Notes
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[1]
Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche mené sur l’île de Rhodes, ainsi que dans les différents lieux de la diaspora (Afrique du Sud, Belgique, Israël et États-Unis) depuis 2005 avec le soutien de l’École française d’Athènes, de l’UMR 7303/TELEMME, de l’USR 3125/MMSH et de la Fondation du judaïsme français. Sur place, j’ai bénéficié de l’accueil de Carmen Cohen, secrétaire de la communauté, et de Bella Angel Restis, sa présidente que je tiens à remercier. Merci également à Olivier Givre et à Cyril Isnart pour leur précieuse expertise en matière de musée.
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[2]
Le recensement italien de 1912 fait état d’un groupe de près de 4 290 personnes (dont 3 692 présents) [Boquet, 2006]. On a coutume de parler d’une communauté de 5 000 personnes au maximum de sa taille [Rahmani, 2000] avant qu’un fort courant d’émigration entre-deux-guerres ne conduise à sa réduction de moitié.
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[3]
Comme d’autres communautés de Méditerranée orientale, les juifs de Rhodes se sont dirigés dans les premières décennies du xxe siècle vers des destinations lointaines (Argentine, Afrique centrale, États-Unis, Palestine mandataire) où ils participèrent à la formation de congrégations, souvent avec les autres communautés sépharades d’Orient. C’est le cas par exemple de la synagogue des Holim (nouveaux arrivants) de Turquie d’Ashdod ou de la Torah Israël Sephardic Congregation de Brooklyn où juifs de Turquie, d’Égypte et de Rhodes ont longtemps cohabité après leur installation.
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[4]
Le terme de « Rodesli », tiré du turc et qui signifie Rhodien, est employé par les juifs de Rhodes pour se désigner eux-mêmes ainsi qu’en français le terme de « Rodiotes », qui semble dérivé du grec « rodiotis » qui a la même signification.
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[5]
D’après Ilias Messina, elle aurait été construite en 1575 [2008 : 32], d’après Jacqueline Benatar et Myriam Pimienta-Benatar, en 1572 et agrandie en 1593 [2000 : 21].
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[6]
Des plaques de donation datant de 1953 et 1971 y sont présentes et de premiers acteurs s’y intéressent dès 1997 pour aider à la sauvegarde des pierres tombales.
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[7]
Citons, entre autres, les ouvrages de Vittorio Alhadeff, Le Chêne de Rhodes [1998] ; de Martin Hazan, Un dia mas de vida [2007] ; de Stella Hasson, Du paradis à l’enfer [2007] ; de Rebecca Amato-Levi, I Remember Rhodes [1987] ou de Nisso Pelosoff, D’une île à l’autre [2007].
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[8]
La communauté de Rhodes ne disposant pas de rabbin à demeure, elle a pour habitude de faire venir un religieux au cours de l’été pour permettre la célébration d’offices en présence des visiteurs qui fréquentent la synagogue pendant cette période et qui permettent par leur présence d’assurer le quorum nécessaire à la prière.
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[9]
Ces panneaux dataient en fait de 2002 et de l’inauguration du monument à la mémoire des déportés, mais ils avaient été retirés car le texte grec y avait été traduit de l’anglais de manière trop sommaire, et ils avaient nécessité une révision au cours de laquelle les panneaux en anglais avaient été accrochés.
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[10]
Le français a été introduit par l’Alliance israélite à Rhodes à partir de 1888, ce qui conduit une part importante de l’ancienne génération à être encore parfaitement francophone. Cette langue est d’ailleurs très présente dans les différents éléments de communication à l’intérieur de la synagogue, ainsi que dans les dédicaces des évergètes.
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[11]
C’est le cas par exemple des croisières Celibrity dont le fascicule Discover/Shopping ashore distribué aux passagers, mentionne la localisation de la synagogue sur un plan de la vieille ville. Il s’agit même du seul lieu de culte qui y figure. Dans le Guide bleu des îles grecques seulement la mention « La synagogue se trouve tout près, dans la rue Dossiadou » (p. 400) permet de la localiser.
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[12]
Rappelons qu’un parti néo-nazi y a créé la surprise aux élections législatives de 2012 en obtenant plus de 7 % des suffrages, envoyant du même coup 18 députés au parlement. La présence plus marquée de ces groupes dans les rues a conduit quelques juifs vivant dans la vieille ville à retirer les mezouzot de leur porte d’entrée.
