Notes
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[*]
Élian Cuvillier est professeur de Nouveau Testament à L’Institut Protestant de Théologie, Faculté de Montpellier.
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[1]
Ce texte est la version rédigée d’une conférence (main paper) donnée en français à Lund, en juillet 2008, lors du congrès de la SNTS (Studiorum Novi Testamenti Societas). Il a été publié dans la revue New Testament Studies sous le titre « Torah Observance and Radicalization in the First Gospel. Matthew and First-Century Judaism : A Contribution to the Debate », trad. Mireille Hébert, NTS 55/2, 2009, p. 144-159.
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[2]
Béda Rigaux, Témoignage de l’Évangile de Matthieu, Bruges, Desclée de Brouwer, 1967, p. 40.
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[3]
Sur ce thème, la littérature est abondante ; cf. par exemple Ulrich Luz, « Le problème historique et théologique de l’anti-judaïsme dans l’Évangile de Matthieu » in Daniel Marguerat, éd., Le déchirement. Juifs et chrétiens au premier siècle, Genève, Labor et Fides, 1996, p. 127-150 ; également Élian Cuvillier, « Matthieu et le judaïsme : chronique d’une rupture annoncée », Foi et Vie 92, 1993, p. 41-54.
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[4]
Mt 9, 9-17 ; 12, 1-14 ; 12, 22-32 ; 12, 38-42 ; 15, 1-20 ; 16, 1-4 ; 19, 1-9 ; 21, 23-27 ; 22, 15-22 ; 22, 23-33 ; 22, 41-45.
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[5]
Par exemple, Mt 13, 14-15 ; 15, 8-9 ; 23, 38 ; 27, 9-10.
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[6]
Par exemple, 27, 24-25 ou 28, 11-15.
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[7]
Voir un bon état de la question chez Warren Carter, « Matthew’s Gospel : Jewish Christianity, Christian Judaism, or Neither ? » in Matt Jackson-McCabe, Jewish Christianity Reconsidered. Rethinking Ancient Groups and Texts, Minneapolis, Fortress Press, 2007, p. 155-179. L’auteur défend l’appartenance de Matthieu au judaïsme, à la suite d’Anthony J. Saldarini, Matthew’s Christian-Jewish Community, Chicago, University of Chicago, 1994 et J. Andrew Overman, Church and Community in Crisis. The Gospel According to Matthew, Valley Forge, Trinity Press International, 1996. Position plus classique chez Ulrich Luz, « L’évangéliste Matthieu : un judéo-chrétien à la croisée des chemins », in Daniel Marguerat, Jean Zumstein, éd., La mémoire et le temps. Mélanges offerts à Pierre Bonnard, Genève, Labor et Fides, 1991, p. 77-92 ; Graham N. Stanton, A Gospel for a New People. Studies in Matthew, Édimbourg, T & T Clark, 1992 ; Donald A. Hagner, « Matthew : Apostate, Reformer, Revolutionary ? », NTS 49, 2003, p. 193-209. La tension repérable chez Matthieu entre particularisme et universalisme est étroitement liée à cette question ; sur ce thème voir Élian Cuvillier, « Particularisme et universalisme chez Matthieu : quelques hypothèses à l’épreuve du texte », Biblica 78, 1997, p. 481-502 ; également « Mission vers Israël ou mission vers les païens ? À propos d’une tension féconde dans le premier Évangile », in André Wénin, Camille Focant, éd., Analyse narrative et Bible. Deuxième colloque international du RRENAB, Louvain-La-Neuve, avril 2004, Louvain, University Press, 2005, p. 251-258 (deux contributions reprises in Élian Cuvillier, Naissance et enfance d’un Dieu. Jésus-Christ dans l’Évangile de Matthieu, Paris, Bayard, 2005, p. 165-178).
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[8]
Parmi l’abondante littérature publiée sur le sujet, outre évidemment les commentaires du premier Évangile, voir Gerhard Barth, « Das Gesetzesverständnis des Evangelisten Matthaüs » in Günther Bornkamm, Gerhard Barth, Heinz Joachim Held, éd, Überlieferung und Auslegung im Matthäusevangelium, Neukirchen, Neukirchener Verlag, 1960, p. 54-154 (traduction anglaise : « Matthew’s Understanding of the Law » in Tradition and Interpretation in Matthew, Londres, SCM Press, 19832, p. 58-164) ; Eduard Schweizer, « Mt 5, 17-20. Anmerkungen zum Gesetzverständnis des Matthaüs », in Neotestamentica, Zurich, Zwingli, 1963, p. 399-406 ; du même, « Noch einmal Mt 5, 17-20 », in Matthaüs und seine Gemeinde, Stuttgart, KBW, 1974, p. 75-85 ; Georg Strecker, Der Weg der Gerechtigkeit. Untersuchun zur Theologie des Matthäus, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 19662, p. 143-154 ; Bruno Corsani, « La posizione di Gesù di fronte alla legge seconde il Vangelo di Matteo e l’interpretazione di Mt 5, 17-20 », Ricerche Bibliche e Religiose 3, 1968, p. 193-230 ; Robert G. Hamerton-Kelly, « Attitudes to the Law in Matthew’s Gospel : a Discussion of Matthew 5 :18 », Biblical Research 17, 1972, p. 19-32 ; Robert Banks, « Matthew’s Understanding of the Law : Authenticity and Interpretation in Matthew 5 :17-20 », JBL 93, 1974, p. 226-242 ; du même, Jesus and the Law in the Synoptic Tradition, Cambridge, University Press, 1975, p. 204-226 ; John P. Meier, « Law and History in Matthew’s Gospel :ARedactional Study of Matt. 5 :17-48 », Rome, Biblical Institute Press, 1976 ; Jean Zumstein, La condition du croyant dans l’Évangile selon Matthieu, Fribourg/Göttingen, Éditions Universitaires/Vandenhoeck & Ruprecht, 1977, p. 107-127 ; du même, « Loi et Évangile dans le témoignage de Matthieu », in Miettes exégétiques, Genève, Labor et Fides, 1992, p. 131-150 ; Léopold Sabourin, « Mathieu 5, 17-20 et le rôle prophétique de la Loi (cf. Mt 11, 13) », Science et Esprit 30, 1978, p. 303-311 ; Ulrich Luz, « Die Erfüllung des Gesetzes bei Matthäus (Mt 5 :17-20) », ZThK 75, 1978, p. 398-435 ; David Wenham, « Jesus and the Law : An Exegesis on Matthew 5 :17-20 », Themelios 4, 1979, p. 92-96 ; N. J. Mc Eleney, « The Principles of the Sermon on the Mount », CBQ 41, 1979, p. 552-570 ; Daniel Marguerat, Le jugement dans l’Évangile de Matthieu, Genève, Labor et Fides, 19811, 19952, p. 110-141 ; du même, « “Pas un iota ne passera de la Loi …” (Mt 5, 18). La Loi dans l’Évangile de Matthieu », in Camille Focant, éd., La Loi dans l’un et l’autre Testament, Paris, Cerf, 1997, p. 140-174 ; Hans Dieter Betz, « Die hermeneutischen Prinzipen in der Bergpredigt (Mt 5 :17-20) » in Synoptischen Studien, Tübingen, Mohr, 1992, p. 111-126 (original publié en 1982 ; traduction anglaise : « The Hermeneutical Principles of the Sermon on the Mount » in Essays on the Sermon on theMount, Philadelphie, Fortress Press, 1985, p. 37-54) ; du même, The Sermon on the Mount. A Commentary on the Sermon on the Mount, including the Sermon on the Plain (Matthew 5 :3-7 :27 and Luke 6 :20-49), Minneapolis, Fortress Press, 1995, p. 166-197 ; Paul Beauchamp, « L’Évangile de Matthieu et l’héritage d’Israël », RSR 76, 1988, p. 5-38 ; François Vouga, Jésus et la Loi selon la tradition synoptique, Genève, Labor et Fides, 1988, p. 189-301 ; également François Vouga, Martin Stiewe, Le Sermon sur la montagne. Un abrégé de l’Évangile dans le miroitement de ses interprétations, Genève, Labor et Fides, 2002, en particulier p. 59-71 ; Marcel Dumais, Le Sermon sur la montagne. État de la recherche. Interprétation. Bibliographie, Paris, Letouzey et Ané, 1995, en particulier p. 171-180 : « L’accomplissement de la Loi (Mt 5, 17-20) » ; R. Klyne Snodgrass, « Matthew and the Law », in David R. Bauer, Mark Allan Powell, éd., Treasures New and Old. Recent Contributions to Matthean Studies, Atlanta, Scholars Press, 1996, p. 99-127 ; Donald A. Hagner, « Balancing the Old and the New. The Law of Moses in Matthew and Paul », Interpretation 51, 1997, p. 20-30 ; Élian Cuvillier, « La Loi comme réalité avant-dernière : Mt 5, 17-20 et son déploiement narratif dans l’Évangile de Matthieu », in Yvan Bourquin, Emmanuelle Steffek, éd., Raconter, interpréter, annoncer. Parcours de Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 2003, p. 81-91 ; Paul Foster, Community, Law and Mission in Matthew’s Gospel, Tübingen, Mohr, 2004 ; Roland Deines, Die Gerechtigkeit der Tora im Reich des Messias. Mt 5 :13-20 als Schlüsseltext der mat thäischen Theologie, Tübingen, Mohr, 2004 ; Camille Focant, « “D’une montagne à l’autre” L’accomplissement de la loi et des prophètes dans le Sermon sur la montagne » in L’unité de l’un et l’autre Testament dans l’œuvre de Paul Beauchamp, Paris, Éditions des Facultés jésuites de Paris, 2005, p. 119-140 ;Wolfgang Reinbold, « Das Matthäusevangelium, die Pharisäer und die Tora », BZ 50, 2006, p. 51-73 ; Matthias Konradt, « Die vollkommene Erfüllung der Tora und der Konflikt mit den Pharisäern im Matthäusevangelium », in Dieter Sänger,Matthias Konradt, éd., Das Gesetz im frühen Judentum und im Neuen Testament. Festschrift für Christoph Burchard zum 75. Geburtstag, Göttingen/Fribourg, Vandenhoeck & Ruprecht/Academic Press, 2006, p. 129-152. Bonne synthèse de la question chez Graham N. Stanton, « The Origin and Purpose of Matthew’s Gospel : Matthean Scholarship from 1945-1980 », in ANRW II. 25.4, 1985, p. 1889-1951 ; Donald Senior, What Are They Saying about Matthew ? A Revised and Expanded Edition, Mahwah, Paulist Press, 1996, p. 62-73 ; bibliographie plus complète (jusqu’à 1992) chez Marcel Dumais, Le Sermon sur la montagne, op. cit., p. 171-173.
