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Article de revue

Eugénisme et croyances populaires : le dépistage des infirmités dans le passé

Pages 301 à 312

Notes

  • [1]
    Ce groupe de femmes figure ici plus à titre illustratif que comparatif. Il nous permettra de mieux saisir à quel point les questions abordées dans un contexte historique sont complexes.
  • [2]
    On peut associer aux débuts de la médecine périnatale la création, en 1753, de l’école des sages-femmes de Ljubljana où les cours se donnaient en slovène alors même que l’allemand était la langue officielle [Borisov, 1995 : 23, 27-28].
  • [3]
    Pendant la période de l’entre-deux-guerres, le « mouvement eugéniste » avait des sympathisants dans la communauté intellectuelle slovène, mais n’a jamais conduit à la stérilisation forcée de populations « inférieures ». Partisan de ce mouvement, Božo Škerlj, un anthropologue physique, se servait de la force expressive des proverbes pour justifier la « pensée eugéniste » [1935 : 2-11].
  • [4]
    La monarchie des Habsbourg a commencé à publier ces statistiques chaque année en 1880 dans le cadre des statistiques sanitaires connues en allemand sous le nom de Sanitätswesen.
  • [5]
    C’était surtout vrai, bien sûr, pour les maux imaginés : les sortilèges, les mauvais esprits et les créatures surnaturelles, toutes soignées par la magie, figurant parmi les maladies infantiles les plus dangereuses.
  • [6]
    Le pourcentage élevé de naissances supervisées par une sage-femme professionnelle dans les périodes suivantes, 1840-1849, 1850-1859 et 1910-1944, tient au fait que l’une d’elles vivait dans la région.
  • [7]
    Un médecin de Novo Mesto écrit dans un journal local à propos de cet examen obligatoire : « C’est important si l’on veut détecter les maladies susceptibles de donner un enfant mort-né ou malade et ainsi soigner à temps les parents » [Horvat, 1951 : 2].
  • [8]
    En milieu rural, le rôle des sages-femmes consistait à convaincre les femmes des avantages d’un examen médical pendant la grossesse. Les cabinets de consultation médicale spécialisés ne font leur apparition qu’après la Seconde Guerre mondiale.
  • [9]
    Après la Seconde Guerre le taux des naissances n’a cessé de baisser ; entre 1957 et 1961, cependant, il était de 26 % dans la paroisse de Velike Brusnice et donc supérieur au taux moyen qui, pour la Slovénie, était de 19,6 %.
  • [10]
    En Slovénie, deux échographies sont pratiquées systématiquement durant la grossesse : la première pendant la quatorzième semaine et la seconde entre la quatorzième et la vingt-deuxième [Krošelj, 2004 : 57]. En 1999, seulement 1,5 % des femmes enceintes n’en avaient passé aucune [Drglin, 2003 : 45].
  • [11]
    Ces pratiques ont souvent été sévèrement critiquées par les médecins dès le xviiie siècle, mais elles sont restées bien enracinées dans la population. Dans son manuel destiné aux sages-femmes, l’obstétricien Bernard Pachner von Eggenstorf écrit que « les signes associés à la grossesse d’un garçon ou d’une fille – par exemple une modification importante de l’état de santé, des vomissements plus fréquents, un tremblement violent du bras droit ou un ventre plus tendu du côté gauche censés indiquer que la femme portait un garçon – étaient toujours incertains et trompeurs » [1848 : 61].
  • [12]
    Ce que vient confirmer une loi en vigueur de 1869 à 1938 qui requérait le célibat des enseignantes.
    Notons que les tabous leur interdisaient le contact avec ce qui était « impur », mais pas de travailler à la ferme. D’où l’on peut conclure que les femmes non seulement dans la paroisse de Velike Brusnice mais dans toute l’Europe, compensaient leur « condition particulière » par leur condition « normale », principalement en respectant des tabous tout en continuant à travailler « comme avant » et « jusqu’au tout dernier jour ».
  • [13]
    Par exemple, la mère ne devait pas se regarder dans la glace parce qu’elle donnerait naissance à un enfant aux lèvres pleines, un trait caractéristique des personnes licencieuses et infidèles.
  • [14]
    La femme enceinte ne devait pas essorer du linge car, par analogie, le cordon ombilical s’enroulerait autour du cou du fœtus ; ni poser de souricières car là aussi l’accouchement serait difficile.
There are only cultural constructions of reality […] In this sense, then, « nature » and « the facts of life » […] have no independent existence apart from how they are defined by the culture.
David Schneider [1976 : 204]

1Cet article interroge la croyance très répandue selon laquelle, dans les sociétés traditionnelles, la grossesse n’est pas ou n’était pas médicalisée. Cette idée a cours en particulier chez les partisans de l’accouchement naturel, dont le nombre a augmenté en Slovénie ces cinq dernières années. Si bien que même Marsden Wagner, spécialiste mondialement réputé en périnatalité, a pu écrire la phrase suivante : « Il y a deux cents ans, l’accouchement était un acte plein d’humanité, car les femmes en couches étaient assistées par des sages-femmes qui donnaient à la parturiente la place principale et suivaient le cours naturel des choses tout en observant certaines règles culturelles » [2007 : 17].

2Si l’objectif est d’humaniser l’accouchement, cela suppose de procéder à une évaluation critique minutieuse des connaissances médicales des générations passées. Il ne faut pas oublier que certaines pratiques (par exemple, l’application d’une pression sur le fundus utérin pendant la seconde partie du travail) sont condamnées par la médecine moderne comme inutiles, voire préjudiciables pour la mère et l’enfant. Au xviiie siècle déjà, les obstétriciens attiraient l’attention sur ces pratiques en les qualifiant de dangereuses superstitions [Makovitz, 1782 : 73].

3N’oublions pas non plus la magie qui, même au xxe siècle, a continué de régner sur la vie et la santé des femmes et de leurs bébés, pendant et après la grossesse. Il en était ainsi, notamment, dans la paroisse rurale de Velike Brusnice (onze villages situés dans la région de Novo Mesto au sud-est de la Slovénie). Les femmes enceintes devaient observer certains interdits pour éviter la naissance d’un enfant malade, mort-né ou handicapé. La communauté rurale contrôlait ainsi leur comportement en s’appuyant sur des préceptes de médecine traditionnelle mêlés de croyances populaires. La grossesse n’avait donc rien de naturel : en d’autres termes, elle était « médicalisée ». Cet article s’emploie à le montrer en présentant le rôle important joué par les tabous.