1Les juifs de Rhodes ont été pendant plusieurs siècles l’un des éléments du judaïsme sépharade de Méditerranée orientale [1]. Ils formaient une communauté de taille modeste de l’Empire ottoman, comparable aux autres groupes qui, du Caire à Sarajevo, se réclamaient d’une filiation avec Al Andalous. Cette permanence a été rendue possible par la forte autonomie accordée aux communautés religieuses par les lois du Sultan [Benbassa et Rodrigue, 2002 : 91-99], et par la domination des traditions judéo-espagnoles sur les cultures juives minoritaires des Balkans [Handman, 2002]. Au cours de premier xxe siècle, c’est au contraire un mouvement de particularisation qui a touché les communautés juives de la région, du fait de l’émergence des États-nations modernes et de la disparition progressives des systèmes impériaux. Mais les juifs de Rhodes peuvent paraître épargnés par un tel processus qui conduisait partout ailleurs à l’incorporation dans de nouvelles nations : l’attribution des îles du Dodécanèse à l’Italie en 1912, suite au traité d’Ouchy, leur a permis de prolonger leur autonomie juridique [Boquet, 2004] ainsi qu’une soumission à un pouvoir toujours lointain et peu porté à les intégrer dans le corps national. Cette originalité, associée à la taille réduite du groupe [2], peut avoir contribué de manière déterminante à la formation de certaines de ses caractéristiques : l’étroitesse des liens tissés entre ses membres et la formation d’une identification partagée par leurs descendants, malgré une forte émigration dans des pays souvent très éloignés les uns des autres [Hirschon, 2005] [3]. Mais, dans les décennies suivantes, l’histoire a ramené les juifs restés à Rhodes vers un destin plus conformément européen. Suite à la capitulation italienne de l’automne 1943, les troupes allemandes prirent possession de l’île, malgré la pression britannique sur l’archipel, et ne tardèrent pas à s’intéresser au sort des juifs qui l’habitaient encore. Le 23 juillet 1944, la quasi-totalité des 2 000 personnes encore présentes dans le quartier juif de Rhodes fut arrêtée et déportée vers Auschwitz, poussant la solution finale vers l’un de ses points de réalisation les plus méridionaux [Franco, 1994]. Cet événement a scellé durablement la fin de la présence juive dans l’île : la plupart des survivants n’est pas revenue s’y installer après-guerre, le rattachement de l’archipel à la Grèce en 1947 ne semblant plus leur laisser de place dans une société où la pratique de la religion orthodoxe et de la langue grecque étaient devenues des critères déterminants de définition de l’appartenance à la nation.
Nouvelle présence juive à Rhodes
2Sur place, cette histoire est à l’origine du spectacle qu’offre aujourd’hui l’ancien quartier juif, situé dans la partie la plus orientale de la vieille ville fortifiée. Cet espace, toujours désigné sous le nom d’Evraïko ou Ovriaki par les habitants, semble avoir été livré à l’abandon et aux destructions pendant de nombreuses années. Il rappelle à cet égard les quartiers quittés par les communautés juives d’autres pays de Méditerranée, comme les mellah marocains [Mello, 2002], où la rupture de transmission foncière a longtemps empêché l’entretien ou l’aménagement des lieux, et a conduit à son occupation spontanée par des populations pauvres souvent issues de l’exode rural. C’est ainsi qu’à Rhodes, les actuels habitants de l’ancien quartier juif sont parmi les plus modestes de la ville : il s’agit souvent de réfugiés venus dans l’immédiat après-guerre des petites îles et des campagnes environnantes, en raison de la famine qu’ils y subissaient [Skevofylakas, 1988]. Ainsi, malgré le classement de l’ensemble de la ville fortifiée par les autorités nationales en 1959 et par l’Unesco en 1988, l’ancien quartier juif de Rhodes présente encore un certain état de délabrement, stigmate éloquent de la déportation et du départ massif de sa communauté. De telles caractéristiques tranchent avec les autres quartiers de la vieille ville, qui sont le lieu d’une activité touristique soutenue surtout au cours de la période estivale.
La naissance d’une activité mémorielle
3Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la présence juive à Rhodes ne se résumait qu’à très peu de choses. L’installation de quelques familles juives originaires du continent sous les auspices de la communauté d’Athènes, ainsi que le maintien de rares survivants, n’ont pas permis d’y refonder une véritable congrégation autonome. En plus de cette présence limitée, quelques rares juifs natifs de l’île en quête de souvenirs souvent douloureux, ou alors des descendants à la recherche des lieux de leurs origines, venaient régulièrement visiter ce quartier, qu’ils connaissent toujours sous son nom judéo-espagnol de Djuderia. Le président d’une communauté fantôme pouvait alors leur ouvrir les portes de la dernière synagogue de la ville, le Kahal Kadosh Shalom, et les accompagner dans les rues de la vieille ville et au cimetière. Si, à partir des années 1970, ces visites sont devenues plus fréquentes, en raison d’une meilleure accessibilité de l’île par avion et de la compatibilité de cette destination avec des vacances en Méditerranée ou en Israël, le dispositif n’a évolué que très lentement et les traces du passé juif de la ville sont demeurés longtemps des plus ténues. Cependant, malgré cette rareté des signes rappelant l’histoire sur place, force est de constater que les descendants de juifs de Rhodes résidant dans les différents pays du monde sont demeurés les dépositaires d’un discours valorisant leur origine commune. Celui-ci s’articule essentiellement autour du souvenir enchanté de Rhodes [Sintès, 2013] et se manifeste par l’usage du judéo-espagnol (dans la liturgie et comme langue de communication pour certains), par la transmission de traits culturels (cuisines, dictons, etc.) et par l’emploi de l’autonyme Rodesli qui les désigne à leurs yeux sans équivoque [4].
