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Article de revue

La dogmatique à l'école du scepticisme

Pages 333 à 350

Notes

  • [*]
    Nicola Stricker enseigne la dogmatique à l’Institut protestant de théologie, Faculté de Paris.
  • [1]
    Leçon d’ouverture donnée lors de la rentrée académique de la Faculté libre de théologie de Paris, le 8 octobre 2007.
  • [2]
    Martin Luther, Du serf arbitre, in Œuvres, Genève, Labor et Fides, 1958, t. 5, p. 23 (De servo arbitrio, WA 18, 603, 13 : « Absint a nobis Christianis Sceptici »).
  • [3]
    Pierre Bayle, Dictionaire historique et critique, Amsterdam/Leiden 1740, art. « Pyrrhon », in corp.
  • [4]
    Cf. Günther Schnurr, Skeptizismus als theologisches Problem, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1964.
  • [5]
    Cf. Otto Weber, Grundlagen der Dogmatik, Neukirchen, Verlag der Buchhandlung des Erziehungsvereins, 1955, t. 1, p. 65.
  • [6]
    Cf. Horst G. Pöhlmann, Abriss der Dogmatik. Ein Kompendium, Gütersloh, Kaiser/Gütersloher Verlagshaus, 20026, p. 38.
  • [7]
    Cf. ibid., p. 19.
  • [8]
    Horst G. Pöhlmann, op. cit., p. 20, parle d’un « Höchstmass rationaler Durchdringung des Dogmas ».
  • [9]
    Die Augsburgische Konfession – Confessio Fidei, § 20, 26, in Die Bekenntnisschriften der evangelisch-lutherischen Kirche, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 19829.
  • [10]
    L’expression « fides quae » ne se trouve pas telle quelle chez Augustin (cf. Augustin, De Trinitate, 13, 2, 5).
  • [11]
    Cf. Horst G. Pöhlmann, op. cit., p. 22.
  • [12]
    Cf. René Descartes, Discours de la méthode, in Discours de la méthode, suivi des Méditations, Paris, Union Générale d’Éditions, 1962, 4e partie, p. 36.
  • [13]
    Denis Diderot, Pensées philosophiques, in Œuvres complètes : Philosophie et mathématique. Idées I, Herbert Dieckmann, éd., Paris, Hermann, 1975, LVI, p. 48 ; cf. LVII, p. 49 : « Je ne suis pas chrétien parce que saint Augustin l’était ; mais je le suis, parce qu’il est raisonnable de l’être. »
  • [14]
    Adolf von Harnack, L’essence du christianisme, Paris, Fischbacher, 1907, p. 175, 177 sq.
  • [15]
    Cf. le tableau de Horst G. Pöhlmann, op. cit, p. 24, qui illustre, entre autres, l’influence de Schleiermacher sur les théologiens germanophones du xixe siècle.
  • [16]
    Denis Müller, Karl Barth, Paris, Cerf, 2005, p. 171.
  • [17]
    D. Lange déplore le malentendu de la dogmatique, à savoir l’idée d’un « zeitunabhängigen, absolut feststehenden Glaubensgesetzes ». Convaincu du fait que le terme même de « dogmatique » prête à confusion, il propose de le remplacer par l’expression « Glaubenslehre » (doctrine de la foi). Dietz Lange, Glaubenslehre, Tübingen, Mohr Siebeck, 2001, t. 1, p. 3.
  • [18]
    Wilhelm Herrmann, Der Verkehr des Christen mit Gott, Stuttgart, Cotta, 19085, p. 37.
  • [19]
    Wolfhart Pannenberg, Systematische Theologie, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1993, t. 3, p. 176.
  • [20]
    Paul Ricœur, « Esquisse de conclusion. Conférence », in Exégèse et herméneutique, collectif, Paris, Seuil, 1971, p. 291 sq.
  • [21]
    Ibid., p. 291.
  • [22]
    Pour les « Hypotyposes pyrrhoniennes » (HP), nous nous référons à l’édition bilingue suivante : Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, introduction, traduction et commentaires de Pierre Pellegrin, Paris, Seuil, 1997.
  • [23]
    Sextus Empiricus, HP I, 13.
  • [24]
    Dans le glossaire qui suit le texte des HP, Pellegrin souligne que les deux termes sont quasi synonymes. Pierre Pellegrin, Glossaire, in Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, op. cit., p. 541.
  • [25]
    Cf. Sextus Empiricus, HP I, 3.
  • [26]
    Le premier emploi du terme « scepticus » se trouve dans la traduction latine « Vitae et sententiae philosophorum » de Diogène Laërce, effectuée dans les années 1430 par Traversari.
  • [27]
    Diogène Laërce, IX, 69 sqq.
  • [28]
    Cf. Victor Brochard, Les sceptiques grecs, Paris, Imprimerie Nationale, 19322, p. 58 ; pour l’influence orientale sur Pyrrhon, cf. Everard Flintoff, « Pyrrho and India », Phronesis 25, 1980, p. 88-108.
  • [29]
    Ils sont longuement exposés par Sextus Empiricus, HP I, 36-177.
  • [30]
    Ibid., I, 8.
  • [31]
    Cf. ibid., I, 33.
  • [32]
    Ibid., I, 13.
  • [33]
    Ibid., III, 2.
  • [34]
    Cf. ibid., III, 13-16.
  • [35]
    Ibid., III, 2.
  • [36]
    Cf. ibid., III, 6.
  • [37]
    Ibid., III, 280.
  • [38]
    Malte Hossenfelder, « Einleitung », in Sextus Empiricus, Grundriss der pyrrhonischen Skepsis, trad. Malte Hossenfelder, Francfort, Suhrkamp, 1985, p. 88.
  • [39]
    Sextus Empiricus, Pyrrhoniarum hypotyposeon, Libri tres, Edidit Henricus Stephanus, Paris, 1562. Pour ce qui est de l’exemplaire grec dont Estienne s’est servi, il s’agit sans aucun doute d’un manuscrit, que H. Mutschmann identifie avec le Taurinensis gr. 12, qui date de la fin du xve ou du début du xvie siècle. Hermann Mutschmann, « Die Überlieferung der Schriften des Sextus Empiricus », in Rheinisches Museum für Philologie 64, 1909, p. 282 (cf. p. 246).
  • [40]
    Cf. Michel Eyquem de Montaigne, « Apologie de Raimond Sebond », in Les Essais, édition de P. Villey, Paris, Quadrige/PUF, 19922, livre II, chap. 12, p. 506.
  • [41]
    Cf. Françoise Caujolle-Zaslawsky, « L’interprétation du scepticisme comme philosophie du doute religieux : analyse d’un malentendu », Revue de Théologie et de Philosophie n° 27, 1977, p. 84.
  • [42]
    Cf. Pierre Charron, « De la Sagesse », in Toutes les œuvres (Paris, J. Villery, 1635), Genève, Slatkine Reprints, 1970, I, 2, 5, p. 63.
  • [43]
    Cf. Pierre Bayle, « Pensées diverses », in Œuvres diverses (OD), É. Labrousse, éd., Hildesheim, Olms, 1964-1982, t. 3, p. 265b.
  • [44]
    Cf. Pierre Bayle, Nouvelles Lettres critiques de l’Auteur de la Critique générale de l’Histoire du Calvinisme, OD II, p. 334b.
  • [45]
    Jean Calvin, Institution, III, 2, 14. Nous nous référons à l’édition suivante : Jean Calvin, Institution de la religion chrestienne, Jean-Daniel Benoit, éd., Paris, Vrin, 1957-1961.
  • [46]
    Odo Marquard, l’un des philosophes contemporains les plus proches du scepticisme, dénonce les « Zweifelsorgien » d’un scepticisme ne visant que la destruction. Odo Marquard, « Abschied vom Prinzipiellen. Auch eine autobiographische Einleitung », in Abschied vom Prinzipiellen. Philosophische Studien, Stuttgart, Reclam, 1981, p. 14. Sur son scepticisme postmoderne, cf. Rochus Leonhardt, Skeptizismus und Protestantismus. Der philosophische Ansatz Odo Marquards als Herausforderung an die evangelische Theologie, Tübingen, Mohr Siebeck, 2003, p. 37-141.
  • [47]
    Jean Calvin, Institution, op. cit., I, 13, 3.
  • [48]
    Cf. Eberhard Jüngel, Dieu mystère du monde, Paris, Cerf, 1997, t. 1, p. 238.
  • [49]
    Paul Ricœur, « Herméneutique. Les finalités de l’exégèse biblique », in Centre Thomas More, La Bible en philosophie. Approches contemporaines, Paris, Cerf, 1993, p. 32.
  • [50]
