exégètes. Mais devant l’inflation incontrôlée qui menaçait ce champ d’études, la tendance s’est inversée dans les années 1980 et des critères de plus en plus restrictifs ont été proposés. Ce renversement de tendance reflète le fait qu’il n’y a de consensus ni sur la forme ni sur le contenu spécifique d’un hymne dans le christianisme primitif. Sans compter qu’une définition conceptuelle de ce genre littéraire n’existe pas dans la documentation antique.

54Dans ce contexte, plusieurs auteurs (dont J.-N. Aletti) plaident en faveur d’un renouvellement de l’approche hymnique (qui va jusqu’à la proposition d’un changement de terminologie). Il s’agit désormais d’étudier le fonctionnement des textes hymniques, leur intégration dans leur contexte, les modifications de style qu’ils induisent, leur usage de la dispositio hymnique vétérotestamentaire en faveur du Christ, etc., plutôt que de continuer à proposer de nouveaux critères identificatoires.

55Ce changement de point de vue est important, et certainement fructueux. C’est ainsi qu’au terme d’une analyse serrée, D. Gerber plaide en faveur d’une composition lucanienne du cantique de Syméon. C. Reynier, quant à elle, analyse le type de communication exceptionnel, que promeut le réseau hymnique de l’Épître aux Éphésiens. É. Cuvillier s’interroge sur les dimensions théologique et anthropologique de l’hymne de Philippiens 2 qui introduit « les chrétiens dans l’événement du Christ ». Etc.

56Comme le montrent ces quelques exemples, cette discipline est en pleine effervescence et il est passionnant, dans les contributions proposées dans ce recueil, d’en suivre les débats.

57Serge Wüthrich

Jérôme Murphy-O’Connor, Ephèse au temps de saint Paul. Textes et archéologie, trad. Noël Lucas, Paris, Cerf, coll. « Initiations bibliques », 2008. 21,5 cm. 352 p. ISBN 978-2-204-08648-6. € 44

58Cet ouvrage est divisé en deux parties : textes de l’Antiquité et ministère de Paul à Éphèse. Les textes de l’Antiquité sont groupés en deux catégories : textes d’historiens et textes de poètes et de romanciers. M. présente une vingtaine d’historiens qui ont écrit sur Éphèse. En général, il procède de la manière suivante : le texte concernant Éphèse est cité à la tête d’un paragraphe puis commenté. La série des historiens commence avec Strabon et se termine par Vitruve. M. cite des historiens grecs mais davantage des historiens de langue latine. Les thèmes majeurs sont la fondation (mythique) d’Éphèse par les Amazones, Éphèse au temps des Perses, des Grecs et des Romains et surtout le temple d’Artémis et le droit d’asile. Pratiquement tous les historiens mentionnés dans cet ouvrage évoquent le temple d’Artémis. M. présente aussi le texte de Luc, « L’émeute des orfèvres » (Ac 19, 23-40), et documente ce récit à partir des sources réunies dans ce volume.

59Parmi les sept poètes et romanciers, M. mentionne les Actes de Jean et les Actes de Paul. Les Actes de Jean racontent le ministère de l’évangéliste Jean à Éphèse en se servant de thèmes romanesques. Le temple d’Artémis est considéré comme obstacle majeur à la diffusion du christianisme à Éphèse. Parmi les épisodes des Actes de Paul, M. narre l’histoire de Paul qui après avoir converti la femme du gouverneur est jeté dans le stade pour être dévoré par les bêtes, mais qui au lieu de trouver la mort baptise un lion féroce.

60La seconde partie, Paul à Éphèse, est également subdivisée en deux sections : le centre d’Éphèse en 50 de l’ère chrétienne et le ministère de Paul à Éphèse. Dans la 1re section, M. compare Jérusalem à Éphèse et montre que pour Paul la gloire du temple de Jérusalem surpasse celle de l’Artémision. Ensuite, il fait visiter au lecteur, en compagnie de Paul, quelques sites importants d’Éphèse comme l’agora d’État, les maisons en terrasses, l’agora carrée et le théâtre. Dans la seconde section, le ministère de Paul à Éphèse est décrit en trois phases. La 1re phase retrace le début du ministère de Paul : sa rencontre avec les disciples johannites de Jésus (Ac 19, 1-7), la rupture avec la Synagogue (Ac 19, 8-10), la crise en Galatie (Ga 2, 1-10 ; Ac 15) et le don des Philippiens pour Paul (Ph 4, 10-20). La seconde phase, considérée par M. comme une période très créative, est consacrée à l’emprisonnement de Paul à Éphèse. Durant son emprisonnement, Paul écrit au moins quatre Épîtres : aux Philippiens, aux Colossiens, aux Laodicéens et à Philémon. M. réserve un chap. entier à la discussion sur l’incorporation de la lettre aux Laodicéens dans l’Épître aux Éphésiens. La phase finale décrit les derniers mois du séjour de Paul à Éphèse qui furent dominés par les affaires de l’Église de Corinthe. M. conclut cette seconde section en indiquant que Paul a eu l’occasion de rencontrer des membres de l’Église d’Éphèse à deux reprises après son départ : les anciens de l’Église le rencontrent à Milet lors de son voyage à Jérusalem et Paul, après son emprisonnement à Rome, retourne à Éphèse, révoque Timothée qui était en charge de la communauté et prend lui-même le contrôle de l’Église d’Éphèse.

61Cet ouvrage est bien présenté et agréable à lire. M. réussit à faire revivre, à travers les textes anciens et ses explications succinctes, la fascination et la grandeur d’Éphèse. Les cartes à la fin du livre aident le lecteur à mieux comprendre la signification et l’unicité d’Éphèse. La partie sur le ministère de Paul à Éphèse est particulièrement intéressante car M. parvient à recréer l’ambiance d’Éphèse au temps de Paul et à dépeindre les combats de l’apôtre lors de son séjour à Éphèse. Quant au portrait de Paul présenté dans cet ouvrage, j’apprécie son visage humain : c’est un Paul qui réussit mais aussi un Paul qui échoue, un Paul avec ses points forts mais aussi un Paul avec ses manquements. Il est particulièrement appréciable que M., en retraçant le ministère de Paul à Éphèse, y intègre les Épîtres deutéro-pauliniennes et pastorales.

62Daniel Gloor

Histoire

Philippe Borgeaud, Francesca Prescendi, éd., Religions antiques. Une introduction comparée : Égypte, Grèce, Proche-Orient, Rome, Genève, Labor et Fides, 2008. 22,5 cm. 188 p. ISBN 978-2-8309-1250-0. € 19/CHF 32

63Sans viser à l’exhaustivité, ce livre offre un regard d’ensemble sur les principaux systèmes religieux de l’Antiquité en s’efforçant de les présenter « de l’intérieur », de penser « à leur façon » en usant de leurs concepts. Si la Grèce et Rome sont au centre du volume, l’Égypte et le Proche-Orient ne sont pas oubliés.

64En 7 chap., le livre tente de répondre à diverses questions. Qu’est-ce qu’un sacrifice ? Quelle différence y a-t-il entre religion et magie ? Pourquoi les hommes communiquent-ils avec les dieux par la divination ? Comment les mythes ont-ils pu transmettre un savoir ?

