Notes
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[1]
Comme Thierry Hoquet le remarque dans son analyse de l’œuvre de Darwin : « Si la beauté n’est d’aucune “utilité” pour l’individu alors elle demeure inexpliquée par la sélection naturelle » [2009 : 222] ; « la sélection sexuelle opère une extension du domaine de l’utile à l’ensemble des caractères jugés beaux » [2009 : 223].
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[2]
The Descent of Man and Selection in Relation to Sex [1871, première édition, mais ici c’est la deuxième édition de 1874 qui a servi pour la traduction de l’ouvrage en français : La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe, texte dont sont extraites nos citations, éditions Syllepse, sous la direction de Patrick Tort, traduction coordonnée par Michel Prum, 1999].
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[3]
Pour un résumé de ces thèses, voir Kyle Summers [2005 : 106-135].
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[4]
Laquelle n’est pas nécessairement perçue comme illégitime et ne rentre donc pas automatiquement dans la rubrique wébérienne de la puissance, comme le croit L. Betzig (qui, ignorant la sociologie wébérienne, préfère nommer « despotisme » toute forme de pouvoir).
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[5]
Ces recherches ont connu plusieurs étapes. Dans un premier temps Marlowe et Westman [2001] ont montré à deux échantillons masculins, l’un américain et l’autre africain (des chasseurs-cueilleurs Hadza), des dessins de silhouettes féminines vues de face qui différaient entre elles par le ratio entre la taille et les hanches. Plus le ratio est petit et plus la taille est fine par rapport aux hanches (la « taille de guêpe »), à l’inverse plus il est grand et moins la silhouette est incurvée à la taille. Un ratio de 0,7 paraît le plus agréable à l’homme américain, or il se trouve que ce ratio est, d’un point de vue physiologique, celui qui semble optimiser le rapport entre les hormones testostérones et œstrogènes, de sorte qu’il est aussi celui qui permet de prédire de bonnes facultés reproductrices chez la femme. Le choix était légèrement différent chez les chasseurs-cueilleurs Hadza qui privilégiaient un ratio supérieur (une taille moins fine donc), mais cette différence ne semblait pas de nature à remettre en cause le raisonnement dans la mesure où, selon les auteurs de cette recherche, ce ratio correspondait à celui des femmes jeunes, c’est-à-dire fécondes, de la société considérée.
D’autres chercheurs ont soutenu que ces travaux étaient entachés d’ethnocentrisme, dans la mesure où ce qu’ils mesuraient n’était pas le choix esthétique des populations considérées, mais l’influence américaine dans le monde, laquelle diffuse ses modèles et ses préférences. Ils en voulaient pour preuve le fait qu’une population d’Amérique centrale effectivement à l’écart de telles influences ne fit pas les mêmes choix et privilégia nettement les hauts ratios (c’est-à-dire les femmes fortes). Les tenants de la thèse initiale ne se sont pas avoués vaincus pour autant et ont proposé une nouvelle série de tests fondés sur des silhouettes vues, cette fois, non de face mais de profil, de sorte que le whr (waist to hip ratio) apparaisse non pas comme le ratio entre la taille et les hanches, mais entre la taille et les fesses. Il s’agit alors de deux mesures qui contribuent toutes deux au whr. Les hommes africains privilégiaient alors les petits ratios (taille fine par rapport aux fesses), tandis que les américains élisaient des ratios plus hauts (profils moins contrastés). Les auteurs en concluaient que les préférences variaient en fonction des formes effectives des femmes selon les régions : là où elles ont des hanches larges, c’est un ratio faible qui est préféré, là où elles ont de fortes fesses c’est aussi un ratio faible qui est préféré. Les préférences s’orienteraient bien ainsi vers le niveau qui optimise la présence des différentes hormones tout en privilégiant des formes différentes. Force est de reconnaître que les préférences esthétiques sont, au moins partiellement, liées à des caractéristiques biologiques importantes pour la reproduction, l’explication en est sans doute qu’elles se sont mises en place à une époque très reculée de l’histoire humaine, à une époque où les facultés reproductrices de chacun étaient totalement déterminantes pour la survie des groupes. -
[6]
La publicité joue bien évidemment à fond sur la confusion des registres, s’efforçant de présenter des figures flatteuses des deux points de vue en amalgamant les deux.
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[7]
Les deux tentatives de mariage de Saint-Simon en fournissent un bon exemple, il dit lui-même que, dans les deux cas, c’est l’alliance avec le beau-père qui le motivait ; du reste il n’avait jamais vu les filles qu’il demandait en mariage. Dans le premier cas, il y avait trois sœurs : l’aînée (elle avait 14 ans) se vouait à la religion, la deuxième était « contrefaite » (sic) et la dernière n’avait que 12 ans, mais Saint-Simon dit lui-même qu’il s’en serait très bien accommodé à défaut de l’aînée ; le père ne le voulut pas. Dans le deuxième cas, il y avait deux sœurs qu’il trouva également aimables lorsqu’il les rencontra ; il épousa finalement la seconde, mais il ne la connaissait pas plus que l’autre lorsqu’il fit sa demande à son père, le marquis de Lorge (C’est à la remarque suggestive de l’un des relecteurs que cette note a été ajoutée. Qu’il soit remercié.)
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[8]
À la différence de leurs homologues européennes, les études américaines considèrent presque toujours aussi les formes d’homogamie liées à la « race » et à la religion ; on n’en tiendra pas compte ici.
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[9]
Pour la période 1803 à 1843 à Vraiville, le nombre de mariages observés entre agriculteurs est de 28 alors qu’il ne devrait être que de 13,6 en cas de panmixie (pour un total de 114 mariages d’agriculteurs).
1Chez l’animal et l’humain, les désirs et les satisfactions qu’éprouvent les individus animent la reproduction et la vie sociale. La reproduction les conduit à se procurer des partenaires et à procréer, la vie sociale les conduit à s’assurer un statut et exercer du pouvoir. Les activités mises en œuvre lors de la reproduction s’inscrivent non seulement dans le cadre du maintien de l’organisation sociale habituelle, mais aussi dans celui de sa transgression. Les relations liées au sexe peuvent être stables ou éphémères, organisées ou fortuites, ritualisées ou furtives ; celles qui sont liées au pouvoir peuvent être fondées sur des organisations hiérarchisées ou sur la monopolisation de l’espace et de ses réserves, voire de ses biens chez l’humain. L’observation témoigne que l’infinie pluralité, chez l’humain comme chez l’animal, provient de la conjugaison, combinaison et disjonction de ces divers modes.
2Lors de l’accomplissement des activités reproductrices, le désir sexuel conduit un individu à la recherche du plaisir qui va stimuler ses centres nerveux de récompense. Il en résulte que les sensations éprouvées lui feront percevoir l’autre comme une source désirable de satisfaction. Cela conduit les individus à s’attirer, voire à s’attacher un ou des partenaires sexuels. La transmission de la vie s’accompagne chez certaines espèces, dont l’humain, de comportements parentaux de nourrissage et de protection des jeunes. La satisfaction que procure le pouvoir conduit les individus à établir des relations hiérarchiques ou bien à se partager l’espace. Les statuts désirables ainsi détenus donnent des prérogatives à ceux qui les possèdent, mais ils sont aussi l’objet de constantes remises en question. Pour pallier ces conflits, les individus peuvent alors établir des coopérations et nouer des alliances leur fournissant les satisfactions assurées par les liens et la sécurité.
