Couverture de ETHN_192

Article de revue

Libération sexuelle ou « pression à soulager ces messieurs » ? Points de vue de femmes dans les années 68 en France

Pages 373 à 389

Notes

  • [1]
    J’adopte la focale temporelle élargie des historien·ne·s qui estiment que les répercussions de Mai 68 irriguant divers espaces sont décelables jusqu’à l’arrivée au pouvoir du PS mitterrandien [Artières et Zancarini, 2008].
  • [2]
    Wilhelm Reich, 1968 [1936], La Révolution sexuelle. Pour une autonomie caractérielle de l’homme, Paris, Plon ; Herbert Marcuse, 1968 [1955], Éros et civilisation : contribution à Freud, Paris, Minuit.
  • [3]
    Rapport rédigé par la sexologue Shere Hite, à partir d’une enquête menée aux États-Unis auprès de 3 000 femmes, paru en France en 1977.
  • [4]
    « Regarde elle a les yeux grand ouverts », IRL, Journal d’expression libertaire, 33, avril 1980 : 9.
  • [5]
    Texte-martyr d’une quinzaine de pages, en vue du livret accompagnant le film Regarde, elle a les yeux grand ouverts (Le Masson Yann, le MLAC d’Aix, la Commune et les Cochonniers), non daté, prob. 1979.
  • [6]
    Propos de Thérèse, membre du MLAC-20e de 1973 à 1975, travaillant alors pour un journal d’extrême gauche.
  • [7]
    Extrait d’un courriel de Chantal, 6 juin 2016.
  • [8]
    Cf. notamment J.K., « Les militantes » [Collectif, (1970) 1972] ; Boons Marie-Claire, Tessa Brisac, Annick Kerhervé et al., 1983, C’est terrible quand on y pense, Paris, Galilée.
  • [9]
    « Des militantes du MLF », 1971, « Vie et mœurs de la peuplade “Tuot” ou que vos os pourrissent sous la lune », Tout !, 15.
  • [10]
    Il faut nuancer le tableau : des organisations, à l’instar de Lutte ouvrière, tiennent ces revendications sexuelles pour des idéaux petits-bourgeois [Bantigny, 2013 : 29-31].
  • [11]
    Terme désignant les tâches les plus invisibles qui font grandir les enfants, comme les activités nourricières, de soins (lavage et santé), etc.
  • [12]
    Intervention de Jacqueline, discussion collective, septembre 1978. Archives privées du MLAC d’Aix.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Anecdote issue de l’article de Christiane, « Le mythe de la frigidité féminine » [Collectif, (1970) 1972 : 64].

1

Alors que Françoise raconte l’irruption de la lutte pour l’avortement dans la vie de son couple, son mari Gabriel ajoute : « pour situer quand même le contexte, c’est un peu Mai 68, la libération sexuelle. Et comme toujours lorsqu’il y a un tabou qui saute, […] c’est un peu n’importe quoi et on ne fait pas attention. Donc les filles mineures, elles se retrouvent enceintes ».
Françoise réplique : « Ouh ! non non, ça c’est ton analyse masculine [elle étouffe un rire]. Il y a toujours eu, toujours, des femmes, des faiseuses d’anges. Il y a toujours eu des femmes qui se sont faites avorter. Et quand tu dis “la libération”, il y a toujours eu des femmes qui… ! »
Gabriel : « Oh oui, d’accord, mais j’veux dire que le mouvement s’est accéléré. Il y a eu aussi le MLF, donc le désir de liberté. Faire l’amour sans enfant et les enfants avec amour, bon y’avait un contexte particulier. »
Françoise : « Oui, mais je pense pas que c’était la débauche, entre guillemets. Je pense que c’est tout simplement que les femmes se sont plus permises de dire ouvertement “je suis enceinte et je veux pas le garder”. […] Et du coup, il y avait plus de demandes. Enfin après, on a peut-être un regard différent, mais je le mets pas dans la conséquence de 68. »

2 Françoise et Gabriel, respectivement né·e·s en 1949 et 1941 dans un milieu ouvrier et ayant milité dans un groupe provençal du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) en 1973-1974, ont différentes manières de relater les déterminants de la mobilisation : alors que lui tient à souligner que le contexte était propice à la dilution des normes sexo-affectives et à des « excès », d’où la hausse des grossesses juvéniles, Françoise fait valoir que le recours répandu à l’avortement n’était pas une nouveauté de l’après-Mai. Ce faisant, elle rapporte l’effet d’optique de son époux à une projection « masculine » sur la sexualité des femmes, soit l’expression d’un point de vue de dominant. Dès les premiers temps de mon enquête, le désaccord dans ce couple a piqué ma curiosité à propos des décalages interprétatifs entre femmes et hommes sur les idéaux amoureux et sexuels dits soixante-huitards.

3 La transformation de l’exercice social de la sexualité, construite dans la mémoire collective comme l’un des acquis de Mai 68 [Chaplin, 2011 : 377], cristallise les perceptions des enjeux de genre dans ce moment de crise. Au moins deux mythes sous-tendent le lieu commun de la « libération sexuelle » : le renversement soudain de la morale et l’avènement d’une égalité entre les sexes dans ce domaine.

4 Si, à l’exception du Comité révolutionnaire d’agitation sexuelle et du Comité d’action pédérastique révolutionnaire [Sibalis, 2011], la sexualité et la conjugalité font rarement l’objet direct d’une mobilisation pendant les événements de Mai, il est vrai qu’un ensemble de réflexions novatrices sur la sphère intime se déploie dans les « années 68 » [1], se joignant aux tendances observées depuis déjà plusieurs décennies [Chaperon, 2004 ; Rebreyend, 2008 : 193-230]. L’évolution de la sexualité s’inscrit dans un mouvement d’individualisation, où prime l’intériorisation des conduites légitimes par les individus, corollaire du déclin du contrôle exercé par des institutions et des communautés [Bozon, (2002) 2009 : 122]. Le choix revendiqué de l’union libre, les discours sur le consentement et le plaisir au féminin [Cardon, 2003 ; Blandin, 2014], la promotion d’une information sexuelle, le recul de l’influence de la religion [Della Sudda, 2016 ; Favier, 2017], les maternités plus tardives, la hausse des divorces, l’expression des désirs gays et lesbiens [Flamant, 2010] sont autant de marques de la mutation des comportements sexuels, que viennent consacrer des changements législatifs pour l’accès au contrôle de la fécondité, contre la répression de l’homosexualité et pour la cessation des violences sexuelles.

5 À l’appui du second mythe – celui de l’émancipation des deux sexes –, les études sur les années 68 rappellent souvent le caractère licencieux du texte « Apprenons à faire l’amour » de Jean Carpentier, plus rarement le fait que, très centré sur les rapports coïtaux et exposant une vision hiérarchisée des sexualités, il fut taxé de « phallocrate » par le MLF. De fait, la mise à nu du sexisme ordinaire dans les mobilisations de gauche et d’extrême gauche a joué un rôle majeur dans l’éclosion de mouvements féministes en France. La contrainte exercée sur les corps des femmes et l’indifférence à leur plaisir ont nourri le rapport conflictuel aux idéaux d’émancipation de 68 [Picq, 2011 : 131-139].

6 La plupart des enquêtes traitant des codes androcentrés dans la sexualité s’intéressent aux actes et représentations (sur les pratiques et l’autoérotisme, l’appétence, la disponibilité sexuelle, etc.) faisant des femmes davantage des objets de désir que des sujets désirants. Mais elles négligent des formes plus subtiles, en épargnant les espaces qui suspendent les pratiques routinières et autorisent des transgressions de genre. Paradoxalement, ces expérimentations ont un effet de miroir grossissant sur certaines hiérarchies et inégalités. C’est le cas des conjonctures critiques, que cet article se propose d’aborder de front à partir de la séquence post-68 en France, pour analyser la production d’une normativité dans le domaine affectif et sexuel, au prisme de vécus de femmes. En renseignant empiriquement les implications ambiguës de la recomposition de l’ordre sexuel dans les mouvements révolutionnaires formés dans le sillage de Mai, il s’agit de contribuer à l’étude des incidences de ce moment critique sur les rapports sociaux de sexe [Pagis, 2009 ; Achin et Naudier, 2008 ; Masclet, 2017]. À la suite de travaux qui montrent l’intérêt de « la pensée de l’intersection entre genre et sexualité » [Clair, 2013 : 107], explorer la régulation de la sexualité et le déplacement des normes, c’est comprendre comment le système binaire tient, comment la production différentielle des corps et des affects fonde l’assujettissement d’une classe de sexe.

7 Un corpus de plus de cent quarante entretiens auprès de femmes et d’hommes, constitué dans le cadre d’une thèse sur l’engagement dans des groupes de pratique abortive ou de santé féministe entre 1972 et 1984, m’a permis d’approcher les intimités et les rôles de genre en conjoncture critique, autrement dit des vécus qui ont été éclipsés par le lieu commun de la « révolution des mœurs ». Je me focalise ici sur une trentaine d’entretiens, auprès d’ex-militantes de groupes MLAC d’Aix, de Lille, de Lyon, de Paris (MLAC-Place des Fêtes) et d’un groupe Autosanté de Grenoble, afin d’examiner plus précisément comment des femmes ont été parties prenantes de la recomposition des normes sexuelles et la perçoivent aujourd’hui. Ces femmes aux propriétés sociales et conditions de vie hétérogènes ont, pour beaucoup, si ce n’est milité à l’extrême gauche, du moins côtoyé ses réseaux préalablement ou simultanément à l’engagement dans un MLAC ; bien que plutôt distantes du mouvement des femmes autonome et non mixte, une partie a rejoint l’optique féministe par la cause et la pratique de l’avortement. J’utilise aussi quelques archives que des enquêtées m’ont ouvertes, telles que des carnets personnels et des retranscriptions de conversations sur les dynamiques relationnelles dans une communauté. Le croisement des méthodes a enrichi l’interprétation du matériau, en aidant à identifier des décalages entre les perceptions ancrées dans le présent et celles contemporaines des faits. J’ai ainsi pu observer que la politisation des expériences amoureuses dans les sources écrites est rarement assortie des schèmes de perception des antagonismes de genre qui émaillent les entretiens rétrospectifs.

