Couverture de ETHN_161

Article de revue

Comptes rendus

Pages 171 à 189

Notes

  • [1]
    Cf leurs articles dans Ethnologie française, 2013, XLIII, 1 : 31‑53.
  • [2]
    Ces textes sont en partie issus du colloque « terrae incognitae » organisé à Brest en 2006 par le Centre de Recherche Bretonne et Celtique et l’Atelier de Recherche Sociologique.
  • [3]
    L’urbex, diminutif de Urban exploration, est une pratique consistant à visiter et photographier les lieux abandonnés. Le terme est apparu à la fin des années 2000 sur le site infiltration.org (“the zine about going places you’re not supposed to go”) qui propose pour la première fois une définition et une codification éthique. “Genuine urban explorers never vandalize, steal or damage anything—we don’t even litter. We’re in it for the thrill of discovery and a few nice pictures, and probably have more respect for and appreciation of our cities’ hidden spaces than most of the people who think we’re naughty. We don’t harm the places we explore. We love the places we explore”.
    – “take only photographs”
    – “leave only footprints”
    – “break only silence”.
  • [4]
    Il réunit les 27 contributions du colloque de l’Association des conservateurs des antiquités et objets d’art de France (caoa) tenu aux Archives départementales des Bouches‑du‑Rhône, à Marseille, du 3 au 5 octobre 2013. Il a été organisé par Agnès Barruol, caoa des Bouches‑du‑Rhône, aidée par Yves Cranga, conservateur des Monuments historiques, et Hélène Palouzié, caoa de l’Hérault.
  • [5]
    Boris Grésillon, 2002, Berlin métropole culturelle, Paris, Belin.
  • [6]
    Michel Burawoy, 2009, « Pour la sociologie publique », Actes de la recherche en sciences sociales, 176‑177 : 121‑144.
  • [7]
    Emmanuel Terray, 1996, Ombres berlinoises, Voyage dans une autre Allemagne, Paris, Odile Jacob.
  • [8]
    Régine Robin, 2001, Berlin chantiers : Un essai sur les passés fragiles, Paris, Stock.
  • [9]
    Sonia Combe, Thierry Dufrene Régine et Robin, 2009, Berlin : l’effacement des traces, Lyon, Editions Fage.
  • [10]
    Sophie Calle, 1999, Souvenirs de Berlin‑Est, Arles, Actes Sud.
  • [11]
    J’emploie ici une majuscule car il s’agit d’un mouvement de grande ampleur qui a touché l’ensemble du monde musulman.
  • [12]
    Cf. Notamment, Talal Asad, 2003, Formations of the Secular: Christianity, Islam, Modernity, Stanford, Stanford University Press.
  • [13]
    Voir à ce sujet Martin de la Soudière (dir.), 2000, « Seuils, passages » Communications, 70, mai.
  • [14]
    Martine Segalen, 2005, « L’Invention d’une nouvelle séquence rituelle du mariage », Hermès, 43 : 165.
  • [15]
    Michel de Certeau, 1980, L’invention du quotidien tome 1, Arts de faire, Paris, Le Seuil 10/18.
  • [16]
    Notamment, Martine Segalen,  1997« Comment se marier en 1995 ?  Nouveaux rituels et choix sociaux », dans Gérard Bouchard et Martine Segalen (dir.) Une langue, deux cultures. Rites et symboles en France et au Québec, Paris, La Découverte/Québec, Les Presses de l’Université Laval :149‑166 ; 1998, Rites et Rituels contemporains, Paris, Nathan.
    Jean‑François Gossiaux, 1986, « Le sens perdu du mariage », Dialogue, 1° trimestre : 90‑110.
    Michel Bozon, 1992, « Sociologie du rituel du mariage », Population, 2 : 409‑434.
English version
Noël Barbe et Marina Chauliac (dir.)
L’Immigration aux frontières du patrimoine
Paris, Éditions de la msh
Coll. « Ethnologie de la France », 2014, 143 p.

1 par Anne Aubry Centre Max Weber ‑ Université de Lyon anne.aubry@univ‑st‑etienne.fr

2 « Quels sont les acteurs et quelles sont les formes – observées et souhaitables – de la mémoire et du patrimoine de l’immigration en France aujourd’hui ? » [21]. Cette question, que nous reprenons textuellement, clôt l’introduction des deux directeurs de l’ouvrage, Noël Barbe et Marina Chauliac. Nous la mettons en exergue parce qu’elle est très justement présentée comme la question « qui traverse les textes rassemblés » [21]. Le lecteur trouvera dans l’introduction une analyse fine des enjeux du débat public posés par la question du « patrimoine de l’immigration ». D’une part, le patrimoine est encore aujourd’hui, en France, largement considéré comme le ciment de l’édification d’une nation tracée dans ses frontières, ayant pour finalité de promouvoir une œuvre commune pacifiée à intégrer. Le titre de l’ouvrage lui‑même, L’Immigration aux frontières du patrimoine, évoque tant un sens de circulation qu’une démarcation, en écho à la gestion étatique et normée du patrimoine. En effet, quelle place cette conception laisse‑t‑elle au patrimoine de l’immigration « que celui‑ci concerne un patrimoine culturel lié à l’histoire particulière d’un groupe, ou un patrimoine en lien avec le parcours migratoire » [13] ? D’autre part, les liens étroits entre sciences et politiques patrimoniales d’état sont reposés dans une sorte de mise en « mémoire » des recherches conduites, celles‑ci étant issues d’un appel d’offres du ministère de la Culture et de la Communication en 2007. L’enjeu des recherches est à la hauteur des ambiguïtés des conceptions nationalo‑centrées du patrimoine et vient interroger la place des chercheurs dans cette entreprise. La question est de savoir si l’objectif des travaux est « d’élargir les critères de patrimonialisation régalienne et ses objets potentiels […] à intégrer dans un bien commun national ? Ou bien s’agit‑il de prendre en considération de nouvelles modalités patrimoniales, un patrimoine défini par un groupe social […] quitte à faire conflit ? » [15]. L’affaire est donc « sensible » à plusieurs titres, puisqu’elle comprend des dimensions politiques, esthétiques (à prendre ici au sens d’une mise en forme de son rapport au passé) et affectives étroitement imbriquées, ce dont rendent compte cinq enquêtes, objets de cet ouvrage, chacune de manière singulière.

3 Entre 2009 et 2011, Hélène Bertheleu, Véronique Dassié et Julie Garnier ont mené une enquête dans les quartiers périphériques de cinq villes de la région Centre. S’attachant à la question des « mobilisations mémorielles » [25], leur analyse repose sur deux cas de figure. Le premier concerne les actions mémorielles menées dans le cadre de renouvellement urbain visant la revalorisation des quartiers. Plutôt que de faire émerger des mémoires collectives ou des patrimoines, ces actions conduisent bien souvent à « l’effacement des mémoires migratoires dans la ville » [30] par l’entremise de la figure de « l’habitant sans qualité » [33] et la célébration consensuelle de la « diversité culturelle ». Le second cas de figure concerne les actions mémorielles et patrimoniales appropriées et conduites par les migrants eux‑mêmes [34]. La question est alors de savoir comment s’articulent mémoire et patrimoine dans ce cas précis. En s’appuyant sur deux exemples de patrimonialisation (les danses folkloriques d’une association portugaise et la restauration d’une église orthodoxe russe) [34], les enquêtrices montrent que patrimoine et mémoire s’alimentent l’un l’autre, associant différents registres d’expression. Aussi, de toutes les situations analysées émergent trois profils d’acteurs différenciés par leurs raisons d’agir (« les concernés », « les initiés » et « les professionnels ») qui entretiennent des relations plus complexes que ne le laisse présager la grille de lecture opposant « patrimoine par le bas » et « patrimoine par le haut ». L’analyse de leurs relations en situation laisse entrevoir quelles sont les conditions et les modalités des pratiques patrimoniales « permettant de construire un espace du dicible et une reconnaissance locale » [40].

4 Le deuxième article apporte au lecteur un autre regard sur la reconstruction du passé portés par les migrants eux‑mêmes ou par leurs descendants. Michèle Baussant, Evelyne Ribert et Nancy Venel proposent ainsi l’analyse croisée de trois terrains situés dans la région parisienne : une fédération d’associations d’immigrés espagnols, une association de descendants de l’immigration algérienne, une association de migrants juifs d’Egypte [43]. à travers l’analyse des systèmes de relations interindividuelles et des rapports entretenus aux faits politiques ayant trait tant au pays d’origine, qu’aux raisons de la migration, ou encore à ce qui se passe sur le territoire d’implantation, la question est de savoir comment émerge un récit homogène de la mémoire, et comment il s’actualise. Les enquêtrices rendent compte ici de leurs travaux autour de la question de la militance et des facteurs de la politisation ou de la dépolitisation des questions mémorielles [44‑45]. Il y aurait bien dans la constitution de la mémoire portée par ces associations un « évitement du politique » [53]. En revanche, cela ne veut pas dire que les divergences restent tues. Celles‑ci semblent s’exprimer en « coulisses » [56] afin de pouvoir, en contrepartie, présenter publiquement une entité unifiée caractérisée par des formes de célébrations d’un entre‑soi culturel rassurant et convivial [56]. Comment dès lors, le passé militant de certains acteurs peut‑il se convertir en ressource pour des mobilisations mémorielles ou patrimoniales et venir élargir le spectre des savoir‑faire en la matière [57] ? Comment les constructions mémorielles de ces trois associations, orientées désormais vers des démarches universalisantes, instruisent‑elles un autre rapport au politique [57] ? Le lecteur trouvera là des éléments de réponses et pourra poursuivre le questionnement du lien entre mémoire et politique, puisque le troisième article lui consacre une large part.

5 Véronique Moulinié et Sylvie Sagnes mènent conjointement une enquête sur les mémoires des républicains espagnols de la Retirada (exode massif de 500 000 espagnols fuyant le franquisme en 1939) [1]. Pour ce faire, elles choisissent l’une et l’autre deux lieux de mémoire différents [62]. Véronique Moulinié étudie le milieu associatif du Languedoc‑Roussillon et notamment les actions commémoratives de l’association ffreee (Fils et Filles de Républicains Espagnols et Enfants de l’Exode). Elle constate alors qu’en se définissant des lieux et des figures de mémoires, cette association tend à occulter les actions mémorielles antérieures et les associations qui les portent [64]. Cherchant à comprendre ce phénomène, elle observe la volonté de la 2e génération notamment, de se départir des « options politiques » [65] conflictuelles préférant se reconnaître dans l’unité des « républicains espagnols » [65]. Cette « nouvelle orthodoxie mémorielle » [66] modifie le « panthéon républicain » [67] : il est moins question de se référer à la figure du politique ou du combattant armé que de se reconnaître dans la figure de la victime civile et de l’artiste, transmetteur sensible des souffrances vécues durant l’exode. Dès lors le travail de Sylvie Sagnes sur les romans de mémoire de l’exode espagnole, s’avère‑t‑il fortement complémentaire, puisque ceux‑ci sont autant de narrations qui font « entendre des voix distinctes » [78]. Tout en éclairant le choix d’instruire un nouveau rapport mémoriel aux luttes politiques et partisanes, ces romans sont aussi une manière d’aller contre cette volonté de fédérer des associations mémorielles. En effet, leur lecture « prouve le danger de toute généralisation, et plus encore, le potentiel de nuances inscrit dans toute mémoire, y compris dans celles marquées du sceau de l’Histoire commune » [78].

