Notes
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[1]
La disparition de Nanterre du nom de l’université symbolise bien le nouvel horizon dont l’université veut se doter, dans le nouveau panorama universitaire parisien, mais aussi la distance prise avec une ville qui fut longtemps porteuse d’une réputation sulfureuse.
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[2]
Des cinq bâtiments, trois seulement ont un nom : devant le Liberté, le Vallona ; derrière, le Central Park (pour faire allusion à New York) ; les deux autres qui relèvent du logement social n’ont pas de nom, mais seulement des numéros.
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[3]
C’est également le nom du journal du bâtiment créé en 1985 et qui compte 76 numéros en 2005.
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[4]
L’échantillon a été établi au hasard à partir de la liste alphabétique de l’annuaire téléphonique (noms sélectionnés toutes les dix lignes), suivi d’un envoi de courrier pour solliciter un entretien auprès des personnes sélectionnées.
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[5]
Au total, 22 personnes ont été interviewées : 3 jeunes sans enfants (en dessous de 30 ans), 2 jeunes mères (d’environ 35 ans), 4 personnes avec des jeunes enfants et 1 sans enfant (autour de 45 ans), 6 personnes entre 50 et 60 ans, 6 au-dessus de 60 (en activité ou retraité). Tous sont mariés ou installés en couple ou sont divorcés à l’exception de 4 célibataires dont 2 ont très peu de contacts familiaux. Nous avons interviewé 13 femmes, 9 hommes. Tous sont français, sauf un Uruguayen et un Syrien. 6 informateurs louent leur appartement (2 à leurs parents), les autres sont propriétaires.
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[6]
Il faut noter que les réponses peuvent varier en fonction de la période de l’année à laquelle est passé le knq : par exemple en janvier, les gens auront vu plus de parents en raison des fêtes qu’au mois de mars.
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[7]
À l’époque de notre enquête, le courrier électronique n’avait pas pris le développement qu’on lui connaît aujourd’hui. Trois informateurs n’ont eu de contact au cours du mois dernier qu’avec 0,5 à 0,8 % de leur parenté, l’un d’entre eux étant uruguayen, ce qui peut expliquer sa réponse. Un autre est célibataire et toute sa vie se résume à son travail, ses activités sportives et ses voyages ; de plus son réseau de parenté est très limité (moins de 20 personnes). Martine Perrier a aussi très peu de contacts (4 sur 49 membres) : elle limite ses contacts avec ses beaux-parents à des cartes de Noël, son frère vit au Brésil et sa sœur est décédée.
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[8]
Terme désormais utilisé dans certains programmes politiques.
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[9]
Contrairement à la loi anglaise ; de plus, l’héritage ne peut pas être associé à une forme d’aide mutuelle, telle que définie par kass.
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[10]
Par exemple l’aide au logement, l’allocation de parent isolé, les allocations familiales, le congé parental, le complément Caisse d’allocations familiales pour un travail à 4/5 de temps.
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[11]
Avec la célébration des anniversaires, c’est une des nouvelles manifestations de la sociabilité enfantine : aller dormir chez un ami ou une amie de sa classe.
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[12]
Il est impossible d’évaluer le nombre total d’enfants par famille dans le bâtiment. Parmi nos informateurs, 1 famille a 1 enfant, 8 en ont 2, 4 en ont 3, 2 en ont 4. Peut-on penser que la taille moyenne des familles au Liberté soit supérieure à la taille moyenne des familles en France ?
1Soit un immeuble de 2 000 habitants occupant 500 appartements, construit dans les années 1970 dans un des quartiers de Nanterre, une banlieue de l’ouest de Paris de 80 000 habitants, jouxtant le quartier d’affaires de la Défense. Le projet kass (Kinship and Social Security) a été l’occasion de revisiter un terrain qui avait fait l’objet d’une enquête approfondie dans les années 1990 [Segalen, 1990], localisée notamment dans ce grand immeuble qui porte le nom de « Liberté » où présidait une forte sociabilité familiale et locale. C’était l’occasion de tester, quelques années plus tard, comment parenté et sociabilité avaient évolué, tandis que l’environnement du bâtiment lui-même connaissait d’importants changements.
2Bourg rural jusque dans les années 1860, la croissance démographique de la ville n’a démarré qu’avec la Première Guerre mondiale pour faire de Nanterre une importante ville industrielle qui fut la première à élire un maire communiste en 1936. La ville accueillit des migrants, originaires de Bretagne, enfants de familles paysannes pauvres, des Italiens, qui venaient chercher un emploi dans ses nombreuses usines. Ce développement industriel et démographique fut accompagné d’une sévère crise du logement, et dans les années 1960 existait à Nanterre un de ces tristement célèbres « bidonvilles » où de nouveaux migrants, venus du Portugal et du Maghreb, s’employant en usine ou dans le bâtiment, vivaient dans des conditions précaires jusqu’à ce qu’un vigoureux programme de logements sociaux ne leur offre de se loger dans des conditions dites décentes.
3De nombreuses « cités » font maintenant partie du paysage urbain nanterrien. Souvent repliées sur elles-mêmes, elles logent des anciens ouvriers à la retraite et encore les seconde et troisième générations de migrants. Au cœur de la vieille ville, par contraste, subsiste le dessin de ces rues étroites évoquant le Nanterre rural des années 1830. Après une période de déclin, le vieux centre a été réhabilité avec des magasins, des cinémas, un conservatoire de musique. En 1960, l’Université de Paris X (aujourd’hui Paris Ouest La Défense [1]) fut installée pour recevoir 35 000 étudiants. Depuis les années 1970, la ville se développe à l’ouest.
Le quartier du parc
4De l’autre côté d’une des grandes avenues qui filent sur les anciennes plaines autrefois couvertes de vignes, loin du vieux centre, se déploie l’un des nouveaux quartiers, où d’imposants immeubles entourent un vaste parc. Ceux-ci furent érigés dans le sillage du développement de la Défense, il y a plus de trente-cinq ans, destinée à devenir le quartier d’affaires de Paris. Tandis que s’édifiaient les nouveaux gratte-ciel de verre et d’acier qui faisaient face à l’Arc de triomphe, de l’autre côté, mordant sur les communes de Puteaux et surtout sur une large portion de Nanterre, l’Établissement public de la Défense (epad), s’est installé pour développer un ensemble immobilier considérable autour d’un grand parc, le parc André-Malraux, s’étendant sur 25 ha dont les collines furent bâties sur les restes de l’ancien bidonville. Ce parc offre un large espace de jeu et de détente (pour les familles qui n’ont pas les moyens de partir en vacances, ou pour les cols blancs qui y font leur footing quotidien). Il est bordé par cinq bâtiments de forme pyramidale, comprenant de 300 à 480 appartements chacun et abritant de 2 000 à 2 500 habitants [2]. Certains sont des logements sociaux, certains sont en pleine propriété, d’autres appartiennent à des sociétés qui louent les logements à leurs employés.
5Une promenade dans le parc jusqu’à l’étang central révèle rapidement les ségrégations sociales. Au cours des trente dernières années, le paysage urbain du quartier s’est consolidé avec l’érection d’une école d’architecture (fermée depuis lors), l’installation de l’école nationale des petits rats de l’Opéra, la construction d’autres logements sociaux et, de l’autre côté de la rue, des bâtiments de bureaux et d’administration qui amènent, quotidiennement, des centaines d’employés. Le quartier se compose donc d’une population résidentielle et d’une population de salariés qui n’habitent pas là et se croisent sur les quais du rer.
