Couverture de ETHN_192

Article de revue

Penser la révolution sexuelle dans les années 1960 : intellectuel·le·s et étudiant·e·s en quête de subversion

Pages 277 à 292

Notes

  • [1]
    Thèse préparée à l’université de Bristol et dont le titre provisoire est : « Inventing the sexual revolution in France, 1945-1970 ».
  • [2]
    Charles Fourier écrit par exemple Le Nouveau Monde amoureux entre 1817 et 1819 (qui ne sera publié qu’en 1967). E. Armand publie divers textes sur la liberté sexuelle dont La Camaraderie amoureuse en 1930.
  • [3]
    L’intellectuel Boris Fraenkel qui y militait raconte que personne ne parlait de sexualité au PCI [Combe, 2000]. Des notes prises par des membres du parti en 1966 qualifient la sexualité de thème petit-bourgeois (Dossier « Exclusion de Boris Fraenkel de l’OCI en 1966 », fonds Stéphane Just, F delta res 777/0/38/231, La Contemporaine, Nanterre).
  • [4]
    Dans un entretien réalisé en 2000, son ex-femme raconte : « d’un seul coup on s’est aperçu, comme une révélation, que Reich c’était pas une ligne correcte pour les révolutionnaires et Marcuse encore pire » [Combe, 2000].
  • [5]
    C’est ce que révèle le titre du premier numéro d’Arguments qui aborde ces questions, en 1960 : « Anthropologie, marxisme et psychanalyse » avant même que le terme de freudo-marxisme ne soit popularisé dans la deuxième partie des années 1960.
  • [6]
    À cette époque, de nombreux psychanalystes français se revendiquent du marxisme [Gabarron-Garcia, 2016].
  • [7]
    La question de rapports de ces intellectuel·le·s aux champs artistique, intellectuel et politique mériterait d’être approfondie. Sur les liens entre intellectuels et communisme, voir notamment les travaux de Bernard Pudal [1989] et Frédérique Matonti [2005].
  • [8]
    Si l’association est officiellement déposée en 1969, ses archives révèlent qu’elle fonctionnait de façon informelle depuis novembre 1967.
  • [9]
    Prisca Bachelet, étudiante à la Sorbonne dans les années 1960, raconte par exemple qu’elle s’intéressait à Reich et aux théories dissidentes de la psychanalyse [Gildea, Mark et Warring, 2013 : 107].
  • [10]
    La Croix, « Un étudiant de la résidence de Nanterre : je n’aimerais pas être à la place du recteur », 12 avril 1967.
  • [11]
    L’Aurore, « La chaude nuit de Nanterre », 23 mars 1967.
  • [12]
    Combat, « Les enragés de Nantes », 24 juin 1968.
  • [13]
    Tract de l’association des résidents de Dijon, 12 février 1968, Archives départementales de la Côte d’Or, Dijon, W 20197.
  • [14]
    Avant-garde jeunesse et bulletins locaux, Jeunesse Communiste Révolutionnaire (1966-1968), en ligne sur : association-radar.org.
  • [15]
    Divers tracts sont reproduits dans un journal de parents d’élèves publié en 1970. Distribués dans des lycées de la région parisienne et de Nantes, ils reconnaissent l’aspect politique de la sexualité et revendiquent la sexualité comme un acte révolutionnaire. « Gangrène morale », La Quinzaine universitaire, 1 avr. 1970 ; fonds Comités d’action lycéens, La Contemporaine, Nanterre GF delta 0113/1.
  • [16]
    Les journaux locaux de la JCR qui parlent de sexualité sont notamment publiés par des jeunes de Normandie (Caen et Rouen), d’Alsace, du Sud-Est (autour de Cannes, de Marseille), de Lyon ou encore de la Sarthe.
  • [17]
    Ces slogans sont issus d’ouvrages qui rassemblent des graffitis de Mai 68 [Besançon, 1968 ; Enragés anonymes, 1998].
  • [18]
    Le mouvement du 22 mars est un mouvement politique auto-organisé qui naît à Nanterre le 22 mars 1968 et qui contribue au déclenchement de Mai 68.
  • [19]
    Ce tract est reproduit dans la collection éditée par les historiens Alain Schnapp et Pierre Vidal-Naquet [1969 : 370].
  • [20]
    Tract du CRAS, mai 1968, fonds « Tracts de Mai 1968 », BNF, Paris, Mfiche Lb61-600, microfiche doc. 4676 à 4708.
  • [21]
    Commission « Nous sommes en marche », « Le silence et la violence », 6 juin 1968, BNF Paris.
  • [22]
    Brouillon du texte « Révolution sexuelle ou érotisme bourgeois ? Révolution sexuelle ; actes ou parole ? », 1968-1969, fonds Anne Zelensky, bibliothèque Marguerite Durand, Paris.

1 « Plus je fais l’amour, plus j’ai envie de faire la révolution. Plus je fais la révolution, plus j’ai envie de faire l’amour », pouvait-on lire en mai-juin 1968 sur un mur de la Sorbonne occupée. Ces mots célèbres tracés à la peinture symbolisent aujourd’hui les mobilisations étudiantes de Mai 68. Ils font écho aux nombreux travaux ayant montré que les situations révolutionnaires constituent des moments d’ouverture sur les questions de sexualité et de genre. Elles sont, en effet, des conjonctures critiques où le champ des possibles s’élargit soudainement [Zancarini-Fournel, 2002 ; Dammame et al., 2008 ; Fillieule et Roux, 2009]. Pourtant, au-delà de la représentation collective d’un Mai 68 hédoniste, l’idée exprimée dans ce slogan n’a rien d’intuitif : il affirme que la sexualité et la révolution se nourrissent d’une énergie commune et que les périodes révolutionnaires sont propices à la libération de la sexualité. Qu’une telle phrase soit affichée publiquement par des étudiant·e·s à la fin des années 1960 est d’autant plus surprenant que l’analyse des sources historiques ébranle le mythe d’une sexualité libérée en Mai 68 [Rebreyend, 2009 : 268].

Figure 1 – Slogan de Mai 68.

Figure 1 –  Slogan de Mai 68.

Figure 1 – Slogan de Mai 68.

2 Ainsi, cet article, fondé sur une thèse d’histoire en cours [1], entend mettre en lumière qu’associer situation révolutionnaire et subversion de la sexualité n’est en soi pas évident et que ce lien s’est construit historiquement, dans des contextes précis. En nous penchant sur le contexte spécifique de la France des années 1960, nous montrerons comment la sexualité a été peu à peu intégrée aux discours révolutionnaires. Si l’idée de « révolution sexuelle », expression souvent mise entre guillemets, a été largement critiquée par les sociologues et historien·ne·s qui contestent l’ampleur de la reconfiguration des normes sexuelles dans les années 1968 et affirment que ce terme ne rend pas compte de la nature de l’évolution des pratiques sexuelles [Bozon, 2002 ; Rebreyend, 2009 ; Révenin, 2015 et Ruault dans ce numéro], on peut, toutefois, s’interroger sur le sens littéral de cette expression. La révolution sexuelle n’est peut-être pas une période historique où les pratiques sexuelles sont bouleversées, mais un concept utilisé dans les années 1960 qui associe sexualité et révolution. Nous déplaçons ainsi le débat historiographique sur la révolution sexuelle de la question des pratiques sexuelles vers celle des discours politiques sur la sexualité. Que recouvre le terme de révolution sexuelle dans les années 1960 et qui s’en revendique ? Comment les parcours politiques et intimes des militant·e·s et leurs caractéristiques sociales modèlent-ils leurs manières de politiser la sexualité ?

3 Au cours des années 1960, la révolution sexuelle est formulée de manière hégémonique par des hommes intellectuels, dont les discours diffèrent profondément de ceux qui émergent au début des années 1970 dans les milieux féministes et homosexuels [Bantigny, 2013]. C’est précisément parce que l’on connaît aujourd’hui mieux les approches politiques de la sexualité des années 1970 que nous avons choisi de nous concentrer sur la décennie précédente. Ce décalage chronologique permet de comprendre à qui répondent les militant·e·s féministes, gays et lesbiennes. Nous avançons qu’il existe une forme de continuité – certes faite de réactions négatives, de conflits et de reformulations profondes – entre les pensées de la sexualité masculines et théoriques des années 1950-1960 et les discours féministes, gays et lesbiens des années 1970.