6 Aussi, les formes de la narration mémorielle, leur sujet comme leur objet, seront une question centrale des deux derniers articles. En effet, Ahmed Boubeker étudie la dimension patrimoniale de la chanson populaire, à partir de l’exemple de l’immigration kabyle en Lorraine [83] et rend compte d’un paradoxe : comment ces chansons prennent‑elles « la dimension d’un patrimoine culturel aux yeux des héritiers de l’immigration » [84], voire d’un public plus large, alors même que la « ritournelle immigrée » peut être comprise comme un « non‑lieu de mémoire » ? [84]. En s’attachant à l’analyse des supports de la transmission et leurs évolutions comme de ce qui a conduit à la disparition des traces de ces productions culturelles et des modalités de leur circulation, Ahmed Boubeker montre comment aujourd’hui émerge une « nouvelle génération de militants » [96]. L’analyse des actions des associations culturelles berbères en Lorraine montre comment celles‑ci font valoir un patrimoine culturel réapproprié. Il s’agit alors moins de se constituer un « stock de folklores et d’antiquités » [98] que de rendre toute sa vitalité à la culture berbère à « travers ses transformations au‑delà de la simple mémoire des origines » [97]. Ces acteurs associatifs cultivent un environnement culturel qui leur permet de renouer « avec une dimension narrative de la mémoire » [98] et d’œuvrer pour la reconnaissance dans l’espace public de cette culture, de sa dynamique comme de sa dimension structurante [85].

7 Enfin dans le dernier article, Noël Barbe s’intéresse aux travaux d’Armand Gatti menés à Montbéliard avec les travailleurs migrants [102]. Cette recherche donne des éléments sur la modalité de « mise en visibilité des populations immigrées » [101], leur permettant de recouvrer un « lieu propre d’énonciation » [102] et d’être reconnues comme des « sujets de pleine voix » [102]. Dans cette analyse Barbe s’appuie sur des données biographiques de Gatti, lui‑même en quête de ce lieu propre d’énonciation, qu’il met en résonnance avec le processus de création collective entreprise à Montbéliard pour mieux le saisir. Non sans peine ni tensions, suivant quelques détours et contournements des catégories et légitimités reconnues, Gatti va « à la rencontre » des personnes immigrées, dans l’intime des vécus, pour faire « avec » elles huit films regroupés sous le titre Le Lion, sa cage et ses ailes. Ces films permettent d’éprouver concrètement le pouvoir de se dire dans une langue « propre » puisqu’il est bien question de la construction de l’expression des singularités « mises en œuvre » par une expérience partagée.

8 L’enjeu fécond de cet ouvrage tient sans conteste à la façon d’exercer un travail analytique indexé sur les modalités de l’articulation entre mémoire, patrimoine et immigration, en contexte, plutôt que de promouvoir les modalités d’un « sens de circulation » inaltérable et immuable, allant de la mémoire au patrimoine (des projets mémoriels compensatoires des cités à la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration (cnhi) par exemple). Mais il tient également à ce fil conducteur qui repose l’enjeu du dicible, de la narration de soi comme de la mise en partage. Aussi, ces recherches remettent‑elles en question les approches institutionnelles du patrimoine et de la mémoire. La question se déplace alors sur l’usage du registre de l’universel : comment faire émerger du commun sans pour autant neutraliser la singularité des expériences vécues ? Les travaux présentés apportent des éléments de réponse à cette question. Mais peut‑être pouvons‑nous clore ce compte rendu sur la question suivante : les formes d’universalité recherchées dès lors que patrimoines et mémoires de l’immigration sont à l’épreuve de la mise en public, du partage et de la reconnaissance, tracent‑elles de nouvelles frontières faisant autorité ?

Caroline de Saint‑Pierre
La Ville patrimoine. Formes, logiques, enjeux et stratégies
Rennes, Presses Universitaires de Rennes, collection Arts et Sociétés, 2014, 348p.

9 par Sandra Trigano Centre Max Weber ‑ Université de Saint-Etienne sandra.trigano@univ‑st‑etienne.fr

10 La Ville patrimoine. Formes, logiques, enjeux et stratégies, ouvrage dirigé par Caroline de Saint‑Pierre, annonce dans son titre une ambition forte que l’introduction détaille. Il vise à exposer la variété des objets patrimoniaux, sans « partir d’une définition préalable » et choisit d’interroger « les différents sens que lui confèrent les acteurs en fonction du contexte et des enjeux du moment » [9]. L’objectif est d’« aborder le patrimoine tel qu’il se vit et se fabrique aujourd’hui au quotidien, quels que soient les objets, les échelles, les acteurs » [8], comme le montrent les treize contributions, toutes fondées sur des enquêtes empiriques. Ainsi l’ouvrage présente‑t‑il des analyses concernant de grandes villes (Moscou, Berlin, Beyrouth, Buenos Aires, Abou Dhabi, Casablanca, Paris) et des villes moyennes françaises (Nantes, Lille, Firminy, Rezé, Cergy‑Pontoise, Saint‑Quentin‑en‑Yvelines). Les articles sont regroupés en trois parties « Mises en forme symbolique du passé dans les centres‑villes », « Mises en scène architecturales, artistiques et culturelles », « Mises en récit de séquences urbaines ». Des illustrations, dans le corps du texte ou au sein d’un feuillet central, accompagnent certaines contributions. Dans cet ouvrage, le lecteur ne trouvera pas une théorie générale sur le patrimoine urbain, mais plutôt une invitation à prendre connaissance des mutations contemporaines des conceptions et, surtout, des usages du patrimoine, à partir d’études de cas variées.

11 Au fil de la lecture, trois grandes thématiques, transverses aux différentes parties, retiennent l’attention. La première concerne la diversification des acteurs du patrimoine. Plusieurs articles en témoignent : des acteurs publics à l’échelle de la ville, de la métropole, de la communauté d’agglomération, du pays mais aussi de l’Union européenne ; des acteurs classiques du patrimoine (Inventaire, Unesco). Mais aussi des habitants : des associations de personnes issues de la société civile à Berlin (Marie Hocquet) ; des résidents de la Maison Radieuse à Rézé (Sabrina Bresson) ; des « groupes généralement stigmatisés » à Buenos Aires (Mònica Lacarrieu et al.) ; des ayants droit à Beyrouth (Sophie Brones) ; des architectes à Casablanca (Pascal Garret) ; des résidents secondaires à Paris (Sophie Chevalier et Emmanuelle Lallement). Enfin, sont étudiés des professionnels de la communication et du marketing (Sophie Corbillé) et des acteurs privés, notamment du secteur foncier (Sophie Brones). Corrélée à cette diversité, la variété nouvelle des outils utilisés par ces acteurs pour la reconnaissance et la valorisation des patrimoines apparaît en filigrane. À côté des procédures classiques de reconnaissance du patrimoine (Inventaire général du patrimoine culturel ou encore inscription sur la liste du patrimoine mondial par l’Unesco), des associations sont créées, les médias locaux, nationaux et internationaux (journaux papiers, radio, télévision, Internet) sont mobilisés, des actions en justice sont menées, des dispositifs de découverte du patrimoine (ouvrages, expositions, visites, festivals, etc.) sont mis en place, des tables rondes sont organisées, etc.

12 Une seconde thématique traverse l’ouvrage : les relations entre patrimoine et images (matérielles ou mentales). La plupart des articles constatent que les villes étudiées recherchent une cohésion et une identité locale à travers la mise en circulation d’images fédératrices. Marie Hocquet présente, par exemple, le cas berlinois où la réunification impliqua des tentatives de refonte de l’identité allemande qui se sont appuyées sur la valorisation mais aussi la condamnation de certains pans du passé, voire l’oubli d’autres. Certains auteurs montrent que le développement d’images attractives de villes, à partir de leurs atouts patrimoniaux, est destiné à populations extérieures. Compte tenu de la concurrence entre les villes, se développent des logiques pour attirer touristes, nouveaux habitants et investisseurs. D’autres se centrent particulièrement sur l’usage de patrimoines locaux à visée touristique. Anne Bossé et Amélie Nicolas étudient ainsi sous cet angle le cas de Nantes, Clarisse Lauras traite du cas de l’architecture de Le Corbusier à Firminy, Sophie Gravereau analyse le travail réalisé autour des Maisons Folie à Lille ; enfin Sophie Corbillé s’intéresse à la création de la marque « Abou Dhabi » par l’Émirat qui en fait un outil de marketing territorial. L’auteur propose ici une analyse d’un profil de ville encore peu étudié par les chercheurs qui s’intéressent au patrimoine. Dans ce contexte, le patrimoine serait un outil pour faire reconnaître, circuler, valoriser ou transformer l’image des villes.

13 Une troisième thématique se déploie enfin : il s’agit de la place de l’expérience sensible dans les démarches patrimoniales. D’une part, « [l]a promotion touristique a ainsi fait rentrer dans le giron du patrimoine des éléments de l’ordre du sensible, ou de l’affect, comme l’ambiance ou l’atmosphère, le climat, la couleur de la ville » [95]. Les émotions sont notamment suscitées dans les dispositifs classiques et institutionnels de valorisation du patrimoine « positif » ou la désignation d’un « patrimoine négatif » (Marie Hocquet). Plus généralement, des techniques de « marketing « ambianciel » » (Anne Bossé et Amélie Nicolas [95]) se développent en proposant « une appréhension sensuelle et festive de la ville » (idem, [94]). D’autre part, se fait entendre la revendication d’habitants pour la reconnaissance de leur expérience de leur lieu de vie comme patrimoine, à l’échelle d’un immeuble (Sabrina Bresson à propos de la Maison radieuse), d’un quartier (Sophie Brones parlant de Beyrouth ou Caroline de Saint‑Pierre de Buenos Aires) ou d’une ville (Caroline de Saint‑Pierre concernant plusieurs villes de la banlieue parisienne). Les patrimoines bâtis peuvent alors être compris comme des lieux patrimonialisables pour leurs pierres mais aussi en tant qu’espaces de pratiques et de sociabilités singulières. La désignation du patrimoine repose moins sur la recherche d’une authenticité (telle que la questionne Sarah Carton de Grammont) que sur l’expression d’une familiarité et d’une quotidienneté. Cette tendance conduit certains auteurs à demander s’il ne faut pas considérer que « le patrimoine, surtout dans sa dimension immatérielle, est de plus en plus synonyme de culture ? » [85].

14 De manière transversale, les auteurs donnent à voir des conflits entre différentes conceptions du patrimoine, porteuses de stratégies et d’enjeux divers. Les tensions sont courantes entre les organismes d’État, les acteurs privés et la société civile. Marìa Florencia Girola et ses coauteurs montrent, par exemple, que des habitants de Buenos Aires mettent en œuvre une stratégie de « patrimonialisation défensive » face aux autres acteurs [196]. On s’étonnera, à ce propos, que les articles ne mettent en évidence que des conflits et des oppositions : il aurait été peut‑être judicieux de présenter des exemples d’arrangements entre les acteurs impliqués dans une mobilisation patrimoniale. Enfin, on regrettera que l’ouvrage manque d’un propos global, conclusif, sur cet enjeu central contemporain qu’est le patrimoine en ville.

Sergio Dalla Bernardina (dir.)
Terres incertaines. Pour une anthropologie des espaces oubliés
Rennes, Presses universitaires de Rennes, collection « essais », 2014, 224 p.