3Nous savons que la transmission du statut social s’opère chez des primates comme les macaques ou les chimpanzés, où un jeune bénéficie du statut privilégié qu’avait sa mère si elle possédait un rang hiérarchique élevé [Pereira, 1995 ; Pusey et al., 1997 ; Kutsukake, 2000]. Nous sommes en présence ici d’un processus de type « perpétuation sociale » dont nous parlerons plus amplement pour notre espèce dans la suite. Chez l’humain, cette disposition peut déterminer les ascendants à choisir un conjoint pour leurs descendants. Ce qui apparaît, à un niveau que l’on pourrait qualifier d’ultime en reprenant une terminologie évolutive, comme la chance de voir le statut d’un individu ou d’un clan perdurer à la génération suivante. Cependant, si nous nous plaçons d’un point de vue proximal, nous considérerons ces dispositions chez l’humain comme le moyen pour les ascendants d’éprouver la satisfaction de perdurer dans leur statut, même si cet événement n’est que de l’ordre des représentations, des aspirations ou des fantasmes. Que les choix des ascendants plaisent aux descendants est une autre affaire, les descendants disposeront de nombreux moyens pour éviter et contourner les usages et autres règles du mariage, les appariements extraconjugaux et enfants nés de ces amours-là en sont le témoignage.
4Cet article a pour objet de démontrer, d’une manière que nous espérons convaincante, que des principes similaires chez l’animal et l’humain rendent compte de ce qui génère la pluralité des modes et des dynamiques d’appariement. Il n’est donc pas trivial, du point de vue qui sera le nôtre, de vouloir rapprocher et comparer ce qui est souvent conçu comme relevant de l’ordre de la nature chez l’animal et de celui de la culture chez l’humain.
Les appariements chez l’animal
5Les animaux, pour perdurer, utilisent notamment la reproduction sexuée qui combine le matériel génétique d’ovules et de spermatozoïdes. À chaque génération les individus ainsi produits ne sont que des structures temporaires vouées à disparaître en dépit des moyens dont elles disposent pour se conserver et mener une vie de relation. Ces individus laisseront place à une nouvelle génération issue de la reproduction de certains de leurs membres. Chez des vertébrés dont de nombreuses espèces d’oiseaux et de mammifères, cette nouvelle génération reçoit souvent des soins parentaux. Ces jeunes individus apprennent à élaborer des conduites, des représentations de leur milieu et de leurs congénères, ils savent reconnaître des lieux et des individus en particulier, ils sont dotés de la capacité d’éprouver des émotions et d’avoir des attachements, ce qui leur permet une vie sociale complexe. Le temps investi pour choisir et s’attacher des partenaires, pour se reproduire et élever des jeunes occupe une part très importante de leurs activités. Parallèlement il n’est pas étonnant de voir que la part de travail consacrée par les éthologues à l’étude des processus reproducteurs et parentaux est si importante. Que ces recherches soient l’œuvre de l’école objectiviste de Lorenz [1958] et Tinbergen [1951] ou ensuite celle de la behavioral ecology de Krebs et Davis [1978], toutes ses études cherchèrent à valider des ensembles théoriques et conceptuels en s’appuyant grandement sur des données issues d’études sur la reproduction et le comportement parental. Les objectivistes ont beaucoup étudié, grâce à la méthode des leurres, des rituels d’accouplement et de nourrissage.
6La behavioral ecology de son côté a étudié les différents types de stratégies sexuelles, reproductrices et d’élevage des jeunes en s’étayant à la fois sur la théorie darwinienne de la sélection sexuelle et sur des théories postérieures qui considèrent que les individus optimisent leurs comportements afin d’obtenir des bénéfices et minimiser des coûts. Nous résumerons ces fondements et conceptions théoriques comme il suit. Au sein des espèces sexuées, la création d’une nouvelle génération d’individus est contrainte par les appariements et choix de partenaires de leurs parents à la génération précédente. Darwin [1859, 1871] avait déjà imaginé que le seul jeu de la sélection naturelle ne suffisait pas pour expliquer l’évolution des espèces. Il avait proposé, en dépit des réticences de nombre de ses collègues, pourtant favorables à ses thèses, qu’il existait un processus de « sélection sexuelle ». Cette dernière postule que les choix de partenaires seraient contraints non seulement par les préférences que les femelles auraient pour certains types de mâles, mais aussi par les compétitions que se livrent les mâles pour être en situation favorable afin de choisir ou d’être choisis par les femelles. La thèse de la sélection sexuelle a fait l’objet de nombreux débats. On sait que Wallace [Slotten, 2004], codécouvreur (ou co-inventeur) de la théorie de la sélection naturelle, ne suivait pas Darwin sur ce point. Cependant, vers la fin du xxe siècle, de nombreux auteurs l’adoptèrent.
7La behavioral ecology a apporté de nouveaux outils d’analyse et d’interprétation souvent empruntés aux sciences sociales ou économiques. Beaucoup de travaux ont utilisé la notion d’optimisation du comportement. Par exemple, on peut concevoir qu’un animal s’investisse dans telle ou telle activité pour minimiser des coûts et maximiser des bénéfices. Il convient alors de le considérer comme un agent qui gère un budget « temps énergie » afin de conduire au mieux ses chances de survivre et de se reproduire. Il en résulte que les divers acteurs de cette vie sociale, les individus, peuvent avoir des intérêts convergents ou divergents. Par exemple, dans des structures reproductrices où les femelles dépensent plus de temps et d’énergie que les mâles pour élever les jeunes, elles auront plus à perdre que les mâles d’un échec reproducteur. En effet, dans toute « affaire », c’est celui qui investit le plus qui a le plus à perdre si l’affaire échoue. Les éthologistes prédisent donc que les femelles seront plus sélectives et attentives aux choix de leurs partenaires que les mâles. Comme Darwin le prévoyait, elles choisissent plus les mâles que les mâles ne les choisissent. On peut aussi considérer, sous une autre forme, que lors de la reproduction il y a plus de spermatozoïdes disponibles que d’ovules, ces derniers constituant donc une ressource rare. Il en résulte que les femelles disposent de moins de « tickets » reproducteurs que les mâles, et qu’à chaque fois qu’elles en utilisent un, elles ne peuvent le gaspiller autant que les mâles pourraient le faire. Elles doivent donc être attentives à son utilisation afin d’optimiser au mieux son usage.
8Beaucoup d’auteurs doutent que même si l’on observe des résultats allant dans le sens des hypothèses formulées plus haut, les individus aient les capacités mentales pour réaliser les raisonnements qui mèneraient à de telles décisions. Comme il est donc peu probable que l’animal perçoive en son for intérieur ce type d’intérêt, il y a plutôt lieu d’imaginer qu’il est mû en ce sens du fait de son fonctionnement neuro-endocrine, qui est le produit de la longue phylogenèse de son espèce. Les câblages et processus sélectionnés par l’évolution entre les entrées et les sorties, c’est-à-dire la chaîne perception-cognition-émotion-action, effectueraient le travail. Les conduites sociales de l’animal et les stratégies qu’il déploie lors de sa vie de relation sont de ce point de vue le produit de « causes ultimes » qui transcendent la vie mentale des individus. De même qu’il n’est pas nécessaire pour qu’une pierre tombe qu’elle connaisse les lois de la gravité, il n’est pas nécessaire qu’un animal perçoive l’intérêt d’optimiser ses activités pour se livrer cependant à des comportements qui vont en ce sens et font de lui un agent economicus. Les lois phylogénétiques auxquelles l’évolution le soumet lui demeurent inconnues quand bien même il les met en pratique.