4 En prenant pour cadre les années 1960 et en ne nous limitant pas aux mois de mai et de juin 1968, notre réflexion participe des travaux sur les « années 1968 » [Dreyfus-Armand et al., 2008] qui entendent ne pas isoler l’événement. En effet, les politisations radicales de la sexualité précèdent Mai 68. Le cadre de l’article excède aussi les frontières nationales puisque les militant·e·s français·e·s s’approprient des théories formulées ailleurs, en Europe et en Amérique du Nord. Ainsi, malgré l’accent mis sur le contexte français, nous donnons à voir des réseaux militants transnationaux qui discutent de la sexualité révolutionnaire dans les années 1960, sans pour autant gommer la spécificité de chaque contexte national. Le risque est d’autant plus grand que la révolution sexuelle française des années 1968 a été largement mythifiée et médiatisée. Il faut donc se prémunir d’y recourir comme matrice des mobilisations ultérieures associant sexualité et révolution.

Un corpus centré sur les années 1960

Dans l’avant 1970, ce sont des hommes intellectuels plutôt hétérosexuels qui promeuvent la révolution sexuelle. Les militant·e·s homosexuel·le·s se saisissent de cette question quelques années plus tard, notamment autour du Front homosexuel d’action révolutionnaire et des Gouines rouges. Quant aux féministes, elles revendiquent rarement la révolution sexuelle entendue comme libéralisation des désirs avant la fin des années 1960. Ainsi, tout en donnant une place à leurs réponses et objections, nous analyserons surtout les trajectoires des intellectuels hommes qui maîtrisent encore les discours sur la sexualité à cette période.
L’article portant sur les discours associant sexualité et révolution, notre corpus se compose majoritairement de sources textuelles : tracts d’étudiant·e·s, d’anarchistes, de freudo-marxistes, ouvrages publiés par des intellectuel·le·s, revues telles que Partisans des éditions Maspero, etc. Nous accorderons aussi une large place aux graffitis, discours publics par excellence en mai-juin 1968. Pour éclairer les conditions de production de ces textes et la nature des échanges entre les différents groupes, nous utiliserons des fonds d’archives privées de militant·e·s, notamment le fonds Daniel Guérin de la Contemporaine et le fonds Féminin Masculin Avenir (FMA) conservé à la bibliothèque Marguerite Durand. En convoquant ces multiples sources, nous offrirons un aperçu des discours révolutionnaires sur la sexualité, où divers groupes militants partagent, s’approprient, mais aussi se disputent un même concept.
Malgré la diversité des espaces dont ils émanent et la variété de leurs objectifs politiques, les textes de notre corpus participent d’une tentative commune que nous pouvons qualifier de politisation radicale de la sexualité. L’articulation entre sexualité et révolution s’opère de deux manières : soit la sexualité est considérée comme un thème à intégrer aux théories révolutionnaires, soit la sexualité est envisagée comme un moyen de la révolution, par la pratique.

5 Croisant dynamiques individuelles et structure des mondes politique et intellectuel, nous tenterons, d’abord, de comprendre comment le concept de révolution sexuelle se construit en tant qu’enjeu intellectuel à partir de la fin des années 1950. Ensuite, nous analyserons le décloisonnement qui permet aux discours sur la sexualité de se disséminer dans des groupes sociaux plus variés autour de Mai 68, notamment parmi le milieu étudiant et soulignerons enfin la spécificité de ces discours sur la sexualité. À chaque étape du raisonnement, il s’agit de faire dialoguer les idées avec leur contexte de production.

Réinventer des théories politiques de la sexualité

6 La conviction que les changements politiques se jouent jusque dans la sphère de la sexualité ne naît pas dans les années 1960. Depuis le début du xixe siècle, des philosophes comme Charles Fourier, préfigurant le socialisme utopique, puis des militants anarchistes comme E. Armand (pseudonyme d’Ernest-Lucien Juin) ont pensé la question du politique comme une réforme des comportements quotidiens, et entre autres des comportements sexuels [2]. Dès la fin du xixe siècle, le terme de « révolution sexuelle » est employé, notamment dans des milieux anarchistes libertaires, pour désigner l’articulation entre révolution politique, d’une part, et sphère de l’intime et du sexuel, d’autre part. Le terme se répand dans les années 1920-1930 en Europe : des intellectuel·le·s socialistes et marxistes tel·le·s qu’Alexandra Kollontaï et Wilhelm Reich entérinent alors l’usage du terme de « révolution sexuelle » comme un concept politique. Il naît donc dans un contexte résolument européen, dont témoigne également l’essor de la Ligue mondiale pour la réforme sexuelle [Tamagne, 2005].

7 Dans les années 1950, la révolution sexuelle suscite à nouveau l’intérêt d’intellectuel·le·s politisé·e·s. Les politisations socialistes qui les précèdent continuent à les inspirer, mais les modalités de la politisation sont reconfigurées par l’ancrage dans un nouveau contexte, celui des années 1968.

Qui parle de la révolution sexuelle ?

Une profusion d’acteurs et d’actrices, se revendiquant tant des idéaux libertaires que de Freud ou de Marx, du féminisme ou encore du situationnisme. Intellectuel·le·s, étudiant·e·s, féministes, militant·e·s plus ou moins anonymes : ils et elles ont imprimé des tracts, publié des livres et des revues, ont échangé des lettres et écrit des slogans sur les murs. Plusieurs noms et groupes dominent ces discussions. Le sexologue et anarchiste Daniel Guérin se positionne, dès les années 1950, en faveur d’une révolution sexuelle. Entre la fin des années 1950 et le milieu des années 1960, des revues de la gauche anticommuniste proposent des réflexions sur la sexualité : Arguments, revue marxiste créée en 1956 par un groupe de philosophes dont Kostas Axelos, Violette et Edgar Morin et Colette Audry ; Partisans, publiée à partir de 1961 aux éditions Maspero où écrivent les freudo-marxistes Boris Fraenkel et Jean-Marie Brohm ; ou encore Esprit, revue catholique qui contribue à l’émergence de la deuxième gauche sous l’impulsion de Jean-Marie Domenach. Il faut enfin mentionner les situationnistes comme Raoul Vaneigem et Mustapha Khayati.

8 Cette nébuleuse regroupe des acteurs et des actrices disparates et difficilement catégorisables, qui contribuent à faire de la révolution sexuelle une référence dans les luttes politiques des années 1960, tout en utilisant chacun·e la sexualité à leurs propres fins militantes. Deux manières de concevoir la sexualité comme politique se structurent. D’une part, des intellectuel·le·s, principalement des hommes, entendent renouveler la pensée marxiste en réfléchissant à l’enjeu de la sexualité. D’autre part, certain·e·s d’entre eux envisagent la sexualité comme le lieu d’une subversion politique quotidienne, dans la lignée de réflexions politiques sur les modes de vie. Ainsi, la sexualité est appréhendée comme un thème politique à traiter et comme une pratique au potentiel politique. Comment expliquer l’émergence de ces deux politisations dans l’avant 1968 ?

La sexualité contre l’orthodoxie communiste

9 Dans les années 1950-1960, la plupart des partis et des syndicats ne parlent pas de sexualité. Quand ils le font, ils relaient des conceptions conservatrices : la sexualité serait avant tout affaire de procréation et donc de démographie, et elle se limiterait au cadre conjugal. Le Parti communiste français (PCF) renvoie le thème de la sexualité à « l’enfer de l’érotique petite-bourgeoise », selon les mots de l’historien Christophe Prochasson [2004 : 678] et le même constat peut être fait du Parti communiste international (PCI), parti trotskiste de l’après-guerre [3].

10 Face à l’hostilité des partis, les intellectuels théorisant la révolution sexuelle ont presque tous pris leurs distances avec le milieu communiste ou marxiste orthodoxe dans lesquels ils ont débuté leurs carrières militantes. Daniel Guérin milite à la SFIO puis au Parti socialiste ouvrier et paysan de Marcel Pivert dans les années 1930 avant de s’en écarter au cours de la Seconde Guerre mondiale pour se rapprocher des idées anarchistes. Militant au PCI de 1958 à 1966, Boris Fraenkel publie des textes sur la sexualité dans la revue Partisans sous le pseudonyme Thomas Münzer qui lui permet de séparer ses deux identités militantes. Il traduit aussi Eros et Civilisation de Herbert Marcuse qui paraît en 1963 en France. En 1966, il est exclu du PCI en raison de ses convictions hétérodoxes et évolue ensuite à distance des partis [4]. Jean-Marie Brohm, qui écrit également dans Partisans, connaît le même destin au sein du PCI. Les trajectoires politiques de ces trois militants illustrent, au-delà de leurs différences générationnelles, la marginalité politique des intellectuels de la révolution sexuelle qui s’écartent des organisations politiques institutionnelles lorsqu’ils réalisent que celles-ci ne proposent aucune lecture politique radicale de la sexualité. Comme nous le verrons par la suite, des expériences homosexuelles ont parfois contribué à les sensibiliser à ces questions.

