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Article de revue

L'urbanité des oiseaux

Pages 657 à 667

1Oiseaux sauvages et êtres humains cohabitent de longue date. Cela était facile quand le paysage urbain restait « semi-rural ». L’urbanisation, qui a caractérisé les années d’après-guerre, a bouleversé cet équilibre, modifiant considérablement les conditions d’adaptation des oiseaux vivant ou transitant en ville.

Reste-t-il des oiseaux ?

2Les citadins connaissent évidemment bien les pigeons et les Moineaux domestiques, si proches… mais bien d’autres d’espèces vivent dans les milieux urbains d’Europe : plus d’une centaine y ont été recensées. 60 espèces nichent à Paris intra-muros [Malher et al., 2010], et environ 200 espèces y ont été observées depuis le milieu du xixe siècle [Le Maréchal et Lesaffre, 2000].

3Si l’on étend l’observation aux zones pavillonnaires et industrielles ainsi qu’aux grands parcs suburbains, la variété augmente encore. En Italie, 86 espèces nicheuses ont été identifiées sur les 102 km2 du territoire de la commune de Florence [Dinetti, 2009] ; 130 nichent régulièrement sur le Land de Berlin (892 km2) depuis 1989 [Otto et Witt, 2002] et 126 ont été repérées de 1988 à 1994 sur les 3 200 km2 du Grand Londres [Hewlett, 2002].

4Exemples frappants : le Faucon crécerelle qui niche sur tous les sites élevés, les monuments et tours modernes ; le Faucon pèlerin qui a choisi la cathédrale Saint-Michel-et-Sainte-Gudule de Bruxelles [Weiserbs et Jacob, 2007] et les Grands Moulins de Nancy, tandis que la Cigogne blanche se contente des toits de maisons. Moins gros mais aussi spectaculaire du fait de ses couleurs vives, le Rougequeue à front blanc niche dans certains vieux arbres de parcs, voisinant avec la Chouette hulotte. Récemment la Bergeronnette des ruisseaux a colonisé les villes belges [Rabosée et al., 1995], avant de s’établir aussi dans certaines villes françaises (dont Paris depuis 2000). Beaucoup plus discrète, la plus petite espèce européenne, le Roitelet huppé, niche régulièrement dans les parcs parisiens, où elle recherche les conifères.

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Mouettes rieuses © corif - Olivier Laporte.
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Goéland marin © corif - Bruno Rogez.

En ville, où vivent les oiseaux ?

5Beaucoup d’oiseaux ont trouvé en ville un milieu qui ressemblait à leur milieu d’origine. Il n’y a pas dans ce cas à proprement parler d’« adaptation au milieu urbain », mais au moins une accoutumance à la fréquentation humaine.

6Les oiseaux forestiers évoluent à l’aise dans les parcs et jardins des centres. Ainsi, à Paris, aux Buttes-Chaumont vivent la Sittelle torchepot, le Grimpereau des jardins, le Pigeon ramier, le Pinson des arbres, la Grive musicienne, mais aussi la Chouette hulotte. Cette attirance s’est accrue avec le vieillissement des arbres, la plupart ayant été plantés du temps du baron Haussmann [Malher et Lesaffre, 2007], et on a vu, par exemple, le Pic vert s’y installer en 2005.

7Ces mêmes parcs possèdent souvent des bassins, qui même modestes, répondent tout à fait aux besoins de la Gallinule poule d’eau habituée à la campagne à tirer partie des moindres pièces d’eau. La Foulque macroule et le Grèbe huppé, absents pour le moment de Paris intra-muros, sont en revanche bien établis à Londres et à Bruxelles. Les Mouettes rieuses utilisent les cours d’eau de villes d’Europe pour passer l’hiver.

8Proches du milieu naturel, les friches urbaines sont très fragiles, surtout à proximité des centres historiques du fait de la pression immobilière, et les espèces qu’on y rencontre ont toujours un statut précaire. La Linotte mélodieuse, l’Hypolaïs polyglotte, la Bergeronnette printanière, la Fauvette grisette ou même le Petit Gravelot restent rarement plusieurs années de suite. En période de migration, les surprises sont nombreuses… Un seul exemple : une Caille des blés a séjourné au moins quinze jours dans une friche en plein Paris en 2006 [Chambris, communication personnelle].

