Notes
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[1]
À la fin de la deuxième guerre balkanique (1913), d’autres mouvements de populations avaient eu lieu entre la Bulgarie et la Grèce.
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[2]
Réglé par le traité de Lausanne du 24 juillet 1923.
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[3]
Μπαμπω donnerait Mpampo – et non Bαßω, Babô – si l’on translittérait en alphabet latin ces caractères grecs sans tenir compte de la phonétique. Dans la langue ancienne (archaïque, classique, hellénistique, koinè comprise), la lettre « ß » (« B » en capitale) se prononçait à peu près comme un [b] français. En revanche, dès le grec médiéval et jusqu’à aujourd’hui, elle rend le son [v] ; le grec moderne emploie donc la graphie µπ, « mp » (diphtongue qui « voise » le π sourd) pour le phonème /b/ qu’aucune lettre simple de son alphabet conservateur ne peut plus dénoter depuis longtemps.
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[4]
On dit qu’il y a peu, certains hommes feignaient même de donner la tétée aux bébés. Mais ces échanges de rôles connaissent des limites : pendant la journée où règne l’inversion, les mères de famille passent à la maison de temps en temps – elles ne font pas vraiment confiance à leur mari pour surveiller et nourrir les enfants aussi bien qu’une femme.
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[5]
À moins qu’il ne s’agisse, en tout cas de temps à autre, d’une sorte de jeu, commedia dell’arte représentée sur la scène villageoise par des acteurs qui en sont à la fois spectateurs.
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[6]
Je mentionne au passage l’idée de rapprocher pour les distinguer deux types de fait social relevant d’une même logique ; d’un côté le « personnage culturel » de l’« idiot du village » laconien, que j’ai étudié il y a longtemps, et qui figurait souvent une inversion quasi formelle mais permanente et individuelle des statuts de genre [Xanthakou, 1989] ; de l’autre côté, nous y sommes, le Jour de Babô, cette inversion certes formelle, mais collective, institutionnalisée et temporaire, celle-là.
-
[7]
Ou Déméter Thesmophoros, « Celle-qui-apporte-les-lois » (notamment la loi du mariage, qui permit aux femmes, d’après les anciens mythographes, de devenir « mieux » que de simples concubines).
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[8]
En grec moderne, on prononcerait Vauvô (ou Vavvô) ; mais en langue ancienne, le β (maj. B) se prononçait [b] (cf. supra, n. 3), d’où la translittération adoptée ici : Baubô, phonétiquement très voisin de notre Babô « moderne », ce qui appuie certains rapprochements.
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[9]
Le nom commun iambè se rapporte à un genre de versification inventé par Arkhilokos de Paros pour ses poèmes souvent satiriques et très crus, mais pourrait aussi désigner un type de danse.
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[10]
Les Mystères d’Éleusis, Ɛλευσίνια Μυστήρια, relevaient d’un culte ésotérique consacré à la Déméter Karpophoros (« Fertile ») et à Perséphone ; effectués dans le temple de Déméter à Éleusis (20 km au sud-ouest d’Athènes), tout hellénophone pouvait y être initié. Les Thesmophories, Θεσμοφόρια, étaient aussi accomplies en l’honneur de Déméter mais dans son rôle de Thesmophoros (« Porteuse-de-lois, -d’institutions »).
-
[11]
Gephurismoí, Γεφυρισμοί, « railleries grossières » pour les Mystères d’Éleusis ; Anásurma, Aνάσυρμα, « exhibitions obscènes » pour les Thesmophories.
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[12]
Curiosité à creuser : dans l’entrée « Baubô » de son dictionnaire, P. Grimal (1976 [1951] : 64) expose ceci. Baubô est la femme de Dysaulès ; à Éleusis, tous deux accueillent Déméter accompagnée du petit Iakkhos, et Baubô lui offre un « potage » que la déesse endeuillée refuse. Alors Baubô, pour l’égayer, « retrousse ses vêtements et lui montre son derrière ». Iakkhos « applaudit » et Déméter, « amusée », se met à rire puis accepte le potage. Version édulcorée, ad usum Delphini ? C’est à voir.
1 Au-delà de l’information ethnographique présentée, ce texte relève de l’un des questionnements qui me préoccupent depuis mes premières recherches, à savoir les choix possibles entre trois sortes d’explications, avec leurs alliages éventuels – options concevables lorsque s’y prête l’objet empirique. Dans le désordre : l’explication qui renvoie à des « faits généraux », voire à des invariants ; celle par les ascendances, les enchaînements historiques ou des « phénomènes antécédents » (pour aller vite) ; puis celle – si c’en est une ! – invoquant la singularité essentielle et irréductible de chaque réalité sociale ou culturelle, de chaque société à tel moment de son histoire. Ces problèmes se discernent en arrière-fond des pages qui suivent, implicitement parfois.
