Notes
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[1]
Ermanno Genre, Nuovi itinerari di teologia pratica, Torino, Claudiana, 1991 (trad. fr. La relation d’aide. Une pratique communautaire, Genève, Labor et Fides, 1997).
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[2]
Cf. Henry Mottu, article « Rites », P. Gisel, éd., Encyclopédie du protestantisme, Genève, Labor et Fides, 1995, p. 1338-1354.
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[3]
R. Riess, Sehnsucht nach Leben, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1987.
Ermanno Genre, Il culto cristiano. Una prospettiva protestante, Torino, Claudiana, coll. « Piccola biblioteca teologica 66 », 2004. 21 cm. 260 p. ISBN 88-7016-466-7. 19,50
1Ermano Genre enseigne la théologie pratique à la Faculté de théologie vaudoise de Rome. La réflexion sur le culte chrétien qu’il mène dans cet ouvrage à partir d’un point de vue protestant mérite d’être signalée au public francophone pour au moins trois raisons.
2Premièrement, il s’agit d’une synthèse complète et actualisée de l’histoire et des pratiques du culte protestant, qui prend en compte la recherche récente dans ce domaine. La théologie germanophone et anglophone occupent une place importante dans l’ouvrage, mais la recherche d’expression française et italienne, quoique beaucoup plus embryonnaire sur le sujet, n’est pas oubliée non plus. Il est vrai qu’il n’existe que peu d’études récentes sur ce thème en français ; une traduction française du livre de G. serait donc particulièrement bienvenue.
3Deuxièmement, l’auteur appartient à une Église protestante de culture latine, fortement liée au protestantisme français. De part et d’autre des Alpes, les Églises protestantes calvinistes, très minoritaires, ont à vivre leur foi dans un contexte et une culture fortement marqués par le catholicisme romain. G., qui a soutenu sa thèse de doctorat à la Faculté de théologie protestante de Montpellier [1], connaît parfaitement le contexte réformé français.
4Troisièmement, une importante partie prospective ouvre des pistes pour vivre ou bâtir un culte protestant en résonance – ou en tension – avec les nouveaux défis culturels, religieux et sociaux qui marquent le début du xxie siècle.
5L’une des convictions de l’a. est que la liturgie est au cœur non seulement de la célébration du mystère chrétien, mais aussi de la réflexion théologique (d’où l’expression de « théologie liturgique ») ; il plaide pour une revalorisation, un décloisonnement, une réélaboration continuelle du langage et de la pratique liturgiques (p. 9).
6L’emploi du mot « chrétien » dans le titre (avant que n’apparaisse celui de « protestant » dans le sous-titre) dénote en outre un changement de ton et de perspective. Soucieuse de se démarquer de la théologie romaine, la théologie vaudoise a parfois tendance à mettre en avant les divergences plutôt que les convergences entre catholiques et protestants. C’est ici le souci de convergence et de dialogue qui domine, mais sans que rien ne soit sacrifié de l’identité protestante – et particulièrement réformée. « Au-delà des questions de forme et d’esthétique, la matrice liturgique de base [du culte protestant] est exactement la même [que celui du culte chrétien occidental], dans le sens que les éléments constitutifs du culte chrétien sont maintenus, même s’ils subissent des variations importantes en ce qui concerne le temps, les rôles et les contenus de certaines parties de la liturgie » (p. 94).
7La première partie, « L’intégration dans l’espace et le temps, tradition et innovation » (p. 11-91), définit ce qu’on entend par « culte », « science liturgique », « liturgie ». G. confronte ces notions aux deux réalités que sont le temps (le temps et l’année liturgique, les lectionnaires) et l’espace (l’espace liturgique, la musique et l’art). On perçoit d’emblée une double volonté de l’a., qui traversera tout l’ouvrage : ancrer la pratique du culte dans une réflexion véritablement biblique et, en même temps, sortir d’une vision trop étroite, « réformée », intellectuelle, anesthétique du culte. « Dans le culte s’accomplit l’action représentative de l’Église en tant que communication symbolique et publique de l’expérience chrétienne, par le moyen de la tradition biblique et ecclésiale » (p. 20).