9Certaines espèces ont adopté des milieux plus artificiels. Après avoir colonisé les parcs boisés des zones suburbaines puis des centres (pas avant les années 1960 à Paris), les pies et corneilles se sont mises à nicher sur des arbres d’alignement des grandes avenues. L’Accenteur mouchet a adopté les « jardins suspendus », formés par les terrasses végétalisées qui se multiplient sur les toits. Des jardins avec pelouse et quelques buissons suffisent au merle. Un trou dans un quai ou une échelle métallique d’où dépasse un peu de végétation fait l’affaire de la Bergeronnette des ruisseaux.

10D’autres espèces trouvent des similitudes entre leur milieu d’origine et certains bâtiments. Le Faucon crécerelle retrouve l’altitude nécessaire à son nid au faîte des tours modernes, des vieux beffrois ou des clochers. Le Rougequeue noir, qui a conquis les plaines françaises, et principalement leurs villes, à la fin du xixe et au début du xxe siècle, entonne le plus souvent son chant caractéristique depuis une cheminée ou un coin de toit. Cas extrême, il y a quelques années, à Paris, un Tichodrome échelette, oiseau montagnard, a, le temps d’un hivernage, cru retrouver sur les façades du Panthéon ses parois rocheuses estivales !

La ville connaît le cycle des saisons

Migrateurs…

11Au printemps arrivent des migrateurs venus d’Afrique pour la plupart, où ils ont passé la mauvaise saison. Le Rougequeue noir et le Pouillot véloce sont parmi les premiers (les villes du sud de la France en hébergent tout l’hiver), suit la Fauvette à tête noire, reconnaissable à son petit béret noir caractéristique (on l’entendra au début du mois d’avril entonner son chant puissant, coloré de notes très pures). Puis c’est le tour des deux espèces d’hirondelles : l’Hirondelle rustique qui préfère les villages et l’intérieur des bâtiments, et l’Hirondelle de fenêtre, habituée des extérieurs de maisons urbaines. Signe de l’arrivée prochaine des premières chaleurs, les Martinets noirs, migrateurs au long cours, sillonnent en groupes très bruyants le ciel de mai à août. Ils viennent nicher dans les fissures, trous d’aération et autres anfractuosités de nos bâtiments élevés.

12Toute espèce migratrice est susceptible de survoler les villes, spécialement en automne, ainsi au-dessus de Paris : des cigognes, des oies sauvages, des grues et, surtout, des milliers d’alouettes, de bergeronnettes, de pinsons ou autres pipits qui signalent leur présence par de petits cris, caractéristiques mais souvent recouverts par les bruits urbains.

13Venu du nord de l’Europe, le Pinson du Nord au plumage contrasté de noir et d’orange égaie les parcs et jardins en octobre. Il cherche les faines de hêtres, les semences de conifères et différentes graines, et retrouve ses cousins que sont les Tarins des aulnes. À la même période, on verra des groupes de Grives mauvis dans le lierre et les ifs, ainsi que dans les zones ouvertes où elles cherchent les fruits tombés à terre. On observera le Roitelet à triple bandeau, petite boule de plumes de cinq grammes, couronnée d’un éclair jaune-orangé dont les populations d’Europe du Nord et centrale viennent renforcer les effectifs locaux. D’autres espèces comme le rougegorge et l’étourneau ont aussi des représentants sédentaires, rejoints par des hivernants migrateurs.

… et sédentaires

14Nombre d’espèces urbaines sont sédentaires [Malher et Lesaffre, 2007]. La ville offre plus d’avantages que le milieu rural en hiver : nourriture plus abondante et température plus clémente. Le Troglodyte mignon est de ceux-là, il parvient à subsister en trouvant des cocons d’araignées dans les fissures des murs. Tout le monde connaît aussi les Mésanges charbonnières, assidues des différents milieux urbains tout au long de l’année.

15On constate aussi un phénomène de sédentarisation de certaines espèces qui, dans leur milieu d’origine, étaient plus ou moins migratrices (le merle et le Pigeon ramier, par exemple). Il est possible qu’il se passe la même chose en ce moment avec le Pouillot véloce, le Rougequeue noir et la Fauvette à tête noire dont on trouve quelques individus en plein hiver dans les parcs parisiens.