11 Au-delà de ces trajectoires exemplaires, la majorité des intellectuels théorisant une sexualité révolutionnaire dans les années 1968 ont préalablement rompu avec les partis au cours des années 1950. Nombre d’entre eux appartiennent à la génération qui, après la mort de Staline, la publication du rapport Khrouchtchev et la répression de l’insurrection hongroise par les Soviétiques, questionne l’orthodoxie marxiste. Dans cet élan, des groupes et revues émergent et rejoignent une nébuleuse déjà constituée d’intellectuels de gauche hostiles à l’URSS et au PCF. Symptomatiques de cette désaffection, les revues Arguments et Partisans font office de laboratoire pour la création de théories marxistes hétérodoxes. Ainsi, divers intellectuels nés dans les années 1920-1930 partagent une sociabilité commune et suivent des trajectoires politiques parallèles les menant vers les questions sexuelles.

12 Les théories de la révolution sexuelle sont donc formulées en dehors des groupes politiques classiques. En 1955, Daniel Guérin est le premier à publier un livre qui définisse la révolution sexuelle telle qu’elle sera comprise dans les années 1960. Prenant pour objet les rapports Kinsey sur le comportement sexuel des Américain·e·s, largement médiatisés en France, il radicalise l’approche biologique de Kinsey et invite « à poursuivre conjointement la révolution sociale et la révolution sexuelle, jusqu’à l’émancipation complète, sur les deux plans, de l’être humain aujourd’hui encore écrasé par le double fardeau d’une hydre à deux têtes : le capitalisme et le puritanisme » [Guérin, 1955 : 21]. Après lui, plusieurs groupes d’intellectuels se servent de la sexualité pour renouveler le marxisme, critiquant la lecture puritaine qu’en font les partis de gauche à l’époque. Ils esquissent une nouvelle approche du politique, plus incarnée, où la sexualité aurait droit de cité parmi les thèmes marxistes. Dans deux numéros d’Arguments en 1960 et 1961, des philosophes dont Edgar Morin, François Châtelet et Kostas Axelos défendent l’idée que « le besoin sexuel est un besoin global, au même titre que d’autres besoins décrits par les marxistes » [Axelos, 1960 : 35] et que la « libération érotique » doit venir compléter les révolutions économique, politique, religieuse et littéraire [Axelos, 1961 : 23]. Pour nourrir leurs thèses, ils exhument des penseurs marxistes minoritaires comme Wilhelm Reich, médecin et psychanalyste autrichien qui affirmait dans les années 1920-1930 que les névroses sexuelles avaient une origine socio-économique, et donc politique. Grâce à d’intenses circulations transnationales, dont Daniel Guérin constitue l’un des acteurs centraux, notamment parce qu’il côtoie Wilhelm Reich en Autriche en 1934, la pensée politique de la sexualité de ce dernier est réhabilitée : invoquée dans Arguments par le philosophe situationniste André Frankin pour préconiser « simultanément la libération sexuelle et la libération sociale » [Frankin, 1960 : 29], elle sert ensuite au sociologue Jean-Marie Brohm dans le numéro de Partisans « Sexualité et répression » de 1966 à affirmer :

13

Il s’agit en somme de politiser, comme le préconisait Reich, le problème sexuel, tout comme les autres questions. Cette politisation exige une revue marxiste théorique, spécialisée dans l’agitation et la propagande capable d’expliquer tous les aspects oppressifs de la vie sociale dans le domaine du privé et public quotidien. [Brohm, 1966 : 45]

14 Deux tendances se dessinent dans ce bouillonnement de pensées sur la sexualité : d’une part, les auteurs revisitent le marxisme à l’aide de la psychanalyse [5] et d’autre part, ils entendent prendre en compte l’aspect quotidien du politique. Ces deux positionnements s’opposent à la manière dont les organisations partisanes et syndicales ont jusqu’alors traité la vie quotidienne et la sexualité dans la France de l’après-guerre. Le recours à la psychanalyse n’est, d’ailleurs, pas étranger à la volonté de s’opposer aux partis communistes et à l’URSS puisque ceux-ci s’en méfient dans un contexte de guerre froide où une version assez conservatrice de la psychanalyse prospère aux États-Unis [Herzog, 2016]. Ainsi, l’usage de la psychanalyse participe aussi d’une stratégie de résistance : dès les années 1950, la gauche utilise une lecture politique de la psychanalyse comme outil critique [6], jusqu’à la publication de L’Anti-Œdipe en 1972 qui illustre parfaitement cet usage [Herzog, 2016 : 153-178].

Repenser la critique du capitalisme à partir d’expériences vécues

15 La révolution sexuelle renaît dans des groupes intellectuels (Arguments, Partisans, situationnistes…) qui n’ont pas simplement pour but d’introduire la sexualité dans les théories révolutionnaires mais plus fondamentalement de redéfinir les frontières du politique. L’intime est revendiqué comme un terrain politique et la sexualité vécue est politisée. Alors que certaines sources se veulent scientifiques et rationnelles, comme le numéro de Partisans « Sexualité et répression » qui a pour but d’élaborer un nouveau système de pensée, d’autres accordent plus d’importance à la subjectivité et aux sentiments, notamment les écrits situationnistes et les textes philosophiques d’Arguments qui prennent des formes créatives. Le lien alors tissé entre intime et politique est à double sens. Si les théories de la révolution sexuelle invitent à politiser l’intime, ce sont aussi des expériences intimes (en particulier celles des femmes et des homosexuel·le·s) qui poussent les intellectuel·le·s à interroger et redessiner les frontières du politique.

16 Dans son livre Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes de 1967, le situationniste Raoul Vaneigem enracine sa pensée dans le quotidien : « Ceux qui parlent de révolution et de lutte des classes sans se référer explicitement à la vie quotidienne, ceux-là ont dans la bouche un cadavre. » [1967 : 32]. Il conçoit l’amour et la sexualité comme terrains d’une possible subversion, voire d’une révolution, dans la mesure où ils agissent comme des remparts contre l’anomie croissante de la société capitaliste. Cette idée que la vie sexuelle et intime serait plus authentique et donc plus à même d’orienter la réflexion politique parcourt l’œuvre des situationnistes, tout comme celle des auteurs d’Arguments. Tandis qu’Edgar Morin affirme que l’amour est le « vrai centre de la vie […], le grand besoin et la grande vérité » [1961 : 8], Kostas Axelos rêve à une façon d’être en couple plus authentique et sans ambition de possession de l’être aimé. Ces textes ne s’encombrent pas de notes de bas de page : ils prennent une forme créative et poétique, ces intellectuels désirant se détacher des façons d’écrire et de penser le politique qui règnent habituellement dans les milieux partisans et syndicaux [7].

17 De plus, la volonté de transformer immédiatement la vie quotidienne se matérialise par la tentative des auteurs d’Arguments d’initier, à leur échelle, le début de la libération érotique que Kostas Axelos appelle de ses vœux dès 1961. Bien qu’on ait peu d’informations sur leurs vies amoureuses, le groupe est structuré de manière informelle. Comme l’explique Gil Delannoi, « Arguments de prime abord récusait la séparation étanche entre vie privée, militantisme et doctrine. Par sa création et son essor communautaires […] Arguments prouve l’existence du lien entre vie personnelle et idées » [1984 : 133]. Les politisations radicales de la sexualité réinventent donc les liens entre politique, théories et expériences personnelles. Plus largement, elles s’inscrivent dans un moment où les militant·e·s marxistes tentent de combler le hiatus entre théorie et pratique en inventant des modes de vie en adéquation avec leurs théories, et inversement. La critique du capitalisme devient de plus en plus une critique de la vie quotidienne, de la société de consommation, des rapports de pouvoir chaque jour vécus, etc. Ainsi, les débats intellectuels sur la sexualité se transposent à d’autres enjeux : à partir du début des années 1960, les initiatives néorurales et l’invention de formes de vie communautaires qui les accompagnent promeuvent, également, un ancrage quotidien et intime du politique [Rouvière, 2015].

