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Article de revue

Notes et chroniques

Art et théologie

Pages 405 à 415

1Au fil des ans, on est surpris du nombre et de la variété de publications sur un sujet qui, a priori, ne rentre pas directement dans le champ de la théologie, ou qui est considéré par beaucoup comme périphérique. Je voudrais simplement recenser quelques ouvrages récents et de qualité en les classant selon quatre thèmes : 1. Iconographie chrétienne ; 2. Théologie de l’art et de l’image ; 3. Art contemporain et christianisme ; 4. Médias et spiritualité.

1 – Iconographie chrétienne

(1) Juan Plazaola, L’Église et l’art. Des origines à nos jours, trad. Camilia Gross, Paris, Cerf, coll. « Images et Beaux livres », 2008. 30 cm. 240 p. dont 195 planches couleur, 40 planches noir et blanc, 30 croquis et dessins. ISBN 978-2-204-07947-1. € 39. (2) Juan Plazaola, L’Église et l’art. Vingt siècles d’architecture et de peinture chrétiennes, trad. Camilia Gross, Paris, Cerf, coll. « Histoire du christianisme », 2008. 19,5 cm. 165 p. ISBN 978-2-204-07942-6. € 19

2Il s’agit d’une intéressante étude sur vingt siècles d’art chrétien publiée en deux versions : (1) une version « livre d’art », avec une abondante iconographie de très grande qualité (architecture p. 15-106, arts figuratifs p. 107-224), et (2) une version « poche », qui ne présente que le texte. Soit deux approches possibles, toutes deux de qualité, mais notre commentaire portera sur la première version.

3L’auteur, jésuite espagnol, nous fait non seulement part de sa grande culture artistique, mais nous fait aussi découvrir des exemples peu connus de l’art espagnol (églises romandes ou préromandes des Asturies, de Castille ou de Leon), ou sud-américain (façade de l’église de l’hôpital de Belén, Cajamarca, Pérou), ou d’ailleurs (une tête de Christ imberbe du ive s., provenant d’un pavement d’une villa romaine anglaise ; des exemples d’un art wisigoth). On trouve aussi quelques exemples d’un art chrétien – ou de ce qu’il en reste – en Orient (Istanbul, Turquie ; Syrie ; Égypte). Bref, une publication qui apporte quelque chose de vraiment nouveau !

4Relevons d’abord les limites de cette étude, avant d’en vanter les qualités. L’« Église » au singulier est évidemment irritant, et on cherchera en vain des expressions d’art en contexte protestant. La période de la Réforme est tout simplement oubliée, aussi bien en ce qui concerne l’iconoclasme, que les créations artistiques. L’art contemporain est réduit à la portion congrue ; celui de la fin du xxe début du xxie est inexistant. De nombreuses citations figurent dans le texte, mais leurs références ne sont pas indiquées. Il manque souvent les dates des œuvres commentées et reproduites. Enfin, point de bibliographie, ce qui est dommage, car cette étude est plus qu’une simple œuvre de vulgarisation.

5Mais ces faiblesses n’enlèvent rien à la valeur de l’ouvrage. Esthétique d’abord : des reproductions très soignées et de grande qualité, nombreuses, parfois en pleine page. Sur le plan du contenu : un texte soutenu et clair, avec parfois des thèses osées (par exemple, p. 225-231, une dénonciation des timidités et des erreurs de la hiérarchie romaine, dans son accueil de l’art contemporain). Des commentaires rapides mais rigoureux sous les reproductions, qui permettent une première lecture à la fois visuelle et documentée de l’œuvre avant d’aborder le texte. Et surtout, quatre introductions thématiques qui problématisent bien le sujet, sur les questions suivantes :