Analyser du point de vue des femmes

Ma réflexion se consacre à ce qui s’est révélé être un point commun à des récits subjectifs sur les années 68 : le regard anxieux posé sur les codes sexuels de leur milieu militant. En effet, une forte proportion de femmes, aux biographies affectives disparates, a dressé un bilan très critique des pratiques expérimentales de cette séquence. Sur la base des souvenirs d’angoisses et des blessures, encore sensibles parfois, qu’elle leur a laissés, les enquêtées pointent les leurres de la « libération sexuelle ».
Malgré la relative constance de ces observations rétrospectives, leur intellectualisation à l’aune des inégalités entre femmes et hommes n’a pas opéré de manière franche à travers le corpus et le temps. Pour preuve, plusieurs enquêtées racontent les non-dits, sur le moment, ainsi que l’absence de prise de conscience d’intérêts communs qui aurait permis de penser collectivement leur domination. Affleure pourtant dans ces entretiens l’identification ex-post d’une condition partagée.
Un constat qui appelle quelques remarques méthodologiques. D’abord, pour que ces femmes, nées entre 1927 et 1956, soient prêtes à verbaliser leurs expériences, c’est que la démarche d’enquête inspirait confiance. J’arrivais le plus souvent « recommandée » par une amie et/ou ex-camarade de lutte. Mon statut de femme et mon âge, proche du leur pendant la période charnière abordée en entretien, ont considérablement compté dans la capacité qu’on me prêtait de comprendre leur point de vue. Outre l’objet même du militantisme enquêté, je veillais à interroger ses ressorts intimes et les parcours amoureux. La longue durée des rencontres ainsi que mon engagement sensible dans les échanges (démonstrations d’empathie, voire de solidarité, réciprocité de l’information) expliquent aussi la connivence, la spontanéité avec laquelle a pu s’installer le dialogue, qui a parfois fait sourdre des épisodes douloureux.
Deux dimensions ont ensuite favorisé la part d’introspection ainsi que la réflexivité critique des enquêtées. D’une part, il me semble que la lucidité qu’elles ont été soucieuses de démontrer dans la confrontation des réalités et des idéaux traduit les effets socialisateurs du climat idéologique des années 1970, tout particulièrement des visées féministes d’appropriation de son corps [Zancarini-Fournel, 2004]. D’autre part, ces récits sont teintés par la suite des trajectoires amoureuses. Différents indices laissent penser que les carrières sexuelles des femmes et des hommes et les conditions différenciées de leur poursuite avec l’âge (que signale le plus fort taux de célibat des femmes vieillissantes) [Bozon, (2002) 2009 : 56], ont façonné leur inclination à dénoncer les « profits » tirés par les hommes.
Les entretiens menés avec les hommes contrastaient fortement. Peu enclins à décrire leur vie privée, ils tendaient à se rétracter face à mes questions outrepassant leur personnage public. Sur leur vécu de la maîtrise de la fécondité et de la sexualité, ils évitaient souvent de parler en leur nom – l’usage du « on » aidait à fournir une réponse pudique –, proposant plutôt un discours à valeur générale, avec peu d’affects. La répugnance des hommes à livrer des traits personnels détermine donc en partie le choix de concentrer l’analyse sur les paroles des minoritaires.

8 Après avoir présenté la reconfiguration des valeurs ainsi que ses inspirations principales en l’incarnant à travers l’expérience des enquêtées, la seconde partie de l’article cherchera à prendre du recul avec le discours sur la libération du corps, pour aborder les ressorts conservateurs de cette politique sexuelle et ainsi interroger le renforcement des normes androcentrées de sexualité.

La rénovation des cadres des relations sexo-affectives

Quand « tout était permis »

9 Pour saisir dans quelle mesure la séquence post-68 engage un changement dans les conditions d’exercice de la sexualité féminine, il faut se demander avec quelles normes il y a rupture. La grande majorité des enquêtées témoigne d’une éducation sexuelle tout bonnement absente de la sphère familiale de leur enfance et adolescence : « c’était un corps pour être habillée, un corps fonctionnel », témoigne Laurence, qui a grandi dans un milieu populaire de la banlieue parisienne dans les années 1950-1960. À constater la récurrence des souvenirs d’étonnement mêlé de peur devant les premières règles, pour des femmes issues de diverses classes sociales, il est permis de penser que les « phénomènes anciens d’ignorance du corps persistent » chez celles nées après-guerre [Rebreyend, 2008 : 152 ; Knibiehler, 1996]. Par exemple, Isabelle, confiée à sa naissance en 1942 à une nourrice et à sa fille qui deviennent sa famille d’adoption, considère avoir été « sensibilisée de façon un peu sauvage et empirique » aux questions sexuelles à l’internat de ses années de collège. Même les cas de socialisation familiale moins pudique butent sur les pratiques sexuelles et la maîtrise de la procréation. À ce silence s’ajoute la surveillance parentale des conduites qui pèse spécifiquement sur les filles, afin de « les mettre sous cloche », comme le résume Huguette. Avec d’autres instances de contrôle social (école, religion), la famille détermine le cantonnement des femmes à une sexualité conjugale et à un destin maternel.

10 Pour ces femmes, les années 1960-1970 représentent la sortie de plusieurs carcans, y compris la culpabilité associée à la sexualité – même si, comme le rappelle Judith, « on n’arrive pas à s’en débarrasser complètement ». Le sentiment du « tout permis » renvoie à plusieurs dynamiques : la dissociation croissante entre mariage et premières expériences sexuelles se double d’une baisse de la nuptialité, d’où la probabilité plus grande d’une sexualité pré-matrimoniale, voire préconjugale pour les femmes [Bozon, 2005 : 108]. Le sentiment d’accéder à une liberté inédite vaut également pour des femmes mariées, dont ce nombre non négligeable d’enquêtées qui ont vu dans le mariage une « solution » pour gagner une autonomie personnelle, « une façon de [s’]émanciper » (Annick, qui se marie à 18 ans), une « liberté » (Irène, 20 ans), pour « quitter Papa » (Jacqueline, 21 ans), « foutre le camp » de sa famille (Viviane, 21 ans). L’un des outils qui leur procure la capacité d’assumer la volonté du plaisir hors de la finalité reproductive est la pilule contraceptive. Médecin née en 1927, Juliette n’accède à celle-ci qu’à la fin des années 1960 :

11

Comme j’avais fait toute ma sexualité en-dehors de cette contraception, j’veux dire ça a été… Mais ça y est, j’avais fini, j’étais mariée, mon dernier enfant était né quand c’est apparu comme vraiment facile d’accès. Pour mon histoire à moi, c’était un peu tard quoi. Mais en même temps, j’peux dire qu’à partir du moment où j’ai pris la pilule j’ai enfin connu le plaisir [elle tape de la main sur la table]. Non parce que l’idée permanente que quand on fait l’amour, on risque d’être enceinte […] Le jour où on prend la pilule, et où y’a plus ça, c’est l’ivresse [ton insistant]. Et c’est : pouvoir aller jusqu’au bout du plaisir. Ce que pratiquement je n’avais pas connu. Alors que j’adorais faire l’amour. Je croyais que j’savais... Et là, je savais pas qu’on pouvait aller plus loin que là où j’étais allée. Eh oui. 40 ans, quelques avortements, trois enfants.

12 Marthe parle, de même, de « liberté qui tombait d’un coup sur les femmes ». Ces propos mettent en évidence l’ouverture des pensables que signifie une souveraineté accrue sur sa vie sexuelle.

13 Ce changement des conditions d’exercice des rapports charnels prend une autre dimension avec le renouveau des débats sur le sujet dans la jeunesse étudiante [Plaquevent, dans ce numéro]. Dans l’avant-68, la contestation des règlements intérieurs imposant la non-mixité des chambres des cités universitaires, d’Antony à Lyon, et la conférence de Boris Fraenkel à Nanterre en 1967 sur la pensée reichienne retentissent spectaculairement [Bantigny, 2013 : 25]. Diverses références sont redécouvertes et traduites autour de 1968, dont Charles Fourier et son Nouveau monde amoureux, Herbert Marcuse, ou encore Wilhelm Reich et sa « praxis sexuelle révolutionnaire » [2] [Bantigny, 2013]. Avec les textes de l’Internationale situationniste, de Raoul Vaneigem et plus tard de la revue Sexpol (1975-1980), transformer les mentalités d’une société passe aussi par l’insoumission à des interdits sociaux sur les identités sexuelles et l’institution conjugale ; avec l’engouement pour cette production théorique, « l’idée selon laquelle la répression sexuelle sert l’ordre capitaliste devient courante » [Chaperon, 2017 : 903].