18 Le parcours des militantes féministes qui commencent à discuter la sexualité avant 1968 porte, de manière plus prégnante encore, la marque de cette influence du personnel sur le politique. Un certain nombre d’entre elles ont un parcours parallèle aux intellectuels masculins, s’éloignant peu à peu du parti communiste et plus précisément de son Union des femmes françaises qui continue à s’adresser, principalement, aux femmes en tant que mères. Certaines se rapprochent alors de la gauche mitterrandiste et du Mouvement démocratique féminin (MDF). Mais comme l’a montré Sylvie Chaperon, c’est surtout par leurs expériences en milieu professionnel qu’elles se mobilisent sur les questions féminines [Chaperon, 2001]. Formées à l’université, des intellectuelles des années 1960 prennent conscience que leur nouveau statut social ne les libère pas pour autant de leur oppression en tant que femmes. Certaines identifient aussi la sexualité comme l’un des terrains de cette oppression et publient des ouvrages sur la sexualité, les intellectuelles se concevant alors comme des expertes des questions sexuelles ou ayant trait aux femmes. C’est, notamment, le cas de chercheuses en psychanalyse comme Janine Chasseguet-Smirgel et Maryse Choisy qui, influencées par les figures d’Hélène Deutsch et Marie Bonaparte, s’emparent du thème de la sexualité féminine. De nombreuses expertes et écrivaines se placent dans le sillage de Simone de Beauvoir et de son Deuxième sexe publié en 1949. Déconstruisant le mythe d’un éternel féminin, Simone de Beauvoir y analyse les conditionnements sociaux s’exerçant sur les femmes et, en particulier, sur leur sexualité. L’ouvrage s’apparente davantage à une étude philosophique qu’à un programme politique et Simone de Beauvoir poursuit en parallèle son cheminement dans les partis de gauche (sans nécessairement articuler sa pensée de la sexualité à ses engagements jusqu’aux années 1970 où elle milite dans les mouvements féministes), mais sa portée politique n’échappe pas à ses lectrices. Son influence est cruciale sur des auteures comme Françoise D’Eaubonne qui y voit une justification de ses convictions à la fois marxistes et en faveur des femmes : « Enfin un écrivain chez qui le marxisme et la psychanalyse ne s’excluent pas mutuellement », écrit-elle dans son autobiographie en 1966 [D’Eaubonne, 1966 : 119], témoignant d’un intérêt pour le freudo-marxisme. Issue d’un milieu proche de l’anarchisme, Françoise D’Eaubonne s’affirme avant tout comme écrivaine et essayiste jusqu’aux années 1970. Elle écrit sur la sexualité dès les années 1950 [D’Eaubonne, 1951] et, quelques années plus tard, échange avec Daniel Guérin sur les possibilités de mobilisations politiques pour la sexualité. Ils participent, d’ailleurs, tous deux à la revue Arcadie qu’ils jugent toutefois politiquement timide. Arcadie se conçoit comme un journal homophile souhaitant rendre l’homosexualité socialement acceptable et non pas comme un journal où l’homosexualité serait revendiquée de manière militante [Jackson, 2009 : 144].

19 Suite à la création de Maternité Heureuse en 1956, les recherches de ces intellectuelles sur la sexualité s’articulent avec un engagement pour la libéralisation de la contraception qu’elles soutiennent toutes, même si le Mouvement français pour le planning familial est animé par des idéaux familialistes et ne se définit pas comme un mouvement marxiste ou révolutionnaire à cette époque. À partir du milieu des années 1960, un petit groupe de féministes, notamment constitué de jeunes militantes du MDF, commence à se mobiliser plus directement sur la sexualité. Comme le raconte rétrospectivement Jacqueline Feldman, à l’époque chercheuse en mathématiques au CNRS :

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Nous voulions mettre au cœur du problème la sexualité : dans ces années soixante, les choses sont en train de se modifier considérablement, nous le sentons, le vivons, le voulons. La sexualité n’en reste pas moins encore très taboue. Pour ma part, j’en parle, bardée des résultats que j’ai trouvés dans les Rapports Kinsey : j’en tire la conclusion que, dans l’acte sexuel comme ailleurs, c’est l’homme qui domine. [Feldman, 2009 : 194]

21 Isolées jusqu’à 1968-1969, ces premières tentatives ne laissent aucune trace dans les archives du groupe Féminin Masculin Avenir (FMA) conservées à la bibliothèque Marguerite Durand qui ne donnent à voir leur activité qu’à partir de 1967 [8]. Les féministes de FMA, qui devient même brièvement l’acronyme de Féminisme Marxisme Action à la fin des années 1960, s’empareront du thème de la révolution sexuelle après Mai 68. Ce bouillonnement dans les milieux féministes révèle à quel point les frontières entre les identités politiques sont poreuses et que des circulations et hybridations se jouent au-delà des étiquettes politiques.

22 En plus de ces expériences féminines, les théories de la révolution sexuelle sont, également, nourries par les expériences intimes de certains intellectuels. Les trajectoires de Daniel Guérin et Boris Fraenkel sont encore une fois exemplaires de ce processus. Dans un contexte de répression de l’homosexualité dans les années 1950-1960, tous deux ont des relations sexuelles avec d’autres hommes, tout en étant mariés et sans forcément revendiquer une identité homosexuelle. Ils vont alors chercher à concilier leurs identités politiques et leurs expériences sociales. Le parcours de Daniel Guérin révèle l’entre-deux délicat dans lequel il est relégué en tant qu’anticapitaliste anarchiste homosexuel. D’un côté, la revue homophile Arcadie dans laquelle il écrit après sa création en 1954 lui permet de légitimer son homosexualité mais il ne s’agit pas d’une revue politique. De l’autre côté, les partis de gauche qu’il fréquente ne s’intéressent pas à l’homosexualité ou lui sont hostiles. Dans ces conditions, le concept de révolution sexuelle permet à Daniel Guérin de concevoir son homosexualité comme un acte militant dès les années 1950, à une époque où il n’existe pas encore de mouvement homosexuel se définissant comme politique. Pour le chercheur Rostom Mesli, la manière dont Daniel Guérin politise la sexualité contribue à légitimer sa propre sexualité [Mesli, 2015 : 158], mais il s’agit également d’aligner de manière cohérente sa sexualité et ses idées politiques. Quant à Boris Fraenkel, s’il est contraint, en raison de l’homophobie du PCI, à rester discret sur ses possibles pratiques homosexuelles, ses écrits lui permettent d’aborder publiquement les questions sexuelles sans s’exposer personnellement. C’est donc à partir d’expériences vécues et indicibles au sein des vieilles organisations marxistes que ces intellectuels aux pratiques homosexuelles ont forgé le concept de révolution sexuelle : l’expérience de sexualités minorisées a nourri une volonté de remettre en cause l’orthodoxie militante marxiste. Dans les années 1960, le personnel et le politique s’entrecroisent, à la fois pour « changer la vie » et refonder la critique du capitalisme.

La révolution sexuelle des étudiant·e·s : l’émergence d’une parole nouvelle

23 À partir du milieu des années 1960, des jeunes s’approprient les théories de la révolution sexuelle. Qui sont-il·elle·s ? Lycéen·ne·s, étudiant·e·s en sciences humaines, habitant·e·s de cités universitaires, il est difficile de connaître leurs caractéristiques sociales puisque la plupart des tracts et journaux sont anonymes.

24 En convoquant la révolution sexuelle, ces étudiant·e·s poursuivent des objectifs propres : il ne s’agit plus de renouveler la théorie marxiste mais de politiser leurs problèmes quotidiens, en particulier la « répression sexuelle » de la jeunesse. Inventant de nouvelles modalités de lutte pour la sexualité libre, il·elle·s organisent des grèves et occupations dans les cités-universitaires à travers la France entre 1965 et 1968 et font de la sexualité une référence omniprésente pendant mai-juin 1968, particulièrement dans les graffitis. Comment expliquer la politisation de la révolution sexuelle par les milieux étudiants ?

Des intellectuel·le·s aux étudiant·e·s : décloisonnements, circulations et hybridations

25 Dans les années qui précèdent 1968, les universités sont le terrain de rencontres entre intellectuels, majoritairement masculins, écrivant sur la sexualité et étudiant·e·s. De la misère en milieu étudiant, texte situationniste évoquant la question sexuelle, circule dans de nombreuses facultés grâce à la présence de jeunes dans les rangs de l’Internationale situationniste et à la victoire médiatisée des situationnistes aux élections syndicales étudiantes de Strasbourg en 1966 [Trespeuch-Berthelot, 2015 : 199-220]. Certain·e·s intellectuel·le·s influencent les étudiant·e·s par leurs cours à l’université : c’est le cas d’Henri Lefebvre qui organise un cours intitulé « Sexualité et société » à Nanterre en 1966-1967 et qui fait découvrir Marcuse à ses étudiant·e·s [Zancarini-Fournel, 2008 : 29]. Inversement, de jeunes militant·e·s, souvent membres de groupes anarchistes ou de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), invitent les intellectuels à exposer leurs thèses dans des conférences qu’ils organisent : Boris Fraenkel et la psychologue Claude Revault-d’Allonnes (qui travaille à l’époque sur la sexualité des jeunes sans être particulièrement politiquement engagée) interviennent à Nanterre en 1967 et 1968 sur Wilhelm Reich et la répression sexuelle. Les étudiant·e·s diffusent des bibliographies comprenant de nombreux textes théoriques (ouvrages de Wilhelm Reich, textes d’Engels sur la famille, etc.), lisent le numéro de Partisans sur la sexualité, discutent Eros et civilisation de Marcuse et éditent des livres ronéotés de Wilhelm Reich, encore peu diffusés en France avant 1968 [Duteuil, 1988 : 116 ; Trebitsch, 2008]. Si les jeunes hommes sont probablement majoritaires dans ces groupes politiques, des étudiantes y étaient impliquées et s’intéressaient à ces textes [9].