  1. P. Borgeaud et F. Prescendi proposent une réflexion sur ce que signifie le fait de vénérer plusieurs dieux à la fois (polythéisme). Les Grecs et les Romains n’avaient pas conscience d’être polythéistes. Le concept naît dans la confrontation au monothéisme judéo-chrétien. Les Anciens s’adressaient à différents dieux qui avaient des domaines d’action complémentaires les uns par rapport aux autres. L’anthropomorphisme des dieux qui caractérise le polythéisme ne va pas de soi et fut l’objet de critiques (Hérodote) qui présentaient la religion ancienne comme aniconique. Entre Rome et la Grèce une différence importante est à noter : aux mythes cosmogoniques grecs, les Romains ont préféré des mythes de fondation de la civilisation romaine pour se penser citoyens de la ville de Rome. Un point commun entre la Grèce et Rome : la pratique de la religion ne s’appuyait sur aucun dogme, mais consistait à suivre les règles établies par les ancêtres. D’où l’importance des spéculations sur le rite et ses origines, sur le calendrier : une réflexion pour bien accomplir le culte à rendre aux dieux.
  2. F. Prescendi analyse l’acte essentiel du sacrifice à travers une comparaison entre la Grèce et Rome. Les sacrifices, vécus comme un repas, indiquent comment chaque civilisation, grecque ou romaine, a construit sa propre « langue » pour communiquer avec ses dieux. Le sacrifice est le résultat d’une sédimentation de gestes qui constituent ensemble un discours porteur de sens pour la communauté qui le pratique. Sur la question de l’occultation de la violence sacrificielle, l’auteur montre que le sacrifice d’animaux ne cache pas un sentiment de culpabilité diffus à l’encontre de la victime sacrifiée et ne dévoile pas la conscience d’une violence accomplie.
  3. Y. Volokhine prolonge cette comparaison en direction des rites effectués en Égypte. V. décrit avec minutie le fonctionnement du temple comme espace isolé du monde au cœur duquel habite la divinité. Toute une grammaire de l’offrande codifie les gestes pour susciter une réponse divine avec une attention particulière donnée à la Maât, comme principe normatif de l’ordre du monde. Le sacrifice animal n’a aucune dimension de commensalité en Égypte. L’animal sacrifié est l’animal honni, représentation de Seth l’ennemi de l’Égypte. Il est détruit et éliminé virtuellement. Ce sacrifice plus symbolique que réel ne concerne pas seulement les espèces dangereuses (crocodiles par ex.), mais aussi le bœuf. Le bœuf est alors découpé pour la consommation et est consommé en dehors de tout banquet cultuel. La rencontre avec le divin, strictement codifiée, s’opère principalement à travers des manifestations oniriques et des oracles. Divination et pratiques oraculaires sont contrôlées par les prêtres. Le temple, lieu de convergence au rôle économique et culturel, attire les foules qui cherchaient à se concilier telle ou telle divinité par des ex-voto et des prières.
  4. D. Jaillard et F. Prescendi s’intéressent aux manières grecques et romaines d’interroger les dieux et à leurs contrastes. La divination semble une pratique ancienne selon la légende romaine. Les techniques divinatoires : l’extipicium est la consultation lors de sacrifices pour savoir si les dieux sont favorables, la prise des auspices est l’observation des signes divins véhiculés par les oiseaux, les prodiges sont les signes qui se manifestent spontanément. La divination a une connotation politique à Rome puisque les signes doivent être reconnus par le Sénat. En Grèce, la pratique divinatoire plus diverse se vit autour de lieux d’oracles locaux qui ont parfois une dimension panhellénistique, telle la pythie de Delphes, sanctuaire d’Apollon. La divination en Grèce et à Rome sert à régler dans un futur proche quelque chose qui existe dans le présent : une décision prise, une crise en cours … Avec la divination, on cherche l’aval divin d’un héros, d’un défunt, pour répondre à des situations concrètes et pratiques, individuelles et collectives avant toute prise de décision importante.
  5. N. Durisch Gauthier et F. Prescendi s’interrogent sur la différence entre magie et religion et présentent un aperçu sur quelques grandes théories modernes. Avec Mauss on parle de tendances, « la religion tend à l’abstrait, […] à l’adoration, la magie au concret, […] à l’efficacité ; le rite religieux est collectif dans le cadre d’un culte institutionnalisé […], le rite magique est privé, secret ». En Égypte, la magie a une fonction protectrice et curative au niveau de la destinée individuelle sur terre ou dans l’au-delà. Sur un plan collectif, la magie a un rôle destructeur pour protéger les temples et l’État contre les menaces d’Apophis ou de Seth. Dans le monde gréco-romain, la magie, provenant d’un terme qui désigne les prêtres persans, englobe toutes les pratiques qui ne concernent pas la cité : divination privée, rites initiatiques des cultes à mystères, « magie noire ». Le but est de défaire et de rendre impuissant un adversaire, une femme … La magie représente une voie supplémentaire à la religion. La distinction religion/magie reste une question. La magie a en Égypte un caractère officiel. Intégrée à la religion, elle a aussi une fonction médicinale apaisante. En Grèce, elle a un caractère plus privé et secret. Surtout, elle fait l’objet d’un discours critique et méprisant de la part des philosophes, ce qui contribue à la distinguer de la religion. La pratique de la magie connaît un essor important qui traverse les civilisations.
  6. P. Borgeaud et T. Römer présentent des regards croisés sur l’origine de l’humanité à travers la mythologie de la Méditerranée et du Proche-Orient, il y a une synchronie dans la constitution de la littérature biblique, Torah et prophètes, et le canon homérique en Grèce. L’idée que l’univers est le résultat d’une victoire contre des forces gigantesques du chaos est partagée en Mésopotamie, en Égypte et au Levant. En Grèce, elle est reprise sous la forme des luttes de génération pour la succession des souverainetés célestes. La théogonie d’Hésiode est proche de la mythologie hourrito-hittite. Le récit biblique de la Genèse s’inscrit dans cette lignée, même s’il présente la création d’un point de vue monothéiste. De même que dans la relation du féminin et du masculin, de nombreux croisements sont perceptibles entre les mythologies mésopotamiennes, Enkidu et la prostituée, le récit biblique, Adam et Ève, les mythes grecs, Prométhée et Pandore. Il en est de même pour le Déluge ou la relation entre l’humain et l’animal. Les héritages biblique et classique sont donc loin d’être incompatibles.
  7. Enfin A. A. Nagy et F. Prescendi travaillent la manière dont l’Empire romain a su intégrer de nouvelles idées religieuses, introduites par des cultes d’origine « orientale », parmi lesquels le christianisme. À l’idée d’une religion romaine « pure » à l’origine qui aurait intégré des éléments étrangers, la recherche récente montre que, dès les commencements, la religion romaine fut ouverte sur l’extérieur. Elle montre une capacité à intégrer des cultes d’origine orientale dès le iie siècle av. J.-C. Le chap. décrit l’arrivée de la Mère des dieux et de Mithra à Rome. Cependant la tolérance romaine en matière religieuse a des limites ; elle vaut tant que les religions importées ne remettent pas en cause la paix des dieux sur laquelle repose l’Empire. L’histoire romaine est jalonnée de récits d’expulsion d’adeptes de différents cultes qui mettent en cause l’État, ainsi les Bacchanales. Le danger du christianisme réside dans un exclusivisme militant et en ce qu’il joue un rôle unificateur bien plus grand que celui de la religion civique romaine. Mais le christianisme prédisposait les sujets à l’obéissance à un seul empereur, ce que Constantin et ses successeurs ont bien compris. Le christianisme est devenu en moins d’un siècle la religion officielle, persécutant les autres religions.
Complété par un index des noms propres et de plusieurs illustrations, cet ouvrage intéressant propose d’utiles mises au point sur les croisements thématiques importants entre Égypte, Mésopotamie, Grèce et Rome.

65Dany Nocquet

Everett Ferguson, Baptism in the Early Church. History, Theology, and Liturgy in the First Five Centuries, Grand Rapids, Mich./Cambridge, U.K., Eerdmans, 2009. 24,2 cm. xxii-953 p. ISBN 978-0-8028-2748-7. $US 60/£ 33,99/ € 45

66Ce livre est une véritable somme. F. fait référence à tous les documents connus concernant le baptême pour les trois premiers siècles de l’ère chrétienne et une quantité importante pour les deux suivants (car leur nombre augmente rapidement). Il analyse à la fois l’origine du rite chrétien (sa relation avec le judaïsme via Jean le Baptiste, mais sans lien évident avec les pratiques païennes), puis l’évolution de la théologie du baptême (remarquablement homogène dans les écrits des Pères malgré des variations mineures) et des liturgies baptismales (beaucoup plus diverses et variées, avec les questions de la nudité du baptisé, de la triple immersion, de l’imposition des mains, de l’onction d’huile et autres rites qui ont accompagné les cérémonies à différentes époques de l’histoire de l’Église), l’émergence du pédobaptisme (dont les premières traces explicites remontent à la fin du iie siècle, en lien avec le problème de la mortalité infantile), et finalement le mode du baptême (essentiellement par immersion, avec quelques exceptions).

67On ne trouvera pas de révélation fracassante dans ce parcours à tout point de vue impressionnant, mais une accumulation de données (auteurs, lieux, débats, liste de fonts baptismaux, etc.) qui permet de confirmer ou infirmer un certain nombre d’hypothèses que l’on retrouve (pour les lecteurs de langue française) par ex. dans les travaux classiques de S. Légasse, V. Saxer ou ceux, plus anciens, de T. Maertens.

68Contrairement à la plupart des ouvrages qui l’ont précédé, c’est la corrélation entre les dimensions historique, théologique, archéologique, liturgique qui confère à cette somme son caractère exceptionnel. Au vu de sa longueur (près de mille pages), il ne peut guère être lu d’un bout à l’autre, mais servira certainement, pour longtemps encore, de référence en la matière. À ce titre, il devrait trouver sa place dans toutes les bonnes bibliothèques.