S’adapter…

16Pour prospérer, les oiseaux des villes ont dû développer un certain nombre d’adaptations et modifier substantiellement leur mode de vie.

Le site du nid

17Les oiseaux ont su tirer parti des constructions humaines. L’adaptation a même parfois été si importante qu’elle a fait disparaître des comportements ancestraux : qui a déjà vu une Hirondelle rustique nichant en milieu naturel ? Et pourtant, elles devaient bien réussir à vivre avant l’existence des villages et des étables… On trouve, en revanche, encore des Hirondelles de fenêtre dans les parois rocheuses de montagne et de falaises maritimes, ce qui prouve que l’espèce n’a trouvé dans les bâtiments qu’un substitut. Les Cigognes blanches nichent « normalement » sur des arbres et non sur des cheminées ! Tout le monde sait que la Mésange charbonnière peut élire des boîtes aux lettres quand elle ne trouve pas de cavités dans les arbres. On connaît moins le Pigeon colombin, habitant des arbres forestiers… mais qui a découvert les vertus des pots de cheminées comme les possibilités offertes, à vingt mètres de haut, par les contrepoids de grues.

18Les matériaux mobilisés pour construire les nids témoignent eux aussi d’une spectaculaire adaptation : fils de fer, lanières en plastique, ficelle, papier sont utilisés par le moineau domestique ou la Corneille noire, mais aussi la foulque à Amsterdam.

Le régime alimentaire

19Certaines espèces, sans vraiment changer d’alimentation, ont découvert de nouveaux filons. Les moineaux visitent les calandres de voitures et de trains en gare où ils trouvent des insectes. Les colibris antillais et américains ont appris à venir « téter » l’eau sucrée des distributeurs mis à leur disposition dans les jardins. Le Faucon crécerelle, spécialisé dans les micro-mammifères à la campagne, a découvert qu’en ville il était plus facile d’attraper de jeunes moineaux que des souris [Thibault, 1968]. Les poubelles recèlent bien des ressources, d’autant mieux repérables depuis le plan Vigipirate, qui impose des sacs en plastique transparent. Les corneilles savent à présent les déchirer et sont devenues friandes de pain, mais aussi de reliefs de hamburgers, de frites [Malher, 2008, blog] !

Le rythme de vie

20La ville perturbe les rythmes des intensités lumineuse et sonore… Et les cycles nycthéméraux de certaines espèces s’en ressentent. On a vu des Traquets à tête blanche se nourrir à la lumière des torchères de bases pétrolières au Sahara algérien [Laferrère, 1961], tandis que les Faucons pèlerins urbains profitent de l’éclairage des monuments pour capturer des migrateurs nocturnes [Fraissinet, 2008]. On a longtemps pensé que c’était l’éclairage urbain qui incitait le merle et le rougegorge à chanter souvent très tôt, voire en pleine nuit. À présent, on explique de plus en plus que c’est pour profiter du silence… avant que la circulation ne sature l’ambiance sonore. Il est aussi démontré que la nécessité de se faire entendre en ville a poussé certaines espèces à chanter plus fort - Rossignol philomèle - ou plus aigu - Mésange charbonnière - [Brumm, 2006 ; Slabbekoorn et al., 2006].

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Choucas des tours © corif - Jacques Coatmeur.

S’accoutumer à l’homme

21Les oiseaux n’étant pas chassés en ville, ils ont eu tendance à perdre leur traditionnelle méfiance vis-à-vis de l’homme. Sans parler des moineaux installés dans certains lieux célèbres de la capitale, qui mangent dans la main des « charmeurs », une visite dans un parc urbain permet souvent d’approcher à quelques mètres, des oiseaux dont la distance de fuite est, dans la nature, de plusieurs dizaines de mètres. Des chasseurs sont souvent surpris de voir les Pigeons ramiers (leurs « palombes ») laisser venir à eux les citadins, alors qu’eux ont un mal fou à les approcher à la campagne (et on comprend les pigeons…). Un phénomène est en train de se développer à Paris comme dans d’autres villes : les citadins peuvent à présent admirer de près des Hérons cendrés, encore farouches dix ans auparavant, et inconnus en ville il y a vingt ans. Ce phénomène d’abord noté aux Pays-Bas il y a quelques dizaines d’années [Malher, observation personnelle] semble depuis s’étendre en Europe.