4À Rhodes, la situation a radicalement évolué à partir des années 1990 et 2000, et l’on a assisté à une amplification manifeste de l’expression de la mémoire juive dans l’espace de la vieille ville. Les descendants sont alors plus nombreux à se rendre sur l’île pour y célébrer leurs origines lors de voyages de mémoire regroupant plusieurs générations résidant souvent sur plusieurs continents [Sintès, 2010a, 2010b]. Certains tiennent parfois à y célébrer les événements de la vie familiale (bar-mitsva, mariage) ou les principales fêtes du calendrier liturgique (Rosh Hachana ou Yom Kippour). Parallèlement, le développement d’une activité touristique massive dans l’île touche aussi le quartier juif, surtout depuis l’ouverture de nouveaux quais destinés à accueillir de grands bateaux de croisière à proximité de celui-ci. La synagogue est de plus en plus visitée, majoritairement par des étrangers, bien qu’elle ne soit pas adaptée à ce nouvel usage. En lien avec ces différents mouvements, certains acteurs ont choisi de promouvoir cette histoire et de la doter d’équipements qui permettraient de la rendre plus accessible. C’est le cas d’un descendant de troisième génération de Rodeslis habitant Los Angeles, déjà très actif dans la sauvegarde de cette mémoire en Californie. Celui-ci a conçu un projet destiné à mieux renseigner les touristes sur l’histoire juive de la région. Son initiative a abouti, quelques années plus tard, à l’ouverture d’un musée, visant à présenter aux visiteurs l’histoire des juifs de Rhodes. L’explication qu’il donne de ses motivations sur le site internet de son association témoigne bien du souci de s’adresser au plus grand nombre.
5I was inspired to visit the island of Rhodes in 1975 by stories told to me by my grandparents. Its special charm and history fascinated me. Several years later, in 1995, I went back to Rhodes with my family for my children to learn of our family heritage. It was during that trip that I noticed the need of advancing the public awareness and appreciation of its unique history unfortunately devastated by the Holocaust […]. Today, the island of Rhodes is one of the most popularly visited vacation places in the Mediterranean Sea with vacationers coming from all countries of the world, utilizing international charter air flights as well as cruise ships. These visitors walk the streets of “La Juderia” lacking knowledge of its Jewish history many of whom visited the sole remaining synagogue, the Kahal Shalom. Unfortunately, there was nothing at the Kahal Shalom to inform its visitors of its unique history. Although most of the remnants of Jewish life is absent as a result of the Holocaust, this Museum is an important first step of more expansive efforts in preserving the unique history of the Jews of Rhodes. In 1997, I created two institutions to fulfill this goal. First, I established the Rhodes Jewish Museum, which exhibits photographic materials and other artifacts, and secondly I set up the Rhodes Jewish Historical Foundation, which is a non-profit organization to be used as a vehicle for furthering this goal. In October 1997, I created this web site in order to be an information source for people interested in the history of the Jews of Rhodes as well as those planning to travel to Rhodes. […] I hope the web site will be an enjoyable learning experience for all viewers. Extrait de http://www.rhodesjewishmuseum.org.
6Au cours de ces dernières décennies, ce Nord-Américain n’a pas été le seul à soutenir un tel mouvement à Rhodes. Quelques années plus tard, les instances officielles de la communauté sont, elles-aussi, devenues plus actives dans ce domaine en raison de l’avènement à leur tête d’une puissante famille d’entrepreneurs originaires de Rhodes. Leur action s’est concentrée dans un premier temps sur la mise en place d’un jour de commémoration de la mémoire des victimes de la Shoah, en relation avec les autorités municipales et le musée juif d’Athènes. Le choix d’une date anniversaire s’est donc porté sur le 23 juillet, date de l’arrestation des juifs de Rhodes par l’armée allemande. L’événement a été institué en 2002, et la « première » a donné lieu à l’inauguration d’un monument, une colonne de section hexagonale mentionnant en six langues le sort des déportés, situé sur la place centrale de la Djuderia, la kaï ancha (la rue large) en judéo-espagnol, appelée depuis lors Place des martyrs juifs. Cette manifestation a désormais lieu chaque année en présence des autorités municipales et régionales. Elle réunit plusieurs dizaines de descendants de juifs de Rhodes ainsi que quelques rescapés de la Shoah. La volonté de rendre justice aux générations précédentes est la motivation principale de ces différents acteurs communautaires. Il s’agit de ranimer, sur les lieux mêmes, le souvenir du passé et de rendre aux rues de cette partie de la vieille ville une présence juive en rapport avec leur histoire. Dans un tel mouvement, la synagogue Shalom est devenue le principal instrument de cette nouvelle visibilité.
Du lieu de culte à l’équipement de mémoire
7Le Kahal Kadosh Shalom se trouve en effet au centre des transformations opérées au cours des dernières décennies : c’est ici que bat à présent le cœur de la mémoire des juifs à Rhodes. Il s’agit de la dernière synagogue en activité, les cinq autres qu’a connu la vieille ville n’appartenant plus à la communauté ou ayant été détruites pendant la guerre. Si l’on en croit Marc D. Angel, cette synagogue a été construite juste après l’arrivée des Juifs sépharades à Rhodes, au début du xvie siècle.
