Couverture de ETHN_201

Article de revue

Comptes rendus

Pages 223 à 238

Notes

  • [1]
    Bernard Lahire, 2004, La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte.
  • [2]
    Daniel Cefaï, 2003, L’Enquête de terrain, Paris, La Découverte.
  • [3]
    Alain Degenne et Michel Forsé, Les Réseaux sociaux, Paris, Armand Colin, coll. « U », 1994.
  • [4]
    Victor Segalen, (1903) 1988, Le Journal des Îles, suivi de Vers les sinistrés Fontfroide, Fata Morgana : 183.
  • [5]
    Roland Barthes, 1975, Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil, coll. « Écrivains de toujours » : 87.
  • [6]
    Daniel Fabre, 2010, « D’une ethnologie romantique », Savoirs romantiques. Une naissance de l’ethnologie, sous la direction de Daniel Fabre et Jean-Marie Privat, Nancy, Presses universitaires de Nancy, coll. « EthnocritiqueS » : 38.
  • [7]
    Claude Lévi-Strauss, 1962, « Le temps retrouvé », in La Pensée sauvage, Paris, Plon : 323.
  • [8]
    Mikhaïl Bakhtine, « Le roman d’apprentissage », Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1984 : 253.
  • [9]
    Victor Segalen, Lettre à Georges-Daniel de Monfreid, 29 novembre 1903.
  • [10]
    Michel Leiris, Biffures (1948) 2010, Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire » : 12.
  • [11]
    Jean Jamin est en effet passé de la monographie ethnographique  par exemple La Tenderie aux grives chez les Ardennais du plateau, Paris, Éditions de l’Institut d’ethnologie, 1979 – aux discours anthropologiques sur la fiction et maintenant à l’écriture de la fiction comme en témoigne son prochain Tableaux d’une exposition. Chronique d’une famille ouvrière ardennaise pendant la III° République, Paris, O. Jacob, 2019.
  • [12]
    On lira par exemple son autobiographie ; Jacques Lusseyran, (2005) 2018, Et la lumière fut, Paris, Gallimard, coll. « Folio ».
  • [13]
    Karl Jacoby, 2016, The Strange Career of William Ellis: the Texas slave who became a mexican millionaire, New York, W. W. Norton.
  • [14]
    Frederick J. Turner, 1935, The Frontier in American History, New York, Henry Holt and Company.
  • [15]
    Karl Jacoby, 2001, Crimes Against Nature: squatters, poachers, thieves and the hidden history of American conservation, Berkeley, University of California Press.
  • [16]
    Karl Jacoby, 2013, Des ombres à l’aube. Un massacre d’Apaches et la violence de l’histoire, Toulouse, Anacharsis.
  • [17]
    Jean-Claude Passeron et Jacques Revel, 2005, Penser par cas, Paris, Éditions de l’EHESS.
  • [18]
    Rogers Brubaker, 2001, « Au-delà de l’“identité” », Actes de la recherche en sciences sociales, 139 : 66-85.
  • [19]
    André Leroi-Gourhan, 1968, « L’expérience ethnologique », in Jean Poirier (dir.) Ethnologie Générale, Paris, Gallimard, « Pléiade » : 1823.
  • [20]
    L’intextuation est la « mise en texte » des êtres vivants et plus généralement du vivant. On doit le mot à Michel de Certeau.
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Gabriel Segré 2001. L’odyssée du Loft Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2018, 312 p.

1

par Sara Le Menestrel
CNRS/Centre d'études nord-américaines,
Mondes américains

2 Le livre de Gabriel Segré, intitulé 2001. L’odyssée du Loft, propose une analyse sociologique minutieuse de l’émission fondatrice de la téléréalité en France, Loft Story. L’ouvrage se décline en cinq parties. Le premier chapitre retrace l’historique de Loft Story, diffusé au printemps 2001, en restituant son contexte d’émergence et sa place dans l’histoire télévisuelle. Le deuxième chapitre s’attache à analyser la mise en accusation de l’émission et sa disqualification par les intellectuels et les journalistes. Le troisième met au jour les mécanismes contemporains de construction de la célébrité que donne à voir l’émission, agissant comme un rite de passage et d’institution. Le quatrième pose la question de l’efficacité de cette fabrication télévisuelle de vedettes au travers des parcours des candidats. Enfin, les trois derniers chapitres portent sur la diversité de réception de l’émission et de ses cadres d’interprétation.

3 Dans un premier temps, « Il était une fois Loft Story » opère un travail de contextualisation qui donne un éclairage essentiel pour la compréhension du phénomène Loft Story et de l’émergence de la téléréalité. Gabriel Segré inscrit d’abord la naissance de l’émission dans l’histoire télévisuelle, en soulignant les éléments qui créent un terrain fertile dans lequel la téléréalité vient puiser. Contrairement à la rupture qu’implique la virulence des critiques à la suite de l’apparition de l’émission en France, l’auteur montre que Loft Story s’inscrit dans une continuité télévisuelle. Plusieurs recettes et formats préexistants nous permettent d’identifier le lignage dans lequel se situe l’émission : le « documentaire intimiste » dans les années 1970, aux États-Unis puis en Angleterre, qui filme les anonymes dans leur quotidien ; l’émission The Real World sur la chaîne américaine MTV en 1992 et le développement des reality shows qui instituent une fascination pour l’ordinaire et l’authentique. Ces programmes, qui s’internationalisent dans les années 1990, s’inscrivent dans un contexte économique, technologique et médiatique qui favorise la recherche du moindre coût, la prise de risque minimale et l’importation de programmes plébiscités face à la « tyrannie de l’audience ». Avant même que l’on parle de téléréalité se développe ainsi à cette période une télévision « de l’intimité » qui vient brouiller les frontières entre le privé et le public. Sa connaissance très fine de la littérature sociologique et anthropologique sur le sujet lui permet de restituer les analyses que suscite ce phénomène. La notion d’« extimité » de Serge Tisseron, par exemple, exprime bien cette exposition de l’intimité dont sont friands les téléspectateurs. Ces émissions répondent à un besoin de transparence, d’immédiateté, une quête de reconnaissance et d’accomplissement du téléspectateur, qui devient un acteur à part entière, un complice, dans un processus d’identification non plus à des figures emblématiques du star system mais à des anti-héros, symbole d’une banalité paradoxalement sacralisée.

4 Dans un deuxième temps, « De Loft Story à Loft Raider, l’histoire d’un scandale » analyse au travers des discours de la presse quotidienne la dénonciation de l’émission comme un scandale, un objet « dangereux » qui reflète la vision d’un monde contemporain en déclin. Alors qu’aujourd’hui la téléréalité est entrée dans les mœurs, acceptée comme fiction, cette normalisation a été précédée d’une période de rejet que l’auteur soumet à une analyse méticuleuse. Il décline ainsi point par point les différents champs d’interprétation au travers d’un examen systématique de la rhétorique empruntée et du champ lexical dans laquelle elle se situe. Les discours se caractérisent par une surenchère de termes et d’expressions qui expriment une dénonciation de plusieurs registres : politique et idéologique (par ex. « privation de liberté », « machine totalitaire ») ; médical ; civilisationnel (« émission voyeuriste ») ; juridique, professionnel (« exploitation des lofteurs ») ; culturel et esthétique (« trash tv ») ; médiatique et télévisuel (« manipulation » des professionnels des médias). L’ensemble des acteurs, depuis les lofteurs jusqu’aux producteurs en passant par les téléspectateurs, sont accablés de toutes les tares, tout en étant dépeints tantôt comme victimes, tantôt comme agents de manipulation et d’exploitation. Parallèlement, tous les mécanismes de Loft Story, depuis le recrutement des candidats jusqu’au mode de diffusion, sont fustigés. Gabriel Segré identifie les acteurs de ces discours, issus de mondes très variés – intellectuel, médical, professionnel, médiatique, politique, religieux. L’émission génère ainsi un discours critique consensuel qui émane de l’ensemble de la société civile, au nom de valeurs collectives (par exemple, la raison, la vérité, le droit, la liberté, la civilisation) dont ces acteurs entendent être les garants. Loft Story cristallise les dérives et le déclin de la société contemporaine, dont elle serait le résultat autant que le révélateur. L’accompagnement de ces discours par des actes de mobilisation variés à l’échelle nationale contre la chaîne M6 permet de prendre la mesure de l’ampleur de cette fureur collective.

5 Dans un troisième temps, « La fabrication télévisuelle de la vedette », réduit la focale sur l’émission elle-même et ses onze lofteurs, que l’auteur soumet au regard et aux outils du sociologue. Loft Story est appréhendée comme une forme télévisée de rite de passage dont l’analyse suit méthodiquement les trois phases caractéristiques (séparation, marge, agrégation). Le lecteur est alors invité à suivre pas à pas ces différentes phases, comme posté derrière l’œil d’une caméra à qui aucun détail n’échappe. Depuis la première émission qui marque la séparation des lofteurs de leurs groupes d’appartenance, on parvient au stade provisoire (ou liminaire) du séjour dans le monde reclus du loft, hors du monde et hors du temps, qui marque la désindividualisation des lofteurs et leur initiation à la figure de la star au travers de diverses épreuves. La troisième phase marque l’acquisition d’un nouveau statut, du lofteur à la célébrité. Il éclaire par ailleurs cette consécration en mobilisant efficacement la notion bourdieusienne de rite d’institution. Acte communicationnel, le rite d’institution se manifeste par des reportages consacrés aux ex-lofteurs ou encore par la mise en scène de leur arrivée sur le plateau télé. L’efficacité de ce rite et la magie sociale qu’il exerce est perceptible au travers des pratiques d’admiration, telles que les fan-clubs et les sites internet. En quelques semaines se met ainsi en place une forme d’institution ritualisée de la star au profit de l’industrie culturelle.