6Nanterre fut caractérisée longtemps par l’importance de ses classes populaires ; ainsi, ouvriers et employés comptaient pour 59 % de la population active en 1999, une part importante de la population est d’origine étrangère (16 %) et près de 54 % de la population vit en hlm [Oberti, 2005 : 27].
7Depuis le début des années 2000, la ville développe une politique de mixité urbaine qui ne peut que se renforcer avec l’important projet de l’Établissement public d’aménagement Seine-Arche (epasa), adossé au quartier de la Défense, qui développe un ensemble considérable d’immeubles de bureaux et de logements, jusqu’à la Seine. Orphelines dans les années 1980 au sein d’un vaste ensemble social populaire, les classes moyennes résidentes au Liberté, que la municipalité stigmatisait sous le terme de « nantis », ont en quelque sorte anticipé sur les transformations que va connaître la ville qui, par ailleurs, a entamé un vaste projet pour rénover les transports : gare de rer, tramways, pôle d’échanges « multi-modal ».
8Parmi les nombreux quartiers de Nanterre, celui du Parc est donc l’un des plus récents (mais plus pour longtemps). Les habitants qui s’y sont établis dans les années 1970 n’avaient guère de liens avec la ville qui souffrait alors d’une mauvaise réputation dans la mesure où y était né le mouvement de mars 1968. Si l’image de la ville était, selon la plupart de nos informateurs, assez négative, la modicité des prix des logements, la facilité d’accès à des prêts bancaires à intérêts conventionnés, la proximité du rer reliant le nouveau quartier à Paris et la beauté du parc, comme les vues à couper le souffle du haut de certains balcons lorsque le soleil couchant éclaire les tours de Défense, incitèrent de jeunes familles à venir s’y installer. C’étaient d’une certaine façon des militants, prêts à mettre en œuvre une idéologie de solidarité et d’échanges.
9De plus, l’urbanisme des années 1970, en dépit de son aspect massif, offrait quelques avantages : les urbanistes et architectes avaient alors choisi de séparer la circulation piétonne de la circulation automobile. On accède donc à l’immeuble après avoir gravi l’équivalent de trois étages (un ascenseur a d’ailleurs été installé il y a quelques années). Une dalle devait être construite qui relierait les différents bâtiments entre eux, mais le projet fut perdu dans les sables. Il en reste une vaste galerie surplombant le parc André-Malraux, qui, grand avantage aux yeux des parents, permet aux enfants de circuler facilement sans crainte des accidents automobiles. Sur cette plate-forme ont été dressés sept bâtiments, dont la taille pouvait paraître assez inquiétante à ses habitants, mais ceux-ci y ont vu « un village à la verticale », tandis que « la galerie, c’est la rue du village ». En bordure de l’immeuble, une partie du parc – « le square de la Brèche » – joue le rôle de place du village. Françoise, qui a emménagé au Liberté en 1980, dit : « C’est au square que tout se décide et c’est à partir de là que j’ai connu les mamans, et puis les pères et que j’ai adhéré à l’association, puis à la fédération de parents. »
Schéma de l’aménagement de l’Établissement public d’aménagement Seine-Arche (epasa).
Schéma de l’aménagement de l’Établissement public d’aménagement Seine-Arche (epasa).
10Dans le Liberté, la moitié des résidents est propriétaire, l’autre moitié locataire. La taille des appartements varie du six pièces au studio. En regard de la composition sociale de la population de Nanterre, les résidents du Liberté appartiennent à une catégorie nettement supérieure. Ils incarnent cette mixité sociale contre laquelle la municipalité a longtemps tenté de lutter, et qu’elle accompagne désormais. Quels peuvent être l’impact, la forme, le sens de la parenté dans un tel contexte urbain et social ?
Étudier la parenté en milieu urbain
11L’importation de concepts forgés par l’anthropologie fonctionnaliste anglo-saxonne et structuraliste française a suscité une floraison de recherches sur les systèmes de dévolution des biens, de perpétuation des groupes domestiques dans les sociétés rurales en France et en Europe. Mais, en milieu urbain, l’application des concepts de parenté, comme ensemble de règles organisant de nombreux aspects de la vie sociale (résidence, travail, affiliations politiques, professionnelles ou religieuses, mariage), fait problème. Certes, si de récents travaux anthropologiques contestent aujourd’hui le rôle majeur et parfois exclusif que l’on attribuait à la parenté pour structurer le social dans les sociétés exotiques [Godelier, 2004], il n’en reste pas moins que dans nos sociétés l’existence d’un État centralisé, d’un système de marché, d’une société de salariat contribue à reléguer la parenté à une place cachée, et à minorer son rôle dans l’organisation du social. De plus, la segmentation spatiale et les inégalités sociales qui leur sont attachées interdisent tout discours généralisant, comme on pouvait en tenir à propos des Ashanti ou des Bretons du pays bigouden sud.
12Les études consacrées aux liens entre la famille et la ville, ou mieux entre les familles et les divers espaces urbains, sont multiples. D’un côté, des travaux sur le logement et l’habitat cernent les liens entre société, économie, marché et pratiques et choix résidentiels ; de l’autre, les enquêtes sociologiques attachées à l’étude des transformations de la famille portent le plus souvent sur des familles dans la ville, sans essayer de spécifier ce qui qualifierait une famille « urbaine » et encore moins une « parenté urbaine ». L’accent mis par la sociologie contemporaine de la famille sur la privatisation et sur la montée de l’individualisme l’a peut-être conduite à se détourner de l’investigation des liens que le noyau conjugal entretient avec le local. En passant de la petite communauté « exotique » ou rurale à l’espace urbain, se sont accomplis non seulement un saut d’échelle, mais un saut de nature dans les relations entre famille, parenté et espace. Rares sont les travaux qui réussissent à nouer ensemble les trois thématiques, parce que les usages de l’urbain ne sont pas toujours médiatisés par la parenté, pas plus que la parenté ne recoupe l’urbain. C’est en ce sens que l’on peut contester l’affirmation de Robert Park qui disait, reprenant un mot de Spengler, que « la ville est à l’homme civilisé ce que la maison est au paysan » [cité par Yves Grafmeyer, 1991 : 203]. Tel a pu être le cas pour les villes dont certains quartiers fonctionnaient comme des villages ; aujourd’hui, parenté, habitat, mode d’existence ne se recouvrent plus dans la ville, sauf peut-être aux deux extrémités de la hiérarchie sociale, dans les « beaux quartiers » ou dans les « cités » en voie de paupérisation. La masse floue des classes moyennes expérimente plutôt la disjonction de ces trois registres.
13Au début du xxe siècle, Rivers [1910] a souligné l’importance de la collecte de généalogies, non seulement pour travailler sur les terminologies de parenté, mais aussi en ce qu’elles devaient être mises en relations avec des faits sociaux. Rien n’empêche a priori de se livrer à une telle entreprise auprès de familles résidant en ville. Mais à quelles fins ? Connaître l’étendue du champ parental d’un individu ne sert que si l’on en reconnaît les usages sociaux, et ces usages sont de moins en moins localisés spatialement. C’était l’un des défis de l’enquête kass à Nanterre.