  1. L’art et la Révélation (p. 8-9) : les relations, apparemment contradictoires, entre un Dieu qui se révèle dans la Bible sans images, et la richesse de l’art chrétien postérieur.
  2. Les ambiguïtés de la notion « d’art sacré » (p. 9-13) : on a sans doute ici une des synthèses les plus documentées et les plus clairement expliquées des différentes notions (souvent contradictoires) du mot « sacré » et de son application à l’art.
  3. L’Église et ses lieux de culte (p. 15-16) : les origines bibliques (à vrai dire plutôt absentes) de la notion de lieu de culte.
  4. La relation de l’Église avec les images (p. 17-19) : l’auteur insiste sur la pensée aniconique (voire iconophobe) des Pères de l’Église, et distingue bien l’image de l’icône.
L’ouvrage ne se contente pas de montrer et de commenter la diversité des styles architecturaux et picturaux dans l’espace et le temps, mais il propose aussi une thèse qui est la suivante : l’art chrétien est – et c’est ce qui explique son extrême diversité voire sa contradiction interne – traversé par deux tendances contradictoires, mais qui ont réussi à s’articuler l’une à l’autre, l’immanence, avec pour support l’image et la représentation, et la transcendance, avec pour support le signe, le symbole, l’espace. La première témoigne du sensible, de la sensibilité, du corps humain, la seconde de l’esprit et de la raison. Les excès de ces deux tendances sont « l’humanisme néo-païen et sensualiste » pour la première, l’iconoclasme pour la seconde.

Isabelle Renaud-Chamska, Marie-Madeleine en tous ses états. Typologie d’une figure dans les arts et les lettres (ive-xxie siècle), Paris, Cerf, coll. « Histoire », 2008. 24 cm. 288 p. dont 140 planches couleur. ISBN 978-2-204-08011-8. € 27

6Marie-Madeleine est une figure complexe, énigmatique et séduisante, qui a fortement inspiré les artistes. Les quatre Évangiles en parlent de manière non concordante, et on l’identifie très tôt à trois Marie différentes, Marie de Magdala, Marie de Béthanie, sœur de Marthe et Lazare, et la pécheresse anonyme du repas chez Simon. À ces trois figures s’en rajoutent deux autres, tirées de légendes chrétiennes, Marie L’Égyptienne, et la sainte populaire vénérée à la Sainte-Beaume après l’avoir été à Marseille. Sans compter les jeux de la Passion du xve siècle, qui rajoutent d’autres récits et significations, lesquels fourniront à leur tour images et récits.

7Isabelle Renaud-Chamska a choisi de ne pas choisir entre ces différentes figures de Marie-Madeleine, et nous les présente à travers sept étapes, ou plutôt sept « états ». Les premiers sont directement issus des récits évangéliques (Marie de Magdala devant le tombeau vide ; puis face au Ressuscité qu’elle prend pour le jardinier ; la femme pécheresse versant un parfum de grand prix sur les pieds – ou la tête – de Jésus ; enfin, l’une des Marie au pied de la croix), les autres émanant de développements de récits ou d’interprétations plus tardives (Marie-Madeleine première disciple et annonciatrice du Christ ; puis figure intérieure tendue entre érotisme et ascétisme, plaisirs de la chair et retrait hors du monde ; enfin personne réfléchissant – dans la solitude – aux vanités des plaisirs mondains en vue de la délivrance à l’heure de la mort).

8Ces fines analyses iconographiques et littéraires (R.-C. possède une double compétence, littéraire et artistique) combinent quatre sources : les récits bibliques eux-mêmes ; les récits littéraires issus de la liturgie, de méditations de théologiens ou des jeux de la Passion ; des tableaux de l’iconographie chrétienne ; enfin, des tableaux contemporains.

9L’abondance des récits et des sources, ainsi que l’extrême étendue des époques étudiées (ive au xxie s.) auraient pu créer une certaine confusion. Il n’en est rien. R.-C. écrit avec style, précision et méthode ; les nombreux tableaux en quadrichromie sont placés exactement là où les textes en parlent. Enfin, pour la présentation des œuvres contemporaines, elle a adopté un autre type de présentation qui convient mieux : d’abord un visuel de l’œuvre envisagée, puis un commentaire de l’artiste, enfin une explication de R.-C.