8Cette partie se signale notamment par la mise en évidence de sept points de convergence entre le culte protestant et la messe catholique après la réforme de Vatican II (p. 21 sq.) et par une réflexion sur le monde sémantique du culte, qui insiste sur sa dimension collective et pragmatique (p. 25). G. part de la différence entre « le liturgique » (discipline d’étude) et « la liturgie » (action), mais montre bien la nécessité de penser les deux ensemble. C’est d’ailleurs ce que reflète le choix des textes présentés : La Formula Missae et Communionis (1523) et La Messe allemande (1526) de Luther ; La forme des prières et des chants ecclésiastiques (1542) de Calvin, ouvrage inspiré de son expérience strasbourgeoise ; la liturgie récente de l’Église Réformée de France (1996) et la Liturgie réformée allemande (1999). À cette liste s’ajoute la Sinfonia Œcumenica du Conseil œcumenique des Églises (1998). Publiée en quatre langues à la suite de l’assemblée de Vancouver, elle met en avant quatre critères liturgiques : la contextualité, une célébration holiste, la plus grande intégration possible des formes musicales, la valorisation des symboles et des gestes symboliques.
9Un chapitre intitulé « L’espace liturgique, la musique et l’art » (p. 78-91) montre que si le culte a produit des espaces architecturaux spécifiques, l’inverse est aussi vrai : le type et la qualité de l’architecture ne sont pas sans influence sur le déroulement et la qualité du culte. Concernant le chant, l’a. souligne l’impulsion que le protestantisme a donnée à la pratique du chant communautaire et populaire, considéré, à la suite d’Augustin, comme un don de Dieu. Luther et Calvin étaient d’accord sur ce point (mais pas Zwingli). Plus nouveau dans ce chapitre est ce qui concerne les arts visuels et la liturgie. L’usage de l’art dans le culte et pour le culte est essentiellement fondé sur des considérations anthropologiques. S’inspirant de la riche iconographie de la Domus ecclesiae de Doura-Europos (1re moitié du iiie siècle), l’a. propose un modèle d’intégration des arts visuels pour que la liturgie puisse saisir l’humain dans sa totalité sensitive et émotive.
10La seconde partie, « Éléments constitutifs du culte chrétien réformé » (p. 91-146), est plus classique. Elle passe en revue les éléments du culte dans sa triple structuration : « liturgie d’entrée (ou d’ouverture) » (p. 101-114), « liturgie de la Parole » (p. 115-124), « liturgie de la Cène » (p. 125-146). L’a. insiste sur tout ce qui concerne les personnes (« Il volto delle personne », p. 93-97) ou sur le concept de « mise en scène » (p. 141-146). Le corps, la représentation, les déplacements dans l’espace – sur le modèle de la mise en scène théâtrale – sont pris au sérieux et revalorisés. L’a. parle alors de « polyphonie et de symphonie du culte », notions qu’il développe en évoquant la capacité de percevoir et la pluralité des langages qui s’expriment dans les cultes, lesquels ne sont pas réductibles à la seule parole.
11Les différentes parties du culte sont ensuite analysées en détail. Le baptême fait également l’objet d’une étude approfondie. À la suite de Calvin, l’a. est favorable à une revalorisation du geste liturgique de l’imposition des mains (p. 110). Il mentionne aussi les solutions en vue d’un possible accord entre la Fédération baptiste européenne et les Églises de la Communion de Leuenberg sur la reconnaissance du baptême d’enfants (p. 112). Il est toutefois surprenant que G. ne consacre aucune réflexion à la place ou au statut de la Loi (ou « Commandements » ou « Volonté de Dieu ») dans un schéma liturgique très classiquement calviniste.
12L’a., qui connaît bien la pensée et les écrits de Zwingli, nous fait découvrir quelques particularités du culte réformé d’expression zwinglienne (on apprend ainsi que le Réformateur zurichois n’accorde pas le droit au célébrant de prononcer une formule d’absolution des péchés, Dieu seul pouvant accomplir un tel acte).