Informateurs et sources d’information

4Consacrée aux pratiques relatives à l’accouchement et à la fécondité dans la paroisse de Velike Brusnice, cette étude a été menée sur plusieurs années. Son objectif était d’éclairer les comportements en les replaçant dans leur contexte historique, social et géographique, tout en tenant compte du système social et culturel global et de son influence. Pour cela, ont été privilégiées les données orales, recueillies auprès de sages-femmes externes à la retraite ayant pratiqué des accouchements à domicile, mais aussi de sages-femmes exerçant ou ayant exercé dans des maternités. Des entretiens ont également été réalisés avec des gynécologues et des obstétriciens retraités ou en activité. En outre 26 femmes issues de divers milieux sociaux et originaires d’autres régions de Slovénie, qui ont accouché à la maison ou à l’hôpital ces quarante dernières années, ont livré leur témoignage [1]. Enfin, ces données orales ont été complétées par des sources écrites et des statistiques, destinées à éclairer le mode de vie de la population de cette paroisse rurale.

5Les données orales ont été recueillies entre 1995 et 1997 auprès de 25 femmes nées dans les villages de la paroisse de Velike Brusnice entre 1915 et 1934. Plusieurs entretiens ont été réalisés avec chacune d’elles ; toutes ont été questionnées au moins deux fois, et quatre d’entre elles l’ont été six fois. Leurs témoignages sont particulièrement précieux. Ils décrivent en effet une période de transition dans l’histoire des soins périnataux, le moment où les femmes cessent d’accoucher à la maison et commencent à consulter un gynécologue de façon de plus en plus fréquente et régulière pendant leur grossesse.

6Entre 1998 et 1999, ont été recueillies des données sur les comportements grâce à un questionnaire de 193 questions, l’Enquête famille et fécondité (I) auquel ont répondu toutes les femmes de la paroisse de Velike Brusnice nées entre 1915 et 1934, soit un total de 111 personnes. Quant à l’étude démographique, elle s’appuie sur les registres des naissances (1840-1945) et sur les chiffres des recensements (1857-1948). Entre 2007 et 2009, cette recherche s’est poursuivie grâce à un second questionnaire, l’Enquête famille et fécondité (II), plus resserré (45 questions) auquel 426 femmes nées entre 1935 et 1985 ont répondu, 35 d’entre elles faisant par ailleurs l’objet d’un entretien personnel. Toutes ces données n’ont pas encore été complètement analysées, mais les premiers résultats brossent un tableau sans équivoque. Au xxe siècle, pendant les années 1960, les femmes rendaient régulièrement visite à un gynécologue pendant leur grossesse. Les premières à le faire étaient les jeunes ouvrières qui travaillaient dans les usines de la ville voisine de Novo Mesto. Ainsi, dans les années 1970, l’observation des tabous magiques de la médecine populaire avait été complètement remplacée par les soins prénataux de la médecine moderne.

Présentation du contexte historique

7Un grand nombre de spécialistes d’horizons divers soutiennent que, dans les pays développés, l’accouchement est aujourd’hui médicalisé [Wagner, 2007 : 17-30]. D’après Michel Foucault [2000 (1976)], cela remonte au siècle des Lumières quand l’État a commencé à s’intéresser à tous les phénomènes physiologiques et sociaux liés à la reproduction humaine, en raison des avantages économiques et militaires qu’il pouvait tirer d’une forte natalité. C’est à cette époque également que la gynécologie et l’obstétrique ont commencé à se développer, ainsi que la pensée eugénique officielle et les prémices d’une spécialité médicale chargée de veiller sur la santé et la fécondité des femmes [2]. Il s’agissait, au départ, de réduire la mortalité des parturientes et des nouveau-nés pendant l’accouchement. Puis, au début du xxe siècle, l’objectif fut également d’empêcher la naissance d’enfants « inférieurs » [3].

8Le souci de l’État pour la santé des femmes s’est également traduit par le développement de statistiques médicales [4], qui ont commencé par dénombrer les naissances selon qu’elles se produisaient à l’hôpital ou à domicile avec une assistance professionnelle périnatale. Pendant l’entre-deux-guerres, c’est la population qui a également demandé de plus en plus expressément une légalisation de l’avortement et un accès à un accouchement sûr en milieu hospitalier [Rožman, 2001 : 114-126]. Après la Seconde Guerre mondiale, la santé publique et les services sociaux ont été instaurés en même temps que le socialisme, afin que chaque citoyen puisse bénéficier des mêmes droits. Or, une enquête a montré qu’en Slovénie, au xxe siècle, les agricultrices ne profitaient pas de leur droit à un suivi médical pendant la grossesse aussi aisément que les ouvrières [Rožman, 2004]. Pour ces femmes, fortement investies dans les travaux agricoles et domestiques, les visites au médecin représentaient une perte de temps précieux, la nature particulière de leur activité les empêchant également de prendre des congés maternité [ibid. : 89-96]. Ces femmes n’allaient pas davantage chez le médecin quand leur enfant tombait malade, mais continuaient de le soigner à la maison [5], avec l’aide de guérisseurs qui utilisaient les remèdes de la médecine traditionnelle [Kotnik, 1952 ; Möderndorfer, 1964]. Pendant longtemps encore, elles ont ainsi fait appel à des sages-femmes traditionnelles, sans formation médicale, en particulier dans les villages de montagne de la paroisse de haute Podgorje.

Tableau 1

Pourcentage des accouchements assistés en Podgorje (haute, centre et basse) entre 1840 et 1944 [6]

Tableau 1
Décennie Haute Podgorje Podgorje centre Basse Podgorje 1840-1849 10,9 21,3 13,6 1850-1859 14,9 8,4 15,0 1860-1869 9,4 35,3 32,6 1870-1879 4,1 57,4 54,3 1880-1889 3,3 58,9 51,7 1890-1899 5,4 69,8 64,0 1900-1909 2,3 81,3 57,5 1910-1919 11,9 80,4 64,8 1920-1929 13,0 88,3 80,2 1930-1939 13,1 84,3 87,6 1940-1944 12,9 69,3 73,3

Pourcentage des accouchements assistés en Podgorje (haute, centre et basse) entre 1840 et 1944 [6]

Source : Registre des naissances III (1840-1874), IV (1875-1901) et V (1902-1945).