Même si la date de construction fait toujours débat [5], il s’agit désormais de la synagogue la plus ancienne de Grèce. C’est un édifice massif dont l’apparence est celle des vieilles maisons de la ville médiévale : des « langues de chats » (galets posés sur champ) en pavent le sol et les murs extérieurs, aux pierres apparentes, sont de couleur ocre. L’intérieur est décoré de fresques colorées évoquant des passages bibliques : la lyre de David, le chandelier à sept branches, le lion de Juda, accompagnées de sentences bibliques et des dix Commandements. Son ordonnancement est celui d’une synagogue sépharade : la tévah située en son centre est entourée sur trois côtés par les bancs où prennent place les fidèles (voir illustration 1). Les deux heikhal, destinés à accueillir les rouleaux de la Torah dans l’aron kodesh, sont situés sur le mur oriental. Le fait qu’il y ait ici deux niches de ce type pour ranger les livres de la Torah est une originalité rare, et la porte située entre elles permet peut-être de suggérer que le bâtiment a fait l’objet d’une autre affectation avant de devenir une synagogue. Dans les années 1930, un balcon a été construit pour permettre aux femmes de suivre le culte de plus près. Elles étaient jusqu’alors contraintes de se tenir dans une salle attenante, appelée azara. Toutes ces caractéristiques attestent bien qu’il s’agit d’une synagogue dont la valeur architecturale est manifeste, compte tenu de son âge et de ses particularités.When the Sephardim came to Rhodes after the Turkish conquest in 1523, they found a synagogue building already in existence. […] It had been built during the 1480’s. Due either to increased number of Jews or communal dissension, another congregation was formed by at least 1570. […]The second congregation, Kahal Kadosh Shalom (Holy Congration of Peace), built its own synagogue building no later than the end of 1577. In the courtyard of the synagogue, there still stands a water fountain, which was used to wash the hands of cohanim prior to their giving the priestly blessing. This fountain bears an inscription dated the month of Kislev, 5338 (1577).
8Alors que les attentions ont paru se concentrer tout d’abord sur l’entretien du cimetière, comme l’attestent les plaques de donation qui s’y trouvent [6], les années 2000 ont vu plusieurs actions concourir à la rénovation de la synagogue Shalom. D’après différents documents, l’état de la synagogue s’était beaucoup dégradé depuis la fin de la guerre. Les dommages causés par le temps et le manque d’entretien menaçaient le bâtiment. Un projet a alors été soumis auprès de plusieurs institutions internationales, publiques comme privées, afin de solidifier l’édifice et de restaurer les peintures et le pavement du sol intérieur. Cette activité a permis son classement en 2000, au titre des « 100 sites les plus en danger du monde » par le World Monuments Fund, une ONG drainant le mécénat privé. Ce financement, ainsi qu’un autre octroyé par l’Union européenne en 2004, ont permis la réfection complète du bâtiment, de sa toiture, ainsi que sa connexion au réseau d’évacuation d’eau de la ville, grâce au concours des services de restauration municipaux. À côté de ces principaux bailleurs, des évergètes privés ont participé à l’embellissement intérieur de la synagogue et au remplacement du mobilier, qui datait de l’après-guerre, et était des plus sommaires (chaises en plastique, pupitre entouré d’une balustrade pour seule tévah). Une nouvelle tévah, fut offerte dès les années 1960 par une famille résidant à l’étranger, alors que les bancs qui apparaissent sur les photos des années 1950 ont été remplacés par de nouvelles chaises bien plus confortables depuis l’été 2006. Enfin la climatisation a été installée en 2010. Les dons sont souvent dédiés à la mémoire de parents disparus, parfois morts en déportation qu’il s’agisse par exemple de la tévah, ou de la plaque en marbre placée à l’entrée de la synagogue mentionnant les noms de familles des déportés. Toutes ces offrandes sont frappées, comme il est d’usage, du nom des donateurs et d’une dédicace : À la mémoire de mon père, ma mère, mon frère et ma sœur et de son mari tous deux déportés, Honoring their parents, ou alors In memory of their parents, affirmant bien que le geste est effectué au nom de la filiation aux lieux, puisque ces parents en sont toujours originaires, et que les donateurs vivent à présent dans des pays souvent très éloignés.
9La fin de la décennie 2000 a vu également l’accélération des rénovations et des transformations autour de la synagogue. En 2007, l’ouverture d’une bibliothèque à l’étage, et l’inauguration du musée dans sa version définitive ont donné une certaine ampleur aux installations. En 2008, la cour occidentale a été complètement rénovée. En 2009, des travaux ont été entrepris pour investir un bâtiment attenant, que la communauté prend en location pour y installer, à partir de l’été 2010, son secrétariat jusqu’alors situé dans un autre quartier de la vieille ville, ainsi qu’une petite boutique de souvenirs. Avec ces nouveaux travaux, la synagogue Shalom est passée en quelques années du statut d’un incertain lieu de pèlerinage familial à celui d’un équipement de mémoire complexe et multiusage, véritable centre de ressources et d’activités patrimoniales à l’échelle de l’ensemble de la vieille ville de Rhodes.
Un processus de mise en ordre
10En dépit du grand intérêt que l’on semble lui porter aujourd’hui, la synagogue n’apparaît pourtant que très peu dans les écrits autobiographiques qui ont été produits par les membres de la communauté juive de Rhodes ou par leurs descendants [7]. Très rares sont ceux qui mentionnent d’ailleurs les lieux de culte de la Djuderia au détour d’une phrase ou d’un paragraphe. Pourtant, en quelques années, elle est devenue un lieu fondamental, un landmark permettant de signifier l’histoire juive de la vieille ville et d’asseoir sa position dans les fonctionnements sociaux et économiques de la société rhodienne contemporaine. Un examen plus attentif du contenu de ce dispositif permet toutefois de constater une multiplicité d’usages et de questionner quelque peu les modalités de leur coexistence, voire de leur compatibilité.
Quels objets pour témoigner ?