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[9]
On rappellera ici l’ouvrage désormais classique d’Ed Parish Sanders, Paul and Palestinian Judaism, Philadelphie, Fortress Press, 1977 (traduction allemande : Paulus und das palästinische Judentum. Ein Vergleich zweier Religionsstrukturen, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1985). Les thèses de Sanders sont aujourd’hui largement discutées et on souligne en particulier que le covenantal nomism ne peut rendre compte de la diversité des courants du judaïsme du premier siècle ; cf. Charles L. Quarles, « The Soteriology of R. Akiba and E. P. Sanders’ Paul and Palestinian Judaism », NTS 42, 1996, p. 185-195 ; Donald A. Carson, Peter Thomas O’Brien, Mark A. Seifrid, éd., Justification and Variegated Nomism. Volume I : The Complexities of Second Temple Judaism, Tübingen, Mohr, 2001 ; également Devora Steinmetz, « Justification by Deed. The Conclusion of the Sanhedrin-Makkot and Paul’s Rejection of Law », Hebrew Union College Annual 76, 2005, p. 133-187 (sur Sanders, cf. p. 173-175). De manière plus large, sur la Loi dans le judaïsme du second Temple, cf. Albert-Marie Denis, « La place de la loi de Moïse à Qumrân et dans le judaïsme du deuxième Temple », in Jan Zdzislaw Kapera, éd., Papers on the Dead Sea Scrolls offered in Memory of Jean Carmignac. Part II : The Teacher of Righteousness. Literary Studies, Cracovie, Enigma Press, 1991, p. 149-175 ; Hermann Lichtenberger, « Das Tora-Verständnis im Judentum zur Zeit des Paulus. Eine Skizze », in James D. G. Dunn, éd., Paul and the Mosaic Law, Tübingen, Mohr, 1996, p. 7-23 ; Heinrich Hoffmann, Das Gesetz in der frühjüdischen Apokalyptik, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1999 ; Shannon Burkes, « “Life” Redefined : Wisdom and Law in Fourth Ezra and Second Baruch », CBQ 63, 2001, p. 55-71.
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[10]
Je ne m’interroge donc pas ici sur la pertinence historique de la présentation, par Matthieu, de la compréhension pharisienne de la Loi : un débat controversé qui dépasse le cadre de cet exposé.
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[11]
Je choisis d’interpréter le texte tel qu’il se présente dans sa rédaction finale. Du point de vue des traditions utilisées par Matthieu et de son activité rédactionnelle, je renvoie à la thèse de John P. Meier, « Law and History in Matthew’s Gospel », op. cit. De façon générale, on considère que Matthieu aurait retouché les versets 18-19 traditionnels, rédigé le v. 17 et composé entièrement le v. 20. Ce consensus est évidemment l’objet de multiples discussions dans le détail.
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[12]
Dans la suite de la narration, trois autres déclarations de Jésus introduites par êlthon soulignent chaque fois un aspect important de la réflexion matthéenne sur l’ œuvre du Messie. Outre 5, 17, où Jésus accomplit la Loi, cf. 9, 13 : Jésus appelle les pécheurs ; 10, 34 : Jésus est source de division entre les hommes ; 20, 18 : Jésus est serviteur. Selon Jean Zumstein, La condition du croyant, op. cit., p. 117, « les paroles en êlthon décrivent […] de manière rétrospective et synthétique le sens de la mission du Christ ».
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[13]
Selon l’expression de Daniel Marguerat, « “Pas un iota” », p. 146, Jésus est le « didascale eschatologique ».
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[14]
Camille Focant, « Eschatologie et questionnement éthique dans l’Évangile de Matthieu » in Olivier Artus, éd., Eschatologie et morale, Paris, Desclée, 2009, p. 99-138, fait remarquer avec pertinence que les disciples, eux, sont « invités à produire (poiein) du fruit (3, 8.10 ; 21, 43), à pratiquer (poiein) les commandements (5, 19), leur justice (6, 1) ou la volonté de Dieu (7, 21 ; 12, 50 ; voir aussi 7, 12.24.26 ; 23, 3 ; 24, 40.45), à chercher (zètein) la justice du Royaume (6, 33) et enfin à garder (tèrein) les commandements (19, 17 ; 23, 3) ou tout ce que Jésus a prescrit (28,20) » (cf. p. 115-116).
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[15]
Je synthétise ainsi un débat plus complexe. Sur les différentes façon d’interpréter le verbe (9 au total !), voir William D. Davies, Dale C. Allison, The Gospel according to Saint Matthew, I-VII, Édimbourg, T&T Clark, 1988, p. 485-486.
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[16]
Sur ce thème, cf. Jean Miler, Les citations d’accomplissement dans l’Évangile de Matthieu. Quand Dieu se rend présent en toute humanité, Rome, Editrice Pontificio Istituto Biblico, 1999.
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[17]
On retrouve l’expression « la Loi et les prophètes » en Mt 7, 12 faisant ainsi une grande inclusion avec 5, 17. L’ensemble du Sermon sur la montagne est donc bien une illustration de la façon dont le Jésus matthéenn les accomplit. Et cet accomplissement, on va le voir, dépasse la simple obéissance légale.
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[18]
Dans le même sens, voir Marcel Dumais, Le Sermon sur la montagne, op. cit., p. 175 : « Jésus est venu accomplir l’Écriture, cela veut dire qu’il la porte à son achèvement, à sa perfection, à la signification complète ; il la réalise, non pas en “exécutant” ses demandes telles quelles, mais en la dépassant, en lui faisant porter un sens nouveau » ; Camille Focant, « “D’une montagne à l’autre” », p. 139 : « Jésus ne se présente ni comme un transgresseur de la loi dans son action concrète, ni comme un strict observant toujours prêt à étendre le champ de la loi. Son interprétation de la Torah d’Israël ne vise certes pas à l’annuler. Il veut plutôt la conduire à sa plénitude » ; également Jean Zumstein, La condition du croyant, p. 119-120 ; John P. Meier, « Law and History in Matthew’s Gospel », op. cit., p. 224-226 ; William D. Davies, Dale C. Allison, Matthew, I-VII, op. cit., p. 486-487. Position inverse, Jésus « accomplit » la Loi en obéissant à ses commandements, voir Hans Dieter Betz, The Sermon on the Mount, op. cit., p. 179 : le verbe plêroô « describe[s] a process of legal interprétation ».
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[19]
Cf. Baruch 4, 1 : « La sagesse c’est le livre des commandements de Dieu, c’est la loi qui existe pour toujours (ho nomos ho huparchôn ein ton aiôna) ; tous ceux qui s’attachent à elle iront à la vie, mais ceux qui l’abandonnent mourront » ; Sagesse 18, 4 : « La lumière incorruptible de la loi, aftharton nomou » ; 2 Baruch 77, 15 : « Même si nous passons la loi demeure » ; LAB 11, 2 : « La loi éternelle » ; Contre Apion 2, 277 : « Même si on nous prend notre richesse, notre pays et tout ce que nous avons de bon, la Loi reste immortelle (ho nomos hêmin athanatos diamenei) » ; IV Esd 9, 36-37 : « Nous qui avons reçu la Loi, nous devons périr à cause de nos péchés ainsi que notre cœur où elle avait été déposée. La Loi, elle, ne périt pas mais demeure dans sa gloire. »
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[20]
Marcel Dumais, Le Sermon sur la montagne, op. cit., p. 177. Dans le même sens, voir Hans Dieter Betz, The Sermon on the Mount, op. cit., p. 183 : « The authority of scripture is temporally limited. »
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[21]
Ulrich Luz, Matthew 1-7, Minneapolis, Fortress Press, 2007, p. 218.
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[22]
John P. Meier, « Law and History in Matthew’s Gospel », op. cit., p. 164 ; Jean Zumstein, La condition du croyant, op. cit., p. 121.
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[23]
Jean Zumstein, La condition du croyant, op. cit., p. 122 ; Daniel Marguerat, Le jugement dans l’Évangile de Matthieu, op. cit., p. 130.
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[24]
John P. Meier, « Law and History in Matthew’s Gospel », op. cit., p. 61-65 ; Robert Banks, Jesus and the Law in the Synoptic Tradition, op. cit., p. 213-218.
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[25]
William D. Davies, Dale C. Allison, Matthew, I-VII, op. cit., p. 495.
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[26]
L’ensemble constitué par Mt 24, 34-35 est d’ailleurs proche, tant au niveau du vocabulaire que de la structure de la phrase, de Mt 5, 18. Un tableau synoptique permet de le visualiser très clairement.
Peut-être est-ce l’indice d’une réécriture matthéenne de 5, 18 (//Lc 16, 17) sur le modèle de Mt 24, 34-35 (//Mc 13, 30-31). Notons par ailleurs qu’en 24, 34, Matthieu remplace le mechris de Mc 13, 30 par heôs an. -
[27]
« Il n’y a que Moïse dont la constitution ferme, inébranlable, immuable, scellée comme par le sceau de la nature elle-même, reste solidement plantée, depuis le jour de sa rédaction jusqu’à maintenant, et nous espérons qu’elle subsistera dans tout l’avenir comme si elle était immortelle, tant que le soleil, la lune, l’ensemble du ciel et l’univers existeront hôsper athanata heôs an hêlios kai selênê kai ho sumpas ouranos te kai kosmos hê » (De Vita Mosis, II, 14).
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[28]
Surprenante ici la position d’Ulrich Luz, Matthew 21-28,Minneapolis, Fortress Press, 2005, p. 208 : « Many readers probably will also have seen here a (perhaps intentional) reference back to 5 :18. As in the case with the words of the Torah, Jesus’ words […] are eternally valid. » Et, note 15 : « Since “until heaven and earth pass away” most likely means “never” […], we hardly have here the case that the words of Jesus surpass the Torah. » Par contraste, cf. le commentaire sur Mt 24, 35 de William D. Davies, Dale C. Allison, Matthew, XIX-XXVIII, Édimbourg, T & T Clark, 1997, p. 368 : « That the world will pass away – already stated in 5 :18 […] – was common conviction […] and ours is not the only text to contrast the passing of heaven and earth with something of greater endurance (cf. Isa. 51 :6). But here that something is Jesus’ speech, which therefore sets him above Torah […] and makes his words like God’s words (cf. Ps. 119 :89 ; Isa. 40 :8) : they possess eternal authority. » Dans le même sens, cf. David C. SIM, « The Meaning of palingenesia in Matthew 19 :28 », JSNT 50, 1993, p. 3-12 : « If we take together Matt. 24 :35 and 5 :18, and the similarity in wording suggests that we should, then the Evangelist makes the overall point while the Law is not eternal, the words of Jesus are. One set of teachings will survive the eschatological destruction of the cosmos and the other will not » (p. 9) ; p. 8-9, note 12, Sim signale que Luz a d’abord défendu l’opinion selon laquelle Mt 5, 18 signifie que la Loi demeure valide jusqu’à la fin du monde (cf. « Die Erfüllung der Gesetzes bei Matthäus », op. cit., p. 417-418). Il ajoute : « Luz has since rejected this exegesis and now holds the alternative view that the passing of heaven and earth is a roundabout way of saying “never” ; the law thus remains valid forever […]. This understanding of the expression runs against its normal apocalyptic meaning in Matthew’s day […] and makes nonsense of the contrast in 24 :35. »
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[29]
Au plan formel, le verset est une formule de droit sacré de type casuistique (Hans Dieter Betz, The Sermon on the Mount, op. cit., p. 184).