S’installer et demeurer en ville…

Quand un territoire s’urbanise…

22Certaines espèces disparaissent des zones qui s’urbanisent progressivement tandis que d’autres y apparaissent. Des espèces de milieux ouverts, qui vivaient à Paris au xixe siècle (principalement rive gauche), ne s’y rencontrent plus. C’est le cas de la Fauvette babillarde et de la Rousserolle turdoïde qui nichaient respectivement au cimetière Montparnasse et autour des étangs de la Glacière de l’actuel XIIIe arrondissement [Quépat, 1876]. D’autres se maintiennent en fonction de leur capacité d’adaptation et de la présence de milieux favorables tels les cimetières (à Paris, l’Accenteur mouchet, le Troglodyte mignon, le Pinson des arbres).

23Depuis le début du xxe siècle, le nombre d’espèces a sans doute plus que doublé dans Paris intra-muros [Malher et Lesaffre, 2007]. Celles qui sont arrivées ont des besoins assez souples et donc une plus grande capacité d’adaptation. Celles qui ont disparu sont souvent plus spécialisées. Ainsi, par exemple, les espèces insectivores résistent moins face à la disparition d’un grand nombre de leurs proies causée par la pollution. Elles sont souvent également migratrices, sans doute parce que, la ville facilitant le séjour des hivernants, à leur retour les meilleures places sont déjà prises [Malher et Lesaffre, 2007 ; Croci et al., 2008].

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Héron cendré © corif - Olivier Laporte.

Comment une espèce s’installe-t-elle ?

24Un certain nombre d’espèces voient leurs effectifs augmenter à la périphérie des villes et ne trouvent plus de places où nicher. Elles ont donc tendance à rechercher cet espace vital jusqu’au cœur des cités. C’est semble-t-il ainsi que le Pigeon ramier les a colonisées [Tomialojc, 1976]. Celui-ci est en ville pour nicher et dormir surtout, alors qu’il part se nourrir en zone périurbaine, devenant ainsi un oiseau « pendulaire », en mouvement inverse des populations humaines… Parfois, l’espèce s’adapte si bien au milieu urbain que sa population y croît, tandis que baisse sa population rurale. C’est actuellement le cas de la Pie bavarde [Chiron, 2007]. La ville fait aussi parfois office de piège. Elle attire les oiseaux qui y trouvent à manger, mais n’arrivent pas à s’y reproduire efficacement. Ainsi le Merle noir, dont les nids sont souvent détruits par les chats.

Des facteurs favorables…

25Les conditions du milieu urbain sont souvent plus favorables que celles de la campagne environnante [Luniak et al., 1990] : la température, spécialement en hiver, est supérieure de 2 à 3 degrés en milieu urbain. Cela permet un début plus précoce de la végétation et une reproduction plus étalée dans le temps. Grâce aux détritus, la nourriture est souvent disponible en plus grande quantité (même si elle n’est pas toujours de qualité).

26La chasse n’existe pas alors qu’à la campagne elle occasionne d’importants dérangements, ce qui explique sans doute la raréfaction en milieu rural de la pie, qui se porte bien en ville.

27En ville, la prédation naturelle est plus rare : on y trouve moins de carnassiers telle la fouine, qui, à la campagne, contribuent à l’équilibre naturel par la régulation des populations d’oiseaux. Cela est d’ailleurs en train de changer, non sans conséquences. En Pologne, le Pigeon ramier qui était devenu très commun a puissamment régressé dans certaines villes, à la suite de l’arrivée de la Corneille mantelée [Tomialojc, 1999]. Aux États-Unis, la prédation exercée par les Faucons pèlerins urbains aurait déjà favorisé - par sélection naturelle - chez les pigeons de ville les plumages plus proches du « modèle » sauvage [Palleroni et al., 2005].

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Accenteur mouchet © corif - Olivier Laporte.