6 G. Segré s’attache dans un quatrième temps à suivre les parcours d’ex-lofteurs pour mesurer l’efficacité de cette construction de la célébrité, la « magie sociale du rite », au travers d’une analyse des discours recueillis notamment dans le magazine phare de la presse people de l’époque, Gala, mais aussi d’entretiens et d’émissions radio et télé. Interrogeant l’évidence selon laquelle le passage sur le plateau de télévision conduirait à la célébrité, il prend à cœur la nécessité pour le sociologue et l’anthropologue de se défaire de tout présupposé et se lance dans l’observation des pratiques d’adulation, dont notamment celle des fans qui émergent, et dans l’analyse des trajectoires des lofteurs au lendemain de leur sortie du loft. Il montre ensuite le changement de regard des différents acteurs du monde du spectacle et des médias : radios, presse, chaînes de télévision ouvrent leurs portes aux ex-lofteurs, et dans une moindre mesure les productions télévisuelles, le cinéma, le théâtre, les maisons de disques, le mondes de l’édition, de la mode, de la publicité. Même si elle est fugace, l’entrée immédiate dans ces mondes leur donne l’expérience du statut d’animateur, de journaliste, de chanteur, d’écrivain, ou de comédien. Reprenant d’abord les railleries de la presse nationale, le discours de Gala change en quelques semaines de tonalité et manifeste les premiers signes d’admiration. Au temps de l’hésitation, durant lequel on oscille entre rejet et reconnaissance de leur statut de vedette, succède le temps de l’engouement avec une évolution quantitative, qualitative et symbolique du traitement des vedettes. G. Segré décèle ainsi l’usage de motifs caractéristiques du traitement biographique des vedettes. L’efficacité symbolique du rite d’institution est également perceptible dans la façon dont l’ex-lofteur se perçoit lui-même, et endosse le rôle de vedette. La visibilité médiatique joue donc un rôle déterminant dans l’authentification du passage de l’ex-lofteur à la vedette. En parallèle, un rapport spécifique se met en place entre l’artiste et ses admirateurs. À l’inverse du passage de l’intérêt pour l’artiste à celui pour l’homme qui caractérise généralement la perception de la vedette, c’est ici le processus inverse qui est mis au jour.

7 Dans un dernier temps, qui rassemble les trois derniers chapitres, l’auteur se consacre au public et aux « réceptions de Loft Story », le sous-titre venant d’emblée souligner la pluralité de ces expériences. Plutôt que de s’en tenir au pugilat des spectateurs cantonnés à un rôle de victimes aliénées et passives (une lecture univoque que l’on retrouve mot pour mot dans d’autres champs, notamment dans l’anthropologie du tourisme des années 1970 et la façon dont les sociétés s’en emparent), il entreprend ici de rendre compte de la complexité de l’expérience de la réception en restituant aux téléspectateurs leur capacité d’action, ce qu’exprime la notion d’agency. Par ce souci et la démarche ethnographique qui vient soutenir ce choix, G. Segré comble une lacune dans le champ de la téléréalité, au sein duquel peu de chercheurs se sont penchés sur le public. Son terrain est présenté avec rigueur, dans un souci de transparence méthodologique qui ne laisse aucune place à l’imprécision ni au hasard. Il s’est concentré sur des téléspectateurs assidus avec lesquels il a mené 26 entretiens et n’hésite pas à aborder les limites de son matériau, les biais que peuvent introduire la stigmatisation de l’émission, la vision fragmentaire des discours qui datent d’une période postérieure à l’émission. Il n’évite ainsi aucune des critiques méthodologiques que peut soulever son enquête et nous fait part des outils mis en place pour les atténuer.

8 Dans le sillage de Bernard Lahire et de son observation du social à l’échelle individuelle dans La culture des individus[1], G. Segré se situe à rebours d’une sociologie qui relègue l’individuel à la psychologie sans reconnaître sa nature sociale. C’est la contextualisation sociale des expériences de réception de Loft Story et le parti-pris biographique des spectateurs de l’émission qui donnent toute sa légitimité à cette démarche. Là encore, l’auteur refuse de choisir entre une approche « néo-élitiste » ou « néo-populiste », pour rendre compte de la variété des interprétations et des réappropriations du public de l’émission.

9 Le public est d’abord abordé d’un point de vue quantitatif (sur la base d’un sondage de la Sofres), pour mesurer son succès public et dresser un tableau général des téléspectateurs (l’audience, les consultations du site internet, les recettes de M6, le record de notoriété de l’émission, le public éclectique, le plébiscite de la jeunesse).

10 Puis l’analyse se porte sur les spectateurs auprès desquels l’enquête ethnographique a porté et les différentes lectures qui s’en dégagent. Les « supportrices », jeunes femmes de 20 à 30 ans d’un niveau d’étude élevé en font une lecture festive qui se caractérise par une réception au deuxième degré, surjouée, où le rire occupe une place significative. G. Segré file la métaphore de la rencontre sportive en comparant ces jeunes femmes aux supporters de foot. Des stratégies de légitimation, sont ainsi mises en place pour contrer le discrédit (on pense là encore à des stratégies similaires chez les touristes, qui se défendent bien souvent d’en être, dans un processus de hiérarchisation des figures du touriste).

11 Un autre groupe est formé par de jeunes adolescentes issues de familles aisées. L’émission constitue ici un guide pratique des comportements amoureux et des relations amicales. Elle offre l’occasion d’un apprentissage des codes qui régissent ces relations, là encore dans un cadre collectif encadré par la famille qui offre un espace de discussion autour des enseignements à en tirer. Enfin, un troisième groupe rassemble des intellectuels, jeunes adultes surdiplômés qui portent un regard savant sur leur pratique tant et si bien qu’ils redéfinissent la réception en démarche intellectuelle. Le spectateur se fait alors sociologue.

12 Après la présentation de ces figures-types, G. Segré dresse plusieurs portraits : ceux de Clara, Karine et Laurent, qui se livrent tous à une lecture « intellectuelle-critique » ; ceux de fans qui se livrent à une lecture admirative ; celui de Céline et de Fred, qui en tirent chacun des bénéfices distincts (renforcement des liens familiaux, restauration de l’image de soi). De ses portraits, il ressort que le phénomène de réception – dont on a vu la multiplicité des expériences – est en partie le résultat d’une obligation face à un phénomène social et médiatique dont on se doit d’être le témoin. Le format hybride du programme (à la fois jeu, concours, documentaire, fiction, improvisation théâtrale) favorise ses interprétations disparates et autorise des modalités de réception très diverses. L’auteur ne cantonne toutefois pas un téléspectateur à un type de posture, mais reconnaît qu’elles peuvent se succéder ou alterner.

13 Pour conclure, la notion maussienne de « fait social total » est mobilisée en référence à la façon dont l’émission a mobilisé la société dans son ensemble ainsi que ses institutions. La diversité des significations de l’émission, les usages variés qui en sont faits, l’hétérogénéité de la réception font de Loft Story un objet aux multiples facettes qui offre une réflexion sur les frontière de la « Culture » française légitime dans les années 2000. Objet esthétique, artistique, médiatique et technologique, économique, politique, juridique, programme éducatif, Loft Story et les débats que l’émission suscite réinterrogent le rapport à la pudeur, à l’intime, au privé, à la sexualité.

14 Rédigé dans un style à la fois limpide et vivant, adressé à un lectorat de chercheurs en sciences sociales (spécialistes de la culture populaire, des médias, de la réception, des industries culturelles, de la construction de la célébrité, des fans, du monde artistique…) mais également d’étudiants, cet ouvrage offre un regard à la fois rigoureux et original sur un phénomène qui semblait jusqu’à aujourd’hui manquer d’une réflexion conciliant une approche macro et micro, attentive tant à des contextualisations multiples qu’à la diversité de ses réceptions. La démarche ethnographique adoptée est à cet égard particulièrement riche d’enseignement. À la question du « comment » de sa démarche, G. Segré apporte avec transparence les réponses nécessaires pour éclairer le contexte de production de sa recherche. Certaines questions demeurent néanmoins en suspens : quelles relations entretient-il avec les uns et les autres de ses interlocuteurs ? Celles-ci ont nécessairement eu un impact sur la nature et la forme des entretiens. On aurait également souhaité que l’auteur ne s’efface pas totalement derrière leurs récits – voire qu’il puisse inclure sa propre expérience – pour éclairer certaines des lectures qu’il met en lumière. Les questions de méthode qui ont trait à l’analyse du public auraient par ailleurs trouvé leur place plus logiquement en début d’ouvrage, ce qui aurait permis de souligner d’emblée l’originalité de l’approche ethnographique et du terrain, que le lecteur ne soupçonne pas dans l’introduction. Le ton parfois proche de la confession des « questions de méthode » dénote un souci de désamorcer les critiques auxquelles prêterait le flanc selon l’auteur un terrain dit informel et « sauvage ». Cette dimension est pourtant bel et bien constitutive du terrain ethnographique quel qu’il soit [voir par exemple les readers de D. Cefaï [2]]. L’enquête de terrain est aussi faite de tâtonnements, d’expérimentations, et c’est aussi dans les interstices que se situent des moments tout aussi éclairants de l’enquête (conversation off record, épisodes imprévus, impasses, difficultés rencontrées…). Bien plus que la distinction entre un terrain formel et rigoureux et un terrain informel et sauvage, c’est notre vigilance et notre effort de restitution des conditions de production de la recherche (y compris notre propre posture par rapport à nos objets de recherche) qui font de l’ensemble de nos matériaux des outils légitimes et valides, quelle que soit la catégorie à laquelle ils sont associés. Dans l’ensemble, ce surcroît de précautions et de justifications méthodologiques paraît disproportionné. L’ethnographie lumineuse et la façon dont elle est combinée avec l’étude du phénomène dans son ensemble apportent précisément à cet ouvrage toute son originalité et son intérêt.