9Si, dans la paroisse de Velike Brusnice, les femmes accouchent à l’hôpital, en revanche elles subissent rarement d’examens gynécologiques jusque dans les années 1970. Et ce malgré le décret de santé publique qui, en 1951, a rendu obligatoire l’examen des femmes enceintes au cours des quatrième et septième mois [7]. À la question « Avez-vous fait un examen gynécologique pendant la grossesse ? », la veuve d’un métayer répondit en riant : « Pas une seule fois, jamais de la vie ! » L’épouse d’un important fermier précise : « Jamais ! Les femmes n’en faisaient jamais ! » Il leur aurait fallu quatre à six heures simplement pour se rendre à la clinique de Novo Mesto et en revenir ; cela leur prenait au moins huit heures en général pour aller voir un médecin, presque la moitié d’une journée de travail. Interrogée sur la raison pour laquelle elle n’avait pas consulté de gynécologue pendant sa grossesse, la veuve d’un petit fermier s’exclame : « Je travaillais tout le temps, pour l’amour du ciel ! J’allais chercher de quoi nourrir les vaches ou les cochons, je préparais à manger et je m’occupais des enfants. Je n’allais jamais nulle part. »

10Nullement isolé, ce type de réponse montre assez clairement que la nouvelle mesure de santé publique de 1951 n’a apporté aucun avantage matériel aux femmes de la paroisse de Velike Brusnice. Elles n’y voyaient qu’une perte de temps, d’autant qu’elles ne comprenaient pas comment un simple examen gynécologique pouvait établir la bonne santé du fœtus [8]. Aussi est-il étonnant qu’elles se soient approprié, dans un délai relativement court, la seconde innovation du système de santé leur permettant d’accoucher en toute sécurité à l’hôpital (voir tableau 2), et ce malgré le mauvais réseau de transport, la pénurie d’ambulances et de médecins (notamment de pédiatres et de gynécologues) et le manque de connaissances médicales. L’accouchement « naturel » à la maison représentait pour elles le principal facteur de risque menaçant leur vie et celle de leur enfant.

Tableau 2

Nombre et pourcentage des naissances à domicile et à l’hôpital

Tableau 2
Année de naissance À domicile En maternité Total (n) n % n % 1935-1944 16 80,0 4 20,0 20 1945-1954 58 57,4 43 42,6 101 1955-1964 55 33,7 108 66,3 163 1965-1974 7 22,5 24 77,4 31

Nombre et pourcentage des naissances à domicile et à l’hôpital

Source : Enquête famille et fécondité I, 1998-1999.

Dépistage, échographie et pensée eugénique

11Après la Seconde Guerre mondiale, les femmes ont commencé à contrôler leur fécondité, en recourant à l’avortement puis, dans les années 1960, à la contraception, si bien qu’elles ont eu moins d’enfants que leurs mères [9]. À peu près au même moment, le taux de mortalité infantile a baissé grâce à une amélioration du niveau de vie et au développement des soins périnataux. L’approche eugéniste ne constituait pas simplement une « politique de santé » démodée, elle était profondément ancrée dans la pensée populaire et s’est maintenue dans le service de santé sous la forme d’examens médicaux, auxquels se sont ajoutés des échographies dans les années 1980, puis d’autres tests de dépistage dans les années 1990 [10].

12En témoignent également les données recueillies auprès de 19 femmes qui ont accouché à la maison ou à la maternité au cours des cinq dernières années. Issues de divers milieux sociaux, elles entretenaient des avis différents sur l’accouchement « naturel », mais elles s’étaient toutes rendues régulièrement chez le médecin de leur propre initiative pendant leur grossesse, « afin de s’assurer que tout allait bien pour l’enfant ». L’utilisation évidente et généralisée, voire ritualisée, parfois abusive, des tests de dépistage n’est que l’une des manifestations de la médicalisation des soins périnataux dans nos sociétés. Toutefois, paradoxalement, les femmes n’associent pas tant cette médicalisation aux examens médicaux et aux tests de dépistage réalisés pendant la grossesse, qu’aux complications attribuées à une prise de médicaments inappropriée pour déclencher et stimuler l’accouchement ou encore à la technologie médicale et aux techniques d’accouchement utilisées par les obstétriciens et les sages-femmes dans les maternités [Davis-Floyd, 1996 ; Drglin, 2003 : 93-279 ; Drglin, 2007 : 105-156 ; Mivšek, 2007 : 73-103 ; Rožman, 2007 : 157-172 ; Wagner, 2007 : 17-30].

13Cette attitude est parfaitement illustrée par cette femme de 32 ans, maître-assistant, qui déclare avoir accouché à la maison de façon naturelle, mais avoir « vu le gynécologue et subi régulièrement des examens médicaux et des échographies » pendant sa grossesse. Une affirmation qui contraste avec celle, caractéristique elle aussi, d’une femme de la campagne, qui a accouché à la maison avec l’aide de la sage-femme du village, mais qui « a continué à travailler et n’est allée nulle part » durant sa grossesse. À l’évidence, il faut tenir compte du fait que tout sépare ces deux femmes, leur milieu social, leur niveau d’éducation, le nombre d’enfants, leur mode de vie, etc. Il ne faut pas oublier en outre que l’existence et le statut social des femmes en général ont considérablement changé depuis une quarantaine d’années, ainsi que les soins périnataux, et en partie à leur propre demande. Néanmoins, malgré toutes leurs différences, ces deux informatrices entretenaient le même désir : mettre au monde un bébé en bonne santé. Faute de temps, la seconde femme n’a pas eu de suivi médical et l’on peut penser, à première vue, que la santé de son enfant n’était pas sa première préoccupation.