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[30]
Cette idée se retrouve dans la littérature rabbinique où on distingue entre commandements « légers » (gallîn) et commandements « lourds » (hamarîn) et où on identifie des rangs dans le Royaume correspondant au degré d’obéissance (cf. Hermann L. Strack, Paul Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch, 2 unveränderte Auflage, Munich, Beck, 1954-1956 [6 vol.], vol. 1, p. 249-250).
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[31]
« En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. »
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[32]
« Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »
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[33]
Hans Dieter Betz, The Sermon on the Mount, op. cit., p. 186-187 ; Marcel Dumais, Le Sermon sur la montagne, op. cit., p. 178-180.
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[34]
William D. Davies, Dale C. Allison, Matthew, I-VII, op. cit., p. 496.
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[35]
Que cette justice soit désignée comme étant celle des disciples (« votre justice », cf. également 6, 1) n’est pas contradictoire avec le fait que la dikaiosunê désigne ce que le Jésus matthéen est venu accomplir. À cause de Mt 3, 15 il apparaît en effet que, pour Matthieu, la « justice supérieure » trouve son origine dans la pratique de Jésus. Un débat tout différent est celui qui consiste à se demander si cette justice exigée des disciples est un don que Dieu leur octroie, ce que contestent la plupart des exégètes.
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[36]
Une tension que, de l’avis d’Ulrich Luz (Matthew 1-7, p. 270), Matthieu « does not sense » et que sa communauté « were not able to see ».
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[37]
Que l’obéissance à la Loi soit, pour Matthieu, la garantie du vivre ensemble des hommes entre eux est attesté, en creux, lorsque Jésus affirme plus loin dans la narration : « Et à cause de l’augmentation de l’impiété (tên anomian) l’amour du plus grand nombre se refroidira » (Mt 24, 12).
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[38]
On est proche de ce que Paul Ricœur (Lectures III. Aux frontières de la philosophie, Paris, Seuil, 1994, voir en particulier p. 277 sqq.) appelle l’éthique de la « surabondance » et qui est pour lui « supra-éthique » ou encore « méta-éthique », c’est-à-dire au-delà de l’éthique. D’un côté, en effet, il y a une éthique qui est proche de ce qu’on pourrait appeler la morale commune, celle de la Loi. Cette morale est régulée par la Règle d’or (Mt 7, 12), c’est-à-dire par la considération de l’autre comme un autre soi-même. D’un autre côté, il y a une éthique qui est toujours singulière, qu’on pourrait appeler une éthique du sujet, et qui suspend la logique de la réciprocité pour faire place à un autre principe que Ricœur appelle la logique de surabondance, qui est le don pour le don dans une sorte de traversée de l’éthique. Pour Ricœur, c’est le cas par exemple de l’amour des ennemis (Mt 5, 44) qui jamais ne peut être normé par l’éthique, mais qui peut seulement être une suspension de l’éthique en vertu d’un excès ou d’une surabondance. Autrement dit, l’amour des ennemis ne peut jamais devenir la loi commune, mais seulement une possibilité pour le sujet de rompre avec la logique de réciprocité pour faire place à une autre logique. Pour Ricœur, il n’est donc pas question de choisir, ni de confondre les deux registres – éthique et supra-éthique –, mais de les articuler, de les maintenir en tension dialectique sans jamais laisser cette tension se résoudre. Dans un sens similaire, cf. Jean-Daniel Causse, « Le Sermon sur la montagne : critique freudienne et redéploiement éthique », Revue d’éthique et de théologie morale, 250, 2008, p. 9-21, cf. p. 21 : « On se tromperait à […] lire [le Sermon sur la montagne] comme un nouveau code moral, même une morale plus haute ou supérieure, faisant appel au surpassement de soi-même. La performativité du récit, pour parler le langage de la pragmatique de la communication, réside dans la naissance d’une subjectivité qui donne forme à un être et à un agir. »
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[39]
L’utilisation du langage hyperbolique indique que la parole du Jésus matthéen ne vise pas la description précise d’une pratique, sauf à rendre l’excès raisonnable et ainsi ramener la justice supérieure (5, 20) à l’obéissance à la lettre d’un commandement qui serait désormais celui du Messie. Comme le note Camille Focant, « Eschatologie et questionnement éthique dans l’Évangile de Matthieu », op. cit., p. 117, la tendance à la radicalisation « est certes à l’œuvre dans les divers courants du bas-judaïsme. Toutefois, la radicalisation juive de la Loi à cette époque est plutôt quantitative et elle se développe de manière extensive dans la halakah, tandis que celle du Jésus de Matthieu s’éloigne de la casuistique et est plutôt qualitative ». Sur le sujet, cf. Herbert Braun, Spätjüdisch-häretischer une frühchristlicher Radikalismus. Jesus von Nazareth und die essenische Qumransekte, Tübingen, Mohr, 19692 ; également Gerd Theissen, Le mouvement de Jésus. Histoire sociale d’une révolution des valeurs, Paris, Cerf, 2006.
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[40]
Certes, il est à noter que Matthieu, en conformité avec 5, 31-32, met une limite à sa radicalisation : c’est le cas de porneia (19, 9). Cependant, le Jésus matthéen n’en rompt pas moins avec la règle plus libérale de Moïse. Dale C. Allison, « Divorce, Celibacy and Joseph », JSNT 49, 1993, p. 3-10, a d’ailleurs interprété cette double restriction en lien avec la figure de Joseph le « juste » choisissant de répudier Marie qu’il soupçonne d’adultère (Mt 1, 18-25).
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[41]
Dans le même sens, voir Warren Carter, Households and Discipleship. A Study ofMatthew 19-20, Sheffield, Academic Press, 1994, p. 63 : « Against a patriarchal understanding of marriage concerned with what a man may do to end the marriage, Jesus asserts the original divine purpose for marriage of unity and permanence. » Plus loin, p. 71, il ajoute que Jésus restreint « the use of male power ».
-
[42]
Toute différente, l’opinion de William D. Davies, Dale C. Allison, Matthew, XIX-XXVIII, op. cit., p. 62-63. Après avoir souligné les nombreux parallèles entre la péricope du jeune homme riche et le Sermon sur la montagne, ils concluent, p. 63 : « In sum, both the SM and Matt. 19 :16-30, affirm the Torah. » Il me semble au contraire que Mt 19, 16-30, comme les antithèses, va plus loin que la Torah, du moins dans sa compréhension traditionnelle. Dans les deux cas, la parole de Jésus opère comme une radicalisation.
-
[43]
Je pense ici à l’ensemble des controverses qui doivent être prises en compte pour affiner ou nuancer le propos. Mais également à un passage comme 11, 18-20 qui semble proposer une direction opposée à celle de la radicalisation.
-
[44]
Marc Allan Powell, « Do and Keep What Moses Says (Matthew 23 :2-7) », JBL 114, 1995, p. 419-435.
-
[45]
La petite différence quant à l’identité des adversaires (« scribes et pharisiens » en Mt 23, « pharisiens et sadducéens » en 16, 5-12) n’est pas décisive sur le point qui nous occupe.
-
[46]
En ce sens, on peut affirmer avec Daniel Marguerat que chez Matthieu, « de bout en bout, la Loi est pensée à partir de la christologie », « “Pas un iota” », op. cit., p. 166.
-
[47]
Graham N. Stanton, A Gospel for a New People. Studies in Matthew, p. 122. L’expression est habituellement attribuée à Krister Stendahl, The School of Matthew and its Use of the Old Testament, Gleerup, Lund, 1954 (Philadelphie, Fortress Press, 19682).
-
[48]
Ainsi Martin Luther. Dans une prédication où il commente le cinquième commandement dans l’interprétation qu’en donne Jésus dans les antithèses, il s’interroge sur ce qu’a voulu dire Jésus par cette radicalisation du propos. Et il répond : « Il [Jésus] place le but si haut que personne ne l’atteint. » Il en déduit alors : « Où y a-t-il quelqu’un qui ne se met jamais en colère ? Le cinquième commandement est interprété là de façon à mener à la mort et dans le feu infernal, et à ne laisser monter personne au ciel. » Ce commandement ne peut en effet être accompli que « sous l’ombre de la grâce » (cité d’après François Vouga, Martin Stiewe, Le Sermon sur lamontagne, op. cit., p. 151).
1L’enracinement du premier Évangile dans les traditions du judaïsme ancien est manifeste. Manuels d’introduction et commentaires passent régulièrement en revue les caractéristiques littéraires de Matthieu pour conclure unanimement que « l’humus du premier Évangile est sémitique, vétérotestamentaire et palestinien [2] ». En contrepoint, il est souligné, avec la même insistance, que la polémique qu’il développe à l’endroit des responsables religieux du judaïsme de son temps est extrêmement vive [3]. Vont dans ce sens, les nombreux récits de controverses de Jésus avec les autorités juives et particulièrement avec les pharisiens [4], l’utilisation polémique de certains passages de l’Ancien Testament [5], les invectives répétées de Mt 23, sans oublier certaines traditions propres à Matthieu dans le récit de la Passion visant à renforcer la culpabilité du peuple d’Israël dans la mort de Jésus [6]. L’explication que l’on peut donner de ce double constat fait aujourd’hui l’objet d’un large consensus dans la recherche : Matthieu, qui écrit dans le dernier quart du premier siècle de notre ère, est le témoin d’un conflit d’interprétation qui l’oppose au judaïsme pharisien de cette époque. La question qui se pose est alors la suivante : la critique de l’auteur du premier Évangile est-elle intra muros ou extra muros ? En d’autres termes, se comprend-il, et avec lui son auditoire, comme appartenant encore au judaïsme, ou a-t-il conscience d’avoir rompu avec lui [7] ?
2L’interprétation matthéenne de la Loi est un des lieux privilégiés où se noue le débat de l’identité de l’évangéliste et de sa communauté. Cette question est une crux interpretum bien connue des spécialistes du premier Évangile, et celui qui l’aborde s’inscrit dans une longue tradition interprétative [8]. Aujourd’hui, elle se décline souvent ainsi : dans son rapport à la Loi, le Jésus matthéen est-il en continuité ou en rupture avec tout ou partie de la tradition juive et particulièrement pharisienne ? Ainsi formulée la question suppose qu’on s’interroge, de la même manière qu’on le fait pour le texte du premier Évangile, sur la compréhension de la Loi dans les écrits du judaïsme du premier siècle [9]. L’enquête dépassant très largement le cadre de cet exposé, je limiterai mon propos à l’étude de la tension, repérable dans quelques passages de la narration, entre l’obéissance aux commandements se situant à l’intérieur du cadre législatif donné par la Loi et la radicalisation que propose le Jésus matthéen, radicalisation qui fait éclater les limites de ce cadre. Concrètement, il s’agira de mettre en lumière la façon dont Matthieu, dans ces passages, construit la relation de Jésus à la Loi [10].