2 Avant d’en venir au vif du sujet, voici deux remarques. En premier lieu, employer dans les trois cas ci-dessus mentionnés le terme d’« explication » est trop sommaire ; il faudrait aussi consigner celui d’interprétation, notamment. En second lieu, Georges Devereux [1983] a publié en français un ouvrage ethnopsychiatrique recoupant la seconde partie du texte qui suit, ultérieurement, donc, à mon enquête initiale sur le Jour de Babô effectuée en 1981. Beaucoup plus tard, Françoise Grégnac [1999] a soutenu une thèse sur certains des faits dont ma première partie fournit un aperçu ; et, déjà bien avant ces deux ouvrages et le présent article, Iphigénie Anastassiadou [1976], faute d’enquête de terrain, présentait une synthèse intéressante de certains écrits des laographes (folkloristes) grecs sur le passé récent du cérémonial en question, dont j’ai tiré quelque profit quant aux données historiques ; les sources antiques m’ont surtout été fournies par un long article de Maurice Olender [1985].
Tout à l’envers ?
3 « Ma fille, en arrivant ici, nous apportions dans des baluchons nos affaires, nos vêtements, mais aussi nos coutumes à nous, un peu différentes des vôtres… ». Voilà ce que me disait en 1981 une vieille Macédonienne « réfugiée d’Asie Mineure ». Parmi les traditions évoquées, comptait au premier chef le cérémonial festif du Jour de Babô. Dans la Grèce contemporaine, cette institution n’existe justement qu’en Macédoine et en Thrace, deux régions du nord et du nord-est du pays, où sont installés, entre autres, de nombreux descendants des réfugiés grecs qui furent expulsés du Proche-Orient [1], en raison de ce que l’on appelle « l’échange des populations », conséquence de la guerre gréco-turque de 1919-1922. À l’issue du conflit, la victoire des Turcs républicains de Mustapha Kemal Atatürk (« Père des Turcs ») força la Grèce à rendre des territoires d’Anatolie et de Thrace orientale qu’Athènes avait annexés suite au démembrement de l’empire Ottoman après la victoire des Alliés au sortir de la Première Guerre mondiale. Les Grecs connaissent encore cette défaite sous le nom de « Grande catastrophe » et surtout de « Catastrophe d’Asie Mineure ».
4 Pour éviter que de terribles massacres continuent, puisqu’il restait des Turcs habitant la Grèce et surtout des Grecs vivant en Turquie – dont quelques-uns avaient de très lointains ancêtres établis là-bas depuis l’Antiquité –, les deux camps acceptèrent alors ce fameux « échange » [2] : près d’1,5 millions de chrétiens grecs de Turquie contre presque 400 000 Turcs musulmans de Grèce, chacun « rentrant chez soi ». (Il existe encore aujourd’hui un certain nombre de turcophones en Grèce et d’hellénophones en Turquie.)
5 Sans doute jusque vers 1975, la cérémonie du Jour de Babô consistait pleinement en un rituel d’inversion des statuts sexués, des rôles de genre, mais aussi de propitiation de la fécondité féminine. On l’observe encore de nos jours, sous une forme transformée, mieux : détournée. Chaque année, le 8 janvier, date de la Sainte Domna, qui suit les Douze Jours chrétiens et préchrétiens – de Noël à l’Épiphanie –, dans plusieurs villages, donc, de la Macédoine et de la Thrace grecques, mais seulement ce jour-là, les femmes adoptent les statuts comme les comportements d’ordinaire réservés aux hommes – et vice-versa ou presque. Disons qu’il s’agit d’une sorte de « gynécocratie temporaire ritualisée ».
6 La Babô – Μπαμπω [3] –, au sens courant, c’est la « Matrone », la sage-femme du village. Mais ce mot, babô, je l’ai fréquemment entendu prononcer par des Macédoniens pour désigner les grand-mères (paternelle ou maternelle), en terme de référence et d’adresse, ou encore pour parler simplement d’une dame âgée. Pourtant, en général, grand-mère en grec se dit plutôt yiayia. Ou bien alors, dans le sud du Péloponnèse, on emploie très souvent l’appellation à la fois déférente et affectueuse de Kyrá (populaire pour Kyría, « Madame ») – diminutif Kyroúla –, réservé à la mère du père et qui signifie également « M’dame » ou « la Dame » (ainsi que « Patronne » au sens de maîtresse d’une servante).
7 J’ai assisté à ces fêtes, en 1981, à Monoklissia et à Nea Petra, des villages proches de la ville de Serrès, en Macédoine grecque. Voici comment les choses se passent. Très tôt dans la matinée, dès que le jour se lève, après avoir préparé les objets rituels qui serviront pendant la nuit à huis clos, toutes les femmes, dont certaines sont habillées en hommes (naguère, quelques-unes portaient des uniformes de gendarme ou de soldat), se répandent dans les rues du village, en criant, en chantant et elles vont à l’église sonner les cloches. Par la suite, toute la journée, ces femmes vont occuper les cafés et les tavernes, en buvant, en jurant et en fumant ostensiblement, en jouant aux cartes... C’est déjà là une transgression de l’usage, enfin, de la bienséance habituelle. Elles se trouvent dans des lieux publics qu’en principe elles ne devraient pas fréquenter ; et ce, en affichant des attitudes normalement réservées aux hommes. Mais il y a des signes bien plus flagrants : à l’entrée de ces établissements, elles ont suspendu de grands saucissons, des poireaux ou des carottes attachés entre des paires de gros oignons… Ces simulacres caricaturaux renvoient évidemment à la castration des hommes, mais peut-être, du même coup, à la captation du pouvoir fécondateur des organes virils. Et malheur aux villageois que ces dames pourraient rencontrer ! Ils seront déshabillés, arrosés, battus, avant d’être expulsés des lieux publics, et l’on dit que naguère les femmes pouvaient même leur faire pipi dessus. La population mâle du village doit rester au foyer et s’employer tant bien que mal aux tâches ménagères habituellement féminines [4]… Sauf parfois le tavernier habillé en femme, bien caché au fond de sa cuisine, et les musiciens menant le cortège des femmes qui poussent un char où trône la Babô. Mais eux aussi sont travestis et autrefois, ils avaient les yeux bandés.