14La volonté d’agir sur la santé ou le sexe du fœtus n’est pas une innovation récente que seul le développement de la technologie et de la médecine aurait rendue possible [11]. Est ainsi erronée l’idée selon laquelle, dans les sociétés rurales traditionnelles, les femmes enceintes s’en remettraient à la « nature ». Hier comme aujourd’hui, elles se sont toujours inquiétées de la santé et du sexe de leur enfant. La subjectivisation du fœtus et le souci de son bon développement ne sont pas une nouveauté, seul le mode d’expression a changé. Les sensations et les transformations de la grossesse, l’état physique et psychologique qui la caractérise, étaient autrefois extériorisés sous la forme d’interdits et de prescriptions, c’est-à-dire de tabous. On prêtait à certaines femmes de la paroisse de Velike Brusnice le don de reconnaître les signes permettant de prédire le sexe de l’enfant. T.G., fille d’une sage-femme née en 1919 et décédée, rapporte comment se faisaient ces prédictions : « Eh bien, si son tour de taille s’épaississait, ils disaient “ce sera un garçon !” ; et si son ventre partait en pointe, ils disaient “celle-là, elle aura une fille !” Si elle avait un beau visage, ils disaient qu’elle aurait une fille ; et si elle avait le visage taché de son, elle aurait un garçon. »

Les tabous de la grossesse

15Faye Ginsburg et Rayna Rapp ont forgé le concept de « reproduction stratifiée » pour désigner « les rapports de pouvoir au sein desquels certaines catégories de personnes ont l’autorisation de se reproduire et d’élever des enfants tandis que d’autres en sont privées » [2007 : 98 ; voir aussi Colen, 1995]. Or leurs conclusions, qui concernent les sociétés modernes, s’appliquent aussi aux sociétés dites « traditionnelles ». Consacrée aux tabous de la grossesse, cette partie confirme que, dans le passé également, la grossesse était « médicalisée ».

16Nous n’avons aucune certitude sur la façon dont les femmes de la campagne vivaient autrefois cette expérience. Les sources dont nous disposons sont trop fragmentaires. Les coutumes et les croyances populaires sur la naissance, attestées dans toute l’Europe, nous sont mieux connues grâce aux travaux de Jacques Gélis en France [1996] et de Dušan Bandi? en Serbie [1980]. Même si les soins prodigués à la femme enceinte n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui, ils n’étaient pas totalement inexistants. Toutefois, la grossesse n’était pas considérée pour autant comme une condition « normale ». Bien au contraire, c’était un état estimé dangereux [12], qui bouleversait l’équilibre physique et psychique de la femme, et qui pouvait également perturber l’ordre social. En conséquence de quoi, pour compenser le déséquilibre, on recourait à des tabous dont l’observation était bénéfique à l’enfant.

17Ces pratiques trouvent leur origine dans la croyance selon laquelle le vécu de la mère, ses émotions et ses désirs influent sur la santé de l’enfant à naître, son caractère et sa nature. Elles ont une fonction apotropaïque et leur respect garantit la naissance d’un beau bébé [Bandi?, 1980 : 29-94 ; Gélis, 1996 : 10-15 ; Möderndorfer, 1964 : 308 ; Orel, 1944 : 265-266 ; Zadravec, 1985 : 250-255]. Pour Émile Durkheim, ces interdits (non religieux) « sont des maximes utilitaires, première forme des interdits hygiéniques et médicaux » [1968 : 294 et 1982 : 277]. Nous avons donc demandé à nos informatrices si elles avaient respecté certains tabous pendant leur grossesse et souvent obtenu ce type de réponse : « Oh oui, dans l’ensemble on les suivait […] Mieux vaut s’en tenir à de bonnes dispositions pour se protéger plutôt qu’à de mauvaises, parce que le mauvais a toujours beaucoup plus de chances de se produire que le bon. Et même si ça n’avait aucun effet, ça ne pouvait pas faire de mal non plus, c’est ce que je pense » [R. H., née en 1915, a mis au monde huit enfants].

18Ainsi, sur les conseils de leur mère, par prudence ou par crainte, elles observaient ces interdits « juste au cas où ». D’autant que si elles donnaient naissance à un enfant malade ou handicapé, la communauté leur reprocherait de ne pas les avoir respectés. Mais peu d’entre elles croyaient vraiment au pouvoir surnaturel des tabous et avaient été initiées à leurs significations secrètes ou aux pratiques magiques.

19Ces tabous concernaient différents domaines : la nourriture (le boudin noir, la viande fraîche, le sang, un fruit ou un tubercule fourchu, etc.) ; les personnes (les morts, les mendiants, les handicapés physiques ou mentaux, les vieilles femmes, les possesseurs du mauvais œil) ; les lieux (les cimetières, les carrefours, les seuils de portes, les tas de fumier) ; les phénomènes naturels (le tonnerre et l’éclair, par exemple) ; les animaux (les crapauds, les lapins, les serpents, les coqs, les chats, les poules, les chouettes, les pics) ; les tâches (tuer la volaille, vider les cendres du four, essorer les couches, étendre le linge, filer la laine) ; les périodes de la journée et du mois (l’aube et le crépuscule, entre minuit et trois heures du matin, la nouvelle lune) ; les objets (les herses, les axes de chariots) ; les désirs (les envies de nourritures particulières, par exemple) ; et la transgression des normes morales (voler, jurer, tuer). La plupart des choses sur cette liste peuvent paraître banales, mais dans le contexte de la grossesse en particulier, elles pouvaient également susciter la peur, l’horreur ou le dégoût ainsi qu’un choc de surprise. Or, les émotions négatives étaient formellement interdites à la femme enceinte qui devait toujours rester calme et gaie, sans éprouver aucune anxiété [Orel, 1944 : 265]. Comme le décrit parfaitement une informatrice : « Elle devait faire attention à tout et être gentille avec tout le monde, elle devait être heureuse pour que le bébé soit heureux et joyeux aussi et pas inquiet […]. Tout avait beaucoup d’effet sur le bien-être de la mère ; si elle était calme, le bébé était calme lui aussi dans son corps et elle pouvait accoucher normalement » [A. L.]. Ainsi, selon Jean Cazeneuve, ces tabous correspondent à une réaction de répulsion contre le principe angoissant ou ses symboles [1986 : 37 ; 1971 : 41].

20Était également prohibé tout contact avec une chose ou une personne possédant une « nature différente » [Otto, 1993 : 40], qui venait d’un univers ontologique différent, lui était lié ou bien le symbolisait. Tous ces tabous seraient ainsi les attributs, les lieux et les moments de résidence de divers démons et (mauvais) esprits, qui sont antérieurs à la religion mais s’y sont maintenus, et ont un élément en commun, le « numineux » [ibid. : 160]. Le numineux réside dans les êtres et les choses « impures » – handicapés physiques et mentaux, morts inhabituelles, phénomènes naturels étranges, animaux ayant une allure ou un comportement bizarre –, c’est-à-dire dans tout ce qui possède un pouvoir spécial en raison même de son impureté naturelle et qui symbolise les esprits et les démons [ibid. : 167]. Ainsi, la distinction entre le pur et l’impur est souvent ce qui permet de démêler la signification de certains tabous, plus émotionnels que rationnels (c’est-à-dire primitifs) et qui, par la suite seulement, ont été neutralisés en étant moralisés et rationalisés [ibid. : 168].