15 par Pascal Desmichel ceramac Université Blaise Pascal, Clermont‑Ferrand pascal.desmichel@univ‑bpclermont.fr

16 Doté d’un titre (et d’un sous‑titre) particulièrement attrayant, l’ouvrage dirigé par Sergio Dalla Bernadina ouvre un champ de recherche riche en perspectives. Les onze textes réunis [2] forment un ensemble dont il faut d’ores et déjà souligner la cohérence et l’homogénéité. Ethnologues et anthropologues, les plus nombreux, sont associés à des spécialistes en histoire (romaine et contemporaine), en sociologie, langues et littératures. Le propos introductif de Serge Dalla Bernardina souligne combien ces lieux incertains, pourtant bien réels, ne sont pas regardés : « Leur regard braqué sur le processus de développement et de modernisation du pays, les scientifiques, les administrateurs, les syndicats, les responsables politiques ont en fait ignoré, dans leurs analyses, la grande famille des « hors cadre ». Inclassables, sociologiquement transparents, ces « vaincus » ont été effacés des statistiques comme les apparatchiks tombés en disgrâce dans les photos officielles du régime soviétique » [15]. Quand ils n’ont pas détourné le regard, ces mêmes spécialistes, les géographes en particulier, se sont attachés à forger des représentations qui n’en finissent pas d’imprégner les esprits. à titre d’exemple de ce processus, Pierre Cornu analyse les conséquences de la pensée des Trente Glorieuses sur les représentations du Massif central. En ces temps où l’on s’attachait à démontrer l’avènement d’une nouvelle ère (la « vie moderne »), il semblait nécessaire d’user en contrepartie d’une rhétorique de la permanence dont le « vieux massif » a servi d’illustration ; il a peu à peu été « construit symboliquement comme le lieu d’enterrement du vieux monde, lieu de deuil collectivement mis en scène » [36] auquel les écrivains comme les scientifiques ont participé. Pierre Cornu insiste : « La “forteresse vide” du Massif central n’est pas seulement une construction de romans moralisateurs et de penseurs régionalistes et réactionnaires. Ce sont aussi des géographes, des historiens, des sociologues ou ethnologues qui en ont fait un lieu mémoriel » [48]. Ce propos est renforcé par celui de Jean‑Luc Mayaud qui, toujours à propos du même massif, souligne les limites des lectures économiques et statisticiennes lorsqu’elles sont guidées par des aprioris idéologiques.

17 L’inclassable est détesté par les scientifiques comme par les décideurs qui, en Camargue, ne parviennent pas à accepter ces espaces (cet habiter) entre‑deux mondes que représentent ici les cabanes de la pointe de Beauduc : « les pratiques cabanières paient cher le fait d’être inclassables, ne relevant ni de l’ordre urbain et civilisé, ni de l’ordre naturel ou sauvage, elles relèvent de l’insupportable univers du flou […]. Aux normes sociales, elles substituent la spontanéité, au permanent, le transitoire » [79], relève Bernard Picon.

18 Les terres incertaines ne trouvent pas plus leur place dans les statuts juridiques que dans les catégories de pensées ; elles sont dès lors assimilées à une menace et exposées aux obsessions aménagistes (Bernard Picon parle de « néo‑colonialisme écologique ») qui fabriquent du sauvage, comme réponse à l’expansion urbaine. Pourtant ces lieux sont occupés depuis des siècles : des gens exploitent les ressources en même temps qu’ils déploient un autre rapport au monde, un autre habiter, plus poétique. Ainsi, les bois des Préalpes italiennes n’ont rien de sauvage, pas davantage que les terres de Camargue ; des populations en retirent des ressources, ont nommé ces lieux, les ont peuplés d’« habitants fantastiques, créatures des marges [qui] sont dépositaires, à l’instar des ermites et des ascètes, d’une connaissance profonde qui incarne, en quelque sorte, le contrôle de la nature sauvage » remarque Daniela Percolo [92]. Le contrôle ancestral du milieu (savoirs, construction toponymique, légendes) n’a rien à voir avec la superficialité des plans d’aménagement et de gestion qui font disparaître les créatures fantastiques en même temps que les sentiers et les connaissances sur l’environnement forestier. Le bois était un jardin, un « champ d’arbres » fréquenté pour divers usages, la cueillette en particulier.

19 Dans les zones humides de Camargue comme dans les bois d’Italie, l’autre espace disparaît au profit de la gestion des ressources naturelles. Les exploitants d’aujourd’hui (qu’il s’agisse de « ressources touristiques » ou de forêts productives) s’opposent aux hommes qui font côtoyer dans un même lieu réel et imaginaire. Qu’on les dénomme en somme rêveurs, poètes, habitants bohèmes, esprits libertaires ou « gens de peu » (selon l’expression de Pierre Sansot), ils ont pour point commun de vivre avec sobriété et de refuser les codes de la modernité. La terre incertaine semble être un refuge en lisière du temps social, à l’écart du temps des sociétés dominantes. Mais cet espace est menacé sous l’effet de la conquête aménagiste qui légalise, normalise, labellise, ordonne, exploite, gère.

20 En Italie toujours, les palù sont aussi menacés. Ces espaces de bocage, très humides, d’où l’eau ne s’évacuait pas, fréquentés pour la récolte de l’herbe servant à divers usages, sont « tombés dans un vide représentationnel » [112] explique Nadia Breda. N’étant plus considérés comme culturellement importants, ils deviennent difficiles à défendre en tant que patrimoine (paysager et immatériel) face aux mutations économiques du nord‑est italien. L’industrialisation des campagnes se traduisant ici par la reconversion des fermes en micro‑usines, causant une dégradation du paysage, elle occasionne une « géographie de l’angoisse ». La distance entre les usages et représentations de ces espaces suscitent dès lors des conflits. Nadia Breda souligne que les « grandes institutions et associations traditionnelles de l’environnement nous ont souvent enseigné qu’il fallait se montrer attentifs aux « urgences » paysagères et pas à nos lieux familiers, notre voisinage, nos paysans. Les institutions publiques protègent les paysages qui possèdent certaines dotations floristiques et zoologiques, ils ne s’occupent pas, par exemple, de paysage dont la dotation principale – c’est le cas des palu – est l’humidité des sols, le silence, l’homogénéité paysagère, l’absence d’infrastructures » [113‑114]. En somme, les terres incertaines appartiennent à des espaces‑temps « faibles » que la société (du spectacle et du spectaculaire) et ses décideurs ne regardent pas.

21 La terre indéterminée est placée dans des vides juridiques dans lesquels s’engouffrent des entrepreneurs peu scrupuleux. « Là où l’autogestion régnait, la prédation est plus forte dans ces zones à statut indéterminé » [127] explique Rita Vianello à propos de la lagune de Venise. Cette zone de pêche traditionnelle a assuré pendant longtemps la subsistance des communautés locales sans la moindre réglementation ni appropriation privée. L’introduction de la mytiliculture a transformé la lagune en zone d’élevage particulièrement lucrative ; la récolte conduite sans discernement a entraîné des abus et conflits d’usage (entre méthodes traditionnelle et industrielle) jusqu’à la crise du secteur en raison de l’épuisement des ressources et de la forte concurrence. Mais l’ancienne terra incognita a depuis fait l’objet d’autres formes d’appropriations sous l’effet de la croissance industrielle et touristique de l’aire urbaine de Venise : les aubergistes, plaisanciers, industriels du pétrole et de la chimie sont devenus les occupants de ce territoire désormais (très, trop) connu.

22 La question récurrente a finalement trait à l’appropriation matérielle et idéelle, aux usages successifs et contradictoires dont ces terres incertaines font l’objet. Le cas développé par Typhaine Cann illustre une nouvelle fois la construction culturelle – et toujours urbaine – de l’approche naturaliste des milieux. L’analyse de la presse finistérienne du xixesiècle montre que la mer n’était pas perçue comme un bien naturel à préserver mais comme un milieu hostile dont il convenait de se protéger. L’auteur va même jusqu’à dire que la mer était une « figure de la répulsion » [140], bien avant de devenir à partir des années 1960 un espace fantasmé, support d’un voyage hors du temps. La terre incertaine prend ici le visage d’un fond sous‑marin où reposent des centaines d’épaves que de nouveaux explorateurs, ces « médiateurs de désirs » vont révéler, suscitant dès lors un mouvement de mimétisme et une multiplication des pratiques qui occasionnent leur lot de « chamailleries ». L’exemple des fonds sous‑marins, que nous pourrions mettre en parallèle avec d’autres processus contemporains (les friches industrielles investies par les pratiquants de « l’urbex » [3] par exemple) nous rappelle que « le caractère désirable ou indésirable d’un même lieu [est] susceptible de changer et même de s’inverser sous l’effet de mécanismes mimétiques ». Typhane Cann livre une intéressante définition des terres incertaines : elles sont « ces « non‑lieux » inter­stitiels qui n’ont ni le prestige du radicalement autre, du dehors, ni la rassurante familiarité du dedans » [153].

23 Sergio Dalla Bernadina pousse la thématique des lieux oubliés bien au‑delà des frontières de l’anthropologie. La terre incertaine peut aussi relever du langage. Yves le Berre s’appuie en particulier sur la distinction faite par Ferdinand de Saussure entre langue et parole, la première relevant des règles communes auxquelles il nous faut nous soustraire pour « jouer avec les autres » (c’est l’espace du droit en particulier), la seconde étant l’appropriation individuelle de ces règles dont l’individu use librement. Entre les deux, il y a les terrae incognitae du langage que le sémiologue qualifie de jolie manière de « maquis de la langue cultivée » [161] Il s’agit de « ces formes de la langue qui ne sont ni générales ni individuelles et résultent d’usages propres à des groupes particuliers» [161], tels par exemple les parlers paysans, les langages professionnels ou de communautés plus marginales. Chaque fois, l’objectif est de ne pas être saisi, compris par l’ordre social établi.

24 La terre incertaine est aussi dite par la littérature (réaliste fantastique) d’Italo Calvino, dont les (anti‑) héros manifestent un besoin constant de trouver des lieux décalés pour s’adapter à un monde urbain hostile. Ses personnages « sont à l’affût d’une autre temporalité, d’un autre point de vue sur le monde, d’une autre nature, voire de la nature elle‑même » explique Liliane Kuczynski [169]. Comment ne pas penser bien sûr aux hétérotopies de Foucault quand Calvino évoque sa contre‑ville (ou « ville négative »), faite d’intervalles et recoins laissés par le monde du béton et du bitume, de squares et jardins minuscules, de placettes et passages où ces autres habitants (« une sorte d’arche de Noé » [174] constituée d’animaux et personnages pittoresques) échappent aux espaces et temporalités dominants. Quelle belle expression que celle du « hors‑champ» [175] pour qualifier cette réalité géographique décalée qui se meut et s’efface sous les coups de butoir d’une urbanisation en constant renouvellement. L’œuvre de Calvino, comme la terre incertaine, pourrait s’apparenter à une géographie du fragile et de l’impermanence.

25 Les terres incertaines varient enfin dans l’espace et le temps des sociétés. Bertrand Lançon rappelle que le monde romain avait aussi ses terres incertaines, le monde des limes, « le seuil à partir duquel on quitte progressivement l’Empire et les cités des Romains pour gagner les terrae incertae, le barbaricum. La frontière romaine, en effet, ne se franchit pas, elle se traverse. Non d’un seul pas, mais pendant un certain temps. Elle n’est pas ligne, mais, dans tous les sens du terme, une trans‑ition » [193]. Une autre terre incertaine va s’immiscer au cœur de ce monde romain pourtant si finement maillé, quadrillé, où tout est nommé. C’est l’univers clos du monachisme chrétien qui aménage peu à peu pour lui‑même des parcelles à l’écart du monde urbain et civilisé. L’historien se demande « si la terre la plus inconnue, pour les Romains, ne serait finalement pas celle où se manifeste cet individualisme apolitique des “solitaires” chrétiens » [195]

26 Enfin, une dernière contribution met en garde contre l’apparence des paysages. Ce qui pourrait aisément passer pour une terre incertaine s’avère dans les faits un espace parfaitement maîtrisé par des hommes qui savent décoder les signes de la nature. Chez les Peuls, « il faut inverser les problématiques » prévient Yassine Kervella‑Mansaré avec cette belle formule : « Dans les terrains vagues, on ne divague pas » [203]. « Les no man’s land, les friches, les terrains vagues, les surfaces abandonnées des géomètres, sans balises ni poteaux indicateurs, sans clôtures ni barrières, et donc sans culture, au sens agricole du mot, ces terres‑là ne sont pas pour eux des espaces de délaissement, de désintérêt paresseux, d’exploitation nonchalante. Au contraire, elles définissent les milieux à investir régulièrement pour y trouver la substance des troupeaux, et conséquemment celle des hommes » [201]. La terre incertaine chez les Peuls nomades, c’est peut‑être aussi l’espace‑temps du passage entre la vie et ce que nous appelons (en Occident) la mort. La mort n’y est qu’une phase de transformation, qu’un « voyage après décès »[206] qui conduit après quelques jours à l’espace des ancêtres.