8 Voici le plus frappant : ce qui se passe une fois la nuit venue. C’est nuitamment que se déroule la part ésotérique du cérémonial, en principe réservée aux femmes mariées mais jadis interdite aux épouses stériles. Elle met en jeu les rites des Matrones, de Babô, de la Vulve et du Phallus sacrés – grands simulacres de bois et de cuir qu’il s’agit d’accoupler, très littéralement. On n’en sait pas grand-chose. En tout cas, je n’ai pu y assister et les folkloristes grecs des débuts du siècle dernier n’insistent pas là-dessus. Ce que j’en connais me fut rapporté, avec beaucoup de sous-entendus et de très rares détails vraiment clairs, par trois vieilles dames qui m’avaient prise en sympathie et me demandèrent ne rien révéler de trop explicite. Elles parlent de « caresses réciproques » que les participantes se prodiguent pendant la nuit… (les mâles seraient-ils devenus en tous points superflus ?).
9 Ici, les rituels de renversement des normes sexuées proviennent avec leurs acteurs de l’Anatolie, aujourd’hui province turque. L’anthropologie et l’histoire comparée en ont répertorié de nombreux exemples dans plusieurs régions du monde, à des époques diverses (une fête rituelle canonique, c’est bien le quotidien à l’envers). S’en rapprochent du reste des mythes, des légendes et des cérémonials propres à l’Antiquité hellénique. J’y viendrai.
10 Quant à la fête de Babô pendant la dictature des colonels grecs, entre 1967 et 1974, mes informations sont lacunaires ou contradictoires, mais elle avait été édulcorée pour la rendre « politiquement correcte » conformément à l’idéologie qu’il fallait imposer. D’ailleurs, durant mon séjour de 1981, quelques dévotes m’ont affirmé qu’elles ne voulaient plus participer à ces fêtes parce que l’Église orthodoxe les considérait comme païennes – elle le sont ! –, voire diaboliques.
11 Depuis un certain temps, une inflexion touristique et folklorisante altère les rituels festifs dans les villages de la zone en question. Des cérémonials récents ou plus anciens, il reste pourtant bien des choses à saisir. Les dames bienveillantes citées plus haut – qui étaient, pour leur part, attachées à la coutume – m’ont m’invitée chez elles pour me confier, spécialement, ce que disent les participantes pendant la journée, c’est-à-dire durant la fête exotérique : des blagues ou des devinettes plus ou moins conventionnelles et plutôt osées, des obscénités et de petites chansons dénigrant souvent les hommes. En voici l’un des exemples les plus convenables, mais un peu difficile à traduire, et encore, j’adoucis.
12 On dit : To mnima ekhortariassé, et juste après To m’ni m’ekhortariassé, ce qui signifie littéralement « Sur la tombe, de l’herbe a poussé », et après « Sur ma foufoune, de l’herbe a poussé » (sous-entendu : parce que personne ne la laboure ou que personne ne l’astique) ; ces deux phrases sont rapprochées en jouant sur un à-peu-près entre les mots mnima, « tombe » et mouni mou ; mouni étant un terme extrêmement grossier, ordurier même ; mouni mou, donne, prononcé rapidement, m’ni m’, d’où le rapprochement mnima / m’ni mou. Cette déclaration provoque à tous les coups d’énormes éclats de rires, grandes claques sur les cuisses à l’appui. Jeux de mots, à-peu-près, on en retrouve dans les petits couplets qui toute la journée sont chantés à tue-tête. Ainsi :
Ma mère m’a mariée à un vieux
Mais pour le mettre au lit
Deux personnes doivent lui prendre les jambes
Et deux autres le prendre par les bras
Il se penche pour m’embrasser
Et il me couvre de salive et de morve !
14 Quelques vers d’un autre chant, peut-être moins explicite, quoique…
Moi, j’étais fille unique de ma mère
Elle m’a mariée là-bas en Valachie
Là-bas dans la Valachie et la Barbarie.
“Sois maudite, ma mère !
De m’avoir donnée à ce vieux débris
Ce morveux, ce baveux !
Tout le monde s’en va aux champs
Et lui, il reste assis près de la cheminée
Et mange, mange et mange !