69Serge Wüthrich

Frédéric Amsler, Albert Frey, Charlotte Touati, Renée Girardet, éd., Nouvelles intrigues pseudo-clémentines – Plots in the Pseudo-Clementine Romance, Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne, Lausanne/Genève, 30 août-2 septembre 2006, Prahins, Éditions du Zèbre, « Publications de l’Institut romand des sciences bibliques 6 », 2008. 24 cm. 511 p. + 3 planches. ISBN 2-940351-12-0. € 38

70Le Roman pseudo-clémentin, apocryphe chrétien du ive s., ne saurait être cerné aisément. Narrant à la 1re personne la conversion d’un jeune aristocrate romain, Clément – selon la tradition, le 4e évêque de Rome –, auprès de l’apôtre Pierre, sur fond de pérégrinations et de reconnaissances familiales, il se décline en deux longs récits similaires mais non identiques, l’un grec, les Homélies, l’autre latin, les Reconnaissances, accompagnés de lettres. Plusieurs formes littéraires s’enchâssent, faisant place à des débats théologiques et apologétiques opposant Pierre et Clément à l’Alexandrin Apion et à Simon le Mage. Cette œuvre composite, aux sources incertaines (un roman du iie s. ? des écrits relatifs à Pierre ?) et aux couches éditoriales multiples, a été transmise sous des formes différentes dans diverses langues (grec, latin, syriaque …). Sous l’impulsion de l’Association pour l’Étude de la Littérature Apocryphe Chrétienne, un important colloque fut consacré à ce corpus en 2006. Regroupant 37 participations, le volume d’actes, riche et abondant, cherche résolument à actualiser les pistes de recherche. Une introduction double présente l’œuvre selon des angles d’attaque différents. Premier éclairage sur le roman : celui, tout en paradoxe, de l’écrivain suisse É. Barilier autour de l’imagination comme argument de Simon, réfuté par Pierre, et pourtant intrinsèque au genre romanesque. Second éclairage sur l’objet de recherche : celui, précis, de F. Amsler, d’une grande aide pour pénétrer bien averti l’univers pseudo-clémentin. Les contributions sont réparties en trois sections de volume croissant, menant progressivement au cœur de l’œuvre. La première considère « le texte et sa réception », de la recherche de sources (un roman antérieur, selon la thèse de B. Pouderon, qu’il appuie d’un nouvel élément), en passant par sa transmission antique dans le monde latin par Rufin (évoquée très clairement par le regretté Y.-M. Duval) et dans le monde grec par Photius (F. S. Jones), jusqu’au temps de la Réforme et du concile de Trente (I. Backus). La deuxième, intitulée « Le roman clémentin », explore l’œuvre en tant qu’objet littéraire. À ce titre, la stimulante intervention de D. Côté étudie une question de fond, la place de la paideia – ou culture et éducation hellénistiques, essentiellement littéraires – et replace le Roman et ses discours au sein de la rhétorique des iie et ive s., entre Seconde sophistique, genre épidictique et Antioche comme centre intellectuel éminent au ive s. La dernière section, « L’univers clémentin », aborde la pensée philosophique (J. Barnes et A. Le Boulluec) et théologique (comme la question du prophétisme, par G. Filoramo) du Roman, ainsi que l’enjeu des oppositions, dans un contexte de définition du christianisme face au judaïsme et au monde gréco-latin. Ainsi, quand C. Touati voit en Simon, mis en rapport avec le royaume de Samarie, le symbole de l’hérésie, A. Y. Reed, dans un article d’un grand intérêt, étudie le basculement d’alliances perceptible dans les Homélies, conformément au milieu « judéo-chrétien » dont est issu le Roman : face à l’immoralité du paganisme grécoromain, juifs et chrétiens sont unis sur un front commun, autour d’une tradition qu’ils se transmettent. Une bibliographie fournie et des indices scripturarum et auctorum complètent le volume.

71Benoît Mounier

Jean-Marie Moeglin, éd., L’intercession du Moyen Âge à l’époque moderne. Autour d’une pratique sociale, Genève, Droz, coll. « École pratique des hautes études, Sciences historiques et philologiques V, Hautes études médiévales et modernes 87 », 2004. 23 cm. 368 p. ISBN 2-600-00932-9. € 70,92

72Fruit du colloque organisé par le CREPHE à l’université de Paris XII-Valde-Marne et à la ive Section de l’École pratique des hautes études du 3 au 4 novembre 2000, l’ouvrage présente au grand public quatorze articles issus de cette rencontre internationale. L’introduction de J.-M. Moeglin annonce les différents aspects du sujet : au Moyen Âge notamment, l’intercession ne se limite nullement au domaine religieux, mais elle constitue un élément fondamental qui régit le fonctionnement de la société dans tous ses rapports verticaux et horizontaux. Ainsi, l’ouvrage contient d’un côté les art. qui étudient l’intercession dans la sphère religieuse, voire théologique à proprement parler, et de l’autre côté les art. qui examinent l’intercession dans la société civile et dans la politique. L’ouvrage commence à l’Antiquité tardive et il avance progressivement à travers le Moyen Âge jusqu’au xviie siècle où l’intercession dans la sphère politique devient plutôt une médiation entre les États à la recherche de la paix et de la stabilité internationale. Une grande diversité géographique caractérise l’ouvrage. Le sujet est étudié en France, en Europe Centrale, en Italie ou dans la Flandre. Cette démarche indique l’importance capitale de l’intercession dans les sociétés médiévales et elle permet de dégager ses règles générales, étonnamment stables d’un territoire à l’autre.

73Outre l’introduction de Moeglin et la conclusion de C. Gauvard, le lecteur trouvera dans l’ouvrage les art. suivants : « Les saints protecteurs ici-bas et dans l’au-delà – l’intercession dans l’Antiquité chrétienne » par Y. Duval, « L’intercession des vivants pour les morts – l’exemple des synodes du haut Moyen Âge » par H. Schneider, « L’intercession dans les relations politiques du Moyen Âge classique » par H. Kamp, « L’insulte ajoutée à l’injustice dans les récits des plaids des pays de la Loire aux xie et xiie siècles » par H. Teunis, « Quelques aspects de la doctrine de l’intercession dans la théologie de Bonaventure et de Thomas d’Aquin » par B. Faes de Mottoni, « L’intercession dans les sermons de la Toussaint » par N. Bériou, « Saint Martial intercesseur, d’après les miracles de 1388 » par J.-L. Lemaitre, « L’intercession dans les pratiques religieuses du xiiie au xve siècle » par C. Vincent, « L’office du médecin entre intercession et médiation » par D. Jacquart et M. Nicoud, « “Interponere partes suas” – les bons offices de Jacques II d’Aragon entre les cours de Naples et de Majorque (1301-1304) » par S. Péquignot, « “Paese da gente […] che non giovano parole” – l’Inquisition romaine face aux pratiques de recommandation » par A. Burkardt, et « Médiateurs et intercesseurs dans la pratique de la diplomatie à l’époque moderne » par L. Bély.

74Plusieurs débats traversent ces interventions. Etant donné que le terme d’intercession lui-même est peu mentionné dans les sources, l’intercession recouvre-t-elle une dimension de médiation, de recommandation ou bien d’arbitrage ? Représente-t-elle une institution ou une pratique commune ? L’intercession dans la sphère religieuse, s’inspire-t-elle du modèle de l’intercession présente dans la société romaine, marquée par le système des clients/patrons ? Subit-elle des évolutions au cours de la période étudiée ? L’intercession dans la sphère religieuse et l’intercession dans la sphère politique sont-elles liées par une procédure commune, ou bien diffèrent-elles entre elles (la première renverrait fondamentalement au don de Dieu, alors que tel ne serait pas le cas dans la sphère politique, où donner suite à l’intercession revient à gagner quelque chose) ? L’intercession dans la sphère politique, implique-t-elle une repentance ? L’intercession dans la sphère politique, disparaît-elle avec l’avènement de la modernité et d’une conception du droit qui tend désormais à réglementer les procédures juridiques indifféremment pour tous les individus ?

75Vu le nombre des articles, il est difficile de les présenter tous ici. Deux interventions paraissent néanmoins incontournables par rapport aux questions abordées dans l’ouvrage. Il s’agit d’abord de la contribution de H. Teunis (p. 89-104), qui examine cinq cas de « l’insulte ajoutée à l’injustice ». Dans les cinq cas évoqués, la condamnation des malfaiteurs a lieu mais grâce à l’intervention des intercesseurs, aucun opprobre n’en résulte. Les fautifs ne sont même pas obligés de payer une caution, en échange de la promesse de leur loyauté au souverain dont ils ont enfreint la loi contre un tiers (la figure de l’injustice) et qu’ils ont lésé lui-même dans son autorité (la figure de l’insulte). Teunis montre ainsi que l’intercession dans la sphère politique n’implique pas obligatoirement de repentance à la différence de l’intercession dans la sphère religieuse, par quoi il apporte un argument qui plaide en faveur de la distinction de l’intercession dans les deux sphères. Puis, l’art. de J.-L. Lemaitre (p. 157-169) importe dans la mesure où il montre un glissement majeur dans la pratique de la prière d’intercession adressée aux saints. Dès l’Antiquité, Augustin souligne, avec d’autres, que l’intercession des saints dépend de Dieu lui-même, sans qui elle reste inefficace (cf. « Les saints protecteurs ici-bas et dans l’au-delà – l’intercession dans l’Antiquité chrétienne » de Y. Duval, p. 17-39). Autrement dit, il convient de prier non seulement le saint, mais aussi Dieu. Or, les prières adressées à saint Martial au xive siècle montrent que les gens ne s’adressent que rarement à Dieu. Ils ne le mentionnent souvent même pas et ils prient plutôt le saint lui-même. La pratique de l’intercession se trouve donc peu à peu en écart significatif avec sa doctrine au fur et à mesure que le Moyen Âge avance vers la Réforme et vers la modernité.