Les modèles pragmatiques de choix de partenaires
9Les modèles que les éthologistes utilisent pour « expliquer » les choix de partenaires peuvent à peu près tous se ranger sous une rubrique que nous allons appeler « les choix pragmatiques », c’est-à-dire des choix qui présentent une certaine utilité au regard de l’efficacité de la reproduction ; les plus utilisés s’étayent sur la théorie darwinienne de la sélection sexuelle. Les modèles pragmatiques peuvent être présentés sous la forme de trois grands groupes.
10Un premier ensemble de modèles considère que ce sont les femelles qui constituent l’agent principal du choix et que toutes les femelles d’une même espèce possèdent des modèles à peu près similaires de partenaire idéal. Par exemple il posséderait les bons gènes, jouirait d’une bonne santé grâce à de bonnes défenses immunitaires et se trouverait doté d’une belle longévité. Bien sûr toutes ces données ne sont pas nécessairement accessibles au moment d’un appariement, et ce sera sur la perception d’indices qui sont corrélés à ces aptitudes que le choix se fera. Une belle crinière, un statut hiérarchique élevé, des plumes plus longues et plus colorées seront des indicateurs fiables, des signaux honnêtes, qui permettront à une femelle d’identifier le partenaire convoité ou d’être stimulée par lui.
11Chez les oiseaux et plus particulièrement le canari, Serinus canaria, nous avons pu montrer que les femelles avaient toutes des préférences pour une structure particulière des chants de mâle appelée la séquence A [Vallet et Kreutzer, 1995]. Cette phrase du chant possède la particularité d’être difficile à chanter, car elle nécessite une étroite coordination des bronches droite et gauche de la syrinx, organe du chant chez les oiseaux [Suthers et al., 2004]. De plus, les deux hémisphères cérébraux impliqués dans la production du chant doivent également coordonner leurs activités [Hallé et al., 2003]. Des « super stimuli » peuvent même être synthétisés et produire des attractions supérieures à celles de signaux naturels [Draganoiu et al., 2002]. Ces performances motrices doivent être comparées à un travail de jongleur qui coordonnerait très rapidement et de manière asynchrone ses mains droite et gauche. Cette séquence A s’est avérée être également un bon indice du statut hiérarchique des mâles [Parisot et al., 2004].
12D’autres arguments peuvent être avancés pour faire valoir des choix pragmatiques de partenaires, à savoir qu’il est important pour les femelles et les mâles de choisir des partenaires qui leur soient non apparentés, c’est-à-dire génétiquement assez éloignés, afin d’éviter les risques que les appariements consanguins feraient courir. Dans ce cas, les meilleurs partenaires ou les partenaires à éviter sont généralement différents d’un individu à un autre puisque la plupart des individus ne possèdent pas les mêmes apparentés. Les modèles de choix de partenaires relatifs à ce cas de figure sont alors différents selon les individus et toutes les femelles ne partageraient pas des attirances pour les mêmes mâles.
13On peut aussi postuler dans une troisième perspective qu’au cours de leur vie les individus auraient avantage à modifier leur modèle de partenaires en fonction des succès ou des échecs reproducteurs qu’ils ont eus avec des partenaires précédents. Il en résulte que les modèles seront non seulement variables d’un individu à un autre, mais également au cours de la vie d’un individu [Kreutzer, 2002]. Nous avons pu montrer chez les canaris que les femelles modifient la valeur qu’elles accordent aux chants de partenaires qu’elles ont eus précédemment. Les succès reproducteurs renforcent cette valeur alors que les échecs rendent ces chants moins attractifs [Béguin et al., 1998].
Les choix esthétiques de partenaires
14Tous les modèles possibles de choix de partenaires sont-ils épuisés par ces approches pragmatiques ? À de nombreuses reprises Darwin a défendu la thèse qu’il existait des choix esthétiques [Hoquet, 2009] [1], certains auteurs s’attachent à reprendre cette proposition et expérimentent pour en prouver le bien-fondé. Nous partageons leur démarche et ce point de vue sera très utile pour la thèse que nous défendons, à savoir que la recherche du plaisir et la désirabilité de stimulations esthétiques accompagnent la recherche d’un partenaire [Kreutzer, 2001]. Une question se pose alors, celle de savoir si de tels choix sont en synergie avec la recherche d’une adaptation optimale à long terme comme les modèles pragmatiques le formulent pour rendre compte de la stabilisation des critères de choix.
15Abordons la question des choix esthétiques en relisant Darwin [1999] [2]. Il nous invite à étendre aux animaux des compétences observées et souvent attribuées seulement à l’humain : « L’homme et beaucoup d’animaux inférieurs sont pareillement sensibles au plaisir procuré par les mêmes couleurs, les mêmes nuances et formes gracieuses et les mêmes sons [ibid. : 178] les sens de l’homme et des animaux inférieurs semblent être constitués de telle sorte que les couleurs brillantes et certains formes, de même que les sons harmonieux et rythmiques, procurent du plaisir et soient définis comme beaux » [ibid. : 704]. Darwin nous invite également à voir dans cette disposition au goût esthétique une compétence du système nerveux : « Quiconque admet le principe de l’évolution, et cependant éprouve une grande difficulté à admettre que les femelles des mammifères, des oiseaux, des reptiles et des poissons aient pu acquérir le goût élevé impliqué par la beauté des mâles, lequel généralement coïncide avec notre propre modèle, devrait réfléchir sur le fait que des cellules nerveuses du cerveau, chez les membres les plus élevés et les plus inférieurs de la série de vertébrés, dérivent de celles de l’ancêtre commun de ce grand règne. Car nous pouvons voir ainsi comment il s’est passé que certaines facultés mentales, dans divers groupes d’animaux largement distincts, se sont développées presque de la même manière et presque au même degré […] Celui qui admet le principe de la sélection sexuelle sera conduit à la conclusion remarquable selon laquelle le système nerveux non seulement règle la plupart des fonctions actuelles du corps, mais a indirectement influencé le développement progressif des diverses structures corporelles et de certaines qualités mentales […] Les organes musicaux, vocaux et instrumentaux, les couleurs vives et les appendices ornementaux ont tous été acquis indirectement par un sexe ou par l’autre, grâce à l’exercice d’un choix, à l’influence de l’amour et de la jalousie, et à l’appréciation du beau dans le son, la couleur ou la forme ; et ces capacités dépendent manifestement du développement du cerveau » [ibid. : 738-739]. Darwin prend souvent exemple chez l’oiseau pour préciser son propos, comme ici : « Lorsque nous apercevons un oiseau mâle déployer soigneusement ses plumes gracieuses ou ses couleurs splendides devant la femelle, tandis que d’autres oiseaux, dépourvus d’une coloration comparable, ne se livrent pas à un tel déploiement, il est impossible de douter que la femelle n’admire pas la beauté de son partenaire mâle » [ibid. : 177]. Et il en conclura « que l’appariement des oiseaux n’est pas laissé au hasard mais que les mâles qui ont le plus de chances d’être acceptés sont dans des circonstances normales, ceux qui parviennent le mieux à séduire ou à exciter les femelles par leurs charmes variés » [ibid. : 529].