3Je débuterai l’enquête par une exégèse détaillée de Mt 5, 17-20, passage clé sur la question de l’interprétation matthéenne de la Loi. Dans un second temps, j’analyserai trois épisodes où est repérable la tension entre obéissance et radicalisation : en tout premier lieu, évidemment, les antithèses du Sermon sur la montagne (5, 17-48) ; en deuxième lieu la controverse sur le divorce (19, 1-9) ; enfin l’épisode du jeune homme riche (19, 16-22). Dans une troisième partie, je m’interrogerai sur la cohérence des passages analysés avec la déclaration de Jésus en Mt 23, 2-3. En conclusion, je me risquerai à quelques réflexions sur la question du rapport de Matthieu avec le judaïsme de son temps.
I – Matthieu 5, 17-20 : obéissance aux commandements et justice supérieure
4Mt 5, 17-20 [11] est un passage central, non seulement dans le cadre du Sermon sur la montagne mais, plus largement, dans l’ensemble de l’Évangile. Il constitue en effet la toute première affirmation de Jésus sur le sens de sa venue (cf. v. 17 : êlthon [12]). Il est significatif qu’elle concerne son rapport à la Loi et aux prophètes. Il faut donc analyser au plus près l’argumentation déployée.
Verset 17
5L’ouverture du verset mérite l’attention. Le malentendu existant au sujet de la venue de Jésus prouve, par sa formulation même (mê nomisête hoti êlthon), que Matthieu attribue à Jésus une autorité sur les traditions juives les plus fondamentales : Jésus est au-dessus de la Loi et des prophètes, puisque sa venue soulève la question de leur permanence ou de leur fin. Elle opère une redéfinition des traditions religieuses existantes : c’est à l’aune de cette redéfinition qu’elles doivent maintenant être évaluées [13].
6Contre ceux qui affirment que cette venue a pour conséquence l’abolition de la Loi et des prophètes (ton nomon ê tous profêtas) le Jésus matthéen s’inscrit en faux. Il n’est pas venu pour les « abolir » (katalûsai) mais pour les « accomplir » (plêrôsai). Le motif de l’« accomplissement » est typiquement matthéen. Le verbe plêrôsai n’est jamais utilisé pour les disciples [14], mais il est exclusivement réservé à interpréter la venue du Messie en lien avec les traditions du judaïsme. Ce verbe doit-il être interprété dans le sens de « mettre en pratique » ce que commande la Loi et les prophètes ou « réaliser les promesses » contenues dans la Loi et les prophètes [15] ? Pour tenter de répondre il faut prendre en compte, d’une part les autres utilisations du verbe chez Matthieu, d’autre part le contexte immédiat (5, 21-48). Notons d’abord que le v. 17 n’oppose pas « abolir » à « obéir », mais « abolir » à « accomplir ». Or, dans le premier Évangile le verbe plêroô est utilisé dans les citations d’accomplissement (cf. l’expression hina plêrôthê ou une forme proche) pour exprimer la conviction que Jésus est celui en qui les Écritures, autrement dit, la Loi et les prophètes, trouvent leur aboutissement (cf. 1, 22-23 ; 2, 15.17-18.23 ; 4, 14-16 ; 8, 17 ; 12, 17-21 ; 13, 14-15 ; 13, 35 ; 21, 4-5 ; 27, 9-10 ; cf. aussi 26, 54.56) [16]. Ce n’est donc pas d’abord la Loi en tant qu’ensemble de commandements qui est en question ici – ce sera le cas au verset suivant –, mais la « Loi et les prophètes » en tant qu’expression de la volonté de Dieu et de l’espérance d’Israël [17]. Le verbe accomplir a ici une signification qui dépasse la simple question de l’obéissance aux commandements : pour Matthieu, Jésus accomplit l’espérance d’Israël en donnant son véritable sens à la Loi et aux promesses prophétiques [18]. Cela sera confirmé par les antithèses (5, 21-48) où ce que propose Jésus va plus loin que les exigences des préceptes de la Loi (voir infra II, 1).
Versets 18-19
7C’est maintenant la Loi comme lettre (iôta en ê mia keraia) et « commandement » (entolê) dont le statut est envisagé dans les v. 18-19. Le champ de la réflexion se resserre donc par rapport au v. 17 (v. 18 : apo tou nomou ; comp. v. 17 : ton nomon ê tous profêtas).
8Le verset 18 témoigne de l’attachement de l’évangéliste à l’obéissance aux commandements de la Loi. La déclaration est en consonance avec la Loi le judaïsme contemporain où les textes soulignant l’immutabilité de ne manquent pas [19]. Matthieu se situe dans la continuité de la plupart des courants du judaïsme de son temps. Il convient cependant de noter la façon particulière dont le verset est construit. L’affirmation de la pérennité de la Loi – introduite par une parole en « Amen » qui en renforce l’autorité – est en effet bornée d’un côté et de l’autre par deux propositions introduites par heôs an qui en marquent les limites et « viennent […] nuancer le caractère absolu de l’affirmation [20] » :
10Concernant le sens des deux propositions introduites par heôs an, le débat est très ouvert. S’agissant de la première, l’alternative est la suivante : pour les uns l’expression « jusqu’à ce que passent le ciel et la terre » serait l’équivalent de « jamais » [21] ; pour d’autres, elle renvoie à la fin des temps [22]. Le débat autour de la seconde proposition est plus complexe : « jusqu’à ce que tout soit arrivé » signifie-t-il « jusqu’à ce que tous les commandements soient observés » (interprétation éthique) [23] ? Jusqu’à ce que Christ, dans sa mort et sa résurrection, accomplisse l’Écriture (interprétation christologique) [24] ? Ou alors faut-il comprendre l’affirmation comme une reprise et une précision de la première proposition en heôs an, éliminant ainsi la possibilité de l’interpréter dans le sens de « jamais » [25] ? Cette dernière hypothèse me semble le mieux correspondre au donné textuel. D’une part, elle rend compte de la construction particulière du verset : les deux affirmations en heôs an se répondent en écho et constituent un contrepoids à l’affirmation de la validité de la Loi. D’autre part, elles sont à entendre en contraste avec cette autre déclaration du Jésus matthéen en Mt 24, 35 :
12Si l’idée que la Loi subsistera tant que dureront ciel et terre est attestée dans le judaïsme (en particulier chez Philon sous une forme qui n’est pas sans rappeler notre passage, cf. De Vita Mosis, II, 14 avec une clause en heôs an [27]), l’affirmation selon laquelle les paroles du Messie survivront au ciel et à la terre semble une originalité de Matthieu par rapport à la littérature juive de l’époque. Pour lui, les paroles du Messie Jésus ont une pérennité absolue alors que la Loi, elle, n’a qu’une pérennité relative [28]. De façon indirecte, Mt 24, 35 confirme les remarques formulées plus haut sur le sens de êlthon : Jésus a bien autorité sur la Loi.
13Le verset 19 [29] souligne pourtant que, même relative, la pérennité de la Loi implique qu’aucun homme n’est dispensé de s’y soumettre. De la qualité de l’obéissance dépend même une qualification (klêthêsetai) à l’intérieur du Royaume établissant une hiérarchie (elachistos « plus petit » ou megas « grand ») [30]. Notons que cette hiérarchie sera relativisée dans la suite de la narration (cf. Mt 11, 11 [31] et 20, 16 [32]). La difficulté du verset réside dans l’interprétation de l’expression « l’un de ces commandements » (mian tôn entolôn toutôn). S’agit-il des commandements de la Loi ou des commandements nouveaux que Jésus formule dans ses discours, en particulier dans les antithèses (cf. Mt 7, 24.26 : « ces paroles qui sont miennes » mou tous logous toutous et 28, 20 : « leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé ») [33] ? Rien n’accrédite, de mon point de vue, cette dernière hypothèse. Au contraire, comme le soulignent Davies et Allison, « the oun and the flow of thought are decisive. Beyond this, where is the Matthean parallel to applying “lesser” and “greater” to the sayings of Jesus ? Or to calling Jesus’ words entolai […] ? And does not the luô in 5.19 take the reader’s mind back to the kataluô in 5.17, where the Torah is indisputably the subject ? [34] »
Verset 20
14Si la transgression ou l’obéissance aux commandements conduisent à instaurer une hiérarchie à l’intérieur du Royaume, la « justice » (dikaiosunê) seule permet d’y accéder. Plus exactement, entrer dans le Royaume suppose une justice supérieure (perisseusê … pleiôn) par rapport à celle des scribes et des pharisiens, c’est-à-dire une compréhension de la Loi différente de la leur, ce que vont montrer juste après les antithèses (5, 21-48). Dans l’Évangile de Matthieu, la justice a été préalablement « accomplie » (3, 15 : plêrôsai pasan dikaiosunê) par Jésus lorsqu’il s’est solidarisé avec ceux qui avaient besoin du baptême de repentance proclamé par le Baptiste. En 5, 20, Matthieu donne au terme une dimension polémique : à la justice des scribes et pharisiens, il oppose la justice supérieure dont les disciples témoignent [35]. Comment comprendre alors le dépassement que demande le Jésus matthéen ? Est-il quantitatif ou qualitatif ? La lecture des antithèses devrait permettre d’apporter une réponse à cette question.
15Entre le v. 17 et les v. 18-19, un premier changement de registre avait été constaté : de l’accomplissement de la Loi et des prophètes, on était passé à une réflexion sur la pérennité des commandements de la Loi. Entre les v. 18-19 et le v. 20, on assiste à un nouveau changement de registre : le passage de la notion de Loi à celle de « justice supérieure » qui marque cette fois un élargissement de la perspective. La Loi comme recueil de commandements cède ici la place à la « justice supérieure ». Ce changement de registre explique sans doute la tension qui traverse le passage [36] : transgresser un des plus petits commandements de la Loi, et être en conséquence appelé le plus petit dans le Royaume (v. 19), suppose pourtant qu’on y ait été préalablement admis. Donc qu’on ait manifesté une justice supérieure aux pharisiens qui seule en permet l’accès (v. 20). Pour Matthieu, ce n’est donc pas l’obéissance à la lettre du commandement qui est première mais l’accomplissement d’une justice que l’évangéliste affirme supérieure à celle des scribes et des pharisiens.
Synthèse
16Du point de vue de Matthieu, Jésus se présente comme celui qui accomplit la « Loi et les prophètes », c’est-à-dire les promesses contenues dans les Écritures (v. 17) et leur donne ainsi leur véritable sens. En ce qui concerne l’obéissance aux commandements, le Jésus matthéen, tout en rappelant son importance, apporte deux bémols. Non seulement la pérennité de la Loi est relative (v. 18-19), mais, en outre, l’obéissance aux commandements n’est pas le critère d’accès au Royaume des cieux. L’accès au Royaume est conditionné par la mise en pratique d’une justice dépassant celle des scribes et des pharisiens (v. 20). Les antithèses vont montrer que cette justice se présente en excès par rapport à l’obéissance normalement exigée par la Loi.