76Cet ouvrage entraîne le lecteur dans un voyage insoupçonné et passionnant. Deux reproches peuvent néanmoins lui être adressés. D’abord, le travail d’édition n’est pas à la hauteur du contenu de l’ouvrage. Les fautes d’impression reviennent souvent. Une ou deux fois, des phrases entières en sont rendues incompréhensibles. Certains auteurs signalent ensuite que la Réforme a sensiblement contribué à la redéfinition de la pratique de l’intercession en Occident. Or, aucune intervention particulière n’aborde ce sujet. Une contribution sur ce thème parachèverait l’ouvrage.

77Petr Skubal

Sébastien Castellion, Les livres de Salomon 1555, édités, introduits et annotés par Nicole Gueunier et Max Engammare, Genève, Droz, coll. « Textes littéraires français 595 », 2008. 18 cm. 335 p. ISBN 978-2-600-01200.3. € 30

78En 1555, Sébastien Castellion a publié une traduction française de la Bible qui a été vivement critiquée par les Réformateurs et n’a pas connu grand succès. Elle a longtemps été oubliée, à quelques très rares exceptions près. Depuis une dizaine d’années, en particulier grâce au poète et mathématicien J. Roubaud, on en découvre le très grand intérêt et la valeur exceptionnelle. En 2005, les éd. Bayard la rééditent ; elle ne l’avait pas été depuis le xvie siècle. Cette édition, destinée à un grand public, a été légèrement modernisée, en particulier dans son orthographe. Il en résulte un « texte hybride, ni réellement modernisé ni réellement conforme au texte original » qui ne satisfait pas les spécialistes, mais qui a permis de découvrir une très grande œuvre littéraire, ignorée et méconnue, qui se situe au moment même où naît la langue française.

79À côté de cette édition complète, Droz publie des éditions partielles, soigneusement annotées, qui respectent scrupuleusement, y compris dans sa ponctuation (en fait très soignée), le texte initial. Après la Genèse, voici les livres de Salomon (Proverbes, Ecclésiaste, Cantique des Cantiques). Les introductions et notes de M. Engammare, d’une information étendue et d’une précision remarquable, ont un très grand intérêt, y compris pour les non-érudits. Elles dégagent les caractéristiques de la traduction de C. en la comparant avec d’autres (ce qui nous donne des aperçus sur certains conflits des interprétations au xvie siècle), en font ressortir la modernité, montrent qu’elles allient beaucoup de hardiesse avec une grande fidélité au texte hébreu. C’est une langue alerte, pleine de charme (ainsi, dans Ct 1, 5, là où la TOB traduit « je suis noire », la Colombe « je suis bronzée », C. écrit « je suis brunette » ; il aime d’ailleurs bien les diminutifs).

80Le Cantique des Cantiques (ou « chanson des chansons », dit C.) présente un intérêt tout particulier parce qu’il est une des origines de la brouille avec Calvin. C. le considère un poème d’amour profane, très charnel et nullement inspiré (mais, contrairement à une légende tenace, il ne suggère jamais de le retirer du canon), ce qui transparaît dans sa traduction, alors que Calvin y voit une allégorie de la relation entre le Christ et l’Église.

81La traduction française de l’Ecclésiaste est influencée par la version latine qu’en avait faite C. précédemment, mais s’en démarque aussi, ce qui montre qu’il a repris et retravaillé le texte hébreu. Le « tout est vanité » est rendu par « tout n’est rien » et l’antithèse « tout/rien » revient à plusieurs reprises. C. ne parle pas (il s’en tient à son rôle de traducteur) de l’interprétation de ce livre sulfureux qui a tellement embarrassé les commentateurs ; sa traduction n’en atténue pas le pessimisme.

82En ce qui concerne les Proverbes, où les divergences entre manuscrits sont importantes, C. suit plutôt le texte massorétique et s’en tient au sens littéral. Dans l’ensemble de ses traductions, il évite les hébraïsmes (en particulier les parallélismes qui répètent deux fois la même chose), il préfère les mots « autochtones » et modernes à ceux calqués sur l’hébreu, le grec, le latin ou archaïques (il écrit, par ex., « sagesse » et non « sapience »), et aboutit à une langue fluide (destinée à des auditeurs plus qu’à des lecteurs ?) qui ne donne pas l’impression d’une traduction.

83André Gounelle

Carine Skupien-Dekens, Traduire pour le peuple de Dieu. La syntaxe française dans la traduction de la Bible par Sébastien Castellion, Bâle, 1555. Genève, Droz, coll. « Travaux d’Humanisme et Renaissance 56 », 2009. 25,5 cm. 388 p. ISBN 978-2-600-01300-0. € 80

84En 1892, Ferdinand Buisson publie chez Hachette sa thèse de doctorat sur Castellion (Sébastien Castellion. Sa vie et son œuvre). Cette étude magistrale, qui fait encore autorité et dont Droz annonce la réédition, inaugure la recherche historique moderne sur Castellion. Pendant le siècle qui suit, l’historiographie a mis au premier plan la lutte de Castellion pour la tolérance (il serait sans doute plus juste de dire pour le pluralisme doctrinal à l’intérieur de la chrétienté), avec sa vigoureuse polémique contre l’exécution de Servet et avec le Conseil à la France désolée qui, au moment où se déclenchent les guerres de religion, plaide pour la coexistence pacifique du protestantisme et du catholicisme en France et qui demande qu’on renonce, des deux côtés, au « forcement des consciences ».

85Depuis une dizaine d’années, s’est produit un tournant : les historiens s’intéressent beaucoup à une œuvre jusque-là considérée comme accessoire, la traduction française de la Bible publiée par Castellion en 1555. F. Buisson, sans la négliger, s’y était peu intéressé et significativement il avait demandé à un bibliste, le pasteur O. Douen, de rédiger les quelques pages de son livre consacrées à cette question. En général, en reprenant un jugement de Henri Estienne, on répétait que cette traduction était écrite dans la « langue de [s] gueux » (et non dans celle des savants), et on lui reprochait de « patoiser ». On la jugeait, sans l’avoir vraiment examinée, médiocre. Or, des travaux récents font apparaître, au contraire, la valeur de cette traduction, sa créativité lexicale (invention, souvent heureuse, de mots) et son style très vivant (on pense aux saynètes bibliques que le pédagogue Castellion faisait jouer à ses élèves de Genève) ; elle évite la pesanteur de nombreuses traductions et donne le sentiment d’un texte non pas transposé mais écrit directement en français. Un des grands spécialistes du xvie siècle, Guy Bédouelle (qui a publié en 1989, avec Bernard Roussel, une étude monumentale Le temps des Réformes et la Bible chez Beauchesne), estime que si Castellion n’avait pas été écarté par idéologie (il était à la fois honni par les catholiques et les calvinistes), sa traduction de la Bible aurait pu être en francophonie l’équivalent de celle de Luther dans l’aire germanique ou de la King James en anglophonie (voir son article dans Cahiers Évangiles, décembre 2008). En 2005, les éditions Bayard ont fait paraître (elle n’avait pas été rééditée depuis le xvie siècle où sa diffusion était restée réduite) la traduction de Castellion dans un beau (mais cher) volume.

86La très bonne thèse de Carine Skupien Dekens marquera, je pense, une date dans cette nouvelle orientation des études sur Castellion. Elle se penche non pas sur le vocabulaire, comme on s’est souvent borné à le faire, un peu superficiellement, en relevant des termes ou expressions pittoresques, mais, ce qui est à la fois plus difficile et plus important, sur la syntaxe de cette traduction. S. a eu cependant l’intelligence de ne pas s’en tenir à la linguistique. Une première partie situe son propos dans un cadre plus large : elle fait le point de la recherche concernant Castellion ; elle analyse sa conception de l’autorité de l’Écriture (il a conscience de l’obscurité de nombreux passages, et donc de la possibilité de plusieurs interprétations différentes, à la différence de Calvin qui insiste sur sa clarté et son univocité ; il souligne aussi la diversité des écrits qui la composent, on ne peut donc pas les lire et les utiliser tous de la même manière) ; elle précise les destinataires visés par Castellion (les « idiots » au sens de non-instruits), avec des remarques très intéressantes sur le fait que la traduction vise probablement l’audition publique et pas principalement la lecture personnelle, ce qui a des conséquences pour son style ; elle expose les questions qu’on se pose au xvie siècle à propos de la traduction et de la syntaxe. La seconde partie est beaucoup plus technique : étude (à partir d’un échantillon assez vaste) de la ponctuation (très cohérente) ainsi que de la construction (très élaborée) de la phrase. La précision de cette étude permet de sortir d’impressions, même justes, pour aboutir à une conclusion solidement fondée : cette traduction, qui se veut populaire, n’en est pas moins soignée et rigoureuse ; elle est facile et agréable à lire (même aujourd’hui), tout en étant méthodique et informée. Castellion apparaît comme un très grand traducteur, serviteur intelligent à la fois du texte original (sans servilité) dont il rend fidèlement le sens et de la langue française en formation dont il respecte, voire développe, le génie propre.