14En milieu ouvrier, dans les premiers temps de l’industrialisation, la parenté contribuait à accueillir le migrant, à le loger, à l’aider à trouver une embauche. Des quartiers se reconstituaient sur des bases ethniques dans les villes d’Amérique, ou regroupant les « originaires » dans certaines grandes villes françaises. Des parentés entières étaient embauchées dans les ateliers des usines. Dans les grands conglomérats où ville et industrie se confondaient, comme dans les usines métallurgiques au Creusot, on était « pour Schneider » du berceau à la tombe, sur plusieurs générations. Ce phénomène a été attesté partout, quoique dans une moindre mesure, dans le contexte de la grande industrialisation jusque dans les années 1970. Ainsi la généalogie recueillie dans la famille B. à Nanterre fait-elle apparaître que, à cette époque, la moitié des membres de cette famille en âge de travailler était embauchée par l’usine des Grandes Papeteries de la Seine, réputée pour ses hauts salaires et parce qu’elle offrait un logement à ses ouvriers. Parenté, travail, résidence se confondaient au sein des grandes réalisations paternalistes. Mais lorsque l’on passait du milieu rural ou de la ville de mono-industrie à la ville diversifiée, l’usage du concept de la parenté était-il encore pertinent ?
15Dans l’après-guerre, plusieurs travaux anthropologiques et sociologiques en Angleterre et aux États-Unis ont fait date dans l’histoire de l’étude de la parenté en milieu urbain. La première enquête a été menée par Raymond Firth, un anthropologue élève de Malinowski qui avait conduit au préalable une étude sur une île de Polynésie. Son but explicite était de tester la méthode ethnographique du recueil de généalogie expérimentée sur l’île de Tikopia auprès d’une population urbaine, ce qu’il fit à Londres [1956]. Les enseignements de ces travaux pionniers sont toujours pertinents sur le plan méthodologique. Dans toute enquête généalogique, on distingue deux niveaux : d’une part, la collecte de noms de parents et, d’autre part, le contenu des liens entre ces parents, les deux types de données ne coïncidant évidemment pas. Le premier niveau détermine ce que Raymond Firth appelle « l’univers de la parenté », et le second les usages effectifs de la parenté, comme nous l’avons rappelé plus haut.
16Une seconde enquête qui a fait date et qui vient d’être récemment rééditée, conduite par Michael Young et Peter Willmott [1957, 2010], a permis d’observer, comme dans une expérience de laboratoire, ce qu’il advient des liens de parenté lorsque des familles habitant un quartier ouvrier de taudis londoniens, très intégré socialement et spatialement, sont déplacées vers des logements neufs où règne une certaine mixité sociale. Le cas de Bethnal Green forme un cas d’école grâce au second volet de l’enquête qui suit une partie des habitants relogés dans un quartier neuf à Greenleigh [1968]. Du fait de la distance, les relations avec la mère se distendent, et l’isolement relatif du couple tend à estomper les différences sexuelles de rôle ; au réseau d’interconnaissance familial qui permettait à chacun d’assigner une place à l’autre, se substitue le statut d’identificateur social, avec ses signes extérieurs de richesse : la marque de la voiture, les vêtements des enfants pour fréquenter l’école, les soins apportés au jardin sont désormais les marqueurs sociaux. En passant de Bethnal Green à Greenleigh, le réseau de sociabilité se déconnecte du réseau de parenté et se délocalise.
17Aux États-Unis, des études similaires ont été conduites après la guerre, inspirées soit par l’école de Chicago, pour laquelle c’est le ghetto qui incarne le mieux les situations d’intégration spatiale où « une minorité ethnique ou religieuse préserve ses liens communautaires et son identité à la faveur de processus qui mettent en jeu simultanément la recherche du semblable et l’exclusion par autrui » [Grafmeyer, 1991 : 18]. Tel est le cas de l’enquête de Hubert Gans [1962].
18Ces travaux anglo-saxons étaient contemporains de ceux de Talcott Parsons dont la thèse, selon laquelle la famille se serait restreinte avec la modernité, faisait écho aux propositions d’Émile Durkheim cinquante ans auparavant. Les auteurs de l’étude de Bethnal Green, Michael Young et Peter Willmott, en étaient visiblement imprégnés puisqu’ils remarquent dans l’introduction de leur ouvrage : « Nous avons été surpris de découvrir qu’au cœur de Londres, la famille élargie, loin d’avoir disparu, était encore très vivante. Cette découverte nous a paru d’autant plus intéressante que l’absence de la parentèle dans le lotissement neuf s’est révélée aussi significative que sa présence dans le quartier. Bien que l’ayant trouvé de manière plus ou moins fortuite, nous avons décidé de faire de la famille élargie notre sujet principal » [2010 : 4]. Dans ces années d’après-guerre, la modernité de la famille, caractérisée par sa taille restreinte, allait de pair avec la théorie de la modernisation sociale qui s’incarnait dans l’industrialisation et l’urbanisation. En migrant en ville, on n’avait donc pas perdu ses parents. Non seulement les citadins n’avaient pas oublié leurs parents, mais ils interagissaient avec eux.
19Ces enquêtes pionnières sur les « villages urbains » sont restées sans suite parce que les transformations de l’espace urbain, l’augmentation du niveau de vie, l’intégration des migrants, la mobilité sociale et spatiale ont contribué à les faire disparaître. La description de la communauté intégrant famille, travail, sociabilité servait souvent d’ailleurs de tableau de départ pour analyser les effets déstabilisateurs de la rénovation urbaine sur le plan social. Et Colette Pétonnet de remarquer : « On a beaucoup étudié les quartiers en termes de villages urbains, y détectant les poches, niches et autres enclaves et en portant particulièrement l’attention sur les relations de voisinage ; comme si l’organisation urbaine se devait nécessairement d’hériter du rural, comme si la ville ne pouvait produire une sociabilité qui lui soit propre sans recourir à des modèles villageois » [1987 : 249].
20La délocalisation des liens familiaux, le démariage entre famille et espace n’a pas pour autant rendu caduque l’enquête de parenté. Mais d’autres paradigmes la construisent et, dès lors, le contexte de l’enquête se modifie singulièrement. Puisque la parenté n’a plus de rôle social affiché ou latent, la question est renvoyée à la sphère domestique, la sphère de l’intime. Autant il pouvait sembler normal à des interlocuteurs en milieu rural d’être interrogés sur leurs ancêtres et collatéraux pour comprendre ce qui était au cœur de leurs préoccupations, la transmission de la propriété, autant l’enquêté dans son logement urbain peut avoir le sentiment que l’enquêteur, l’interrogeant sur ses liens de parenté, commet une intrusion dans le champ du privé.
21L’étude de la parenté en milieu urbain mène aux questions posées par la ségrégation sociale et spatiale ; elle recoupe la sociologie de l’habitat, lorsqu’on le pense en tant que « système » qui intègre les multirésidences, logement hlm en France/maison construite dans le pays d’origine/résidence secondaire [Bonvalet et al., 1999]. Elle rencontre aussi les questions posées par la sociologie de la famille, concernant la forme et la fréquence des liens sociaux : de nombreuses enquêtes, à l’égide du concept des « solidarités familiales », ont montré l’importance des flux de toute nature qui circulent le long des lignées, qui sont désormais des chaînes d’affection, et les transferts publics qui sont réinjectés dans la sphère privée [Attias-Donfut, 1995 ; Attias-Donfut, Lapierre et Segalen, 2002]. L’enquête au Liberté ressortit à ce cadre de réflexions.