13La troisième partie, « Articulations et prospectives » (p. 147-215), est certainement la plus novatrice. Elle propose de confronter la liturgie du culte avec sept thèmes fondamentaux : 1) la ritualité (le rapport parole-rite-symbole) ; 2) les sciences humaines ; 3) la globalisation et les nouvelles technologies ; 4) la diaconie ; 5) la thérapie ; 6) la revendication de la justice ; 7) l’éthique chrétienne. La présentation synthétique et documentée de ces thèmes se fonde sur des sources récentes émanant de différents horizons culturels et linguistiques, mais liées en général au protestantisme réformé.
14G. rappelle que Calvin reconnaissait au rite une fonction positive (IC IV, X). Oubliée par la suite, elle fut rappelée au xixe siècle par Alexandre Vinet (sa Théologie pastorale souligne que « le rite est métaphore en action »), avant de sombrer à nouveau dans l’oubli jusqu’à sa récente redécouverte [2]. Il s’agit certes d’une notion difficile à cerner. L’a. en souligne lui-même l’ambivalence anthropologique fondamentale (p. 153-156) : le rite (tout comme le symbole) risque d’être plus qu’une simple médiation facilitant l’accès à la foi. Le rite n’en possède pas moins une force structurante dans la mesure où il agit à la fois sur le corps individuel et sur le corps social.
15La prise en compte des sciences humaines, et plus particulièrement des sciences du langage, nous aide à mieux comprendre le rôle de la liturgie. Ainsi, la pragmatique de la communication nous fait comprendre que l’art peut servir de passerelle entre un langage religieux spécifique et un langage compris par tous.
16Quelle expression liturgique privilégier dans un contexte de mondialisation et de globalisation des échanges ? En abordant cette question, l’a. insiste à juste titre sur le défi que représentent le numérique et le virtuel, producteurs de nouveaux effets sur le langage et la pratique du culte.
17Lorsqu’il aborde les liens entre liturgie et thérapie, l’a. se démarque encore une fois d’une théologie protestante trop unilatéralement concentrée sur « l’homme pécheur ». Interpellé par le dynamisme des communautés charismatiques, il examine la triade maladie-guérison-salut dans son rapport à l’expression liturgique. À la suite de R. Riess [3], il distingue trois types de relations entre guérison et salut : une interprétation « magique », qui les identifie ; une interprétation « matérialiste » qui les isole ; une interprétation « eschatologique » qui les relie sans les identifier. C’est évidemment cette dernière qui retient son attention. Le langage sotériologique du NT permet de traduire le salut en termes d’intégrité de la personne. Être guéri pourrait alors signifier accepter de se décentrer de soi, s’éloigner d’un processus d’autoconservation obsessif.
18Les considérations de l’a. sur la diaconie, la revendication de la justice et l’éthique chrétienne vont dans le même sens : montrer que la célébration de la liturgie doit aller de pair avec un engagement concret du chrétien pour un monde plus juste. À la suite de Bonhoeffer, G. met en garde contre la tentation de se servir de la liturgie comme d’un refuge pour se couper du monde et de ses problèmes. Si la liturgie doit conduire à l’action, c’est qu’elle est déjà action, action gratuite, de l’ordre du recevoir plus que du faire. J’émettrai cependant une certaine réserve concernant ce que l’a. écrit sur la dimension « politique » du culte (p. 211-213). Il faut certes se réjouir que des actions liturgiques se concrétisent parfois dans des engagements politiques généreux, comme ce fut le cas en RDA, dans les mois qui ont précédé la chute du mur de Berlin. Mais ne s’agit-il pas là de situations exceptionnelles ? Les engagements politiques ne sont-ils pas perçus à juste titre, dans les situations plus ordinaires, comme des facteurs de division au sein de communautés que la liturgie a pour ambition d’unir ?
Notes
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[1]
Ermanno Genre, Nuovi itinerari di teologia pratica, Torino, Claudiana, 1991 (trad. fr. La relation d’aide. Une pratique communautaire, Genève, Labor et Fides, 1997).
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[2]
Cf. Henry Mottu, article « Rites », P. Gisel, éd., Encyclopédie du protestantisme, Genève, Labor et Fides, 1995, p. 1338-1354.
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[3]
R. Riess, Sehnsucht nach Leben, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1987.