87Ce livre a une visée d’abord et principalement linguistique. Pourtant, l’historien et le théologien y trouveront beaucoup à glaner.

88André Gounelle

Patrick Cabanel, André Encrevé, dir, Les protestants, l’école et la laïcité, xviiie-xxe siècles, numéro spécial de la revue Histoire de l’éducation, n° 110, mai 2006, Paris, INRP, Service d’histoire de l’éducation, 2006. 22 cm. 212 p. ISBN 2-7342-1066-5

89P. Cabanel et A. Encrevé ont convoqué quelques chercheurs sur la question de l’école et la laïcité afin de rétablir quelques vérités. Au travers de six articles, exemples et explorations de situations, l’ouvrage nous livre un panorama de la réaction des protestants face à la mise en place des écoles privées et publiques et à la laïcité, soit cent cinquante ans d’histoire.

90C. et E. dépeignent tout d’abord la position des réformateurs qui ont tout de suite considéré que l’évangélisation passait par l’alphabétisation du peuple, non seulement pour qu’il puisse lire la Bible, mais aussi parce qu’ils étaient conscients que l’instruction permet de se hausser dans la société. Ainsi, la Discipline des Églises réformées fait obligation d’ouvrir une école à côté de chaque Église locale. Les protestants sont donc à l’aise lorsque arrive le temps de l’alphabétisation de masse. C’est le ministre Guizot, un protestant, qui en 1833 promulgue la première grande loi sur l’enseignement primaire.

91Pour autant, les protestants étaient-ils tous partisans de la laïcité telle qu’elle s’est progressivement mise en place ? Les auteurs illustrent la manière dont la pensée protestante évolue tout au long du siècle concernant ces écoles qui de mixtes (les deux confessions présentes dans la même école), confessionnelles et privées, deviennent laïques.

92É. Berlioz décrit le cas exemplaire des écoles du pays de Montbéliard lorsqu’il fut rattaché à la France. L’enseignement tant aux filles qu’aux garçons y est promu par les pasteurs. Le rattachement à la France ne modifie pas cet état de fait. L’étude des sources inédites de la SEIPP (Société pour l’encouragement de l’instruction primaire parmi les protestants de France), instruite par P. Cabanel, montre la même évolution dans l’idéologie et la manière dont s’est constitué un réseau d’écoles protestantes. Quand dans les années 1880 le mot « laïque » apparaît en France (l’inverse de congréganiste), qualifiant un enseignement dans lequel la religion n’a aucune part, les protestants sont divisés. Certains s’accommodent des décisions ministérielles, d’autres souhaitent une école où la religion puisse encore trouver sa place. La réflexion sur l’enseignement et la pédagogie s’approfondit.

93J. Gautherin nous conduit dans les débats qui eurent lieu lors de la mise en place des Sciences de l’éducation dans les universités françaises. Y. Verneuil expose l’engagement de quelques hommes, dont Ferdinand Buisson, Louis Liard et Élie Rabier, qui prennent l’initiative d’inscrire dans le programme des universités, un enseignement de Sciences de l’éducation pour former les maîtres. Mais sans toutefois trouver une conception commune de l’éducation. Des divergences se font jour dans le protestantisme quant à la pédagogie et à la manière d’aborder la morale. À travers le cas d’Élie Rabier, directeur de l’enseignement secondaire à la fin du siècle passé, on voit se dessiner l’évolution de la profession d’enseignant et une réflexion sur la morale et son implication pour les élèves. A. Baubérot évoque la situation au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Des associations d’enseignants se créent et militent pour une laïcité ouverte et tolérante, montrant une neutralité bienveillante à l’égard de toutes les religions.

94Le livre se termine par un rappel des « querelles » à propos de la loi Debré (A. Encrevé). En 1959, cette loi met en place une aide publique à l’enseignement catholique, ce qui sera mal accueilli en milieu protestant.

95Au-delà de l’école, l’ouvrage brosse un portrait du protestantisme et d’une pensée qui sait s’adapter et se réformer.

96Myriam A. Orban

Éthique et théologie systématique

Gilbert Vincent, La religion de Ricœur, Ivry-sur-Seine, Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, coll. « La religion des philosophes », 2008. 20 cm. 159 p. ISBN 978-2-7082-3978-4. € 15,50

97Professeur de philosophie retraité de la Faculté de théologie de Strasbourg, Gilbert Vincent dégage l’originalité de l’entreprise philosophique de Paul Ricœur, consistant à interroger les préjugés tant de la raison que de la religion. (p. 11) Dans cette perspective, il étudie tous les textes portant sur la croyance, constatant que le corpus à ce sujet surpasse celui de tout autre philosophe (contemporain). Ainsi, Ricœur considère que la philosophie ne peut exclure ce sujet de son champ. Il ne s’agit pas de renoncer à toute conviction préalable, mais le penseur se doit d’élucider ses convictions, et donc d’étudier l’histoire concrète des traditions religieuses. Ricœur fait voir combien une tradition religieuse donnée intègre la critique d’elle-même et que le vis-à-vis statique entre croyance religieuse et rationalité critique ne correspond pas à la réalité.

98L’objectif de V. est de lire Ricœur, en acceptant son invitation à ouvrir à nouveau la question de la religion, avec l’équité qui caractérise un philosophe conscient que le phénomène religieux ne se réduit pas aux édifices doctrinaux ou aux énoncés dogmatiques, mais qu’une « libre croyance » vit à leur côté, porteuse d’inventions symboliques. C’est pourquoi Ricœur cherche l’instruction mutuelle de la philosophie et de la croyance.

99Dans cette perspective, après quelques repères bibliographiques et une introduction, au premier chap. V. parle de l’herméneutique comme projet philosophique général de Ricœur et plus particulièrement de l’herméneutique biblique. Le deuxième chap. évoque longuement la question du mal, réflexion de Ricœur qui représente l’un de ses apports les plus importants à la théologie et à la pratique pastorale. Le troisième chap. parle de la critique simultanée de la révélation et de la raison. Dans la même ligne, le chap. quatre montre comment Ricœur dépasse l’alternative entre soumission et autonomie, en proposant le concept de témoignage. Le cinquième et dernier chap. parle de l’interprétation ricœurienne des paraboles, de leur extravagance et de la désorientation-réorientation qu’elles proposent.

100Rédigé par l’un des meilleurs connaisseurs du philosophe, l’ouvrage présente dans un langage simple, sa pensée au sujet de la religion.

101Fritz Lienhard

Laurent Gagnebin, L’athéisme nous interroge. Beauvoir, Camus, Gide, Sartre. Paris, Van Dieren, 2009. 22,5 cm. 410 p. ISBN 978-2-911087-70-7. € 27

102Il y a dans le protestantisme de la Suisse romande une tradition de critique littéraire fine et profonde, qui a été inaugurée par Alexandre Vinet. G., tout en restant très personnel dans sa démarche et sa pensée, s’inscrit dans cette lignée. Il a commencé, très jeune (entre 22 et 33 ans) sa carrière d’auteur (une carrière féconde en beaux livres) par la publication de quatre essais sur André Gide, Albert Camus, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, des écrivains qui ont profondément marqué des générations successives de lecteurs et dont l’influence reste grande. En hommage à G. et à l’occasion de ses 70 ans, ses amis, ses collègues, ses anciens étudiants de l’Institut Protestant de Théologie, l’association Évangile et Liberté qu’il a présidée et dont il dirige avec talent le mensuel, ont demandé aux éditions van Dieren, de rééditer ces quatre essais en un volume unique.

103Ce qui frappe d’abord à leur lecture (pour moi à leur relecture), c’est la qualité de leur langue : elle est limpide et vive, belle et précise, charmeuse et percutante ; d’emblée, dès ses tout premiers écrits, G. déploie une étonnante maîtrise littéraire qui ne se démentira jamais par la suite. Ce qu’on constate, ensuite, c’est une exceptionnelle capacité d’analyse qui saisit l’essentiel et l’exprime de manière exacte et lumineuse, avec beaucoup de rigueur et aussi de générosité (G. a le souci d’écarter les malentendus dont sont souvent victimes les écrivains qu’il étudie). On trouve cette même intelligence et cette même clarté d’analyse dans les ouvrages que G. a consacrés ultérieurement à A. Schweitzer, N. Berdiaeff et W. Monod. Enfin, on remarque la démarche originale de G., indiquée par le titre et bien soulignée dans la belle préface de R. Picon : il ne s’agit pas tant d’interpeller l’athéisme au nom de la foi que de laisser sa foi et sa religion être interrogées par l’athéisme, de se mettre à son écoute parce qu’il a beaucoup de choses, des choses essentielles, à nous dire sur notre manière d’être chrétien qui a toujours besoin d’être réexaminée, rectifiée et purifiée.