21Toutefois, on ne peut nier que les gens sont attirés malgré eux, spontanément, par tout ce qui n’est pas « normal ». Les personnes handicapées étaient taboues pour les femmes enceintes, de même que les mendiants qui souvent étaient aussi des infirmes ; elles craignaient d’éprouver des sentiments irrespectueux et moralement répréhensibles comme la gêne, le dégoût ou même l’envie de se moquer. Quant aux morts, ils étaient à éviter pour ne pas donner naissance à un enfant mort-né. Si c’était impossible, il y avait toujours moyen de s’arranger : « Elles devaient détourner les yeux ou les fermer, pour que l’enfant n’hérite pas d’une caractéristique ou d’une image animale » (N. K.). Si un proche mourait, « elles devaient asperger de loin la personne morte avec de l’eau bénite, ne devaient pas la regarder dans le cercueil ou devaient nouer une écharpe rouge sous leur tricot, et alors elles pouvaient rester » (M. B.). Il leur était également recommandé de mettre le pouce entre deux doigts ou de faire le signe des cornes et de cracher, ou bien de se signer et de prier un instant. Le simple fait de remplir leurs obligations morales et de suivre les principes éthiques avec constance leur offrait aussi une bonne protection. On attend ainsi des femmes enceintes qu’elles « fassent seulement de bonnes actions, ne se moquent pas des infirmes et des pauvres, afin qu’elles n’imitent pas leur apparence, ce qui causerait la même infirmité chez l’enfant à naître » (M. K.).

22La croyance selon laquelle les enfants sont redevables des péchés de leurs parents est attestée dans le récit suivant : « Les prisonniers, il les a torturés, battus et tués en leur tirant dessus. Même sans raison. Il y avait un gros trou dans la porte alors j’ai jeté un œil. Deux jeunes et beaux soldats allemands étaient assis à l’intérieur. C’était des prisonniers et il les a abattus tous les deux sans raison. Je leur avais même préparé du blé noir bouilli et je les avais regardés manger. Il était ressorti avec une chemise couverte de sang en me disant “Lave-la !”. Et j’ai dit “Ah non !”. Une fois il a même abattu une fille de B., après l’avoir violée. Et il a frappé deux chiens avec un fléau. Ce n’est pas une façon d’agir ! Et maintenant il se sent coupable et s’agenouille beaucoup. Il a un cancer. Son troisième fils est né anormal. L’aîné s’est marié, mais sa femme s’est maladroitement cogné le ventre en allant donner à boire aux bêtes et ensuite elle a eu un enfant mort-né. Un fils. Le deuxième enfant, un fils également, n’était pas en bonne santé. Et la fille était complètement infirme, avec un palais fendu impossible à arranger. Pourquoi faut-il que les enfants souffrent ? C’est le châtiment divin, Dieu qui se venge. Mais ça non plus ça n’est pas bien » (F. F.).

23Cependant, bien des choses considérées comme taboues ne sont pas en elles-mêmes ou par elles-mêmes « impures ». Par exemple, l’interdiction de manger des oignons (l’enfant serait constamment enrhumé), du veau (il serait idiot), d’enjamber l’axe d’une charrette (il aurait un long buste et les jambes courtes), de s’asseoir sur une herse (ses jambes seraient torses) et ainsi de suite. On peut à juste titre considérer que ces tabous reposent sur des analogies naïves, mais il ne s’agit pas d’actes magiques « négatifs » au sens propre. Ils impliquent l’existence d’une « force inconnue » dont l’intervention produit un effet magique, grâce au moment d’émotion suscité par le « tout autre » [Otto, 1993 : 162]. Ce moment d’émotion a lieu parce que la communauté croit aux effets de la force, si bien que la rupture d’un tabou se solde par la naissance de l’« autre ».

24La santé de l’enfant était menacée si la mère entrait en contact, généralement en les regardant, avec des animaux d’une nature complètement « autre ». Dans ce cas-là également la rupture de l’interdit se manifestait sur le mode de l’analogie. L’enfant venait au monde avec une anencéphalie, une hydrocéphalie, un impétigo (tabou du crapaud), une fente labiale (tabou du lièvre), un palais fendu (tabou du loup), un hirsutisme (tabou du chat ou du chien), etc. – c’est-à-dire qu’il était handicapé ou totalement « autre ». Si bien que la femme enceinte « n’était pas autorisée à passer beaucoup de temps avec les lapins, de les regarder, puis de toucher une partie de son corps avec la main, parce que les lèvres du bébé seraient à moitié d’humain et à moitié de lapin » (R. H., dont l’un des huit enfants mort en bas âge avait un bec-de-lièvre).

25Les femmes enceintes devaient éviter tout ce qui pouvait éveiller chez elles un sentiment d’horreur, de crainte ou de dégoût, de l’anxiété ou du désir. Par exemple, il « ne leur était pas permis d’avoir peur, s’il y avait un incendie, et ensuite de se toucher ». Cette informatrice renforce son propos en l’illustrant avec une histoire vraie : « Je connais un cas où une grange était en flammes et la belle-fille, qui était enceinte, est sortie en criant : “Oh, regardez ce feu !” Et alors sa fille est née avec une tache de vin sur la joue et il a fallu lui faire de la chirurgie plastique quand elle était enfant » (A. V., dont l’un des six enfants est venu au monde avec une grande tache de naissance). Les femmes enceintes n’avaient pas non plus le droit de pécher ; elles ne devaient pas voler, se fâcher, mentir, être gourmandes ou vaniteuses, etc. Chaque petite faiblesse représentait un danger pour le bien-être de l’enfant. Selon une croyance très répandue, quand la mère avait une envie elle ne devait pas se toucher, en particulier le visage, car le bébé naîtrait avec une tache sur la même partie du corps. C’est la croyance qui s’est le mieux maintenue et le plus longtemps parmi les femmes, qui toutes avaient une « histoire vraie » à raconter à ce sujet : « Je te le dis, je connais une femme, qui est encore en vie. Elle a dit : “J’aimerais tant boire un café !” Et sa fille a un grain de beauté sur le cou exactement comme un grain de café. On dirait vraiment que quelqu’un l’a dessiné. Et le dessin est parfait. Cette marque est exactement pareille à un grain de café ! » (S. F., fille de R. H.).