II – Obéissance à la loi et radicalisation dans quelques passages de l’évangile
1 – Les antithèses du Sermon sur la montagne (Mt 5, 21-48)
17Les antithèses du Sermon sur la montagne sont l’illustration directe de la compréhension du rapport à la Loi mis en place en 5, 17-20. Le fil conducteur de chacune des antithèses réside dans la logique du « non seulement, mais même ». Non seulement le meurtre mais même la haine, non seulement l’adultère mais même le regard impur, etc. : tout cela est contraire à la volonté de Dieu. L’interprétation de la Loi que propose le Jésus matthéen dépasse donc bien la simple obéissance aux commandements qui régulent le vivre ensemble des humains [37]. Jésus propose en effet une attitude que la Loi elle-même ne requiert pas : il propose de dépasser l’obéissance habituellement requise aux commandements (5, 18-19) pour accéder à une justice plus grande que celle des scribes et des pharisiens (5, 20), une justice où l’excès semble la règle.
18Un point est cependant à noter : ce qui autrefois « a été dit aux anciens » (errethê tois archaiois, 5, 21.27.33 ; cf. aussi 31.38.43) constitue le socle à partir duquel l’interprétation du Jésus matthéen peut se déployer. Pour que l’interprétation de Jésus puisse être reçue, il faut en effet que soit assumée l’interprétation ancienne. Ne pas se mettre en colère contre son frère (5, 22) inclut l’obéissance au commandement de ne pas le tuer (5, 21). Ne pas convoiter une femme (5, 28) implique le commandement de ne pas commettre l’adultère (5, 27). La non-résistance au méchant suppose que soit préalablement acquis le principe de la loi du talion (5, 38). La double exigence d’aimer son prochain et de haïr son ennemi (5, 43) est le prérequis nécessaire pour entendre l’appel à aimer également ce dernier (5, 44). Jésus se présente comme le porteur d’une parole qui va plus loin que l’interprétation traditionnelle de la Loi, pour autant que celle-ci soit reconnue dans sa validité. L’obéissance aux commandements qui demeure implicitement supposée est bien ainsi seconde – mais non secondaire – par rapport à l’exigence d’une justice qui va au-delà de la compréhension traditionnelle de la Loi, et qui peut même entrer en tension avec elle.
19En invitant son auditoire à envisager un rapport entre les hommes et avec Dieu en excès [38] par rapport aux règles habituellement admises, Jésus apparaît bien comme celui qui accomplit la Loi et les prophètes et non comme celui qui les abolit (5, 17). Ce qui caractérise cet accomplissement n’est pas de l’ordre du quantitatif mais du qualitatif [39]. C’est une nouvelle compréhension de Dieu, de soi-même et des autres que la radicalisation proposée par Jésus cherche à susciter chez son auditeur. Dans la suite de la narration, la controverse sur le divorce (Mt 19, 1-12) et l’épisode du jeune homme riche (Mt 19, 16-30) confirment cette herméneutique matthéenne du rapport de Jésus à la Loi.
2 – Controverse sur le divorce (Mt 19, 1-12)
20Comme dans les antithèses (cf. 5, 31-32), la parole que Jésus adresse aux pharisiens au sujet du divorce va plus loin que le commandement. À la littéralité de la règle promulguée par Moïse (cf. v. 7 : Môusês eneteilato) Jésus oppose la visée originelle du Créateur (v. 4 : ho ktisas ap’archês et v. 8 : ap’archês de ou gegonen houtôs) : celui-ci n’envisageait aucunement, dans son projet initial, la séparation de l’homme et de la femme (19, 4-6). De telle manière que, si les pharisiens obéissent bien au commandement en écrivant une lettre de répudiation, ils le font en raison de la dureté de leur cœur (19, 8). Ce faisant, en obéissant au commandement de la Loi, ils désobéissent à la volonté de Dieu [40] !
21Il est à relever ici qu’au nom de cette volonté de Dieu qu’elle affirme remettre au premier plan, la radicalisation opérée par Jésus s’élève contre une vision patriarcale du divorce donnant à l’homme toute latitude de répudier sa femme [41]. La posture de Jésus constitue de facto une protection du faible (la femme selon les représentations de l’époque) alors que l’interprétation pharisienne du commandement, plus libérale, favorise le fort (le mari).
22La réaction des disciples (les v. 10-12 sont un développement de Matthieu sur Mc 10, 10-11) traduit un des effets induits par la radicalisation de Jésus : de l’avis des disciples, il est préférable de ne pas se marier (v. 1 : ou sumferei gamêsai) ! La réponse de Jésus, en particulier le v. 12 concernant ceux qui sont eunuques pour le Royaume, confirme la logique de radicalisation : si la Loi permet aux pharisiens d’assumer une vie selon l’ordre de ce monde, Jésus invite ses auditeurs à se situer dans l’ordre du Royaume, lequel opère sur un registre différent. D’une manière similaire, la justice supérieure (5, 20 et 21-48) donnait accès au Royaume et dépassait l’obéissance au commandement qui, elle, assurait le vivre ensemble des hommes dans le monde.
3 – Dialogue avec le jeune homme riche (Mt 19, 16-30)
23Cet épisode prolonge les perspectives entrevues dans la péricope sur le divorce. Matthieu y aborde à nouveau, de façon non conflictuelle cette fois, la question de l’obéissance aux commandements. Jésus répond à la recherche de la vie éternelle du jeune homme (v. 16) par une invitation à obéir aux commandements (v. 17 : têrêson tas entolas) dont il donne des exemples précis (v. 18-19). Devant la réponse du jeune homme qui affirme les accomplir depuis sa jeunesse (v. 20), Jésus ajoute une double exigence : vendre ses biens et le suivre (v. 21) pour atteindre la « perfection » (teleios, cf. 5, 48 : teleioi). La tristesse de l’homme (v. 22) atteste l’impossibilité devant laquelle il se trouve de répondre à l’exigence de se séparer de ses biens. La quête initiale de la vie éternelle (v. 16) est alors requalifiée par Jésus comme difficulté pour les riches d’entrer dans le Royaume des cieux (cf. v. 23 : eiseleusetai eis tên basileian tôn ouranôn // 5, 20 : ou mê eiselthête eis tên basileian tôn ouranôn, cf. aussi 18, 3), puis, par la question des disciples (v. 25 : tis ara dunatai sôthênai), comme « salut » impossible aux hommes mais pas à Dieu (v. 26). Il est notable que l’impossibilité de l’homme ne porte pas sur l’obéissance aux commandements de la Loi (adaptés à la dureté du cœur des hommes comme il a été dit en 19, 8) mais aux exigences du Christ. Est ainsi confirmé le caractère second des commandements de la Loi par rapport aux paroles de Jésus, lesquelles déploient une logique de radicalisation comparable à celle repérée en 5, 17-48 [42]. Comme dans l’épisode précédant, la réaction des disciples – cette fois reprise de Marc pour l’essentiel – confirme le cadre herméneutique dans lequel se situe Jésus. Les disciples affirment avoir tout quitté pour suivre Jésus. Ils seront donc récompensés lors de la manifestation du Fils de l’homme : leur attitude les situe bien dans la logique non plus du monde et de la Loi, mais du Royaume et de la radicalisation que la parole de Jésus déploie. Les paroles de Jésus ont, une fois encore, priorité sur celles de la Loi.
24Il faut ici noter un dernier point. Si la dimension polémique de la controverse sur le divorce ne fait pas de doute, l’épisode de l’homme riche ne construit pas ce dernier comme un adversaire de Jésus. La radicalisation proposée par le Jésus matthéen n’est ainsi pas uniquement réactive par rapport à la tradition pharisienne. Elle est, plus fondamentalement, constitutive de son rapport à la Loi.
III – La radicalisation à l’épreuve de Mt 23, 2-3
25L’enquête que nous avons menée nécessiterait d’être confrontée à d’autres passages de la narration, en particulier ceux qui paraissent pointer dans une autre direction [43]. J’en relève ici un seul, sans doute le plus difficile à articuler avec les passages étudiés. Il s’agit de la déclaration de Jésus relative à l’autorité des scribes et des pharisiens « assis sur la chaire de Moïse » (v. 2) dont il faut écouter les paroles sans calquer les actions (v. 3 : panta oun hosa ean eipôsin humin poiêsate kai têreite, kata de ta erga autôn mê poieite). Ce passage est habituellement considéré comme la manifestation du profond enracinement du premier Évangile dans les traditions du judaïsme. Sa difficulté réside dans l’articulation de cette déclaration avec les passages que nous avons étudiés : le Jésus matthéen ne se situe-t-il pas ici clairement en continuité avec les pharisiens en ce qui concerne l’obéissance à la Loi et en contradiction avec la radicalisation par l’excès mise en relief précédemment ?
26Dans un article suggestif, Mark Allan Powell [44] dresse l’état de la question et propose une solution à la difficulté. Selon lui, il faut interpréter le passage de la façon suivante. Les scribes et les pharisiens sont « assis sur la chaire de Moïse » dans la mesure où, au premier siècle de notre ère, ils sont en possession des rouleaux de la Loi et qu’ils sont les seuls à pouvoir les lire en public. Ils sont donc ceux par qui, nécessairement, on doit passer pour entendre les textes mêmes de la Loi. Par contre, il ne faut pas se calquer sur leur « faire » qui est à comprendre au sens large d’interprétation. En d’autres termes, le Jésus matthéen affirme que scribes et pharisiens sont les détenteurs du texte (ils en possèdent la « lettre » pourrait-on dire), mais qu’ils ne savent pas l’interpréter (ils n’en font pas ressortir l’« esprit »).
27L’exemple des scribes consultés par Hérode en Mt 2, 4-6 peut illustrer cette hypothèse. Hérode doit en référer aux scribes de Jérusalem pour avoir confirmation du lieu de naissance du « Roi des juifs » : eux seuls possèdent le texte et le lisent publiquement. Mais ce savoir scripturaire ne modifie en rien leur attitude : ils restent immobiles à Jérusalem alors que l’essentiel se passe à Bethléem. Les scribes lisent le texte, mais ne savent pas l’interpréter. Il faut donc écouter leur lecture et faire ce que la lettre du texte exige (ce que font les Mages en 2, 1-12). Mais il ne faut pas se calquer sur leur « faire », c’est-à-dire sur l’interprétation qu’ils en proposent (par exemple en Mt 2, 1-12 sur leur immobilisme).
28Écouter la lecture que font les scribes et les pharisiens de la Loi ne signifie donc pas partager leur compréhension de l’obéissance à ses commandements. Jésus invite son auditoire à écouter la lecture que scribes et pharisiens font de la Loi écrite mais pas l’interprétation qu’ils en proposent, interprétation à laquelle, dans le Sermon sur la montagne et plus largement dans l’ensemble de la narration, il ne cesse d’opposer la sienne. Cette interprétation trouve un appui plus en amont dans la narration : en Mt 16, 5-12 le Jésus matthéen mettait déjà ses disciples en garde contre l’enseignement des « pharisiens et des sadducéens [45] » (cf. v. 12 : Tote sunêkan hoti ouk eipen prosechein apo tês zumês tôn artôn alla apo tês didachês tôn farisaiôn kai saddoukaiôn).