10On mesure à quel point cette figure intrigua et inspira l’Église et les artistes ; elle rivalisa même avec l’autre figure féminine, celle de Marie. Type exemplaire du croyant (de la croyante) à l’écoute du Christ, exemple moral montrant le péché et la voie de la délivrance, signe humain indiquant les lieux de la foi (la croix, le Christ ou son corps symbolique) ; ou, à l’inverse, figure séductrice et pécheresse, personne « mondaine » qui attire les sens et les concentre sur la beauté du corps féminin, « amante » du Christ. Ces images diverses et contradictoires sont à la fois produites et répercutées par l’iconographie de cette figure atypique. Elles sont autant d’indices qui peuvent à leur tour être interprétés de manière contradictoire, par le double sens, l’ironie ou la fantaisie.

11Dans ce jeu de relectures qui s’enrichissent les unes les autres, la rupture opérée par l’art contemporain est évidente : même quand il se réfère à une figure biblique et posséde une riche tradition iconographique, cet art n’est plus dans une stricte logique iconographique ; ce sont la nouveauté, l’écart, la surprise, le mélange des genres et des références qui priment, par rapport à une tradition d’interprétation qui se réfère d’abord aux textes et à leurs commentaires.

12À l’origine de cet ouvrage, une exposition remarquée sur « Marie-Madeleine contemporaine », présentée dans des espaces publics à Lille et à Toulon en 2004 et 2005 ; auparavant, trois colloques sur Marie-Madeleine ; enfin, une recherche personnelle de R.-C. qui a également à son actif une pratique importante dans la réception et la mise en valeur de l’art contemporain à l’intérieur et à la périphérie de l’Église catholique à Paris.

2 – Théologie de l’art et de l’image

Christopher Richard Joby, Calvinism and the Arts : A Re-Assessment, Louvain, Peeters, coll. « Studies in Philosophical Theology 38 », 2007. 24 cm. xiv-240 p. ISBN 978-90-429-1923-5. € 43

13Réévaluer le rapport de Calvin et du calvinisme aux arts visuels, voilà un ouvrage qui vient compléter les études précédentes sur ce sujet et confirmer, si besoin était, que l’esthétique est au cœur de la pensée théologique de Calvin. Cela, bien qu’il ait radicalement condamné les images (iconophobie). Celui qui voit une contradiction entre ces deux aspects connaît mal la (subtile) pensée du réformateur français. L’image que Calvin combat est avant tout l’image religieuse, sacrée, médiévale, qui prétend contenir une parcelle du divin, et/ou l’image médiatrice, calquée sur la pensée néoplatonicienne, qui part de la matière pour arriver à l’idée. Ni humaniste, ni philosophe, ni scolastique (bien qu’il vienne de ces traditions), Calvin pense Dieu à partir des seuls écrits bibliques. Mais la Révélation biblique, précisément, accueille la matière, l’humain, les sens. Épistémologiquement donc, Calvin pense bien le Dieu de la Révélation à l’intérieur d’un rapport subtil entre l’esprit et la matière. La beauté – et donc l’image qui la porte –, sans être médiatrice, constitue pourtant l’un de ces possibles traits d’union entre l’esprit et la matière, en même temps qu’elle est une caractéristique du divin.

14La matière (qu’elle soit image ou autre chose) ne peut nous révéler Dieu. Mais l’inverse est possible : Dieu se révèle à travers elle, utilise des aides ou accommodations qui le rendent présent aux humains, et qui sont au nombre de quatre : la création (que J. lie à la providence), le Christ, l’Écriture, les sacrements. Ce sont tous des « miroirs », qui nous renvoient à Dieu (la métaphore du miroir est omniprésente chez Calvin). L’image (non religieuse) est aussi l’une de ces aides, mais indirectement (de second rang pourrait-on dire). Elle est médiation de médiation. Elle n’est pas miroir mais « comme » un miroir. Par ces médiations, nous n’avons pas accès directement à Dieu, mais à ce qu’il nous dit de lui, à sa révélation par le moyen de sa Parole. Épistémologiquement, nous avons bien un accès à Dieu par des éléments visibles.