Hélène Bayard-Çan Voisinage et réseaux. Ethnologie du voisinage en Turquie urbaine Paris, Karthala, 2017, 266 p.

15

par Georges Augustins
Université de Paris Nanterre / LESC

16 Le livre de Hélène Bayard-Çan, Voisinage et réseaux, Ethnologie du voisinage en Turquie urbaine, présente un double aspect : d’une part il s’agit d’une monographie classique utilisant au mieux les moyens habituels du genre et, d’autre part, d’un travail réellement innovant grâce à la mise en œuvre, parfaitement adéquate en la circonstance, de l’analyse informatique des réseaux de sociabilité.

17 Adana, la ville au sein de laquelle l’auteure a mené l’enquête, a connu une croissance considérable puisqu’elle compte aujourd’hui plus de deux millions d’habitants alors qu’elle n’en avait qu’un peu plus de cent mille dans les années cinquante. C’est dire l’importance du phénomène. Hélène Bayard-Çan, mariée et mère de famille, y réside. C’est là qu’elle a choisie de mener l’enquête auprès de la population du quartier qui est alors le sien.

18 Après une assez longue introduction qui fait le point sur les recherches urbaines en Turquie et souligne la pertinence de l’analyse informatique des réseaux dans un tel contexte, l’ouvrage comporte deux parties : dans la première, l’auteure présente les résultats d’une enquête ethnographique classique des relations de voisinage ; dans la seconde, en revanche, elle tire un parti efficace et judicieux de l’utilisation d’un logiciel d’analyse de réseau pour, tout à la fois, identifier la géographie des réseaux individuels et en détailler les modes de constitution.

19 La première partie est donc construite autour de l’analyse d’un grand nombre (plus d’une quarantaine) d’entretiens approfondis avec des habitants de plusieurs immeubles situés dans un quartier récent. L’importance des relations d’entraide entre voisins est alors mise en évidence, notamment à travers le gün, institution qui valorise l’entraide à travers des réunions qui ne sont que l’un des nombreux aspects des formes de voisinage, lesquelles, même dans ces quartiers récents, apparaissent comme l’un des ferments essentiels de la vie sociale en ville. L’ouvrage offre une description détaillée et vivante de ces diverses circonstances qui font de la vie de quartier un élément essentiel de la sociabilité en Turquie. Cette partie de l’ouvrage, principalement fondée sur de l’ethnographie classique, fait cependant un usage judicieux des notions de « liens forts » et « liens faibles », autrefois définis par Mark Granovetter et repris par Alain Degenne et Michel Forsé [3] dans ce qui fut le début des analyses de réseaux.

20 C’est dans la seconde partie de l’ouvrage que Hélène-Bayard Çan se livre à son tour à l’analyse informatique des réseaux grâce au logiciel NetDraw mis au point par M. Granovetter. Celui-ci permet de présenter sous forme de graphique d’incidence les réseaux personnels, de repérer leur caractéristiques (extension, formes de centralité, redondance ou non des relations, etc.) et de les comparer entre elles. Des entretiens personnels permettent de donner chair à ces diagrammes. Il apparaît alors que le nombre des membres de ces différents réseaux est très variable puisqu’il va de zéro à cinquante-cinq, la moyenne se situant à dix-huit. De plus, on note que les « liens forts » sont aussi nombreux que les « liens faibles », ce qui est inhabituel mais s’explique, semble-t-il, par le fait que les femmes ont des réseaux locaux beaucoup plus denses que les hommes (lesquels ont une sociabilité en dehors du strict voisinage). Les « cliques » (réseaux denses interconnectés) sont des « cliques » de femmes.

21 Le meilleur résumé que l’on puisse faire de ce livre est, en fait, fourni par l’auteure elle-même dans sa conclusion : « Opérant un constant va-et-vient entre analyse du réseau et pratiques du voisinage […], cette étude se situe au croisement de l’anthropologie et de la sociologie urbaine. Ce n’est qu’en confrontant la méthodologie ethnographique classique avec une analyse des réseaux sociaux que l’organisation des liens entre voisins a pu apparaître. » [244]

22 Le seul regret que l’on puisse formuler tient à ce que les graphiques représentant les différents réseaux n’apparaissent qu’à la toute fin du livre alors que c’est la confrontation entre le texte et ces graphiques qui fait sens. Mais l’on ne peut exclure que des contraintes éditoriales aient imposé ce choix.

23 Il s’agit ainsi d’un ouvrage essentiel qui se situe, sur le plan méthodologique, à la croisée de l’ethnographie urbaine classique et de l’analyse informatique de réseaux la plus récente. Ne serait-ce qu’à ce titre, il est à mon sens l’un des textes contemporains les plus importants de l’ethnologie urbaine et peut faire figure de modèle pour les travaux à venir.

Jean Jamin Littérature et anthropologie Paris, CNRS Éditions, 2018, 363 p.

24

par Jean-Marie Privat
Université de Lorraine

25 Cet ouvrage est un recueil d’essais publiés sur près de quarante ans. La grande diversité des œuvres étudiées (Dumas, Conrad, Faulkner, Fletcher, Leiris, Melville, Rimbaud, Segalen, Shakespeare, etc.) témoigne d’un intérêt ancien et profond pour la littérature moderne et contemporaine, française et étrangère. Ce large éventail d’auteurs est un signe fort du projet de Jean Jamin qui ne saurait concevoir une anthropologie enclose dans une littérature nationale, a fortiori académique ou patrimoniale.

26 Le propos de ce livre s’inscrit dans une posture réflexive occidentale plus générale où la littérature est un objet bon à penser pour l’anthropologue. Et sans doute aussi comme une plus-value symbolique voire existentielle pour l’ethnographie at home. Non pas toutefois la littérature comme document social ou comme monument culturel mais bel et bien avant tout comme un événement langagier. Presque, comme le suggère la syntaxe du titre du livre, la littérature d’abord. On ne saurait s’en plaindre.

27 Ici, le propos aussi tonique et cultivé que volontiers sarcastique ou confidentiel ne nous ouvre pas à un discours de la méthode en bonne et mauvaise forme mais aux interrogations épistémologiques que rencontre l’anthropologue quand il investit de tout son être et de tous ses savoirs des univers imaginaires souvent éruptifs ou disruptifs. Il y a donc – par double position de principe – un impératif de décentrement culturel et un défi de conversion cognitive. La lecture de l’ouvrage de J. Jamin (me) fait penser à cette remarque de Victor Segalen alors débutant dans la carrière ethnographique, simple observation de terrain qui trace pourtant la cartographie mentale de tout procès en défamiliarisation : « On définit généralement une île : portion de terre entourée d’eau de tous côtés ; ici, le contraire est authentique : eau centrale, le lagon, et de la terre alentour. » [4]

28 C’est cette courbure du monde et cette reconversion du regard qui caractérisent largement le travail d’approche de J. Jamin. Un travail d’approche qui ne vise pas à dire le dernier mot d’une lecture mais les motifs et les mobiles d’une enquête de sens et d’une quête de sensations. Une sismographie plus exactement de la relation entre un texte d’une part, son explorateur savant et lecteur impliqué d’autre part. Car, au-delà de la recherche de quelques points d’appui techniques pour l’analyse des discours littéraires, ce qui passionne manifestement notre auteur c’est ce que la littérature peut faire à l’anthropologie pour autant qu’une fiction écrite donne à entendre une variation in/ouïe sur la condition humaine et sur le jeu/je de ses systèmes symboliques. Un point de vue qui n’avait pas échappé à Roland Barthes quand il soulignait « la tentation ethnologique des grandes cosmogonies romanesques (Balzac, Zola, Proust) » [5]. Ni à Daniel Fabre, compère trop tôt disparu de l’ami Jamin : « L’anthropologie est de tous les savoirs académiques celui qui a conservé le plus de liens et d’affinités avec la création littéraire et artistique. » [6]

29 Ce sont donc certaines formes de l’expérience de la littérature que nous pouvons partager ici quand l’écrivain (ou l’artiste) « désorbite » l’écriture de soi et du monde. C’est ainsi que Bartleby (Melville, 1853) interroge le chiffrement du réel et la souffrance de l’être qui serait en quelque façon pure fiction et pure affliction. Bien malin et surtout bien malheureux d’ailleurs le lecteur qui situerait la frontière qui sépare l’imaginaire du réel tel qu’on se le représente ou plutôt tel que la langue nous le présente et représente. L’auteur s’intéresse par exemple aux lieux que la littérature a littéralement engendrés, encrage et ancrage confondus. Nous avons observé nous-même cette dialectique de la page et du paysage dans le cas de Bovary (l’anthroponyme de fiction) et de Ry (le toponyme de tel village normand), le désormais « vrai » pays d’Emma. J. Jamin analyse ces transferts fictionnels et ces transactions cognitives avec subtilité et astuce – topographie e(s)t typographie dit-il. Il s’inscrit dans le sillage des analyses d’un Michel Leiris ou d’un Claude Lévi-Strauss sur les régimes de créance : « L’essentiel n’est pas que le lit de Van Gogh soit celui-là même où il est avéré qu’il dormît : tout ce qu’attend le visiteur est qu’on puisse le lui montrer. » [7]