27 La lecture des onze chapitres rassemblés par Sergio Dalla Bernardina livre une étonnante diversité de témoignages et de pistes de réflexion qui peuvent fournir les contours d’une définition de « terre incertaine ». Il s’agit d’une aire géographique qui prend souvent le visage d’une forêt, de zones humides, d’interstices urbains. C’est une géographie des rebords et confins, des lisières, des entre‑deux ou tiers‑lieux. La terre incertaine est aussi un temps à part qui prend tantôt l’allure d’une transition (d’où ce sentiment d’éphémère, de géographie labile) tantôt celle d’un « hors du temps », d’un temps faible ou no man’s time. Elle renvoie également à l’espace‑temps de l’homme solitaire qui va chercher dans ces contrées un refuge, un autre usage des lieux, un autre rapport au monde, loin des normes édictées par la société des dominants. Ces derniers perçoivent l’incertitude comme un espace dangereux, comme un lieu à combler, aménager, légiférer (normaliser), statufier. L’incertain apparaît pourtant pour ses habitants et pratiquants comme une échappée, un refuge, un doute nécessaire, un espace de transformation où l’imaginaire et l’utopie peuvent prendre leurs aises, où l’individu peut se reconstruire, se régénérer. Il est « le lieu de la perte – perte de l’orientation, de l’identité – et de la reformulation de soi » [168].

28 En épilogue, Sergio Dalla Bernadina résume au travers d’une anecdote et sur un ton personnel particulièrement bienvenu tout l’enjeu de faire perdurer ces lieux qui nous offrent un sentiment de liberté. Il regrette « ce processus d’élimination des accès publics, d’abolition des droits coutumiers, de cautérisation des espaces interstitiels, qui faisaient office d’amortisseur, dans leur indétermination, dans les rapports entre le public et le privé » [217]. L’aménagement du territoire entend mettre de l’ordre, soit disant valoriser. « Mais quel est l’ordre, celui des propriétés clôturées et des espaces soigneusement délimités, ou celui, plus élastique, où l’incertitude est en quelque sorte institutionnalisée, espaces à géométrie variable gérés par la politesse et par le bon sens commun ? Et en tout cas, qui établit, en dernière analyse, la « vocation » de ces espaces ?

Agnès Barruol, Yves Cranga et Hélène Palouzié (dir.)
Regards sur le patrimoine des fêtes et des spectacles,
Arles, Actes‑Sud/acaoaf, 2014, 266 p.

29 par Nadine Cretin Ancienne élève du care, ehess cretin.nadine@orange.fr

30 Cet ouvrage [4], abondamment illustré, fait partie d’une collection consacrée aux œuvres d’art qui travaille depuis 1986 à la défense du patrimoine mobilier. L’ambiguïté entre patrimoine et fêtes/spectacles apparaît d’emblée. Dans son avant‑propos, Isabelle Maréchal, relève en effet le caractère audacieux du thème qui fait appel à la fois aux critères habituels de protection avec ses intérêts artistique, historique, scientifique ou technique, mais, en outre, à la part immatérielle qu’il revêt. Julien Boureau, avait auparavant relevé les valeurs opposées, paradoxales, du patrimoine et de la fête, l’un renvoyant à la permanence, l’autre à l’éphémère [11].

31 « Destiné à ne vivre que dans les mémoires, le spectacle vivant n’aurait donc point à laisser de traces matérielles ? » se demande Martine Kahane, ancienne directrice du Centre national du costume de scène à Moulins, à propos de la mémoire matérielle du spectacle [161]. Elle résume là une question cruciale, à laquelle tous les intervenants sont confrontés à propos de ce patrimoine particulier touchant les objets de la fête. Pour l’anthropologue Daniel Fabre, ces objets chargés de sacré, souvent détruits alors qu’ils ont été patiemment construits, doivent laisser une marque : « la fête perdrait de sa force si nous […] lui retirions tout à fait la possibilité de mourir sans laisser de traces comme si nous n’avions plus confiance dans la nécessité intérieure de son retour » [33].

32 La prise de conscience a été tardive en général, mais Aurélie Samson précise que le patrimoine provençal des fêtes locales avait déjà été mis en valeur par Frédéric Mistral à la fin du xixesiècle, parallèlement à la création de son mouvement régionaliste : il avait même réservé une salle de son nouveau Museon Arlaten à la fête de la Tarasque (salo festadièro) [111]. Avec le développement de l’ethnologie, les traditions festives ont été ensuite revitalisées. à ce propos, l’ethnologue Laurent‑Sébastien Fournier insiste sur la différence fondamentale de regards portés sur les objets par les conservateurs et par les chercheurs qui lisent dans la présence d’objets matériels des supports de rites qui eux‑mêmes renvoient à des mythes. Dans leurs réserves et leurs vitrines, les conservateurs ont la responsabilité d’objets matériels qu’ils doivent référer à un contexte afin de les donner à voir à un public, alors que les ethnologues, chercheurs de terrain, collectent représentations, gestes, paroles leur permettant d’interpréter une culture dont les objets matériels ne sont souvent que l’expression ou l’illustration secondaire. « Le monde des musées et celui de la recherche universitaire ne problématisent pas de la même manière le champ du patrimoine festif », regrette‑t‑il, tout en constatant que les relations entre ethnologie muséale et ethnologie universitaire méritent d’être renforcées [66].

33 L’intérêt de la conservation, qui assure l’entretien de l’objet, est de lui permettre de devenir visible et accessible au public. Il y a changement de la destination de l’objet : ainsi Jean‑Roch Bouiller fait‑il cas d’un dais de grandes dimensions, représentant la Voie lactée, conçu pour une procession religieuse belge, devenu l’élément d’une fête populaire à Marseille, et pouvant être exposé dans un espace muséal en tant que sculpture. Comme le note Brigitte Lam Kam Sang à propos du costume de scène, il y a modification de l’échelle du temps, puisque de l’éphémère de la représentation, l’objet passe au potentiel à long terme ; modification de son usage car l’objet devient acteur non plus du spectacle, mais de l’histoire du spectacle ; passage de sa valeur d’usage à sa valeur de commémoration, et passage de la scène aux salles d’exposition [176]. Au musée, l’espace n’est plus mis en scène, avec foule, orphéons, mâts et bannières comme c’était le cas pour les inaugurations de statues au xixesiècle, remarquent Emmanuel Luis et Matthieu Chambrion.

34 La question du choix des objets à conserver est fondamentale : faut‑il « aller contre vents et marées à l’encontre du temps » (Emilie Girard et Zeev Gourarier, mucem) et prendre en compte tous les objets, souvent très créatifs mais parfois périssables ? Plusieurs auteurs de l’ouvrage mentionnent ainsi la diversité de ces artefacts oubliés, laissés à l’abandon dans les combles d’une maison ou d’une église, tels les décors de théâtre, des rideaux de scène, de l’art forain, des ex‑voto, des bannières, des décors éphémères d’édifices religieux, mais aussi les témoins matériels, parfois volumineux, des multiples carnavals : chars, géants et grosses têtes, bestiaire festif, masques, déguisements. Bien souvent, ces « épaves », selon le mot de Bernard Sonnet, souffrent d’attaques d’insectes, d’encrassement, de coulures d’humidité, de déchirures… quand ils ne sont pas jetés au moment de la vente des maisons, comme ce fut le cas pour les anciennes tentures de la procession de la Fête‑Dieu, le Grand Sacre, à Angers.

35 Les difficultés sont nombreuses, et les coûts de conservation importants, car les objets de la fête ne sont pas conçus pour durer, ni pour figurer dans une vitrine. La broderie des costumes de scène est remplacée aujourd’hui par de la peinture gonflante, d’une durée de vie limitée. Et « les objets acquis ne rendent plus compte de l’énergie du carnaval. Comment conserver la mémoire des bruits, des odeurs, des nourritures carnavalesques, des comportements permissifs, de la sociabilité particulière de cette période ? » [226] s’interroge Marie‑Pascale Mallé.

36 Les archives, photos et films sont précieux et l’importance de conserver des traces a été démontrée pour les fêtes de la Tarasque où la salle du Museon Arlaten a permis de recréer la fête, de même que pour le carnaval espagnol de Silio en Cantabrie, interdit au moment de la Guerre civile en 1936, relancé en 1982 : le scénario de la fête a été réappris à partir des écrits des ethnographes du début du xxesiècle. Mais les archives ne reproduisent qu’une réalité partielle ! Si cela semble un paradoxe de la réduire à des objets figés, la fête, véritable marqueur culturel d’une région, et porteuse d’une dimension affective et émotive, n’est‑elle pas pourtant à ce titre patrimoniale par excellence ?

Cécile Cuny
Changement urbain et démocratie participative à Berlin. Ethnographie du grand ensemble de Marzahn
Paris, Editions de la msh, 2014, 338 p.

37 par Delphine Corteel Université de Reims & idhes delphine.corteel@univ‑reims.fr

38 Juste après la chute du Mur, Berlin a suscité l’engouement des jeunes chercheurs français en sciences sociales ce qui a donné lieu à plusieurs travaux, dont certains font désormais référence [Grésillon, 2002] [5]. Malgré les transformations profondes et continues que connaît la ville depuis 25 ans, cet enthousiasme s’est quelque peu tari. On peut saluer la parution de l’ouvrage tiré de la thèse de Cécile Cuny, d’autant qu’il nous promet une perspective originale sur Berlin à partir de l’étude du grand ensemble de Marzahn : 60 000 logements construits à partir de 1976, emblèmes d’un « tournant dans l’histoire urbaine de “Berlin, capitale de la RDA” » [21]. Richement illustré de photos, l’ouvrage commence par nous inviter à une promenade menant du cœur de Berlin à sa périphérie avant de se découper en trois parties.

39 Dans la première, l’auteure retrace l’histoire de la construction puis de la rénovation du grand ensemble, qui passe notamment par la destruction de logements. Adoptant une perspective de sociologie urbaine classique, elle s’intéresse aux processus d’affectation des logements en RDA puis aux effets de la privatisation partielle du parc de logements dans l’Allemagne unifiée et met en lumière les effets contrastés du socialisme puis du capitalisme en termes de ségrégation spatiale et sociale. Pour ce faire, elle s’appuie sur les travaux de chercheurs est‑allemands et sur des données quantitatives dont elle examine minutieusement les apports comme les faiblesses dans des encadrés très éclairants.

40 Dans une deuxième partie, l’auteure analyse les rapports des habitants au quartier à la lumière d’une sociologie critique inspirée des travaux de Pierre Bourdieu. Elle conçoit un dispositif d’enquête mêlant observation participante dans deux associations de quartier – le théâtre Tchekhov et le café de la Tour –, entretiens avec des habitants et prises de vues pour la réalisation de quinze portraits. Cécile Cuny ayant également une formation de photographe professionnel, l’analyse des prises de vues considérées comme véritables situations d’enquête est probablement le moment le plus original de l’ouvrage [100‑104]. L’auteure dégage par ailleurs trois formes de rapport au quartier selon les classes sociales à partir de l’analyse détaillée de quelques entretiens. En ce qui concerne l’Intelligenz – catégorie empruntée au découpage social de la RDA qui « comprend aussi bien les ingénieurs et les professions intellectuelles et supérieures que les professions intermédiaires » [38] – aujourd’hui déclassée, l’auteur analyse six entretiens pour révéler quatre types de rapport au quartier : le repli sur le logement, les départs retardés, la fidélité au passé et la reconquête sociale du quartier. à partir de l’étude de deux entretiens, l’auteure indique que les « familles populaires » vivent et conçoivent le quartier comme un village, « un espace de proximités affectives » [178], tandis que l’analyse d’un seul entretien lui permet de conclure que les Aussiedler, c’est‑à‑dire les personnes d’origine allemande ayant vécu dans les pays du bloc de l’Est et « revenant » en Allemagne, font preuve d’une importante mobilité et d’un rapport beaucoup plus lâche au quartier.