15Mais comment faire en sorte que, dans un tel schéma théologique, l’image ne soit pas survalorisée, médiatrice, et qu’elle ne redevienne finalement idole ? J. souligne un concept clé de la pensée calvinienne, celui d’expérience (p. 36-37) qui vient compléter la foi (donnée par Dieu) : la création artistique ne transmet pas la foi, mais l’expérience de son auteur (s’agit-il de son expérience artistique ou de son expérience religieuse, cela n’est pas très clair). Il insiste également sur la dimension eschatologique de la pensée du réformateur, laquelle situe l’image dans un ailleurs et un au-delà, encore invisibles, en une dialectique très paulinienne. Seulement dans les temps futurs l’humain sera pleinement image du Christ, et nous le verrons alors face-à-face sans l’aide d’un miroir.

16J. cite abondamment et très exactement Calvin, souvent à travers des textes latins peu connus. Deux lieux de la recherche calvinienne sur l’art ont attiré son attention : les « néocalvinistes » hollandais, et la recherche française (Wencélius, et les travaux du recenseur sur ce sujet).

17J. étudie les différentes mentions des œuvres d’art dans les écrits du réformateur qui – à la suite de Bucer et Zwingli – condamne certes les images dans les églises, mais reconnaît aussi que les arts sont don de Dieu, surtout les représentations historiques et les paysages. Il montre également les imprécisions et inexactitudes dans les définitions que Calvin propose des images : alors qu’il ne condamne que l’image sacrée, il la confond parfois avec l’image tout court, d’où les hésitations et confusions, reprises et élargies par et dans le calvinisme.

18Cette thèse d’un théologien néerlandais rédigée en anglais ne se limite pas à Calvin. Il aborde également une évaluation de l’art figuratif issu du calvinisme. On ne s’étonnera pas que ce soient les artistes néerlandais qui aient retenu son attention : Rembrandt (chap. 6) et Jacob van Ruisdael (chap. 7). Son étude d’une « esthétique calvinienne » s’étend à la musique dans ses relations avec le paysage (chap. 3) et avec l’architecture (chap. 4). On est étonné de l’absence d’un incontournable, surtout pour un néerlandais, Mondrian.

19Deux perplexités ou critiques : la conception de l’art de J. semble très classique. Il lie création artistique et beauté (lien que l’art contemporain remet en question), et reste attaché aux formes figuratives de l’art (sujets historiques et paysages). Par ailleurs, il ne met pas en doute le lien entre beauté et vérité, ni entre foi de l’artiste et œuvre d’art. Les acquis de la modernité – voire de la postmodernité – esthétique vont dans de tout autres directions. Si l’esthétique calviniste correspond à ce point à la représentation classique des personnages et des paysages, cela signifierait-il qu’elle n’est pas ouverte à l’art du xxe s. et des avant-gardes ? Nous ne le croyons pas. Par ailleurs, si la pensée esthétique de Calvin est de nature épistémologique, cela signifie qu’elle se situe au-delà des courants et des modes esthétiques, qu’elle les traverse et les englobe tous. Il y aurait donc là deux affirmations contradictoires, selon que l’on est dans la théologie ou dans la production artistique.

Reinhard Hoeps, éd., Handbuch der Bildtheologie. Band I : Bild-konflikte, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2007. 24,5 cm. 420 p. ISBN 978-3-506-75736-4. € 44,90

20Cet important volume broché constitue le premier tome d’une encyclopédie de la théologie de l’image. C’est dire la nouveauté et l’importance du projet conduit par R. Hoeps, professeur à la faculté de théologie catholique de l’Université de Munster en Westphalie, spécialiste des questions d’image. Quatre francophones (Boespfug, Christin, Spieser, Wirth) participent à ce projet éditorial, de fait franco-allemand.