Conclusion
29Si l’Évangile de Matthieu témoigne d’un enracinement profond dans le judaïsme du premier siècle, différents éléments de la narration laissent cependant penser qu’il prône un messianisme qu’on peut dire radical. La façon dont Matthieu envisage l’attitude de Jésus par rapport à la Loi en est une illustration. Si la Loi reste au cœur de l’univers religieux de Matthieu, ce n’est plus l’obéissance aux commandements qui règle la vie des disciples mais l’enseignement du Messie qui se caractérise par une logique de l’excès. Cette logique renvoie l’auditeur de Jésus non pas à des règles générales, mais à sa responsabilité individuelle en tant que créature devant Dieu et devant son prochain.
30Matthieu développe ce que je propose d’appeler une forme de judéo-messianisme radical – que l’on appellera plus tard une christologie [46]. Sans doute sa réflexion constitue-t-elle un élément important de la reconfiguration d’un paysage religieux alors en pleine mutation. Au moment où il rédige son récit, cependant, les frontières ne différencient pas encore les mêmes groupes qu’au deuxième siècle qui approche. S’il est donc vraisemblablement anachronique de le qualifier de « chrétien », Matthieu n’en est pas moins en conflit, pour reprendre l’expression consacrée, avec the synagogue across the street [47] d’après 70, un judaïsme dont l’identité pharisienne ne fait guère de doute. C’est que le référent du premier Évangile s’est déplacé : la colonne vertébrale structurant la théologie de Matthieu – et donc son identité religieuse – n’est plus prioritairement la Loi et l’obéissance aux commandements, mais le Messie et son enseignement. Un enseignement dont la radicalité deviendra l’objet d’un débat herméneutique qui n’est pas moins complexe que celui relatif à la Loi. La question que pose le discours de Jésus est en effet celle de sa praticabilité. Dans l’histoire de la théologie chrétienne, une des réponses consistera à interpréter cette radicalisation comme l’impossibilité d’une auto-justification de l’homme par l’obéissance aux commandements de la Loi [48].
Notes
-
[*]
Élian Cuvillier est professeur de Nouveau Testament à L’Institut Protestant de Théologie, Faculté de Montpellier.
-
[1]
Ce texte est la version rédigée d’une conférence (main paper) donnée en français à Lund, en juillet 2008, lors du congrès de la SNTS (Studiorum Novi Testamenti Societas). Il a été publié dans la revue New Testament Studies sous le titre « Torah Observance and Radicalization in the First Gospel. Matthew and First-Century Judaism : A Contribution to the Debate », trad. Mireille Hébert, NTS 55/2, 2009, p. 144-159.
-
[2]
Béda Rigaux, Témoignage de l’Évangile de Matthieu, Bruges, Desclée de Brouwer, 1967, p. 40.
-
[3]
Sur ce thème, la littérature est abondante ; cf. par exemple Ulrich Luz, « Le problème historique et théologique de l’anti-judaïsme dans l’Évangile de Matthieu » in Daniel Marguerat, éd., Le déchirement. Juifs et chrétiens au premier siècle, Genève, Labor et Fides, 1996, p. 127-150 ; également Élian Cuvillier, « Matthieu et le judaïsme : chronique d’une rupture annoncée », Foi et Vie 92, 1993, p. 41-54.
-
[4]
Mt 9, 9-17 ; 12, 1-14 ; 12, 22-32 ; 12, 38-42 ; 15, 1-20 ; 16, 1-4 ; 19, 1-9 ; 21, 23-27 ; 22, 15-22 ; 22, 23-33 ; 22, 41-45.
-
[5]
Par exemple, Mt 13, 14-15 ; 15, 8-9 ; 23, 38 ; 27, 9-10.
-
[6]
Par exemple, 27, 24-25 ou 28, 11-15.
-
[7]
Voir un bon état de la question chez Warren Carter, « Matthew’s Gospel : Jewish Christianity, Christian Judaism, or Neither ? » in Matt Jackson-McCabe, Jewish Christianity Reconsidered. Rethinking Ancient Groups and Texts, Minneapolis, Fortress Press, 2007, p. 155-179. L’auteur défend l’appartenance de Matthieu au judaïsme, à la suite d’Anthony J. Saldarini, Matthew’s Christian-Jewish Community, Chicago, University of Chicago, 1994 et J. Andrew Overman, Church and Community in Crisis. The Gospel According to Matthew, Valley Forge, Trinity Press International, 1996. Position plus classique chez Ulrich Luz, « L’évangéliste Matthieu : un judéo-chrétien à la croisée des chemins », in Daniel Marguerat, Jean Zumstein, éd., La mémoire et le temps. Mélanges offerts à Pierre Bonnard, Genève, Labor et Fides, 1991, p. 77-92 ; Graham N. Stanton, A Gospel for a New People. Studies in Matthew, Édimbourg, T & T Clark, 1992 ; Donald A. Hagner, « Matthew : Apostate, Reformer, Revolutionary ? », NTS 49, 2003, p. 193-209. La tension repérable chez Matthieu entre particularisme et universalisme est étroitement liée à cette question ; sur ce thème voir Élian Cuvillier, « Particularisme et universalisme chez Matthieu : quelques hypothèses à l’épreuve du texte », Biblica 78, 1997, p. 481-502 ; également « Mission vers Israël ou mission vers les païens ? À propos d’une tension féconde dans le premier Évangile », in André Wénin, Camille Focant, éd., Analyse narrative et Bible. Deuxième colloque international du RRENAB, Louvain-La-Neuve, avril 2004, Louvain, University Press, 2005, p. 251-258 (deux contributions reprises in Élian Cuvillier, Naissance et enfance d’un Dieu. Jésus-Christ dans l’Évangile de Matthieu, Paris, Bayard, 2005, p. 165-178).
-
[8]
Parmi l’abondante littérature publiée sur le sujet, outre évidemment les commentaires du premier Évangile, voir Gerhard Barth, « Das Gesetzesverständnis des Evangelisten Matthaüs » in Günther Bornkamm, Gerhard Barth, Heinz Joachim Held, éd, Überlieferung und Auslegung im Matthäusevangelium, Neukirchen, Neukirchener Verlag, 1960, p. 54-154 (traduction anglaise : « Matthew’s Understanding of the Law » in Tradition and Interpretation in Matthew, Londres, SCM Press, 19832, p. 58-164) ; Eduard Schweizer, « Mt 5, 17-20. Anmerkungen zum Gesetzverständnis des Matthaüs », in Neotestamentica, Zurich, Zwingli, 1963, p. 399-406 ; du même, « Noch einmal Mt 5, 17-20 », in Matthaüs und seine Gemeinde, Stuttgart, KBW, 1974, p. 75-85 ; Georg Strecker, Der Weg der Gerechtigkeit. Untersuchun zur Theologie des Matthäus, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 19662, p. 143-154 ; Bruno Corsani, « La posizione di Gesù di fronte alla legge seconde il Vangelo di Matteo e l’interpretazione di Mt 5, 17-20 », Ricerche Bibliche e Religiose 3, 1968, p. 193-230 ; Robert G. Hamerton-Kelly, « Attitudes to the Law in Matthew’s Gospel : a Discussion of Matthew 5 :18 », Biblical Research 17, 1972, p. 19-32 ; Robert Banks, « Matthew’s Understanding of the Law : Authenticity and Interpretation in Matthew 5 :17-20 », JBL 93, 1974, p. 226-242 ; du même, Jesus and the Law in the Synoptic Tradition, Cambridge, University Press, 1975, p. 204-226 ; John P. Meier, « Law and History in Matthew’s Gospel :ARedactional Study of Matt. 5 :17-48 », Rome, Biblical Institute Press, 1976 ; Jean Zumstein, La condition du croyant dans l’Évangile selon Matthieu, Fribourg/Göttingen, Éditions Universitaires/Vandenhoeck & Ruprecht, 1977, p. 107-127 ; du même, « Loi et Évangile dans le témoignage de Matthieu », in Miettes exégétiques, Genève, Labor et Fides, 1992, p. 131-150 ; Léopold Sabourin, « Mathieu 5, 17-20 et le rôle prophétique de la Loi (cf. Mt 11, 13) », Science et Esprit 30, 1978, p. 303-311 ; Ulrich Luz, « Die Erfüllung des Gesetzes bei Matthäus (Mt 5 :17-20) », ZThK 75, 1978, p. 398-435 ; David Wenham, « Jesus and the Law : An Exegesis on Matthew 5 :17-20 », Themelios 4, 1979, p. 92-96 ; N. J. Mc Eleney, « The Principles of the Sermon on the Mount », CBQ 41, 1979, p. 552-570 ; Daniel Marguerat, Le jugement dans l’Évangile de Matthieu, Genève, Labor et Fides, 19811, 19952, p. 110-141 ; du même, « “Pas un iota ne passera de la Loi …” (Mt 5, 18). La Loi dans l’Évangile de Matthieu », in Camille Focant, éd., La Loi dans l’un et l’autre Testament, Paris, Cerf, 1997, p. 140-174 ; Hans Dieter Betz, « Die hermeneutischen Prinzipen in der Bergpredigt (Mt 5 :17-20) » in Synoptischen Studien, Tübingen, Mohr, 1992, p. 111-126 (original publié en 1982 ; traduction anglaise : « The Hermeneutical Principles of the Sermon on the Mount » in Essays on the Sermon on theMount, Philadelphie, Fortress Press, 1985, p. 37-54) ; du même, The Sermon on the Mount. A Commentary on the Sermon on the Mount, including the Sermon on the Plain (Matthew 5 :3-7 :27 and Luke 6 :20-49), Minneapolis, Fortress Press, 1995, p. 166-197 ; Paul Beauchamp, « L’Évangile de Matthieu et l’héritage d’Israël », RSR 76, 1988, p. 5-38 ; François Vouga, Jésus et la Loi selon la tradition synoptique, Genève, Labor et Fides, 1988, p. 189-301 ; également François Vouga, Martin Stiewe, Le Sermon sur la montagne. Un abrégé de l’Évangile dans le miroitement de ses interprétations, Genève, Labor et Fides, 2002, en particulier p. 59-71 ; Marcel Dumais, Le Sermon sur la montagne. État de la recherche. Interprétation. Bibliographie, Paris, Letouzey et Ané, 1995, en particulier p. 171-180 : « L’accomplissement de la Loi (Mt 5, 17-20) » ; R. Klyne Snodgrass, « Matthew and the Law », in David R. Bauer, Mark Allan Powell, éd., Treasures New and Old. Recent Contributions to Matthean Studies, Atlanta, Scholars Press, 1996, p. 99-127 ; Donald A. Hagner, « Balancing the Old and the New. The Law of Moses in Matthew and Paul », Interpretation 51, 1997, p. 20-30 ; Élian Cuvillier, « La Loi comme réalité avant-dernière : Mt 5, 17-20 et son déploiement narratif dans l’Évangile de Matthieu », in Yvan Bourquin, Emmanuelle Steffek, éd., Raconter, interpréter, annoncer. Parcours de Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 2003, p. 81-91 ; Paul Foster, Community, Law and Mission in Matthew’s Gospel, Tübingen, Mohr, 2004 ; Roland Deines, Die Gerechtigkeit der Tora im Reich des Messias. Mt 5 :13-20 als Schlüsseltext der mat thäischen Theologie, Tübingen, Mohr, 2004 ; Camille Focant, « “D’une montagne à l’autre” L’accomplissement de la loi et des prophètes dans le Sermon sur la montagne » in L’unité de l’un et l’autre Testament dans l’œuvre de Paul Beauchamp, Paris, Éditions des Facultés jésuites de Paris, 2005, p. 119-140 ;Wolfgang Reinbold, « Das Matthäusevangelium, die Pharisäer und die Tora », BZ 50, 2006, p. 51-73 ; Matthias Konradt, « Die vollkommene Erfüllung der Tora und der Konflikt mit den Pharisäern im Matthäusevangelium », in Dieter Sänger,Matthias Konradt, éd., Das Gesetz im frühen Judentum und im Neuen Testament. Festschrift für Christoph Burchard zum 75. Geburtstag, Göttingen/Fribourg, Vandenhoeck & Ruprecht/Academic Press, 2006, p. 129-152. Bonne synthèse de la question chez Graham N. Stanton, « The Origin and Purpose of Matthew’s Gospel : Matthean Scholarship from 1945-1980 », in ANRW II. 25.4, 1985, p. 1889-1951 ; Donald Senior, What Are They Saying about Matthew ? A Revised and Expanded Edition, Mahwah, Paulist Press, 1996, p. 62-73 ; bibliographie plus complète (jusqu’à 1992) chez Marcel Dumais, Le Sermon sur la montagne, op. cit., p. 171-173.