Les choix esthétiques et les circuits de récompense
16Comment pouvons-nous aujourd’hui objectiver ces choix esthétiques que Darwin nous présente ? Nous postulons qu’ils sont réalisés par les femelles quand elles manifestent des émotions et acceptent pour partenaire des mâles dont les parures, les vocalisations et les comportements sont pour elles plus stimulants que ceux émis par d’autres mâles. Nous savons bien sûr que les femelles préfèrent des mâles dont la symétrie et les couleurs vives peuvent être des indicateurs de leur qualité [Møller, 1992 ; Anderson, 1994]. Ces résultats épuisent-ils pour autant la question de l’« esthétisme » ? Chez l’Homme et l’animal on sait que certains signaux sont plus excitants que d’autres et stimulent certains centres nerveux qui font éprouver du plaisir. Il en résulte que celui qui émet de tels signaux peut exploiter le récepteur et influencer ses choix. L’important, pour les mâles, serait de stimuler au mieux les femelles qui interpréteraient comme esthétique ce qui leur ferait éprouver du plaisir. Les théories du « sexy son » [Weatherhead and Robertson, 1979] et du « biais sensoriel » [Ryan, 1990] sont de bons candidats pour avancer dans cette voie. En effet ces théories montrent comment la morphologie et le comportement d’un mâle émetteur viennent exploiter une prédisposition perceptive déjà existante chez les femelles réceptrices. De plus, dans le cas du biais sensoriel, les auteurs démontrent qu’au cours de l’évolution il n’est nullement nécessaire que la prédisposition sensorielle et perceptive des femelles les conduise vers des partenaires mâles qui seraient de meilleure qualité, ce qui compte c’est le pouvoir de stimuler les femelles [Burley et Symanski, 1998].
17Les choix esthétiques et la capacité à éprouver le plaisir du beau sont des préoccupations darwiniennes qui retrouvent aujourd’hui une actualité. En effet, les auteurs ont montré récemment qu’il existait dans le cerveau des animaux des circuits de récompense qui étaient activés en présence de certains événements sociaux comme le choix de partenaires [Aragona et al., 2003] ou la production de chants chez l’oiseau [Hara et al., 2007]. Lorsque les animaux produisent, voient ou entendent certains comportements, cela peut donc stimuler leurs systèmes de récompense [Ikemoto et Panksepp, 1999]. La vie sociale s’accompagne pour l’animal de rencontres plus ou moins plaisantes et la présence d’un individu plutôt que d’un autre va leur apporter plus ou moins de satisfaction. Ces faits vont bien au-delà de la simple rencontre d’objets « excitants », les super stimuli que les objectivistes avaient étudiés au milieu du xxe siècle.
18Il est aujourd’hui indéniable que les animaux éprouvent du plaisir et que cela leur permet d’établir et de maintenir des liens avec certains congénères. Comme le béhaviorisme l’avait dit, les animaux recherchent et répètent ce qui leur est agréable. Ce qu’ils éprouvent est un moteur de leur motivation à agir. À ce stade il est tentant d’imaginer que le plaisir et les circuits de récompense donnent une valeur particulière à certains signaux, individus, objets et situations. Cela permet à des représentations mentales de se construire en s’étayant sur ces attracteurs pour former des catégories cognitives. Au cours de l’évolution, ce qui paraît agréable a dû servir de base pour construire les catégories subjectives du « beau » et du « bon ». Avant même l’arrivée d’un étiquetage par le langage une telle conceptualisation doit être possible.
19Un grand intérêt de ces travaux réside dans le fait qu’ils nous permettent d’objectiver la subjectivité des animaux. On peut passer du comportement à l’étude de la vie mentale, éthologie et psychologie animale, deux disciplines qui ont souvent travaillé séparément, peuvent enfin se rencontrer. Cependant tout système encourt un risque, dont le principal est celui d’avoir les défauts de ses qualités. Et nous savons que les circuits de récompense et de plaisir sont aussi ceux qui peuvent être pervertis et conduire aux addictions et dépendances [Kelley et Berridge, 2002]. L’animal comme l’humain utilise les mêmes circuits de récompense et de plaisir, apparus très tôt dans l’évolution. Ils peuvent succomber au plaisir de désirer un objet pour les stimulations qu’il procure et non pour son utilité. Certains auteurs comparent même des stimulations de la vie sociale à des addictions [Insel, 2003]. La recherche du seul plaisir conduit au plaisir pour le plaisir, et son absence entraîne des frustrations. Dans cette perspective la recherche du pouvoir pour le pouvoir peut dériver du plaisir éprouvé de posséder pour posséder et non pour conserver et transmettre. Cette quête s’accompagne d’un risque, celui de chercher à contraindre et asservir l’autre, non seulement pour mieux posséder et contrôler, mais aussi pour la jouissance et la satisfaction que cela procure.
Les particularités de la sélection sexuelle chez l’Homme
20Chez l’humain le désir de se perpétuer passe par la transmission ainsi que par le contrôle réel et imaginaire de son statut à travers sa descendance. Il en résulte que lors de l’évolution humaine les choix esthétiques et les règles d’usage des appariements se sont désolidarisés. En effet comment une génération laisserait-elle à ses successeurs le soin et la liberté de choisir ses partenaires ? L’enjeu serait trop important pour laisser à la génération suivante la liberté de choisir. Une emprise sur la génération suivante devient nécessaire et elle se réalise en lui imposant des règles d’appariement. Mais la génération suivante retrouve une marge de liberté pour procréer une descendance en contrevenant aux règles, en réalisant par exemple des rapports hors mariage, des mariages hors norme ou sans l’assentiment des ascendants, sans compter les reproductions fortuites dans des cadres éphémères ou fruits de copulations furtives. Ce sont ces points que nous développons maintenant.
21Revenons un instant sur les deux modes de sélection que Darwin a conçus pour rendre compte de l’évolution. Il faisait valoir qu’à côté de la sélection naturelle proprement dite, une autre force agissait qu’il nommait la sélection sexuelle. La sélection naturelle, en effet, lui paraissait agir sur les « variations » entre individus pour favoriser celles qui contribuaient, dans des circonstances données, à l’adaptation et permettaient donc à l’individu de survivre et de se reproduire. La sélection sexuelle était alors conçue comme le mécanisme par lequel les individus survivants reproduisaient les variations ; il reposait sur ce que Darwin avait nommé « la loi de la bataille », c’est-à-dire la compétition entre mâles pour la possession des femelles et le choix subséquent effectué par celles-ci entre les mâles dominants. Darwin était, de plus, d’avis que la sélection sexuelle était indépendante de la sélection naturelle. Elle était selon lui responsable du dimorphisme sexuel, lequel était susceptible d’aboutir à des phénotypes mâles handicapants pour la survie, tels les oiseaux dont le plumage exubérant est une gêne pour le vol ou un signal aux prédateurs, tels les bois des cerfs, gênants pour traverser les bois touffus. Une sorte de balancier évolutif semblait être à l’œuvre, condamnant à terme les modifications compromettantes pour la survie.