26Pour éviter les taches de naissance, la femme ne devait se voir refuser aucune nourriture, sinon l’enfant aurait une tache ou ne pourrait jamais manger l’aliment dont sa mère avait été privée. La sœur d’une informatrice en a fait l’expérience : « Elle a vu que sa belle-mère buvait du vin en cachette. Alors elle a dit : “Oh, j’aimerais tant en boire un verre moi aussi !” Elle a rapporté à sa mère l’erreur qu’elle avait commise » (S. F.). Comme rien n’est irrémédiable, semble-t-il, même les taches de vin pouvaient être effacées. Une mère donna ainsi à sa fille la recommandation suivante : « Si tu vois que le bébé que tu as mis au monde a une marque, frotte-la avec le placenta jusqu’à ce qu’elle disparaisse. » C’est ce qu’elle a fait et trois jours plus tard la tache avait disparu (S. F.).

Les tabous : eugénisme archaïque des sociétés rurales traditionnelles

27Les tabous qui régissaient la vie des femmes enceintes concernaient tous les domaines de l’existence humaine. Leur fonction était d’engendrer l’enfant parfait à tous égards. On peut supposer que ces interdits s’inspiraient de la création divine, laquelle ne présente aucun défaut. L’enfant se trouve dans un état encore informe et indifférencié dans le ventre de sa mère, qui a pour tâche de respecter les prescriptions afin de le créer parfait. Selon le mot d’une informatrice, « pendant la grossesse, la mère construit l’avenir de son enfant » (F. H.). Les tabous expriment ainsi l’intérêt de la communauté pour l’individu et le désir de celui-ci de faire tout ce qu’il peut pour la communauté et pour lui-même.

28Toute anomalie, même la plus inhabituelle, a une cause. La mort, la maladie, les défauts ou l’immoralité d’un enfant ne sont pas le produit du hasard, mais résultent de la rupture d’un tabou ou d’une règle archaïque, religieuse, médicale ou morale. Sont également concernées toutes les anomalies que les tests de dépistage tentent aujourd’hui de détecter. Les infirmités étaient d’autant plus indésirables en milieu rural qu’il fallait des personnes fortes et en bonne santé pour travailler ; de plus, l’assistance médicale était inaccessible et le temps comme l’argent manquaient pour prendre soin des handicapés.

29Les tabous peuvent être répartis en quatre catégories selon les conséquences induites par leur rupture. Le premier groupe comprend les interdits qui reflètent le code moral et religieux de la communauté ; on y reconnaît aisément les dix commandements et les sept péchés mortels. Le second groupe concerne les maladies courantes ou difficiles à traiter, les handicaps physiques ou mentaux, et la mort notamment à la naissance. Le troisième et le quatrième groupe, des tabous moins répandus affectant respectivement l’apparence physique de l’enfant [13] et les circonstances de la naissance [14]. Les tabous permettent ainsi de déterminer quels traits de caractère ou principes moraux étaient les plus estimés. La vie normale d’une communauté était menacée par le vol, le mensonge, le meurtre, la promiscuité, la lâcheté, et par des individus faibles, bêtes ou peureux, coléreux, cupides ou paresseux, etc. La santé était menacée par des maladies incurables ou difficiles à soigner et par des maux divers comme l’asthme, les vers, une faiblesse physique générale, le rhume, les maux de dent ou d’oreille, la colique et les troubles de la croissance. Les maladies respiratoires, digestives et neurologiques (la colique étant souvent confondue avec l’épilepsie) constituaient autrefois les causes les plus fréquentes de mortalité infantile. Les interdits concernaient davantage les difformités et la mort que les maladies proprement dites. Les malformations se soldaient souvent par le décès peu après la naissance, mais si l’enfant survivait, il représentait une lourde charge pour sa famille. En général, ceux qui venaient au monde avec une fente labiale ou palatine, une hydrocéphalie ou une trisomie mouraient plus souvent que les autres, de même que les sourds-muets, les aveugles ou les handicapés de naissance. Le taux de mortalité était plus élevé chez ces enfants parce qu’ils ne recevaient pas les soins appropriés. Ces tabous ont ainsi en commun la peur de la mortalité infantile qui est restée relativement importante jusque dans la première moitié du xxe siècle.

Tableau 3

Taux de mortalité périnatale, néonatale précoce et tardive dans la paroisse de Velike Brusnice entre 1843 et 1942

Tableau 3
Décennie Mortalité périnatale Mortalité néonatale précoce Mortalité néonatale tardive Mortalité néonatale totale 1843-1852 38,3 25,8 23,3 49,1 1853-1862 55,2 33,9 18,1 51,9 1863-1872 64,0 13,9 23,8 37,7 1873-1882 46,1 15,2 24,8 40,0 1883-1892 63,6 36,9 13,4 50,3 1893-1902 65,7 38,0 33,0 71,0 1903-1912 60,0 36,9 10,5 47,5 1913-1922 70,2 56,2 17,3 73,4 1923-1932 38,4 25,9 15,9 41,8 1933-1942 32,5 20,8 13,9 24,7 Total 53,3 30,2 19,2 49,4

Taux de mortalité périnatale, néonatale précoce et tardive dans la paroisse de Velike Brusnice entre 1843 et 1942

Source : Registre des décès III (1841-1892) et IV (1893-1944) ; Registre des naissances III (1840-1874), IV (1875-1901) et V (1902-1945).

30On peut en conclure que les interdits de grossesse avaient pour but de créer des enfants en bonne santé dotés d’un bon tempérament. On peut également y reconnaître, en fin de compte, une motivation comparable à celle de l’eugénisme. À cet égard, n’oublions pas que les mères disposaient d’une marge de manœuvre limitée pour s’occuper correctement de leur progéniture. Parce qu’ils permettaient de pourvoir aux besoins fondamentaux, les travaux agricoles passaient avant les tâches ménagères qui comprenaient les soins aux enfants. Les données examinées ici imposent une conclusion : la population rurale, en particulier les mères, n’était pas indifférente au sort de leurs enfants [Sieder, 1998 : 34-38].