    Martin Luther, De servo arbitrio, WA 18, 605, 20 sq. (Martin Luther, Du serf arbitre, in Œuvres, t. 5, p. 26 : « Ce qui est au-dessus de nous ne nous concerne pas »).
  • [51]
    Dietrich Bonhoeffer explique cette impuissance en distinguant entre les formes authentiques qui précèdent la raison de l’homme et les formes inauthentiques de sa pensée : « La forme originaire précède tout logos humain. C’est pourquoi nous sommes incapables de saisir la révélation divine. » Dietrich Bonhoeffer, La nature de l’Église, Genève, Labor et Fides, 1972, p. 40.
  • [52]
    Manfred Oeming, Biblische Hermeneutik. Eine Einführung, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 20072, p. 43 : « Das führt […] zur Regionalisierung der Wahrheit : Was an der einen Universität aktuelles Forschungsergebnis ist, gilt wenige hundert Kilometer weiter als völliger Unsinn. »
  • [53]
    Selon Kierkegaard, la foi elle-même serait à comprendre comme unité paradoxale entre certitude subjective et incertitude objective. Cf. Søren Kierkegaard, Post-scriptum définitif et non scientifique aux Miettes philosophiques, vol. 1, in Œuvres complètes, Paris, Éditions de l’Orante, 1977, t. 10, p. 190, cf. p. 216). Sur Kierkegaard, cf. Walter Diez, Wahrheit – Gewissheit – Zweifel. Theologie und Skepsis im Widerstreit. Eine theologisch-philosophische Untersuchung, thèse d’habilitation, Munich, 1993 (non publiée, version en ligne : http://www.ev.theologie.uni-mainz.de/Dateien/wgz.pdf).
  • [54]
    Cf. Rudolf Bultmann, Neues Testament und Mythologie, in Hans-Werner Bartsch, Kerygma und Mythos, t. 1, Hambourg, Reich, 19604, p. 44 sqq. ; pour l’argument de Lüdemann et la critique de Pannenberg, cf. le résumé chez Rochus Leonhardt, Grundinformation Dogmatik, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 20042, p. 209 sq.
  • [55]
    Cité d’après Victor Brochard, Les sceptiques grecs, op. cit., p. 70.
  • [56]
    Wolfhart Pannenberg, La Foi des Apôtres, Paris, Cerf, 1974, p. 16.
  • [57]
    2 Co 5, 5.
  • [58]
    Cf. Jürgen Moltmann, L’Église dans la force de l’esprit, une contribution à l’ecclésiologie messianique, Paris, Cerf, 1980, p. 55.
  • [59]
    Nous nous appuyons ici sur une idée de Pierre Bühler – communiquée lors d’un entretien – selon laquelle une foi sans trouble serait une foi morte.
  • [60]
    Dietrich Bonhoeffer, Lettre du 16 juillet 1944, in Résistance et soumission, Genève, Labor et Fides, 1973, p. 366.
  • [61]
    Cf. Jean Calvin, Institution, III, 2,2.
  • [62]
    Cf. Martin Luther, Traité de la liberté chrétienne, in Œuvres, Genève, Labor et Fides, t. 2, 1966, p. 285-306.
  • [63]
    L’hubris, la superbia augustinienne, devient chez Tillich « le péché dans sa forme totale » car l’homme se place au centre de son monde. Paul Tillich, Théologie Systématique III, L’existence et le Christ, Paris/Genève/Laval, Cerf/Labor et Fides/PUL, 2006, p. 86.
  • [64]
    Sur la notion d’aliénation, cf. ibid., p. 77 sqq.
  • [65]
    Pierre Bayle, La Cabale chimérique, OD II, p. 656a.
  • [66]
    Il semble plus judicieux d’y voir la reconnaissance des limites de tout système (cf. Sebastian Neumeister, « Pierre Bayle und der Mythos. Postmoderne Lektüre eines protestantischen Querdenkers », in S. Neumeister, éd., Frühaufklärung, Munich, Fink, 1994, p. 132) plutôt que de l’expliquer par sa personnalité (cf. Élisabeth Labrousse, Pierre Bayle : hétérodoxie et rigorisme, Paris, Albin Michel, 19962, p. xvi-xvii et 43).
  • [67]
    Rochus Leonhardt (Skeptizismus und Protestantismus, op. cit., p. 25 sqq.) en donne quelques exemples. Hartmut Rosenau, « “Ich glaube – hilf meinem Unglauben”. Zur theologischen Auseinandersetzung mit der Skepsis », in Wilfried Härle et al., éd., Befreiende Wahrheit. Festschrift für Eilert Herms zum 60. Geburtstag, Marbourg, Elwert, 2000, p. 373. Rosenau attribue au scepticisme la tâche d’examiner de manière critique les conceptions doctrinales directrices ; cf. aussi Walter Diez, op. cit.
  • [68]
    Wilfried Härle, « Christlicher Glaube zwischen Gewissheit und Skepsis », in Manfred Marquardt, éd., Theologie in skeptischer Zeit, Stuttgart, Christliches Verlagshaus, 1997, p. 76 et 78.
  • [69]
    Pierre Bayle, Pensées diverses, OD III, p. 127b.
  • [70]
    Dietrich Bonhoeffer, La nature de l’Église, op. cit., p. 35.
  • [71]
    Ibid., p. 37.
  • [72]
    Christiane Frémont, « La triple vérité », Revue des sciences philosophiques et théologiques 76, 1992, p. 49.
  • [73]
    Paul Ricœur, « Herméneutique de l’idée de Révélation », in La Révélation, collectif, Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis 1977, p. 39.
  • [74]
    Ibid.
  • [75]
    À la suite de Ricœur, Ulrich H. J. Körtner lie l’événement de la vérité à l’acte de lecture. Ulrich H. J. Körtner, Der inspirierte Leser. Zentrale Aspekte biblischer Hermeneutik, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1994, p. 173.
  • [76]
    Cf. Gerhard Ebeling, « Gewissheit und Zweifel », in Wort und Glaube II, Mohr Siebeck, 1969, p. 163 ; cf. la critique d’Ebeling par Wolfhart Pannenberg, Systematische Theologie III, p. 191 sq.
  • [77]
    Paul Ricœur, « Manifestation et proclamation », in Enrico Castelli, éd., Le sacré. Études et recherches, Paris, Aubier-Montaigne, 1974, p. 68.
  • [78]
    Martin Hailer, « Metapher und Symbol oder : Ist Skepsis in der Theologie unausweichlich ? », in Reinhold Bernhardt, Ulrike Link-Wieczorek, éd., Metapher und Wirklichkeit. Die Logik der Bildhaftigkeit im Reden von Gott, Mensch und Natur. Dietrich Ritschl zum 70. Geburtstag, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1999, p. 50 (« interne Rationalität », « Metaphernbündeln »), cf. p. 53.
  • [79]
    Cf. Paul Ricœur, « Herméneutique de l’idée de Révélation », op. cit., p. 33 : « Ce qui se révèle est aussi ce qui se réserve. »
  • [80]
    Paul Ricœur, « D’un Testament à l’autre : essai d’herméneutique biblique », in Daniel Marguerat, Jean Zumstein, éd., La mémoire et le temps. Mélanges offerts à Pierre Bonnard, Genève, Labor et Fides, 1991, p. 306.
  • [81]
    Cf. Gerhard Ebeling, Dogmatik, Tübingen, Mohr Siebeck, 19822, t. 1, p. 192-244.
  • [82]
    Rochus Leonhardt, Skeptizismus und Protestantismus, op. cit., p. 34 (« hermeneutische Skepsis »). Leonhardt considère que le défi que pose le scepticisme herméneutique à la dogmatique n’est pas assez pris en compte et pas encore surmonté (ibid.).
  • [83]
    Cf. Ernst-Wilhelm Kohls, Luther oder Erasmus. Luthers Theologie in der Auseinandersetzung mit Erasmus, t. 1, Bâle, Reinhardt, 1972, p. 40-48.
  • [84]
    Martin Luther, Du serf arbitre, in Œuvres, Genève, Labor et Fides, 1958, t. 5, p. 24 (De servo arbitrio, WA 18, 603, p. 28 sq. : « Tolle assertiones, [et] Christianismum tulisti »).
  • [85]
    Cf. Günter Bader, Assertio. Drei fortlaufende Lektüren zu Skepsis, Narrheit und Sünde bei Erasmus und Luther, Tübingen, Mohr Siebeck, 1985, p. 188.
  • [86]
    Cf. ibid., p. 190.
  • [87]
    Rochus Leonhardt, Skeptizismus und Protestantismus, op. cit., p. 301, cf. p. 297.
  • [88]
    Ulrich H. J. Körtner (op. cit., p. 51) postule une « herméneutique de l’incompréhension » (« Hermeneutik des Unverständnisses »).