22Darwin pensait en outre que la sélection sexuelle avait dû s’appliquer à l’Homme au tout début de son histoire, mais qu’elle s’était sans doute estompée par la suite, en raison du développement de la culture qui, à travers des institutions matrimoniales complexes, tendait à altérer, voire à minimiser les aspects purement physiques de la désirabilité pour leur en substituer d’autres, culturels. La difficulté du problème posé par la sélection sexuelle est précisément là, on peut la formuler de la manière suivante : les relations entre les hommes et les femmes, et tout particulièrement les relations matrimoniales, doivent-elles être interprétées comme le pur produit de déterminants exclusivement culturels ou sociaux ou bien convient-il d’envisager que d’autres facteurs, non conscients car de nature biologique, jouent également un rôle ? Cela conduit aussi à s’interroger sur la relation entre différents types de causes, proximales et ultimes. Certaines perspectives évolutives envisagent que les facteurs sociaux et culturels du mariage ne sont que les moyens pris par les personnages situés en haut de la hiérarchie pour se reproduire plus que les autres, la cause ultime étant alors le succès reproducteur. On reconnaît ici la théorie dite du « clivage » (skew theory) qui soutient que, dans des sociétés hiérarchisées (et elles le sont pratiquement toutes, dès lors que l’on sort du registre des chasseurs-cueilleurs), les individus situés au sommet de la hiérarchie utilisent leur meilleur accès aux ressources pour se reproduire davantage. Niveau hiérarchique et succès reproducteur seraient ainsi liés [3]. Si cette théorie était exacte, alors les catégories supérieures manipuleraient tous les éléments du choix pour favoriser leur propre reproduction. Or, il y a là, selon nous, une confusion entre reproduction et perpétuation. Ce que les strates supérieures de la hiérarchie transmettent, ce sont les moyens de leur domination (économiques, statutaires ou autres), ce par quoi elles assurent leur domination [4]. Plus la société est complexe et plus l’accès privilégié aux ressources comporte des éléments non alimentaires et donc de moins en moins liés au succès proprement reproducteur. L’argument soutenu ici est que, sitôt que l’on atteint un niveau de hiérarchie dans lequel l’accès privilégié aux ressources n’est plus d’ordre strictement alimentaire, la perpétuation sociale est distincte de la reproduction biologique : il n’y a donc pas de raison que les mieux nantis laissent significativement plus de descendants que les autres.
23Contrairement à ce que prétend la skew theory, on soutiendra ici que reproduction biologique et perpétuation sociale sont indépendantes l’une de l’autre, et que c’est sans doute là une particularité de l’être humain. Cela revient à dire que le choix du partenaire peut être dicté par des considérations d’ordre patrimonial ou d’ordre esthétique ou encore d’ordre biologique (ou plus vraisemblablement par un mélange de ces facteurs), mais que les unes n’excluent pas les autres.
Reproduction et perpétuation
24De manière à clarifier le débat on propose de distinguer ici ce qui relève de la « reproduction biologique » (avoir des descendants) – et qui a nécessairement une histoire très ancienne – de ce qui fait intervenir le prestige dont dépend la « perpétuation sociale » (avoir des successeurs) – et qui n’est pas antérieure à l’apparition de hiérarchies sociales. En d’autres termes la particularité essentielle de la sélection sexuelle chez l’Homme tiendrait à ce qu’elle allie deux mécanismes dont l’un s’est mis en place dès les débuts de l’histoire humaine – et qui repose sur l’anticipation chez autrui de bonnes qualités reproductrices, à travers notamment le sentiment de la beauté physique – et dont l’autre a un ancrage tout aussi ancien, le rôle de la domination, mais très fortement remanié par la culture au cours de l’histoire humaine. Cette dernière aurait altéré l’anticipation de fécondité en la parant du charme de la désirabilité, tandis qu’elle aurait totalement reconstruit la domination en la dépouillant généralement de tout côté physique pour la rendre purement sociale (à travers le patrimoine principalement). L’un et l’autre mécanisme sont liés à des systèmes de récompense et peuvent donc conduire à privilégier ces derniers, et ce d’autant plus que, selon notre hypothèse, ils sont autonomes.
Sélection sexuelle : l’hypothèse culturaliste
25La théorie de la parenté, qui constitue le socle sur lequel fut fondée l’anthropologie au xixe siècle, repose essentiellement sur l’idée selon laquelle, dans les sociétés traditionnelles, le mariage est contraint par des règles d’alliance visant à perpétuer des entités sociales (lignages ou groupes locaux). Il en découle dans cette perspective que l’union matrimoniale est essentiellement, sinon exclusivement, une affaire sociale et ne doit à peu près rien aux inclinations sentimentales des intéressés ou, si l’on préfère, rien au désir. S’il en était véritablement ainsi les formes d’appariement des êtres humains ne relèveraient pas de la sélection sexuelle au sens darwinien du terme puisque les qualités reproductrices des intéressés ne seraient pas en cause. Elles relèveraient uniquement de la perpétuation d’une position sociale ou d’un patrimoine. Cette conclusion, à laquelle invite une bonne part de la littérature anthropologique, est cependant discutable. On trouve même des arguments pour la contester dans les relations ethnographiques qui ont semblé, dans le courant du xxe siècle, la fonder. C’est ainsi que l’ethnographie des aborigènes australiens, qui a servi de base principale aux thèses faisant du mariage un fait uniquement « social » (puisque soumis à des règles « strictes » fondées sur l’échange des sœurs selon des mécanismes répétitifs indépendants de la volonté des acteurs), présente cependant des aspects paradoxaux. Spencer et Gillen notamment [1899] qui en offrirent l’une des premières descriptions mentionnent chez les Arunta une règle de mariage obligatoire, mais aussi trois autres modalités matrimoniales tout aussi fréquentes : la séduction par magie, le rapt pur et simple et l’enlèvement suggéré par une épouse mécontente. Comment ne pas voir là l’effet du désir ? Il est bien clair qu’entre les principes affirmés et les pratiques réelles s’insinuent toutes sortes de distorsions. Or ce sont précisément ces distorsions-là qui sont la matière des comportements réels. C’est bien de comportements dont il est question lorsque l’on s’intéresse à la sélection sexuelle. En tout état de cause, si les individus n’obéissent pas aveuglément à des règles d’alliance ou à des décisions d’intérêt patrimonial, mais ont une certaine autonomie en matière de choix matrimonial ou simplement affectif, alors le principe darwinien de la sélection sexuelle a toute chance de s’appliquer.
Sélection sexuelle : l’hypothèse biologique
26Il est aisé de montrer que les choix matrimoniaux impliquent des considérations relevant de ce que l’on nomme ici la perpétuation sociale (transmission du statut ou du patrimoine). Il est relativement aisé aussi de montrer que ces considérations contaminent dans une certaine mesure les perceptions esthétiques des acteurs (les riches ont plus de moyens et de motivations pour se mouler dans les critères locaux de la désirabilité qu’ils contribuent, du reste, à définir). Il est plus difficile, mais tout aussi important, de montrer que ces choix participent également de préférences non conscientes qui font intervenir une évaluation – qui n’est pas perçue comme telle, mais comme une forme de « beauté » – des capacités reproductrices des individus concernés.
27Plusieurs recherches tendent à montrer à partir de tests que, derrière des préférences pour des silhouettes féminines variées (illustrant donc une conception de la « beauté »), se cachent en réalité des constantes qui ne sont nullement arbitraires : les choix esthétiques ne feraient que privilégier des silhouettes plus favorables que d’autres à la reproduction, et auraient donc un sens vis-à-vis de la sélection naturelle [Marlowe et al., 2005]. Le fait qu’elles soient plus favorables résulte d’une certaine combinaison des hormones qui varie selon les morphologies. En choisissant un certain type de silhouette, ce serait aussi, sans qu’ils le sachent, des qualités reproductrices que les hommes éliraient [5]. Que les choix esthétiques cachent ou non des motivations biologiques non conscientes ne fait que confirmer que ces choix existent ; de surcroît, s’ils ne sont pas indépendants des qualités reproductrices, alors ils ne sont pas seulement un produit culturel, ils ont un ancrage profond dans l’histoire de l’humanité.