Et moi, je le regarde
Ah ! Ma pauvre mère !
Enfin, le voilà parti aux champs
Mais il avait égaré la charrue
Il est reparti chercher la charrue
Il avait égaré le grain
Il est reparti chercher le grain
Il avait égaré le bœuf noir
Il est reparti chercher le bœuf noir.
Il s’est arrêté épuisé devant un arbre creux
Il est resté là comme un ballot.
Tard dans la nuit, il reprend ses esprits
Et il s’en retourne chez lui
Chez lui, il me trouve moi, sa femme, bien saoule
Je lui dis : — Eh, mon homme ! Ne mets pas d’eau dans le vin !
Je le veux pur, pour calmer mes désirs !”
16 Dans la traduction de ces citations, j’ai atténué certains vocables et quelques expressions.
17 Mais au cours de l’été 1985, je suis revenue au village et là, certains hommes, après m’avoir reconnue, n’y sont pas allés de main morte. Ils m’ont affirmé que les dames n’avaient plus vraiment besoin d’eux, puisque celles qui m’avaient parlé en 1981 et même lors de ce nouveau séjour ne m’avaient sûrement pas dit toute la vérité. Ces messieurs prétendirent tout net qu’en fait, pendant la nuit du 8 au 9 janvier, les femmes qui participent au cérémonial ésotérique de Babô ne se contentent pas de se cajoler et d’unir de grands simulacres sacrés de Pénis et de Vulve, non, je les cite en traduisant presque à la lettre : « Nos fidèles épouses, eh bien, toutes “forniquent” [plus cru en v.o.] entre elles cette nuit-là ! ».
18 Vrai ou faux, je l’ignore ; quoi qu’il en soit, les deux éventualités suscitent des interprétations un peu différentes bien que l’une et l’autre soient intéressantes. Si c’est vrai, cela montre à quel point la transgression formalisée se révèle radicale au regard des conventions reconnues, puisqu’un genre ou même un sexe semble vraiment nier l’autre, lequel s’avère dominant au quotidien. Mais reste alors le cérémonial d’adoration du Pénis artificiel et de sa pénétration dans la Vulve sacrée, sorte d’hiérogamie figurée appelant la fécondité : voilà qui complique la question. Par contraste, si ce que déclaraient les hommes, avec une grossièreté complaisante, quant aux rapports homosexuels des officiantes est faux ou, disons, exagéré, cela en dit long sur les fantasmes ou les complexes masculins qu’entretiennent ici les mutismes entendus de celles-ci [5]…
Transformations : du rituel au festival
19 Mention doit être faite d’interprétations assez banales tant du Jour de Babô que d’autres faits culturels que j’appellerai traditionnels, faute de mieux, face aux changements des croyances ou des idées et aux transformations sociales générales. Ici comme ailleurs, on assiste dans ce registre à une sorte de mutation fonctionnelle des institutions. Il suffit de penser aux fêtes chrétiennes qui ont converti ou récupéré et réinterprété des croyances préchrétiennes, comme Noël, Pâques, etc.
20 De ce point de vue, on a d’abord eu avec Babô un cérémonial festif dont le moment ésotérique nocturne confirmait le moment exotérique diurne généralisé, mais aussi le contredisait sur le fond. En effet, par-delà l’inversion des rôles de genre, laquelle a certes ses conséquences propres, il semble finalement avoir eu le sens d’un rituel propitiatoire de la fécondité des accouplements entre hommes et femmes ; rappelons l’adoration du Phallus et de la Vulve factices et de leur copulation figurée, autrefois interdite aux jeunes filles, paraît-il. Mais ce n’est pas tout : seules des femmes jeunes mariées s’emploient comme « assistantes » de Babô pendant le rituel nocturne, dit-on sans plus de détails. Le cérémonial aurait-il (eu) par surcroît la charge d’une initiation féminine aux pratiques fécondantes ? S’agirait-il de rites de passage ? Toujours est-il qu’une fonction sociale ou une efficacité symbolique peut en cacher une autre – cependant, inutile de chercher à « prouver » laquelle l’emporte : nous ne sommes pas dans le domaine des sciences positives. Mais qu’en est-il de la dérive ou de la mutation fonctionnelle assez récente de l’institution ? Quelle forme la fête a-t-elle prise ces temps-ci ?
21 Depuis plus d’une décennie, dans le village de Nea Petra et quelques autres, elle a encore lieu le 8 janvier. Mais voilà : on l’appelle plutôt « Le Jour de la Gynécocratie », ou bien tout simplement « Le Jour de la Femme » ou même « Le Jour des Droits de la femme ». À Monoklissia, en particulier, c’est à présent une sorte de festival qui s’inscrit dans une démonstration de féminisme, ou de pseudo-féminisme à la mode, qui attire les touristes d’autres régions grecques et parfois de l’étranger. Il donne lieu à des danses folkloriques auxquelles participent quelquefois des hommes. Certes, la Babô traditionnelle y reste personnifiée par une dame âgée vêtue à l’ancienne.