11Le musée juif de Rhodes, ouvert depuis 1997 dans l’ancienne azara est l’installation mémorielle la plus classique proposée aux visiteurs de la synagogue (voir les illustrations 3 et 4). Le fait qu’on y accède par le lieu de culte le désigne quasiment comme une annexe de celui-ci, et confirme l’intégration de ces deux équipements, dont la fonction de départ peut sembler très différente, dans un même et seul ensemble fonctionnel. Depuis 2007, et son installation définitive, le musée donne à saisir un discours structuré, se voulant exhaustif de « ce qu’il faut savoir » des juifs de Rhodes. à partir de cette date en effet, la collection, qui était jusqu’alors constituée uniquement de fonds photographiques familiaux, a été complétée par de nombreux artefacts présentés de manière soignée (vitrines, panneaux, écrans diffusant des images d’archives) et recueillis auprès des descendants des juifs de Rhodes répartis dans le monde entier. À l’image de ce qui a pu être constaté ailleurs, le judaïsme est donné pour base constitutive d’un groupe particulier, se distinguant alors de la société environnante d’un point de vue historique et social. Comme dans tout autre équipement muséal, l’agency of display, – soit la suggestion produite par les caractéristiques d’un tel dispositif – [Kirshenblatt-Gimblett, 1998 : 79-81] est à l’œuvre. Elle conduit, par les choix opérés et la disposition des objets, à proposer un regard particulier sur la réalité évoquée.
12La pièce maîtresse, installée sur une socle octagonal au centre de la première salle en entrant dans le musée, est un sefer torah datant du xvie siècle. Ses deux grands rouleaux de parchemin inscrivent la communauté dans l’histoire de la Méditerranée et assurent sa filiation avec l’Espagne médiévale, comme en attestent leur mode d’écriture et leur graphie. Ils permettent aussi de situer la communauté dans son environnement social, puisque l’on explique que les torahs de Rhodes ont été sauvées des Allemands par les musulmans de la ville. Dans la même pièce se trouvent d’autres objets liturgiques : une hanoukia mais aussi, dans une grande vitrine, des éléments du culte privé (megilah de Pourim, phylactères, tsit-tsit et étui de tallit). La seule particularité de ces objets est d’avoir été emportés de Rhodes par leurs propriétaires, mais ils ne présentent pas d’originalité d’un point de vue liturgique ou historique. Ils sont entourés dans les autres salles par des témoignages du quotidien qui se veulent emblématiques de la vie de la communauté juive à Rhodes, comme un porte-cuillères en argent (kucharera en judéo-espagnol) qui renvoie aux traditions d’hospitalité, puisque les cuillères servent à offrir une douceur à son hôte, ou encore un plateau de cuivre portant une étoile de David. Dans une autre pièce, une vitrine accueille quelques costumes censés évoquer les tenues des membres de la communauté à travers les époques. D’autres éléments proviennent de documents administratifs des dernières décennies de l’entre-deux-guerres, produits par les autorités religieuses, comme une note du grand rabbin Israël datant de 1931 rédigée en ladino avec des caractères cursifs sépharades (le solitréo appelé aussi « écriture de Rachi »), un diplôme du collège rabbinique de Rhodes, ou un tampon encreur utilisé par la police portant la mention Raza ébraïca, qui rappelle les lois anti-juives édictées par les autorités fascistes en 1938.
13On trouve aussi quelques documents plus anecdotiques : la lettre du grand rabbin de Rhodes au gouverneur italien demandant des nouvelles de prisonniers de guerre, un faire-part de mariage, des passeports italiens des années 1920, etc. La collection est accompagnée d’un ensemble de panneaux accrochés aux murs, qui portent des textes en grec et en anglais, ainsi que des photos pour les illustrer. Ils présentent une narration qui indiquerait l’originalité des juifs de Rhodes en tant que groupe particulier. Ils sont organisés en sous-thèmes (histoire, traditions religieuses, vie quotidienne et déportation) et donnent au musée une dimension d’interprétation qui déborde le seul espace de cette synagogue, puisque l’on y évoque la vie juive du quartier tout entier, ainsi que les autres bâtiments communautaires remarquables qui s’y trouvaient. Cette suite un peu chaotique pose néanmoins quelques questions quant au discours implicite qui procède d’une telle collection. L’ensemble rappelle le modèle du musée ethnographique du xxe siècle, pour présenter une région ou un groupe, saisi dans la globalité de ses caractéristiques, avec une conséquence inévitable, celle d’essentialiser les traits d’une communauté pourtant plurielle et sujette aux inflexions de l’histoire régionale. À Rhodes comme ailleurs, le passé ainsi muséifié semble recouvert d’une sorte de patine intemporelle, et les traits ethnographiques présentés sont rendus « inoxydables », pour reprendre l’expression d’Alban Bensa [2006].
14La collection ne manque pas d’interroger, par la nature des objets qui la composent, le lien entre le tout et la partie. Le caractère presque uniquement familial du matériau s’impose, alors que le projet affiché est au contraire de composer un discours distancié. Il suppose que des choix aient été opérés dans le matériel utilisé, ce qui n’est pas toujours du goût de tous les visiteurs. Les descendants qui ont proposé des objets paraissent souvent déçus par leur mise en scène, voire par leur non-exposition, témoignant bien de la difficulté habituelle d’exploiter le matériau affectivement investi d’une mémoire privée, pour proposer un discours qui revendique la distance voulue pour sa présentation dans un musée. Témoins de ces tensions entre mémoire familiale et restitution muséale, des corrections apparaissent dès 2010 sur les panneaux qui modifient les noms de personnes figurant sur les photos ou le contexte dans lequel certains documents sont présentés. L’ensemble manifeste aussi des choix concernant le destin historique de la communauté, en en proposant une version conforme à celle qui a cours aujourd’hui au sein de la diaspora.