I – Introduction

1À première vue, dogmatique et scepticisme semblent diamétralement opposés. « Tenons-nous éloignés, nous chrétiens, des sceptiques [2] », s’écrie Luther contre Érasme. Même selon les penseurs sceptiques eux-mêmes, le scepticisme n’a pas droit de cité dans une faculté de théologie. « C’est avec raison qu’on le déteste dans les Écoles de Théologie [3] », écrit Pierre Bayle, penseur protestant des pré-Lumières et sceptique avéré aux yeux de ses contemporains et de la majorité des chercheurs de nos jours.

2Encore aujourd’hui, les dogmaticiens cherchent assez peu à faire du scepticisme leur allié. Beaucoup d’entre eux manifestent un refus théologique du scepticisme comme expression du péché empêchant l’homme de se tourner vers Dieu par ses propres forces [4].

3En revanche, j’aimerais montrer qu’il y a des choses que la dogmatique peut apprendre du scepticisme. Nous allons voir que la dogmatique et le scepticisme partagent des questions centrales. Tous deux s’interrogent sur la valeur de la raison, des convictions et de la tradition, sur la vérité, la connaissance de Dieu et les pratiques religieuses. Sous sa forme moderne et postmoderne, le scepticisme pose la question de la relation entre foi et raison, que la dogmatique tente de résoudre dans ses prolégomènes (c’est-à-dire en rendant compte des principes, conditions, critères et moyens du discours dogmatique).

4Dans une première partie, je présenterai les deux concepts en question (la dogmatique et le scepticisme). La deuxième partie formulera sous formes de thèses ce que la dogmatique peut apprendre du scepticisme. En guise de conclusion, la troisième partie traitera de la possibilité d’une dogmatique sceptique.

I – Présentation des concepts

La dogmatique

5La répartition de la théologie en disciplines est assez tardive : l’exégèse et l’histoire ne sont devenues des disciplines indépendantes qu’au xviie siècle, la théologie pratique ne date que du xixe siècle [5]. Dès le xviie siècle, l’éthique s’émancipe de l’emprise de la dogmatique [6]. On appellera dogmatique l’exposition des vérités de la foi, des dogmes, qui, jusque-là, se trouvait au centre de la théologie.

6Ici, un parcours rapide s’impose. Joignant à la fois la signification philosophique (assertion) et l’usage juridique (disposition légale) du terme dogma[7], l’Église ancienne essaya avant tout de parvenir à une formulation commune des dogmes en tant que vérités de foi valables pour toute l’oikoumenè, pour toute la chrétienté. La première forme que prirent les vérités établies et fixées fut celle de la confession de foi : ce sont les symboles de l’Église ancienne. L’autre forme fut la présentation systématique des dogmes, par exemple dans l’ouvrage De principiis d’Origène dont l’orthodoxie fut bientôt contestée. Au Moyen Âge, il faut souligner les Sentences de Pierre Lombard, mais aussi l’immense œuvre de Thomas d’Aquin, la Somme théologique, qui, au niveau de la présentation rationnelle des dogmes, n’a pas trouvé son pareil [8]. La théologie de la Réforme est une réaction contre la rationalisation scolastique des dogmes. Elle-même aura deux effets opposés. D’une part, la réflexion sur les dogmes perd son caractère rationnel en faveur d’une théologie qui souligne la nécessité de la foi justifiante, de la grâce qui unit au Christ. La foi est interprétée avant tout comme relation avec Dieu, comme fiducia[9], confiance absolue. En terminologie augustinienne, elle est plus fides qua, acte par lequel on croit (opération divine), que fides quae, affirmation de contenus (jugement humain) [10]. Cet accent sur le rapport entre foi et existence permet à la dogmatique de créer de nouveaux concepts (tels que le sola fide, par la foi seule). La théologie ne parle pas que de Dieu mais de l’homme pécheur vis-à-vis de Dieu, coram Deo (devant Dieu). D’autre part, à force de fixer les nouvelles vérités, la théologie de la post-Réforme a tendance à se figer en scolastique protestante. Pourtant, son art de distinction exemplaire [11] peut encore être utile aujourd’hui.

7Le temps moderne fut celui de l’émergence du sujet. Le fondement inébranlable, le cogito[12] cartésien, dégagé par le doute méthodique, se traduit en termes proprement théologiques. La dogmatique de l’Aufklärung cherche à établir la conformité entre la foi et la raison. Beaucoup de théologiens adhèrent même à la thèse selon laquelle « la raison seule fait des croyants [13] ». Cette pénétration rationnelle de la dogmatique est renforcée par les résultats de l’exégèse historico-critique. On retient de l’enseignement de Jésus surtout ses préceptes moraux, mais on a tendance a être de plus en plus sceptique vis-à-vis des récits de miracles. Le libéralisme du xixe siècle proclame largement un christianisme adogmatique et s’intéresse avant tout à la morale parfaite de Jésus-Christ. L’évangile ne prêche pas Jésus-Christ, mais la confiance en Dieu et la bonne conduite, dira Harnack dans son ouvrage L’essence du christianisme[14]. Le xixe siècle aurait peut-être vu la fin de la dogmatique dans quelques-unes des facultés luthéro-réformées, s’il n’y avait pas eu la démarche de Schleiermacher qui servit d’intermédiaire entre la théologie libérale et la théologie conservatrice [15]. Selon Schleiermacher, la théologie est empirique et non pas spéculative. Au lieu de partir de la raison, ce théologien allemand place la certitude dans le sentiment, dans la conscience, en accordant une place importante à l’expérience.

8Après la Première Guerre mondiale, les représentants de la théologie dialectique (dont Karl Barth et Émile Brunner) s’insurgeront contre la subjectivité prônée par le libéralisme et Schleiermacher. L’objectivisme barthien part de la Parole comme le seul lieu où Dieu se révèle et comprend la Bible – selon le résumé de Denis Müller dans sa monographie sur Barth – comme « le lieu de l’advenir objectif de Dieu pour nous [16] ».

9Depuis la fin de la prédominance de Karl Barth, les diverses théories théologiques de la subjectivité (Bultmann, Tillich, Pannenberg) côtoient l’objectivisme barthien. Il importe de souligner avec les théologiens de la subjectivité que la dogmatique ne présente pas une « loi doctrinale [17] », un réseau de vérités objectives et immuables.

10À la suite de Herrmann [18] qui avait distingué entre le fondement de la foi (Grund des Glaubens) et les idées de la foi (Glaubensgedanken), Pannenberg [19] affirme qu’il faut distinguer entre le contenu de la révélation, qui détermine la foi, et les formes d’expression de ce contenu qui, elles, sont conditionnées par le temps. Nous sommes alors en droit de conclure que, loin de former une loi immuable, les énoncés dogmatiques reflètent l’historicité de tout discours. Nous pourrions en effet y appliquer ce que Ricœur dit du texte biblique : « Nous ne sommes donc pas dans une relation de sujet à objet, mais d’être historique à être historique [20]. » Il y a alors une distance culturelle entre nous et les formulations dogmatiques les plus importantes (de l’Église ancienne mais aussi de la Réforme) qui demande à être prise en compte. Reconnaître l’historicité des formulations du message biblique, c’est revendiquer l’importance de l’herméneutique pour la dogmatique, comme pour l’exégèse, afin de répondre à la distance historique tout en reconnaissant la proximité qui vient de l’appartenance à une même « ligne de tradition [21] ». Au service de la proclamation de l’évangile et appelée à rendre compte des contenus centraux de la foi, la dogmatique trouvera ses réponses aux problèmes d’aujourd’hui uniquement à la lumière des textes bibliques, dans le débat critique avec la tradition, et à travers la confrontation à la situation actuelle.

Le scepticisme

11Dans ses « Hypotyposes pyrrhoniennes [22] », Sextus nous apprend « que le sceptique ne dogmatise pas [23] ». Dogmatiser signifie faire une assertion (dogma), soutenir une opinion (doxa) [24] que l’on considère comme vraie. Contrairement au sceptique, le dogmatique pense avoir trouvé la vérité [25].

12Le terme « sceptique » remonte, en passant par une transcription latine (scepticus[26]), au terme grec skeptikos, qui signifie littéralement « quelqu’un qui cherche ». À la racine de l’appellation skeptikos se trouve le verbe skeptomai, « observer, examiner ». Le terme skeptikos est employé, vers 200 apr. J.-C., chez Diogène Laërce [27], pour désigner les philosophes dits « pyrrhoniens ». Pyrrhon, le premier philosophe sceptique, partit de la thèse que la nature du monde était indéterminable. Les sens et la raison sont incapables de distinguer le vrai du faux, il ne faut pas plus affirmer une chose que la nier, mais la nier et l’affirmer à la fois, car elle n’est pas plutôt ceci que cela (ouden mallon). Seul le doute permet d’atteindre le bonheur, à savoir l’indifférence (adiaphoria) et l’apathie parfaite [28]. Comme la vérité est inconnue, l’homme ne vit que d’après des conventions, à savoir la loi et les coutumes. Si le scepticisme de Pyrrhon fut avant tout une philosophie pratique, ses successeurs mirent en place un scepticisme théorique, inventant des tropes [29], des modes d’argumentation pour montrer la relativité de toutes choses et les erreurs d’argumentation des dogmatiques, par exemple la position d’hypothèses arbitraires.

13Sextus Empiricus présente le scepticisme pyrrhonien de la manière suivante :

14

Le scepticisme est la faculté de mettre face à face les choses qui apparaissent aussi bien que celles qui sont pensées, de quelque manière que ce soit, capacité par laquelle, du fait de la force égale qu’il y a dans les objets et les raisonnements opposés, nous arrivons d’abord à la suspension de l’assentiment, et après cela à la tranquillité [30].