22 Toutefois, dans ce même village, les femmes ont constitué en 2005 une association, « Lysistrata », dont les membres se réunissent périodiquement dans un joli local. Lysistrata : on sait que c’est le titre d’une comédie d’Aristophane et le nom de sa protagoniste. Rappelons-en l’intrigue. Cette héroïne persuade les femmes de toutes les cités grecques de se mettre en grève totale du sexe, jusqu’à ce que les Athéniens et les Spartiates d’abord, puis les hommes des autres cités-États cessent une bonne fois de se faire la guerre. Pareille grève provoque au début un douloureux priapisme chez leurs partenaires privés de rapports sexuels ; c’est pourquoi les principaux acteurs masculins de la pièce étaient dans l’Antiquité munis d’énormes ólisbos, des simili-pénis ithyphalliques, godemichés démesurés.
23 Ces dernières années, malgré le nom de l’association de ces dames, les fêtes, à Monoklissia, ne présentent plus ces charmes de la mise en scène d’Aristophane. Les temps ont changé. Du rituel, on a fait une sorte de kermesse qui a pour fonction ou du moins pour effet de fournir une identité particulière à la population qu’elle mobilise, tout en la mettant au goût du jour grâce à une apparence de revendications féministes, d’où l’attrait exercé sur un « public » élargi. C’est cela, la mutation ou la dérive fonctionnelle. Si bien que le rituel est devenu festivité patrimoniale rehaussant en tout bien tout honneur la renommée d’une localité et, par diffusion, d’une contrée entière : « invention de la tradition », suivant des dires autorisés ? Ou réinvention ? Et ce n’est pas tout, puisqu’un réseau identitaire transnational existe déjà – la fête s’est en partie expatriée. Par exemple, à Astoria, une petite ville de l’État de New York, une affiche appelait en 2010, ses habitants à se rendre à la « Gynekokratia » le “Womens Day” (photo 2).
Hypothèses, conjectures, rapprochements
24 Venons-en aux comparaisons ethnologiques et historiques qui tracent des ébauches d’interprétations alternatives ou complémentaires. Celles-ci permettront peut-être d’étendre et d’enrichir un champ de recherche [6]. Pour ce faire, quittons à présent la Grèce moderne.
25 Il existe en langue turque un terme, Babo Günü, de gün qui veut dire « jour », locution parfois employée en Thrace et en Macédoine. Babo Günü signifie donc « Jour de Babô », ce qui pourrait s’expliquer par la provenance des réfugiés d’Asie Mineure. Mais il y a aussi, en Bulgarie, un cérémonial festif qu’on appelle Babinden. Or, dans plusieurs langues slaves, babo est le vocatif du mot baba : « vieille femme », babin étant son génitif. Quant à den, c’est le « jour » en bulgare. Là encore, on a « Jour de Babô » signifié maintenant par Babinden. En quoi consiste ce cérémonial ? Le 8 janvier – toujours cette date –, a lieu le « Jour des Babas », ou « Jour des Grands-mères ». Et le terme de baba, de grand-mère par extension, désigne les femmes âgées qui, dans le passé, étaient les accoucheuses du village, ses « Matrones ». Ce jour-là, Babinden, en Thrace bulgare – la Thrace du Nord –, la baba visite le matin chaque maison où elle a pris en charge une parturition dans l’année, et accomplit des rituels de protection de l’enfant contre les mauvais esprits.
26 La vraie fête commence vers midi, lorsque toutes les femmes vont, en chantant, au domicile de la baba. Ensuite, un banquet a lieu, puis l’assistance procède aux ablutions rituelles de cette accoucheuse respectée. Surtout, ce jour-là, il est interdit aux hommes d’observer les réjouissances. Les transgresseurs risquent notamment de se faire emplir la culotte de cailloux par les femmes.
27 Il a sans doute existé des faits du même genre dans d’autres régions balkaniques, sans que je puisse prétendre aujourd’hui qu’ils étaient vraiment analogues. Mais on perçoit déjà des rapprochements avec le Jour de Babô. D’autant qu’en grec, on appelle quelquefois cette fête i Mera tis Mamis, le « Jour de la Mami » : or mami est un terme moins spécifiquement régional que Babô pour dire « accoucheuse »… Alors, pourquoi ces rapports éventuels entre les Balkans slavophones, la Grèce du Nord, les vieilles grands-mères accoucheuses, la date du 8 janvier et peut-être l’Anatolie ancienne devenue la Turquie ? Interrogations qui m’incitent à remonter très loin dans l’histoire des Hellènes, de leurs mythes et de leurs légendes, pour proposer des conjectures encore hasardeuses.
28 Voici une grande déité archaïque, la Déméter Karpophoros, « Celle-qui-porte-fruit », « La Fructueuse », « La Féconde » [7], déesse de la Terre-mère qui a dispensé aux mortels la connaissance de l’agriculture, par laquelle naquit la civilisation. Hadès, le roi des Enfers, avait kidnappé Perséphone, fille bien-aimée de cette grande déesse et de Zeus, pour l’enfermer en son domaine souterrain. De là, pour un temps, la tristesse profonde de la mère éplorée, véritable dépression dirait-on aujourd’hui.