104G. a beaucoup apporté au protestantisme français ; la liste de ses publications, en particulier mais pas seulement dans le domaine de la théologie pastorale, en fait foi. Cet ouvrage rappelle et réactualise un de ses apports les plus précieux et les plus originaux (qui explique qu’en même temps que de l’enseignement de la théologie pratique, il ait été chargé à l’IPT d’un cours d’apologétique).

105André Gounelle

Pierre Gisel, éd., Le corps, lieu de ce qui nous arrive. Approches anthropologiques, philosophiques, théologiques, Genève, Labor et Fides, coll. « Lieux théologiques 38 », 2008. 22,5 cm. 317 p. ISBN 978-2-8309-1252-4. CHF 47/ € 29

106Actes d’un 3e cycle de théologie systématique des Facultés de Suisse romande, tenu en 2007, cet ouvrage réunit anthropologues, théologiens et philosophes. Sous le feu croisé de leurs regards : le corps. En arrière-plan : les rites et la guérison. Et en question ultime : ce que le corps nous apprend de nous-mêmes, hommes et femmes d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et de là-bas. Car ce corps, inscrit au monde, « lourd de matérialité », mais aussi théâtre d’une symbolique, instance où le soi est mis en cause et décentré, est finalement un révélateur de notre rapport au monde.

107L’ouvrage contient dix-sept contributions organisées en quatre parties bien distinctes, mais complémentaires. La première, qui se demande « comment le corps interroge les savoirs » explore diverses pratiques qui mettent en question son approche purement rationnelle : le chamanisme sibérien (R. N. Hamayon), les techniques magico-religieuses (S. Mancini), les pratiques thaumaturgiques dans une Église charismatique (P. Gonzalez et C.Monnot), et enfin l’approche spirituelle et religieuse de la maladie en aumônerie des hôpitaux (I. Rossi).

108La deuxième partie envisage le corps non plus comme lieu de pratiques mais de « mise en scène », essentiellement dans la littérature : dans les livres de Samuel, où nous partons à la recherche du ou plutôt des Messies envisagés dans leur corporéité (P. Lefebvre) ; chez Platon et dans la médecine antique (F. Gregorio) ; dans la littérature contemporaine (T. Laus).

109La troisième partie, qui s’attache aux « déplacements et reprises au cœur du corpus chrétien », a été confiée à des plumes tant catholiques que protestantes. On y trouvera trois articles s’inscrivant dans le cadre du renouveau du catholicisme au xxe siècle : une étude sur la place de la chair dans l’économie chrétienne du salut (A. Dartigues), une réflexion sur le corps ecclésial (B.-D. de La Soujeole), une histoire du personnalisme chrétien (G. Vergauwen). C’est à d’autres types de déplacements que nous invitent les auteurs protestants : J.-D. Kaestli et C. Clivaz s’interrogent sur le corps comme « lieu de l’expérience des limites » dans deux textes apocryphes ; G. R. Soglo nous déplace non plus dans le temps mais dans l’espace avec une contribution intitulée « Rites et guérison en Afrique » ; enfin, H.-C. Askani, dans une réflexion de type phénoménologique, montre que l’ascèse s’inscrit dans un rapport décalé au monde.

110Une quatrième partie nous confronte aux « défis contemporains » : virtualisation et déréalisation des corps (D. Le Breton), négation et désappropriation de la mort (B. N. Schumacher), auxquels C. Indermuhle fait contrepoint en rapportant la proposition des Science Studies sur le devenir des corps. Enfin, dans sa contribution sur « Le corps et ce qui le traverse », P. Gisel rappelle que « travailler en théologie, ce n’est pas seulement explorer une ou des traditions religieuses données, mais ouvrir une réflexion sur un destin plus large ». Ce que fait admirablement cet ouvrage : la variété des approches (anthropologique, théologique, philosophique), des styles (enquêtes de terrain, études, lectures exégétiques, etc.) et l’érudition des auteurs servent une infinie mise en perspective de ce corps qui m’ancre dans le monde et pourtant toujours m’échappe car « lieu où m’arrive l’existence ».

111Christine Renouard

Jacques Arènes, Pierre Gibert, Le psychanalyste et le bibliste. La solitude, Dieu et nous, Paris, Bayard, 2007. 20,5 cm. 215 p. ISBN 978-2-227-47397-3. € 19

112Peut-on lire la Bible à la lumière du donné psychanalytique, et qu’apporte la lecture biblique au psychanalyste ? J. Arènes, psychanalyste, et P. Gibert s. j., exégète, proposent une approche croisée dont ils ne manquent pas de repérer les difficultés : la distance culturelle qui sépare psychanalyse et monde biblique, la visée thérapeutique de la psychanalyse et théologique de la Bible, les rapports ambigus que Freud entretient avec les Écritures, l’objectivité textuelle opposée à la subjectivité requise par la cure. Au terme d’une « ouverture » nuancée qui pose la question épistémologique du statut des deux démarches, entre écoute psychanalytique et lecture biblique, A. et G. tombent d’accord sur le lieu d’une rencontre possible et légitime, « cette humanité en quête d’elle-même autant que de Dieu – à moins que les deux quêtes ne soient une seule et même chose, ce dont nous ne doutons pas » (p. 18).

113Pour illustrer leur démarche (mais aussi sans doute, comme le montrera la conclusion, par souci pastoral), les auteurs choisissent une thématique, la solitude, qu’ils déclinent chacun selon leur discipline, tout en s’efforçant d’en transgresser les limites. Délibérément, ils commentent des textes différents. La solitude est évoquée à partir de figures ou de situations bibliques, évaluée selon qu’elle semble être volonté divine (Marie, dans la solitude de l’élue), lieu d’épreuve (le jeune homme riche), lieu de souffrance (le possédé de Gérasa). Chaque contribution offre une riche méditation pouvant servir de lecture préalable pour inspirer des questions propices au travail du prédicateur.

114Indiquons toutefois que, plus que d’une lecture croisée, il s’agit de deux lectures juxtaposées et qu’à vouloir trop respecter leurs champs propres, les auteurs nous privent un peu d’un débat interdisciplinaire sans doute périlleux mais attendu.

115Didier Fiévet

Théologie pratique

Olivier Bauer, Le protestantisme et ses cultes désertés. Lettres à Maurice qui rêve malgré tout d’y participer, Genève, Labor et Fides, coll. « Protestantismes », 2008. 17 cm. 104 p. ISBN 978-2-8309-1247-0

116B. recourt à la forme épistolaire pour présenter son analyse du culte protestant tel qu’il est ordinairement vécu dans le monde réformé occidental. Il conclut par des propositions de réformes. La forme brève et le style alerte en rendent la lecture très aisée.

117Le culte est analysé sous divers angles. B. observe que même peu fréquenté, il conserve une place prépondérante dans les activités spirituelles des communautés. La manière dont les cinq sens sont touchés (ou non) dans le culte est évoquée. Après une brève bibliographie commentée, l’analyse reprend en s’appuyant sur la théorie des rites de C. Bell. B. se pose ensuite la question des influences directes et indirectes qui conditionnent le culte. Il souligne l’importance de prendre en compte la manière dont chacun perçoit et interprète ce qui lui est proposé dans le culte et dans la prédication en particulier, qui constitue, elle, un pont que seul le destinataire peut franchir. Dans le culte, on communique l’essentiel. Page 63 : « Dans une situation de concurrence avec les autres confessions chrétiennes – plus largement avec les autres religions –, le culte donne à vivre une forme particulière d’existence devant Dieu, celle que la théologie réformée juge la plus conforme à la volonté de Dieu. » À partir de cette affirmation, B. développe quelques éléments de sa conception du culte réformé, reprenant les deux dimensions de bénédiction et de protestation. Les dangers spécifiques en sont la sacralisation, l’intellectualisation, l’individualisme, le formalisme et le monologue (pastoral). Il plaide pour un culte renouvelé, mis en évidence par la rareté : un moratoire devrait être prononcé, dans lequel on ne conserverait qu’une dizaine de cultes par an, particulièrement soignés et festifs, tout en développant une pratique cultuelle plus intimiste par ailleurs, et en conservant les célébrations plus personnalisées des passages de la vie. B. conclut, comme en forme de défense, que ses idées reposent toutes sur des expériences vécues et proposées par d’autres.