15Tout argument est a priori réfutable même si, jusque-là, on n’a pas encore trouvé le bon contre-argument [31]. On pourrait par exemple penser à l’héliocentrisme qui n’a pu se substituer au géocentrisme qu’après les idées de Copernic, de Galilée et de Kepler. L’état désiré par la philosophie pyrrhonienne est l’ataraxie, la tranquillité de l’âme. À cette fin, le sceptique suspend son jugement et refuse de donner son assentiment aux « choses obscures » (adêla), admettant seulement les « affects qui s’imposent à lui à travers une impression [32] », comme la chaleur et le froid.

16Le début du troisième livre des Hypotyposes est consacré aux causes, et tout d’abord à celle que « la plupart ont prétendu[e] […] la plus active [33] », la divinité. Sextus constate que les conceptions des dogmatiques sont contradictoires [34]. La position des sceptiques est celle-ci : « En suivant sans soutenir d’opinion les règles de la vie quotidienne nous disons qu’il existe des dieux, nous révérons les dieux et nous affirmons qu’ils exercent une providence [35]. » L’isosthénie, la force égale des arguments contraires, fait de la divinité une chose cachée dont l’existence et la nature devraient être prouvées [36]. Mais ces preuves sont aporétiques. L’universalité du doute ne s’arrête donc pas devant les questions théologiques. Les ouvrages de Sextus montrent cependant qu’il n’est pas question de la foi en tant qu’expérience, mais de croyances fondées sur tel ou tel raisonnement. Le sceptique ne justifie pas la religion dont il fait profession. Il ne se considère pas non plus comme athée. Suspendant son jugement à l’égard des questions théologiques, le sceptique vit selon les exigences religieuses de son environnement. À la fin des Hypotyposes, Sextus dévoile le fondement éthique du scepticisme : « Le sceptique, du fait qu’il aime l’humanité, veut guérir par la puissance de l’argumentation la présomption et la précipitation des dogmatiques [37]. » Le scepticisme de Sextus veut libérer les hommes de leurs angoisses sans pour autant pouvoir donner des réponses aux questions existentielles. Comme l’a déjà souligné Hossenfelder [38], la réfutation sceptique de la prétention de la philosophie à fournir des certitudes semble ainsi avoir préparé le chemin à la religion chrétienne.

17Pendant de longs siècles, le scepticisme est tombé dans l’oubli. Sa renaissance se produit au xvie siècle. En 1562, Henri Estienne publie sa traduction latine [39] des Hypotyposes de Sextus Empiricus, remettant ainsi en circulation ses idées. Dans la confrontation aux dogmes chrétiens, trois voies s’ouvrent au nouveau sceptique : celle de l’agnosticisme (conformément à l’héritage ancien), celle de l’athéisme (le caractère incertain des vérités révélées, dénoncé par la raison, nourrit, par la suite, la tendance à les nier), et celle du fidéisme qui remplace l’incertitude de la raison par la certitude de la foi. Philosophiquement, le fidéisme se nourrit du scepticisme des Hypotyposes de Sextus Empiricus. Théologiquement, il se fonde sur l’autorité de l’Écriture et de l’Église (selon la confession). Il postule l’impossibilité d’une connaissance du vrai Dieu par la philosophie et renvoie comme 1 Co 1, 21 au salut per stultitiam praedicationis (par la folie de la prédication). Selon la forme la plus radicale du fidéisme, la raison est entièrement subordonnée à la foi, de sorte que le discours de la raison sur la vérité n’a plus d’importance. Dans cette perspective sceptique à motivation religieuse, l’incertitude de la raison, mise en avant par le scepticisme philosophique, est remplacée par la certitude de la foi qui rend possible la connaissance des vérités révélées. L’argumentation sceptique sert à démontrer la déficience de la raison, aggravée par les passions et les préjugés, afin de renvoyer à la foi comme l’unique instrument de connaissance certaine. L’homme sceptique qui a compris l’impuissance de sa raison, est prêt à être instruit et formé par Dieu [40]. C’est ainsi que le scecpticisme devient une propédeutique de la foi [41], servant des fins théologiques. Selon le fidéiste catholique Charron, le sceptique ne peut pas devenir hérétique puisqu’il n’admet que l’autorité de Dieu dont la Parole se retrouve dans l’Écriture et dans l’Église, interprète de l’Écriture [42]. On comprend alors aisément comment le scepticisme a pu être utilisé contre les idées de la Réforme, surtout contre le principe de l’autorité de l’Écriture (sola scriptura) et le postulat du libre examen.

18À la manière de Montaigne et de Charron, Bayle, lui-même protestant, considère que l’argumentation sceptique manifeste l’échec de la raison [43]. Mais si, en philosophie, l’isosthénie demande la suspension du jugement, elle est illégitime en matière de foi [44]. C’est que le jugement sur ce que nous croyons n’est pas opéré par la raison, mais par la conscience, qui nous confirme que ce que nous croyons est agréable à Dieu. La certitude de la foi est engendrée dans la conscience. Comme la foi est un assentiment de la conscience, il est absurde de vouloir la fonder sur l’évidence rationnelle. Ici, Bayle peut se réclamer de Calvin : « […] les choses que nous entendons par foy nous sont absentes et cachées à nostre veue. Dont nous concluons que l’intelligence de la foy consiste plus en certitude qu’en appréhension [45]. »

19Les combattant avec leurs propres armes, le scepticisme montre à tous les dogmatismes que leur prétention à être l’unique vérité est vaine car non démontrable. Il dégage les préjugés et les idéologies qui les fondent. Tout fanatisme théologique ou politique se réclame d’une idéologie qui prétend être la seule véritable. Il ne vise pas les phénomènes, la situation réelle, la vie telle qu’elle est vécue, mais une pure illusion. C’est en tant qu’arme contre tout illusionnisme idéologique (y compris le doute orgiaque [46], excessif) que le scepticisme intéresse les philosophes d’aujourd’hui.

II – Ce que la dogmatique peut apprendre du scepticisme

20Quel est l’intérêt du scepticisme pour la dogmatique ? Le scepticisme n’intéresse la dogmatique qu’en tant qu’il admet la possibilité de se réclamer d’une autre instance de connaissance : la foi. La dogmatique réclame une intervention de la foi dans la pensée. Une notion de Dieu fondée sur les spéculations de la raison ne rend pas compte de la nature du vrai Dieu, comme le souligne aussi cette pensée de Calvin : « […] tout ce que nous en pensons de nous-mesmes n’est que folie [47]. » La Parole « précède la pensée » [48]. Tout ce que nous pensons et disons de Dieu – tout ce que nous faisons en son nom – est postérieur à sa Parole, doit s’enraciner dans celle-ci. Quel peut être l’apport du scepticisme à la dogmatique aux prises avec les difficultés que pose le principe protestant du sola scriptura ?

211re thèse : Le scepticisme apprend à la dogmatique à ne pas tout sacrifier à l’esprit du siècle.

22Dans la mesure où il renvoie à la nécessité de préserver la tradition face aux incertitudes des innovations, le scepticisme est hautement conservateur. Mais il l’est de manière non dogmatique. C’est que les nouveautés ne lui semblent pas plus certaines que les coutumes. La prudence face aux nouveautés peut apprendre à la dogmatique à garder une distance critique face aux tendances philosophiques et politiques de son temps et l’empêcher de se précipiter dans des alliances douteuses (rationalisme, nationalisme, certaines formes de libéralisme). Cette prudence fait partie de la « dette [49] » que nous avons envers la communauté interprétative à laquelle nous appartenons. En tant qu’interprète, en tant que théologien, j’appartiens à une tradition d’interprétation dont mon interprétation est la prolongation. En termes musicaux : je ne chante pas en solo mais dans une chorale qui chante le même cantique à plusieurs voix (parfois c’est harmonieux, tandis que d’autres fois cela aboutit à une véritable cacophonie). La tradition est un repère important dans la mesure où elle transmet aussi un langage qui peut nous orienter, nous rassurer ou nous bouleverser. Évidemment, souvent le dogme ne nous dit plus rien. Mais il faut le prendre au sérieux et s’exposer à ces tensions et incompréhensions parce qu’elles nous renseignent sur notre propre incapacité à trouver les mots justes, à réinventer le langage théologique. Le scepticisme rappelle à la dogmatique qu’elle n’a le droit de renoncer ni à ses sources ni à sa tradition. C’est l’invitation à ne chercher la conformité ni avec la raison ni avec l’esprit du temps mais avec sa source, à savoir le message biblique, à travers la distance historique, dans un travail de réactualisation.

232e thèse : Le scepticisme apprend à la dogmatique à respecter ses limites.