41 La troisième partie est consacrée aux dispositifs participatifs mis en place dans le grand ensemble à partir des années 2000. L’auteure mobilise alors les outils de la sociologie pragmatiste de Luc Boltanski et Laurent Thévenot pour analyser les registres de l’engagement des habitants. Elle retrace d’abord la généalogie des « réseaux d’acteurs, procédures et savoir‑faire ainsi que les logiques de leur transfert de la partie occidentale vers la partie orientale de Berlin » [187] ; elle procède ensuite à l’analyse des parcours biographiques et des motifs de l’engagement de trois habitants contribuant activement aux différentes instances de la participation. Le dernier chapitre montre les évolutions de ces dispositifs et conclut que « les finalités (gestionnaires, électorales ou politiques) que les pouvoirs publics et les associations assignent à la participation des habitants conduisent à leur défection » [305]. En conclusion, l’auteure s’inspire des propos de Michael Burawoy [6], et plaide pour « un style d’enquête qui repose sur la collaboration entre chercheurs et enquêtés, et dont la visée est à la fois réflexive et transformative » [309].

42 On peut regretter que Cécile Cuny n’ait pas appliqué ce programme à sa propre enquête et choisi le prisme des dispositifs institutionnels comme point d’observation et non comme question de recherche, ce qui contribue regrettablement à laisser ainsi dans l’ombre un pan important du passé et du présent des habitants des quartiers de l’ancien Berlin‑Est, comme les enjeux de la rénovation urbaine et politique dont Berlin est le théâtre. Dans une ville parsemée de grues depuis 25 ans et dont les transformations se traduisent majoritairement par la densification du tissu urbain, la destruction de logements ne manque pas d’étonner. Troublant paradoxe que l’auteure ne souligne pas. Que le projet de destruction se soit heurté à la mobilisation d’une partie des habitants du grand ensemble, l’auteure l’évoque à diverses reprises. Mais cette mobilisation débordant le cadre institutionnel, Cécile Cuny n’en présente pas vraiment les arguments et le répertoire d’action, n’offrant que peu de prises pour en saisir les formes et les raisons. Pourtant l’une des interviewées déclare à ce sujet « on s’était déjà pas mal habitués au fait qu’on ne comptait vraiment plus comme des êtres humains dans cette société » [241]. Qui est « on » ? Les chômeurs ? Les Allemands de l’Est ? Les deux ? On ne le saura pas et cette piste ouverte sur la question de la place des citoyens de l’ex‑RDA dans l’Allemagne unifiée n’est pas explorée par l’auteure, malgré l’annonce d’un intérêt pour « la posture critique et réflexive que [la radicalité de l’expérience du changement social et urbain] génère chez ceux qui la vivent » [13]. Il existe pourtant quelques ouvrages sur la ville, les couches superposées de ses histoires, les traces de la RDA, déjà effacées mais encore très perceptibles quand Emmanuel Terray écrit Ombres berlinoises[7] puis de moins en moins à mesure que progressent les chantiers [Robin, 2001] [8] et que les traces sont détruites [Combe et al., 2009] [9]. On peut citer aussi le très joli travail de l’artiste Sophie Calle [10] sur les vides laissés par les emblèmes, les statues et autres marqueurs visibles du passé politique de Berlin‑Est déboulonnés au lendemain de l’unification. Ces ouvrages ne figurent pas en bibliographie. Le symbole que représente Marzahn, emblème de la ville socialiste sous l’ère d’Erich Honecker, n’est peut‑être pas tout à fait étranger à ce choix singulier de la destruction dans le contexte de la rénovation urbaine de Berlin. A tout le moins, cette décision s’ajoute, pour les habitants de l’ancienne capitale est‑allemande, à toute une série d’effacements des traces de leur expérience propre, à commencer par le changement des noms des rues dans les quartiers de l’ancien Berlin‑Est qui n’a probablement pas épargné Marzahn mais dont l’auteure ne parle pas. L’hypothèse que cette option singulière de rénovation urbaine a une résonnance particulière pour les habitants dans le contexte allemand aurait mérité un petit peu d’attention et permis, non seulement une posture de recherche qui se situe plus du côté des enquêtés que de celui de l’institution, mais aussi une articulation entre l’étude du changement urbain à Marzahn et les transformations opérant à l’échelle de la ville qui, malgré le titre de l’ouvrage, sont peu perceptibles.

43 Par ailleurs, le lecteur a du mal à se faire une idée claire des divers dispositifs participatifs mis en œuvre à Marzahn. Lorsque l’auteure en étudie le fonctionnement, elle n’indique pas systématiquement le nombre de personnes siégeant dans les différents dispositifs : conseil des habitants (« une quinzaine de membres » en avril 2006 et dissous en décembre 2007), conseil de quartier (vingt‑trois membres en avril 2006 dont certains démissionnent en décembre 2007), jury citoyen (pas de chiffres), réunion du budget participatif (« dynamique d’implication exceptionnelle des catégories populaires » [289], nous dit l’auteure sans donner de chiffres, mais on y retrouve les membres du conseil des habitants)… Bien que le tableau des entretiens fourni en annexe permette difficilement de faire le lien avec les instances présentées dans l’ouvrage, on comprend que ces dispositifs mobilisent manifestement une douzaine d’habitants multi‑engagés qui sont les informateurs privilégiés de Cécile Cuny. Quelle est alors la portée du « processus de réaffiliation politique » via la participation étudiée au chapitre 8 ? Que penser des analyses qui insistent sur le « cynisme » des familles d’origine populaire qui ne semblent pourtant constituer qu’une petite fraction de l’échantillon de l’auteure ? Un travail réflexif sur les modes de constitution de l’échantillon aurait sans doute conduit à des conclusions et des généralisations plus nuancées. Malgré l’annonce d’une ethnographie du grand ensemble de Marzahn, on sait peu de choses, à l’issue de la lecture de l’ouvrage, du rapport à la politique et à la ville des milliers d’habitants qui ne se sont pas engagés dans les dispositifs participatifs.

44 On soulignera, pour finir, la qualité et la richesse de l’iconographie, tout comme son usage original dépassant de loin la traditionnelle illustration. Cécile Cuny réussit ici le pari de faire de l’image et de son élaboration un instrument heuristique au même titre que l’entretien ou l’observation. Sur ce point, l’ouvrage ouvre des perspectives intéressantes.

Nebi Bardhoshi, Gilles de Rapper et Pierre Sintès (dir.)
Social practices and local configurations in the Balkans/ Pratiques sociales et configurations locales dans les Balkans
Tirana, Universiteti Europian i Tiranës Press, 2013, 295 p.

45 par Aliki Angélidou Université Panteion des sciences sociales et politiques, Athènes alangel@panteion.gr

46 L’intérêt pour les multiples transformations que connait l’Europe du sud‑est depuis la chute des régimes socialistes réunit dans cet ouvrage collectif des géographes et des anthropologues spécialistes des Balkans. Ce qui rassemble ces quatorze chapitres, écrits en français ou en anglais, ce n’est pas tant un cadre théorique commun mais un pari méthodologique : l’accent mis sur l’enquête de terrain et l’articulation de différentes échelles. Comme le soulignent dans leur introduction Gilles de Rapper et Pierre Sintès l’« approche par le bas » met en avant les manifestations locales des transformations brusques et profondes des sociétés balkaniques. Plus particulièrement, une telle approche permet d’explorer d’une part les expériences, les significations et les modes d’appropriation de ces transformations par différents acteurs sociaux, d’autre part la contribution de ces derniers au changement contemporain, européen et mondial.

47 Une tentative de conceptualisation macroscopique du sud‑est européen par Christian Giordano précède les articles fondés sur des enquêtes. Il met en avant la notion de « région historique » afin de souligner l’importance du passé et de la longue durée pour la compréhension des Balkans. Il adopte également le concept d« économie‑monde » et met en évidence les bases socio‑économiques ainsi que les aspects socioculturels et politiques de la marginalisation historique de l’Europe du sud‑est. Tout en voulant éviter une vision essentialiste et primordialiste de cette dernière, il propose une comparaison avec d’autres configurations socioculturelles, tel le monde méditerranéen et l’Amérique latine.

48 Suivent trois axes thématiques, dont le premier porte sur les « nouvelles règles économiques et politiques ». Olsi Lelaj analyse le processus de conversion de la « paysannerie » albanaise en « classe ouvrière » durant la période socialiste. Il conçoit cette conversion comme une entreprise politique, économique, légale, sociale et conceptuelle coordonnée par l’état qui visait une « modernisation sans capitalisme » à travers la collectivisation et l’instauration du travail salarial, l’industrialisation, la monétarisation de l’économie et la centralisation de la distribution des biens. Ilia Iliev tire de son enquête de terrain dans le nord‑est de la Bulgarie une analyse subtile des différentes formes d’organisation étatique (statehood) des dernières décennies : l’Etat de la modernité socialiste, l’Etat néolibéral, l’Etat providence de tradition européenne, enfin l’état effondré au profit d’enclaves territoriales et institutionnelles. Iliev affirme que toutes ces formes coexistent de nos jours même au sein d’une petite localité rurale et que leurs projets respectifs entrent en concurrence. Le récent retour à la production familiale de tabac dans la ville de Prilep en Macédoine du sud fait l’objet de l’analyse de Miladina Monova. Ce repli sur une économie domestique constitue une stratégie de survie pour les ménages et une manière de remédier à la pénurie constante d’argent due au taux de chômage élevé parmi les ouvriers de la ville, ainsi qu’aux revenus insuffisants fournis par les emplois réguliers. Cette activité subventionnée par l’état permet aux ménages de payer une partie des factures et des dettes et leur donne un certain sens de bien‑être. Néanmoins, il s’agit surtout d’un mécanisme par lequel l’économie domestique subventionne le marché et qui contribue à l’appauvrissement croissant de la plupart des familles impliquées. Cyril Blondel, Guillaume Savourez et Meri Stojanova examinent la contribution des programmes de coopération transfrontalière à la création de nouveaux territoires dans trois zones frontalières (Albanie‑Macédoine, Serbie‑Croatie, Macédoine‑Grèce). Lancés dans les années 2000 par les institutions européennes, ces programmes constituent des actions entreprises « par le haut » dans une perspective de transformation de ces zones de séparation et de marginalisation en symboles de proximité et de réconciliation, et en un instrument de développement socioéconomique. Pour autant, leur réalisation dépend largement des actions locales qui soit reproduisent les configurations précédentes, soit créent des situations nouvelles de coopération régionale et de nouvelles dynamiques territoriales.