-
[9]
On rappellera ici l’ouvrage désormais classique d’Ed Parish Sanders, Paul and Palestinian Judaism, Philadelphie, Fortress Press, 1977 (traduction allemande : Paulus und das palästinische Judentum. Ein Vergleich zweier Religionsstrukturen, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1985). Les thèses de Sanders sont aujourd’hui largement discutées et on souligne en particulier que le covenantal nomism ne peut rendre compte de la diversité des courants du judaïsme du premier siècle ; cf. Charles L. Quarles, « The Soteriology of R. Akiba and E. P. Sanders’ Paul and Palestinian Judaism », NTS 42, 1996, p. 185-195 ; Donald A. Carson, Peter Thomas O’Brien, Mark A. Seifrid, éd., Justification and Variegated Nomism. Volume I : The Complexities of Second Temple Judaism, Tübingen, Mohr, 2001 ; également Devora Steinmetz, « Justification by Deed. The Conclusion of the Sanhedrin-Makkot and Paul’s Rejection of Law », Hebrew Union College Annual 76, 2005, p. 133-187 (sur Sanders, cf. p. 173-175). De manière plus large, sur la Loi dans le judaïsme du second Temple, cf. Albert-Marie Denis, « La place de la loi de Moïse à Qumrân et dans le judaïsme du deuxième Temple », in Jan Zdzislaw Kapera, éd., Papers on the Dead Sea Scrolls offered in Memory of Jean Carmignac. Part II : The Teacher of Righteousness. Literary Studies, Cracovie, Enigma Press, 1991, p. 149-175 ; Hermann Lichtenberger, « Das Tora-Verständnis im Judentum zur Zeit des Paulus. Eine Skizze », in James D. G. Dunn, éd., Paul and the Mosaic Law, Tübingen, Mohr, 1996, p. 7-23 ; Heinrich Hoffmann, Das Gesetz in der frühjüdischen Apokalyptik, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1999 ; Shannon Burkes, « “Life” Redefined : Wisdom and Law in Fourth Ezra and Second Baruch », CBQ 63, 2001, p. 55-71.
-
[10]
Je ne m’interroge donc pas ici sur la pertinence historique de la présentation, par Matthieu, de la compréhension pharisienne de la Loi : un débat controversé qui dépasse le cadre de cet exposé.
-
[11]
Je choisis d’interpréter le texte tel qu’il se présente dans sa rédaction finale. Du point de vue des traditions utilisées par Matthieu et de son activité rédactionnelle, je renvoie à la thèse de John P. Meier, « Law and History in Matthew’s Gospel », op. cit. De façon générale, on considère que Matthieu aurait retouché les versets 18-19 traditionnels, rédigé le v. 17 et composé entièrement le v. 20. Ce consensus est évidemment l’objet de multiples discussions dans le détail.
-
[12]
Dans la suite de la narration, trois autres déclarations de Jésus introduites par êlthon soulignent chaque fois un aspect important de la réflexion matthéenne sur l’ œuvre du Messie. Outre 5, 17, où Jésus accomplit la Loi, cf. 9, 13 : Jésus appelle les pécheurs ; 10, 34 : Jésus est source de division entre les hommes ; 20, 18 : Jésus est serviteur. Selon Jean Zumstein, La condition du croyant, op. cit., p. 117, « les paroles en êlthon décrivent […] de manière rétrospective et synthétique le sens de la mission du Christ ».
-
[13]
Selon l’expression de Daniel Marguerat, « “Pas un iota” », p. 146, Jésus est le « didascale eschatologique ».
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[14]
Camille Focant, « Eschatologie et questionnement éthique dans l’Évangile de Matthieu » in Olivier Artus, éd., Eschatologie et morale, Paris, Desclée, 2009, p. 99-138, fait remarquer avec pertinence que les disciples, eux, sont « invités à produire (poiein) du fruit (3, 8.10 ; 21, 43), à pratiquer (poiein) les commandements (5, 19), leur justice (6, 1) ou la volonté de Dieu (7, 21 ; 12, 50 ; voir aussi 7, 12.24.26 ; 23, 3 ; 24, 40.45), à chercher (zètein) la justice du Royaume (6, 33) et enfin à garder (tèrein) les commandements (19, 17 ; 23, 3) ou tout ce que Jésus a prescrit (28,20) » (cf. p. 115-116).
-
[15]
Je synthétise ainsi un débat plus complexe. Sur les différentes façon d’interpréter le verbe (9 au total !), voir William D. Davies, Dale C. Allison, The Gospel according to Saint Matthew, I-VII, Édimbourg, T&T Clark, 1988, p. 485-486.
-
[16]
Sur ce thème, cf. Jean Miler, Les citations d’accomplissement dans l’Évangile de Matthieu. Quand Dieu se rend présent en toute humanité, Rome, Editrice Pontificio Istituto Biblico, 1999.
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[17]
On retrouve l’expression « la Loi et les prophètes » en Mt 7, 12 faisant ainsi une grande inclusion avec 5, 17. L’ensemble du Sermon sur la montagne est donc bien une illustration de la façon dont le Jésus matthéenn les accomplit. Et cet accomplissement, on va le voir, dépasse la simple obéissance légale.
-
[18]
Dans le même sens, voir Marcel Dumais, Le Sermon sur la montagne, op. cit., p. 175 : « Jésus est venu accomplir l’Écriture, cela veut dire qu’il la porte à son achèvement, à sa perfection, à la signification complète ; il la réalise, non pas en “exécutant” ses demandes telles quelles, mais en la dépassant, en lui faisant porter un sens nouveau » ; Camille Focant, « “D’une montagne à l’autre” », p. 139 : « Jésus ne se présente ni comme un transgresseur de la loi dans son action concrète, ni comme un strict observant toujours prêt à étendre le champ de la loi. Son interprétation de la Torah d’Israël ne vise certes pas à l’annuler. Il veut plutôt la conduire à sa plénitude » ; également Jean Zumstein, La condition du croyant, p. 119-120 ; John P. Meier, « Law and History in Matthew’s Gospel », op. cit., p. 224-226 ; William D. Davies, Dale C. Allison, Matthew, I-VII, op. cit., p. 486-487. Position inverse, Jésus « accomplit » la Loi en obéissant à ses commandements, voir Hans Dieter Betz, The Sermon on the Mount, op. cit., p. 179 : le verbe plêroô « describe[s] a process of legal interprétation ».
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[19]
Cf. Baruch 4, 1 : « La sagesse c’est le livre des commandements de Dieu, c’est la loi qui existe pour toujours (ho nomos ho huparchôn ein ton aiôna) ; tous ceux qui s’attachent à elle iront à la vie, mais ceux qui l’abandonnent mourront » ; Sagesse 18, 4 : « La lumière incorruptible de la loi, aftharton nomou » ; 2 Baruch 77, 15 : « Même si nous passons la loi demeure » ; LAB 11, 2 : « La loi éternelle » ; Contre Apion 2, 277 : « Même si on nous prend notre richesse, notre pays et tout ce que nous avons de bon, la Loi reste immortelle (ho nomos hêmin athanatos diamenei) » ; IV Esd 9, 36-37 : « Nous qui avons reçu la Loi, nous devons périr à cause de nos péchés ainsi que notre cœur où elle avait été déposée. La Loi, elle, ne périt pas mais demeure dans sa gloire. »
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[20]
Marcel Dumais, Le Sermon sur la montagne, op. cit., p. 177. Dans le même sens, voir Hans Dieter Betz, The Sermon on the Mount, op. cit., p. 183 : « The authority of scripture is temporally limited. »
-
[21]
Ulrich Luz, Matthew 1-7, Minneapolis, Fortress Press, 2007, p. 218.
-
[22]
John P. Meier, « Law and History in Matthew’s Gospel », op. cit., p. 164 ; Jean Zumstein, La condition du croyant, op. cit., p. 121.
-
[23]
Jean Zumstein, La condition du croyant, op. cit., p. 122 ; Daniel Marguerat, Le jugement dans l’Évangile de Matthieu, op. cit., p. 130.
-
[24]
John P. Meier, « Law and History in Matthew’s Gospel », op. cit., p. 61-65 ; Robert Banks, Jesus and the Law in the Synoptic Tradition, op. cit., p. 213-218.
-
[25]
William D. Davies, Dale C. Allison, Matthew, I-VII, op. cit., p. 495.
-
[26]
L’ensemble constitué par Mt 24, 34-35 est d’ailleurs proche, tant au niveau du vocabulaire que de la structure de la phrase, de Mt 5, 18. Un tableau synoptique permet de le visualiser très clairement.