15De manière significative, l’arrivée d’Espagne après l’expulsion de 1492 est explicitement désignée comme l’événement fondateur pour les juifs de Rhodes, alors que l’histoire des familles confirme que nombre de Rodeslis sont arrivés plus tard et depuis d’autres villes de l’Empire ottoman ou de Méditerranée. Par ailleurs, des Romaniotes se trouvaient sur l’île avant cette date, mais ils ne font pas l’objet d’un intérêt particulier dans le musée, même si une part importante des membres de la communauté actuelle de l’île est issue de cette branche du judaïsme grec. Sans pour autant remettre en question ces orientations dans leur globalité, force est de constater que le discours qui émane du musée inscrit les juifs de Rhodes dans des catégories qui paraissent très bien signalées dans le monde juif contemporain. Toutes discutables qu’elles soient au regard des réalités historiques du lieu, elles permettent à leurs instigateurs d’arbitrer une réalité complexe. En fin de compte, ces dispositifs, comme de nombreux musées communautaires, répondent bien à la définition, que donne Marie-Claire Lavabre [2006] à certains musées contemporains, de « clinique des actes de mémoire », tant il semble être un lieu de négociation des affects (individuels, communautaires, collectifs), un espace d’élaboration, de mise à distance des mémoires personnelles et familiales. Dans une telle tension, la complexité demeure de mise, comme on le constate à travers les interactions entre familles et opérateurs de mémoire, mais aussi à travers la diversité des usages que connaissent ces équipements.
La cacophonie des usages
16Tout au long de l’année, des groupes parfois très différents se croisent aux alentours de la synagogue de Rhodes. Ceux-ci partagent un intérêt plus ou moins grand pour la mémoire juive du lieu. Les visiteurs les plus impliqués sont les descendants des juifs de l’île, ou parfois des natifs ayant échappé à la déportation ou lui ayant survécu, même s’ils sont de plus en plus rares. Ces visiteurs de mémoire restent généralement plusieurs jours à Rhodes et viennent à différentes reprises à la synagogue, où ils recherchent une expérience de proximité avec leurs origines. Ils participent assidument aux services religieux quand ceux-ci peuvent avoir lieu [8], ou aux manifestations estivales, si elles sont compatibles avec leur planning de vacances. D’autres visiteurs juifs donnent parfois à ce voyage le même sens, et ils prennent part également à la vie de la synagogue le temps de leur présence.
17Ces touristes de mémoire, ou d’affinité, croisent dans l’enceinte de la synagogue des vacanciers venus à Rhodes dans le cadre plus classique du voyage d’agrément. Les touristes à la recherche d’activités culturelles incluent volontiers ce site dans leur parcours, car il est devenu une attraction de la vieille ville. Ils viennent généralement d’Europe occidentale, souvent d’Allemagne, ce qui ne manque pas d’être souligné par les membres de la communauté. Enfin, la période estivale amène également à Rhodes un dernier type de touristes qui parcourent la vieille ville en groupe et à toute vitesse. Il s’agit des passagers des bateaux de croisières, dont une part importante vient d’Israël. Ces derniers se rendent immanquablement à la synagogue au cours de leur rapide escale. Leur visite se fait généralement dans un certain tumulte, contrastant avec l’atmosphère de recueillement qui prévaut habituellement en ce lieu. Ils parlent d’une voix forte, s’interpellent, se font photographier, certains montent sur la tévah malgré les cordons qui en interdisent l’accès, pendant que d’autres prient en groupe de manière démonstrative et bruyante.
18Ces différents voyageurs attribuent manifestement aux lieux des rôles bien différents selon les raisons de leur visite. Les descendants, ou les proches, qui connaissent de près les organisateurs des activités communautaires, fréquentent Rhodes avec assiduité et voient dans ces installations des lieux presque familiers ayant appartenu à leur ascendance. Les groupes de touristes israéliens semblent eux aussi se mouvoir dans un espace totalement banal et approprié, « comme s’ils étaient chez eux » d’après une responsable de la communauté, mais l’usage religieux surpasse la particularité historique à laquelle ils ne semblent prêter que peu d’attention. Enfin, les touristes d’Europe occidentale entrent, parfois en se découvrant la tête, dans un espace marqué par la sacralité religieuse et le respect dû aux victimes de la Shoah. La diversité de ces comportements n’est pas toujours facile à concilier et les employés ou bénévoles qui assurent l’accueil des visiteurs tentent de répondre aux attentes exprimées, mais les évolutions en cours ces dernières années semblent devoir compromettre la cohabitation de ces différents usages.