24Selon le scepticisme, la nature de Dieu fait partie des adêla, des choses obscures. « Quae supra nos nihil ad nos [50] », disait aussi Luther pour faire comprendre que nous ne connaissons pas la face cachée de Dieu, le Deus absconditus, que nous n’avons que la révélation en Christ qui nous enseigne sur la vraie nature divine et sur sa volonté. Mais la révélation n’a pas le statut d’une certitude objective. Elle ne peut pas être démontrée par la raison ; celle-ci, incapable de la saisir [51], peut l’attaquer et la mettre en contradiction avec le monde. La dogmatique souffre d’une part de la non-évidence de ses idées directrices (Trinité, vie éternelle), d’autre part de l’indémontrabilité de ses événements fondateurs (incarnation du Verbe, résurrection).

25Le scepticisme met en question la valeur de l’argumentation rationnelle en montrant ses contradictions. Vu la relativité des jugements, l’évidence rationnelle est problématique. L’interprétation historique est également mise en doute. Les témoins se contredisent. Les interprètes ne sont pas unanimes. Il n’y a pas qu’une seule manière de raconter l’histoire. Qui plus est, la recherche historique évolue, change d’avis. En exégèse historico-critique, les hypothèses abondent, on assiste – selon l’exégète Manfred Oeming – à une « régionalisation de la vérité : ce qui est considéré comme résultat actuel de la recherche dans une université est considéré comme une absurdité totale quelque cent kilomètres plus loin [52] ». La dogmatique ne peut se fier ni aux conclusions de la raison ni aux jugements historiques. Ces limites, confirmées par le scepticisme, sont aussi des chances. Une dogmatique consciente de ses limites ne prête pas le flanc aux attaques du rationalisme et de l’historicisme. Elle peut avancer ses présupposés (que Dieu existe, qu’il nous a envoyé Jésus-Christ, qu’il nous sauve dans la foi) et son principe formel (sa conformité au message biblique), sans nier ni le caractère provisoire de ses interprétations ni l’incertitude objective de ce qu’elle proclame comme certain, de ce qui est certitude subjective [53].

263e thèse : Le sceptique peut apprendre au dogmaticien à ne pas s’inquiéter face à l’incertitude objective.

27La dogmatique s’affole parfois de la défaite de l’objectivité de ses énoncés et des faits sur lesquels elle repose. Je pense au débat sur l’historicité de la résurrection, critiquée par Bultmann mais réaffirmée par Pannenberg contre Lüdemann qui, lui, avait nié la résurrection à cause de sa non-objectivité historique [54]. La dogmatique serait avisée de prendre à cœur l’anecdote du pourceau de Pyrrhon. On raconte que, se trouvant un jour sur un vaisseau en train de faire naufrage, Pyrrhon fut le seul à ne pas s’affoler – à l’exception d’un pourceau qui continuait à manger tranquillement. Pyrrhon loua alors ce pourceau en disant : « Voilà le calme que doivent donner la raison et la philosophie à ceux qui ne veulent pas se laisser troubler par les événements [55]. »

28Le doute accompagne la foi, m’a dit mon collègue Jean Marcel Vincent. Pannenberg admet également une coexistence : « Foi et doute ne s’excluent pas, mais le doute est l’ombre qui suit partout la confiance et la foi [56]. » Or, au lieu d’y voir un spectre, on pourrait assumer le doute comme épreuve de la foi. La foi est confiance et elle est espérance parce que le Royaume de Dieu s’annonce déjà mais n’est pas encore accompli. Selon une expression paulinienne, les croyants possèdent « les arrhes de l’Esprit [57] », ce qui veut dire, dans l’interprétation moltmannienne, que l’Esprit en tant que force de l’avenir détermine déjá le présent et anticipe la joie malgré la souffrance, l’amour malgré la haine [58] – et si nous osons compléter ce tableau des bienfaits anticipés, nous dirons qu’il anticipe la certitude malgré le doute et la tentation qui accompagnent la foi. C’est vers une certitude et une vérité indubitable et absolue, mais extra nos et dans cette vie objectivement incertaine que, toujours selon l’apôtre, « nous marchons par la foi et non par la vue » (2 Co 5, 7). Le monde présent n’est pas encore délivré. Il souffre de ce qu’il n’est pas encore nouvelle création. Si la foi est espérance eschatologique et non pas confiance en la raison et dans les choses visibles, l’incertitude objective ne doit désespérer ni les croyants ni la dogmatique. La certitude subjective, la confiance, n’est pas une disposition acquise de nos propres forces, mais un don continuellement renouvelable bien que donné une fois pour toutes. Elle est offerte par Dieu (extra nos) et permet de refuser un scepticisme radical, entraînant la perte de toute confiance. Dans les moments de tentation, d’affliction, de manque de confiance, cette certitude n’est pas perdue, mais elle est comme voilée par le doute existentiel et religieux, par les troubles que le sceptique nomme tarachai. Le croyant s’effraie comme les marins du vaisseau sur lequel voyage Pyrrhon au lieu d’attendre calmement, sans prémonition noire ni vertige spirituel, que la tempête se calme. Nous vivons dans l’incertitude. Nous avons peut-être besoin du doute pour sentir notre foi, pour qu’elle reste vivante [59]. C’est Bonhoeffer qui nous avertit du fait « qu’il nous faut vivre en tant qu’hommes qui parviennent à vivre sans Dieu » et que c’est Dieu lui-même qui « nous laisse vivre dans le monde, sans l’hypothèse de travail Dieu [60] ».

294e thèse : Le scepticisme apprend à la dogmatique à être libre.

30Un fidéisme absolu proclame une foi aveugle. S’agit-il alors de frayer le chemin à la foi aveugle, au biblicisme, au fanatisme ? Une fides carbonaria, une foi de charbonnier, une pure fides quae, crue sur la parole d’une autre instance, est inacceptable d’un point de vue protestant [61]. L’autorité même attribuée à l’Écriture demande que la critique ne soit pas exclue. Selon la théologie de la Réforme, nous sommes appelés à la « liberté chrétienne [62] ». Nous sommes placés sous la seule autorité du Verbe incarné qui, dans la foi, nous impute librement sa justice. Qui plus est, dans une perspective protestante, l’enracinement de la certitude subjective dans l’extra nos correspond tout à fait au fondement extra nos de notre salut. La conception d’un salut dont le Christ est le seul auteur dénonce l’hubris [63] humaine qui consiste à surestimer les capacités spirituelles, morales et rationnelles de l’homme. L’homme est « aliéné [64] » de Dieu, profondément dépendant de Dieu par rapport au salut et à sa vie, par rapport à la connaissance de Dieu et de lui-même. Loin de l’asservir, cette dépendance profonde le libère de lui-même.

31Ne nous croyons pas trop forts ! Ne nous prenons pas trop au sérieux ! C’est cela aussi, le message du sceptique de toutes les époques adressé au dogmaticien. Bayle a pu considérer la philosophie comme un « jeu d’esprit [65] », dans lequel il se plaisait à dégager les faiblesses des systèmes sans prendre parti. On lui a aussi reproché son éclecticisme [66]. Or, ne faut-il pas accepter la fin des écoles dogmatiques (que ce soit le libéralisme ou la néo-orthodoxie, le barthisme – s’il existe – ou la théologie de la subjectivité) comme la fin des systèmes qui ne constitue en rien la fin de la dogmatique mais une nouvelle liberté ? Faut-il opter entre christologie d’en bas (à partir de l’homme Jésus) et christologie d’en haut (à partir de la divinité du Christ), entre l’homme Jésus et le Christ Seigneur ? La dogmatique n’est pas « endoctrinement » mais réflexion et débat critique. La dogmatique comme « jeu d’esprit », c’est la critique des constructions dogmatiques qui se prennent trop au sérieux. À travers une herméneutique sceptique qui est celle du soupçon, c’est la critique des préjugés, des idéologies qui fondent ces constructions. La déconstruction montre les substrats philosophiques, politiques des élaborations dogmatiques. La dette envers la tradition interprétative doit donc aussi être critique et rendre sensible aux tendances totalitaires, élitistes, misogynes, racistes des constructions doctrinales héritées.

32Certes, le potentiel critique du scepticisme trouve parfois des échos favorables parmi les dogmaticiens [67]. Härle [68] va même jusqu’à affirmer que l’attitude sceptique elle-même – c’est-à-dire l’examen rigoureux – est conforme à la foi dans la mesure où le doute l’oblige de continuer à chercher Dieu dont nous ne disposons pas. Mais nous aimerions aller encore plus loin : une dogmatique instruite par le scepticisme est ouverte sans être vulnérable aux attaques. Elle sait que, en tant que science humaine, elle n’est pas infaillible mais, qu’au contraire, elle tend plus à l’erreur qu’à la vérité. J’aimerais m’approprier une pensée de Bayle sur les « erreurs de Théologie » : « [J]e soûtiens que nous formons tous et sur la nature de Dieu, et sur ses Décrets, mille jugements aussi faux que la fausseté elle-même [69]. » Le scepticisme permet d’argumenter de manière critique contre tout dogmatisme théologique et non théologique qu’il dénonce comme naïf. Le désaccord des convictions religieuses et des systèmes théologiques montre qu’aucun d’entre eux ne s’impose comme évident et véritable. Comme aucun courant théologique ne peut prouver l’évidence de ses doctrines, chacun est contraint de tolérer les autres, ce qui n’exclut évidemment ni la critique (objective) de leurs principes et méthodes ni la conviction (subjective) d’être plus conforme qu’eux au message biblique.