30 Mikhaïl Bakhtine avait repéré lui aussi en son temps cette déconstruction des catégories ordinaires et pointé la dynamique des anamorphoses enchantées entre lieu (les remparts de Francfort), fiction (tel conte enfantin, ici) et rite littéraire : « Il y avait là une niche, une fontaine, une inscription enchâssée dans le mur, et derrière le mur s’élevaient de vieux noyers. Le conte ajoutait une porte mystérieuse […]. Le sujet fabuleux s’entrelaçait à la réalité visible et semblait jaillir de ce vieux « Mauvais Mur » entouré de légendes avec sa fontaine […]. Les jeunes auditeurs de Goethe s’y rendaient en pèlerinage. Le conte avait ainsi initié une sorte de “légende locale” et il s’était formé une sorte de “culte local”. » [8]

31 On le voit, avec J. Jamin on est toujours en très bonne compagnie intellectuelle et artistique. Ce miroitement des mondes qui, pourrait-on dire, « s’allument de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries » (Mallarmé, Divagations, 1897) est au cœur de la dialectique entre littérature comme expérience et anthropologie comme connaissance, tension dialogique où l’attention au réel se dessine parfois dans l’esquisse d’une fiction. Le poète-ethnologue l’attestait à ses amis depuis les îles Marquises : « Je puis dire n’avoir rien vu du pays et de ses Maori avant d’avoir parcouru et presque vécu les croquis de Gauguin. » [9]

32 C’est ce langage/tangage que noue et dénoue sans cesse l’observateur des lointains culturels, « incessante mise à l’épreuve de soi par soi par l’autre et de l’autre par soi » (Merleau-Ponty, De Mauss à Claude Lévi-Strauss, 1960). C’est la prose océanienne de V. Segalen qui donne à entendre à la fois l’écho d’une présence et la présence d’un alter ego. C’est tout autant cet ensauvagement volontaire de notre imaginaire culturel et personnel qui affilie dans le théâtre d’ombres et de lumière de W. Shakespeare la blonde Ophélie au cri de la chouette, l’oiseau nocturne des contes et des croyances anciennes. C’est encore ce frêle bruit de la dissonance poétique et anthropologique que J. Jamin – en héraut de Michel Leiris – donne à entendre si souvent. On se souvient de ce passage autobiographique où la griffe du réel permet à l’enfant d’entrevoir l’autre/l’antre de soi : « Sur le sol de la salle à manger […] le soldat de plomb vient de tomber […]. Il n’était pas cassé […]. Je me suis écrié : “…Reusement !”. L’on m’a repris. Et, un instant, je demeure interdit, en proie à une sorte de vertige. Car ce mot mal prononcé, et dont je viens de découvrir qu’il n’est pas en réalité ce que j’avais cru jusque-là, m’a mis en état d’obscurément sentir – grâce à l’espèce de décalage […] imprimé à ma pensée – en quoi le langage articulé pousse de tout côté ses antennes mystérieuses. » [10]

33 Cette existence remplie d’étrangeté et ce vertige dans sa propre langue sont communs au fond à l’aventure anthropologique et à l’expérience littéraire. Il resterait toutefois à saisir à quel prix ou profit s’opère le transfert sémiotique de cosmologies souvent orales vers des univers écrits. Mais, on le pressent, voici un livre écrit à la première personne grammaticale qui en fait tutoie l’imaginaire du lecteur et le conduit à des mouvements alternés et incessants de dépaysements et de repaysements (c’est le mot qui me vient sous la plume). En effet, si le propos affiché de l’auteur est de s’interroger sur ce que la littérature fait à l’anthropologie et réciproquement, l’horizon réel de ce livre nous paraît être comme une tenderie aux signes auquel on ne demande qu’à être pris – et surpris [11].

Adeline Herrou (dir.) Une journée dans une vie, une vie dans une journée. Des ascètes et des moines aujourd’hui Paris, Puf, 2018, 436 p.

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par Marie-Christine Pouchelle
IIAC – Laci

35 À quelles conditions une journée peut-elle contenir toute une vie, comme une partie contiendrait le tout ? Et comment le tout (cette vie) se manifeste dans la partie (cette journée)? Tel est le défi auquel se sont mesurés(es) dix-sept ethnologues, dans une impressionnante série de portraits de renonçant·e·s appartenant à des communautés religieuses situées majoritairement au Moyen et Extrême-Orient, ce qui n’exclut pas un détour en France par le Carmel ou une émanation du Mont Athos.

36 Ces portraits sont issus de recherches beaucoup plus larges, menées sur chaque terrain entre 2008 et 2012. Pour ce volume, les chercheu·r·se·s ont pris le risque de l’imprévu inhérent à toute journée particulière, et présent même dans les communautés les plus réglées. À charge pour eux de restituer l’épaisseur anthropologique des situations souvent contrastées vécues au quotidien par des « admirables » reconnu·e·s comme tel·elle·s dans leur propre culture. Ces derni·er·ère·s, devenu·e·s points de mire, ont parfois éprouvé une certaine méfiance à l’égard de l’observation qui leur était proposée. Au détour de quelques situations émergent ainsi les conditions de l’enquête, même si la consigne imposée aux auteurs – en toute connaissance de cause – était de ne pas s’étendre sur cet aspect.

37 Au-delà du déroulement des journées proprement dites, apparaît tout leur arrière-plan individuel, collectif, voire politique. Ce décryptage donne leur sens aux diverses activités observées. Finalement, de la diversité des cultures abordées, des particularités des personnages saisis sur le vif, du détail de leurs comportements se dégagent des dimensions récurrentes. Par exemple, le caractère apparemment contradictoire de ces existences singulières.

38 Ainsi est donnée à voir une tension paradoxale chez ceux et celles qui ont réalisé une rupture théoriquement sans retour avec la vie ordinaire, qui aspirent à une vie purement intérieure et sont soumis à des règles collectives extrêmement strictes. Pourtant, en raison souvent de leur statut éminent, ils se retrouvent pris dans des réseaux de sociabilité foisonnants et dans nombre d’occupations ou d’obligations qui les font parfois transgresser leurs règles, et qui peuvent sembler étrangères à leur vocation spirituelle. Cela va de l’organisation matérielle de leur communauté au soin des malades, en passant par l’accueil de visiteurs ou par des activités inclassables telles qu’une tentative obstinée, de la part d’un supérieur de communauté au Laos, de saisir l’invisible par la photographie (l’essence même de la spiritualité étant censée transparaître dans le portrait frontal). Seul Gaur Khepa, ascète mystique du Bengale, poète et chanteur dont l’incandescence nous rappelle celle d’un Antonin Artaud, semble échapper à de telles contradictions. Ce « fou » deux fois marié et relativement solitaire suivait en fait une règle absolue, bien plus exigeante sans doute que les rituels monastiques : obéir systématiquement et sans concession à l’inspiration du moment. Mais il partage avec d’autres renonçants présentés ici une consommation de psychotropes (alcool pour lui, haschich pour les autres) qui détonne avec l’abstinence associée en milieu chrétien à la vie spirituelle. En ce qui concerne les fakirs soufis du Pakistan une telle consommation leur permet « d’accéder à un monde qui n’est plus vraiment réel, ni vraiment tout à fait onirique » [127]. Ces passeurs sont, et nous y sommes un instant avec eux, dans l’entre-deux. Là où ne valent plus nos distinctions ordinaires entre les mondes, entre l’extérieur et l’intérieur. Ce qui chez nos rationalistes apparaît comme une confusion, est aux yeux des mystiques (y compris chez « les nôtres », par exemple au xxe siècle chez Jacques Lusseyran [12]) l’expression d’une réalité transcendante. Ainsi dans les univers propres à ces renonçants peuvent être transgressées, selon les cas, nombre des frontières qui passent souvent pour quasi « naturelles » (que le Ciel des ethnologues me pardonne ce gros mot !) : celles du pur et de l’impur, du masculin et du féminin, de la nuit et du jour, de l’animal et du végétal, de la culture populaire et de l’élite lettrée, de l’animé et de l’inanimé. Un tel mélange des registres fait par exemple la force de la représentation. Images et statues sont imprégnées d’une énergie prête à se manifester, parfois à la faveur de la nuit : alors l’ascète jain s’aventure bien avant l’aube dans tel temple pour « découvrir ce qui, selon lui, n’apparaît pas au grand jour, une lueur dans le regard, une expression dans le visage de la statue, la puissance d’une image merveilleuse » [279].