29 Revenons plus près de notre époque : en 1898, dans les ruines d’un temple de Déméter datant du iv esiècle avant notre ère, à Priène (Priini), une cité grecque d’Asie Mineure, maintenant en Turquie, des archéologues découvrirent un ensemble de statuettes en terre cuite assez bizarres [Olender, 1985]. Elles sont faites d’une grosse tête posée directement sur une paire de jambes, entre les hanches d’un petit corps. Sur leur ventre : un visage très large qu’encadre la chevelure, avec deux grands yeux à la hauteur des seins. Juste sous la bouche horizontale, à l’endroit du menton, donc ici entre les cuisses, on voit un sillon vertical qui correspond à la marque d’un sexe féminin.
30 Mais alors Déméter et Perséphone ? Il se trouve que Déméter, endeuillée, qui ne peut plus s’alimenter tant elle désespère, se met à parcourir la terre à la recherche de sa pauvre fille. Elle ne se lave pas, ses vêtements sont très sales, on la prendrait pour une femme fort âgée et toute maigre. Un jour, elle arrive à Éleusis. Là, les gens ne la reconnaissent pas mais lui réservent un bon accueil puis insistent pour qu’elle boive du kukeon, une sorte de bouillie très revigorante. Mais rien à faire, la déesse méconnaissable refuse et refuse… C’est alors qu’interviennent selon les cas, soit une dénommée Baubô [8], vieille nourrice dont le nom évoque d’ailleurs la fonction de protectrice des bébés, soit, moins souvent, d’après d’autres sources, intervient Iambè, une montagnarde âgée et inculte dont la conduite aura le même effet. L’une ou l’autre – ou bien s’agit-il de la même personne sous deux noms différents ? – annoncent qu’elles vont sortir l’étrangère de son deuil. Iambè, en dansant [9], se met à proférer des plaisanteries fort grossières et des injures ou des phrases obscènes. Et Dèmètèr, enfin, se met à rire… Plus fréquemment, c’est Baubô qui parvient à ce résultat. Mais elle va plus loin : soudain, en dansant elle aussi, la voilà qui retrousse son peplos, sa tunique, et exhibe pour ainsi dire tout ce que son corps a de féminin, en projection sur son visage. Alors la déesse éclate de rire ! Et c’est la fin de son deuil, elle accepte de boire le kukeon et recouvre son aspect resplendissant.
31 De toute évidence, ces mythes se relient à des rituels attestés, surtout les fameux Mystères d’Éleusis et les Thesmophories [10]. Passons sur les détails, mais non sans rappeler l’existence, dans un tel contexte, de quelques cérémonials de ce genre où les femmes devaient proférer des moqueries très choquantes assorties d’insultes ordurières et de gestes « indécents » [11]. Cela n’est pas sans suggérer quelques résonances avec le « présent ethnographique »… Enfin, toujours d’après les textes, au moment où Baubô se dénude, un petit enfant, Iakkhos, semble commencer à sortir de son sexe, ce que des auteurs modernes d’inspiration freudienne interprètent comme une « figuration phallique » [Devereux, 2011 ; Nathan, 2000] [12]. À ce propos, il est des indices encore plus clairs, puisque le mot βαυßών, baubôn désignait aux temps anciens un phallus en cuir, un godemiché, et la Lysistrata d’Aristophane, lorsqu’elle faisait la grève du sexe, se plaignait de ne pas en avoir un. Plus explicite encore, sans nous arrêter à l’antilogie : βαυßώ, baubô, nom commun, signifiait aussi « nourrice » et… « sexe féminin », le verbe βαυβαω, baubaô se traduisant par « endormir » et « bercer » [Chantraine, 1983 : 170]. On en conclura que le personnage de Baubô est ambivalent, voire contradictoire. Il est à la fois, en plus d’un sens, image phallique, personnifications d’une vieille nourrice, et du sexe de la femme.
Amaterasu-o-mi-Kami, antique Deesse-Soleil du Japon
shintoïste, se retire dans une grotte, abattue, maussade, suite
aux actes sacrilèges de son divin frère. Le monde s’en trouve
plongé dans l’obscurité et le froid. Les autres dieux demandent
l’aide de l’astucieuse Ame-no-Uzume-no-Mikoto. Celle-ci se
livre alors, devant la grotte, à une danse obscène : elle dénude
sa poitrine, baisse sa ceinture jusqu’à son sexe, remue
lascivement les hanches, écarte les cuisses et, de sa vulve,
jaillit un rire si clair qu’aussitôt, dieux et déesses s’esclaffent.
Intriguée, Amaterasu ouvre la porte de la caverne puis sort et,
à ce spectacle, se met à rire aux éclats – si bien qu’elle éclaire
à nouveau l’univers. Baubô, Ame-no-Uzume : analogies
fortuites ?
32 Ajoutons encore que Baubô a une « fille androgyne » appelée Misé, susceptible de nous conduire en Phrygie, chez Agdistis et chez Cybèle – déité qui à sa naissance s’avéra hermaphrodite elle aussi. En outre, comme pour la Babô contemporaine avec ses tenants et ses aboutissants, peut-être bien qu’un sens ou une fonction symbolique peuvent en cacher d’autres – et subissent des mutations.