335e thèse : Le scepticisme montre à la dogmatique l’importance de tenir compte de la subjectivité de ses jugements et de devenir plus authentique en attribuant de l’importance à l’expérience.

34Le scepticisme tient compte de la multitude des voix, du pluralisme et du conflit des interprétations. À ses yeux, une opinion dogmatique en vaut une autre. Les énoncés des uns ne répondent qu’aux énoncés des autres. Et même si, aujourd’hui, la haine théologique (odium theologicum) s’est heureusement estompée, l’animosité, l’orgueil, l’envie d’être original peuvent toujours influencer maints débats. Qui plus est, l’histoire sociale, l’histoire des idées, voire l’exégèse et l’herméneutique, confirment le scepticisme en affirmant que les questions et les réponses théologiques sont marquées par les mœurs, les styles, les questions, l’esprit du temps. La situation du théologien détermine son interprétation et sa reformulation du message biblique. Des expériences individuelles ou communes s’érigent en système à prétention universelle et orthodoxe. Bref, il y a une multitude de voix qui résonnent de manière différente, dans des contextes différents.

35Ici, une critique de l’objectivisme (Barth) et de la subjectivité (Schleiermacher, Pannenberg) pourrait aider à réévaluer l’expérience afin de remettre en valeur l’authenticité de la rencontre avec Dieu. Il ne s’agit pas de propager un subjectivisme flamboyant, un individualisme ou un collectivisme sentimental. Nous sommes amenés à rendre compte de notre foi à la lumière de l’Écriture et en débat avec la tradition. Nous ne sommes ni les premiers ni les seuls à rencontrer Dieu. Nos expériences sont alimentées par d’autres expériences et interprétations. Encore une fois, nous avons une dette envers la communauté à laquelle nous appartenons. Cette communauté n’est pas d’abord celle de notre confession – bien que notre réflexion dogmatique soit à juste titre marquée par nos liens confessionnels. Il s’agit de l’Église universelle. « La pensée théologique n’existe qu’en rapport avec la communauté [70] », dit Bonhoeffer, et il postule la nécessité « d’élaborer et de soutenir une théorie ecclésiale de la connaissance » afin « d’échapper au danger du subjectivisme [71] ». C’est ici qu’il faudrait peut-être un jour parvenir à penser ensemble Ricœur et Bonhoeffer.

366e thèse : Le scepticisme rend service à la dogmatique en l’obligeant à reconnaître que ses conceptions peuvent paraître contra rationem.

37Contre la raison : cette qualification des conceptions dogmatiques fait peur tant la rationalité est un bien. Peut-on suivre la voie leibnizienne qui ne demande – selon Frémont – qu’une « rationalité minimale » des vérités de foi supposant « non l’établissement positif de celles-ci mais seulement la preuve de la non-pertinence des objections philosophiques [72] » ? En effet, le scepticisme peut aider à dégager les faiblesses des objections, mais il ne permet pas de conclure à une rationalité des dogmes, si minimale soit-elle. En admettant que certaines conceptions dogmatiques semblent contredire la raison, la dogmatique met en valeur la métaphoricité de son langage et s’investit dans le débat autour de la notion de la vérité. La mise en relief de la métaphoricité du discours religieux ne signifie pas l’abandon de la question de la vérité. Au lieu de l’ancrer dans la raison, dans l’évidence des énoncés, la métaphoricité la place dans la surabondance de sens. La vérité réside en Dieu, dit le fidéiste. On pourrait soutenir avec Ricœur que le discours religieux comme discours métaphorique brise le concept d’une vérité, qui serait une « adéquation à un réel d’objets [73] », une certitude objective, au lieu d’être tout simplement « la possibilité d’un itinéraire [74] ». Au sens ricœurien, la vérité tient quelque chose de l’événement (qui nous arrive) [75] et de l’expérience, voire de l’aventure (que nous vivons). Elle est un événement vécu, Erlebnis. Elle nous atteint lorsque « nous marchons par la foi et non par la vue » (2 Co 5, 7). La difficulté de rendre compte de cet événement – autrement dit, la subjectivité de sa certitude – réside dans le fait qu’il ne semble pas se produire dans la pensée mais plutôt dans la conscience, ce qui justifie l’opposition que Gerhard Ebeling établit entre la cogitatio cartésienne et la conscientia luthérienne [76].

38Toujours selon Ricœur, le mot Dieu est à la fois le référent et le « point de fuite [77] » de toutes les formes littéraires qui le nomment. En tant que point de fuite il montre l’insuffisance des discours sur Dieu dont la réalité dépasse tout ce qui en est dit. Le fait qu’il en soit le référent et le point de fuite commun est interprété par Hailer comme le trait antisceptique de la métaphoricité du discours religieux. Selon lui [78], c’est la « rationalité interne » des « faisceaux de métaphores » qui récuse un scepticisme total. À notre avis, il est pourtant problématique de postuler une rationalité non attaquable en renvoyant à la différence entre une rationalité externe et une rationalité interne. Toute rationalité, serait-elle interne à un système, peut être attaquée par l’argumentation sceptique. C’est au contraire la légitimation de l’irrationalité du dogme, la mise en évidence de son caractère poétique, qui le dispense de s’avérer logique, c’est-à-dire raisonnable. Il faut remplacer la logique de la rationalité par la logique de la plurivocité du témoignage. Aucun texte, aucun concept n’épuise le Dieu qui se révèle et se cache [79]. Il est à la fois un deus revelatus et un deus absconditus, même là où il se révèle. Il renverse toutes nos définitions : il fait plus qu’exister, il dépasse toutes nos conceptions, même celle de l’amour.

39Mais, comme le dit Ricœur : « Parler de l’amour, c’est raconter une histoire d’amour [80]. » Parler de Dieu, c’est raconter une histoire, son histoire avec Israël, notre histoire avec lui. C’est le confesser : le louer, lui adresser des plaintes, utiliser toutes les possibilités du discours pour dire notre rapport à lui. De ce fait, Gerhard Ebeling – à la suite d’Anselme et de Kierkegaard – place la vérification, l’acte par lequel nous nous assurons de la vérité de notre certitude, dans la prière [81].

III – Une dogmatique sceptique est-elle possible ?

40La dogmatique ne peut pas se contenter de déconstruire. Il faut qu’elle reconstruise. Par rapport au message biblique, cela veut dire qu’elle doit assumer la tâche de le reformuler dans le langage et dans la confrontation aux problèmes d’aujourd’hui. Il s’agit alors d’une reconstruction, à garantie limitée à cause des limites perçues, certes, mais tout de même d’un acte dépassant le scepticisme car nécessitant l’assertion fondée sur le témoignage de l’Écriture. La dogmatique doit asserter des affirmations formelles. La nécessité de l’assertion a déjà été alléguée par Luther contre le « scepticisme herméneutique [82] » d’Érasme et contre son refus d’une théologie assertorique [83]. Selon le réformateur, les contenus centraux de l’Écriture demandent qu’on les formule de manière ferme, qu’on prenne position. Le message biblique ne permet pas la suspension du jugement, le moindre doute, ou même des suppositions : « Rejette les affirmations théologiques, [et] tu rejettes le christianisme [84]. » Mais au lieu d’interpréter Luther comme dogmaticien qui fonderait ses assertions dans la rationalité de l’Écriture, on pourrait, à l’exemple de Bader, considérer l’assertion luthérienne comme l’acte de s’exprimer, de confesser [85]. Ainsi comprise, l’assertion devient une confession. En confessant, nous exprimons notre certitude que les choses sont telles et non pas leur contraire [86]. Mais cette certitude est justement la certitude subjective, fondée sur le témoignage de l’Écriture et confessée avec la tradition à laquelle nous appartenons. Si l’assertion est une confession nous sommes renvoyés à la foi, l’instance inconnue du scepticisme ancien mais mise en valeur par la forme christianisée du scepticisme : le fidéisme. Pourtant, nous sommes aussi avertis du fait que, en dogmatique, la suspension du jugement n’est pas une position tenable à long terme. La neutralité par rapport aux affirmations fondamentales est impossible. Il faut prendre position. Pas de manière dogmatique au sens où on excluerait a priori le bien-fondé d’autres certitudes. Mais en disant clairement, librement, avec assurance ses certitudes – sans oublier de regarder nos confessions d’un œil sceptique pour éviter qu’elles se figent en fausses certitudes ou en formules creuses. De même, la dogmatique doit éviter ce que Leonhardt, à la suite de Marquard, appelle « le réductionnisme monomythique [87] » : il n’y a pas qu’une seule manière de raconter l’événement de la vérité, tout comme il n’y a pas qu’une seule manière de la rencontrer, une seule manière de vivre avec Dieu. C’est en nous exposant à l’événement de la lecture, de la prédication et de la prière que la vérité nous rencontre et nous ouvre de nouvelles possibilités d’être. Parfois nous ne comprenons plus les témoignages [88]. Mais notre seule norme en matière de foi reste la parole qui se communique à nous dans le prisme des témoignages humains, dans la plurivocité du témoignage. Si, au lieu de soutenir des systèmes illusoires et fortement critiquables, la dogmatique avançait des thèses modestes, qui mettraient en valeur la certitude subjective, la plurivocité du témoignage ? Si elle revalorisait la religion du cœur sans rejeter l’esprit critique ?