39 Le corps est lui-même pris dans une dynamique paradoxale. Tantôt support incontournable de tout accès à l’au-delà, comme chez ceux qu’on appelle les derviches tourneurs, tantôt considéré comme un obstacle, tantôt offert en sacrifice, tantôt ancrage de la dévotion dans le monde extérieur, il est de toute façon universellement mis en scène. Y compris (et surtout ?) lorsqu’il est malmené. La nudité absolue des ascètes jain, qui va jusqu’à leur faire arracher tous les trois ou quatre mois leur chevelure au lieu de la faire tondre, s’accompagne de nombreux rituels relatifs à leur alimentation. Comment ces ascètes vivent-ils vraiment ce dénuement qui, publiquement affiché, expose puissamment leur corps à ceux qui les entourent ou les rencontrent ? Même si, par ailleurs, l’un des auteurs va jusqu’à imaginer le rêve dans lequel se trouve le fakir endormi, et même si les renonçants se sont pour la plupart confiés de bonne grâce aux ethnologues, le mystère de leur engagement profond reste inaccessible à l’observation directe. « Peut-on même prétendre à une anthropologie de la vie intérieure ? » [19], questionne Adeline Herrou dans l’introduction où elle fait le point sur les enjeux ethnologiques des approches biographiques.

40 Le pari du livre : cette vie intérieure affleure toutefois dans l’implicite du quotidien tel qu’ont pu le percevoir et l’interpréter les anthropologues. Cette hypothèse fait toute la valeur de la démarche adoptée ici de manière magistrale. En effet, au sein des réalités les plus triviales peuvent être parfois débusquées des significations majeures, quitte pour les chercheur·e·s à risquer l’épouvantail de la sur-interprétation. Comme garde-fou méthodologique : la vérification, fut-ce de façon indirecte, de la justesse de l’analyse. Dans ces conditions c’est assurément leur longue familiarité avec leurs terrains respectifs, ainsi que la finesse et l’honnêteté de leur démarche, qui ont permis à ces explorat·eur·rice·s d’un domaine réputé quasi insaisissable de lever à bon escient un coin du voile.

Karl Jacoby L’Esclave qui devint millionnaire. Les vies extraordinaires de William Ellis Toulouse, Anacharsis, 2018, 432 p.

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par Marie Salaün
Université de Paris – Urmis

42 On peut saluer l’heureuse initiative des éditions Anacharsis qui, en publiant deux ans seulement après sa sortie aux États-Unis [13], le dernier ouvrage de Karl Jacoby, nous offrent une magnifique illustration d’une pratique de l’histoire « par le bas » qui est aussi, finalement, une anthropologie du passé.

43 Nous avions découvert Karl Jacoby en tant qu’héritier d’une « Nouvelle histoire de l’Ouest » soucieuse de revisiter la thèse de Frederick Jackson Turner sur la frontière [14] dans son travail sur la création des premiers parcs nationaux aux États-Unis à la fin de xixe siècle [15]. Puis, nous avions pu apprécier le pas de côté qu’il réalisait dans son premier ouvrage traduit en français [16] maintes fois primé, quand, nous obligeant à nous confronter à des jeux d’échelles qui nous éloignent des grands découpages construits par les ethnologues, il nous initiait à la complexité des borderlands situés de part et d’autre de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. La description dense du massacre de 400 Apaches perpétré le 30 avril 1871 dans le canyon d’Aravaipa, en Arizona, par une troupe hétéroclite de Mexicains, de colons anglo-américains et de guerriers indiens O’odham, loin de nous livrer le récit d’un énième épisode du génocide indien, nous obligeait à travers la confrontation entre quatre récits situés d’un même événement à réfléchir à la violence dans l’histoire mais aussi à la violence d’une histoire dont les différents protagonistes sont très inégalement dotés en capital mémoriel.

44 C’est à l’exploration d’une autre facette de ces borderlands que nous invite L’Esclave qui devint millionnaire. Comme le soulignent Paul Pasquali et Benoît Trépied dans un avant-propos fort suggestif et extrêmement bien écrit, en plaçant au cœur de l’analyse ces zones interstitielles et ambiguës jusqu’ici restées aux marges géographiques et historiographiques des récits nationaux : « L’enjeu est de faire de ces espaces liminaux aux hiérarchies incertaines et enchevêtrées le point de départ de toute réflexion sur la formation des nations et des identités, les forces et les failles des bureaucraties modernes, l’imbrications des rapports de pouvoir et de coopération entre des peuples, des groupes sociaux et des États » [24].

45 Avec la démarche biographique, il ne s’agit plus seulement de « penser par cas » [17], mais bien de penser les relations entre passé et présent à hauteur d’homme. Il s’agit moins de célébrer l’hybridité que de souligner la labilité des identités culturelles, les jeux d’appartenance et l’ambivalence d’expériences que l’anthropologie culturelle, dans un souci de modélisation, a eu trop souvent tendance à négliger.

46 La rencontre entre Karl Jacoby et son protagoniste principal a eu lieu il y a plus de 25 ans, quand, consultant les archives d’un consulat américain au Mexique, l’étudiant qu’il était alors découvre une improbable et éphémère tentative de colonisation cotonnière conçue en 1895 dans le Nord du Mexique pour des migrants noirs du Sud des États-Unis, à l’initiative d’un mystérieux homme d’affaires autour duquel règne le plus grand flou. Alternativement William Ellis ou Guillermo Eliseo, Américain ou Mexicain, d’origine cubaine, afro-américaine voire hawaïenne, le personnage, de sa plantation texane natale aux meilleurs hôtels de Mexico ou de Manhattan, se dérobe plus souvent qu’il n’apparaît au gré de sources documentaires éparses et fragmentaires. Comprendre et donner à voir la biographie d’un homme né esclave, devenu millionnaire, qui mourra dans la misère, relève de la fouille archéologique tant les traces sont ténues. Des archives nationales et locales d’un côté et de l’autre de la frontière aux 150 journaux et revues, en passant par les archives privées de la famille Ellis… il aura fallu près de trois décennies à Karl Jacoby, qui se révèle un maître du pointillisme, pour donner de la chair à ce qui n’était au départ qu’une mince esquisse.

47 La biographie contextualisée que nous offre Karl Jacoby n’est pas seulement exemplaire d’une stratégie de passing racial. Certes, William Ellis est un expert de la stratégie qui consiste à « passer pour non-noir » pour échapper à la règle impitoyable du one-drop rule où une seule goutte de sang noir vous assigne un statut dans un contexte où la ségrégation socio-raciale entre dans une phase de durcissement. Mais il est aussi celui qui, passant d’une langue à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une condition économique à l’autre, nous fait entrer dans la complexité de l’expérience du self-made man « à l’américaine » traditionnellement réservée aux hommes blancs, mettant en lumière la porosité des frontières raciales, sociales et nationales au tournant du siècle.

48 Le prologue de l’ouvrage nous embarque à bord de l’Atzec Limited qui reliait alors Mexico à Manhattan. Le 14 mars 1909, lors du passage à la frontière, William Ellis est contraint de quitter le wagon de première classe pour lequel il détenait un billet en vertu de la ségrégation en vigueur au Texas, sur dénonciation d’un employé du train qui le connaissait comme « noir ». Cette entrée en matière in media res, permet de montrer la précarité dans laquelle se trouvaient les « passeurs » comme Ellis. D’un pays à l’autre, d’une identité raciale à l’autre, d’un wagon à l’autre… l’incident illustre cette nécessité de décloisonner histoire états-unienne, histoire mexicaine, histoire afro-américaine et histoire américano-mexicaine. Karl Jacoby nous rappelle la difficulté à appréhender le passing : on pouvait « passer » ponctuellement pour prendre le train, travailler dans la journée, aller au restaurant ou au concert, tout en rejoignant sa famille et sa condition le reste du temps comme on pouvait définitivement tourner le dos à ses origines pour endosser pleinement sa nouvelle identité. Le parcours de William Ellis, qui nous est accessible aujourd’hui grâce aux traces de ses succès – et de ses échecs – en affaires est une illustration de ces processus complexes, puisque, tout en se construisant avec talent une identité publique d’homme d’affaires mexicain, cubain ou hawaïen aux États-Unis et états-unien lorsqu’il résidait au Mexique, il n’a jamais complètement rompu les liens avec sa famille et plus largement avec la communauté afro-américaine, comme en témoignent ses projets de colonisation et ses engagements auprès du personnel politique afro-américain.

49 L’ouvrage est ensuite divisé en trois parties chronologiques. La première commence un peu avant la naissance d’Ellis, au moment où sa grand-mère est contrainte de quitter le Kentucky et de suivre son maître au Texas en 1852, et s’arrête en 1888 lorsqu’Ellis quitte sa petite ville natale de Victoria pour s’installer à San Antonio, et devenir entrepreneur. La deuxième partie est consacrée aux différents projets de colonisation afro-américaine au Mexique menés par Ellis entre 1888 et 1896, à la faveur de son passing. La troisième partie suit la nouvelle vie d’Ellis à New York après l’échec de ses projets de colonisation au Mexique. Elle nous dévoile les ressorts de son intégration à l’élite new-yorkaise sanctionnée, entre autres, par un mariage avec une jeune femme blanche elle-même dans le passing, puisque se prétendant d’origine anglaise, alors qu’elle est en fait issue d’un milieu très modeste du New Jersey. Cette dernière partie présente les rebondissements de sa carrière et ses nouveaux projets tournés vers l’Ethiopie et le Mexique jusqu’à sa mort, dans le dénuement, en 1923.