Peut-être est-ce l’indice d’une réécriture matthéenne de 5, 18 (//Lc 16, 17) sur le modèle de Mt 24, 34-35 (//Mc 13, 30-31). Notons par ailleurs qu’en 24, 34, Matthieu remplace le mechris de Mc 13, 30 par heôs an. -
[27]
« Il n’y a que Moïse dont la constitution ferme, inébranlable, immuable, scellée comme par le sceau de la nature elle-même, reste solidement plantée, depuis le jour de sa rédaction jusqu’à maintenant, et nous espérons qu’elle subsistera dans tout l’avenir comme si elle était immortelle, tant que le soleil, la lune, l’ensemble du ciel et l’univers existeront hôsper athanata heôs an hêlios kai selênê kai ho sumpas ouranos te kai kosmos hê » (De Vita Mosis, II, 14).
-
[28]
Surprenante ici la position d’Ulrich Luz, Matthew 21-28,Minneapolis, Fortress Press, 2005, p. 208 : « Many readers probably will also have seen here a (perhaps intentional) reference back to 5 :18. As in the case with the words of the Torah, Jesus’ words […] are eternally valid. » Et, note 15 : « Since “until heaven and earth pass away” most likely means “never” […], we hardly have here the case that the words of Jesus surpass the Torah. » Par contraste, cf. le commentaire sur Mt 24, 35 de William D. Davies, Dale C. Allison, Matthew, XIX-XXVIII, Édimbourg, T & T Clark, 1997, p. 368 : « That the world will pass away – already stated in 5 :18 […] – was common conviction […] and ours is not the only text to contrast the passing of heaven and earth with something of greater endurance (cf. Isa. 51 :6). But here that something is Jesus’ speech, which therefore sets him above Torah […] and makes his words like God’s words (cf. Ps. 119 :89 ; Isa. 40 :8) : they possess eternal authority. » Dans le même sens, cf. David C. SIM, « The Meaning of palingenesia in Matthew 19 :28 », JSNT 50, 1993, p. 3-12 : « If we take together Matt. 24 :35 and 5 :18, and the similarity in wording suggests that we should, then the Evangelist makes the overall point while the Law is not eternal, the words of Jesus are. One set of teachings will survive the eschatological destruction of the cosmos and the other will not » (p. 9) ; p. 8-9, note 12, Sim signale que Luz a d’abord défendu l’opinion selon laquelle Mt 5, 18 signifie que la Loi demeure valide jusqu’à la fin du monde (cf. « Die Erfüllung der Gesetzes bei Matthäus », op. cit., p. 417-418). Il ajoute : « Luz has since rejected this exegesis and now holds the alternative view that the passing of heaven and earth is a roundabout way of saying “never” ; the law thus remains valid forever […]. This understanding of the expression runs against its normal apocalyptic meaning in Matthew’s day […] and makes nonsense of the contrast in 24 :35. »
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[29]
Au plan formel, le verset est une formule de droit sacré de type casuistique (Hans Dieter Betz, The Sermon on the Mount, op. cit., p. 184).
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[30]
Cette idée se retrouve dans la littérature rabbinique où on distingue entre commandements « légers » (gallîn) et commandements « lourds » (hamarîn) et où on identifie des rangs dans le Royaume correspondant au degré d’obéissance (cf. Hermann L. Strack, Paul Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch, 2 unveränderte Auflage, Munich, Beck, 1954-1956 [6 vol.], vol. 1, p. 249-250).
-
[31]
« En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. »
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[32]
« Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »
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[33]
Hans Dieter Betz, The Sermon on the Mount, op. cit., p. 186-187 ; Marcel Dumais, Le Sermon sur la montagne, op. cit., p. 178-180.
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[34]
William D. Davies, Dale C. Allison, Matthew, I-VII, op. cit., p. 496.
-
[35]
Que cette justice soit désignée comme étant celle des disciples (« votre justice », cf. également 6, 1) n’est pas contradictoire avec le fait que la dikaiosunê désigne ce que le Jésus matthéen est venu accomplir. À cause de Mt 3, 15 il apparaît en effet que, pour Matthieu, la « justice supérieure » trouve son origine dans la pratique de Jésus. Un débat tout différent est celui qui consiste à se demander si cette justice exigée des disciples est un don que Dieu leur octroie, ce que contestent la plupart des exégètes.
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[36]
Une tension que, de l’avis d’Ulrich Luz (Matthew 1-7, p. 270), Matthieu « does not sense » et que sa communauté « were not able to see ».
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[37]
Que l’obéissance à la Loi soit, pour Matthieu, la garantie du vivre ensemble des hommes entre eux est attesté, en creux, lorsque Jésus affirme plus loin dans la narration : « Et à cause de l’augmentation de l’impiété (tên anomian) l’amour du plus grand nombre se refroidira » (Mt 24, 12).
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[38]
On est proche de ce que Paul Ricœur (Lectures III. Aux frontières de la philosophie, Paris, Seuil, 1994, voir en particulier p. 277 sqq.) appelle l’éthique de la « surabondance » et qui est pour lui « supra-éthique » ou encore « méta-éthique », c’est-à-dire au-delà de l’éthique. D’un côté, en effet, il y a une éthique qui est proche de ce qu’on pourrait appeler la morale commune, celle de la Loi. Cette morale est régulée par la Règle d’or (Mt 7, 12), c’est-à-dire par la considération de l’autre comme un autre soi-même. D’un autre côté, il y a une éthique qui est toujours singulière, qu’on pourrait appeler une éthique du sujet, et qui suspend la logique de la réciprocité pour faire place à un autre principe que Ricœur appelle la logique de surabondance, qui est le don pour le don dans une sorte de traversée de l’éthique. Pour Ricœur, c’est le cas par exemple de l’amour des ennemis (Mt 5, 44) qui jamais ne peut être normé par l’éthique, mais qui peut seulement être une suspension de l’éthique en vertu d’un excès ou d’une surabondance. Autrement dit, l’amour des ennemis ne peut jamais devenir la loi commune, mais seulement une possibilité pour le sujet de rompre avec la logique de réciprocité pour faire place à une autre logique. Pour Ricœur, il n’est donc pas question de choisir, ni de confondre les deux registres – éthique et supra-éthique –, mais de les articuler, de les maintenir en tension dialectique sans jamais laisser cette tension se résoudre. Dans un sens similaire, cf. Jean-Daniel Causse, « Le Sermon sur la montagne : critique freudienne et redéploiement éthique », Revue d’éthique et de théologie morale, 250, 2008, p. 9-21, cf. p. 21 : « On se tromperait à […] lire [le Sermon sur la montagne] comme un nouveau code moral, même une morale plus haute ou supérieure, faisant appel au surpassement de soi-même. La performativité du récit, pour parler le langage de la pragmatique de la communication, réside dans la naissance d’une subjectivité qui donne forme à un être et à un agir. »
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[39]
L’utilisation du langage hyperbolique indique que la parole du Jésus matthéen ne vise pas la description précise d’une pratique, sauf à rendre l’excès raisonnable et ainsi ramener la justice supérieure (5, 20) à l’obéissance à la lettre d’un commandement qui serait désormais celui du Messie. Comme le note Camille Focant, « Eschatologie et questionnement éthique dans l’Évangile de Matthieu », op. cit., p. 117, la tendance à la radicalisation « est certes à l’œuvre dans les divers courants du bas-judaïsme. Toutefois, la radicalisation juive de la Loi à cette époque est plutôt quantitative et elle se développe de manière extensive dans la halakah, tandis que celle du Jésus de Matthieu s’éloigne de la casuistique et est plutôt qualitative ». Sur le sujet, cf. Herbert Braun, Spätjüdisch-häretischer une frühchristlicher Radikalismus. Jesus von Nazareth und die essenische Qumransekte, Tübingen, Mohr, 19692 ; également Gerd Theissen, Le mouvement de Jésus. Histoire sociale d’une révolution des valeurs, Paris, Cerf, 2006.
-
[40]
Certes, il est à noter que Matthieu, en conformité avec 5, 31-32, met une limite à sa radicalisation : c’est le cas de porneia (19, 9). Cependant, le Jésus matthéen n’en rompt pas moins avec la règle plus libérale de Moïse. Dale C. Allison, « Divorce, Celibacy and Joseph », JSNT 49, 1993, p. 3-10, a d’ailleurs interprété cette double restriction en lien avec la figure de Joseph le « juste » choisissant de répudier Marie qu’il soupçonne d’adultère (Mt 1, 18-25).
-
[41]
Dans le même sens, voir Warren Carter, Households and Discipleship. A Study ofMatthew 19-20, Sheffield, Academic Press, 1994, p. 63 : « Against a patriarchal understanding of marriage concerned with what a man may do to end the marriage, Jesus asserts the original divine purpose for marriage of unity and permanence. » Plus loin, p. 71, il ajoute que Jésus restreint « the use of male power ».
-
[42]
Toute différente, l’opinion de William D. Davies, Dale C. Allison, Matthew, XIX-XXVIII, op. cit., p. 62-63. Après avoir souligné les nombreux parallèles entre la péricope du jeune homme riche et le Sermon sur la montagne, ils concluent, p. 63 : « In sum, both the SM and Matt. 19 :16-30, affirm the Torah. » Il me semble au contraire que Mt 19, 16-30, comme les antithèses, va plus loin que la Torah, du moins dans sa compréhension traditionnelle. Dans les deux cas, la parole de Jésus opère comme une radicalisation.
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[43]
Je pense ici à l’ensemble des controverses qui doivent être prises en compte pour affiner ou nuancer le propos. Mais également à un passage comme 11, 18-20 qui semble proposer une direction opposée à celle de la radicalisation.
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[44]
Marc Allan Powell, « Do and Keep What Moses Says (Matthew 23 :2-7) », JBL 114, 1995, p. 419-435.
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[45]
La petite différence quant à l’identité des adversaires (« scribes et pharisiens » en Mt 23, « pharisiens et sadducéens » en 16, 5-12) n’est pas décisive sur le point qui nous occupe.
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[46]
En ce sens, on peut affirmer avec Daniel Marguerat que chez Matthieu, « de bout en bout, la Loi est pensée à partir de la christologie », « “Pas un iota” », op. cit., p. 166.
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[47]
Graham N. Stanton, A Gospel for a New People. Studies in Matthew, p. 122. L’expression est habituellement attribuée à Krister Stendahl, The School of Matthew and its Use of the Old Testament, Gleerup, Lund, 1954 (Philadelphie, Fortress Press, 19682).
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[48]
Ainsi Martin Luther. Dans une prédication où il commente le cinquième commandement dans l’interprétation qu’en donne Jésus dans les antithèses, il s’interroge sur ce qu’a voulu dire Jésus par cette radicalisation du propos. Et il répond : « Il [Jésus] place le but si haut que personne ne l’atteint. » Il en déduit alors : « Où y a-t-il quelqu’un qui ne se met jamais en colère ? Le cinquième commandement est interprété là de façon à mener à la mort et dans le feu infernal, et à ne laisser monter personne au ciel. » Ce commandement ne peut en effet être accompli que « sous l’ombre de la grâce » (cité d’après François Vouga, Martin Stiewe, Le Sermon sur lamontagne, op. cit., p. 151).