Reproduction et perpétuation : la combinatoire des deux formes de désirabilité
28Chez l’être humain la sélection sexuelle ne prend pas seulement en compte la désirabilité physique ou comportementale des partenaires, elle repose aussi sur une évaluation des avantages matériels que présente une union, c’est-à-dire sur ce que l’on a nommé ici la « perpétuation sociale » [Augustins, 1989]. Il y a donc deux sortes de causes proximales aux comportements matrimoniaux, qui relèvent de ce que l’on peut nommer pour les unes la désirabilité personnelle (où interviennent les préférences de nature esthétique), pour les autres la désirabilité statutaire (où interviennent les avantages patrimoniaux ou de statut social présentés par chacun des conjoints possibles). Ces deux causes proximales renvoient à une cause ultime unique que l’on peut définir comme « la reproduction sexuée dans les meilleures conditions matérielles et sociales possibles ». Le partenaire souhaitable sera donc celui ou celle qui, en fonction des qualités et des aspirations de chacun, maximise les deux formes de désirabilité. Cela revient à dire qu’il existe nécessairement deux séries de paramètres dans le choix matrimonial : personnels (et ils dépendent de l’attrait physique ou comportemental, de l’esthétique donc) et sociaux (et ils font intervenir l’attrait des avantages matériels).
29Ainsi toute union, qu’elle soit matrimoniale ou pas, mais à plus forte raison si elle est matrimoniale, implique la mise en jeu de considérations implicites sur les qualités physiques aussi bien que sur les qualités de position sociale des intéressés. Ces deux types de qualités n’ont pas besoin d’être consciemment formulés et peuvent fusionner sur une conception globale de la désirabilité, ils n’en sont pas moins analytiquement distincts [6].
30Toutefois, la pondération des différents types de qualités n’est pas du seul ressort des individus ; on peut au contraire penser que leur répartition est propre au milieu dans lequel ils évoluent. Il est des sociétés où certains milieux sociaux imposent des contraintes aux mariages telles que la part de la désirabilité personnelle en a quasiment été éliminée : les unions sont alors contraintes, négociées par les parents sans que l’accord des intéressés soit même requis. Il est clair alors que la sélection sexuelle est devenue principalement sinon exclusivement sociale : elle ne joue plus que sur la perpétuation du statut ou du patrimoine [7]. Il est, à l’inverse, des cas où seul le désir suscité par une personne particulière semble jouer un rôle sans guère de considération pour les aspects matériels de l’union. Ces deux cas extrêmes constituent deux déviations par rapport à ce que l’on peut penser être la caractéristique de la sélection sexuelle humaine qui, par nécessité, associe la reproduction biologique à la perpétuation sociale. L’une des deux déviations renvoie aux aspects les plus anciens de la sélection sexuelle (celle qui privilégie, à travers le physique, l’anticipation de fécondité, elle est esthétique) ; l’autre, en revanche, doit presque tout à la culture (celle qui choisit le prestige social comme critère fondamental). Elles peuvent, en outre, se montrer relativement durables dans la mesure où elles sont associées à des principes de récompense : les uns accumulent du patrimoine ou des avantages matériels et les autres des aventures sentimentales. On peut sans doute valablement supposer que plus la transmission du statut et la dévolution des biens importent dans le cours de la vie, plus l’aspect perpétuation doit prendre de l’importance (en d’autres termes, plus les mariages sont arrangés sans considération pour les inclinations particulières) : cela vaut aussi bien pour le sommet de la hiérarchie que pour les positions sociales étroitement associées à un patrimoine. Une fois en place, ces stratégies semblent devenir des sortes de modèles de comportement associés à des groupes sociaux au point de s’ancrer dans le mythe : les « riches » au xixe siècle se marient entre possédants sans trop se préoccuper du charme de leurs épouses, mais engrossent leur bonne, tandis que les pauvres de la même époque s’unissent par amour et noient leur misère dans l’absinthe…
31Le problème fondamental qui se pose à la plupart des sociétés humaines tient à ce que les positions sociales enviables sont rares et que ceux qui les possèdent souhaitent les conserver, ce qui implique tout à la fois d’avoir des descendants en nombre suffisant pour faire face aux aléas, mais en nombre assez petit pour ne pas créer une concurrence fatale. Ces deux exigences sont évidemment contradictoires. Une solution fréquemment trouvée, dans le monde occidental en tout cas, est la primogéniture qui confie la perpétuation et, dans une certaine mesure, la reproduction à un seul enfant. Elle est d’autant plus « payante » que l’on est haut dans l’échelle sociale où l’on perpétue son statut au détriment des cadets tout en multipliant ses descendants aussi bien par la voie légitime que par l’autre. Une étude remarquable montre, par exemple, que, dans la noblesse portugaise du xvie siècle, la strate la plus élevée mariait ses fils aînés préférentiellement à des filles bien dotées de la petite noblesse (pour laquelle les fils n’avaient pas d’autre chance de réussite sociale que de s’associer aux périlleuses expéditions militaires outre-mer), tandis que les filles de la haute noblesse se faisaient nonnes [Boone, 1986]. Dans un ordre d’idées à peine différent, la noblesse de cour sous Louis XIV concluait ses mariages pour des motifs de maintien du statut et sans considération aucune pour l’inclination possible des futurs conjoints ; il en résultait, comme le montre Saint-Simon, un monde où les liaisons extraconjugales étaient nombreuses et quasiment de notoriété publique.
32On peut donc penser que plus la position sociale occupée à un moment donné repose sur une assise statutaire ou patrimoniale transmissible, plus l’aspect perpétuation sociale jouera un rôle essentiel dans les mariages (plus l’aspect « reproduction » qui repose sur le désir suscité par le physique, l’affectif, risque d’être négligé). De surcroît toute position sociale non servile peut être gratifiante, matériellement et symboliquement, si elle est tenue, dans la société considérée, comme honorable : elle a donc son principe de récompense. Une stratégie matrimoniale reposant sur l’homogamie de milieu social ou de statut est donc susceptible de conforter ce principe de récompense. Or l’attrait personnel, affectif et sexuel, est un autre principe de récompense, tout aussi puissant sinon plus. On peut dès lors supposer que s’établissent des compromis entre les deux principes de récompense et que la perpétuation et la reproduction jouent à jeu égal.
Ce que dit la démographie
33Nombreuses et, pour certaines d’entre elles, déjà très anciennes sont les recherches menées par les démographes sur l’homogamie ; elles consistent à mesurer, dans une population donnée, la proportion des mariages conclus entre personnes qui se ressemblent selon un critère donné. De ce point de vue, on peut envisager de mesurer toutes sortes de formes d’homogamie ; toutefois celles qui sont habituellement mesurées sont celles qui ont trait à la ressemblance des statuts des futurs conjoints ou de leurs parents (homogamie de statut, voire de patrimoine), des professions (homogamie professionnelle), des niveaux et types d’éducation (homogamie d’éducation), des préférences pour certaines activités (homogamie de goûts culturels) ou encore des lieux de résidence ou de naissance (homogamie locale). L’objectif de ces recherches est de tenter de cerner dans quelle mesure la société considérée est constituée de groupes distincts aux frontières plus ou moins perméables [8]. D’une manière générale, et sauf exception, les formes d’homogamie repérées par les démographes correspondent à la « désirabilité de statut », celle-ci inclut toutes les caractéristiques individuelles qui expriment une position sociale et visent donc à la perpétuation. Quelle est la part de choix matrimoniaux qui n’est pas soumise à cette homogamie ? On peut supposer que ce reliquat est lié, au moins pour partie, à l’autre forme de désirabilité, celle qui relève uniquement du « charme » et vise à la reproduction.