28Un autre facteur favorable aux oiseaux est la meilleure prise en compte, ces dernières années, des besoins écologiques des citadins, et l’aménagement de parcs, squares, jardins, cimetières à la végétation diversifiée. Un certain nombre de municipalités (dont Paris) ont fait le choix de bannir l’usage des herbicides, ce qui travaille au développement d’une végétation spontanée et à la survie d’insectes plus nombreux, et donc à la présence d’oiseaux…

29Les oiseaux attirent la sympathie des habitants avides de nature, qui nourrissent cygnes et canards, moineaux des squares ou mésanges des balcons. Mal mené, ce nourrissage « sauvage » n’a pas toujours des conséquences heureuses. Un exemple : l’accumulation de pain attire les rats. Mais, limité à l’hiver et bien ciblé, ce nourrissage permet d’aider de nombreux oiseaux et de maintenir un lien, même artificiel, entre le citadin et la nature.

… et des facteurs défavorables

30Il serait cependant faux de croire que la ville est le paradis des oiseaux. Bien des aspects négatifs existent et empêchent les oiseaux sauvages d’y prospérer, à quelques exceptions près.

31Un des principaux facteurs de dérangement est évidemment la présence de l’homme. Même si certaines espèces dites « anthropophiles » s’accommodent de son voisinage immédiat, la plupart ont besoin d’une zone de quiétude pour se reproduire. La fréquentation dominicale des bois parisiens explique sans doute, en grande partie, la relative pauvreté de l’avifaune qu’on y trouve. D’autant plus que cette fréquentation entraîne un piétinement qui nuit aux strates herbacée et buissonnante, indispensables à l’installation de certaines espèces (tels les pouillots).

32L’aménagement des parcs urbains privilégie souvent les espaces réservés à l’homme et, malgré certains efforts, les espaces verts sont plus favorables à sa promenade et à sa détente qu’au maintien d’une faune sauvage. Les allées entourées de gazon sont des milieux uniformes et très pauvres d’un point de vue biologique, contrairement aux chemins de terre bordés d’une végétation sauvage.

33Il y a aussi, on l’a vu, les chats… On note par exemple, dans les cimetières, un taux de prédation important. Une étude anglaise [Churcher & Lawton, 1987] a montré que, dans un village, les chats étaient responsables d’au moins un tiers de la mortalité des moineaux (une autre [Baker et al., 2008] propose même des chiffres supérieurs). Cela explique les difficultés d’installation que rencontrent les espèces des strates basses de la végétation.

34La ville est aussi synonyme de pollution, à cause des déchets qu’elle produit et de la qualité de l’air qu’elle affecte. Le cas de l’Hirondelle de fenêtre à Londres est assez démonstratif. Cette espèce, qui se nourrit d’insectes volants, très sensibles à la pollution, a disparu de Londres à la fin du xixe siècle, au temps où la capitale anglaise était célèbre pour son « smog ». En 1956, le « Clean Air Act » a introduit des normes antipollution assez strictes et, en 1966, les premières hirondelles ont recommencé à nicher [Oliver, 1997] ! On a aussi accusé les additifs utilisés dans l’essence pour remplacer le plomb d’être responsables, au moins partiellement, en faisant disparaître les insectes, de la raréfaction du moineau dans certaines cités européennes [De Laet et Summersmith, 2006].

35La pollution sonore est aussi un phénomène gênant : les Moineaux domestiques fuient les rues bruyantes pour des voies plus calmes [Malher, 2009]. On a déjà cité l’effet du bruit sur les chants. La pollution lumineuse perturbe aussi le rythme nycthéméral des oiseaux sans qu’on puisse savoir si l’influence est négative (moins de sommeil) ou positive (plus de temps pour se nourrir).

36La présence des oiseaux en ville reste fragile et soumise au soin que les humains - individuellement et collectivement - prennent à leur faciliter la vie.

L’action des associations

37Nous prenons, pour le connaître parfaitement, l’exemple des actions du corif (Centre ornithologique d’Île-de-France), mais la plupart des associations de protection de la nature développent le même type d’actions.