Le Liberté, lieu de solidarité
22Lorsque Martine Segalen choisit d’enquêter dans ce quartier et notamment dans le bâtiment du Liberté, il y a quinze ans, elle fut frappée par l’importance des réseaux sociaux et d’échanges développés entre les résidents de l’immeuble [Segalen, 1990]. La plupart étaient alors de jeunes couples adhérant aux idéaux de mai 1968 ; en s’installant au Liberté, ils souhaitaient aussi combattre l’isolement et l’anomie généralement associés à la résidence en contexte suburbain. Une excellente occasion de coopérer leur fut fournie en créant une association pour lutter contre les institutions qui étaient leurs interlocuteurs : les promoteurs et architectes du bâtiment, les ingénieurs et les urbanistes de l’epad qui achevaient de dessiner le quartier, le ministère de l’Éducation qui ouvrait les nouvelles écoles pour les enfants, la ville de Nanterre qui tentait de limiter l’arrivée de cols blancs en édifiant des hlm, etc. Travaillant dans le secteur de l’éducation, de l’urbanisme, de l’ingénierie, du droit, etc., les nouveaux arrivants mobilisèrent leurs compétences culturelles, intellectuelles et techniques pour négocier et combattre, parfois avec succès, les planificateurs urbains, les politiciens et les administrateurs qui voulaient leur imposer leurs vues concernant le schéma d’urbanisation (tracé de la voie d’accès au rer, traitement du parc, aménagement des écoles). Simultanément, pour accueillir ces familles et leurs enfants, furent ouvertes une crèche et quatre écoles. Les « pionniers » se remémorent les difficultés qui furent les leurs lorsqu’ils commencèrent à habiter dans un espace qui continuait de s’urbaniser autour d’eux. De leur implication dans la vie sociale du bâtiment et de son environnement – ce qui était aussi une façon de protéger leur propriété –, tout en participant à une aventure intéressante, naquit un réseau social d’amitié, d’entraide et d’échanges.
Une des façades du Liberté (photo Martine Segalen).
Une des façades du Liberté (photo Martine Segalen).
Le siège de l’association l’acri, situé sur la galerie du Liberté, 3e niveau (photo Martine Segalen).
Le siège de l’association l’acri, situé sur la galerie du Liberté, 3e niveau (photo Martine Segalen).
23Ainsi les premiers occupants qui emménagèrent en 1977 ont-ils été les acteurs et les témoins d’une solidarité intense et plutôt exceptionnelle qui dura jusque dans les années 1990. Le bâtiment fut baptisé « Le bateau ivre » [3], terme particulièrement bien choisi, car si l’on se tient par temps venteux sur la dalle du rez-de-chaussée, érigée au-dessus de trois étages, on s’attend à recevoir à tout moment un paquet d’eau au visage montant d’une mer imaginée. Lorsque Martine Segalen conduisit ses investigations sur les liens sociaux au sein du bâtiment, les habitants, plus ou moins frottés d’anthropologie, se dénommèrent « les Papous de la convivialité » ! Ainsi un bon accueil fut-il réservé à l’enquête kass, occasion de renouer des liens anciens avec les résidents du Liberté et de faire connaissance avec d’autres, installés plus récemment.
24Comme le Kinship Network Questionnaire (knq) imposait une stratégie d’échantillonnage aléatoire (random sampling) [4], nous avons rencontré une grande variété de familles dont l’âge, le statut social, le type d’emploi, l’origine diffèrent [5] ; les uns sont propriétaires, les autres locataires. Plusieurs d’entre eux ont connu de graves crises familiales. Céline Facchini, âgée de 34 ans, accueille l’enquêtrice présentant le projet de recherche par un « vous n’allez pas être déçue ! » en soulignant que, chez elle, il y avait quatre générations de divorces et de querelles familiales.
Couverture du 20e numéro du Bateau ivre, le journal du Liberté (photo Martine Segalen).
Couverture du 20e numéro du Bateau ivre, le journal du Liberté (photo Martine Segalen).
25La gamme sociale va des classes moyennes aux cols blancs ; les uns travaillent dans le champ médical (kinésithérapeute), ou sont fonctionnaires (enseignants) ; quelques-uns sont ingénieurs. Huit personnes ont une origine paysanne ou ouvrière ; la plupart ont connu une condition sociale ascendante, grâce à un bon niveau de diplôme ou un mariage hypergame. Trois pourraient être qualifiés de vrais bourgeois.
26Les trajectoires de vie montrent aussi une grande diversité, depuis les couples relativement stables jusqu’à ceux qui ont connu divorce et séparation. Dix informateurs, avec des liens familiaux en province, cultivent un large réseau familial. Les uns rêvent de retourner « chez eux » puisqu’ils ont été contraints de vivre à Paris pour des raisons professionnelles. Aucun des habitants, à l’exception d’un seul, n’a d’origine nanterrienne. Tous les autres ont quitté Paris en raison de l’augmentation des prix du logement, ou ont trouvé un emploi dans le secteur et ont choisi de s’installer au Liberté, parce que le coût du logement n’était pas élevé et l’accès à la capitale facile. Pour les couples avec jeunes enfants, le Liberté, bordant le parc, avec des écoles accessibles facilement, a semblé être un endroit agréable pour les élever.
Combien de parents ?
27Le premier résultat brut offert par le knq est de connaître le nombre de parents nommés dans la reconstitution de la généalogie, qui se monte jusqu’à 139 pour un habitant d’origine syrienne. Mais entre un célibataire qui ne nomme que 20 parents et une femme qui en recense 109, la taille moyenne du réseau de parenté s’établit à une soixantaine de parents. L’analyse des résultats à la question no 1, « Combien de contacts avez-vous eu le mois dernier avec vos parents ? » [6], fait ressortir des situations très différentes ; comme ce fut observé dans l’enquête menée par Raymond Firth [1956], l’écart est grand entre parenté connue et parenté activée. Pour la plupart des informateurs, le nombre de parents avec lesquels ils ont été en contact va de 40 % de tout le réseau de parenté à 16 %, avec une moyenne de 23 personnes, ce qui suggère que seul un quart du réseau de parenté est activé à travers une diversité de circonstances (rencontres, appels téléphoniques, mails, etc.) [7].
28L’enquête se focalisant sur la question des liens et des échanges, on comprend que ceux-ci sont d’autant plus importants que la proximité résidentielle l’est. Ainsi, dans le cas de neuf informateurs, le réseau de parenté est situé dans un espace résidentiel proche, dans le bâtiment ou dans un lieu d’accès facile (par le rer ou par voiture). Pour mettre en œuvre une proximité résidentielle avec les jeunes adultes, pendant leurs études et avant qu’ils ne s’installent en couple, les familles ont parfois développé des stratégies résidentielles au sein du bâtiment. Plusieurs de nos informateurs ont acquis des studios qu’ils louent ou conservent pour leurs enfants qui les occupent le moment venu. L’indépendance fonctionne dans l’interdépendance. Les enfants apportent leur linge à laver à leur mère, empruntent la voiture, viennent déjeuner le dimanche ; mais, en échange, ils aideront leur père à faire fonctionner un ordinateur ou à réparer un robinet dans la salle de bains.
29Le cas de Philippe Houzé et de sa femme est intéressant en ce qu’il permet de distinguer liens utiles et liens affectifs qui ne se recouvrent pas nécessairement. Ainsi ceux-ci mettent-ils à la disposition de leurs deux enfants jeunes adultes deux studios qu’ils ont acquis dans le bâtiment : c’est pour eux un moyen de voir leur fille alors qu’ils n’entretiennent pas de bonnes relations avec leur fils qui ne leur rend que très peu souvent visite.
30Les enquêtés distinguent nettement la qualité de leurs relations. Pierre Bourdon, par exemple, remarque : « Du côté de ma mère, je vois un tas de gens, mais les relations sont bien plus superficielles que de l’autre côté. » Dans l’ensemble, c’est le noyau proche ascendant et descendant qui est l’objet des liens les plus forts, participant de ce modèle que Catherine Bonvalet [2003] a nommé la « famille entourage ». Ainsi, Gérard Mangin, 65 ans, qui a été en contact avec 40 % de son réseau au cours du mois précédent, peut être considéré comme très actif. Il est fortement impliqué dans un réseau très proche (père, belle-mère, deux filles, deux petites-filles).