34Si l’on tente de résumer les acquis des recherches en démographie, on peut dire que, pour ce qui concerne l’Europe du moins, l’homogamie de statut était plus forte en milieu rural qu’en milieu urbain, et qu’elle était plus forte autrefois qu’aujourd’hui ou, plus précisément, qu’elle a changé de nature depuis une cinquantaine d’années. Une difficulté d’interprétation des mesures d’homogamie tient à la nécessité de distinguer les chiffres observés de ceux que l’on observerait si l’on se trouvait en situation de « panmixie » (mariages au hasard) : c’est la différence entre les deux qui est significative et elle requiert un calcul complexe. Ainsi, l’étude menée par Martine Segalen et Alain Jacquard à Vraiville en Normandie [Segalen, 1970 ; Segalen et Jacquard, 1971] permet de montrer que le taux d’endogamie a varié selon les époques puisqu’il est passé de 55 % durant la première moitié du xixe siècle à 25 % entre 1923 et 1962. Une autre étude menée dans le canton de Chateauponsac en Limousin entre 1870 et 1970 [Crognier et al., 1984] montre que le même taux d’endogamie varie de 44 % pour la période la plus ancienne à un peu plus de 8 % pour la période la plus récente. Dans tous les cas les agriculteurs sont plus homogames que les autres, trait qui concerne également les artisans dans le deuxième cas. Il convient toutefois d’interpréter ces résultats : un taux d’homogamie de 50 %, par exemple, entre agriculteurs ne signifie nullement que les enfants d’agriculteurs n’épousent que des agriculteurs, il signifie qu’une fois sur deux des enfants d’agriculteurs épousent des agriculteurs, alors que si les mariages se faisaient au hasard cette probabilité décroîtrait sensiblement (elle tomberait à une fois sur quatre dans le cas d’espèce) [9].
35Les études menées sur l’homogamie dans le monde urbain contemporain tendent à montrer que celle-ci est de moins en moins liée au statut transmis par les parents, mais de plus en plus au statut conquis par les intéressés et de plus en plus aussi liée au niveau d’éducation ; curieusement, si l’on prend en compte ce dernier type d’homogamie, il gravite autour de 55 % contre seulement 30 % pour ce qui concerne le statut des parents [Kalmijn, 1998] ; en France l’homogamie de profession est particulièrement forte, au point que Michel Bozon, analysant le recensement de 1983-1984, y voit « un redoublement de l’identité sociale de chacun » [Bozon, 1991] ; d’autres études insistent sur le rôle de l’équivalence des niveaux de diplôme entre les conjoints et concluent à un entrelacement des réseaux sociaux [Forsé et Chauvel, 1995]. Multiplier les références ne conduirait qu’à confirmer les traits déjà mentionnés : diminution de l’influence des origines sociales, mais croissance du niveau d’éducation, du type de profession dans les facteurs conduisant à l’homogamie [Smits et al., 1999] ; de surcroît ces régularités ne concernent pas seulement les couples mariés, mais aussi ceux qui vivent en concubinage [Blackwell and Lichter, 2000]. Il demeure que, dans tous les cas, l’homogamie observée n’est qu’une tendance statistique, ce qui veut dire qu’une large fraction de la variance lui échappe. Si l’on prend, par exemple, une étude menée en Suède dans les années 1960 [Trost, 1967], époque à laquelle la perception d’appartenance à une classe sociale était plus forte qu’aujourd’hui, l’homogamie de classe sociale était de 43,8 %, au lieu de 30,7 % si l’on avait été en situation de panmixie ; ce qui veut dire que la part réellement pertinente de l’homogamie de classe est de 13 % ou, dit autrement, que la préférence de classe concerne un peu plus d’un couple sur six. La même étude montre que l’homogamie professionnelle est de 50,6 %, cependant très proche de l’hypothèse de panmixie qui est de 49,3 %. De surcroît l’homogamie observée dérive peut-être simplement du fait que les mariages sont conditionnés par les possibilités de rencontre. Or si celles-ci étaient essentiellement réduites au bal de village dans le monde rural d’autrefois, elles sont souvent limitées dans le monde contemporain aux fréquentations dues à l’emploi.
36Ainsi convient-il de noter que l’homogamie, quelle qu’en soit la nature, n’est pas l’expression d’un comportement qui serait général dans un milieu et une société donnés, mais une tendance qui concerne une fraction – parfois substantielle – de cette population. En d’autres termes, ce que l’on a nommé la désirabilité de statut joue bien un rôle dans la sélection du conjoint, un rôle variable dans son contenu et son intensité, un rôle significatif mais partiel. Qu’est donc le reste ? Quelle est cette part qui n’est pas expliquée par l’homogamie de statut ? Très peu d’études se penchent sur cette question. On peut cependant citer une fois encore l’étude menée en Suède par Jan Trost [1967] qui s’interroge sur les convergences entre attitudes devant l’existence des conjoints à travers sept traits supposés les caractériser dans un contexte où les formes d’homogamie observées touchent à l’âge, au niveau d’éducation, à la classe sociale, aux attitudes politiques et vis-à-vis des relations entre les sexes. L’auteur conclut que les facteurs psychologiques à l’œuvre dans le choix du conjoint sont, d’une part, l’homogamie perçue (c’est-à-dire la manière donc chacun évalue la position de l’autre) et l’attrait sexuel. On ne saurait mieux dire ! Cela revient presque exactement au même que de supposer, comme on le fait ici, que deux forces existent : la désirabilité de statut et la désirabilité personnelle. La seule difficulté de l’argumentation vient de ce que si l’on sait assez précisément évaluer la première, on ne dispose pas vraiment de moyens de mesurer la seconde ! On ne sait donc pas quelle est la part respective des deux formes dans les choix réels. Néanmoins, le fait que partout ou presque existe une tendance homogame assez nette qui concerne l’évaluation du statut social, soit sous sa forme patrimoniale (monde rural), soit sous sa forme professionnelle (monde urbain contemporain), laisse à penser que, dans les sociétés humaines, la désirabilité de statut l’emporte sur la désirabilité personnelle et conduit à la stratification sociale ou la renforce. Cet effet de repli sur le semblable, socialement et culturellement, comporte son système de récompense aussi bien social, à travers la reconnaissance par les pairs, que psychologique, à travers la limitation de l’imprévu. Cette relative dominance de la désirabilité de statut aboutirait même sans doute à des cloisonnements rigides si la désirabilité personnelle ne venait fausser ce jeu.
37Ce que ces stratégies de repli social contribuent à transmettre, ce sont les moyens de garantir un rang dans la société, mais ces moyens ne sont pas infaillibles et ne garantissent aucunement que les descendants conserveront la position des parents ; de surcroît, s’il est clair que l’abondance des moyens disponibles constitue un avantage, celui-ci est si diversifié dans sa composition (c’est-à-dire peu lié à l’alimentation et à la santé), qu’il n’implique aucune relation privilégiée entre aisance et capacité reproductrice. Toutefois, ces stratégies homogames ne sont que tendancielles et l’on voit bien qu’une part substantielle des comportements leur échappe : les aventuriers du désir ont toujours leur chance et il n’est pas impossible que, du point de vue de la reproduction plus certainement que de celui de la perpétuation, ils aient finalement l’avantage.