26 L’« offre de sens disponible » que représentent ces théories n’est pas simplement absorbée par les étudiant·e·s : comme l’explique Boris Gobille, elle est « braconnée, individuellement ou collectivement, dans des appropriations obliques qui n’ont pas toujours, voire peu souvent, la connaissance théorique pour principe, mais des usages directement destinés à conférer du sens à l’expérience préalable » [Dammame et al., 2008 : 287]. Ainsi, les théories rencontrent les préoccupations des jeunes qui vont, ainsi, définir leur propre révolution sexuelle. Ils appliquent les discours souvent généraux des intellectuel·le·s à la jeunesse et à ses conditions de vie, notamment dans les cités universitaires : la sexualité passe des revues théoriques aux tracts distribués dans les couloirs des universités.

27 En effet, les règles strictes régissant la vie des résident·e·s dans les cités-universitaires les prédisposent à être particulièrement réceptif.ve·s aux théories de la révolution sexuelle. Ces dernières comblent un besoin pratique : les jeunes cherchent à construire leur lutte politique pour la sexualité libre et les mobilisations se jouent dans les lieux même où ces pensées circulent. Dès 1965, les étudiant·e·s de la résidence d’Antony manifestent pour la mixité des bâtiments et le droit de circulation entre filles et garçons. La lutte s’étend en 1967 à de nombreuses cités universitaires françaises [Seidman, 2004 ; Zancarini-Fournel, 2016 : 797]. Les étudiant·e·s revendiquent un statut d’adulte et des règles identiques pour les filles et les garçons. Après les premières mobilisations, une véritable campagne est lancée qui vise une politisation radicale de la sexualité à la rentrée 1966 à Nanterre [Duteuil, 1988]. Initiée par un groupe d’étudiants anarchistes, la campagne rejoint les préoccupations de groupes moins radicaux, notamment l’association des résidents de la cité universitaire de Nanterre (ARCUN) et l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) dans une certaine mesure. Les échanges intellectuels qui ont lieu à Nanterre en 1967-1968 s’imbriquent dans ces mobilisations, les conférences et lectures ponctuant les grèves. Les mobilisations prennent souvent la forme d’occupations par les garçons des bâtiments des filles puisque sont contestées les règles inégales qui s’appliquent aux filles et aux garçons. C’est bien l’accès aux bâtiments de résidentes que le ministre de l’Éducation nationale continue à refuser en février-mars 1968 et qui cristallise les oppositions. Ces mobilisations ne traduisent-elles que le point de vue des garçons résidents, qui revendiqueraient ainsi une forme de disponibilité sexuelle des filles ? Certains journaux de l’époque, souvent conservateurs, vont dans ce sens en mentionnant des sondages où seulement 15 % des résidentes approuveraient la liberté de circulation totale dans leurs bâtiments [10]. Mais la réalité est plus complexe. Comme le montrent des photographies de l’occupation des bâtiments des filles de Nanterre en 1967, elles sont présentes avec les garçons. Tout en fournissant une aide matérielle aux étudiants qui passent la nuit dans le couloir de leur résidence [11], les étudiantes ont elles-mêmes parfois effectué des occupations, comme à Nantes en janvier 1968 [12]. Elles sont donc aussi actrices de ces mobilisations pour la liberté de circulation dans les cités universitaires, qui affirment au fond qu’« une résidente n’est pas moins responsable qu’un résident » comme on peut le lire sur un tract à Dijon en février 1968 [13]. Cela n’empêchera pas, toutefois, les mobilisations étudiantes pour la révolution sexuelle d’oblitérer bien souvent la question des droits des femmes.

28 Les grèves dans les cités universitaires popularisent l’approche radicale de la sexualité dans certains lycées et certaines universités. Le journal central de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), Avant-garde jeunesse, et plusieurs brochures locales des groupes JCR relaient les grèves et articulent progressivement une pensée politique de la sexualité. Les militant·e·s parlent de « liberté sexuelle » et de « répression sexuelle » entre 1966 et 1969, ils et elles citent Reich et Partisans[14]. Ils et elles insistent particulièrement sur le droit à l’éducation sexuelle et l’accès à la contraception, tout en revendiquant un point de vue plus radical que le Planning familial. Après les événements de 1968, les références à la sexualité se multiplient, notamment chez les lycéen·ne·s [15]. Les grèves et les échanges ont ainsi contribué à l’intégration de la révolution sexuelle parmi les revendications des jeunes et dans l’espace public plus généralement. La politisation de la sexualité n’est, d’ailleurs, pas un phénomène parisien : elle est évoquée dans les journaux locaux de la JCR, implantés dans diverses villes françaises [16] et qui expriment les convictions d’étudiant·e·s, mais aussi de lycéen·ne·s et même parfois de jeunes travailleur·se·s.

29 Les appropriations étudiantes de la révolution sexuelle illustrent la reconfiguration des frontières sociales qui se joue dans les années 1968 [Gobille, 2008 ; Bantigny, 2018]. De ces décloisonnements, naît la rencontre de deux types de savoirs, que Foucault a rassemblés sous l’expression de « savoirs assujettis », en soulignant la spécificité du moment 68 où une forme de savoir minoritaire intellectuel et un savoir construit au ras du sol, dans l’expérience quotidienne, se rencontrent et produisent une critique sociale particulièrement efficace [Foucault, 1997].

Sexualité et graffitis en Mai 68

30 Les mobilisations du début de l’année 1968 à Nanterre propulsent à nouveau la sexualité sur le devant de la scène, notamment avec la couverture médiatique de l’interpellation du ministre de la Jeunesse et des Sports François Missoffe par Daniel Cohn-Bendit à propos de son silence sur la répression sexuelle des étudiant·e·s. En mai, les grèves pour la mixité passent au second plan [Seidman, 2004], mais les références à la sexualité se multiplient sur les tracts, les affiches et surtout les graffitis. Elles en viennent ainsi à peupler l’espace public. Sur les murs de 1968, faire l’amour devient en soi une pratique révolutionnaire. Les célèbres formules « Plus je fais l’amour, plus j’ai envie de faire la révolution, plus je fais la révolution, plus j’ai envie de faire l’amour » et « Make love, not war » illustrent à quel point révolution et sexualité font partie d’un mouvement commun et sont censées se nourrir mutuellement. D’autres slogans moins mythifiés, peints sur les murs de la capitale et des universités françaises, exhortent à expérimenter une vie sexuelle différente : « Vive l’union libre » lit-on à l’Odéon, ou encore à Nanterre « Amour libre. (Mais pas ici !) Pourquoi ? Tout y est prévu pour l’amour aliéné ». D’autres encore invitent à expérimenter de nouvelles sexualités : « Inventez de nouvelles perversions sexuelles », peut-on lire devant la cafétéria de Nanterre ou encore à la Sorbonne « Sadiques de tous pays, popularisez les luttes du divin marquis » et « Soyez homosexuels ». Les graffitis incitent les étudiant·e·s à faire immédiatement usage de leurs sexes pour se libérer : « Jouissez ici et maintenant », écrit-on à la faculté de médecine et « Camarades, l’amour se fait aussi à Sc. Po, pas seulement aux champs » [17]. Ces slogans font de l’amour un acte révolutionnaire et contribuent, en outre, à faire de la sexualité un thème légitime pour la théorie révolutionnaire.

Figure 2 – Slogan de Mai 68.

Figure 2 – Slogan de Mai 68.

Figure 2 – Slogan de Mai 68.

31 Cependant, les graffitis ne reflètent pas nécessairement l’avis de l’ensemble des étudiant·e·s. Ils sont souvent le fait de militant·e·s « enragé·e·s », proches du situationnisme et du mouvement nanterrois du 22 mars [18]. Il faut donc les confronter à la myriade de textes produits par les comités d’action étudiants en mai-juin 1968. De plus, comme l’ont souligné de nombreu·x·ses historien·ne·s, ces célèbres formules ne suffisent pas à induire une « révolution sexuelle » [Jackson, 2009 : 215] : elles ne changent pas en soi les pratiques sexuelles. Exposés sous l’œil des passant·e·s amusé·e·s, indifférent·e·s ou hostiles, sous l’objectif des journalistes et artistes, ces slogans n’en méritent pas moins d’être interprétés. Quel est donc le rôle de cette mise en scène et quelle fonction remplit l’affichage public de la sexualité en mai-juin 1968 ?