31Certaines familles préfèrent les rencontres rituelles tandis que d’autres développent des contacts interpersonnels, ces deux modèles n’étant pas exclusifs l’un de l’autre. Les commentaires soulevés par les questions du knq montrent que le nombre de contacts n’est pas nécessairement indicatif de la nature des liens de parenté. Pour certains informateurs, les rencontres familiales formelles apparaissent comme utiles pour remplir le vide des relations : « Les anniversaires ou les fêtes de la nouvelle année aident à ne pas perdre complètement de vue les parents plus éloignés », dit Marianne Prémontré.
32La gamme des modèles d’aide varie selon l’âge et l’origine : une différence est perceptible entre ceux qui sont de vieux résidents du Liberté et les nouveaux venus, entre ceux qui sont encore très impliqués dans la vie associative et ceux qui préfèrent rester dans leur entre-soi.
33À l’exception d’Antoine Fourmaux, âgé de 45 ans, divorcé, qui répond à la question : « Si nous parlons de la famille, nous ne parlons pas de ma vie », l’entraide familiale est fréquente et intense. Outre la distinction selon les modèles d’aide au quotidien ou d’aide en cas de crise ou de difficultés spécifiques, la différence principale réside dans la direction de l’aide, verticale, vers le haut comme vers le bas, ou horizontale.
La colonne vertébrale de la parenté : enfants et parents âgés
34Ce sont les circonstances du cycle de la vie familiale qui sont les plus souvent citées en exemple des liens de solidarité générationnelle. Dans le cas du Liberté, ces liens – que la langue française commence à nommer du terme de « care » [8] – s’articulent avec deux autres ressources, celles de l’environnement local et du soutien des aides publiques.
35Au Liberté, la plupart des jeunes mères qui travaillent ont recours aux crèches ou au réseau de « nounous » dont les noms circulent entre celles qui vont chercher leurs enfants à la sortie de l’école ou qui se rencontrent. Ainsi, un réseau de professionnelles et un réseau amical permettent aux parents de ne pas faire appel aux leurs pour garder les enfants. Ce modèle est très différent de celui qui est observé dans la ville de Dole [Amiotte-Suchet et Chevalier, ce numéro] ou encore dans d’autres villes d’Europe [Thelen, Leutloff-Grandits, ce numéro] où les grands-parents prennent soin au quotidien de leurs petits-enfants. De plus, le dessin du parc le long duquel le Liberté a été construit lui attribue une sorte de jardin privatif, au pied du bâtiment, le square de la Brèche, que les résidents et leurs enfants se sont approprié. Sous la conduite d’une autre mère ou d’une nounou, dès l’âge de trois ans, les enfants fréquentent l’école maternelle et plus tard l’école primaire qui jouissent toutes deux d’une excellente réputation – à l’inverse des établissements secondaires. Dès l’âge de 7 ans, les enfants sont autorisés à traverser le square de la Brèche et à revenir chez eux, seuls ou en groupe, jouissant d’un encadrement familial et amical souple ; les parents sont débarrassés de la crainte des risques liés aux accidents automobiles. Plusieurs jeunes femmes ont souligné qu’il était « extraordinaire » de pouvoir voir leurs enfants, de leur balcon, jouer sous leurs fenêtres.
36Dans le modèle français, les jeunes couples se veulent indépendants de la précédente génération, c’est le schéma vécu comme normal. L’indépendance résidentielle est la règle. De plus, la mobilité professionnelle des plus jeunes exclut une entraide au quotidien – que les jeunes parents ne souhaitent d’ailleurs pas. Si elle devient nécessaire en raison d’une crise familiale, cette cohabitation n’est pas bien vécue : c’est le cas d’une femme de 60 ans qui se sent obligée de partager son petit appartement avec sa fille qui est revenue chez elle avec un enfant, après s’être séparée de son compagnon. Une telle situation lui pèse : elle ne veut en aucune façon se substituer à la mère auprès de l’enfant et, au contraire, aide sa fille à retrouver une situation « normale », ce qui veut dire disposer d’un emploi et d’un logement séparé.
37Comme nous l’avons montré à travers une enquête nationale [Attias-Donfut, Lapierre et Segalen, op. cit.], les grands-parents interviennent principalement au cours des week-ends ou lors des vacances. Gérard Mangin, qui est le champion des contacts familiaux, est le seul de nos informateurs qui s’occupe une fois par semaine de sa petite-fille dont la mère, professeur de gymnastique, conduit une carrière de sportive professionnelle. Gérard et sa femme vont chercher leur petite-fille à la sortie de la crèche, la gardent le soir jusqu’au retour des parents, tandis qu’ils mettent en route la machine à laver et apportent quelques plats préparés à l’avance. Chacun y trouve un profit réciproque, expression de l’affection : les grands-parents se sentent utiles et chérissent la petite Léa tandis que ses parents bénéficient d’une soirée de liberté pour leurs activités individuelles. À des degrés d’investissement plus ou moins grands, s’observe le même schéma.
38Lorsqu’il n’y a pas de descendants directs, c’est la ligne collatérale, notablement neveux et nièces, que l’on soutient. Pour un célibataire, c’est un moyen de se créer une descendance, comme dans le cas de Pierre Bourdon qui les aide financièrement ou de Sophie Girault qui les emmène régulièrement en vacances. Tous deux s’intéressent à leurs études, à leur futur, et se comportent en gardien ou protecteur avec l’idée qu’un jour, ils leur transmettront leur patrimoine. Le parrainage est un moyen de renforcer des liens. Par exemple, parmi ses nombreux neveux et nièces, Philippe Houzé conserve un contact assez étroit avec ses deux filleuls qui s’adressent à lui lorsqu’ils sont en conflit avec leurs parents ou pour demander un peu d’argent.
39Au Liberté, on ressent les effets de l’allongement de la vie et les sexagénaires, là comme ailleurs, se trouvent entre deux générations : il leur faut à la fois soutenir leurs enfants encore en train de s’installer et des parents âgés. Tous les enquêtés font état d’une aide soutenue en faveur de leurs vieux parents, leur rendant régulièrement visite, les invitant chez eux à prendre des repas, les aidant à remplir les papiers administratifs, etc., la proximité résidentielle favorisant ces soutiens qui viennent en appui des soutiens publics. Lorsque ceux-ci sont par exemple installés dans des maisons médicalisées, les enfants continuent de s’occuper d’eux et de leur rendre visite. Même avec le soutien d’aides publiques ou d’institutions spécialisées, les femmes « du milieu » sont les grands ordonnateurs des soins aux personnes âgées.
40Verticaux, d’orientation ascendante ou descendante, les liens de parenté apparaissent comme le fruit d’une obligation, d’une loi morale [Fortes, 1969 ; Finch, 1989]. Ils sont activés au nom de l’amour filial. Le rôle des lignées reste donc très important, mais au contraire d’autrefois où elles imposaient un destin social à leurs membres, les lignées contemporaines sont maintenant au service des individus.
41Les enquêtes conduites dans le cadre de kass confortent donc les résultats des travaux macro- ou microsociologiques qui, depuis les années 1990, ont redécouvert la puissance des réseaux de soutien et d’échanges, attestant l’existence de la parenté dans la modernité. De tels réseaux sont largement délocalisés : les familles urbaines les entretiennent alors soit par le biais des formes modernes de communication (téléphone, Internet), soit dans le cadre des résidences secondaires, sises au bord de la mer ou à la campagne. Ces lieux sont d’ailleurs pensés comme s’opposant aux contraintes associées à la vie urbaine : espace, liberté, temps libre, convivialité, fêtes.