19Très tôt, la synagogue s’est vue transformée en mémorial aux victimes de la Shoah. Leur mémoire y est en effet célébrée depuis longtemps comme le montre la plaque en marbre posée à l’entrée la synagogue qui date de 1969. Depuis 2010, une installation métallique dans la cour orientale, sur laquelle pivotent des panneaux portant les noms des disparus, témoigne de la permanence de cet usage mémoriel. De la même manière, lors des commémorations de juillet, la synagogue est investie par la manifestation, puisque des prières et les discours des différentes autorités y sont prononcés. Cette activité de mémoire se double d’une volonté de reconnaissance de la présence juive au sein de la ville de Rhodes. Elle s’inscrit dans un mouvement de réaffirmation de l’histoire particulière du quartier, négligée jusqu’alors par les autorités grecques. Le discours mémoriel ambitionne donc d’informer les lieux d’une nouvelle narration, qui rendrait justice au passé juif de la Djuderia, et permettrait de réparer ce qui semble être un oubli injuste aux yeux de ses instigateurs.
20Mais cette volonté de reconnaissance est aussi à l’origine d’un rapprochement avec les cadres de l’expression publique tels qu’ils sont en vigueur dans la Grèce contemporaine, conduisant à une sorte d’hellénisation de la manifestation comme du dispositif. Celle-ci passe tout d’abord par la bonne insertion de la communauté rhodienne au sein de la communauté juive de Grèce, comme en témoigne le dépôt de gerbes effectué tous les ans par les représentants des principales congrégations de Grèce lors des commémorations. Plus globalement, cet événement prend, chaque année davantage, les traits d’une manifestation officielle de la République hellénique : les autorités locales ont sensiblement modifié les termes des discours prononcés ce jour-là, et soulignent plus volontiers la contribution de la communauté juive à l’histoire de la cité ; la fanfare municipale y joue l’hymne national. Pour la première fois, lors des commémorations de 2010, certains discours ont même été dits en dehors de la synagogue et en grec, sur la principale place de la Djuderia. Ils ont ainsi pu être entendus et compris par ses habitants actuels.
21L’ouverture au public local se manifeste aussi à l’intérieur du musée, où les panneaux explicatifs bilingues anglais-grec ont fait leur apparition à l’été 2006 alors qu’ils n’étaient rédigés qu’en anglais jusque là [9]. Pourtant, ce mouvement d’ouverture n’est pas toujours compris par les descendants de Rodeslis, premiers destinataires de ces manifestations, pour qui le grec est souvent complètement inconnu, et qui se demandent régulièrement pourquoi on ne parle pas plutôt exclusivement l’anglais, le français ou l’espagnol lors des commémorations [10].
22Les visites des touristes ou des vacanciers en croisière font moins l’objet de malentendus ou d’incompréhensions. En effet, il semble bien plus facile de réussir une visite de ce type où les rôles sont bien campés. L’équipement de la synagogue comme du musée y est d’ailleurs de plus en plus adapté. Depuis plusieurs années déjà, un fascicule est donné à chaque visiteur, un livre d’or est à sa disposition et il est invité à déposer un peu d’argent dans un tronc prévu à cet effet. À l’intérieur du musée, les objets liturgiques sont accompagnés de cartels qui en expliquent le nom et l’usage, montrant bien qu’ils s’adressent aussi à des non-juifs. Cette plus grande ouverture vers un public indéterminé (descendants de Rodeslis ou pas, juif comme non-juif) se manifeste aussi à l’extérieur de la synagogue par l’installation en 2008 de petits panneaux d’affichage sur la rue, qui indiquent aux passants les jours et heures d’ouverture et de fermeture en anglais et en grec, ainsi que les horaires des services religieux en anglais et en hébreu lors de la période estivale. La communication vis-à-vis des touristes a massivement été investie à partir de 2010, avec le déménagement des bureaux de la communauté et l’installation de la boutique de souvenirs. Un panneau de liège permettant de signaler les ouvrages ou les CD disponibles à la vente, ou encore une petite activité de détente estivale proposée par l’annonce : « Écris ton nom en lettres de la Torah », en témoignent à leur tour. Ces efforts sont payés de retour et, qu’il s’agisse des guides touristiques ou des documents fournis par les croisiéristes à leurs clients, ils sont de plus en plus nombreux à mentionner la synagogue comme un lieu d’intérêt de la vieille ville [11].
23La visite touristique des lieux a conduit à l’adoption progressive de procédures destinées à l’ordonner. Des kippa sont disposées à l’entrée, ainsi que des châles pour que les femmes n’entrent pas légèrement vêtues, comme on le fait pour les églises orthodoxes en Grèce. Les personnes chargées de cette visite, même si leur présence n’est jamais assurée d’une année sur l’autre en raison des faibles ressources humaines de la communauté, portent à présent des badges affichant leur nom, et le mode d’interactions avec les visiteurs s’apparente clairement désormais à celui de la visite guidée menée dans la synagogue, le musée et même dans l’ensemble de l’ancien quartier juif.
24L’observation des transformations de la synagogue Shalom dans les années 2000 indique qu’après la « mise en mémoire » du début des années 2000, c’est la « mise en tourisme » qui semble désormais prévaloir. Cette inflexion peut être vue comme un moyen d’appuyer la nouvelle position de la mémoire juive à Rhodes. En 2008, cette bonne insertion dans l’environnement touristique de la vieille ville s’est affirmée jusque dans l’espace public avec l’installation par la communauté de panneaux indiquant le chemin de la synagogue (en anglais et en grec), imitant par leur design les indications officielles. C’est d’une certaine manière donc en utilisant la fonction touristique et patrimoniale que la mémoire des juifs de Rhodes peut désormais s’affirmer plus ouvertement sur les lieux de son histoire. Malgré sa conformité à l’activité dominant la vieille ville toute entière, cette mémoire n’en demeure pas moins quelque peu subversive dans le contexte actuel de raidissement identitaire que connaît la Grèce depuis la crise économique de 2008 [12].