32 D’abord, afficher la sexualité sur les murs, c’est proposer un nouveau régime de la parole : c’est une « prise de parole » au sens de Michel de Certeau [1994], qui vise ici à faire de la sexualité un sujet politique. Dans le prolongement des intellectuels militants, les étudiant·e·s revendiquent la possibilité de parler publiquement de sexualité. Par là même, ils contribuent à imposer et à diffuser une nouvelle norme discursive, ils affirment une grille d’analyse du monde. Les slogans s’apparentent ainsi à des formes de « scripts sexuels discursifs ». Dans les années 1970, les sociologues américains William Simon et John Gagnon forgent le concept de script sexuel : la sexualité serait structurée et délimitée par des normes sociales et individuelles qui orientent les comportements sexuels des individus. Ainsi, les discours sur la sexualité qui circulent dans une société contribuent à forger les expériences sexuelles individuelles.

33 Ces slogans peints au sein des universités et dans des lieux occupés par les étudiant·e·s. sont, aussi, destinés aux personnes engagées dans les mobilisations qui les fréquentent. Souvent formulés sous forme d’injonction, les graffitis invitent leurs spectateurs à faire de leur sexualité un acte politique, si bien qu’ils ont une visée performative au sein de la lutte. En appelant à faire la révolution sexuelle ici et maintenant, sans attendre « le grand soir », les graffitis incitent les étudiant·e·s à inventer un nouveau mode de vie, à profiter de la perturbation du quotidien qu’offre la grève pour expérimenter. En cela, ils s’opposent à une conception plus conventionnelle des mobilisations collectives, portée, notamment, par les syndicats et les partis comme le PCF : dans leur esprit, la lutte festive contraste avec le sérieux militant. On retrouve chez les étudiant·e·s une opposition aux formes politiques institutionnelles comparable à celle des intellectuels. Mais ces graffitis expriment autre chose que de simples revendications pour la sexualité. En les comparant aux discussions politiques des étudiant·e·s en mai-juin 1968 plus généralement, il apparaît que ces revendications pour la sexualité jouent un rôle bien spécifique.

Une recherche de subversion

34 Omniprésentes dans les graffitis, les références à la sexualité sont plus rares dans les discussions militantes, comme le montrent les archives (tracts, comptes rendus d’assemblées générales, communiqués). Dans la plupart des journaux et des tracts publiés en Mai, nulle mention n’est faite de la sexualité. Comment expliquer la disjonction entre l’affichage public et les espaces militants collectifs ?

Un jeu de performance

35 Inscrire la sexualité sur les murs témoigne d’une volonté de subversion et de provocation. Les slogans ont, d’abord, une visée symbolique : ils renforcent l’opposition entre les mobilisé·e·s et leurs « ennemis », principalement la police et les groupes d’extrême droite présents autour des universités tout au long de Mai 68. Ils contribuent ainsi à marquer symboliquement un territoire à défendre contre ceux et celles qualifié·e·s de réactionnaires [Mathieu, 2008 : 203]. En gravant « Vivez sans temps mort, jouissez sans entrave », les étudiant·e·s affirment une énergie sexuelle et vitale sensée manifester leur puissance révolutionnaire, leur détermination politique et existentielle face à leurs opposant·e·s. Plus largement, faire référence à la sexualité dans le contexte de Mai 68, c’est tenter de secouer le « vieux monde », choquer les passant·e·s, faire réagir une société sclérosée. La célèbre photographie de Cartier-Bresson montrant un vieil homme vêtu d’un costume qui observe du coin de son œil désapprobateur le graffiti « Jouissez sans entrave » témoigne de l’efficacité de cette provocation. La sexualité est, d’ailleurs, l’un des points névralgiques de l’opposition entre les manifestant·e·s et leurs adversaires qui s’en sont souvent emparé pour stigmatiser et délégitimer les mouvements étudiants. Les services de renseignements s’inquiétaient dès 1967 des situationnistes qui prônent, notamment, « la jouissance sexuelle sans entraves » [Trespeuch-Berthelot, 2015 : 205] et en 1968, le groupe d’extrême droite Occident dénonce les « orgies » des étudiant·e·s.

36 À l’inverse, invoquer la sexualité, ou plutôt l’amour, entoure la lutte politique d’une aura sympathique, en l’enveloppant d’un récit lyrique et héroïque. Un slogan comme « Embrasse ton amour sans lâcher ton fusil » ne reflète en rien la réalité de la grève mais emprunte les codes héroïques romantiques pour rendre le combat politique attirant. Les étudiant·e·s ne déplorent pas seulement la répression des instincts sexuels mais aussi une trop rare valorisation de l’amour. L’amour est souvent convoqué et valorisé dans les slogans. « On n’est pas amoureux de 2 % ni même de 4 % », tague-t-on à Sciences Po ou encore « Qui parle de l’amour détruit l’amour » à Nanterre. Le recours aux sentiments permet de représenter la lutte émotionnellement et de la justifier au nom de la recherche de l’amour, valeur idéale à laquelle personne ne pourrait vraiment s’opposer. Les slogans sur la sexualité s’intègrent donc à un double jeu de provocation et de séduction avec les spectateurs et les spectatrices des mobilisations, qui circulent dans les centres-villes ou lisent les journaux. Tout en réutilisant un thème politique popularisé par certains intellectuels et par les luttes étudiantes d’avant 1968, les mobilisé·e·s du mois de mai convoquent la sexualité pour les symboles qu’elle véhicule : provocation, transgression et héroïsme. Il·elle·s participent à la circulation du script sexuel discursif associant sexualité et révolution vers un public plus large. L’intense médiatisation des luttes étudiantes pour la mixité dans les résidences universitaires et des slogans sur la sexualité a fortement contribué à la circulation de ces idées. La place qu’occupent aujourd’hui encore ces slogans dans les mémoires de Mai 68 témoigne de leur intense diffusion et de leur fort impact symbolique.

37 Bien que les discussions politiques sur la sexualité soient rares dans les archives militantes, le thème est abordé par quelques groupes : la commission « Nous sommes en marche » de la faculté de lettres de Censier, certains comités lycéens et groupes anarchistes, le comité d’action Freud-Che Guevara et le Comité révolutionnaire d’agitation sexuelle (CRAS) en lien avec le plus célèbre Comité révolutionnaire d’agitation culturelle (CRAC). Tous constitués à l’occasion des événements, ces groupes convoquent peu de références intellectuelles. La sexualité est plutôt évoquée sous forme de critiques créatives de la vie quotidienne. Ainsi, des textes aux accents tantôt lyriques tantôt humoristiques maintiennent une logique de mise en scène. Dans un tract du 19 mai 1968, le comité Freud-Che Guevara invite, par exemple, à participer à une grande fête de libération dans les jardins du Luxembourg, « pour protester contre l’atmosphère viciée de la ville de Paris et la répression sexuelle » [19]. Dans un tract loufoque à la typographie volontairement fantasque, le CRAS appelle également à célébrer la sexualité :

38

Nous comité révolutionnaire d’AGITATION SURSEXUELLE appelons à la COPULATION collective et révolutionnaire.
A savoir  : sécrétion à un éCHElon international au ventre de toute Société du VENIN CRASISTIQUE. [20]

39 Le ton se veut ironique et la mise en page créative. S’il atteste de discussions sur la sexualité, ce tract est surtout une mise en scène de la subversion.

40 D’autres réflexions se veulent plus sérieuses et théoriques, particulièrement celles de la commission « Nous sommes en marche » qui souhaite politiser des enjeux intimes. Elle est à l’origine d’un texte, affiché à la Sorbonne en juin 1968, où le couple, la famille, les relations aux enfants et l’éducation sexuelle sont traités comme éminemment politiques. Pour ce groupe de militant·e·s, la vraie révolution sexuelle est d’ordre structurel. En effet, il·elle·s déplorent : « La “révolution sexuelle” n’a été qu’une mini-jupe faisant l’amour avec une voiture de sport dans les pages publicitaires d’un hebdomadaire-de gauche-de-luxe » et prônent au contraire une « révolution sexuelle qui remet TOUT en cause » [21]. D’ailleurs, ces militant·e·s accordent une certaine attention à l’oppression des femmes, ce qui encourage des féministes présentes à la Sorbonne en mai-juin 1968 à participer à leurs réunions. Par ailleurs, les féministes du groupe FMA – considéré comme l’un des précurseurs du Mouvement de libération des femmes qui fleurit en 1970 – débattent de la sexualité avec d’autres militant·e·s en Mai 68. Dans un témoignage, Jacqueline Feldman relate des bribes d’échanges entre féministes et militants marxistes, à l’occasion de la diffusion du manifeste de FMA dans la Sorbonne occupée :