14 Dans l’espace des gauchismes, la volonté de s’extirper du joug des conceptions bourgeoises se traduit par une déstabilisation tant des normes de l’échange amoureux que des conventions matrimoniales. D’où un idéal de liberté, que les enquêté·e·s ont l’habitude de résumer par des références culturelles, comme « des modes de vie un peu à la Jules et Jim » (Laurence), ou encore une icône du renouveau du partenariat sexo-affectif : « on était un peu pétris de Sartre et Beauvoir, de tout ça », affirme Isabelle. En vue de l’avènement de nouvelles amours, s’inventent alors des pratiques favorisant la circulation des désirs et le brouillage des contours de la conjugalité. Ginette, née en 1936 et ayant milité du côté des mao-spontex, en fait l’expérience dans un MLAC parisien, où le médecin avec qui elle collabore au cours des avortements devient son amant ; « mais pas pour se marier et avoir des enfants quoi », précise-t-elle aussitôt, avant d’appuyer que « de nouveaux rapports entre les hommes et les femmes étaient en train de se mettre en place ». Les codes diffus en matière de relations affectives dans la sphère militante représentent pour Ginette une ouverture des possibles, au-delà des modalités conjugales. C’est aussi le cas pour un certain nombre de membres du MLAC-Place des Fêtes, qui parlent souvent des « chassés croisés » amoureux dans leur milieu d’intercon­nais­sance et de la grande fluidité des relations intimes.

15 Plusieurs principes animent la dénaturalisation de l’ordre conjugal, en premier lieu la contestation de la monogamie, au profit d’une sexualité diversifiée et délestée du sentiment de possessivité. Les valeurs de liberté et de jouissance qui innervent l’univers symbolique de l’extrême gauche inspirent ainsi à nombre de couples la pratique de l’« amour libre ». Elle donne lieu à une pluralité de définitions du « couple ouvert » et de modalités expérimentales (« relation privilégiée » associée à une non exclusivité sexuelle pour Olga, partenaires interchangeables entre couples pour Fannette, échangisme pour Serge, « ménage à trois » pour Elsa, etc.), formant dès lors une sorte de culture conjugale alternative. Aussi fragiles et temporaires soient ces arrangements, ils redessinent les caractéristiques du compagnonnage et des choix amoureux.

16

La philosophie de vie de l’après-68, qui a tenté de casser la famille, de laisser de grandes libertés dans les couples, c’est-à-dire homme et femme pouvant vivre chacun les relations qu’ils avaient envie de vivre […] Cette façon de subvertir les rôles dans un couple […], de changer les rapports entre enfants et adultes, de changer les rapports entre adultes entre eux, entre femmes, entre hommes, entre hommes et femmes, moi je me sentais assez concernée par ça.

17 Comme l’explique ici Laurence (MLAC d’Aix), ce rejet des normes conjugales prend sens dans un processus plus vaste de refonte de la cellule familiale. En fonction des contextes locaux, les choix se radicalisent, en particulier dans les projets communautaires qui contribuent à ériger l’amour libre en modèle, à l’instar de « La Commune ». Installé à la lisière d’Aix-en-Provence, ce collectif de vie a été formé en 1970 – à l’initiative d’ex-membres du PSU né·e·s dans la première moitié des années 1940, aspirant à abolir la division sexuée du travail domestique et la séparation entre vies familiale, amicale et militante – puis rejoint, notamment via le MLAC qu’il a fondé en 1973, par des personnes plus ou moins politisées. Les couples (mariés) fondateurs ont assez rapidement « volé en éclats » (François) sous l’effet du refus de reproduire le schéma familial fermé : « on n’avait pas choisi la facilité en partageant absolument tout, de A à Z : les enfants, le sexe, la cuisine, la lessive, tout tout tout sans exception », commente François à propos des tentatives de mettre en cohérence idéaux et style de vie.

18 Il ne suffit pas de se mettre d’accord sur la signification de cette sexualité plurielle pour qu’elle advienne spontanément. « Les Communards » se donnent des règles, non seulement pour intervenir sur les comportements par des modes d’apprentissage d’autres sociabilités amoureuses, mais aussi parce qu’ils-elles sont confronté·e·s à la nécessité de trouver comment réguler la rencontre sexuelle. Du fait des tensions qu’induisent les premiers temps de la polygamie, le noyau communautaire se décide, par exemple, à établir la distribution spatiale des rapports charnels. En l’absence de chambre attitrée, le soir chaque adulte précise la pièce choisie pour passer la nuit et donc s’inscrit potentiellement dans le lit d’un·e autre. Léonore raconte ce rituel :

19

Donc une feuille. Le premier qui va se coucher marque « chambre bleue, Léonore ». Et en fin de compte, quelqu’un pouvait venir dormir avec nous. Alors, ou c’était convenu, ou c’était implicite… ou pas. […] On n’avait pas de chambre. Pas de chambre à soi. […] Si moi j’aimais bien la chambre bleue et que j’arrivais elle était prise, ben fallait bien que je dorme ailleurs. […] Y’a sans doute des relations amoureuses qui se sont pas forcément inscrites : si on est le dernier couché, on n’est pas obligé de s’inscrire…

20 Cette liste vise, d’une part, à s’assurer que la règle de l’absence de relations de couple est appliquée et, d’autre part, à organiser une rotation des partenaires et ainsi conjurer les jalousies par un arbitraire logistique. L’effectivité des engagements implique donc le recours à de tels dispositifs, pour favoriser les interactions. Si leur caractère codifié les fait apparaître comme un cas limite, ils dévoilent plus généralement que, loin d’être une simple levée généralisée des normes et des contraintes, la quête d’une liberté est encadrée dans les groupes d’interconnaissance par une série de micromécanismes, incitateurs ou correcteurs, aidant à faire coïncider les désirs et à reconfigurer les relations. Affleurent ici les traits d’une discipline de l’intimité dans une conjoncture critique : tout en subvertissant les normes de genre et de sexualité, elle remodèle et organise les rencontres, corrige les comportements individuels.

Sous l’influence du mouvement des femmes

21 La contestation de l’ordre moral n’atteint pas tous ses aspects, loin de là. Quand les réseaux de sociabilité étudiés refusent certains dogmes (jalousie, exclusivité sexuelle, etc.), ils ne cherchent pas à rompre avec d’autres, qui limitent pourtant le potentiel polymorphe de la sexualité. En témoigne le maintien d’une préférence pour l’hétérosexualité, comme le révèle Léonore à propos de la Commune d’Aix, où « il y avait sûrement un p’tit couvercle de plus sur les relations de même sexe ». Couvercle plus étanche pour les hommes :

22

Ça c’était une règle : pas de relation de couple. Mais on pouvait dormir tout seul ou avec quelqu’un. Ou dormir deux filles, ou dormir deux gars, comme on voulait. Deux garçons, j’ai pas vu. Mais deux filles, oui.

23 Si l’invention de nouveaux codes amoureux n’ébranle guère ici le solide hétérocentrisme de la socialisation masculine, elle conduit des femmes à vivre des relations homosexuelles. Il s’avère que la Commune leur est propice car elle se distingue par une majorité d’habitantes. Léonore et d’autres y expérimentent donc une sexualité lesbienne, sans que cela modifie leur identité publique en termes d’orientation amoureuse. Mais la remise en cause de la norme hétérosexuelle reste timide dans la mesure où « la construction d’une identité lesbienne demeure limitée » [Masclet, Porée et Bargel, 2018 : 882], comme dans d’autres réseaux militants gravitant autour des MLAC.

24 Néanmoins, dans le même temps, la « diffusion par capillarité des idées féministes » [Achin et Naudier, 2010 : 79] ouvre à ces femmes des perspectives considérables, à commencer par une pensée sur la libre disposition de leur corps. Au même titre que les Nord-Américaines, les féministes en France accusent les psychologues et sexologues de reconduire les rôles sexués et sexuels établis via leurs discours sur la supposée frigidité féminine ou leur focalisation sur l’orgasme vaginal [Chaperon, 2004 : 342]. Dans cette optique, « le sexe des femmes s’affiche comme antidote à son usage social » [Rochefort, 2008 : 540] : la parution en 1971 de l’insolent « pouvoir du con » [Le Torchon brûle], accompagné d’une photographie de vulve, signifie pour les féministes énoncer un discours sur leur propre sexualité. C’est dans ce contexte de légitimation des sources du plaisir qu’évoluent les représentations des enquêtées, qu’elles soient passées par un groupe femmes ou, pour la majorité d’entre elles, s’imprègnent tacitement des idées féministes.

25 Ces idées entrent d’évidence en résonance avec un engagement qui a pour enjeu et objet les corps. Plusieurs ex-militantes de MLAC rendent compte de la découverte de la nudité entre femmes : à la gêne de se dénuder devant des inconnues succède la joie de s’observer, mais aussi de s’aider mutuellement à s’observer soi-même – notamment grâce au procédé de l’auto-examen au cours du parcours abortif [Ruault, 2016 : 41]. Les enquêtées ont souvent valorisé cette curiosité respectueuse pour l’anatomie d’une autre, son caractère « magique » dans le collectif (Mireille) ; l’apprentissage d’un tel rapport au corps suppose alors un dépassement des rôles assignés aux sexes dans une société hétéronormée. Cette approche collective peut se poursuivre jusque dans la maîtrise des conséquences « sanitaires » : conscientes qu’« on attrapait tout puisque tout le monde couchait un p’tit peu avec tout le monde », relate Josiane, elle et deux autres militantes du MLAC-Place des Fêtes, ayant la même infection génitale à la fin des années 1970, n’hésitent pas à l’assumer jusqu’à consulter ensemble au centre de dépistage des maladies vénériennes, en exigeant un traitement compréhensif.