49 Cet article fait le lien avec le deuxième axe « Nouvelles formes de mobilité, nouvelles formes de contrôle ». Eftihia Voutira propose une lecture historique des catégories utilisées pour designer les personnes déplacées, qui se transforment en parallèle avec les phénomènes de mobilité et le contexte politique. La catégorie de « refugié » fut introduite pendant l’entre‑deux‑guerres pour protéger les personnes déplacées de force dans un monde dominé par les états‑nations. Son contenu changea durant la guerre froide et concerna essentiellement les refugiés du bloc soviétique. Avec la guerre en Yougoslavie les réfugiés redeviennent une question européenne. Finalement, depuis les années 1990, le terme se dépolitise et prend un sens péjoratif ; émerge alors la catégorie de « migrant irrégulier » et une « Europe forteresse » s’impose qui ancre la perception des migrants et des réfugiés comme problème et menace. Laurence Pillant analyse le redéploiement des frontières à travers les centres de rétention des migrants clandestins à Lesbos, Chios et Samos. Ces centres, créés suite à l’entrée de la Grèce dans l’espace Schengen en 2000, incarnent trois formes de transformation de la frontière gréco‑turque en une frontière européenne et rendent l’enfermement des migrants plus visible et institutionnalisé. Kira Kaurinkoski explore pour sa part les mobilités transfrontalières des musulmans d’origine turque sur les îles grecques de Kos et de Rhodes. Les ruptures géopolitiques, telles l’annexion du Dodécanèse par l’état grec en 1947 ou la crise chypriote en 1974, ont rompu les liens entre les deux cotés de la frontière. à présent, une nouvelle dynamique économique et touristique s’affirme, suite à l’amélioration des relations entre la Grèce et la Turquie, mais aussi entre cette dernière et l’UE, depuis la fin des années 1990. Cette dynamique contribue à réveiller des mémoires de fraternité, surtout parmi les plus âgés, et à renouer avec des pratiques autrefois familières. à travers le cas d’un informateur et de sa famille étudiés sur une période de dix ans, Jasna Capo analyse les expériences d’identité et d’appartenance parmi des jeunes Croates issus de la migration yougoslave des années 1960‑1970 en Allemagne. Elle met en avant les pratiques administratives des deux pays qui s’avèrent troublantes pour les individus, les papiers d’identité se trouvant au centre des stratégies aussi bien des acteurs que des états concernés.

50 La troisième partie met l’accent sur les « nouveaux modes d’appropriation des lieux et des territoires ». Nebi Bardhoshi explore le rôle de la loi coutumière (Kanun) dans la régulation des relations familiales et des droits de propriété et d’héritage en Albanie du nord‑est et au Kosovo. Les trois exemples ethnographiques présentés montrent que le pluralisme juridique a persisté face aux réformes de la propriété foncière de la période socialiste ainsi que face à celles de la période néolibérale actuelle, influant sur le marché foncier et sur la propriété commune des villages. La législation de l’état se trouve en contradiction avec les cultures légales locales. Ainsi, le Kanun est‑il utilisé afin de maintenir le contrôle des hommes sur la propriété familiale. Il met aussi en cause la légitimité légale de l’état qui favorise à présent toute sorte de privatisation, y compris celle de la terre. Olivier Givres et Pierre Sintès examinent les nouvelles formes d’habiter dans les localités de Brăchljan à la frontière bulgaro‑turque et de Sagiada à la frontière gréco‑albanaise. Dans les deux cas, l’impact de la frontière a été décisif : contrôle et fermeture, déclin, déplacements de la population, abandon. Néanmoins, au cours des dernières décennies, les auteurs observent un réinvestissement patrimonial des lieux habités, des démarches de préservation, de réhabilitation et de création de nouveaux espaces de vie à travers des projets de développement local portés par des habitants anciens et nouveaux. La maison‑patrimoine fait partie d’une pluralisation des manières d’habiter ; des mises en récit, en scène et en valeur des lieux puisent dans un passé lui‑même réinvesti d’un sens contemporain. Bianca Botea‑Coulaud met l’accent sur la reconstruction de l’espace privé et urbain dans la ville roumaine de Jimbolia à la frontière avec la Serbie. La ville a connu une profonde crise socio‑économique et des flux migratoires importants suite à la forte désindustrialisation des années 1990. Depuis, des pratiques patrimoniales et mémorielles qui soulignent le passé allemand de la ville revitalisent l’espace urbain et créent un sentiment de continuité face à la crise et à la rupture. Parfois elles participent également à la production d’un « chez soi » en contexte de mobilité et d’absence. Dina Vaiou aborde le quotidien des femmes migrantes dans les quartiers populaires du centre d’Athènes. Venues essentiellement des ex‑pays socialistes à partir des années 1990, elles ont été employées pour garder des personnes âgées à domicile. Ce sont elles qui tissent des relations de voisinage avec les femmes locales. Ces relations mobilisent aussi des solidarités nouvelles qui aident à faire face à la crise économique actuelle, alors même que les migrants deviennent encore plus vulnérables aux discours racistes et aux agressions. Partant de son analyse de ce cas concret l’auteur conclut que les soins (care) rémunérés ne sont pas uniquement une question locale mais ont une incidence sur les pays de départ et d’accueil et relèvent en même temps d’un phénomène global.

51 L’une des principales qualités de l’ouvrage est de scruter des dynamiques propres à l’espace balkanique sans pour autant enfermer celui‑ci dans une vision particulariste. Des dynamiques sociales et historiques servent à éclairer des réponses locales à des tendances globales, réponses qui sont moins déterminées par une hypothétique identité « balkanique » que par une position spécifique dans les processus contemporains de mondialisation. Même s’il manque un fil conducteur théorique, le livre est un bon exemple de travail interdisciplinaire et comparatif. Il montre que l’échelle locale contribue de façon unique à la compréhension de processus globaux dans un monde en pleine mutation.

Saba Mahmood
Politique de la piété : le féminisme à l’épreuve du renouveau islamique
Paris, La Découverte, 2009 [édition anglaise parue en 2005 ; traduit par Nadia Marzouki], 312 p.

52 par Aminah Mohammad‑Arif cnrs‑ceias Aminah.Mohammad‑Arif@ehess.fr

53 Saba Mahmood explore ici le Renouveau [11] islamique en égypte en s’appuyant sur une enquête ethnographique, menée entre 1995 et 1997, au sein d’un mouvement qui a connu un succès croissant parmi les femmes du Caire. Il s’agit du « mouvement des mosquées », apparu dans les années 1980, qui rassemble des prédicatrices et des participantes d’horizons sociaux très divers. à partir de cette expérience qui l’a forcée à interroger ses propres certitudes d’intellectuelle féministe pakistanaise, l’auteure instaure un dialogue critique, dans la lignée des études postcoloniales, avec les tenants du féminisme libéral qui observent la place des femmes dans les sociétés musulmanes, leurs représentations et pratiques par le prisme exclusif de la soumission aux normes patriarcales.

54 L’ouvrage est divisé en cinq chapitres. Le premier discute un certain nombre de concepts et de notions, mobilisés dans l’ouvrage, comme agency, morale ou éthique, à l’aune du « mouvement des mosquées ». Le deuxième retrace l’histoire du mouvement en la replaçant dans le contexte politique de l’égypte contemporaine. Le troisième montre les prédicatrices en action dans les mosquées et la réception de leur enseignement. Dans le suivant, l’auteure montre comment la pédagogie enseignée par le mouvement articule obligations religieuses et raisons morales et éthiques. Enfin, le dernier chapitre analyse les pratiques de ces femmes par rapport à la question de l’inégalité de genre.

55 Saba Mahmood commence par formuler une critique théorique du féminisme libéral, en cherchant à faire éclater ses présupposés normatifs à valeur universaliste, forgés à partir d’une lecture de la notion d’agency pensée essentiellement en termes d’oppression et de résistance. Selon cette perspective, les femmes seraient prédisposées à s’opposer aux valeurs et aux pratiques des mouvements islamistes. Or cette idée, constate l’auteure, peut difficilement fournir des réponses à la question suivante : « comment se fait‑il qu’autant de femmes, partout dans le monde musulman, soutiennent un mouvement qui semble si peu favorable à leurs “propres intérêts et objectifs” surtout à un moment de l’histoire où leurs chances d’émancipation semblent être devenues plus grandes ? » [12]. Pour autant, Saba Mahmood ne tente pas de montrer un éventuel aspect émancipateur des mouvements islamistes de façon à les rendre plus acceptables aux partisans de la pensée libérale. Elle n’endosse pas non plus totalement les analyses sur le Renouveau islamique qui privilégient l’idée qu’il représenterait une protestation contre la domination occidentale ou une résistance face à l’échec du programme modernisateur des états musulmans postcoloniaux. Pour elle, ces approches ne permettent d’expliquer ni la teneur du rejet de l’ordre hégémonique occidental et des régimes postcoloniaux par les mouvements islamistes ni « les formes de vie que ces mouvements autorisent » [46].

56 Or c’est précisément cette incapacité des approches féministes libérales à rendre compte des modes de vie de ces femmes, impliquées dans un mouvement emblématique d’une des multiples facettes du Renouveau islamique, qui a motivé la recherche de Saba Mahmood. Pour aborder ces phénomènes de façon plus distanciée, l’auteure s’est concentrée sur l’étude de diverses pratiques religieuses (comme la prière ou le port du voile) des femmes engagées dans le « mouvement des mosquées » en insistant sur « les multiples façons dont les normes sont vécues et habitées, désirées, atteintes et accomplies » [44]. Ses observations révèlent, et c’est là son principal argument, que ces pratiques permettent, par l’effort répété, de « se rapprocher du modèle exemplaire du soi pieux » [55] qu’elles aspirent à devenir, tout en montrant dans la continuité des travaux de Talal Asad [12] que c’est le contenu même des actions qui permet la réalisation de cette aspiration.

57 L’auteure s’intéresse certes aux discours : une part importante de l’ouvrage est ainsi consacrée aux échanges entre prédicatrices et participantes au mouvement, lui offrant l’occasion de saisir les discours de ces femmes sur leurs propres pratiques et sur leurs aspirations. Partant, elle montre comment les efforts de ces femmes s’inscrivent avant tout dans une logique de réalisation de soi (par ses pratiques, le « sujet se transforme afin d’atteindre un mode d’être, un état de bonheur ou d’accéder à une forme de vérité particulière », [51]). Mais l’importance que Saba Mahmood accorde à l’étude des pratiques lui permet de mettre en évidence que c’est aussi et surtout par l’action religieuse elle‑même que ce sujet pieux se construit. Pour ces femmes, le voile ne représente pas simplement une marque de piété, mais il est un « moyen nécessaire par lequel on s’entraîne à devenir pieux » [233] ; car si le voile exprime la pudeur, celle‑ci est aussi, de fait, créée par le corps voilé. Les attitudes corporelles « adéquates », selon la tradition islamique orthodoxe, revêtent ainsi une dimension intrinsèque et indissociable de la piété féminine qui s’accomplit dans des rituels religieux.

58 Cette « politique de la piété », loin de rester confinée à la réalisation d’aspirations individuelles, revêt aussi une dimension sociale non négligeable. En s’appuyant sur l’exemple du Ramadan, Saba Mahmood montre que le jeûne ne relève plus de la coutume folklorique « servant d’étendard identitaire, religieux et culturel » [80]. Ces femmes remettent en cause l’idée que les pratiques islamiques auraient pour objet principal d’exprimer une identité ou une tradition : « ce qui est perdu dans ces festivités populaires, explique ainsi une participante au mouvement, c’est l’idée que l’acte du jeûne est un moyen nécessaire à la vie vertueuse » [82]. La pratique religieuse permet à ces femmes d’intégrer un ensemble de normes définies comme constituant la piété, elle‑même étroitement articulée à des notions d’éthique et de morale. Ici en effet, résident les objectifs majeurs du mouvement des mosquées, à savoir « un réapprentissage de la sensibilité éthique [à travers des pratiques religieuses et corporelles bien définies] en vue de créer un nouvel ordre moral et social » [283].

59 Avec sa dimension sociale, cette « politique de la piété », participe d’une critique envers la sécularisation de la société égyptienne. Ces femmes disent en effet s’ériger contre « la forme dominante de religiosité en égypte où l’islam est réduit à un système de valeurs abstraites dénué d’impact immédiat sur l’organisation concrète de la vie quotidienne » [74]. Les objectifs éthiques du « mouvement des mosquées » amènent ainsi Saba Mahmood à s’interroger sur la dimension politique du phénomène. Tout en insistant sur la nécessité de ne pas réduire l’analyse au paradigme de la résistance, elle montre de façon très convaincante comment le positionnement religieux singulier de ce mouvement a déstabilisé tant ses détracteurs libéraux que les partis politiques islamistes en raison de sa résistance à la sécularisation et de son ambition de créer un nouvel ordre social, sans pour autant chercher à transformer l’état. L’auteur conteste ainsi les études qui arguent du caractère essentiellement apolitique des mouvements de piété, en égypte ou ailleurs.