21Le premier de ces quatre vol. est dédié aux « conflits d’images » à l’intérieur du christianisme. Selon une ligne déjà explorée par H. Schwebel (Die Kirche und das Christentum. Geschichte eines Konflikts), il s’agit de proposer une approche de l’art en christianisme à travers l’histoire des conflits autour des images. Les lieux de tension et de conflits ne manquent pas, depuis les origines jusqu’à l’époque contemporaine, même si la nature, le contexte et l’objet de ces conflits changent. Il faudrait d’ailleurs plutôt parler de tensions que de conflits, et même de tensions fécondes, car c’est souvent dans l’écart entre la nomination et la figuration que se révèle le sens créatif de l’œuvre figurée. L’ouvrage explore également les différentes relations possibles entre le représenté et l’objet, que celui-ci soit la nature, la divinité ou le Dieu du christianisme : les différences entre mimesis, re-présentation, figuration, artefact, imago, copie/modèle, révèlent ainsi non seulement des conceptions différentes de ce qu’on nomme – faute de mieux – « image », mais aussi des conceptions différentes du rapport de l’image au sacré/à Dieu.

22Contrairement à la conception orientale de l’image, les conflits autour des images dans le christianisme occidental participent de la richesse – mais aussi de l’ambiguïté – de la notion d’image dans ses rapports possibles au christianisme. D’où la nécessité non de les taire et de les minimiser, mais de les mettre en évidence puis de les expliquer. Non seulement l’image est une notion flottante, dont la définition est liée à des conceptions philosophiques et théologiques différentes, mais elle est également culturellement située (quel rapport entre l’image gréco-latine, l’image médiévale, l’image qui naît à la Renaissance et enfin la création visuelle contemporaine ? On pourrait dire aucun, mais en même temps il y a aussi des continuités derrière les ruptures). Il y eut aussi les oppositions (classiques) entre la pensée de l’image par les théologiens, la fabrication plastique des images par les artistes, et leur réception (très différente) à la fois dans des cercles cultivés, et dans la pratique populaire et dévotionnelle. Et comme si ces écarts n’étaient pas suffisants, s’ajoutent aussi les fractures confessionnelles, non seulement entre Orient et Occident, mais surtout entre catholicisme et Réforme, puis, plus récemment, entre christianisme et sécularisation. Cela fait beaucoup de niveaux de compréhension différents à mettre en évidence, puis à articuler entre eux.

23Cet ouvrage réussit le tour de force d’expliquer les problématiques sans tomber dans la seule visée pédagogique, et de proposer une vision panoramique et chronologique sans simplifier les problématiques.

24Cinq articles (Niehr, de Santis, Gniffke, Stock, Spieser) concernent l’Antiquité et l’Antiquité tardive, ce qui montre à quel point la naissance de l’image chrétienne est tributaire de la culture antique, sans laquelle le christianisme – à la fois dans sa pensée, dans ses écrits et dans ses images – n’aurait pu acquérir cette universalité nécessaire à son développement, à sa réception et à sa compréhension.

25Trois articles sont consacrés à l’image autour de la Réforme (WIrth, Lentes, Boespflug/Christin). On retiendra particulièrement celui de Lentes consacré au changement de statut de l’image – « Entre adiaphora et artefact » – à l’époque de la Réforme : les positions de Zwingli et de Bucer sont soigneusement présentées ; on découvre que, sur l’image, Calvin doit beaucoup à son aîné et compagnon strasbourgeois, Bucer.

26Quatre articles parlent du nouveau statut de l’art né avec le romantisme allemand, à la fois philosophiquement et esthétiquement (Scholtz, Franke, Hoppe-Sailer, Hoeps). On retiendra l’étude consacrée à la double compréhension de l’art dans la pensée à la fois philosophique et théologique de Schleiermacher. Enfin trois articles consacrés à l’époque contemporaine (Stock, Rauschenberger, Boespflug). Celui de Rauschenberger, qui dirige une galerie d’art contemporain « en contexte chrétien » à Graz en Autriche (www.minoritenkulturgraz.at) a le mérite de ne rien taire des énormes difficultés qu’il faut surmonter pour créer les conditions d’un début de dialogue entre artistes et christianisme aujourd’hui (tellement ce dialogue manqua, et fut jusqu’à très récemment rejeté par les artistes, las d’être incompris des milieux religieux).