26 Cette appréhension des anatomies est portée par un contexte plus large de circulation de la parole sur la sexualité, que favorisent les espaces d’entre-soi féminin de l’avortement militant ainsi que les moments d’échange sur la contraception. Guilaine se souvient ainsi des nombreuses « discussions sur la simulation » que militantes et avortantes ont pu partager :

27

Sur le fait que, bon, on faisait croire à l’autre partenaire que tout allait très bien. Même s’il n’y avait rien qui se passait [elle rit]. Je me rappelle de Laurence qui dit « mais je croyais que j’étais frigide. Je ressentais rien !… ». Il y avait les filles qui disaient des choses comme ça : « je savais pas ce que c’était le plaisir, mon corps il fonctionnait sans. Ça se faisait parce que voilà, il fallait le faire. Mécaniquement ». […] De faire semblant, soit pour que ça se passe le plus vite possible et qu’on nous foute la paix, soit parce que des filles n’avaient jamais échangé sur comment faire… Ça au MLAC c’étaient des questions qui revenaient sur le tapis.

28 Un certain nombre d’enquêtées ont insisté sur l’effet émancipateur des mises en commun des vécus sur la contraception, les jouissances et les insatisfactions. Brigitte décrit bien cette « révolution subjective » [Achin et Naudier, 2008 : 385] à partir des moments de non mixité du MLAC de Lille :

29

C’est là, pour moi en tout cas, qu’a commencé à s’élaborer quelque chose d’une conscience féministe. Parce que c’est le premier endroit où… j’ai entendu des femmes qui parlaient librement de leurs corps, de leurs pratiques sexuelles comme quelque chose de complètement normal. Et non plus sur le versant ou de la maladie, ou de la répression que j’avais connues… C’était nouveau pour nous toutes. […] Parce qu’on avait été élevées les unes et les autres dans l’idée que les autres femmes étaient des rivales. Et moi je découvrais que ce n’étaient pas des rivales, mais des sœurs. Qu’elles vivaient la même chose que moi… et qu’on pouvait parler de tout ça ensemble. On pouvait parler aussi du plaisir ! par exemple. Moi je n’avais jamais parlé de ça avec personne. Et tout d’un coup, il y avait des femmes qui parlaient, oui, de leurs orgasmes, ou de l’absence d’orgasme, ou de la manière dont elles faisaient l’amour avec leur copain, c’était un espèce de truc très, très, très libératoire. Et joyeux en même temps, parce qu’on rigolait beaucoup [elle rit] sur les expériences des unes et des autres.

30 On voit ici combien l’homosociabilité, alliée à l’existence diffuse d’une reconnaissance de leur plaisir, active l’appropriation par les femmes de la sexualité. Plus encore, à travers ces moments, elles apprennent à conférer de la valeur aux compagnonnages féminins, faisant de la sorte sauter un verrou essentiel du patriarcat.

31 La manière dont les revendications féministes sur la politisation du privé viennent soutenir les aspirations des enquêtées se vérifie, également, dans l’attitude qu’elles adoptent avec leurs amants et compagnons. On en trouve quelques indices dans les sources écrites : en novembre 1981, consignant dans son carnet personnel sa détermination à ne plus prendre la pilule, une membre du groupe Autosanté grenoblois, Cécile, note qu’elle « [devient] plus exigeante dans [ses] rapports avec les mecs » et leur niveau de responsabilité dans la sexualité et ses conséquences. Elles sont ainsi plusieurs à évoquer un recul du seuil de tolérance à l’égard des partenaires. Marie (MLAC-Place des Fêtes) raconte que, sous l’influence des changements de normes de genre, elle est devenue « à l’affût » des comportements machistes et a fait en sorte de ne rester qu’avec « des hommes investis, soucieux des femmes ». De surcroît, il y a au cours de sa vie « très peu de moments où [elle a] partagé le même toit » qu’eux. Expérimenter des modalités de vie commune qui dépassent le foyer conjugal, opter pour la décohabitation figurent parmi les options que présentent les enquêtées dans l’optique d’atteindre des relations plus égalitaires avec des compagnons [Masclet, 2017 : 530-536]. L’impact de ce remaniement de la vie affective est même observable à l’échelle des trajectoires : il retarde la mise en couple de ces femmes, quand elles ne s’en détournent pas durablement.

32 Il faut aussi considérer les incidences de l’acclimatation d’idées féministes sur les hommes, du moins ceux réceptifs aux critiques. Dans la Commune à majorité féminine où elle a vécu cinq ans durant, Louise estime, par exemple, qu’ils « ont quand même fait un énorme travail sur eux […] et beaucoup évolué par rapport aux relations avec les femmes ». Du côté lillois, les perceptions de Serge sur les rapports sexuels se modifient au contact des femmes qui militent ou se présentent au MLAC :

33

On essayait d’aborder la sexualité. Que c’était pas automatiquement le machin dans le machin. […] Enfin il y a d’autres moyens, qui n’aboutissent pas à une grossesse et qui procurent un plaisir aussi grand. Ah, on était désinhibé, on pouvait parler. Parce qu’il y a une différence fondamentale […] C’est que les femmes peuvent avoir du plaisir sans être fécondes. Tandis que les hommes ils ont toujours du plaisir en étant fécondants. […] Les femmes du MLAC et du MLF et tout ça, elles ont… avec le rapport Hite [3], elles ont refait mon éducation. C’est-à-dire que je ne suis plus ce que j’étais quand j’étais adolescent, et dont je ne suis pas très fier.

34 Dans cette « éducation » à de nouvelles conduites légitimes dans la sexualité, compte le regroupement de certains hommes pour le développement de la contraception masculine [Desjeux, 2010], au premier rang desquels figurent des conjoints de militantes du MLAC-Place des Fêtes.

35 Par ailleurs, la quête d’une autonomie des femmes sur les questions sexuelles s’étend jusqu’à la procréation : plusieurs parcours montrent le projet de concevoir hors de la reconnaissance de paternité. C’est ainsi que Jeanine, voulant un enfant mais « pas forcément le faire avec quelqu’un », s’est « débrouillée pour ne pas savoir qui était le géniteur ». Cette option du géniteur inconnu se retrouve à la Commune aixoise, où le souci d’instaurer une parentalité élargie amène à questionner « le problème de la paternité » dans ses fondements : « Il me paraît assez capital de la remettre en cause. Qu’il n’y ait pas de père, parce que c’est le summum de la propriété », répond Georges dans une interview [4]. Il s’agit donc de repenser le fonctionnement du foyer au prisme des rapports de sexe :

36

Les pères ne sont plus des pères et ne s’inquiètent plus de savoir lesquels des enfants qui vivent là leur appartiennent […] C’est un renversement, parfois difficile et douloureux tant est grande l’habitude des pères de se reconnaître, se refaire dans leurs enfants, que leur ont donné[s] leurs femmes.
C’est un bien plus grand encore parce qu’il devient également impossible de dire, celle-ci parmi les femmes est ma femme, celle qui n’appartient qu’à moi. Faut-il dire que dans l’éducation des garçons rien ne prépare à cela [5].

37 Les orientations prises par la Commune tentent ainsi d’englober un grand nombre d’implications de la sexualité dans une réflexion sur l’égalité des sexes.

38 La conjonction de ces différents éléments – contraception moderne, non exclusivité affective, diversification des cadres d’exercice de la sexualité, reconnaissance des femmes en tant que sujets désirants, expériences lesbiennes, procréation sans paternité, etc. – participent à l’intégration de « la valeur de réciprocité dans l’activité sexuelle » [Bozon, 2005 : 108] et, par là même, au renouvellement du répertoire amoureux.

39 Toutefois, comme chaque fois qu’il est question de « liberté sexuelle », le risque est grand de minorer les normes dans lesquelles le ré-ordonnancement des sexualités est enserré, en particulier les rapports de pouvoir entre les sexes. Nous allons voir que les logiques de genre sont au cœur de cette promotion du pluralisme sexuel. Il est même légitime de se demander dans quelle mesure la redéfinition du cadre hétérosexuel se fonde sur les inégalités tout en les occultant.

« C’était surtout la libération des mecs » [6]

40 Dans différents pays d’Europe occidentale, la « libération sexuelle » vantée par les cultures révolutionnaires, une fois soumise à une lecture féministe, est apparue comme une « vaste duperie au service de la domination masculine » [Dardel, 2007 : 48]. Dès lors qu’elles inscrivent la réflexion sur la sexualité dans le système des inégalités, ces interprétations racontent une histoire plus nuancée des subversions : leurs appropriations sont éminemment genrées, sans pour autant que des travaux empiriques aient jusqu’ici étayé ce constat et élargi les populations enquêtées. Les MLAC, à la croisée des espaces militants du gauchisme et du féminisme des années 1970, sont des lieux où s’observent le conditionnement de la sexualité des femmes et la reconduction des rôles établis.

41 Dans le témoignage d’une militante maoïste d’un MLAC parisien, l’érotisation des rapports de classe dévoile l’usage politique qui est fait de la libération sexuelle par des groupes gauchistes, soucieux de déréaliser la structure des inégalités économiques. En rabattant l’ordre sexuel sur les normes bourgeoises et les pouvoirs institués, les arguments produits évacuent une réflexion sur le sexisme de la structure des ressentis et des comportements sexuels.