Date de mise en ligne : 20/11/2013.

https://doi.org/10.3917/etr.0833.0333

Notes

  • [*]
    Nicola Stricker enseigne la dogmatique à l’Institut protestant de théologie, Faculté de Paris.
  • [1]
    Leçon d’ouverture donnée lors de la rentrée académique de la Faculté libre de théologie de Paris, le 8 octobre 2007.
  • [2]
    Martin Luther, Du serf arbitre, in Œuvres, Genève, Labor et Fides, 1958, t. 5, p. 23 (De servo arbitrio, WA 18, 603, 13 : « Absint a nobis Christianis Sceptici »).
  • [3]
    Pierre Bayle, Dictionaire historique et critique, Amsterdam/Leiden 1740, art. « Pyrrhon », in corp.
  • [4]
    Cf. Günther Schnurr, Skeptizismus als theologisches Problem, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1964.
  • [5]
    Cf. Otto Weber, Grundlagen der Dogmatik, Neukirchen, Verlag der Buchhandlung des Erziehungsvereins, 1955, t. 1, p. 65.
  • [6]
    Cf. Horst G. Pöhlmann, Abriss der Dogmatik. Ein Kompendium, Gütersloh, Kaiser/Gütersloher Verlagshaus, 20026, p. 38.
  • [7]
    Cf. ibid., p. 19.
  • [8]
    Horst G. Pöhlmann, op. cit., p. 20, parle d’un « Höchstmass rationaler Durchdringung des Dogmas ».
  • [9]
    Die Augsburgische Konfession – Confessio Fidei, § 20, 26, in Die Bekenntnisschriften der evangelisch-lutherischen Kirche, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 19829.
  • [10]
    L’expression « fides quae » ne se trouve pas telle quelle chez Augustin (cf. Augustin, De Trinitate, 13, 2, 5).
  • [11]
    Cf. Horst G. Pöhlmann, op. cit., p. 22.
  • [12]
    Cf. René Descartes, Discours de la méthode, in Discours de la méthode, suivi des Méditations, Paris, Union Générale d’Éditions, 1962, 4e partie, p. 36.
  • [13]
    Denis Diderot, Pensées philosophiques, in Œuvres complètes : Philosophie et mathématique. Idées I, Herbert Dieckmann, éd., Paris, Hermann, 1975, LVI, p. 48 ; cf. LVII, p. 49 : « Je ne suis pas chrétien parce que saint Augustin l’était ; mais je le suis, parce qu’il est raisonnable de l’être. »
  • [14]
    Adolf von Harnack, L’essence du christianisme, Paris, Fischbacher, 1907, p. 175, 177 sq.
  • [15]
    Cf. le tableau de Horst G. Pöhlmann, op. cit, p. 24, qui illustre, entre autres, l’influence de Schleiermacher sur les théologiens germanophones du xixe siècle.
  • [16]
    Denis Müller, Karl Barth, Paris, Cerf, 2005, p. 171.
  • [17]
    D. Lange déplore le malentendu de la dogmatique, à savoir l’idée d’un « zeitunabhängigen, absolut feststehenden Glaubensgesetzes ». Convaincu du fait que le terme même de « dogmatique » prête à confusion, il propose de le remplacer par l’expression « Glaubenslehre » (doctrine de la foi). Dietz Lange, Glaubenslehre, Tübingen, Mohr Siebeck, 2001, t. 1, p. 3.
  • [18]
    Wilhelm Herrmann, Der Verkehr des Christen mit Gott, Stuttgart, Cotta, 19085, p. 37.
  • [19]
    Wolfhart Pannenberg, Systematische Theologie, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1993, t. 3, p. 176.
  • [20]
    Paul Ricœur, « Esquisse de conclusion. Conférence », in Exégèse et herméneutique, collectif, Paris, Seuil, 1971, p. 291 sq.
  • [21]
    Ibid., p. 291.
  • [22]
    Pour les « Hypotyposes pyrrhoniennes » (HP), nous nous référons à l’édition bilingue suivante : Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, introduction, traduction et commentaires de Pierre Pellegrin, Paris, Seuil, 1997.
  • [23]
    Sextus Empiricus, HP I, 13.
  • [24]
    Dans le glossaire qui suit le texte des HP, Pellegrin souligne que les deux termes sont quasi synonymes. Pierre Pellegrin, Glossaire, in Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, op. cit., p. 541.
  • [25]
    Cf. Sextus Empiricus, HP I, 3.
  • [26]
    Le premier emploi du terme « scepticus » se trouve dans la traduction latine « Vitae et sententiae philosophorum » de Diogène Laërce, effectuée dans les années 1430 par Traversari.
  • [27]
    Diogène Laërce, IX, 69 sqq.
  • [28]
    Cf. Victor Brochard, Les sceptiques grecs, Paris, Imprimerie Nationale, 19322, p. 58 ; pour l’influence orientale sur Pyrrhon, cf. Everard Flintoff, « Pyrrho and India », Phronesis 25, 1980, p. 88-108.
  • [29]
    Ils sont longuement exposés par Sextus Empiricus, HP I, 36-177.
  • [30]
    Ibid., I, 8.
  • [31]
    Cf. ibid., I, 33.
  • [32]
    Ibid., I, 13.
  • [33]
    Ibid., III, 2.
  • [34]
    Cf. ibid., III, 13-16.
  • [35]
    Ibid., III, 2.
  • [36]
    Cf. ibid., III, 6.
  • [37]
    Ibid., III, 280.
  • [38]
    Malte Hossenfelder, « Einleitung », in Sextus Empiricus, Grundriss der pyrrhonischen Skepsis, trad. Malte Hossenfelder, Francfort, Suhrkamp, 1985, p. 88.
  • [39]
    Sextus Empiricus, Pyrrhoniarum hypotyposeon, Libri tres, Edidit Henricus Stephanus, Paris, 1562. Pour ce qui est de l’exemplaire grec dont Estienne s’est servi, il s’agit sans aucun doute d’un manuscrit, que H. Mutschmann identifie avec le Taurinensis gr. 12, qui date de la fin du xve ou du début du xvie siècle. Hermann Mutschmann, « Die Überlieferung der Schriften des Sextus Empiricus », in Rheinisches Museum für Philologie 64, 1909, p. 282 (cf. p. 246).
  • [40]
    Cf. Michel Eyquem de Montaigne, « Apologie de Raimond Sebond », in Les Essais, édition de P. Villey, Paris, Quadrige/PUF, 19922, livre II, chap. 12, p. 506.
  • [41]
    Cf. Françoise Caujolle-Zaslawsky, « L’interprétation du scepticisme comme philosophie du doute religieux : analyse d’un malentendu », Revue de Théologie et de Philosophie n° 27, 1977, p. 84.
  • [42]
    Cf. Pierre Charron, « De la Sagesse », in Toutes les œuvres (Paris, J. Villery, 1635), Genève, Slatkine Reprints, 1970, I, 2, 5, p. 63.
  • [43]
    Cf. Pierre Bayle, « Pensées diverses », in Œuvres diverses (OD), É. Labrousse, éd., Hildesheim, Olms, 1964-1982, t. 3, p. 265b.
  • [44]
    Cf. Pierre Bayle, Nouvelles Lettres critiques de l’Auteur de la Critique générale de l’Histoire du Calvinisme, OD II, p. 334b.
  • [45]
    Jean Calvin, Institution, III, 2, 14. Nous nous référons à l’édition suivante : Jean Calvin, Institution de la religion chrestienne, Jean-Daniel Benoit, éd., Paris, Vrin, 1957-1961.
  • [46]
    Odo Marquard, l’un des philosophes contemporains les plus proches du scepticisme, dénonce les « Zweifelsorgien » d’un scepticisme ne visant que la destruction. Odo Marquard, « Abschied vom Prinzipiellen. Auch eine autobiographische Einleitung », in Abschied vom Prinzipiellen. Philosophische Studien, Stuttgart, Reclam, 1981, p. 14. Sur son scepticisme postmoderne, cf. Rochus Leonhardt, Skeptizismus und Protestantismus. Der philosophische Ansatz Odo Marquards als Herausforderung an die evangelische Theologie, Tübingen, Mohr Siebeck, 2003, p. 37-141.
  • [47]
    Jean Calvin, Institution, op. cit., I, 13, 3.
  • [48]
    Cf. Eberhard Jüngel, Dieu mystère du monde, Paris, Cerf, 1997, t. 1, p. 238.
  • [49]
    Paul Ricœur, « Herméneutique. Les finalités de l’exégèse biblique », in Centre Thomas More, La Bible en philosophie. Approches contemporaines, Paris, Cerf, 1993, p. 32.
  • [50]
    Martin Luther, De servo arbitrio, WA 18, 605, 20 sq. (Martin Luther, Du serf arbitre, in Œuvres, t. 5, p. 26 : « Ce qui est au-dessus de nous ne nous concerne pas »).