25De la même manière, si le tourisme peut contribuer à la légitimation du retour de la mémoire juive à Rhodes, ses implications peuvent parfois étonner les descendants des juifs de l’île, premiers destinataires de l’activité de mémoire. Difficile de comprendre de leur point de vue que l’on transforme leur Djuderia en « attraction touristique ». Certains préfèrent désormais venir hors saison, pour éviter le tumulte, et portent un regard parfois critique vis-à-vis des commémorations : « On ne va pas faire ça tous les ans. Ce n’est pas le 14 juillet tout de même » nous déclare l’une d’entre elles, alors que d’autres s’agacent plus ouvertement de l’usage touristique des lieux : « Les Israéliens viennent ici mais parce que c’est prévu dans leur programme, pas parce qu’ils s’intéressent à nous », validant pourtant ainsi les catégories de visiteurs produites par le dispositif lui-même.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Notes
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[1]
Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche mené sur l’île de Rhodes, ainsi que dans les différents lieux de la diaspora (Afrique du Sud, Belgique, Israël et États-Unis) depuis 2005 avec le soutien de l’École française d’Athènes, de l’UMR 7303/TELEMME, de l’USR 3125/MMSH et de la Fondation du judaïsme français. Sur place, j’ai bénéficié de l’accueil de Carmen Cohen, secrétaire de la communauté, et de Bella Angel Restis, sa présidente que je tiens à remercier. Merci également à Olivier Givre et à Cyril Isnart pour leur précieuse expertise en matière de musée.
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[2]
Le recensement italien de 1912 fait état d’un groupe de près de 4 290 personnes (dont 3 692 présents) [Boquet, 2006]. On a coutume de parler d’une communauté de 5 000 personnes au maximum de sa taille [Rahmani, 2000] avant qu’un fort courant d’émigration entre-deux-guerres ne conduise à sa réduction de moitié.
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[3]
Comme d’autres communautés de Méditerranée orientale, les juifs de Rhodes se sont dirigés dans les premières décennies du xxe siècle vers des destinations lointaines (Argentine, Afrique centrale, États-Unis, Palestine mandataire) où ils participèrent à la formation de congrégations, souvent avec les autres communautés sépharades d’Orient. C’est le cas par exemple de la synagogue des Holim (nouveaux arrivants) de Turquie d’Ashdod ou de la Torah Israël Sephardic Congregation de Brooklyn où juifs de Turquie, d’Égypte et de Rhodes ont longtemps cohabité après leur installation.
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[4]
Le terme de « Rodesli », tiré du turc et qui signifie Rhodien, est employé par les juifs de Rhodes pour se désigner eux-mêmes ainsi qu’en français le terme de « Rodiotes », qui semble dérivé du grec « rodiotis » qui a la même signification.
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[5]
D’après Ilias Messina, elle aurait été construite en 1575 [2008 : 32], d’après Jacqueline Benatar et Myriam Pimienta-Benatar, en 1572 et agrandie en 1593 [2000 : 21].
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[6]
Des plaques de donation datant de 1953 et 1971 y sont présentes et de premiers acteurs s’y intéressent dès 1997 pour aider à la sauvegarde des pierres tombales.
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[7]
Citons, entre autres, les ouvrages de Vittorio Alhadeff, Le Chêne de Rhodes [1998] ; de Martin Hazan, Un dia mas de vida [2007] ; de Stella Hasson, Du paradis à l’enfer [2007] ; de Rebecca Amato-Levi, I Remember Rhodes [1987] ou de Nisso Pelosoff, D’une île à l’autre [2007].
-
[8]
La communauté de Rhodes ne disposant pas de rabbin à demeure, elle a pour habitude de faire venir un religieux au cours de l’été pour permettre la célébration d’offices en présence des visiteurs qui fréquentent la synagogue pendant cette période et qui permettent par leur présence d’assurer le quorum nécessaire à la prière.
-
[9]
Ces panneaux dataient en fait de 2002 et de l’inauguration du monument à la mémoire des déportés, mais ils avaient été retirés car le texte grec y avait été traduit de l’anglais de manière trop sommaire, et ils avaient nécessité une révision au cours de laquelle les panneaux en anglais avaient été accrochés.
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[10]
Le français a été introduit par l’Alliance israélite à Rhodes à partir de 1888, ce qui conduit une part importante de l’ancienne génération à être encore parfaitement francophone. Cette langue est d’ailleurs très présente dans les différents éléments de communication à l’intérieur de la synagogue, ainsi que dans les dédicaces des évergètes.
-
[11]
C’est le cas par exemple des croisières Celibrity dont le fascicule Discover/Shopping ashore distribué aux passagers, mentionne la localisation de la synagogue sur un plan de la vieille ville. Il s’agit même du seul lieu de culte qui y figure. Dans le Guide bleu des îles grecques seulement la mention « La synagogue se trouve tout près, dans la rue Dossiadou » (p. 400) permet de la localiser.
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[12]
Rappelons qu’un parti néo-nazi y a créé la surprise aux élections législatives de 2012 en obtenant plus de 7 % des suffrages, envoyant du même coup 18 députés au parlement. La présence plus marquée de ces groupes dans les rues a conduit quelques juifs vivant dans la vieille ville à retirer les mezouzot de leur porte d’entrée.