42

Un journaliste (de la Cause du Peuple ? de l’Agence de presse Libération ?) suivait sur place l’expérience des LIP et la direction mao lui a demandé s’il avait couché avec une des ouvrières. Le pauvre garçon en est tombé de sa chaise. Apparemment être au « sein du peuple comme un poisson dans l’eau » signifiait que l’on devait coucher avec les ouvrières en lutte, sinon on restait un journaliste petit bourgeois. [7]

43 La majorité des enquêtées dont le militantisme dans les gauches alternatives précède celui au MLAC déplorent la répartition sexuée du travail militant, où les femmes sont cantonnées à un rôle auxiliaire : serveuse de café, « repos du guerrier », distributrice de tracts, secrétaire, intendante, etc., en vertu de qualités naturalisées de pourvoyeuses de travaux domestiques et de soins. Cette dénonciation perce dans les textes féministes [8]. Notamment, les services sexuels demandés aux femmes posent question : « Votre révolution sexuelle n’est pas la nôtre ! », déclarent des militantes du MLF dans Tout !, le journal de Vive la révolution[9]. Une approche de la sexualité détournée au masculin et centrée sur la consommation – sexualité « libérée de tout sentiment » [Picq, 2011 : 133], diversité et nombre de partenaires, fréquence des rapports, etc. – règnerait à l’extrême gauche [10], libérant « les hommes afin qu’ils puissent utiliser les femmes hors des contraintes bourgeoises » [Dworkin, (1983) 2012 : 95]. Les propos des enquêtées, qu’elles aient directement ou non partagé leurs vécus dans des groupes femmes, reflètent donc des thématiques discutées par les femmes organisées en mouvements autonomes. Aussi cette critique rejaillit-elle sur leur parcours (l’éclatement des couples) et a posteriori sur leurs perceptions.

Une liberté subie ?

44 Même si les discours fragmentaires des hommes ont impliqué de lire entre les lignes, ils confirment que l’évolution des normes sexuelles dans les années 68 est une question clivante entre les sexes. Leurs points de vue tirés des interstices des récits de vie montrent qu’ils entretiennent un rapport peu problématique, voire enchanté à cette histoire. Il n’est pas ici question que de décalages mémoriels. Du reste, parmi les rares hommes qui se sont exprimés sur la sexualité – tout en se gardant de parler de soi –, Alain et Henri (MLAC de Lille) ont déploré la standardisation actuelle des parcours amoureux « des jeunes », c’est-à-dire le retour à « des schémas traditionnels » (repli sur le couple, idéal de fidélité, etc.).

Figure 1 – Extraits de : « Vie et moeurs de la peuplade “Tuot” ou que vos os pourrissent sous la lune », Tout !, 30 juin 1971.

Figure 1 – Extraits de : « Vie et moeurs de la peuplade “Tuot” ou que vos os pourrissent sous la lune », Tout !, 30 juin 1971.

Figure 1 – Extraits de : « Vie et moeurs de la peuplade “Tuot” ou que vos os pourrissent sous la lune », Tout !, 30 juin 1971.

45 Les femmes rencontrées manifestent, aujourd’hui, un rapport très ambivalent aux préceptes de la révolution des mœurs. Dans les discours rétrospectifs, la plupart s’en méfient, beaucoup se sentent flouées. Une première justification de ce sentiment réside dans le souvenir de s’être conformées à des demandes du groupe des hommes.

46 D’après plusieurs enquêtées, les pratiques de « l’amour libre » sont essentiellement une émanation de désirs masculins. Alors orthophoniste et étudiante en psychologie, Yolande explique que, dans les années 1970, l’initiative était détenue par son mari : « il y a eu ce chassé-croisé. […] Alors moi j’étais pas tellement pour tout ça, mais bon mon mari lui… ». Laurence se rappelle aussi que nombre de femmes autour d’elle « n’en avaient pas envie ». Le constat du caractère non ou faiblement désiré de changements dans la relation est loin d’être rare parmi les femmes rencontrées : Evelyne (MLAC de Lille) tient à dire que l’option du couple libre « n’était pas de [s]on fait », tandis qu’Olga (Aix) précise pudiquement qu’elle « n’étai[t] pas toujours d’accord ». Des enquêté·e·s se remémorent les situations où l’absence de consentement des femmes est plus éclatante encore. Il en est ainsi de l’épouse d’un membre du MLAC lillois qui, selon Henri, « a morflé, la pauvre ! », avec un compagnon passant « pour un pervers sexuel » dans le milieu féministe car, complète Lucia, « il participait à des partouzes », l’y faisait prendre part et affichait « aimer la voir faire l’acte sexuel avec un autre ». Beaucoup d’enquêtées décrivent donc une sexualité subordonnée aux choix du partenaire.

47 Plus globalement, les récits de femmes sur des microcosmes révolutionnaires des années 68 dépeignent un climat prescriptif, renouvelant les concessions faites par les femmes aux envies des hommes. Alors qu’elle étudie à Nanterre, Aline observe :

48

Entre 67 et 69 on va dire, un mec que je ne citerai pas, est venu un jour à la bibliothèque demander aux filles une par une si elles prenaient la pilule. Et de quoi je me mêle ? La fille qui répondait « non » était vraiment taxée… Donc ce petit exemple, c’est pour dire comment les mecs étaient, c’est-à-dire « ouais, les filles elles n’ont qu’à prendre la pilule ! C’est des tordues si elles, voilà… De toute façon, elles ne sont pas révolutionnaires et elles vont juste servir le café », enfin je caricature, mais pas beaucoup.

49 L’anecdote montre comment agit un groupe de pairs contraignant : des hommes énoncent, via des discours de disqualification, les règles d’un bon rapport à la sexualité et, partant, se prononcent sur la valeur sociale des femmes ; étiquetées à travers la contraception, celles qui n’y ont pas recours sont jugées problématiques, classées comme prudes et moins/pas « copulables ».

50 La gamme d’exhortations et de sanctions existante participe d’une socialisation à l’obligation du coït [Tabet, 1998]. Maryvonne, « fille, petite-fille et sœur de maçon », compte parmi les rares non étudiantes et inorganisées du Mouvement du 22 Mars lyonnais ; elle qui n’a « pas lu toutes les références théoriques » bénéficie d’une formation politique informelle au contact d’ami·e·s et amant·e·s au rôle de « mentor ». Elle constate alors l’ordre sexuel régissant implicitement tout un pan de l’extrême gauche contre-culturelle locale :

51

Ce dont je me souviens c’est que dans nos petits milieux militants […], ce qui nous dérangeait énormément maintenant qu’il y avait l’accès à la pilule, c’est que les mecs avec qui on discutait, il n’y avait plus aucune raison de ne pas vouloir baiser, on était à leur disposition. Et ça dans l’histoire j’ai l’impression que c’est vraiment oublié, que d’un seul coup il n’y avait plus de raisons de leur dire non, qu’on n’était vraiment pas cool, qu’on ne voulait pas libérer nos désirs, des conneries comme ça.
- Vous sentiez...
- Ah ben c’était pas sentir, c’était vivre la pression à soulager ces messieurs.

52 D’après Maryvonne, des femmes se sont senties incitées, si ce n’est contraintes à l’acte hétérosexuel, et en partie dépossédées, en tant que groupe, de la diffusion des techniques contraceptives dans la période qui suit Mai 68 par des « camarades » vérifiant l’insouciance avec laquelle elles se donnaient. Dans cet extrait d’entretien, la contraception hormonale apparaît comme un outil de normalisation qui, du point de vue des hommes, rend les femmes plus « opérationnelles » sur le marché matrimonial/sexuel, en ce qu’il accroît leur disponibilité et donc leur aptitude à prodiguer du plaisir. Ce contrecoup pousse d’ailleurs Cécile, qui a 17 ans en 1968 et « n’arrive plus à avaler la pilule » à la fin des années 1970, à y voir un outil au service de la sexualité des hommes : « la pilule il faut reconnaître que c’est la libération de la femme. Mais moi je pense que c’était surtout la libération des hommes hein [elle rit]. Parce que t’es toujours dispo ».

53 Selon les espaces militants, la suprématie masculine sur l’entreprise de rénovation des habitudes sexuelles prend différentes formes. J’ai relevé trois caractéristiques principales de cet encadrement normatif : l’enjeu de l’appropriation des femmes, le primat des désirs des hommes, l’asymétrie genrée dans l’activité sexuelle « libre ».

54 D’abord, la mise en pratique de « l’amour libre » s’articule bien souvent avec les termes de la possession des femmes, ne faisant que renouveler les « règles de définition des partenaires légitimes » [Guionnet et Neveu, 2009 : 112]. Toujours à propos de son groupe d’interconnaissance lyonnais, Maryvonne s’exclame ainsi : « On leur appartenait, c’était très clair. C’était très très mal vu si on avait des relations en-dehors de la bande. ». S’il est peu admis que des femmes entament une vie amoureuse extérieure à « ce petit milieu militant », c’est que, derrière les bénéfices proprement sexuels, des hommes convoitent d’autres types de biens, comme la construction du leadership dans les jeux de rivalité avec d’autres identités militantes du sous-champ de l’extrême gauche. De même, à la Commune d’Aix, des enquêtées identifient le système de rotation des lits comme fondé sur des jalousies et des inimitiés larvées entre hommes. Pour Jacqueline :

55

Pourquoi ça s’est mis en place comme ça ? Parce que ça j’en ai le souvenir très précis, comment dire… ? Les deux mâles du groupe, ils se seraient tapés sur la gueule pour savoir qui coucherait avec Odile le soir ! Donc c’était pour éviter ça.