50 Ce livre est une illustration talentueuse de la fécondité du croisement entre micro et macro-histoire. Mais il n’est pas seulement d’intérêt pour les historiens, car il va bien au-delà de la mise en œuvre d’une approche constructiviste de l’identité qui en soulignerait la fluidité et la contingence. Brubaker reprochait à ce qu’il appellait le « cliché constructiviste » de produire une conception « faible » ou « molle » de l’identité qui, quand elle abuse de qualificatifs tels que « multiple », « instable », « fluente », « contingente », « fragmentée », « construite », « négociée », etc., prend le risque de signaler une position plutôt que de porter une signification [18]. Servi par une écriture captivante et une traduction remarquable de Frédéric Cotton, ce récit extraordinaire d’un destin hors normes prouve la possibilité et l’intérêt d’une démarche qui ne se laisse pas enfermer dans les apories de la notion « d’identité ».

Bernard Cherubini (dir.) Patrimoine et identités locales. Enjeux touristiques, ethnologiques et muséographiques Paris, L’Harmattan, coll. « Anthropologie du monde occidental », 2017, 240 p.

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par Sandrine Teixido
Centre Georg Simmel, EHESS

52 Cet ouvrage collectif réunit les contributions d’acteurs culturels, de conservateurs et d’universitaires en vue de croiser enjeux touristiques, ethnologiques et muséographiques, développement durable, aménagement du territoire et conservation du patrimoine. Les terrains présentés proviennent du pays Basque, des Pyrénées, des Landes de Gascogne, de Bretagne, de l’île de la Réunion, de la Guyane et du Québec. La structure de l’ouvrage est divisée en trois grandes parties : « Exposer, s’exposer, s’authentifier » est consacrée aux expériences muséales et à leurs évolutions ; « Muséographie, ethnologie régionale ou anthropologie locale et globale ? » traite des liens entre structures culturelles et ethnologie ; enfin « Valorisations touristiques de l’identité » interroge l’articulation entre tourisme, conservation et valorisation des identités locales et du patrimoine naturel.

53 La publication de cet ouvrage dénote une inquiétude, celle de l’avenir incertain des musées de société, d’un contexte de réduction des postes universitaires et d’une remise en cause de certains dispositifs de recherche. Plus généralement, le propos s’inscrit dans un contexte de crise : « L’idée de patrimoine est alors invoquée par rapport à une menace de disparition des ressources naturelles et culturelles dans un théâtre de catastrophes », indique Bernard Cherubini [7]. L’intérêt renouvelé pour les cultures populaires ressortit autant à une tentative de se rassurer par l’affirmation d’identités collectives « stables » qu’à celle de se situer dans un monde en plein bouleversement.

54 Certaines contributions alternent entre bilan, prospective et retour réflexif. Mais ce n’est pas la moindre des qualités de cet ouvrage que de laisser la parole aux acteurs de terrain et de leur permettre de nourrir un retour d’expérience. La structure en trois grandes parties, chacune conclue ou introduite par un article de Bernard Cherubini, permet de rassembler et de conceptualiser les enjeux et paradoxes vécus par les praticiens au sens large qu’ils soient conservateurs ou universitaires. Dans les deux cas, l’exercice de la description s’avère une écriture de l’expérience qui s’inscrit dans l’alliance nécessaire entre acteurs culturels et scientifiques sur les enjeux aussi brûlants qu’inconfortables que sont le tourisme ou le patrimoine. Certaines contributions font part d’un désarroi face aux injonctions contradictoires qui traversent ces alliances : faut-il se soumettre aux attendus du public en termes de tradition et d’authenticité ? Le retour réflexif des professionnels interroge le sens à donner à l’activité de conservation dans un contexte de développement du tourisme ou plutôt des tourismes. La critique n’est-elle pas constitutive du monde relationnel qui lie tourisme, conservation et ethnographie ? N’est-ce pas cette tension permanente entre conservation et attractivité, qui incite au sein de cette nécessaire alliance entre professionnels, universitaires et populations locales à co-formuler les problématiques qui importeront ?

55 La lecture est construite comme un parcours destiné à travailler la fécondité de ce paradoxe et de ces alliances. Ainsi dans « Identités et continuités dans les musées d’ethnographie : représentation et identité collective au Pays basque », Iñaki Arrieta Urtizberea et Mathieu Viau-Courville montrent que les musées ethnographiques doivent faire face à une réactualisation du discours sur le monde rural. Dans « ’La quête d’une image aussi exacte et complète que possible’. Collecte, recherche et ethnographie au Musée Basque et de l’histoire de Bayonne », Jacques Battesti et Terexa Lekumberri démontrent que l’objet ne peut à lui seul constituer l’unique preuve du dispositif de production de vérité que constitue le musée ethnographique et que celui-ci doit faire l’objet d’une réécriture contemporaine. Musée de société, musée ethnographique, écomusée, chacun présente une histoire de la fabrique d’authenticité qui va des collectages des érudits locaux comme illustration d’une certaine conception de la tradition jusqu’au renfort de l’ingénierie culturelle en passant par la volonté de co-construire les collections avec les populations locales. Florence Raguénès, attachée de conservation à l’écomusée de Marquèze, souligne la contradiction entre le tourisme comme procédé incontournable à la survie de l’écomusée et le manque de temps dédié à la recherche ou à la co-construction avec les populations.

56 Cette première partie nous conduit à examiner les conditions d’une collaboration assumée entre structures culturelles et universitaires. Celles-ci ne vont pas de soi soulignent Jean-François Simon et Fañch Postic. Bien que la Bretagne ait longtemps été le laboratoire privilégié de l’ethnologie du domaine français, l’auteur s’interroge sur la poursuite de dispositifs qui avaient su développer une ethnologie locale féconde et une cohabitation entre structures culturelles et antennes universitaires. Si les incertitudes quant au statut de l’ethnologue au musée – entre évaluation du contenu et alibi universitaire – restent encore présentes, les expériences menées jusqu’ici constituent une expérience originale.

57 S’ensuivent une série de contributions qui explorent les différentes facettes de la valorisation touristique de l’identité, des pratiques aux modalités engagées. Marie Pendanx s’intéresse aux fêtes locales qui mettent en scène des produits du terroir. Ces « pratiques territorialisées promues volontairement au rang d’emblèmes » signalent aux autres des singularités qui sont « mobilisables dans une démarche de valorisation touristique » [142]. Pierrine Didier approfondit le paradoxe en s’intéressant à l’identité pastorale et à la transhumance estivale sur un territoire classé et régulé. Le pastoralisme constitue à la fois un mode de vie alternatif comme une activité de valorisation de la production au sein de réseaux qui revendiquent des engagements politiques et écologiques. En s’appuyant sur le roman de l’écrivain Jérôme Ferrari, Le Sermon sur la chute de Rome, Pierre Bertoncini déconstruit la critique du riacquistu proposée par l’écrivain. Ferrari présente une vision de de l’idéologie culturelle identitaire – travailler au village, repeupler l’intérieur, retrouver les racines et les valeurs –, comme une entreprise de « prostitution ». Au moyen de l’analyse de la vie du peintre Joseph Bertoncini entre les années 1930 et 1950, l’auteur démontre que tout un pan de l’histoire culturelle de la Corse a été omis de la doxa du riacquistu qui veut qu’il y ait un monde avant 1914 qu’il faudrait retrouver à partir des années 1970. Enfin, dans un article sur les Pyrénées, Olivier Bessy et Nathalie Lahaye ont l’ambition de redonner au concept d’authenticité sa portée heuristique en l’articulant aux modèles de développement durable des territoires et aux interactions entre les différents acteurs porteur de conceptions divergentes. La richesse interprétative du concept se comprend au sein d’un « écosystème toujours plus concurrentiel et soumis à la double contrainte de conservation et de valorisation du patrimoine » [189] dans lequel l’authenticité est qualifiée par les auteurs de « négociée ».

58 La lecture de l’introduction et des deux articles de Bernard Cherubini (chapitre 7 et 12) permet d’encadrer la réflexion autour de l’authenticité qu’il développe au prisme des différents régimes de vérité produits par le texte ethnographique, l’écriture fictionnelle, comme la prise en compte des récits et de la participation des populations locales. A travers une analyse du cas réunionnais, B. Cherubini revient sur la nécessaire collaboration scientifique pluridisciplinaire au sein des nouvelles structures de parc et de réserves naturelles, marines, terrestres, forestières à partir des années 2000. L’anthropologue propose de voir les acteurs du tourisme comme des partenaires et non comme des ennemis et de considérer que la « transe touristique » cohabite avec la « rencontre touristique » à travers la prise en compte de la diversité des démarches touristiques récentes en termes de soutenabilité et l’intérêt réciproque entre touristes et populations locales. Il s’agit pour l’auteur de mettre en « évidence l’intérêt réciproque des touristes et des populations locales pour les ressources culturelles et naturelles de ces territoires » [120] sans en occulter les différents aspects problématiques : les prérogatives des usagers dans l’appropriation de leur culture, les récits produits par les populations sur leurs territoires, comme les formes inégalitaires de sélection des données et de production du savoir scientifique. Enfin, il s’agit aussi d’analyser les rapports entre la vision des touristes locaux et de celle des touristes extérieurs, qui conditionnent les choix et « approximations en matière de traduction de faits ethnologiques, historiques, mémoriels » [132]. Dans le dernier article dédié à la Guyane, B. Cherubini va plus loin dans l’analyse du tourisme comme « nouveau régime mémoriel » [220]. Pour en comprendre toute la complexité, il faut s’intéresser aux innovations dans le domaine de la gouvernance des sites touristiques et à la concurrence entre un tourisme vert et un tourisme culturel, voire un tourisme « noir » axé sur les lieux macabres de l’histoire mondiale, ici l’esclavage et le bagne de Guyane. Les lieux à protéger sont aussi ceux à réhabiliter. En 2006, la « mairie de Saint-Laurent-du-Maroni a eu l’idée de proposer un classement des vestiges du bagne de Guyane au patrimoine mondial de l’UNESCO » [222].