27Traduit en français, cet ouvrage constituerait une utile source de documentation et de réflexion, et permettrait de préciser les termes, les débats, les objets et lieux de ce conflit constructif autour des images en relation avec le christianisme.

3 – Art contemporain et christianisme

Marie-Alain Couturier, Art et liberté spirituelle, Paris, Cerf, coll. « Bibliothèque du Cerf », 2008. 22,5 cm. 165 p. ISBN 978-2-204-08613-4. € 15

28Cette publication participe d’un projet en cours des éditions du Cerf, qui consiste à publier l’intégralité des notes et publications du père Couturier (1897-1954). Dominicain et artiste, il fut l’un des pionniers – peut-être le seul – d’un dialogue réussi entre le christianisme et l’art du xxe siècle, ainsi que le réalisateur de chefs-d’ œuvre de l’art contemporain que sont l’église du plateau d’Assy (décorée par Chagall, Rouault, Léger, Lurçat, Bazaine …) et celle de Vence, décorée par Matisse. Il fut aussi pendant de longues années le rédacteur de la revue L’Art Sacré, marquée par un esprit de créativité et de modernité unique dans le catholicisme préconciliaire.

29Cet ouvrage réimprime des textes et conférences du père Couturier, publiés en 1941 et réédités en 1945 (avec quelques ajouts), sous le titre « Art et catholicisme » ; la seconde partie de l’ouvrage est une « Chronique » (réflexions, billets, méditations) rédigée entre 1940-1945. Tous ces textes ont été écrits alors que le dominicain séjournait en Amérique du Nord (Québec et États-Unis d’Amérique).

30Deux types d’écrits assez différents, qu’il convient de recenser séparément.

31« Art et catholicisme » (p. 11-70) : on retiendra surtout de ces écrits un texte intitulé « La route royale de l’art » (p. 15-34), datant approximativement de 1935. Il constitue à mon sens une des plus belles réflexions chrétiennes contemporaines sur le statut de l’art par rapport à la question de Dieu. C. raisonne de manière très biblique, en des termes que Calvin – autre grand penseur de l’esthétique de Dieu – aurait pu approuver : la beauté est partout dans le monde, et elle relève de l’expérience humaine la plus fondamentale. Pourtant, elle ne peut conduire à Dieu ; elle ne peut ni être une preuve ni un chemin vers la foi. Le péché, le monde défiguré sont venus barrer toute relation directe entre Dieu et la beauté. À cela s’ajoute que les artistes modernes ont quitté les Églises qui ne les ont ni compris ni accueillis (C., en chrétien vraiment libre, n’hésite pas à critiquer vivement son Église). Reprenant et méditant un texte de Bergson, il invite les chrétiens à une attitude de détachement, de désintéressement, qui seule pourra leur permettre de retrouver des valeurs à la fois évangéliques, humaines et artistiques présentes dans la création contemporaine. C. ne le dit pas explicitement, mais pour lui, bien souvent, ceux qui ont gardé les valeurs évangéliques de pauvreté, vérité, force de témoignage sont les artistes plus que les chrétiens (et encore moins les représentants de l’institution ecclésiale). Sur les artistes, quelques très beaux témoignages comme celui-ci : « Un artiste qui regarde ou qui écoute, déjà n’est plus rien d’autre que ce regard, cette attention ; tout en lui est déjà offert, livré d’avance » (p. 24). Suivent deux autres textes invitant les chrétiens à découvrir la modernité de l’esthétique de Picasso, ainsi qu’une belle méditation sur l’art abstrait dont il invite d’abord à comprendre le langage esthétique, ensuite à découvrir les liens possible avec une spiritualité chrétienne qui ne doit pas se confondre avec les valeurs immédiates de ce monde. La liberté de pensée du dominicain se révèle encore quand il dénonce dans un autre texte la production commerciale et kitsch du marché du religieux catholique dans le Canada de cette époque.