56 Leur attitude conquérante, l’orgueil projeté sur cette relation et la gratification identitaire qu’ils en retirent dévoilent les codes genrés qui sont en jeu : démonstration d’un pouvoir social, la sociabilité sexuelle participe de l’affirmation des masculinités. Le sentiment de propriété est aussi valable au niveau individuel ; à la suite des relations extraconjugales de son époux, le passage à l’acte de Jacqueline pour « rétablir l’asymétrie » a provoqué un « chantage affectif » poussé. Ce double standard de l’autonomie dans le couple souligne encore une logique concurrentielle à l’endroit des corps des femmes.

57 Ensuite, le paysage dit révolutionnaire des sexualités met à l’honneur des désirs d’hommes ayant en retour des effets normatifs sur les aspirations des femmes. Judith, qui est alors étudiante en psychologie, relie Mai 68 à l’idéal de liberté sexuelle, se traduisant pour les femmes par « une revendication de pouvoir avoir une sexualité aussi diverse que les hommes ». Cependant, dans son histoire personnelle et, semble-t-il, celle de ses camarades lilloises, la revendication de l’accès en propre des femmes au plaisir « est venue des années après ». En fait, viser une symétrie en s’appropriant les attributs de l’activité des hommes revient à faire de ce groupe le référent de l’épanouissement sexuel. L’infériorisation du désir du groupe des femmes se vérifie du reste auprès de diverses enquêtées nées à la fin des années 1940, qui concluent à un contexte leur apportant une moindre satisfaction sexuelle. Elise, étudiante en sociologie à Vincennes, militant au Secours rouge puis « autour de la Gauche prolétarienne », a ainsi le souvenir d’un plaisir limité :

58

On avait des relations avec des garçons assez fréquentes, c’était quand même une période où on expérimentait beaucoup les choses… De toute façon c’était pas très agréable, et voilà, y’avait pas de plaisir.

59 De même, parallèlement à ses études de psychologie, l’engagement d’Elsa avec les maoïstes-spontanéistes et dans l’animation théâtrale populaire l’exposait à des comportements « très pénibles et machistes », dans « la drague » comme la sexualité. Ayant vécu « des histoires un peu malheureuses » avec des « militants parfois odieux », elle porte un regard sévère sur la concupiscence charnelle de ceux qui « saut[ent] dessus un peu vite » ; l’absence de retenue et de considération envers la divergence des rythmes sexuels est à l’origine, pour elle, de « rapports pas très agréables ». « L’espèce de délicatesse [qu’elle] demandait, pour ne pas passer tout de suite à… » un rapport pénétrant suggère l’approche étriquée du répertoire sexuel à laquelle elle s’est heurtée dans ces milieux, où la primauté du plaisir des hommes demeurait.

60 Enfin, les enquêtées n’ont eu de cesse d’aborder les disparités entre femmes et hommes dans l’application des préceptes révolutionnaires. Les écarts s’objectivent par le nombre de partenaires :

61

De toute façon, la liberté de relation des femmes qu’on voulait, c’est surtout les hommes qui en ont profité. Je lui dis à Louise, aujourd’hui : « parce que, les maîtresses de Joseph, on en a vues beaucoup, mais des amants de toi, on n’en a pas vus beaucoup à mon avis ». Elle s’est marrée […] et m’a dit « ouais, t’as raison ».

62 À présent qu’elles peuvent en parler plus librement, Simone ose suggérer à Louise qu’au regard de la réalité asymétrique de l’activité sexuelle des membres du couple, c’est presque par procuration qu’elle a performé la contre-norme. En outre, dans certains MLAC, la perception par les militantes de l’attitude séductrice des hommes vis-à-vis des avortantes a précipité le passage à la non mixité. Analysant a posteriori la structure des rapports hétérosexuels dans l’espace des MLAC et ce qu’elle avait d’attractif pour les hommes, les enquêtées expliquent qu’elle préservait leurs privilèges de séduction, un « capital » dont on sait la centralité dans la socialisation masculine [Gourarier, 2016]. La persistance d’une différence dans le vécu de cette nouvelle morale amoureuse conduit aujourd’hui Evelyne à naturaliser les inégalités de sexe : « ils sont plus polygames ». Si elle s’en remet ici à un « stock de croyances » différentialistes sur les forts besoins des hommes [Clair, 2007] auxquels les femmes auraient à se résigner, c’est notamment au contact de « l’organisation asymétrique de la sexualité » dans les milieux révolutionnaires qu’elle a incorporé cette « prétendue essence psychologique » du désir masculin et de l’affectivité féminine [Bozon, 2005 : 106].

63 La « révolution sexuelle » telle qu’elle s’est déroulée dans leur parcours laisse donc aux enquêtées le sentiment, au mieux amusé d’une inégalité dissimulée, au pire d’avoir été instrumentalisées dans une pratique organisée autour du plaisir des hommes. Pour Olga, la norme de non exclusivité sexuelle équivaut à l’univers de l’adultère sous des formes acceptables : « un gros prétexte à aller à droite à gauche, surtout pour les garçons, soyons honnête ! ». Le modèle promu leur semble entretenir l’hégémonie des hommes sur le marché amoureux, sexuel (et par extension matrimonial) en même temps que, en postulant la neutralité des critères de libération des désirs, il masque cette domination et confère à leurs infidélités une légitimité politique.

64 Les contraintes et contrôles recensés éclairent l’économie sexuelle des réseaux militants des années 1970, qui a eu tendance à étouffer la réflexion sur les inégalités structurant les relations affectives. Au point que des minoritaires témoignent ultérieurement de l’existence d’une sorte de régime de sexe forcé (« la pression à soulager » les hommes dont parle Maryvonne). La théoricienne féministe étatsunienne Andrea Dworkin avance que des femmes l’ont accepté car, « plus que toute autre pensée ou pratique », ce régime de sexe forcé les différenciait des générations féminines les précédant et que, dans « un rêve de transcendance sexuelle », il nourrissait « une érotisation de l’égalité frères-sœurs plutôt que la domination masculine traditionnelle » [2012 : 94-95]. Cette conclusion n’est pas suffisante. Les discours rétrospectifs des femmes sur leurs affects et leurs attentes offrent une connaissance empirique qui affine l’appréhension des conditions de possibilité des nouveaux arrangements sexuels et d’adaptation à leurs aspects conservateurs.

Autocontrainte et mise à l’épreuve des affects

65 La plupart des femmes interrogées ont vécu ces échanges sexo-affectifs de façon profondément ambivalente, c’est-à-dire à la fois comme un choix, un horizon atteignable et un renoncement à leurs conceptions de l’engagement amoureux. En questionnant les effets de cet exercice « révolutionnaire » de la sexualité sur la subjectivation des femmes, il est possible de saisir comment elles s’adaptent aux prescriptions largement façonnées par et pour des hommes.

66 La coupure entre théorie et action est un point de fixation du regard rétrospectif. Une fraction significative d’enquêtées a mis l’accent sur l’intransigeance avec laquelle a été appliqué le modèle de non exclusivité amoureuse : pour Aline (née en 1947, travaillant dans un laboratoire de sociologie), « c’était pas discuté, c’était accepté ». Pour ce qui est de la Commune d’Aix, elles pointent généralement la difficulté d’un passage abrupt de l’idéal à la pratique, sans transition. Jacqueline estime que

67

Beauvoir/Sartre, c’était quand même un mythe d’amour pivotal, libre et patin-couffin, pfff ! qui a été normatif bêtement, pour beaucoup de personnes pas forcément outillées pour ce genre d’aventure. [...] Balancer par-dessus bord les problématiques de sexualité, avec cette radicalité, sans la parler… ! On n’en a jamais parlé, en tout cas pas avec moi… C’était installé en situation, mais pourquoi et comment ?

68 Alors qu’entrer en couple libre n’est pas qu’une affaire de volonté, dans divers espaces cela se traduit par l’adhésion tacite à l’impératif de prendre part à la redéfinition des identités sexuelles. À la différence de Jacqueline, Guilaine a le souvenir qu’« à l’intérieur de la Commune, on a beaucoup discuté de la jalousie, des rapports de domination, mais de façon très intellectuelle à mon avis ». Les deux femmes s’accordent en tout cas sur le faible souci des trajectoires antérieures, qui s’est avéré problématique :

69

Parce que je pense qu’on a voulu aller trop vite, trop loin. Sans vraiment prendre en compte le passé de chacun. À l’époque c’est vrai qu’on était très pragmatiques […] Les difficultés que pouvait avoir chacun à évoluer dans ce sens, on les a très mal évaluées.

70 Puisque les mots d’ordre de la libération se présentent comme universels, la socialisation différenciée des deux sexes est couramment négligée. « Ben on ne les vivait pas comme des relations de pouvoir », commente Jacqueline, Louise confirmant que les inégalités femmes/hommes dans la non exclusivité sexuelle n’ont pas été « pointées à l’époque » à l’échelle du groupe communautaire. Or, un ensemble de ressources et de dispositions genrées maintiennent une « approche hédoniste de la sexualité réservée aux hommes » [Legouge, 2016 : 463].

71 L’inégal accès aux ressources permettant de vivre cette liberté est avéré à plusieurs niveaux, à commencer par la maîtrise de la procréation. Il ne faut pas oublier qu’à la même époque, corrélativement à la diffusion des contraceptifs médicalisés, s’instaurent des normes de contrôle de la fécondité, qui s’exercent sur les femmes. L’écrasante majorité des enquêtées a souligné la division sexuée du travail contraceptif : « ils utilisaient pas de préservatif, mais ils te posaient même la question de si t’étais sous pilule », s’offusque ainsi Elsa. Sans compter « la contrainte de la pilule » dont témoignent régulièrement les enquêtées, c’est-à-dire aussi bien l’astreinte temporelle qui incombe aux femmes que les désagréments physiques de médicaments hormonaux alors fortement dosés. Dans les souvenirs de Joëlle, qui fréquentait les gauches alternatives lilloises pendant ses études de médecine, la pilule symbolise une consolidation de l’emprise des hommes sur la sexualité des femmes :

72

C’était bien de prendre la pilule car c’était la période où… fallait pas s’attacher dans les couples. […] Toutes les filles prenaient du Stediril [pilule commercialisée en 1968]. Les mecs ne s’en souciaient pas. Ils avaient autant de femmes qu’ils voulaient. Mais ils n’étaient pas du tout dans une réflexion sur la contraception : ce qu’était bien, c’est qu’il y avait la liberté sexuelle.