59 Un article un peu à part et qui constitue le chapitre 6 intitulé « Le don, l’association et le contrat : les traditions dansées comme formes d’échanges » par Xavier Itaçaina, permettra peut-être de frayer un chemin vers les modalités d’une description capable d’articuler retour d’expérience et écriture ethnographique. Dans le cas d’Itaçaina, il s’agit de démontrer que « les relations d’échanges et d’association qui s’établissent entre les acteurs des traditions dansées relèvent de plusieurs modalités, que l’on réduit pour les besoins de l’analyse à cinq principales formes : le don et le contre-don certes, mais aussi la coopération, le contrat, l’aumône et la prescription » [103]. L’auteur sépare soigneusement le don de type communautaire spécifique à ce type d’échanges au sein des traditions dansées en pays Basque, du don intrafamilial, du don caritatif (l’aumône) ou du don aux étrangers propre au bénévolat. Itaçaina propose aussi une analyse synchronique qui permet de suivre l’évolution du modèle associatif des classes d’âge vers un critère affinitaire puis vers la mutualisation des produits de la quête afin de financer les autres activités de l’association après 1968. Le contrat ou transaction marchande (prestation contre rémunération) n’est qu’un modèle parmi d’autres des modalités de l’échange au même titre que le modèle caritatif (mendiant) ou la prescription (d’une fête par les autorités locales ou royales). Peuvent y être décelées également des formes de redistribution ou d’évergétisme local. Même si l’article d’Itaçaina est celui d’un chercheur dont le propos s’ancre dans une profondeur historique, la manière dont l’auteur décrit les différentes modalités d’échanges et d’associations montre le chemin pour sortir des paradoxes énoncés plus haut, en s’attachant moins à la dénonciation des divergences qu’aux modalités relationnelles fines entre tourisme, ethnographie et conservation dans des situations précisément identifiées.

Nicolas Adell et Vincent Debaene (dir.) Anthropologie et Poésie. Fabula LHT – Littérature, Histoire, Théorie, 2018, 21 [https://www.fabula.org/lht/21].

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par Jean-Marie Privat
Université de Lorraine/CREM

61 Ce numéro de Fabula LHT – une revue numérique en libre accès [https://www.fabula.org/lht/21/] – consacre son dossier principal aux relations entre anthropologie et poésie. Cette jonction ou conjonction peut s’entendre a priori comme une anthropologie de la poésie ou bien – pourquoi pas – une poésie de l’anthropologie ou même comme la poésie écrite par les anthropologues eux-mêmes. C’est bien ce dernier cas de figure qui nous est présenté ici, avec des contributions originales sur des poètes-anthropologues aussi différents et prestigieux que Margaret Mead, Edward Sapir, Ruth Benedict, Bronislaw Malinowski, Michel Leiris, Roger Bastide, Georges Condominas ou Tina Jolas. L’originalité de cette publication tient donc, en tout premier lieu, à ce que les contributeurs – tous anthropologues eux-mêmes, sinon poètes (?) – s’aventurent sur un terrain peu exploré jusqu’ici, à savoir « la longue tradition des écritures poétiques chez les anthropologues, l’usage de l’anthropologie fait par les poètes, mais aussi les relations intellectuelles qui ont pu s’établir entre les uns et les autres. » [Introduction]

62 Il est toujours possible évidemment de (se) dire que le point commun, central et crucial, des pratiques scientifiques et poétiques est de manifester la poésie du monde (ou de son rapport au monde) et surtout, en toute hypothèse, d’avoir pour matière commune le langage. À condition de faire crédit à la transduction culturelle et au dialogisme des langues. Ce qui n’était pas le cas de Margaret Mead (1901-1978) par exemple, pour qui « les mots qu’une culture a investis de sens sont, en vertu même de leur justesse dans le cadre de cette culture, singulièrement inadaptés pour formuler avec précision des remarques sur une autre culture. » Médiocre poétesse par ailleurs, M. Mead lui préférera – selon Philipp Schweighauser – l’objectivité ( ?) du document photographique, même si cette position théorique de principe ne l’empêchera pas d’écrire des ouvrages devenus des classiques de l’anthropologie. Ce scepticisme culturaliste à l’égard des homologies langagières consonnera bientôt de facto avec la mode structuraliste des formalisations tabulaires et des données statistiques réputées plus objectives que toute description suspecte… de littérature. À plus forte déraison graphique quand il est question et prétention pour l’anthropologue américaine de « conserver des traces des coutumes et des êtres humains menacés de disparition sur cette terre, qu’il s’agisse de peuples consanguins, de populations sans écriture vivant isolées dans quelque jungle tropicale, au fin fond d’un canton suisse, ou dans les montagnes d’un royaume asiatique. »

63 Sans être crédule quant aux possibilités du langage pour dire les spécificités des hétérotopies culturelles, Roger Bastide (1898-1974) recherchera au contraire « une exploration sensible, fondamentalement d’ordre poétique, perçue comme une autre facette, non moins importante, de l’entreprise scientifique. » Selon Stefania Capone, cette approche poétique deviendra même pour R. Bastide un ethos personnel et professionnel, à dire vrai « la seule façon d’entrer en contact avec l’expérience mystique, en se laissant emporter par la « tentation des gouffres ». L’épreuve et la preuve d’une brûlante altérité culturelle quand le chant profond d’une disposition poétique met (presque) l’initié au diapason de cosmologies inouïes.

64 Cette quête d’un continuum ontologique entre soi et les autres ne doit pas, même dans sa fulgurance rimbaldienne – « un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens » – nous aveugler pour autant sur la nécessité fort prosaïque de distinguer entre intuition sensible de la poésie du monde et écriture de ce monde même. En son temps, André Leroi-Gourhan (1911-1986) en avait pointé sobrement la difficulté et l’enjeu, même dans le cas d’expériences où l’anthropologue se contente d’être un observateur, certes passionné mais moins existentiellement investi [19] :

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Le fait noté et transmissible par la voie de l’écriture abandonne une part importante du fait observé. Quel que soit le degré de précision dans la description d’une faucille, d’une vannerie, d’un masque ou d’une danse, l’ethnographe coupe inévitablement le document du plus réel de sa personnalité […]. Les nuances sont pourtant l’élément définitivement significatif et l’esthétique au sens large pourrait bien être l’une des clefs de l’ethnologie. S’il en était ainsi il y aurait véritablement une science à créer, celle des valeurs, des rythmes, des saveurs et des formes dans une systématique adaptée aux besoins de l’expression de l’indéfinissable ethnique […]. Il reste à l’ethnologie à exprimer ce subtil mouvement […].

66 Cette quête principielle et scripturale du « subtil mouvement » – être en poésie comme une modalité d’appréhension du réel et être dans sa langue comme un mode anthropologique de vie – n’est sans doute pas à l’horizon de toute intextuation du monde [20]. Mais à lire ce stimulant dossier c’est moins rare qu’on ne pourrait le croire. Un autre grand ethnologue français – Georges Condominas (1921-2011) – a ainsi lui aussi « conçu son œuvre d’ethnologue dans les entours de la poésie », œuvre plurielle d’ailleurs et reçue comme poétique et ethnologique par bien des ses lecteurs. Songeons seulement ici au titre étrange et pénétrant de son opus magnusNous avons mangé la forêt de la Pierre-Génie Gôo. Chronique de Sar Luk, village mnong gar [1957, Paris, Mercure de France] – et son balancement rythmique d’octosyllabes, puis en pentasyllabes sobrement dédoublés à leur tour... Car G. Condominas était bel et bien un fervent des langues (et de leurs traductions) et son travail au quotidien a visé à « étendre le domaine du poétique au-delà du poème et, plus largement, les manières d’accorder trame du vécu et création verbale. » L’anthropologue de lointaines civilisations cherchait dans ses propres pratiques d’écriture, « entre expérience lue et expérience vécue », une dynamique voire une dialectique qui les vivifient mutuellement, toujours selon les belles et justes formules d’Éléonore Devevey.