Faire découvrir

38Les associations ont une tâche de sensibilisation, auprès des populations urbaines et auprès des pouvoirs publics. Il faut faire comprendre qu’il y a en ville une avifaune variée et à favoriser, la présence d’éléments naturels étant reconnue comme un élément de bien-être [Kaplan & Kaplan, 1989, in Turner et al., 2004]. Et, les associations savent aussi que plus le contact avec la nature est important, plus les gens se sentent concernés par les questions de biodiversité [voir par exemple Bixler et al., 2002, in Turner, ibid.]…

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Faucon crécerelle (Falco tinnunculus) sur la cathédrale Notre-Dame à Paris © J.-F. Magne.
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Faucon crécerelle © corif - Bruno Rogez.

39Le corif organise (souvent conjointement avec la lpo, ligue de protection des oiseaux) des sorties de découverte, spécialement dans les parcs où l’observation est facilitée par la moindre méfiance des oiseaux, ou focalise l’attention sur une espèce phare, comme avec son opération « Faucon crécerelle » à Notre-Dame, en période de nidification.

Convaincre, intervenir, anticiper

40La pédagogie de l’environnement est aussi une part substantielle de l’activité des associations. Il s’agit là de dépasser le simple stade de la découverte pour faire comprendre à tous, mais surtout aux jeunes, comment fonctionnent les relations entre les oiseaux et leur milieu, naturel ou urbanisé, et quelles sont les interactions, positives ou négatives, entre l’homme et les oiseaux.

41Vis-à-vis des organismes publics ou privés, ainsi que des collectivités locales, les associations peuvent être amenées à intervenir en urgence pour sauver tel ou tel site de nidification. Ainsi, le corif a travaillé en 2007 avec l’établissement public de la Grande Halle de la Villette pour éviter que la colonie d’Hirondelles de fenêtre qui s’y trouvait soit détruite par les travaux de rénovation. Le bâchage de la zone destinée à être rénovée et la pose de nichoirs dans une zone non concernée par les travaux ont permis de franchir ce cap délicat.

42Mais il faut surtout pouvoir réfléchir en amont de tout projet et proposer des solutions à long terme aux divers acteurs. De nombreuses municipalités ont appris à éviter l’usage d’herbicides et de pesticides, pour laisser une flore et une microfaune sauvages se développer. Elles devraient aussi anticiper et réserver une place à la faune sauvage dans tous leurs projets d’aménagement, y compris en ménageant des « zones de calme » en plein cœur des villes, véritables réserves naturelles urbaines (tel le parc écologique du Jardin des Plantes de Paris).

43Il revient notamment aux associations de suggérer un choix d’espèces végétales favorables aux oiseaux : sorbier des oiseleurs, aux fruits rouges très appréciés des passereaux ; églantier, dont la pulpe de fruits est consommée en hiver par les grives et merles ; cotonéaster commun, sureau, troène, aubépine, bois de Sainte-Lucie… Le maintien de vieilles branches, lieux privilégiés de nidification des espèces cavernicoles et de nourrissage pour certains insectivores, est parfois délicat à obtenir en raison du risque de chute par fort vent. La pose de nichoirs est évidemment plus facile à suggérer et très bien accueillie, en raison de son caractère visible.

44Un grand enjeu, encore peu exploré en France (mais plus développé dans certains pays comme les Pays-Bas), reste la construction de bâtiments dont l’isolation thermique (nécessaire) ne fasse pas disparaître les sites de nidification des moineaux, martinets, oiseaux spécialistes des maisons. À éviter aussi, les immeubles tout en verre : invisibles aux yeux des oiseaux, ils provoquent chaque année la mort de millions de passereaux. Pour cela, un dialogue en amont avec les architectes et urbanistes s’impose.

45La biodiversité urbaine est sans doute amenée à se développer encore, pour peu qu’on la favorise. Sans entretenir d’illusion sur le rôle de « réserve naturelle » que la ville pourrait jouer (les espèces qui s’y établissent sont en général des espèces également florissantes à la campagne), il y a là un véritable enjeu pour les associations de protection de la nature. Au-delà, une partie du sentiment de bien-être des citadins et la conscience de l’importance de la biodiversité au niveau mondial en dépendent. ?

Références bibliographiques

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Mots-clés éditeurs : ville, espèces urbaines, biodiversité, oiseaux, nature

Date de mise en ligne : 29/10/2010

https://doi.org/10.3917/ethn.104.0657

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