33 Tout reste ouvert. D’abord, par où passer pour aller de la Baubô antique à la Babô d’aujourd’hui ? En faisant s’entrelacer, à certains moments, les histoires culturelles de la Grèce, de l’Anatolie et de plusieurs contrées balkaniques ? J’ignore si cela est envisageable ; peut-on même, leur proximité phonétique aidant et en s’appuyant sur les registres linguistique et philologique, dériver le vocable moderne « Babô » (Μπαμπω) de l’ancien « Baubô » (Βαυβώ) ? Il me semble tout autant probable que baba en slave ait donné le babô thraco-macédonien, sous l’influence du voisinage bulgarophone ; mais les deux incidences agissent-elles de concert ? Y aurait-il plutôt une parenté lexicale indo-européenne ? Enfin, restent quelques signes. J’en mentionne un tout dernier, à peine consistant : le 8 janvier, jour de Babô, est la date de sainte Domna, autrement dit sainte « Domnique », « Dominique de Carthage », une martyre qui, au iv esiècle de notre ère, est partie pour Constantinople, donc là encore pour l’Asie Mineure…
34 … Gare aux surinterprétations. Nous voici ramenés au début. Car il est d’irréfutables enchaînements historiques – chaque « époque » placée sous la loupe de son expert affiche les rémanences des précédentes –, mais aussi certaines brusques éclosions de configurations uniques en leur genre. Et livrer ce monde au comparatisme y dévoile convergences, parallélismes ou faits culturels mutuellement apparentés ainsi que plus d’un invariant de la culture – ou de l’esprit. Dès lors, face à nos Babô et Baubô, quelle stratégie d’explication, d’interprétation bien tempérée adopter ?
35 Convergences et parallélismes : il suffit de mettre en regard les mythes ou légendes de la Baubô hellène et de la Japonaise Ame-no-Uzume-no-Mikoto pour en donner un exemple ; d’autres récits de même eau figurent sans doute dans les archives historiques et ethnographiques, lesquelles situeraient aussi le rituel de la fête de Babô dans le tableau comparatif de ses analogues – y compris des faits apparentés – qui sont légion dans nombre de cultures, en différents lieux et temps. Par la même, je serais tentée d’y percevoir des indices, des « signatures » de faits généraux, voire d’invariants des sociétés, données passibles également d’une analyse complémentaire en termes de conscient ou d’inconscient de tout esprit humain. Sur ce dernier point, très frappantes apparaissent les affinités étroites entre les figurines trouvées à Priène (photo 4) et le tableau « Le Viol » de René Magritte (1945 ; www.renemagritte.org/rape.jsp), « quasi-Baubô ». Le Surréaliste belge a-t-il vu les statuettes en question ou leurs images ? Sinon, pourrait-il s’agir, avec cette toile, d’une manifestation d’un fantasme (masculin ?) de portée générale - ou bien propre aux personnes socialisées dans certaines cultures ? (Du reste, la conjecture du fantasme ne peut jamais être écartée.) Somme toute, rétrécir l’écart entre Babô et Baubô, je crois l’avoir fait ; me convaincre et convaincre d’un accent privilégiant par la méthode (ici ou ailleurs) soit des filiations, soit des convergences ou des invariances, peut-être. Mais sous bénéfice d’inventaire. ■
Bibliographie
Sources des récits sur Déméter et Baubô (ou Iambè), ordre chronologique
- Hymne homérique à Déméter (v. 192-211), viii e s. av. J.-C.
- Clément d’Alexandrie (l’un des Pères de l’Église), Protreptique, « Hymnes orphiques » (II, x, 1, xxi, 2), vers les ii e-iii e s. apr. J.C.
- Eusèbe de Césarée (l’un des Pères de l’Église, ca 265-339), Praeparatio evangelica (II, iii, 31-35).
- Arnobe l’Ancien (ca 240-ca 304), Adversus nationes (V, 25-26).
- Anastassiadou Iphigénie, 1976, « Deux cérémonies de travestissement en Thrace. Le Jour de Babô et les Caloyeri », L’Homme, 16, 2-3 : p. 69-101.
- Chantraine Pierre, 1983, Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots (2 vol. : t. 1-2, t. 3-4), Paris, éd. Klincksieck.
- Devereux Georges, 2011 [1983], Baubô. La vulve mythique (suivi de Sigmund Freud, « Parallèle entre des mythes et une obsession visuelle », 1916 – cf. ci-dessous, autre traduction, Freud 1971 –, et de Sándor Ferenczi, « La nudité comme moyen d’intimidation », 1919), Paris, éd. Payot & Rivages (coll. « Petite bibliothèque Payot ») [1re éd. fr. de Devereux, Baubô… : Paris, éd. Jean-Cyrille Godefroy].
- Freud Sigmund, 1971 [1916], « Parallèles mythologiques à une représentation obsessionnelle plastique », in Sigmund Freud, Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard 83-84.