67 Ainsi, au fil de la lecture du dossier Anthropologie et Poésie (la majuscule s’expose à essentialiser le second terme) prend-on meilleure conscience que la vocation première de tout anthropologue est parfois de tutoyer la poésie, ou de tutoyer le poète. C’est la passionnante enquête que mène Nicolas Adell dans la correspondance passionnée entre Tina Jolas (1929-1999) et René Char. T. Jolas ou l’ethnographe malgré elle et T. Jolas grâce à qui l’ethnographie du sensible et du très proche trouve écho, et écho poétique, dans la poésie de Char. En effet, celle qui vit en quelque façon et de toute les façons sous « l’empire de la poésie » et celle dont l’œil et l’humanité saisissent « la course aux petits champignons des prés à Minot, le jeu d’un couple de renards dans la neige en Creuse ou un homme frappant l’eau de sa main », entre en correspondance intime avec la sensibilité du poète et en irrigue peut-être même l’écriture. Et inversement. C’est en tout cas ce chemin inattendu que N. Adell nous propose d’emprunter et c’est un tel fascinant cheminement qui nous conduit des lettres de T. Jolas l’ethnologue amoureuse aux éblouissements des Aromates chasseurs (Char, 1972-1975) : « [h]isser le seau du puits où l’eau n’en finit pas de danser l’éclat de sa naissance » ou « [t]u t’établirais dans ta page, sur les bords d’un ruisseau, comme l’ambre gris sur le varech échoué. »

68 Les tentatives ou les tentations littéraires de Bronislaw Malinowski (1884-1942) sont bien documentées et explicitées dans la contribution d’Amaglia Dragani. Dans ce cas de figure – éminente figure s’il en est de l’anthropologie moderne – il ne reste certes qu’une petite « dizaine de poèmes de correspondance, des motets adressés à des amis et quelques poèmes d’amour. » Mais les primes fréquentations littéraires et artistiques du jeune Bronislaw aiguisèrent sa perception poétique du monde et la mélodie secrète des hommes, ce que Rilke évoquera à peu près à la même époque et à la même école (nietzschéenne) en des mots voisins [« toujours veille derrière toi une ample mélodie, tissée de mille voix dans laquelle ton solo n’a sa place que de temps à autre »]. Aussi peut-on dire que cet apprentissage informel développa la réceptivité de l’anthropologue aux rythmes du monde et à la magie performative des gestes et des mots. Ces témoignages d’une persistante quête d’une expérience poétique personnelle jalonnent entre autres son Journal d’ethnographe que feuillette pour nous Amalia Dragani, Journal [1985, Paris, Seuil] traduit en son temps par… Tina Jolas.

69 Ce dossier va enfin à la rencontre de trois autres figures culturelles majeures dans le champ multipolaire qui nous intéresse : Ruth Benedict (1887-1948) et Edward Sapir (1884-1939) d’une part, Michel Leiris (1901-1990) d’autre part.

70 M. Leiris est un polygraphe inépuisable comme on sait. Il quittera la poésie pour l’ethnologie, puis c’est l’autobiographie qui l’occupera ou le rejoindra quarante ans durant. À ses yeux, selon Vincent Debaene, la suffisance et l’insuffisance de la poésie sont avérées. L’écrit ne saurait en effet sémiotiquement transposer le « contact archaïque » si désirable avec un monde linguistique « maternel » et pourquoi pas « cratylien ». Les mots ne donnent vie qu’aux morts et aux normes (au champ littéraire aussi…), plus difficilement il est vrai à ce que Montaigne appelait l’homme, le chant de l’homme, « subject merveilleusement vain, divers, et ondoyant » (Essais, I, 1). La mission d’africaniste vouée aux observations dirigées, aux fiches standardisées et aux fantômes de la bibliothèque entre Dakar et Djibouti (1931-1933) ne pouvait donc qu’insupporter Leiris. Le style formulaire sans l’esthétisme, à la rigueur mais les formulaires administratifs, au diable ! Ce n’est que plus tard selon l’étude de V. Debaene – quand Leiris revient d’entre les morts dans la nuit du 29 au 30 mai 1957 – que l’anthropologue du rite et de la transe [la vocation et la vocalité plus que la vacation et la ponctualité] en vient à considérer la poésie comme un instrument d’exploration de soi qui selon ses mots « constellera le blanc du papier ». C’était sans doute être optimiste sur l’autonomie sociale du langage et sous-estimer son pouvoir symbolique d’imposition de son ordre propre… Restera l’intermittence de la poésie comme compagne.

71 La traduction d’un article de Handler – Vigueur au masculin, aspiration au féminin. Poésie, personnalité et culture chez Edward Sapir et Ruth Benedict – est un complément peut-être intéressant en soi mais selon nous souvent latéral et digressif par rapport au sujet, son écriture est plutôt verbeuse, ses analyses hypo-théoriques. Il (m’) est difficile de percevoir, par exemple, la pertinence de cette remarque, quelle que soit l’autorité que R. Handler ait pu avoir dans le champ de l’histoire de l’anthropologie américaine : « Benedict et Sapir se sont tournés l’un vers l’autre pendant des années difficiles de leur vie, en recourant à la poésie (qu’ils souhaitaient tous deux publier) pour communiquer ce qui pouvait difficilement être abordé sous des formes moins stylisées. » On saisit avec non moins de difficulté l’intérêt de tel long développement sur la pensée d’Erza Pound : « [l]e langage ordinaire, encombré qu’il est de métaphores inertes et de clichés, ne permet pas de communiquer l’expérience unique de l’individu. » Il semble bien au contraire que si le langage ordinaire présente un intérêt central – en anthropologie linguistique comme en poésie contemporaine… – c’est parce que s’y inscrit possiblement toute une mythologie (Wittgenstein), à coup sûr et presque par définition une condensation symbolique, une cosmologie culturelle idiomatique. Il nous semble à vrai dire que cette conception du lieu commun langagier est… un lieu commun, pour ne pas dire une vieillerie romantique.

72 Mais ce point n’est évoqué sommairement ici que pour conclure sur une interrogation plus générale quant aux relations non plus uniquement de l’anthropologie et de la poésie mais aussi des rapports si distants voire étrangement absents de ces anthropologues/poètes avec les sciences du langage et les sciences du texte. Il est surprenant en quelque façon que – Sapir excepté en principe – la praxis langagière soit prise en tenaille entre une logique de communication et une mystique de participation, comme si l’esthétique de la création verbale de Mikhaïl Bakhtine n’avait jamais concerné que les spécialistes littéraires de l’exotopie culturelle ou comme si Roman Jakobson – lui-même si proche des ethnographes de la coutume et des artistes de la modernité – n’avait jamais accepter de dialoguer sur la fonction poétique inhérente au langage qu’avec Claude Lévi-Strauss. Ou encore comme si l’anthropologie comparative et participative d’un Paul Zumthor avec les oralités/auralités du monde n’était qu’une pavane précieuse et solitaire. En toute hypothèse nous surlignerions volontiers le propos de Marielle Macé quand dans un long Entretien elle évoque l’attention au nouage toujours singulier entre tel effort anthropologique et telle démarche poétique, au risque chez les moins grands que le nouage ne se réduise à un rouage entre tel confort anthropologique et tel démarchage poétique.


Date de mise en ligne : 28/02/2020

https://doi.org/10.3917/ethn.201.0223

Notes

  • [1]
    Bernard Lahire, 2004, La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte.
  • [2]
    Daniel Cefaï, 2003, L’Enquête de terrain, Paris, La Découverte.
  • [3]
    Alain Degenne et Michel Forsé, Les Réseaux sociaux, Paris, Armand Colin, coll. « U », 1994.
  • [4]
    Victor Segalen, (1903) 1988, Le Journal des Îles, suivi de Vers les sinistrés Fontfroide, Fata Morgana : 183.
  • [5]
    Roland Barthes, 1975, Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil, coll. « Écrivains de toujours » : 87.
  • [6]
    Daniel Fabre, 2010, « D’une ethnologie romantique », Savoirs romantiques. Une naissance de l’ethnologie, sous la direction de Daniel Fabre et Jean-Marie Privat, Nancy, Presses universitaires de Nancy, coll. « EthnocritiqueS » : 38.
  • [7]
    Claude Lévi-Strauss, 1962, « Le temps retrouvé », in La Pensée sauvage, Paris, Plon : 323.
  • [8]
    Mikhaïl Bakhtine, « Le roman d’apprentissage », Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1984 : 253.
  • [9]
    Victor Segalen, Lettre à Georges-Daniel de Monfreid, 29 novembre 1903.
  • [10]
    Michel Leiris, Biffures (1948) 2010, Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire » : 12.
  • [11]
    Jean Jamin est en effet passé de la monographie ethnographique  par exemple La Tenderie aux grives chez les Ardennais du plateau, Paris, Éditions de l’Institut d’ethnologie, 1979 – aux discours anthropologiques sur la fiction et maintenant à l’écriture de la fiction comme en témoigne son prochain Tableaux d’une exposition. Chronique d’une famille ouvrière ardennaise pendant la III° République, Paris, O. Jacob, 2019.
  • [12]
    On lira par exemple son autobiographie ; Jacques Lusseyran, (2005) 2018, Et la lumière fut, Paris, Gallimard, coll. « Folio ».
  • [13]
    Karl Jacoby, 2016, The Strange Career of William Ellis: the Texas slave who became a mexican millionaire, New York, W. W. Norton.
  • [14]
    Frederick J. Turner, 1935, The Frontier in American History, New York, Henry Holt and Company.
  • [15]
    Karl Jacoby, 2001, Crimes Against Nature: squatters, poachers, thieves and the hidden history of American conservation, Berkeley, University of California Press.
  • [16]
    Karl Jacoby, 2013, Des ombres à l’aube. Un massacre d’Apaches et la violence de l’histoire, Toulouse, Anacharsis.
  • [17]
    Jean-Claude Passeron et Jacques Revel, 2005, Penser par cas, Paris, Éditions de l’EHESS.
  • [18]
    Rogers Brubaker, 2001, « Au-delà de l’“identité” », Actes de la recherche en sciences sociales, 139 : 66-85.
  • [19]
    André Leroi-Gourhan, 1968, « L’expérience ethnologique », in Jean Poirier (dir.) Ethnologie Générale, Paris, Gallimard, « Pléiade » : 1823.
  • [20]
    L’intextuation est la « mise en texte » des êtres vivants et plus généralement du vivant. On doit le mot à Michel de Certeau.

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