  • [51]
    Dietrich Bonhoeffer explique cette impuissance en distinguant entre les formes authentiques qui précèdent la raison de l’homme et les formes inauthentiques de sa pensée : « La forme originaire précède tout logos humain. C’est pourquoi nous sommes incapables de saisir la révélation divine. » Dietrich Bonhoeffer, La nature de l’Église, Genève, Labor et Fides, 1972, p. 40.
  • [52]
    Manfred Oeming, Biblische Hermeneutik. Eine Einführung, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 20072, p. 43 : « Das führt […] zur Regionalisierung der Wahrheit : Was an der einen Universität aktuelles Forschungsergebnis ist, gilt wenige hundert Kilometer weiter als völliger Unsinn. »
  • [53]
    Selon Kierkegaard, la foi elle-même serait à comprendre comme unité paradoxale entre certitude subjective et incertitude objective. Cf. Søren Kierkegaard, Post-scriptum définitif et non scientifique aux Miettes philosophiques, vol. 1, in Œuvres complètes, Paris, Éditions de l’Orante, 1977, t. 10, p. 190, cf. p. 216). Sur Kierkegaard, cf. Walter Diez, Wahrheit – Gewissheit – Zweifel. Theologie und Skepsis im Widerstreit. Eine theologisch-philosophische Untersuchung, thèse d’habilitation, Munich, 1993 (non publiée, version en ligne : http://www.ev.theologie.uni-mainz.de/Dateien/wgz.pdf).
  • [54]
    Cf. Rudolf Bultmann, Neues Testament und Mythologie, in Hans-Werner Bartsch, Kerygma und Mythos, t. 1, Hambourg, Reich, 19604, p. 44 sqq. ; pour l’argument de Lüdemann et la critique de Pannenberg, cf. le résumé chez Rochus Leonhardt, Grundinformation Dogmatik, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 20042, p. 209 sq.
  • [55]
    Cité d’après Victor Brochard, Les sceptiques grecs, op. cit., p. 70.
  • [56]
    Wolfhart Pannenberg, La Foi des Apôtres, Paris, Cerf, 1974, p. 16.
  • [57]
    2 Co 5, 5.
  • [58]
    Cf. Jürgen Moltmann, L’Église dans la force de l’esprit, une contribution à l’ecclésiologie messianique, Paris, Cerf, 1980, p. 55.
  • [59]
    Nous nous appuyons ici sur une idée de Pierre Bühler – communiquée lors d’un entretien – selon laquelle une foi sans trouble serait une foi morte.
  • [60]
    Dietrich Bonhoeffer, Lettre du 16 juillet 1944, in Résistance et soumission, Genève, Labor et Fides, 1973, p. 366.
  • [61]
    Cf. Jean Calvin, Institution, III, 2,2.
  • [62]
    Cf. Martin Luther, Traité de la liberté chrétienne, in Œuvres, Genève, Labor et Fides, t. 2, 1966, p. 285-306.
  • [63]
    L’hubris, la superbia augustinienne, devient chez Tillich « le péché dans sa forme totale » car l’homme se place au centre de son monde. Paul Tillich, Théologie Systématique III, L’existence et le Christ, Paris/Genève/Laval, Cerf/Labor et Fides/PUL, 2006, p. 86.
  • [64]
    Sur la notion d’aliénation, cf. ibid., p. 77 sqq.
  • [65]
    Pierre Bayle, La Cabale chimérique, OD II, p. 656a.
  • [66]
    Il semble plus judicieux d’y voir la reconnaissance des limites de tout système (cf. Sebastian Neumeister, « Pierre Bayle und der Mythos. Postmoderne Lektüre eines protestantischen Querdenkers », in S. Neumeister, éd., Frühaufklärung, Munich, Fink, 1994, p. 132) plutôt que de l’expliquer par sa personnalité (cf. Élisabeth Labrousse, Pierre Bayle : hétérodoxie et rigorisme, Paris, Albin Michel, 19962, p. xvi-xvii et 43).
  • [67]
    Rochus Leonhardt (Skeptizismus und Protestantismus, op. cit., p. 25 sqq.) en donne quelques exemples. Hartmut Rosenau, « “Ich glaube – hilf meinem Unglauben”. Zur theologischen Auseinandersetzung mit der Skepsis », in Wilfried Härle et al., éd., Befreiende Wahrheit. Festschrift für Eilert Herms zum 60. Geburtstag, Marbourg, Elwert, 2000, p. 373. Rosenau attribue au scepticisme la tâche d’examiner de manière critique les conceptions doctrinales directrices ; cf. aussi Walter Diez, op. cit.
  • [68]
    Wilfried Härle, « Christlicher Glaube zwischen Gewissheit und Skepsis », in Manfred Marquardt, éd., Theologie in skeptischer Zeit, Stuttgart, Christliches Verlagshaus, 1997, p. 76 et 78.
  • [69]
    Pierre Bayle, Pensées diverses, OD III, p. 127b.
  • [70]
    Dietrich Bonhoeffer, La nature de l’Église, op. cit., p. 35.
  • [71]
    Ibid., p. 37.
  • [72]
    Christiane Frémont, « La triple vérité », Revue des sciences philosophiques et théologiques 76, 1992, p. 49.
  • [73]
    Paul Ricœur, « Herméneutique de l’idée de Révélation », in La Révélation, collectif, Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis 1977, p. 39.
  • [74]
    Ibid.
  • [75]
    À la suite de Ricœur, Ulrich H. J. Körtner lie l’événement de la vérité à l’acte de lecture. Ulrich H. J. Körtner, Der inspirierte Leser. Zentrale Aspekte biblischer Hermeneutik, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1994, p. 173.
  • [76]
    Cf. Gerhard Ebeling, « Gewissheit und Zweifel », in Wort und Glaube II, Mohr Siebeck, 1969, p. 163 ; cf. la critique d’Ebeling par Wolfhart Pannenberg, Systematische Theologie III, p. 191 sq.
  • [77]
    Paul Ricœur, « Manifestation et proclamation », in Enrico Castelli, éd., Le sacré. Études et recherches, Paris, Aubier-Montaigne, 1974, p. 68.
  • [78]
    Martin Hailer, « Metapher und Symbol oder : Ist Skepsis in der Theologie unausweichlich ? », in Reinhold Bernhardt, Ulrike Link-Wieczorek, éd., Metapher und Wirklichkeit. Die Logik der Bildhaftigkeit im Reden von Gott, Mensch und Natur. Dietrich Ritschl zum 70. Geburtstag, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1999, p. 50 (« interne Rationalität », « Metaphernbündeln »), cf. p. 53.
  • [79]
    Cf. Paul Ricœur, « Herméneutique de l’idée de Révélation », op. cit., p. 33 : « Ce qui se révèle est aussi ce qui se réserve. »
  • [80]
    Paul Ricœur, « D’un Testament à l’autre : essai d’herméneutique biblique », in Daniel Marguerat, Jean Zumstein, éd., La mémoire et le temps. Mélanges offerts à Pierre Bonnard, Genève, Labor et Fides, 1991, p. 306.
  • [81]
    Cf. Gerhard Ebeling, Dogmatik, Tübingen, Mohr Siebeck, 19822, t. 1, p. 192-244.
  • [82]
    Rochus Leonhardt, Skeptizismus und Protestantismus, op. cit., p. 34 (« hermeneutische Skepsis »). Leonhardt considère que le défi que pose le scepticisme herméneutique à la dogmatique n’est pas assez pris en compte et pas encore surmonté (ibid.).
  • [83]
    Cf. Ernst-Wilhelm Kohls, Luther oder Erasmus. Luthers Theologie in der Auseinandersetzung mit Erasmus, t. 1, Bâle, Reinhardt, 1972, p. 40-48.
  • [84]
    Martin Luther, Du serf arbitre, in Œuvres, Genève, Labor et Fides, 1958, t. 5, p. 24 (De servo arbitrio, WA 18, 603, p. 28 sq. : « Tolle assertiones, [et] Christianismum tulisti »).
  • [85]
    Cf. Günter Bader, Assertio. Drei fortlaufende Lektüren zu Skepsis, Narrheit und Sünde bei Erasmus und Luther, Tübingen, Mohr Siebeck, 1985, p. 188.
  • [86]
    Cf. ibid., p. 190.
  • [87]
    Rochus Leonhardt, Skeptizismus und Protestantismus, op. cit., p. 301, cf. p. 297.
  • [88]
    Ulrich H. J. Körtner (op. cit., p. 51) postule une « herméneutique de l’incompréhension » (« Hermeneutik des Unverständnisses »).
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