41

Un couple prit nos tracts avec intérêt, ce qui se remarquait. L’homme les lit rapidement : « C’est bien, dit-il, mais ce n’est pas assez. Il faut être reichien. » Nous remarquâmes qu’il avait parlé, et qu’elle s’était tue. Néanmoins, je retins le conseil : il fallait lire un certain Reich. Qui vint d’ailleurs sur le marché, et que je découvrais en même temps que le quartier Latin. Oui, il y avait bien des choses intéressantes dans Reich, enfin une tentative théorique pour parler des femmes, de la sexualité, de la famille, en termes marxistes : il faisait ce lien qui nous était nécessaire… [Feldman, 2009 : 198-199]

42 Malgré la posture dominante de ce militant et l’écho limité des féministes en 1968 [Zancarini-Fournel, 2002], une ébauche de rencontre s’esquisse autour des théories radicales de la sexualité. Les féministes de FMA vont même correspondre avec Daniel Guérin dans les mois qui suivent les événements de 1968 pour organiser avec lui une conférence sur Wilhelm Reich et la répression sexuelle. Toutefois, l’anecdote de Jacqueline Feldman et la difficulté du dialogue entre intellectuels et féministes qu’elle décrit, révèle que les échanges sont plutôt unilatéraux. En effet, la révolution sexuelle défendue en mai-juin 1968 émane d’un point de vue éminemment situé dans les rapports sociaux de sexe et de sexualité.

Une performance androcentrée et hétéronormée

43 Malgré une ambition universelle, les théories de la révolution sexuelle et les graffitis véhiculent un point de vue particulier, majoritairement masculin et hétérosexuel. Les graffitis font par exemple référence à la matérialité de l’éjaculation, plutôt masculine, tel que « Je jouis dans les pavés », inscrit sur les murs de Nanterre. Comme l’indique ce slogan à la faculté de médecine de Paris : « Jeunes femmes rouges toujours plus belles », le point de vue féminin est absent, l’oppression des femmes est ignorée et leur figure est seulement utilisée pour rendre la révolution attractive. Le point de vue masculin est également perceptible dans les publications intellectuelles. Les situationnistes réalisent des montages photographiques et des dessins représentant des femmes dénudées pour faire passer certains messages politiques, se servant de l’attrait et de la subversion qu’elles véhiculent [Bantigny, 2017 : 203]. Dans ces diverses représentations, les militantes sont objectifiées et esthétisées : plus que leurs droits, c’est leur beauté qui intéresse car elle s’intègre à un récit des mobilisations à la fois héroïque et érotique. Les rapports de genre dépeints sont finalement assez conservateurs et la domination masculine n’est pas questionnée. Daniel Guérin est l’un des seuls auteurs à mettre la situation des femmes au centre de sa réflexion sur la sexualité, dénonçant le « patriarcat » dès 1955 dans Kinsey et la sexualité [Guérin, 1955 : 97]. Aucune femme n’écrit sur la sexualité dans les revues Arguments et Partisans et le patriarcat ne figure pas dans les discussions sur l’évolution des mœurs. Dans Partisans, malgré quelques articles sur la contraception, la « question féminine » est globalement absente. Les auteurs accordent plus d’attention aux jeunes et aux classes ouvrières. Seul Jean-Marie Brohm, militant trotskyste et professeur de sport à l’époque, met l’accent sur l’oppression sexuelle des femmes, citant Simone de Beauvoir. Il invite d’ailleurs les milieux marxistes à se réapproprier la lutte pour les droits des femmes contre « les associations petites-bourgeoises » [1966 : 40], révélant ainsi la tension à cette époque entre lutte pour la sexualité libre et féminisme. En effet, parler de sexualité ou de droits des femmes n’est pas forcément équivalent [Rubin, 2003] et les intellectuels de la révolution sexuelle des années 1950-1960 traitent bien l’un sans l’autre, et parfois contre l’autre.

Figure 3 – Photographie de Jo Schnapp, extraite de L’Imagination au pouvoir (© Éditions Allia, 2018).

Figure 3 – Photographie de Jo Schnapp, extraite de L’Imagination au pouvoir (© Éditions Allia, 2018).

Figure 3 – Photographie de Jo Schnapp, extraite de L’Imagination au pouvoir (© Éditions Allia, 2018).

44 Par de nombreux rapprochements entre jouissance et performance, les graffitis glorifient une sexualité virile. Avant même 1968, la jouissance et l’orgasme concentrent l’intérêt des intellectuels, sans doute en partie sous l’influence du livre de Reich La Fonction de l’orgasme [1927], mais peut-être également des recherches des Américain·e·s William Masters et Virginia Johnson de 1964 sur la stimulation sexuelle. Dans son traité à destination de la jeunesse en 1966, Raoul Vaneigem se réfère, constamment, à l’idéal de la jouissance et pose l’orgasme comme modèle ultime d’un rapport au monde épanouissant. Dans de nombreux slogans de 1968, l’injonction à la performance renvoie à l’énergie révolutionnaire : le potentiel révolutionnaire des individus se mesure à l’aune de leur énergie sexuelle. Sur les murs de Nanterre, l’un des rares graffitis qui prend un point de vue féminin établit ce parallèle : « L’aptitude de l’étudiant à faire un militant de tout acabit en dit long sur son impuissance. Les filles enragées. » Un véritable militant serait, par ailleurs, un bon amant.

45 La plupart des discours sur la révolution sexuelle comportent, ainsi, un biais hétérosexiste. En employant l’expression « se faire baiser » pour désigner l’exercice du pouvoir hiérarchique, en représentant des hommes politiques sodomisant ceux sur lesquels s’exercent leur pouvoir, les militant·e·s établissent une hiérarchie des sexualités, suggérant que les relations homosexuelles ne pourraient être que subies. Le pouvoir est sexualisé et la sodomie en vient à symboliser l’humiliation et la soumission, à l’inverse d’une sexualité « active » qui révèlerait l’entrain révolutionnaire. Dans la plupart des revues ou ouvrages, l’homosexualité n’est, d’ailleurs, pas discutée. Seul Daniel Guérin introduit une politisation radicale de la sexualité homosexuelle avant les années 1970. Le point de vue hétérocentré de la révolution sexuelle des années 1960 est à mettre en regard avec l’indifférence, voire même l’hostilité, envers l’homosexualité en mai-juin 1968, soulignée par de nombreux chercheurs [Martel, 1996 ; Jackson, 2009].

46 Cette révolution sexuelle virile et hétérocentrée des années 1960 est contestée à partir du début des années 1970, quand féministes, militant·e·s gays et lesbiennes s’approprient le thème de la sexualité et questionnent l’hégémonie des discours des hommes hétérosexuels. Émergent alors de profondes critiques, émanant de divers points de vue. Des féministes dénoncent un certain aveuglement sur la question de l’oppression des femmes et entendent recentrer les discussions sur la sexualité en partant de leurs expériences. À la fin des années 1960, les féministes de FMA font le bilan de cette révolution sexuelle, en affirmant dans l’annonce d’une conférence qu’elles organisent avec Daniel Guérin :

47

Mais pour qu’il y ait réelle libération sexuelle il faut se libérer du capitalisme patriarcal, libérer réellement les femmes et libérer les minorités sexuelles. Reich l’a démontré il y a plus de trente ans. Nous savons qu’aucune des trois conditions n’est remplie. Pour l’heure nous assistons donc à la récupération de la révolution sexuelle par la minorité bourgeoise à son profit matériel et moral [22].

48 Si elles remettent en cause les priorités des discussions qui les ont précédées, les féministes s’appuient encore sur les mêmes réseaux et les mêmes références (Reich, Guérin…). Dans les années 1970, la critique se fait plus acerbe. Les militantes du Cercle Dimitriev, groupe de tendance marxiste du Mouvement de libération des femmes, affirment dans leur bulletin interne en 1972 que la révolution sexuelle est bourgeoise en ce qu’elle est une lutte d’avant-garde, qu’elle est récupérée par le système capitaliste commercial, qu’elle promeut ultimement la bonne entente sexuelle du couple hétérosexuel et enfin, qu’elle est utilisée par les hommes, grâce à la légalisation de la contraception, pour opprimer les femmes en les considérant comme sexuellement disponibles : « Tu couches pas, donc t’es pas libérée ». Les critiques de la révolution sexuelle se déclinent ensuite selon divers positionnements féministes mais insistent presque toujours sur les usages instrumentaux du concept, au bénéfice de la classe des hommes [Ruault, dans ce dossier].