32La partie « Chronique » (p. 73-145) propose des réflexions qui ne sont pas uniquement centrées sur l’art. Elles sont précieuses car elles nous offrent le regard d’un français et chrétien libre durant les années d’occupation. C. dénonce les compromissions de Vichy, jette des ponts pour un dialogue entre christianisme et marxisme, salue la libération pour la pensée chrétienne que constitue la séparation entre l’Église et l’État de 1905. Il s’intéresse à Gandhi. Il revient aussi sur la force de la peinture moderne française, signe d’espoir dans un monde en train de s’écrouler. Ces multiples réflexions sont en outre portées par une pensée christologique qui, sans s’affirmer trop explicitement, est partout présente : entre la personne et les paroles du Christ, adressées prioritairement aux petits et aux humbles, et la peinture contemporaine, faite de traces et de signes, il y a de profondes et durables analogies. Mais toute réflexion théologique sur l’art doit partir du langage propre de celui-ci, de la réception de la matière, des formes et des couleurs. La réflexion – à plus forte raison la théologie – ne vient qu’ensuite.

Marie-Alain Couturier, Se garder libre. Journal (1947-1954), Paris, Cerf, coll. « Bibliothèque du Cerf », 2008. 22,5 cm. 170 p. ISBN 978-2-204-08614-1. € 15

33Cette seconde publication du père Couturier propose des notes éparses occupant deux cahiers d’écolier et concernant la période de l’immédiat après-guerre (1947-1954), justement celle où il réalisa l’ambitieux et novateur programme iconographique des églises du plateau d’Assy et de Vence, avec l’aide des plus grands artistes de l’époque. L’intérêt de ce journal, parfois rédigé en style télégraphique – est multiple.

34D’abord, ses notes sur ses entretiens avec Matisse (avec lequel il était très lié), mais aussi avec d’autres grands artistes de son époque : Braque, Picasso, Rouault, Le Corbusier. Certes, ce ne sont que des bribes de conversation, mais elles nous montrent que ces créateurs dont certains, comme Picasso, étaient fort éloignés du christianisme, dialoguaient dans un climat de confiance et de passion mutuelle pour le langage de l’art avec un père dominicain. Matisse : « Si je crois en Dieu ? Oui, quand je travaille, quand je suis soumis et modeste » (p. 63).

35Ensuite, des réflexions sur l’art contemporain, et plus largement sur la création artistique. C. insiste sur le lien entre création en individu, tout en soulignant qu’une création véritable ne se réduit pas à une simple expression subjective : « Braque me disait que le tableau est bon quand il s’est fait contre l’artiste » (p. 58). Le véritable sujet de la peinture, c’est la forme et la couleur, non le sujet lui-même : « Un tableau est un objet délicieux, délectable, à regarder, à toucher, par sa matière même » (p. 62). C. nous donne ainsi des clés pour recevoir en vérité l’art non figuratif, pour lui supérieur à la représentation : « Toute œuvre d’art doit d’abord être évidemment étrangère au monde naturel » (p. 100).

36Il esquisse aussi les liens ou analogies possibles entre l’expérience artistique et l’expérience religieuse : « La création portée à son maximum de pouvoir rédempteur par l’Incarnation de Dieu en elle » (p. 94) ; la notion (très large et ouverte pour C.) de « sacré » ou « d’art sacré » (il en donne une définition proche de celle d’A. Malraux). L’expérience artistique, dans son authenticité même, rejoint celle de la foi ou plutôt, de la grâce.

37Enfin, C. nous livre des réflexions sur la foi et le christianisme, une foi fondée sur la méditation des Écritures, une expérience de la grâce, ainsi que sur une ouverture totale à l’autre dans sa propre quête de vérité, fut-elle celle du communisme. La critique du catholicisme n’est pas absente : « Tant de catholiques sont enfermés dans leur foi […]. Tout cela n’a aucun rapport avec l’Évangile » (p. 90). Ou encore : « Les incroyants ne croient pas, parce que nous qui croyons, nous vivons comme si nous ne croyions pas » (p. 132).