60 Ce livre remarquable, aux analyses très fines, offre donc des clés pour comprendre le Renouveau islamique, dépassant largement le cadre du « mouvement des mosquées ». Il ébranle aussi maints présupposés sur les notions d’agency, de résistance ou encore de subversion, et montre enfin que les comportements d’austérité que ces mouvements appellent de leurs vœux peuvent être difficiles à saisir, si l’on ne prend pas en considération les expériences subjectives des acteurs concernés. à partir d’un solide matériau empirique, l’auteure le démontre bien, en alimentant de façon intéressante et convaincante les analyses sur les rituels religieux qui se centrent sur l’idée que c’est l’action qui structure les normes.

Laëtitia Ogorzelec‑Guinchard
Le miracle et l’enquête. Les guérisons inexpliquées à l’épreuve de la médecine
Paris, Presses universitaires de France, 2014, 247 p.
Préface de Robert Damien, Prix Le Monde de la recherche universitaire.

61 par Julien Bernard Université Paris Ouest Nanterre La Défense jbernard@u‑paris10.fr

62 L’ouvrage de Laëtitia Ogorzelec‑Guinchard porte sur les procédures de reconnaissance des guérisons survenues à Lourdes depuis 1858, date à laquelle une jeune bergère, Bernadette Soubirous, vit une « forme blanche et lumineuse » de « demoiselle » ou de « petite dame », qu’elle appella « Aquéro » (« cela » en patois lourdais) et qui fut rapidement identifiée et renommée, dans un interrogatoire de police, comme étant la Vierge Marie.

63 Le livre s’ouvre sur une anecdote introduisant le lecteur dans la complexité d’un objet à saisir : le miracle. Avançant les « raisons scientifiques qui l’ont amené à conclure à la possibilité de [la] guérison extranaturelle » [1] de la fracture de la jambe d’un ouvrier belge en 1875, un médecin provoque, en 1910, le mépris silencieux ou le rire de ses confrères, réunis à l’assemblée d’une grande Société médicale. Comment une jambe fracturée pourrait‑elle se ressouder instantanément ? La reconnaissance des miracles oblige à se positionner dans les termes du débat entre rationalisme et possibilités de la métaphysique. Les médecins sceptiques ou hostiles affichent leur aspiration à des explications scientifiques, et rejettent, même en dernière instance, le recours à des forces miraculeuses, sur‑ ou extra‑naturelles.

64 En présentant l’histoire des relations entre l’église et les médecins de 1858 à nos jours, le livre développe « une enquête sur les enquêtes » menées sur les dossiers médicaux des personnes guéries à Lourdes. Les guérisons sont d’abord constatées par une commission médicale, puis confirmées par une autre, avant d’être signifiées comme redevables d’une intervention divine par une commission canonique [5]. Le miracle suit donc une forme de carrière. S’appuyant sur le pragmatisme de John Dewey, mais aussi sur les analyses philosophiques de l’expertise (présentées en préface par Robert Damien) ou de « l’ordre du discours » de Michel Foucault, l’ouvrage propose une sociologie des objets de savoirs selon laquelle ceux‑ci sont avant tout des objets d’enquête, « produits par l’action des hommes », plutôt que « déjà présent[s] dans le monde […] attendant d’être simplement discerné[s] » [6].

65 L’objet n’est donc pas de déterminer si les miracles existent ou non, ou de chercher les raisons de croire ou de ne pas croire aux miracles, mais de situer les protagonistes en charge de leur reconnaissance dans leurs contextes historiques et sociaux et de suivre leurs progressions et hésitations dans l’examen des patients et de leurs dossiers médicaux, pour in fine déterminer la manière dont fonctionnent les institutions sociales (ici médecine et clergé) dans leur mission d’élucider et de statuer sur ces faits troublants et sujets à controverse. Le « miracle » ne peut alors se définir que comme un concept déterminé par les points de vue, les enjeux de position et les représentations des acteurs qui s’expriment à son sujet.

66 Dans une première partie (intitulée « Encadrer »), l’auteure traite de la période 1858‑1862 et des troubles immédiatement provoqués par les « événements de Lourdes ». Dans cette période, la médecine ne fut pas la seule à se méfier des miracles. L’église aussi : elle redoutait les railleries qu’aurait suscitées la reconnaissance d’une intervention divine si l’analyse des guérisons avait négligé quelque facteur explicatif connu. Par la voix de l’évêque de Lourdes, elle mit quatre ans à se prononcer sur les miracles de la Grotte. Cette prudence se comprend dans le contexte d’une opposition idéologique entre le clergé et les tenants du positivisme. Mais elle témoigne aussi de la « crainte qui hante particulièrement le xixesiècle, celle de la force potentielle dont les foules sont porteuses » [23]. En effet, les visions de Bernadette Soubirous et les guérisons inexpliquées qui suivirent, provoquèrent l’afflux massif d’une population animée par la volonté de voir la Vierge à son tour, de toucher la visionnaire, ou de bénéficier d’une guérison. Quand, pour éviter tout débordement dans l’espace public, la Grotte de Lourdes fut fermée, ce fut un grondement de colère populaire. Les institutions politiques et religieuses, dont l’une des fonctions communes consiste à réguler et orienter l’énergie émotionnelle de la population, se devaient alors de définir la situation pour encadrer le phénomène. Le recours aux médecins pour expertiser la jeune visionnaire, puis les patients miraculeusement guéris, s’inscrivit alors, selon l’auteure, dans un souci de maintien de l’ordre, lequel trouva une forme stabilisée dans l’organisation des pèlerinages.

67 La deuxième partie porte sur une période allant de 1862 à nos jours. Elle se consacre pour une part aux modifications survenues dans les procédures de reconnaissance des guérisons, notamment dans les grilles d’évaluation utilisées par les médecins mais aussi dans l’instauration de la règle selon laquelle tout pèlerin est invité à se rendre à Lourdes muni de son dossier médical. La reconnaissance des miracles apparaît de plus en plus comme le résultat de divers processus de coopérations et de divisions du travail scientifique, rendus plus sophistiqués par la progressive spécialisation des médecins et par les tensions toujours constantes dans et hors l’église concernant la croyance à l’endroit des miracles. Elle se consacre d’autre part à ces tensions et rapports sociaux dans le monde intellectuel. La fin du xixesiècle et le début du xxe voient en effet les théorisations, en sociologie et anthropologie par Durkheim et Mauss, du mana, et en psychologie par Charcot de l’hystérie et de ses possibles conversions somatiques. L’une des questions qui se pose est alors de savoir si l’on peut expliquer les guérisons miraculeuses par les actions, conjointes ou non, d’une ferveur collective ou d’une autosuggestion capable de soigner la maladie psychique à l’origine des maux. Au fil des décennies, la vigilance observée dans la procédure de reconnaissance des miracles perdure et reflète à la fois l’histoire des sciences et l’histoire des rapports entre religion et société.

68 Dans la troisième et dernière partie (« S’accorder »), le lecteur entre plus avant dans les dossiers médicaux et les controverses médicales. Ne pouvant observer directement les prises de décision, c’est par une analyse documentaire que l’auteure traite des enquêtes concernant deux cas de miracles reconnus au xxesiècle, ceux dont ont fait l’objet « Melle O. » (en 1948) et « M. A. » (en 1988). Pour les besoins de la démonstration, l’auteure traite de deux cas fondamentalement opposés. Alors que le caractère miraculeux de la guérison de Melle O a été reconnu après une procédure longue de deux ans, celle de M. A aura duré onze ans. La raison d’un tel écart réside dans les formes de présentation des dossiers aux instances médicales et cléricales. Melle O dispose d’un certificat médical attestant d’une tuberculose avancée associée à des maux de ventre chroniques lui causant une fièvre quotidienne ; alors qu’elle assiste, dans un état végétatif, à la messe, l’officiant de culte lui donne l’hostie, et constate un réveil instantané ; dès la sortie de la messe, la souffrante recommence à manger, reprend du poids, n’a plus de fièvre et perd rapidement tout symptôme de maladie ; son dossier prend alors la voie du Bureau médical de Lourdes ; là, les médecins disposent du tableau de températures de la patiente ; celui‑ci indique sans équivoque un renversement, à la date du pèlerinage, d’une courbe de températures toujours anormales à normales. La guérison s’est manifestée publiquement, est attestée par un outil d’analyse objectif, et le dossier a suivi le cheminement prévu par les procédures. Il en est tout autrement de M. A. Souffrant d’une sclérose en plaques l’obligeant à circuler en fauteuil roulant, M. A. commence à ressentir les premiers signes de guérison, seul dans sa chambre, au troisième jour de pèlerinage ; il demeure toutefois en fauteuil et ne se remet à marcher, puis à faire du vélo, que quelques semaines après. Très investi dans sa paroisse, il a la sympathie de son curé et de l’évêque de son diocèse, qui écrit au Bureau médical de Lourdes pour attester de la guérison et du caractère pieux et discret du requérant. On le voit, la procédure est inversée. Alors que l’église est théoriquement celle qui signifie le caractère miraculeux au terme de l’enquête médicale, elle est ici en première ligne. à ce problème de procédure s’ajoute une querelle de spécialistes sur le diagnostic de sclérose en plaque avant l’apparition des premières IRM. Le dossier de M. A pose problème à plusieurs niveaux, et ne dispose pas de l’objectivité d’une courbe de températures attestant d’une guérison subite.

69 En conclusion, l’auteure se penche sur la situation actuelle, marquée par une raréfaction des reconnaissances de miracles, et sur les questionnements actuels de l’église sur la possible nécessité d’élargir le champ des interventions spirituelles, de ces « guérisons », d’ailleurs difficilement qualifiables (« frappantes, singulières, anormales, inhabituelles, imprévisibles, surprenantes, [etc. ]» [p.237]) aux cas de « soulagements » des malades, écartant par là la question de la guérison durable, dans un contexte où les cancers étant la première cause de mortalité, il devient plus difficile de distinguer guérison et rémission. Au final, malgré la difficulté de comparer des dossiers aux caractéristiques médicales différentes à des âges différents de l’art médical, l’ouvrage constitue une passionnante étude sociohistorique et épistémologique. Se situant d’abord dans un cadre de sciences sociales, ne cherchant pas à trancher la question du miracle, mais en montrant les enjeux et les procédures qu’il soulève, il suscite une interrogation fondamentale sur les conditions de possibilité du croyable et de l’incroyable.

Martine Roberge 
Les rites de passage au XXIe siècle, entre nouveaux rites et rites recyclés
Québec, Presses de l’Université de Laval, coll. Ethnologie de l’Amérique Française
Paris, Diffusion Hermann, 2014, 203 p.

70 par Martyne Perrot cnrs‑Centre Edgar Morin Martyne.Perrot@ehess.fr

71 Le point de départ de Les rites de passage au XXIe siècle, entre nouveaux rites et rites recyclés, est de questionner la notion de « passage », un classique  de l’ethnologie, depuis les travaux d’ Arnold Van Gennep, parus en 1909. Aujourd’hui peut‑on encore les observer ? Si les rites de passage sont toujours présents dans notre société, affirme Martine Roberge, professeure d’ethnologie au département des sciences historiques de l’université Laval au Québec, ils ne correspondent plus à une « catégorie étanche ». Selon l’auteure, c’est depuis la fin des années 1990 que les rites dits « classiques » « cohabitent avec des rites recyclés sur la base de la personnalisation et sont marqués par une forte diversité ; la multiplication des passages variant d’un individus à l’autre ». Ainsi réappropriés, transformés, ils révèlent : « la perte de repères et de symboles qui les façonnaient autrefois ; Si bien que la question de fond, posée dans l’ouvrage, est la suivante : l’expérience rituelle doit elle toujours marquer un changement de statut, une transition [13] ? Ou bien est‑elle seulement devenue un évènement, un temps fort ?