Modèles d’assistance mutuelle horizontale
42Les relations horizontales relèvent, quant à elles, d’un mode électif. Il n’est pas besoin d’excuser le fait que l’on s’éloigne de ses frères et sœurs car il est admis que si l’on ne s’entend pas bien avec tel ou telle, il est légitime de ne pas s’obliger à entretenir des liens. En revanche, les enquêtés expliquent comment ou pourquoi la distance s’est créée : éloignement géographique, écart social qui se creuse au fil de la vie, rancœurs qui s’expriment une fois la vieille génération disparue.
43Marianne Prémontré se montre très affectée de n’avoir été choisie par son frère comme marraine d’aucun de ses quatre enfants. Elle se plaint de la distance qui s’est installée entre eux. Chaque année, elle loue une maison, dans l’espoir de le voir, mais sans succès. Elle explique à de nombreuses reprises qu’elle a essayé de conserver les liens entre les membres de la troisième génération, après la mort des grands-parents. Ceux-ci étaient l’aimant familial, comment faire pour rester unis lorsque le temps sépare frères et sœurs ?
44À l’une des questions concernant l’héritage qui était posée dans l’enquête kass, les enquêtés n’ont pas grand-chose à répondre compte tenu de la loi française [9] ; l’héritage n’a pas grande importance parmi ces familles dont les ressources reposent majoritairement sur des salaires. Plus affectifs que patrimoniaux, conflits et tensions après la mort et la dispersion des biens familiaux sont relatés : les querelles relatives à la question des résidences secondaires, ravivant sentiments et émotions, sont souvent mentionnées. Cependant, l’un des informateurs fait état des difficultés financières qu’il a rencontrées parce que son grand-père a préféré transmettre sa petite entreprise à l’un de ses fils et non à un autre, ce qui a entraîné une rupture des liens.
45D’autres informateurs, qui au contraire ont conservé des attaches dans la région de leur naissance et y retournent souvent, maintiennent des relations avec frères et cousins restés sur place. Quelques hommes ont des liens solides avec leurs frères ; ainsi Philippe Houzé a-t-il travaillé très durement pendant de nombreuses années pour aider ses frères à sauver une petite entreprise familiale dont ils avaient hérité.
46La fragilité ou la labilité des liens horizontaux peut être également attribuée aux phénomènes de mobilité qui introduisent une distance entre la génération du milieu et la génération la plus jeune qui ne partage pas les valeurs des aînés : trop « bourgeois », trop « religieux ». Les mariages peuvent unir des personnes de milieux relativement différents, comme on l’observe souvent dans les classes dites moyennes. Certains enquêtés font clairement état d’une préférence pour l’une ou l’autre des branches familiales. Ainsi, Sophie Girault, une militante qui incarne ce que fut l’esprit de la ville de Nanterre aux grandes heures du communisme, adhère aux valeurs transmises par sa grand-mère, une ancienne ouvrière syndiquée, autant qu’elle déteste ce qu’elle considère comme le cynisme et l’égoïsme de sa branche grand-paternelle et de ses descendants.
47Avec le mariage se rencontrent deux cultures, deux origines sociales et régionales différentes : soit la relation se construit au fil des années, soit au contraire elle peut se détendre. Les relations entre affins et consanguins sont généralement bien équilibrées. Par exemple, Sylvie Chéraud raconte qu’au cours des premières années de son mariage elle téléphonait autant à sa belle-mère qu’à son père pour donner des nouvelles des enfants. Mais, au fil du temps, une lignée prend le pas sur l’autre. Jacques Le Hir, d’origine bretonne, qui a vécu dix ans dans le Liberté, a commencé à retourner dans la maison familiale près de Brest parce qu’il aime naviguer avec ses frères. Il ne voit guère ses beaux-frères qui appartiennent à un autre cercle social. Marianne Prémontré, en revanche, est maintenant beaucoup plus proche de sa belle-famille, en raison de la maladie de sa mère et de la distance qui s’est instaurée avec ses frères, ses oncles et ses cousins. Les accidents familiaux relient ou rapprochent, et ici la variété des histoires recueillies est assez frappante ; le rôle des cultures politiques est déterminant pour certains de nos interlocuteurs qui sont très militants et coupent les ponts avec une branche de la famille qu’ils estiment trop… à droite ou à gauche.
48Ainsi tous les informateurs finissent-ils par témoigner d’une préférence pour l’un ou l’autre côté de la famille ; dans certains cas, ils se sentent davantage d’affinités avec leur belle-famille. Les liens de parenté sont ici sélectifs et électifs, sans qu’il soit possible d’établir, pour cette raison, un modèle régulier.
Rituels familiaux et maisons de famille
49Au grand regret de l’équipe travaillant sur la France, le questionnaire knq ne comportait pas de questions directes concernant les résidences secondaires, et c’est seulement par le biais de questions portant sur les fêtes et les rituels que l’on pouvait en saisir l’importance, et bien sûr dans les propos plus libres des enquêtés.
50Huit des résidents du Liberté ont conservé des liens avec leur région d’origine, sous la forme d’une maison de famille, tel Jacques Le Hir qui s’est mis en devoir d’abandonner le Liberté et de retourner s’installer dans sa Bretagne natale. Disposer d’une maison secondaire confère un enracinement régional, véritable ou inventé. C’est le lieu de construction d’une mémoire familiale. Les cinquantenaires attribuent leur proximité avec leurs cousins aux souvenirs de leurs vacances partagées dans la maison des grands-parents. Ces maisons dites secondaires sont des lieux qui étendent la taille du réseau de parenté et son importance symbolique en créant un sentiment de continuité.
51Pierre Bourdon a hérité, ainsi que ses frères et sœurs, d’une grande maison et d’un domaine en Normandie ; les terres ont déjà été partagées, comme du temps de la génération précédente. Au cours du xxe siècle, les frères et sœurs et cousins ont passé toutes leurs vacances en ces lieux où une dizaine de résidences secondaires ont été construites, toutes appartenant aux membres de la parentèle. Si, généralement, les liens se distendent après la mort de l’ancêtre apical, dans cette configuration particulière, les stratégies d’héritage et de transmission, guidées par la volonté de continuer à entretenir le réseau de parenté, au contraire, les maintiennent.
52La culture de la « fête » familiale propre au xxe siècle se manifeste à travers les réponses des informateurs. Pour la plus grande partie d’entre eux, Noël est l’occasion principale de réunions familiales, démultipliées si les familles sont recomposées. L’habitude de célébrer les anniversaires sous forme de rituels importants prend de l’ampleur. Si l’on fête les anniversaires des jeunes enfants, des adolescents et des jeunes amis entre adultes, les 50, 60, 70 ans sont l’occasion de rassembler les membres de la parenté. On y observe de véritables créations rituelles, à fonction performative.
Les conditions d’exercice de la parenté
53Les relations de parenté contemporaines relèvent d’un double registre contradictoire : d’une part, celui de l’affectif, inscrit dans le champ du privé, et, d’autre part, celui des liens avec la société et notamment l’État et ses soutiens, qui sont une spécificité de l’État-providence français. Ces relations constituent une fin en soi. Elles sont l’expression de l’amour, du plaisir, l’expression de la confiance et du partage entre générations. Et de façon complémentaire, lorsque ce modèle n’est pas respecté, elles renvoient à une crise à propos de laquelle la personne se sent toujours obligée de donner une explication ou même une excuse.