73 Enjointes à une maîtrise consciente de leur sexualité, elles ne sauraient mettre à distance ces responsabilités en partie inhibitrices, qui parallèlement préservent l’insouciance des hommes. Songeons aussi que la socialisation des femmes est marquée par la contrainte corporelle et les instruments du contrôle patriarcal que constituent les violences sexuelles, soit des « vécus traumatiques » (Irène) qui ont fondé pour plusieurs enquêtées des angoisses desquelles il était difficile de s’affranchir.

74 Le système de normes et de représentations relatif à la « liberté sexuelle » post-68 se fonde, de plus, sur des dispositions relationnelles supposées partagées par toutes et tous. Il est en réalité indispensable, pour interpréter l’impact des ruptures exposées plus haut, de considérer la socialisation différenciée à l’amour, à la séduction et à la sexualité des femmes et des hommes, faite de rôles, de (dé)goûts et d’imaginaires contrastés, producteurs d’inégalités. À la « distribution genrée entre sexualité et sentiments » [Clair, 2007 : 146], s’ajoute une asymétrie de l’engagement amoureux. Parmi les causes structurelles, Arlie R. Hochschild atteste que l’institution du mariage « en tant que vecteur de mobilité sociale des femmes » façonne des manières différentes d’entretenir, de codifier et de contrôler les sentiments [Hochschild, (1981) 1983a : 257]. Dans la « division du travail affectif » [Bozon, 2016], ce sont les femmes qui s’acquittent des tâches de communication et se soucient d’activer régulièrement la connivence dans le couple. Garantes de la stabilité des relations et de l’entité familiale, elles développent ainsi des dispositions à la production du sentiment amoureux et du lien conjugal. Un dévouement tel qu’on peut parler de « dépendance affective des femmes », une notion introduite par Sonia Dayan-Herzbrun pour désigner « le fait de dépendre dans son existence et dans ses conditions d’existence de l’amour d’un autre » [1982 : 116]. Aussi sont-elles particulièrement affectées par le bouleversement des normes en ce domaine après 68, qui n’atteint pas autant les rôles masculins [Pagis, 2009 : 108].

75 En plus des enjeux méthodologiques déjà évoqués, le genre des engagements émotionnels dans le partenariat éclaire alors la récurrence, au cours de mon enquête, de l’expression d’un mal-être des femmes à propos des expérimentations des années 1970 : c’était « une période quand même très très très très dure » pour Evelyne (MLAC de Lille, mariée à 26 ans en 1970). Les souvenirs de souffrance qui peuplent les entretiens soulignent la difficulté des femmes à restituer la cohérence de leur biographie affective, en l’occurrence à y inscrire cette séquence révolutionnaire des « orientations intimes » [Bozon, (2002) 2009].

76

Le rapport aux hommes, c’était une période vraiment extrêmement difficile. Parce que […] il y avait quelque chose, quand même, dans nos milieux, de très tolérant, de très libre, et même peut-être de prescriptif. […] Enfin moi je pense que ça a été une période très très compliquée à gérer. Pour les femmes. Pour les mecs, pas du tout.

77 Selon Laurence, il ne fait pas de doute que la sortie des cadres habituels de la sexualité a un moindre coût pour les hommes, plus disposés à ne pas se restreindre à la conjugalité. Dans le système binaire de l’hétérosexualité et des rôles genrés, la polymorphie des partenariats perturbe avant tout les schèmes de pensée que les femmes ont intégrés ; elle leur serait donc défavorable. Reprenant à son compte l’opposition relations affectives versus sexualité détachée des sentiments, Simone (Lyon) explique ainsi que les deux sexes n’étaient pas pareillement disposés à vivre la « liberté » des années 68 :

78

Moi je pense qu’on devrait aimer tous les êtres humains. Mais ça c’est une pensée. Après, la réalité, elle est différente parce que… les femmes, elles tombent amoureuses. […] D’une certaine façon, cette liberté, c’est souvent que les hommes qui l’avaient. Et rarement les femmes. Parce que nous, pour faire l’amour, il nous faut un peu plus que juste avoir du désir. […] Les femmes, elles ont ramassé, elles ont été très malheureuses.

79 Cependant, j’ai pu observer que le dilemme n’a pas été le même pour toutes les femmes et qu’il diffère notamment selon leur période de sexualité avec engagement sentimental [Combessie, 2008]. Marie, née en 1952, déclare une certaine aisance personnelle à l’égard des ré-agencements de l’échange amoureux, qui ont quasiment concordé avec son entrée dans la sexualité. Pour autant, elle admet volontiers que pour « la plupart des filles qui étaient un peu plus âgées, […] passées par la case mariage, enfants », dont les couples s’étaient « défaits » et se remaniaient durant plusieurs mois, « derrière tout ça il y avait quand même de la souffrance ». Pour elle, les plus vulnérables face à ces nouvelles normes sont donc les femmes déjà engagées dans le schéma matrimonial et tenues de s’approprier une nouvelle « jeunesse » sexuelle.

80 C’est le cas de Jacqueline, née en 1944 dans un foyer modeste et mariée depuis 1966. En Mai 68, alors enseignante dans le secondaire, elle n’est qu’observatrice car absorbée par les tâches domestiques et d’élevage [11]. Pendant que son mari milite au PSU, elle subit d’autres conséquences :

81

Moi, j’en ai marre d’attendre un mari qui rentre à 2 h du matin, alors que je suis à la maison avec le bébé. […] et surtout quand il rentre à 4 h du matin ! […] Je souffrais le martyre de la jalousie [elle rit jaune].

82 La souffrance amoureuse que décrit Jacqueline est étroitement liée à la situation de passivité dans laquelle son époux la place : elle vit dans l’attente insatisfaite d’un regain de sentiments de la part de celui-ci. Dans les mots et le ton qu’elle utilise, transparaît l’insécurité affective que l’option de « l’amour libre » provoque : auprès des plus investies dans la construction du couple et de la cellule familiale, elle ravive la crainte de l’abandon et insinue un doute permanent sur la réciprocité de l’engagement sentimental. D’ailleurs, le champ lexical de l’agression (« à l’épreuve des faits on s’en prend plein la poire », dixit Léonore) et de la rupture est très présent dans les témoignages :

83

Madeleine (alors âgée de 27 ans et mariée depuis cinq ans) : On est descendu à la Commune en juillet 71. Et… ç’a été un peu l’choc, pour moi. Parce qu’en fait, ça voulait dire que mon couple [onomatopée] s’est complètement écroulé à ce moment-là [rire stressé]. […] Même si j’avais des bonnes idées sur la libération et tout ce qu’on voudra, quand ça arrive juste comme ça, du jour au lendemain… c’était bronc ! tondondon !

84 Les enquêtées mobilisent souvent l’idée d’une fissure des liens relationnels fondateurs, qui déstructure leur quotidien. Et, signe qu’elle s’attaque aux identités intimes féminines, lorsque Jacqueline – dont le parcours est évoqué plus haut – souhaite se dégager de cette position de soumission à l’adultère de l’autre, elle est fortement tiraillée : « c’est l’époque où les hommes ont beaucoup profité de la mode de libération sexuelle, et où moi je disais “est-ce que j’ai le droit ? pas le droit ?” ». La reformulation des jugements sur leur réputation sexuelle dans les groupes de pairs n’adoucit donc pas mécaniquement le vécu des femmes : parfois, elles ne parviennent pas à s’autoriser à nouer des relations et à déroger au cadre conjugal.

85 C’est à la Commune d’Aix que, dans un second temps, Jacqueline trouve les moyens de privilégier son désir de sortir du couple. Pour autant, cette nouvelle vie ne suffit pas à annuler les frustrations liées à ses dispositions affectives ainsi qu’à « la non symétrie des sentiments amoureux chez les hommes et chez les femmes », « difficilement reconnue » [Dayan-Herzbrun, 1982 : 120-121]. Ainsi, lors d’une discussion entre « Communards » plusieurs années après les faits, Jacqueline fait part des tensions vives qu’a générées le pluripartenariat et relate avoir mis un terme à une relation car elle n’y percevait d’autre ancrage que celui d’être objet de satisfaction sexuelle : « Je me souviens du jour où j’ai dit à [Joseph] qu’on arrêtait de faire l’amour ensemble, parce qu’on [ne] parlait plus » [12].

86 De plus, le témoignage actuel de Jacqueline donne à voir certains aspects cruciaux de l’appropriation (variable) de la non exclusivité par les femmes : celle-ci est façonnée par des impératifs idéologiques, en tension avec les normes relationnelles qui leur ont été inculquées [Chetcuti, 2010].

87

Je ne sais pas si Joseph, Odile, François et Madeleine étaient outillés, mais moi je ne l’étais pas [elle tremble d’émotions]. En tout cas, je n’étais pas outillée et… je ne pouvais pas dire que je ne l’étais pas. […] La règle était : « on est politique ».
Oui. Même l’amour et l’affection, et la sexualité…
Politiques. Donc, on n’avait absolument pas… je n’ai pas vécu ça en conscience.