31Même si les interdits perdaient déjà de leur emprise pendant l’entre-deux-guerres, deux d’entre eux s’étaient maintenus parmi les femmes de Velike Brusnice : les taches de naissance et l’accouchement d’un enfant mort-né étaient la conséquence de la rupture du tabou relatif aux envies alimentaires et aux morts. Le médecin Božo Oblak écrit ainsi dans le quotidien Dolenjski list que les taux élevés de morts à la naissance devaient être imputés à une « alimentation inadaptée » [DL 6, 1955, 39 : 2]. Or ces conclusions sont confirmées par les témoignages des femmes de Velike Brusnice : toutes en effet ont souvent souffert de la faim pendant leur grossesse ! En particulier quand la récolte était mauvaise à cause de la grêle ou de la sécheresse, mais aussi pendant la crise économique des années trente et durant la Première et la Seconde guerres mondiales, ainsi que juste après quand la nourriture était rationnée. Même R. H., dont le mari était un fermier important considéré comme aisé, rapporte avoir eu « extrêmement faim » au cours de sa grossesse, car « il n’y avait pas de pain, pas de céréales, il n’y avait rien » pendant la Seconde Guerre. Les femmes enceintes tentaient de se rassasier en mangeant des fruits de saison aux principaux repas et, en hiver, des pommes séchées et des pruneaux. La pénurie alimentaire ne leur permettait de satisfaire ni leur appétit croissant ni leurs fameuses envies. Ces informatrices racontent que, tenaillées par la faim, elles passaient devant le verger ou le vignoble d’un voisin, mais n’osaient rien voler de crainte aussi que leur enfant n’en subisse les conséquences. Même les envies, pensait-on, avaient des répercussions sur le fœtus : l’aliment que la mère aura désiré sans pouvoir le consommer pour diverses raisons sera porté par son bébé sous la forme d’une marque de naissance. La veuve d’un petit fermier raconte à ce sujet l’histoire suivante : « Quand j’étais enceinte de ma cadette, j’allais souvent au puits chercher de l’eau. Et il y avait là des raisins magnifiques, mais je n’osais pas en prendre ! Je regardais toutes ces belles grappes et j’aurais tant aimé en prendre une, et c’est alors que je me suis saisi le bras. Si bien que ma fille a maintenant sur le bras une tache de naissance en forme de raisins » (A. L.).

32Ces deux tabous se sont maintenus alors même que les femmes ne respectaient plus les autres qu’elles attribuaient aux « vieilles croyances » de leur mère ou de leur grand-mère. Ils concernent en effet les problèmes les plus fondamentaux de la vie rurale : le taux de mortalité élevé des enfants et des adultes, conséquence de la pénurie alimentaire, de la pénibilité des travaux et de l’irrégularité des soins médicaux.

Survivance des idées eugénistes

33Beaucoup, semble-t-il, croient que l’eugénisme se réduit à une idée scientifique erronée, celle de Francis Galton et de ses héritiers, qui, grâce à l’intérêt social et politique que lui trouvait la classe dominante, a culminé dans la première moitié du xxe siècle avant de connaître une fin peu glorieuse. Même si elles ont été contaminées par des notions racistes selon lesquelles certains groupes d’individus socialement marginaux souffriraient d’une « hérédité chargée », étonnamment, toutefois, les idées eugénistes persistent. La transmission héréditaire de certaines maladies et, sans doute aussi, de certaines caractéristiques personnelles leur donne encore beaucoup de force.

34La pensée eugéniste est devenue partie intégrante de notre vie dans les années 1980, avec le développement de la génétique et des technologies de la reproduction, dont le désir utopique est de doter les individus de caractéristiques non seulement « sociales » mais aussi « génétiques », en procédant systématiquement à des tests de dépistage pendant la grossesse [Buchanan et al., 2000 : 61-103 ; Habermas, 2005 ; Prusak, 2005 : 31-42 ; Rifkin, 2001 cité par Cergol, 2009 : 107-115]. De nombreux spécialistes issus de différentes disciplines ont déjà signalé les effets de ces tests sur les utilisateurs et les patients des soins prénataux « de pointe ». Leurs effets sont loin d’être seulement positifs et s’exercent à plusieurs niveaux : psychologique, médical, social, juridique et symbolique [Krošelj, 2004 : 57-81 ; Rapp, 1999 ; Ginsburg et Rapp, 2007 : 98-122].

35Malgré les effets indésirables des tests de dépistage, de nos jours les femmes n’imagineraient même pas s’en passer. La naissance d’un enfant en bonne santé est devenue plus que jamais une exigence et une priorité. C’est caractéristique, selon Robbie Davis-Floyd, d’une société technologique qui privilégie le profit [2001 : 5]. Dans cette perspective, l’enfant en bonne santé est un « produit » désiré qui rapporte un certain « profit » social et économique. Ce qui n’est pas le cas, bien sûr, des individus mentalement ou physiquement handicapés qui, dans le passé, n’auraient même pas survécu en l’absence de technologies de procréation assistée et d’unités néonatales de soins intensifs.

36Faye Ginsburg et Rayna Rapp ont étudié ce type de naissances dont l’issue était « non désirée » dans le contexte socioculturel de la société américaine contemporaine ; elles ont examiné les besoins particuliers des personnes handicapées et la façon dont ils affectent la vie de leur famille, mais aussi des membres des autres communautés locale, religieuse, scolaire auxquels ils appartiennent. Ces auteurs ont ainsi montré que ce sont les médias qui ont sensibilisé la population aux besoins particuliers des handicapés ainsi qu’aux problèmes des personnes qui s’occupent d’eux [2007 : 98-112]. Leurs conclusions sont en accord avec les travaux de Gail Landsman [1999], pour qui « de nombreuses personnes rendent la mère responsable, subtilement ou ouvertement, de l’infirmité de son enfant […] ; par exemple, toutes se sont vu demander ce qu’elles avait mangé et bu pendant une grossesse qui par ailleurs s’était déroulée sans problème » [Ginsburg et Rapp, 2007 : 108]. On peut voir là un vestige de la médecine traditionnelle, qui doit sa survie au fait que la technologie biomédicale n’est pas toute-puissante et ne fait pas toujours le poids face à la « nature ».

37On ne peut ainsi confirmer l’idée, très répandue parmi les partisans de la naissance naturelle, selon laquelle la grossesse et l’accouchement n’étaient pas médicalisés dans les sociétés traditionnelles. Les interdits qu’on y observait trahissaient en effet le même désir humain et « eugéniste » de donner naissance à des enfants en bonne santé qu’aujourd’hui les tests de dépistage de nos sociétés technologiques. ?