54Ainsi, Céline Facchini ne voit plus son père qui ne l’a pas aidée lorsqu’elle a divorcé de son mari alors qu’elle avait besoin d’un soutien financier (pour racheter sa part dans l’appartement de Nanterre qu’ils avaient acquis en commun huit années auparavant). Céline pense que la seconde femme de son père a joué le rôle de la « marâtre » en l’encourageant à refuser ce prêt à sa fille. Les liens avec tout le côté paternel sont coupés ; elle ne voit plus ses oncles ni leurs enfants, ni son demi-frère. Juliette Ranou a rompu elle aussi avec sa lignée paternelle car elle a pris parti pour sa mère lors du divorce de ses parents.
55Ces crises de la vie – divorce, maladie – sont un moyen d’éprouver la force des liens de parenté. Mais, au long des trajectoires familiales, des liens peuvent se retisser avec des parents éloignés. Jacques Le Hir, par exemple, a beaucoup souffert de la mort de sa belle-sœur qu’il avait soutenue alors qu’elle était malade du sida (il lui avait trouvé un logement, un travail et l’avait aidée financièrement). Claudine Portet a financé les études d’un de ses neveux ; Nicole Bollet a hébergé chez elle pendant six mois son beau-frère qui avait des difficultés judiciaires, etc. Dans des circonstances très difficiles, le soutien qui était donné initialement sous la contrainte du devoir familial se mue en lien d’amitié très fort.
56Comme nous l’avons vu, tous nos informateurs aident de diverses manières leurs vieux parents, sur une base régulière, que la personne vive chez elle ou dans une maison de retraite. Il n’est pas nécessaire d’avancer une motivation pour expliquer ces contacts, qui sont vus comme relevant du devoir. Cependant les sentiments associés aux soins des personnes âgées couvrent une gamme très large qui va du plaisir, du sentiment de réciprocité obligée, à l’impression d’une contrainte très lourde. Si prendre soin des petits-enfants est généralement associé à la joie et à l’amour, tel n’est pas le cas avec les personnes âgées ; un lien dont le poids repose essentiellement sur les épaules des femmes. Martine Perrier se plaint de ce que sa mère se soit très peu occupée d’elle lorsqu’elle était enfant ; cependant elle lui rend visite quotidiennement dans sa maison de retraite de Nanterre. La vieille femme est très déprimée et sans exprimer de sentiment de culpabilité, Martine explique que voir sa mère ainsi est très douloureux.
57Depuis que sa mère est devenue veuve, Marianne Prémontré et sa sœur ont partagé les soins de leur mère. À la mort de sa sœur, Marianne a installé la vieille dame dans une maison de retraite et lui rend visite quatre fois par semaine entre 16 heures et 17 heures 30, bien que la relation entre les deux femmes soit très dégradée, sans tendresse. Pour Marianne, cette visite est une charge qui ne donne du plaisir ni à l’une ni à l’autre, mais, soupire-t-elle, « je n’ai pas le choix ! ».
58Dans ces réseaux complexes de sentiments positifs ou négatifs, au cœur de la vie privée, s’installent l’État et la diversité des nombreuses aides publiques mentionnées dans les réponses à l’enquête knq [10]. Le Liberté accueille surtout des classes moyennes qui bénéficient aussi de soutiens publics sous une forme ou une autre. Ayant généralement reçu une bonne éducation et occupé des emplois stables (notamment ceux qui dépendaient du ministère de l’Éducation nationale), elles ont pu accumuler, acheter leur appartement, soutenir leurs enfants. Les 60 ans et plus appartiennent à la génération dorée des Trente Glorieuses et bénéficient d’un bon niveau de pensions de retraite. Ainsi peuvent-elles se montrer généreuses avec leurs enfants, leur prêter un studio. De plus, leurs parents âgés sont pris en charge par les services publics des maisons de retraite. Mais d’autres ont une situation que l’on peut qualifier de précaire.
59Parmi les plus jeunes notamment, nous avons néanmoins rencontré un certain nombre de jeunes femmes élevant des enfants seules et qui n’ont pas recours à des aides financières familiales parce qu’elles bénéficient de soutiens publics relativement généreux. Ceux-ci tendent à « défamilialiser » la famille, puisque, comme nous l’avons vu, la garde des enfants en bas âge est en partie à la charge de l’État. Des allocations sont données aux jeunes mères, augmentées d’allocations spéciales attribuées aussi par la Région à celles qui travaillent.
60Ces soutiens publics entrent dans le budget des familles pour les aider à faire un choix concernant la garde des enfants, le logement, etc., et conserver une autonomie vis-à-vis des membres de la famille.
61En résumé, les liens verticaux attachent fortement. Sur le plan horizontal, les relations sont électives, soit fortes, soit parfois absentes. Puisqu’on n’associe plus la famille aux tâches quotidiennes, ce qui pouvait être (et fut au cours des siècles de cohabitation entre générations) source de frictions, la famille est associée aux loisirs, aux vacances, aux déjeuners du dimanche, à l’affection, au partage. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que la famille – quelle qu’en soit la forme – figure au sommet des valeurs de la jeunesse.
L’effet « Liberté »
62Lorsque, débarrassés du cadre strict de l’enquête kass et de la passation des questionnaires, les entretiens ont pu se dérouler de manière plus libre, est apparue l’importance de l’effet résidentiel qui s’articule ou se substitue aux liens familiaux. En disant que « l’immeuble, c’est un cocon familial », Virginie Leroi, 28 ans, résume ce que ressentent nombre de résidents.
63Pour les premiers occupants, aujourd’hui à la retraite, le Liberté a offert un espace exceptionnel d’entraide et de relations sociales, d’autant plus que leur parentèle était alors assez éloignée. Ce groupe de militants était si soudé qu’il avait même caressé l’idée d’acheter en commun une maison dans laquelle tous prendraient leur retraite, mais le projet ne se matérialisa pas. Tandis qu’ils vieillissent, le militantisme des plus jeunes s’émousse et les actions collectives, comme le festival annuel et les concours de fleurs des débuts, ont disparu. Cependant les liens au sein du groupe d’origine restent très forts : une des familles de pionniers qui avait quitté le Liberté est même revenue. Des femmes vont ensemble faire leurs courses.
64Dans les premières années, les activités collectives étaient destinées aux jeunes enfants qui, à travers leurs liens de camaraderie, renforçaient les liens amicaux entre parents. Au cours de leur adolescence, les enfants ont beaucoup apprécié le bien nommé Liberté, tout comme leurs parents qui pouvaient contrôler leurs va-et-vient. La plupart de ces jeunes, aujourd’hui adultes, ont quitté le bâtiment. Les nouveaux venus apprécient toujours autant la disposition spatiale et les facilités collectives de l’immeuble, même s’ils ne forment pas un groupe aussi solide et militant que celui des premiers arrivants.
65Les réseaux d’amitié entre jeunes parents continuent à se former à partir de la sociabilité enfantine. Nombre de mères ne travaillant pas le mercredi (rtt, travail à 4/5 de temps) sont amenées à se rencontrer par le biais de leurs enfants qui circulent dans le bâtiment, avec des « soirées pyjamas » [11] organisées ici et là. L’enquête kass cherchait aussi à cerner les raisons pour mettre au monde des enfants ; l’idée de « remplir un devoir » n’effleure personne. Les couples prennent la décision d’avoir un enfant en regard de leur situation professionnelle (et notamment celle de la femme), des chances de longévité de leur couple. Cependant, cette décision, au-delà des considérations privées qui la fondent, s’étaye implicitement sur l’existence des soutiens publics, comme sur la possibilité de s’appuyer sur l’aide du voisinage. Le dessin du bâtiment comme la sociabilité qui y règne encouragent sans doute à avoir une progéniture relativement importante (par rapport aux autres pays d’Europe). Le Liberté est une construction accueillante aux familles avec enfants, « family friendly » [12].