88 Jacqueline a intériorisé l’obligation sociale de canaliser les affects individuels dans un contexte où prime l’orientation collective du pluripartenariat. Les doléances qu’elle n’ose alors pas (se) formuler rejoignent un sentiment récurrent des enquêtées, tenues de composer avec leurs contradictions et de taire leur souffrance dans un groupe qui les suspecterait de puritanisme. Le sentiment de devoir est patent à propos de l’instauration du dispositif précité de rotation des lits à la Commune : « on a établi un tour de rôle. […] Moi je me suis sentie obligée. Pourquoi j’ai accepté ? Je sais pas dire. Démarche volontariste et idéaliste » [13].

89 Le cheminement de Jacqueline au cours des années 68 est révélateur des tensions propres à la « dépendance affective des femmes », qui prend sa source dans la structure inégalitaire des rapports de sexe. Elle produirait ses manifestations les plus fortes dans les parcours de femmes plus âgées, en union stabilisée et ayant entamé une vie de famille. Néanmoins, les caractéristiques de cette dépendance sont généralisables à des femmes aux biographies distinctes, ce qui tend à confirmer qu’elle n’est pas la simple « conséquence de la dépendance matérielle » [Dayan-Herzbrun, 1982 : 117]. Par exemple, Olga, qui est née en 1956 et a débuté sa vie amoureuse avec la non-exclusivité dans des réseaux du gauchisme culturel, raconte l’expérience douloureuse de l’asymétrie dans sa « relation privilégiée » (alors qu’elle peine à appliquer le principe, il « trouve une copine » à chaque manifestation) et l’incompatibilité avec ses désirs : « c’est quand même pas évident à gérer. Tu te dis “oui, c’est vrai, faut pas être jalouse”, mais bon… non ça marche pas comme ça une relation. Moi je le faisais pas [de “butiner à droite à gauche”] ». Ces tensions internes sont le résultat d’une superposition entre l’idéal amoureux et le refus du couple établi, autrement dit entre la romantisation de la sexualité, constitutive de la socialisation des femmes, et l’image de soi à renvoyer dans certains espaces militants des années 68.

90 Ce cas offre une réflexion plus générale sur l’ambivalence émotionnelle dans laquelle la situation plonge certaines. La nécessité de la soustraire à ses ressentis, en tout cas d’y être moins attentive, dévoile un travail dirigé contre soi-même. L’apprivoisement par ces femmes du ré-ordonnancement des sexualités dans l’après-68 met donc à l’épreuve leur volonté. Fannette, ayant brièvement tenté l’échange de partenaires, mobilise d’ailleurs explicitement l’idée de travail, qui engage les affects individuels : c’était « un sacré boulot par rapport à soi » au point qu’elle ne « trouvai[t] pas ça vivable ». La pratique de l’amour libre exige en quelque sorte une transformation de soi. Leur propos fait apparaître la dimension d’autocontrainte, autrement dit la quotidienneté du « travail émotionnel » des femmes [Hochschild, 1983b], inhérent à l’articulation entre polygamie et désir de couple.

91 Le récit d’une plus jeune femme comme Laurence, née en 1954, sur les négociations avec son « copain » de l’époque illustre l’instabilité émotionnelle qui résulte de la poursuite à la fois « exaltante » et « fatigante » d’un rapport « libre et libéré » aux relations affectives multiples :

92

Même moi, dans les relations que j’avais, ça a provoqué des choses assez difficiles. Alors après on avait tout un tas de discours théoriques sur la jalousie, machin, truc. Vraiment, on était fous, complètement en train de délirer. On se corsetait à un point, donc il fallait pas être jaloux, parce que ceci, cela. On était dans des états au bord de [elle mime l’étouffement] hein, tout le temps.

93 Envisageant l’ampleur de ce travail sur soi, c’est-à-dire les barrières émotionnelles, réflexes et attitudes à déconstruire, certaines enquêtées ont préféré ne pas tester leurs limites. À 31 ans, Evelyne a éprouvé avec une telle intensité le conflit entre ses attentes amoureuses et les prescriptions ambiantes que son attitude défensive a fini par contrer les velléités de polygamie de son époux avec une amie commune – elle leur opposa une attitude placide et ironisa sur la situation en leur intimant d’« essayer de coucher ensemble » le soir même pour clarifier leurs projections.

94

C’est vrai que je me posais des questions, alors je ne sais pas bien la réponse, mais les garde-fous que l’on a, […] le terme est bien employé, parce que je me demandais si je n’allais pas devenir folle. Je me disais que l’éducation qu’on a reçue… à cette époque-là on remettait tellement de choses en questions, tout était possible, mais en même temps, jusqu’où ? Et comment changer de comportement ? Il faut accepter ci, accepter ça.

95 Sans doute parce qu’elle s’est soldée par la restauration de l’estime de soi, de cette expérience angoissante Evelyne a retenu que la perspective sentimentale davantage intériorisée par les femmes a conjointement fondé des ressources mentales pour résister à la redéfinition des normes de conjugalité et faire prévaloir sa volonté propre.

96

« Le pouvoir est au bout du phallus », alors ils peuvent le remettre dans la culotte. Le mouchoir par-dessus, en cas de besoin. Et le « plaisir » avec – car ce plaisir-là, on peut vraiment s’en passer, autant que pas de plaisir du tout. [14]

97 Ce qu’a écrit une militante en réaction à une inscription de Mai sur les murs de Paris augurait un conflit entre les sexes, qui n’a, en définitive, qu’en partie eu lieu dans les années 68.

98 Cette séquence d’expérimentations sexo-affectives implique une mutation partielle des rôles sexués. La levée de certaines contraintes et assignations favorise certes pour les femmes l’appropriation de nouvelles conduites. Mais, à plusieurs titres, elles n’y trouvent pas leur compte, d’une part de plaisir, de sécurité affective et de souveraineté décisionnelle ; d’autre part d’insouciance, puisque c’est à elles qu’il revient de corriger les effets d’une socialisation genrée, par des mécanismes insidieux de travail sur les émotions et leur dépendance affective. On peut même se demander si ce contexte n’a pas contribué, pour certaines d’entre elles, à restreindre leur horizon amoureux et sexuel. Car, inversement, les préceptes dominants des années 68 ne permettent guère de faire reconnaître le célibat féminin comme moyen de reconquête de sa sexualité, ou encore la valeur d’une approche féministe du couple, qui tienne compte des inégalités sociales, économiques et émotionnelles ainsi que des dispositions genrées. On peut enfin désingulariser cette étude pour considérer ce qu’elle dit plus largement sur la régulation des affects, sous contrôle des hommes, un phénomène aussi discret qu’essentiel aux hiérarchies de genre. Il faudrait continuer de repérer et analyser comment ce contrôle opère ordinairement dans le parcours des couples hétérosexuels aujourd’hui. 

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Mots-clés éditeurs : Engagement affectif, Dispositions genrées, Militantisme, Pluripartenariat, Sexualité

Date de mise en ligne : 14/05/2019

https://doi.org/10.3917/ethn.192.0373

Notes

  • [1]
    J’adopte la focale temporelle élargie des historien·ne·s qui estiment que les répercussions de Mai 68 irriguant divers espaces sont décelables jusqu’à l’arrivée au pouvoir du PS mitterrandien [Artières et Zancarini, 2008].
  • [2]
    Wilhelm Reich, 1968 [1936], La Révolution sexuelle. Pour une autonomie caractérielle de l’homme, Paris, Plon ; Herbert Marcuse, 1968 [1955], Éros et civilisation : contribution à Freud, Paris, Minuit.
  • [3]
    Rapport rédigé par la sexologue Shere Hite, à partir d’une enquête menée aux États-Unis auprès de 3 000 femmes, paru en France en 1977.
  • [4]
    « Regarde elle a les yeux grand ouverts », IRL, Journal d’expression libertaire, 33, avril 1980 : 9.
  • [5]
    Texte-martyr d’une quinzaine de pages, en vue du livret accompagnant le film Regarde, elle a les yeux grand ouverts (Le Masson Yann, le MLAC d’Aix, la Commune et les Cochonniers), non daté, prob. 1979.
  • [6]
    Propos de Thérèse, membre du MLAC-20e de 1973 à 1975, travaillant alors pour un journal d’extrême gauche.
  • [7]
    Extrait d’un courriel de Chantal, 6 juin 2016.
  • [8]
    Cf. notamment J.K., « Les militantes » [Collectif, (1970) 1972] ; Boons Marie-Claire, Tessa Brisac, Annick Kerhervé et al., 1983, C’est terrible quand on y pense, Paris, Galilée.
  • [9]
    « Des militantes du MLF », 1971, « Vie et mœurs de la peuplade “Tuot” ou que vos os pourrissent sous la lune », Tout !, 15.
  • [10]
    Il faut nuancer le tableau : des organisations, à l’instar de Lutte ouvrière, tiennent ces revendications sexuelles pour des idéaux petits-bourgeois [Bantigny, 2013 : 29-31].
  • [11]
    Terme désignant les tâches les plus invisibles qui font grandir les enfants, comme les activités nourricières, de soins (lavage et santé), etc.
  • [12]
    Intervention de Jacqueline, discussion collective, septembre 1978. Archives privées du MLAC d’Aix.
  • [13]
    Ibid.
  • [14]
    Anecdote issue de l’article de Christiane, « Le mythe de la frigidité féminine » [Collectif, (1970) 1972 : 64].

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