49 Le développement des mouvements homosexuels reconfigure, également, cette révolution sexuelle hétérocentrée. Dans son texte manifeste de 1971, le FHAR souligne le conservatisme d’un Reich érigé en symbole de libération alors qu’il considère l’homosexualité comme pathologique. Les militant·e·s du FHAR rompent avec un certain héritage de la révolution sexuelle : « on construira notre propre politique, sur notre vie et notre lutte, parce qu’on ne leur fait pas confiance » [FHAR, 1971 : 36]. Les Gouines rouges, qui se séparent du FHAR en 1971, vont plus loin, en affirmant que l’homosexualité en tant que telle est un acte révolutionnaire et qu’elle est même la seule option véritablement révolutionnaire. Comme le montre Ludivine Bantigny, de nouveaux discours sur la sexualité, qui se revendiquent comme radicaux et parfois marxistes, se posent la question de « l’équilibre à trouver […] entre la politisation de la sexualité et la lutte de classe à préserver comme priorité » [2013 : 31].

Conclusion

50 Dans les années 1960, la sexualité est de plus en plus discutée et légitime parmi des militant·e·s de gauche insatisfait·e·s des partis. Dans un premier temps théorisée par des intellectuel·le·s, la révolution sexuelle devient ensuite une préoccupation étudiante. Le concept de révolution sexuelle circule entre les différents groupes, recouvrant chaque fois des objectifs différents. L’émergence des discours sur la révolution sexuelle s’inscrit dans un mouvement transnational de politisation radicale de la sexualité. Les significations que prend le concept varient toutefois avec les contextes nationaux : en Allemagne de l’Ouest par exemple, la libération radicale de la sexualité est envisagée par les étudiant·e·s comme une remise en cause des héritages non questionnés du nazisme dans les années 1960 [Herzog, 2005]. En France, jusqu’à la fin des années 1960, la révolution sexuelle n’est que rarement utilisée comme un concept féministe et elle justifie souvent des discours hétérosexistes. Les intellectuel·le·s et militant·e·s féministes et homosexuel·le·s vont, cependant, progressivement s’intéresser à ce concept, se l’appropriant pleinement au début des années 1970 en questionnant radicalement les termes du débat sur sexualité et révolution [Chauvin, 2005 ; Bantigny, 2013].

51 Largement médiatisée pendant les événements de mai-juin 1968, notamment à travers des clichés célèbres, la révolution sexuelle a ensuite été immortalisée par des films, des chansons et des romans mythifiant et commémorant Mai 68 comme un évènement d’ordre culturel. Tandis que des historiennes déplorent cette approche culturaliste [Zancarini-Fournel, 2008 ; Ross, 2010], de nombreux intellectuel·e·s et personnalités politiques s’appuient sur cette représentation pour remettre en cause la légitimité des mobilisations et des revendications. De la même manière que le groupe d’extrême droite Occident utilisait la libération sexuelle pour décrédibiliser la lutte politique en cours le 20 mai 1968 en affirmant dans un tract « LES ÉTUDIANTS N’ONT RIEN A FAIRE DES PITRERIES DE L’ODEON NI DES ORGIES DE LA SORBONNE ! » [Vidal-Naquet et Schnapp, 1969], les critiques de l’héritage de Mai 68 ont longtemps accordé une large place à la sexualité, déplorant sa promotion d’un hédonisme sans retenu. Alors que l’on célèbre les 50 ans de Mai 68, la révolution sexuelle qui lui est associée est invoquée pour disqualifier les féministes et leurs critiques des rapports de pouvoir. En 2018, la philosophe Bérénice Levet se lamente dans Valeurs actuelles : « L’hédonisme de Mai 68 est loin, très loin de nous. Cinquante ans plus tard, la chair est triste. L’heure est à la criminalisation du désir masculin […] » et Bernard-Henri Lévy rêve à un nouveau Mai 68 où « les hommes et les femmes cesseraient d’aller chacun de leur côté et les amoureux, les amoureuses, les amis du désir et de la passion balanceraient, non des porcs, mais des pavés sur les instigateurs du nouvel ordre moral qui s’annonce » [2018]. Comme dans les années 1960, les discours sur la révolution sexuelle sont animés par une volonté de subvertir un ordre mais ils demeurent traversés par des représentations genrées autour desquelles se nouent des enjeux de pouvoir et de lutte. 

Bibliographie

Références bibliographiques

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Mots-clés éditeurs : Sexualité, 1968, Militantisme, France, étudiants

Mise en ligne 14/05/2019

https://doi.org/10.3917/ethn.192.0277

Notes

  • [1]
    Thèse préparée à l’université de Bristol et dont le titre provisoire est : « Inventing the sexual revolution in France, 1945-1970 ».
  • [2]
    Charles Fourier écrit par exemple Le Nouveau Monde amoureux entre 1817 et 1819 (qui ne sera publié qu’en 1967). E. Armand publie divers textes sur la liberté sexuelle dont La Camaraderie amoureuse en 1930.
  • [3]
    L’intellectuel Boris Fraenkel qui y militait raconte que personne ne parlait de sexualité au PCI [Combe, 2000]. Des notes prises par des membres du parti en 1966 qualifient la sexualité de thème petit-bourgeois (Dossier « Exclusion de Boris Fraenkel de l’OCI en 1966 », fonds Stéphane Just, F delta res 777/0/38/231, La Contemporaine, Nanterre).
  • [4]
    Dans un entretien réalisé en 2000, son ex-femme raconte : « d’un seul coup on s’est aperçu, comme une révélation, que Reich c’était pas une ligne correcte pour les révolutionnaires et Marcuse encore pire » [Combe, 2000].
  • [5]
    C’est ce que révèle le titre du premier numéro d’Arguments qui aborde ces questions, en 1960 : « Anthropologie, marxisme et psychanalyse » avant même que le terme de freudo-marxisme ne soit popularisé dans la deuxième partie des années 1960.
  • [6]
    À cette époque, de nombreux psychanalystes français se revendiquent du marxisme [Gabarron-Garcia, 2016].
  • [7]
    La question de rapports de ces intellectuel·le·s aux champs artistique, intellectuel et politique mériterait d’être approfondie. Sur les liens entre intellectuels et communisme, voir notamment les travaux de Bernard Pudal [1989] et Frédérique Matonti [2005].
  • [8]
    Si l’association est officiellement déposée en 1969, ses archives révèlent qu’elle fonctionnait de façon informelle depuis novembre 1967.
  • [9]
    Prisca Bachelet, étudiante à la Sorbonne dans les années 1960, raconte par exemple qu’elle s’intéressait à Reich et aux théories dissidentes de la psychanalyse [Gildea, Mark et Warring, 2013 : 107].
  • [10]
    La Croix, « Un étudiant de la résidence de Nanterre : je n’aimerais pas être à la place du recteur », 12 avril 1967.
  • [11]
    L’Aurore, « La chaude nuit de Nanterre », 23 mars 1967.
  • [12]
    Combat, « Les enragés de Nantes », 24 juin 1968.
  • [13]
    Tract de l’association des résidents de Dijon, 12 février 1968, Archives départementales de la Côte d’Or, Dijon, W 20197.
  • [14]
    Avant-garde jeunesse et bulletins locaux, Jeunesse Communiste Révolutionnaire (1966-1968), en ligne sur : association-radar.org.
  • [15]
    Divers tracts sont reproduits dans un journal de parents d’élèves publié en 1970. Distribués dans des lycées de la région parisienne et de Nantes, ils reconnaissent l’aspect politique de la sexualité et revendiquent la sexualité comme un acte révolutionnaire. « Gangrène morale », La Quinzaine universitaire, 1 avr. 1970 ; fonds Comités d’action lycéens, La Contemporaine, Nanterre GF delta 0113/1.
  • [16]
    Les journaux locaux de la JCR qui parlent de sexualité sont notamment publiés par des jeunes de Normandie (Caen et Rouen), d’Alsace, du Sud-Est (autour de Cannes, de Marseille), de Lyon ou encore de la Sarthe.
  • [17]
    Ces slogans sont issus d’ouvrages qui rassemblent des graffitis de Mai 68 [Besançon, 1968 ; Enragés anonymes, 1998].
  • [18]
    Le mouvement du 22 mars est un mouvement politique auto-organisé qui naît à Nanterre le 22 mars 1968 et qui contribue au déclenchement de Mai 68.
  • [19]
    Ce tract est reproduit dans la collection éditée par les historiens Alain Schnapp et Pierre Vidal-Naquet [1969 : 370].
  • [20]
    Tract du CRAS, mai 1968, fonds « Tracts de Mai 1968 », BNF, Paris, Mfiche Lb61-600, microfiche doc. 4676 à 4708.
  • [21]
    Commission « Nous sommes en marche », « Le silence et la violence », 6 juin 1968, BNF Paris.
  • [22]
    Brouillon du texte « Révolution sexuelle ou érotisme bourgeois ? Révolution sexuelle ; actes ou parole ? », 1968-1969, fonds Anne Zelensky, bibliothèque Marguerite Durand, Paris.
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