38Le sexe et le pouvoir sont deux éléments essentiels pour déterminer l’organisation de la vie de relation des animaux et des humains. Ils sont au service des fonctions de conservation et de reproduction des individus et des groupes. Les éthologistes et les ethnologues ont, chacun dans leur domaine de compétence, analysé, comparé et classé la pluralité des modes sociaux et des conduites individuelles des animaux et des humains. Les singularités qui différencient les espèces animales des groupes humains ont paru bien souvent suffire à beaucoup d’auteurs pour déclarer vaine toute tentative de les comparer, voire de leur rechercher des déterminismes similaires. Cependant des auteurs ont construit des approches qui allient l’éthologie et l’ethnologie, percevant peut-être que certaines de ces différences entre l’animal et l’humain ne seraient que de surface [Lestel et al., 2006]. Reproduire du vivant et du social pourrait avoir comme cause immédiate (proximale, diraient les évolutionnistes) la recherche des satisfactions qu’apportent le sexuel et le pouvoir. La diversité et la singularité des modes d’expression de ces satisfactions trouveraient leurs origines dans les « hasards et nécessités » de l’évolution naturelle ou culturelle. Les contingences, accidents et contraintes façonnent le cadre dans lequel la reproduction et la perpétuation émergent des désirs et des satisfactions.
39Chez l’animal et l’humain, reproduire du semblable s’accompagne d’une pluralité de modes. Chez les animaux, différents processus permettent de transmettre la vie, de maintenir l’espèce et d’assurer une vie sociale au sein de groupes. Chez les humains, les appariements d’hommes et de femmes permettent non seulement de produire de nouveaux individus, mais aussi de perpétuer des familles, des cultures et des groupes sociaux, grâce à la transmission de savoirs, de pouvoirs, de biens et de statuts. Les appariements, les alliances entre individus et les relations d’apparentement sont des moyens qui organisent et contraignent la vie sociale. Cependant, sous cette diversité qu’observent le naturaliste et le sociologue, il existe un principe invariant qui est à la source des investissements reproducteurs et sociaux, à savoir la recherche de satisfactions pour réaliser des désirs. L’animal comme l’humain sont des êtres désirants.
Remerciements
Les auteurs remercient Bernard Godelle pour ses commentaires et remarques, ainsi que Gérard et Annie Dressay pour leur lecture attentive du manuscrit.Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : perpétuation, reproduction, sélection sexuelle, appariements, choix esthétiques
Mise en ligne 27/07/2012
https://doi.org/10.3917/ethn.123.0577Notes
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[1]
Comme Thierry Hoquet le remarque dans son analyse de l’œuvre de Darwin : « Si la beauté n’est d’aucune “utilité” pour l’individu alors elle demeure inexpliquée par la sélection naturelle » [2009 : 222] ; « la sélection sexuelle opère une extension du domaine de l’utile à l’ensemble des caractères jugés beaux » [2009 : 223].
-
[2]
The Descent of Man and Selection in Relation to Sex [1871, première édition, mais ici c’est la deuxième édition de 1874 qui a servi pour la traduction de l’ouvrage en français : La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe, texte dont sont extraites nos citations, éditions Syllepse, sous la direction de Patrick Tort, traduction coordonnée par Michel Prum, 1999].
-
[3]
Pour un résumé de ces thèses, voir Kyle Summers [2005 : 106-135].
-
[4]
Laquelle n’est pas nécessairement perçue comme illégitime et ne rentre donc pas automatiquement dans la rubrique wébérienne de la puissance, comme le croit L. Betzig (qui, ignorant la sociologie wébérienne, préfère nommer « despotisme » toute forme de pouvoir).
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[5]
Ces recherches ont connu plusieurs étapes. Dans un premier temps Marlowe et Westman [2001] ont montré à deux échantillons masculins, l’un américain et l’autre africain (des chasseurs-cueilleurs Hadza), des dessins de silhouettes féminines vues de face qui différaient entre elles par le ratio entre la taille et les hanches. Plus le ratio est petit et plus la taille est fine par rapport aux hanches (la « taille de guêpe »), à l’inverse plus il est grand et moins la silhouette est incurvée à la taille. Un ratio de 0,7 paraît le plus agréable à l’homme américain, or il se trouve que ce ratio est, d’un point de vue physiologique, celui qui semble optimiser le rapport entre les hormones testostérones et œstrogènes, de sorte qu’il est aussi celui qui permet de prédire de bonnes facultés reproductrices chez la femme. Le choix était légèrement différent chez les chasseurs-cueilleurs Hadza qui privilégiaient un ratio supérieur (une taille moins fine donc), mais cette différence ne semblait pas de nature à remettre en cause le raisonnement dans la mesure où, selon les auteurs de cette recherche, ce ratio correspondait à celui des femmes jeunes, c’est-à-dire fécondes, de la société considérée.
D’autres chercheurs ont soutenu que ces travaux étaient entachés d’ethnocentrisme, dans la mesure où ce qu’ils mesuraient n’était pas le choix esthétique des populations considérées, mais l’influence américaine dans le monde, laquelle diffuse ses modèles et ses préférences. Ils en voulaient pour preuve le fait qu’une population d’Amérique centrale effectivement à l’écart de telles influences ne fit pas les mêmes choix et privilégia nettement les hauts ratios (c’est-à-dire les femmes fortes). Les tenants de la thèse initiale ne se sont pas avoués vaincus pour autant et ont proposé une nouvelle série de tests fondés sur des silhouettes vues, cette fois, non de face mais de profil, de sorte que le whr (waist to hip ratio) apparaisse non pas comme le ratio entre la taille et les hanches, mais entre la taille et les fesses. Il s’agit alors de deux mesures qui contribuent toutes deux au whr. Les hommes africains privilégiaient alors les petits ratios (taille fine par rapport aux fesses), tandis que les américains élisaient des ratios plus hauts (profils moins contrastés). Les auteurs en concluaient que les préférences variaient en fonction des formes effectives des femmes selon les régions : là où elles ont des hanches larges, c’est un ratio faible qui est préféré, là où elles ont de fortes fesses c’est aussi un ratio faible qui est préféré. Les préférences s’orienteraient bien ainsi vers le niveau qui optimise la présence des différentes hormones tout en privilégiant des formes différentes. Force est de reconnaître que les préférences esthétiques sont, au moins partiellement, liées à des caractéristiques biologiques importantes pour la reproduction, l’explication en est sans doute qu’elles se sont mises en place à une époque très reculée de l’histoire humaine, à une époque où les facultés reproductrices de chacun étaient totalement déterminantes pour la survie des groupes. -
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La publicité joue bien évidemment à fond sur la confusion des registres, s’efforçant de présenter des figures flatteuses des deux points de vue en amalgamant les deux.
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Les deux tentatives de mariage de Saint-Simon en fournissent un bon exemple, il dit lui-même que, dans les deux cas, c’est l’alliance avec le beau-père qui le motivait ; du reste il n’avait jamais vu les filles qu’il demandait en mariage. Dans le premier cas, il y avait trois sœurs : l’aînée (elle avait 14 ans) se vouait à la religion, la deuxième était « contrefaite » (sic) et la dernière n’avait que 12 ans, mais Saint-Simon dit lui-même qu’il s’en serait très bien accommodé à défaut de l’aînée ; le père ne le voulut pas. Dans le deuxième cas, il y avait deux sœurs qu’il trouva également aimables lorsqu’il les rencontra ; il épousa finalement la seconde, mais il ne la connaissait pas plus que l’autre lorsqu’il fit sa demande à son père, le marquis de Lorge (C’est à la remarque suggestive de l’un des relecteurs que cette note a été ajoutée. Qu’il soit remercié.)
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À la différence de leurs homologues européennes, les études américaines considèrent presque toujours aussi les formes d’homogamie liées à la « race » et à la religion ; on n’en tiendra pas compte ici.
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Pour la période 1803 à 1843 à Vraiville, le nombre de mariages observés entre agriculteurs est de 28 alors qu’il ne devrait être que de 13,6 en cas de panmixie (pour un total de 114 mariages d’agriculteurs).