- Grégnac Françoise, 1999, « Du Jour de Babô à la Gynécocratie. La réactualisation d’une coutume festive en Thrace », thèse de Doctorat, Université d’Aix-Marseille I, sous la direction de Christian Bromberger.
- Grimal Pierre, 1976 [1951], Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, Presses universitaires de France.
- Nathan Tobie, 2000, Psychanalyse païenne (chap. 3), Paris, Odile Jacob.
- Olender Maurice, 1985, « Aspects de Baubô. Textes et contextes antiques », Revue d’histoire des religions, vol. 202, n° 202-1 : 3-55.
- Xanthakou Margarita, 1989, Idiots de village. Conversations ethnopsychiatriques en Péloponnèse, Toulouse, Presses universitaires du Mirail.
Mots-clés éditeurs : Interprétations alternatives, Genre, Grèce moderne, Antiquité hellénique, Rituels
Mise en ligne 11/07/2016
https://doi.org/10.3917/ethn.163.0527Notes
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[1]
À la fin de la deuxième guerre balkanique (1913), d’autres mouvements de populations avaient eu lieu entre la Bulgarie et la Grèce.
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[2]
Réglé par le traité de Lausanne du 24 juillet 1923.
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[3]
Μπαμπω donnerait Mpampo – et non Bαßω, Babô – si l’on translittérait en alphabet latin ces caractères grecs sans tenir compte de la phonétique. Dans la langue ancienne (archaïque, classique, hellénistique, koinè comprise), la lettre « ß » (« B » en capitale) se prononçait à peu près comme un [b] français. En revanche, dès le grec médiéval et jusqu’à aujourd’hui, elle rend le son [v] ; le grec moderne emploie donc la graphie µπ, « mp » (diphtongue qui « voise » le π sourd) pour le phonème /b/ qu’aucune lettre simple de son alphabet conservateur ne peut plus dénoter depuis longtemps.
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[4]
On dit qu’il y a peu, certains hommes feignaient même de donner la tétée aux bébés. Mais ces échanges de rôles connaissent des limites : pendant la journée où règne l’inversion, les mères de famille passent à la maison de temps en temps – elles ne font pas vraiment confiance à leur mari pour surveiller et nourrir les enfants aussi bien qu’une femme.
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[5]
À moins qu’il ne s’agisse, en tout cas de temps à autre, d’une sorte de jeu, commedia dell’arte représentée sur la scène villageoise par des acteurs qui en sont à la fois spectateurs.
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[6]
Je mentionne au passage l’idée de rapprocher pour les distinguer deux types de fait social relevant d’une même logique ; d’un côté le « personnage culturel » de l’« idiot du village » laconien, que j’ai étudié il y a longtemps, et qui figurait souvent une inversion quasi formelle mais permanente et individuelle des statuts de genre [Xanthakou, 1989] ; de l’autre côté, nous y sommes, le Jour de Babô, cette inversion certes formelle, mais collective, institutionnalisée et temporaire, celle-là.
-
[7]
Ou Déméter Thesmophoros, « Celle-qui-apporte-les-lois » (notamment la loi du mariage, qui permit aux femmes, d’après les anciens mythographes, de devenir « mieux » que de simples concubines).
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[8]
En grec moderne, on prononcerait Vauvô (ou Vavvô) ; mais en langue ancienne, le β (maj. B) se prononçait [b] (cf. supra, n. 3), d’où la translittération adoptée ici : Baubô, phonétiquement très voisin de notre Babô « moderne », ce qui appuie certains rapprochements.
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[9]
Le nom commun iambè se rapporte à un genre de versification inventé par Arkhilokos de Paros pour ses poèmes souvent satiriques et très crus, mais pourrait aussi désigner un type de danse.
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[10]
Les Mystères d’Éleusis, Ɛλευσίνια Μυστήρια, relevaient d’un culte ésotérique consacré à la Déméter Karpophoros (« Fertile ») et à Perséphone ; effectués dans le temple de Déméter à Éleusis (20 km au sud-ouest d’Athènes), tout hellénophone pouvait y être initié. Les Thesmophories, Θεσμοφόρια, étaient aussi accomplies en l’honneur de Déméter mais dans son rôle de Thesmophoros (« Porteuse-de-lois, -d’institutions »).
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[11]
Gephurismoí, Γεφυρισμοί, « railleries grossières » pour les Mystères d’Éleusis ; Anásurma, Aνάσυρμα, « exhibitions obscènes » pour les Thesmophories.
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[12]
Curiosité à creuser : dans l’entrée « Baubô » de son dictionnaire, P. Grimal (1976 [1951] : 64) expose ceci. Baubô est la femme de Dysaulès ; à Éleusis, tous deux accueillent Déméter accompagnée du petit Iakkhos, et Baubô lui offre un « potage » que la déesse endeuillée refuse. Alors Baubô, pour l’égayer, « retrousse ses vêtements et lui montre son derrière ». Iakkhos « applaudit » et Déméter, « amusée », se met à rire puis accepte le potage. Version édulcorée, ad usum Delphini ? C’est à voir.