38Il faut parfois faire un effort, car ces notes, très personnelles, n’étaient pas destinées à être publiées. Un tri s’impose. Mais fréquemment jaillissent des jugements – sur l’art, la vie et la foi – qui vont bien au-delà de leur contexte d’origine.

4 – Médias et spiritualité

Michèle Debidour, Le cinéma, invitation à la spiritualité, Paris, éd. de l’Atelier, 2007. 22 cm. 156 p. ISBN 978-2-7082-3921-0. € 17,90

39Le cinéma est à la fois l’un des médias visuels les plus populaires, et celui qui véhicule le plus de spiritualités. Mais quelles spiritualités et qu’est-ce que la spiritualité ? L’un des points forts de cet ouvrage est qu’il part du média lui-même, de ses techniques, de ses spécificités, pour explorer une quarantaine de films récents dans leur rapport avec la spiritualité. Une soixantaine d’autres films sont évoqués, ce qui est un choix non négligeable. On pourrait définir trois niveaux de spiritualité au cinéma. (1) Une spiritualité liée au pouvoir évocateur du film lui-même, dans sa construction, le choix des images et des plans. Le film n’a en soi rien de religieux, mais les images autant que le scénario renvoient à plus qu’eux-mêmes, ont une densité métaphorique ou symbolique particulière. (2) Une spiritualité « religieuse » qui renvoie soit à des grandes religions (judaïsme, bouddhisme, islam) et pas simplement au christianisme, soit à des idéaux (politiques, militants) proches de ce qui est vécu religieusement, soit à des grands symboles (arbres, croix, eau, feu, terre, nature …) qui sont religieux dans la mesure où ils sont à la fois universels et archétypaux. (3) Enfin, un religieux plus spécifiquement chrétien, qui s’exprime dans le choix du thème et des références bibliques (films sur Jésus, Moïse), des personnages de l’histoire chrétienne, connus (François d’Assise, sainte Thérèse, Jeanne d’Arc) ou anonymes (un curé de campagne, une sœur ou un frère d’une congrégation, une communauté pieuse, un pasteur, un simple croyant). La pratique religieuse peut être montrée de manière caricaturale et humoriste, ou objective et documentaire, ou parodique et dénonciatrice.

40D. en vient à classer les films à dimension religieuse sous trois catégorie : l’implicite, l’explicite et le paradoxal. Par paradoxal, elle entend en fait « ambivalent », quand le film montre à la fois des figures qui ont une densité religieuse bien que profanes et des communautés, certes religieuses, mais qui montrent surtout les dérives idéologiques intégristes de communautés fermées sur elles-mêmes, refusant les acquis de la modernité : Jésus de Montréal (1989) de Denis Arcand, et Le festin de Babette (1986) de Gabriel Axel, montrent bien le paradoxe.

41Plutôt que de présenter les films en une succession chronologique ou alphabétique, D. les a insérés dans des thématiques diverses, qui constituent autant de chapitres : le « double sens » de l’image cinématographique (chap.1) ; l’image au cœur de la vie (chap. 2) ; vérités et mensonges de l’image (chap. 3) ; le cinéma, lieu du symbolique (chap. 4) ; la narration comme expression spirituelle (chap. 5) ; la spiritualité du quotidien (chap. 6) ; au service de cultures et expressions religieuses non occidentales (chap. 7) ; figures de croyants (chap. 8) ; la spiritualité chrétienne (chap. 9) ; la quête mystique d’Andreï Tarkovsky (chap. 10).

42Certains films sont plus longuement étudiés, de manière fine et nuancée. D. ne tombe ainsi pas dans le piège de faire de Breaking the waves (1996) de Lars von Trier un film chrétien (p. 63-72), s’attarde sur Conte d’hiver (1992) d’Éric Rohmer (p. 108-112), et décrypte les différents symbolismes populaires et pourquoi pas chrétiens du Fabuleux destin d’Amélie Poulain (2000) de Jean-Pierre Jeunet (p. 75-77 et 80-85). Un livre équilibré, pédagogique et documenté.

43Jérôme Cottin

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