118Nicolas Cochand

Denis Müller, Le football, ses dieux et ses démons. Menaces et atouts d’un jeu déréglé, Genève, Labor et Fides, coll. « Le champ éthique 49 », 2008. 22,5 cm. 258 p. ISBN 978-2-8309-1255-5. € 20/CHF 34

119L’ouvrage est de la plume d’un théologien, éthicien passionné de football. Loin du dithyrambe ou du pamphlet, il prend en compte toute l’ambiguïté de ce sport et en souligne à la fois l’aspect révélateur, les beautés et les dérives. Précis, documenté, très bien structuré, il repose sur des sources variées et solides, comme en atteste la liste des personnes et institutions à qui M. adresse des remerciements ainsi que la bibliographie relativement importante. D’emblée (chap. 1), M. décrit les illusions perdues et affronte la critique radicale, pour présenter la position adoptée (p. 45) : « Le football, comme toute performance humaine, participe d’une fondamentale ambivalence, et, de ce fait, risque en permanence de basculer du côté de l’idolâtrie ou de celui de la légitime réalisation de soi. » C’est dans cette posture mesurée qu’il décrit à chaque chapitre la dimension anthropologique sous-jacente, mais aussi l’affirmation sotériologique implicite, qui se manifeste parfois dans une dérive quasi religieuse. Après avoir décrit le contexte contemporain du football (chap. 2) et en avoir rappelé l’histoire (chap. 3), M. passe en revue les règles du jeu spécifiques (chap. 4) et analyse intelligemment la place et le rôle de l’arbitre, nécessaire interprète de la règle dans la situation de jeu (chap. 5). Il s’arrête un instant sur la pratique du jeu par les femmes (chap. 6). Ensuite, dans une série de chapitres sans concession, il brosse le tableau des zones d’ombres et des dérives, sans jamais toutefois tomber dans la simplification, fidèle à la ligne annoncée au départ. Il aborde le problème du chauvinisme et de ses déclinaisons nationalistes ou racistes (chap. 7). En relation avec la perspective de la coupe du monde 2010 en Afrique du Sud, il pose un regard sur la dimension politique du football (chap. 8). Observant la préparation du championnat européen (2008, Suisse et Autriche), il relève le risque de violence (hooliganisme) et la tentation de lui apporter une réponse démesurée portée par une illusion sécuritaire (chap. 9). Il demande qu’on dépasse une posture naïve pour admettre qu’il en va, dans le jeu comme dans la vie, de réguler une violence qui est une donnée humaine constitutive et qui peut constamment surgir (p. 182). Il aborde encore les enjeux financiers du marché mondialisé des joueurs (chap. 10), la problématique du dopage et de l’extraordinaire silence qui règne à ce sujet dans le monde du football (chap. 11), ou encore les pratiques de corruption et de tricherie (chap. 12). Enfin, M. propose une éthique de la responsabilité de tous les partenaires et pas seulement de ceux qui sont sur le terrain (chap. 13). Cette éthique ne peut faire l’économie d’une prise en compte de la dimension de la compétition et du dépassement de soi, mais doit au contraire lui donner un cadre d’expression légitime (chap. 14).

120À tous ceux que le football insupporte mais qui veulent quand même savoir ce qu’un théologien peut en dire, je conseille vivement de lire la conclusion (« Ouverture », p. 239-245), qui reprend le titre de l’ouvrage. M. y redit que le football est révélateur de l’épaisseur humaine. N’est-il pas, conclut-il p. 245, « expression d’un partage jamais résolu entre le désir de beauté et le retour cyclique du malheur et des inégalités ? »

121Nicolas Cochand

Ermanno Genre, Le culte chrétien. Une perspective protestante, trad. Corinne Lanoir, Genève, Labor et Fides, coll. « Pratiques 23 », 2008. 21 cm. 254 p. ISBN 978-2-8309-1236-4. CHF 32/ € 19

122Pour une approche détaillée de cet ouvrage, je renvoie le lecteur à une note d’ETR 2006/2, p. 255-260. J’y émettais le vœu que cet ouvrage puisse être traduit en français : vœu exaucé, grâce à cette traduction.

123G. revalorise les domaines autrefois délaissés du culte (liturgie, rites et symboles, musique et arts visuels), tout en l’ouvrant sur des aspect extra-cultuels (la diaconie, la technologie et la mondialisation, la thérapie, la justice sociale, l’éthique). On reconnaît là des préoccupations caractéristique des diverses publications de théologie pratique de G. : approfondissement de la pensée réformée, mais aussi ouverture aux réalités sociales, économiques, politiques ou esthétique qui traversent la société postmoderne ; attention à la personne, au corps, à l’individu dans sa structure psychique et ses besoins spirituels, mais aussi à la société dans son ensemble.

124L’ouvrage comporte aussi quelques parties plus classiques, comme une explication des différents moments de la liturgie du culte (p. 93-144), ainsi que quelques propositions de déroulements liturgiques (p. 211-234), empruntés à des Églises réformées et méthodistes de différents pays (l’Église vaudoise italienne est en fait une Église valdo-méthodiste).

125Jérôme Cottin

Jeltje Gordon-Lennox, Mariages. Cérémonies sur mesure, Genève, Labor et Fides, 2008. 22,5 cm. 237 p. ISBN 978-2-8309-1249-4. € 21/CHF 35

126Le sous-titre est explicite : « sur mesure ». L’ouvrage est une sorte de manuel à l’intention des futurs époux ou des personnes qui souhaitent organiser des cérémonies de mariage qui ne soient pas rattachées à une tradition ecclésiale, religieuse ou philosophique particulière. Il n’est donc écrit ni dans une démarche de dimension théologique, ni dans un souci de réflexion ecclésiale sur la pratique des cérémonies de bénédiction de mariage, mais bien dans la volonté de chercher à souligner le caractère particulier de l’histoire personnelle d’un couple, dans une cérémonie qui en serait l’unique expression.

127On pourra s’étonner que l’éditeur Labor et Fides publie cet ouvrage ; sans doute répondra-t-il qu’il s’inscrit dans sa politique de diversification comprenant des ouvrages non théologiques. Celui-ci est en outre volontairement acritique. Peut-être cette posture contraindra-t-elle le lecteur à conduire sa propre réflexion sur les possibilités et les limites de la personnalisation des cérémonies marquant des passages importants de la vie.

128Nicolas Cochand

Sébastien Fath, Dieu XXL. La révolution des megachurches, Paris, Autrement, coll. « Frontières », 2008. 23 cm. 194 p. ISBN 978-2-7467-0973-7. € 20

129Spécialiste du protestantisme évangélique (chercheur au CNRS), F. analyse le phénomène en plein développement, en particulier aux États-Unis, des très grandes Églises locales, les megachurches. Ces communautés se caractérisent non seulement par le nombre de membres et sympathisants (le critère de définition fixe la limite inférieure à 2 000), mais aussi par la multiplicité et la diversité des activités et engagements possibles au sein de l’Église locale. En six chapitres, F. analyse le phénomène du point de vue du sociologue de la religion. Si l’introduction rappelle que la construction des cathédrales marqua déjà une ère de gigantisme, le chap. 1, historique, montre que les megachurches américaines plongent leurs racines dans la tradition des grands rassemblements de réveil religieux qui se tenaient au xviie et au xixe siècles dans les contrées pionnières (camp meetings notamment). Le chap. 2, statistique, démontre l’explosion très récente aux États-Unis et décrit les caractéristiques d’une très grande Église. Il repose sur une base de données publiques établie et mise à jour par le Hartford Institute for Religion Research. Apparues dans les années 1970, environ 400 au milieu des années 1990, les communautés qualifiées de megachurches sont plus de 1 300 en 2008. Très majoritairement, elles appartiennent au protestantisme évangélique, mais la moitié n’est pas rattachée à une dénomination. Ces assemblées ne peuvent être vues comme une unité. Dans leur diversité, elles ont pour point commun une forte adaptation aux techniques modernes (musique, communication, multimédia…), un fort engagement social local, un intérêt grandissant pour les problèmes du monde (lutte contre le SIDA, réchauffement), une volonté marquée d’inscrire la foi dans la vie quotidienne, tout en défendant généralement une approche très traditionnelle du message chrétien. Le chap. 3 passe à l’analyse qualitative. Si l’Église est marquée par le gigantisme de ses installations et par une forte volonté de croissance, inspirée par une personnalité charismatique et médiatique, la vie communautaire est centrée sur les petits groupes qui créent un réseau de liens de proximité. En offrant une multitude de services de qualité sur un même site (à l’image du centre commercial), la très grande Église recrée du lien social dans une forme de « petite ville », dans le contexte des banlieues impersonnelles des mégapoles. La modernité culturelle et technique contraste avec le conservatisme du message : on parle de « primitivisme ultramoderne ». Le chap. 4 présente l’exemple de l’Église de Willow Creek (banlieue de Chicago). L’histoire en est dépeinte en trois phases (genèse, développement, routinisation) dont les transitions sont marquées par des crises. Le chap. 5 s’interroge sur la disproportion entre la représentativité réduite (moins de 1 % des membres d’une Église aux États-Unis) et l’écho médiatique des pasteurs dirigeants de megachurches. Si le bassin de recrutement des membres est essentiellement local, la stratégie de communication est globale. Les très grandes Églises s’inscrivent parfaitement dans le « village global ». L’impact médiatique est tel que la megachurch est devenue un passage obligé pour les candidats à la Maison-Blanche. Elle constitue aussi un poids économique et idéologique déterminant pour des produits comme des films (le succès de Passion, de Mel Gibson, est largement attribué à l’écho reçu dans ces Églises). Le chap. 6, enfin, élargit le champ au reste du monde. Le phénomène touche les cinq continents, mais de manière moins nette qu’aux États-Unis. La dimension charismatique est beaucoup plus prononcée, y compris dans les quatre communautés françaises brièvement décrites (trois à Paris, une à Mulhouse). F. note que les grands rassemblements ponctuels et les paroisses ou Églises locales touchant un grand nombre de personnes ne sont pas inconnues du catholicisme et du protestantisme luthéro-réformé, mais l’offre reste généralement centrée sur la célébration et les activités qui lui sont liées. F. conclut que si la megachurch reste un phénomène minoritaire menacé par diverses dérives (gigantisme, vedettariat des dirigeants, repli identitaire), elle marque durablement et sensiblement le paysage religieux et ecclésial, notamment par sa capacité à s’adresser aux personnes en recherche.