66Ces familles partagent les mêmes soucis dont il a été fait souvent mention au cours des entretiens, principalement relatifs à la scolarité des enfants. Les choix résidentiels des parents sont aujourd’hui guidés par les choix concernant le destin social des enfants : au Liberté comme ailleurs, ils incarnent cette « crispation sur l’école en milieu urbain » [Oberti, 2005 : 36]. Bien avant que leur enfant atteigne l’âge du collège, les parents s’interrogent sur le choix de l’établissement. Les écoles élémentaires et primaires n’accueillent que les enfants du Liberté et du Vallona (le bâtiment voisin) qui partagent un entre-soi de classes moyennes, ouvert à une minorité d’enfants des classes populaires ; mais il n’en va plus de même pour les collèges de Nanterre dont l’origine sociale est beaucoup plus mêlée. Les enfants de certains des premiers résidents, fidèles à leur esprit militant, ont fréquenté ces collèges. Les nouveaux venus développent diverses stratégies scolaires dont ils nous ont longuement entretenues : faire intégrer les classes réputées d’excellence, comme la « classe européenne », créée au sein du collège proche, ou inscrire leurs enfants dans des établissements de communes voisines, voire des établissements privés. Pour plusieurs enquêtés, la question se pose même de quitter le Liberté si nécessaire pour inscrire leur enfant dans un collège qui leur semble garantir une bonne éducation. Dans les années à venir, cependant, l’extension de l’epasa, attirant plus de classes moyennes, influera sûrement sur la composition sociale de l’offre scolaire.
De la parenté, des individus aux trajectoires singulières
67En référence à l’une des hypothèses originales de l’enquête kass qui opposait les pays européens du Nord à ceux du Sud en matière de soutien familial [Patrick Heady, ce numéro], l’enquête à Nanterre avait l’intérêt de présenter l’un des terrains les plus urbanisés, où résident des classes moyennes pétries d’individualisme, aux réseaux de parenté délocalisés. Tous les questionnaires et toutes les enquêtes ont montré cependant l’importance des liens de parenté, à l’exception d’un célibataire dont la vie est tout occupée par l’escalade et par le réseau d’amitié associé à cette activité.
68Au Liberté, s’articulent, à travers chaque cas familial, d’un côté, de solides réseaux de parenté (modèle qui relèverait de l’Europe du Sud) et, de l’autre, le recours aux soutiens publics (modèle qui relèverait de l’Europe du Nord) et à la sociabilité locale. Il est difficile d’établir dans ce cas si les services formels encouragent ou découragent le soutien familial.
L’ombre portée du Liberté au soleil couchant (photo Martine Segalen).
L’ombre portée du Liberté au soleil couchant (photo Martine Segalen).
69En poussant chaque porte d’un appartement au Liberté, c’est une configuration familiale singulière que nous avons rencontrée, liée à la trajectoire biographique, professionnelle, matrimoniale, affective de chacun et chacune. À partir du knq, se sont révélées des singularités, un peu à la manière des portraits d’habitants dressés par Daniel Miller dans une rue du sud de Londres [2008]. Mais il existe cependant des constantes, incarnées par les femmes du « milieu », épicentre des relations de parenté. Examinant les nombreuses enquêtes comparatives consacrées à l’étude des relations intergénérationnelles dans notre monde en phase de vieillissement, Howard Litwin [2005] remarque que « la maturité filiale des femmes qui veulent bien aider puise dans leurs ressources psychologiques et spécifiquement dans le sens de leur attachement à leurs propres enfants ». Autrement dit, et cela explique à la fois l’homogénéité et la variété des modèles rencontrés au Liberté, la relation de parenté est étroitement liée au lien d’affection qui a été construit au fil des années entre les générations. ?
Bibliographie
Références bibliographiques
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Mots-clés éditeurs : nanterre, relations affectives, parenté, voisinage, aides publiques
Mise en ligne 20/12/2011
https://doi.org/10.3917/ethn.121.0023Notes
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[1]
La disparition de Nanterre du nom de l’université symbolise bien le nouvel horizon dont l’université veut se doter, dans le nouveau panorama universitaire parisien, mais aussi la distance prise avec une ville qui fut longtemps porteuse d’une réputation sulfureuse.
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[2]
Des cinq bâtiments, trois seulement ont un nom : devant le Liberté, le Vallona ; derrière, le Central Park (pour faire allusion à New York) ; les deux autres qui relèvent du logement social n’ont pas de nom, mais seulement des numéros.
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[3]
C’est également le nom du journal du bâtiment créé en 1985 et qui compte 76 numéros en 2005.
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[4]
L’échantillon a été établi au hasard à partir de la liste alphabétique de l’annuaire téléphonique (noms sélectionnés toutes les dix lignes), suivi d’un envoi de courrier pour solliciter un entretien auprès des personnes sélectionnées.
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[5]
Au total, 22 personnes ont été interviewées : 3 jeunes sans enfants (en dessous de 30 ans), 2 jeunes mères (d’environ 35 ans), 4 personnes avec des jeunes enfants et 1 sans enfant (autour de 45 ans), 6 personnes entre 50 et 60 ans, 6 au-dessus de 60 (en activité ou retraité). Tous sont mariés ou installés en couple ou sont divorcés à l’exception de 4 célibataires dont 2 ont très peu de contacts familiaux. Nous avons interviewé 13 femmes, 9 hommes. Tous sont français, sauf un Uruguayen et un Syrien. 6 informateurs louent leur appartement (2 à leurs parents), les autres sont propriétaires.
-
[6]
Il faut noter que les réponses peuvent varier en fonction de la période de l’année à laquelle est passé le knq : par exemple en janvier, les gens auront vu plus de parents en raison des fêtes qu’au mois de mars.
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[7]
À l’époque de notre enquête, le courrier électronique n’avait pas pris le développement qu’on lui connaît aujourd’hui. Trois informateurs n’ont eu de contact au cours du mois dernier qu’avec 0,5 à 0,8 % de leur parenté, l’un d’entre eux étant uruguayen, ce qui peut expliquer sa réponse. Un autre est célibataire et toute sa vie se résume à son travail, ses activités sportives et ses voyages ; de plus son réseau de parenté est très limité (moins de 20 personnes). Martine Perrier a aussi très peu de contacts (4 sur 49 membres) : elle limite ses contacts avec ses beaux-parents à des cartes de Noël, son frère vit au Brésil et sa sœur est décédée.
-
[8]
Terme désormais utilisé dans certains programmes politiques.
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[9]
Contrairement à la loi anglaise ; de plus, l’héritage ne peut pas être associé à une forme d’aide mutuelle, telle que définie par kass.
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[10]
Par exemple l’aide au logement, l’allocation de parent isolé, les allocations familiales, le congé parental, le complément Caisse d’allocations familiales pour un travail à 4/5 de temps.
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[11]
Avec la célébration des anniversaires, c’est une des nouvelles manifestations de la sociabilité enfantine : aller dormir chez un ami ou une amie de sa classe.
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[12]
Il est impossible d’évaluer le nombre total d’enfants par famille dans le bâtiment. Parmi nos informateurs, 1 famille a 1 enfant, 8 en ont 2, 4 en ont 3, 2 en ont 4. Peut-on penser que la taille moyenne des familles au Liberté soit supérieure à la taille moyenne des familles en France ?