38Traduit de l’anglais par Sylvie Muller, smtrads@orange.fr

  • Informatrices

    • A. L., née en 1921, mère de sept enfants.
    • A. V., née en 1918, mère de six enfants dont l’un est venu au monde avec une grande tache de naissance.
    • F. F., née en 1925, mère de cinq enfants.
    • F. H., née en 1921, mère de cinq enfants.
    • M. B., née en 1923, mère de quatre enfants.
    • M. K., née en 1927, quatre enfants.
    • N. K., née en 1915, mère de quatre enfants.
    • R. H., née en 1915, veuve et mère de huit enfants.
    • R. H., née en 1915, mère de huit enfants (dont l’un, mort en bas âge, avait un bec-de-lièvre).
    • S. F., fille de R. H., née en 1943, mère de deux enfants.
    • T.G., fille d’une sage-femme née en 1919.
  • Sources

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    • Mrliška mati?na knjiga [Registres des décès] IV, 1893-1944 (Upravna enota [Service administratif de] Novo mesto, Defranceschijeva ulica 1, 8000 Novo mesto).
    • Rojstna mati?na knjiga [Registre des naissances] III, 1840-1874 et IV, 1875-1901 (Nadkofijski arhiv [Archives de l’archidiocèse], Krekov trg 9, 1000 Ljubljana).
    • Rojstna mati?na knjiga [Registre des naissances] V, 1902-1945 (Upravna enota [Service administratif de] Novo mesto, Defranceschijeva ulica 1, 8000 Novo mesto).
    • Anketa Rodnostno vedenje I in II [Enquête famille et fertilité I et II], Velike Brusnice, 1998-1999 (Archives personelles d’Irena Rožman [2001], Breg 5, 8000 Novo mesto).
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    • Wagner Marsden, 2007, « Evolucija k žensko osrediš?eni obporodni skrbi » [Évolution vers des soins périnataux centrés sur la femme] in Zalka Drglin (ed.), Rojstna mašinerija. Sodobne obporodne vednosti in prakse na Slovenskem [Les mécanismes de la naissance : Connaissance et pratique contemporaines de l’obstétrique en Slovénie], Koper, Univerza na Primorskem, Znanstveno-raziskovalno središ?e, Založba Annales, Zgodovinsko društvo za južno Primorsko : 17-30.
    • Zadravec Jože, 1985, Ljudsko zdravilstvo v Prekmurju [Médecine traditionnelle à Prekmurje], Murska Sobota, Pomurska založba.

Mots-clés éditeurs : Slovénie, eugénisme, médicalisation, croyances populaires, grossesse

Date de mise en ligne : 11/03/2012

https://doi.org/10.3917/ethn.122.0301

Notes

  • [1]
    Ce groupe de femmes figure ici plus à titre illustratif que comparatif. Il nous permettra de mieux saisir à quel point les questions abordées dans un contexte historique sont complexes.
  • [2]
    On peut associer aux débuts de la médecine périnatale la création, en 1753, de l’école des sages-femmes de Ljubljana où les cours se donnaient en slovène alors même que l’allemand était la langue officielle [Borisov, 1995 : 23, 27-28].
  • [3]
    Pendant la période de l’entre-deux-guerres, le « mouvement eugéniste » avait des sympathisants dans la communauté intellectuelle slovène, mais n’a jamais conduit à la stérilisation forcée de populations « inférieures ». Partisan de ce mouvement, Božo Škerlj, un anthropologue physique, se servait de la force expressive des proverbes pour justifier la « pensée eugéniste » [1935 : 2-11].
  • [4]
    La monarchie des Habsbourg a commencé à publier ces statistiques chaque année en 1880 dans le cadre des statistiques sanitaires connues en allemand sous le nom de Sanitätswesen.
  • [5]
    C’était surtout vrai, bien sûr, pour les maux imaginés : les sortilèges, les mauvais esprits et les créatures surnaturelles, toutes soignées par la magie, figurant parmi les maladies infantiles les plus dangereuses.
  • [6]
    Le pourcentage élevé de naissances supervisées par une sage-femme professionnelle dans les périodes suivantes, 1840-1849, 1850-1859 et 1910-1944, tient au fait que l’une d’elles vivait dans la région.
  • [7]
    Un médecin de Novo Mesto écrit dans un journal local à propos de cet examen obligatoire : « C’est important si l’on veut détecter les maladies susceptibles de donner un enfant mort-né ou malade et ainsi soigner à temps les parents » [Horvat, 1951 : 2].
  • [8]
    En milieu rural, le rôle des sages-femmes consistait à convaincre les femmes des avantages d’un examen médical pendant la grossesse. Les cabinets de consultation médicale spécialisés ne font leur apparition qu’après la Seconde Guerre mondiale.
  • [9]
    Après la Seconde Guerre le taux des naissances n’a cessé de baisser ; entre 1957 et 1961, cependant, il était de 26 % dans la paroisse de Velike Brusnice et donc supérieur au taux moyen qui, pour la Slovénie, était de 19,6 %.
  • [10]
    En Slovénie, deux échographies sont pratiquées systématiquement durant la grossesse : la première pendant la quatorzième semaine et la seconde entre la quatorzième et la vingt-deuxième [Krošelj, 2004 : 57]. En 1999, seulement 1,5 % des femmes enceintes n’en avaient passé aucune [Drglin, 2003 : 45].
  • [11]
    Ces pratiques ont souvent été sévèrement critiquées par les médecins dès le xviiie siècle, mais elles sont restées bien enracinées dans la population. Dans son manuel destiné aux sages-femmes, l’obstétricien Bernard Pachner von Eggenstorf écrit que « les signes associés à la grossesse d’un garçon ou d’une fille – par exemple une modification importante de l’état de santé, des vomissements plus fréquents, un tremblement violent du bras droit ou un ventre plus tendu du côté gauche censés indiquer que la femme portait un garçon – étaient toujours incertains et trompeurs » [1848 : 61].
  • [12]
    Ce que vient confirmer une loi en vigueur de 1869 à 1938 qui requérait le célibat des enseignantes.
    Notons que les tabous leur interdisaient le contact avec ce qui était « impur », mais pas de travailler à la ferme. D’où l’on peut conclure que les femmes non seulement dans la paroisse de Velike Brusnice mais dans toute l’Europe, compensaient leur « condition particulière » par leur condition « normale », principalement en respectant des tabous tout en continuant à travailler « comme avant » et « jusqu’au tout dernier jour ».
  • [13]
    Par exemple, la mère ne devait pas se regarder dans la glace parce qu’elle donnerait naissance à un enfant aux lèvres pleines, un trait caractéristique des personnes licencieuses et infidèles.
  • [14]
    La femme enceinte ne devait pas essorer du linge car, par analogie, le cordon ombilical s’enroulerait autour du cou du fœtus ; ni poser de souricières car là aussi l’accouchement serait difficile.

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