130L’ouvrage est bien documenté et de lecture aisée. Il allie approche empathique et distance critique. Il permet de bien comprendre le phénomène dans le contexte étasunien. Il est un peu plus court en ce qui concerne l’aire francophone, tout en étant bien documenté sur les exemples relevés.

131Nicolas Cochand

Art et architecture

Mario Dal Bello, Die Bibel des Caravaggio. Bilder aus den Alten und Neuen Testament, Regensburg, Schnell & Steiner, 2010. 21 cm. 95 p. ISBN 978-3-7954-2360-5. € 12,90

132Critique d’art, de théâtre et de cinéma, l’auteur est particulièrement sensible aux mises en scène du Caravage et à l’expressivité de ses personnages. Il cherche à mettre en évidence leur « vérité » dans un choix de tableaux qui constitue un parcours rapide et significatif à travers les Écritures. La compétence du commentateur est évidente, quand bien même ce livre ne constitue pas à proprement parler une étude sur l’ensemble des peintures à thème biblique du Caravage, mais bien plutôt une invitation à bien regarder celle que l’auteur tient pour les mieux abouties (on regrette de n’avoir pas sous les yeux celles qu’il cite au passage à titre de comparaison). Les 21 reproductions sur lesquelles porte son enquête sont toutes d’excellente qualité.

133Bernard Reymond

Monique Chatenet et Claude Mignot, éd., L’architecture religieuse européenne au temps des Réformes : héritage de la Renaissance et nouvelles problématiques, Paris, Picard, coll. « De Architectura », 2009. 27 cm. 294 p. ISBN 978-2-7084-0845-6. € 52

134Les 19 contributions rassemblées dans cet ouvrage sont en fait les actes des « Deuxièmes Rencontres d’architecture européenne », un colloque qui a eu lieu au château de Maisons-sur-Seine en juin 2005. En plus du français, certaines contributions sont en anglais, d’autres en italien, voire en espagnol, et l’on se demande pourquoi les deux contributeurs allemands n’ont pas fait usage de leur langue. Toutes sont accompagnées de quelques pages d’illustrations (pas toujours bien choisies) et font l’objet d’un résumé en français en fin de volume.

135Elles sont réparties en quatre sections : (1) « De nouvelles églises pour de nouveaux ordres ? » ; (2) « Permanence et rebondissements du plan centré » ; (3) « Des typologies nationales ? » ; (4) « L’espace liturgique : un espace fragmenté ». La démarche des organisateurs fait donc de l’architecture de type catholique le modèle en fonction duquel ils situent l’ensemble de l’architecture religieuse européenne, y compris celle d’origine protestante, et ils semblent voir dans l’apparition de nouveaux ordres religieux la nouveauté déterminante de l’époque prise en considération. C’est oublier un peu vite que les ordres en question et les révisions architecturales qui se sont imposées du côté catholique ont été en réalité une manière de relever le défi que représentaient les différents courants de la Réforme protestante. Mais ils n’en ont cure et semblent n’attribuer à l’architecture de type protestant qu’une place secondaire. Il y a bien quelques contributions spécifiques sur les Pays-Bas, l’Écosse et la cathédrale Saint-Paul de Christopher Wren, voire une allusion en passant à l’architecture protestante hongroise. Mais comment peut-on faire ainsi l’impasse sur ce que l’on sait tout de même de l’architecture protestante en France avant la révocation de 1685, sur l’ensemble du domaine construit à cette époque en Suisse réformée, sur l’architecture réformée du Palatinat, ou luthérienne de Saxe et de Thuringe, ou encore sur ce qui a surgi dans les pays scandinaves ?

136Restent évidemment les nombreuses contributions portant sur les édifices catholiques, mais elles n’apportent rien de bien nouveau par rapport à ce que l’on savait déjà et il eût fallu s’interroger plus avant et de manière spécifique sur la manière dont ont été interprétées et appliquées les directives contre-réformatrices de Charles Borromée.

137Ce volume au titre ambitieux s’avère finalement plus décevant que stimulant.

138Bernard Reymond

Vient de paraître

Jean-Daniel Causse, Henri Rey-Flaud, dir., Croyance et communauté, Paris, Bayard, coll. « Études et essais », 2010. 20 cm. 141 p. ISBN 978-2-227-481135-0. € 21

139Il n’y a pas de communauté sans croyance. Mais le lien entre communauté et croyance est susceptible de se modifier, de s’altérer ou de s’inverser. Ainsi, la croyance peut conduire vers des communautés maniaques qui s’embrasent et sombrent, emportées dans la folie par leurs croyances intégristes. À l’inverse, les communautés mélancoliques s’étiolent, s’éteignent et disparaissent par épuisement des croyances. Le présent ouvrage discute des métamorphoses contemporaines des croyances et du destin de nos communautés. Dans un avant-propos qui constitue une véritable contribution au dossier, Henry Rey Flaud montre pourquoi et comment la croyance spécifie la culture humaine par rapport au monde animal. Il met en évidence les raisons pour lesquelles le phénomène de la croyance étant l’étoffe du langage, il n’y a pas plus de croyance sans langage que de langage sans croyance. René Major poursuit par une contribution sur « Croyance en la communauté et communauté de croyance » dans laquelle il conjugue différents aspects de la distance qui sépare toujours le sujet de ce qu’il croit ou de ce qu’il pense ne pas croire. Jean-Luc Nancy aborde la délicate question des rapports et des différences entre « Foi et croyance ». Après avoir établi les deux sortes de savoir qui sont au principe de la croyance, le savoir faible et le savoir authentique, il montre que le second constitue « la condition sans laquelle nous ne parlerions même pas ». S’appuyant sur tout un travail lexical, il définit la foi, à l’envers d’une « croyance faible », comme un « rapport fort » qui réactive, à ce titre, le cœur étymologique de cette notion : la fidélité, qui démontre que la foi est au principe, hors représentation, de l’amour. Fethi Benslama aborde dans sa contribution – « Communauté et terreur » – une expérience limite, celle qui anime les croyants musulmans, auteurs d’attentats-suicides, pour déterminer les processus à la fois sociaux et individuels, qui sont au principe de ces vécus. Jean-Daniel Causse interroge et interprète le christianisme en fonction d’un « principe d’indétermination communautaire » tel que l’énonce la célèbre formulation de Paul : « Il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme ». Il en tire les conséquences pour repenser une communauté qui partage un même rapport au manque. Dans un texte intitulé « De quelques croyances. Détour par l’Inde anti-raciale », Mario Cifali s’efforce de montrer comment les modes de représentations de la culture indienne se distinguent, et même s’opposent, à nos propres compréhensions de la vie, de l’Autre et de nous-mêmes qui sont le produit de nos propres croyances occidentales. Charles Alunni présente un texte philosophique sur la question de l’État totalitaire entre croyance et communauté. Il analyse en particulier l’entreprise du ministre italien de Mussolini, le philosophe Giovanni Gentile, qui couple l’enseignement de la philosophie avec celui de l’histoire afin d’aménager le passage qui doit conduire de l’État pédagogue à l’État totalitaire. En fin d’ouvrage, mais comme ouverture, Bernard Salignon replace le lecteur face à une communauté paradoxale : c’est parce que la communauté n’appartient à personne qu’elle est, ou peut devenir, le lieu de tous et de chacun en son unicité.

140J.-D.C.

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