72 Pour tenter d’y répondre l’auteure va s’intéresser à trois grands passages ritualisés de la vie : la naissance, la conjugalité et la mort. L’approche ethnographique adoptée ici s’est effectuée par entretiens (55) et observations (13) entre 2008 et 2012, au Québec. Écrit dans un style vivant et précis, cet ouvrage mêle judicieusement l’analyse, la description fine des évènements observés et les récits qu’en font les sujets rencontrés.

73 Le livre s’ouvre assez logiquement par la description de rites de naissance. Pendant longtemps, au Québec, ceux‑ci se limitaient au baptême, mais à partir des années 1990 d’autres rites apparaissent, pendant la grossesse et l’accouchement. Contrairement au baptême, ces nouveaux rites s’adressent à la future mère (exemple des photographies de la grossesse) et sont parfois partagés avec le père. Un rituel prend de l’importance ces dernières années : le shower de naissance. Celui‑ci est particulièrement intéressant à observer car il tend à s’imposer comme une « nouvelle séquence rituelle » dans les trois mois qui précèdent l’accouchement. « Catégorie rituelle  singulière », il se caractérise par un scénario défini proche de celui des anniversaires d’enfant, se déroulant dans les résidences privées et sur une courte durée (3 heures en moyenne). Les décorations sont choisies sur le thème de la naissance avec une banderole de bienvenue adressée au futur enfant, des ballons, des affiches, des confettis. Les participants, en majorité des femmes, se réunissent pour faire des jeux sur les thèmes relatifs à la naissance et à l’accouchement. Cette réunion est souvent accompagnée d’un repas froid. Parfois qualifié « de rituels traditionnels » par celles qui les organisent, ils se transmettent à l’intérieur d’un cercle « intime ». Très influencé par les sites internet, les forums de maternité, les magazines féminins etc., les shower de naissance, comme les « cérémonies d’union », sont l’objet d’un accompagnement marchand de plus en plus important.

74 Les rites entourant l’âge adulte et l’entrée dans la conjugalité ouvrent le second chapitre. Il y est question de « l’enterrement de vie de jeunesse », des fiançailles, du mariage et autres cérémonies dites « d’union ». L’enterrement de la vie de jeunesse est traité comme une sorte de rite d’initiation, proche parfois du bizutage ou du charivari, comprenant une série d’épreuves physiques à caractères sexuels. Cette coutume, jusque là masculine, a gagné les groupes féminins. On peut y voir « l’affirmation d’une identité sexuelle égale pour la première fois à celle des garçons » [63], comme le constatait Martine Segalen [14]. La période de jeunesse étant plus longue qu’autrefois, l’accès à l’âge adulte n’est plus aussi marqué. Aussi les rites de mariage, aujourd’hui, ne sont‑ils plus les seuls à consacrer l’entrée dans la vie de couple qui inclut aussi bien, l’union libre, la cohabitation et l’unité résidentielle du couple, parfois même une conjugalité qui se vit sans résidence commune. De fait le parcours conjugal n’est plus ordonné par les fréquentations, les fiançailles et le mariage. L’enquête de terrain fait en effet apparaître une pluralité d’étapes sans ordonnancement précis, où la naissance d’un premier enfant peut précéder l’achat d’une maison, où la mise en couple ou les fiançailles sont parfois un rite « définitif » (qui ne sera pas suivi par celui du mariage). Néanmoins le mariage est aujourd’hui davantage perçu comme une grande fête à organiser et surtout à réussir. Cette « question du festif est centrale », écrit Martine Roberge, les rites ayant tendance à se transformer en « évènement ». à ce propos, elle aborde la notion de « bricolage rituel », mais il ne s’agit pas, dit‑elle, « d’opposer rite institué et rite bricolé », mais de comprendre leur intrication» [118]. Cette notion de bricolage est intéressante et aurait gagnée à être comparée à celle que Michel de Certeau a utilisée pour qualifier ces menus braconnages que chacun pratique tous les jours entre règles et normes imposées [15]. Mais ici ce n’est pas du quotidien dont il s’agit mais de rite et l’intérêt est d’y déceler en effet, cet « entrelacement », ces métissages, ces hybridations, que subissent les rites plus anciens, sinon traditionnels. Ainsi, si la décision de se marier est soumise à des temporalités différentes et donne lieu à un foisonnement de « nouvelles pratiques informelles », elle s’inscrit néanmoins dans des scénarios similaires. Le mariage se déroule en effet toujours dans un schéma ternaire : les préparatifs, la cérémonie (suivie de la noce) et l’après‑mariage (voyage de noces y compris). Beaucoup d’auteurs [16] ayant observé ces nouveaux rituels du mariage avaient conclu à l’obsolescence de cette forme de transition vers l’âge adulte. Pour Martine Roberge, il s’agit pourtant d’un véritable « passage » dans le parcours conjugal lui‑même, d’une nouvelle étape dans la vie du couple, de l’inscription dans un projet commun (achat d’une maison, agrandissement de la famille).

75 A côté de ces rites « recyclés », de nouveaux rituels se créent comme celui des divorce parties, où l’on peut brûler sa robe de mariée par exemple ou « déterrer » sa vie de célibataire, sorte de rituel d’inversion où l’on se permet ce que l’on s’était interdit pendant sa vie maritale. Au conformisme sous‑jacent aux rituels classiques s’est substituée la réappropriation d’un rituel où c’est la collectivité qui est invitée à regarder et parfois à jouer un jeu selon des règles nouvelles que les acteurs principaux ont décidé de lui imposer.

76 Les rites de mort, auxquels est consacré le troisième et dernier chapitre, s’accompagnent aujourd’hui d’une « désymbolisation », mais font preuve, eux aussi, d’un certain nombre de constantes. L’observation ethnographique a été, on s’en doute, plus délicate à mener et la plupart du temps les personnes rencontrées étaient des témoins « indirects » de la cérémonie toujours « empreinte de solennité et de respect ». Un premier constat  nous apprend que la mise en scène de la mort est peu variée. La crémation est devenue au Québec  « la forme la plus populaire de mode de disposition du corps du défunt » laissant pourtant  « un grand vide symbolique » [152]. En général, le scénario comprend trois séquences distinctes : la présentation du corps (exposition de l’urne et offrandes des condoléances), la cérémonie‑hommage (incluant la réception), le temps de la sépulture (y compris la commémoration). La singularisation du choix s’exerce néanmoins à propos de l’urne, de la décoration, de la musique, des chants, des photographies, des diaporamas, des fleurs… Ce qui est commun à toutes ces cérémonies est, en effet, l’importance donnée à la personnalité du défunt. Certaines maisons funéraires proposent d’ailleurs, à côté des formules « clefs en mains », des services « personnalisés » d’accompagnement dans la préparation de la cérémonie, au même titre que les organisateurs d’évènements en tous genres. Une certaine forme de marchandisation s’est donc emparée là aussi de ce rituel. Cependant, la transformation des rites de mort reste limitée. Seule la séquence de deuil, où se sont inventées beaucoup de nouvelles pratiques commémoratives, (cimetière virtuel, mémoriaux en ligne) semble être devenue une « nouvelle séquence rituelle ».

77 Au terme de cette quête ethnographique, minutieuse et précieuse, des rites de passage de la première décennie du xxiesiècle, Martine Roberge affirme, de façon convaincante, qu’ils sont encore « très présents ». Si l’appropriation entraine en effet leur éclatement, d’une façon paradoxale, elle concourt aussi à les faire perdurer.

78 Autre constat, sous la diversité des mises en scène se retrouvent des « séquences invariantes », relativement homogènes. Dans les trois grands domaines rituels étudiés (naissance, âge adulte et mort), l’auteure observe une « certaine émancipation des institutions qui les avaient forgés », la liberté de choix et la personnalisation, constituant aujourd’hui la principale motivation de leur célébration. Des rites de passage collectifs, obligatoires, conventionnels, nous sommes passés, nous dit‑elle, à une ritualité « intersubjective », plus ou moins inventive, assez stable dans sa composition, mais qui n’est ni affaiblie ni moribonde.

Notes

  • [1]
    Cf leurs articles dans Ethnologie française, 2013, XLIII, 1 : 31‑53.
  • [2]
    Ces textes sont en partie issus du colloque « terrae incognitae » organisé à Brest en 2006 par le Centre de Recherche Bretonne et Celtique et l’Atelier de Recherche Sociologique.
  • [3]
    L’urbex, diminutif de Urban exploration, est une pratique consistant à visiter et photographier les lieux abandonnés. Le terme est apparu à la fin des années 2000 sur le site infiltration.org (“the zine about going places you’re not supposed to go”) qui propose pour la première fois une définition et une codification éthique. “Genuine urban explorers never vandalize, steal or damage anything—we don’t even litter. We’re in it for the thrill of discovery and a few nice pictures, and probably have more respect for and appreciation of our cities’ hidden spaces than most of the people who think we’re naughty. We don’t harm the places we explore. We love the places we explore”.
    – “take only photographs”
    – “leave only footprints”
    – “break only silence”.
  • [4]
    Il réunit les 27 contributions du colloque de l’Association des conservateurs des antiquités et objets d’art de France (caoa) tenu aux Archives départementales des Bouches‑du‑Rhône, à Marseille, du 3 au 5 octobre 2013. Il a été organisé par Agnès Barruol, caoa des Bouches‑du‑Rhône, aidée par Yves Cranga, conservateur des Monuments historiques, et Hélène Palouzié, caoa de l’Hérault.
  • [5]
    Boris Grésillon, 2002, Berlin métropole culturelle, Paris, Belin.
  • [6]
    Michel Burawoy, 2009, « Pour la sociologie publique », Actes de la recherche en sciences sociales, 176‑177 : 121‑144.
  • [7]
    Emmanuel Terray, 1996, Ombres berlinoises, Voyage dans une autre Allemagne, Paris, Odile Jacob.
  • [8]
    Régine Robin, 2001, Berlin chantiers : Un essai sur les passés fragiles, Paris, Stock.
  • [9]
    Sonia Combe, Thierry Dufrene Régine et Robin, 2009, Berlin : l’effacement des traces, Lyon, Editions Fage.
  • [10]
    Sophie Calle, 1999, Souvenirs de Berlin‑Est, Arles, Actes Sud.
  • [11]
    J’emploie ici une majuscule car il s’agit d’un mouvement de grande ampleur qui a touché l’ensemble du monde musulman.
  • [12]
    Cf. Notamment, Talal Asad, 2003, Formations of the Secular: Christianity, Islam, Modernity, Stanford, Stanford University Press.
  • [13]
    Voir à ce sujet Martin de la Soudière (dir.), 2000, « Seuils, passages » Communications, 70, mai.
  • [14]
    Martine Segalen, 2005, « L’Invention d’une nouvelle séquence rituelle du mariage », Hermès, 43 : 165.
  • [15]
    Michel de Certeau, 1980, L’invention du quotidien tome 1, Arts de faire, Paris, Le Seuil 10/18.
  • [16]
    Notamment, Martine Segalen,  1997« Comment se marier en 1995 ?  Nouveaux rituels et choix sociaux », dans Gérard Bouchard et Martine Segalen (dir.) Une langue, deux cultures. Rites et symboles en France et au Québec, Paris, La Découverte/Québec, Les Presses de l’Université Laval :149‑166 ; 1998, Rites et Rituels contemporains, Paris, Nathan.
    Jean‑François Gossiaux, 1986, « Le sens perdu du mariage », Dialogue, 1° trimestre : 90‑110.
    Michel Bozon, 1992, « Sociologie du rituel du mariage », Population, 2 : 409‑434.
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