Notes
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[1]
Mes remerciements à Thomas Schippers, Aix-en-Provence, pour de riches discussions sur le thème et la période.
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[2]
Géza de Rohan-Csermak, Pour une association d’ethnologie européenne : 4, mnatp, Org. Div. ciap – Réunion de travail, Bonn, 26-27 avril 1964 ; Nordiska museet, Collection Sigurd Erixon.
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[3]
Jorge Dias, Rapport moral sur les activités du secrétariat de la ciap, du 30 mai 1957. Nordiska museet, Collection Sigurd Erixon 8 : 28.
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[4]
Lettre de Christiansen à Erixon du 15.8.1961. Nordiska museet, Collection Sigurd Erixon 8 : 30. Le professeur de folkloristique Reidar Th. Christiansen fut président de la ciap de 1954 à 1964.
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[5]
Voir surtout les deux grands articles de S. Erixon dans Folkliv où il élabore ce programme de recherche [Erixon, 1937 et 1938a]. Pour comparer, cf. l’article de G. H. Rivière et A. Varagnac [1937] sur le même sujet qui n’est qu’une brève esquisse.
-
[6]
On a ajouté « et Traditions » en 1936.
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[7]
Pour une présentation plus détaillée de la genèse et de l’histoire de la ciap, voir [Rogan, 2007].
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[8]
Neptune (journal belge), le 1er mai 1927.
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[9]
Albert Marinus, Séance d’ouverture, Actes de la Conférence de Namur, 1956 : 18.
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[10]
Mémorandum du 15 octobre 1945. mnatp, ciap/sief boîte 804.
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[11]
Lettre du 8 février 1928 de R. Dupierreux à S. Erixon. unesco, iici, F.IX. 8 Participation de la Suède.
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[12]
Procès-verbal de la 12e session, cici, la Société des Nations (1930). Archives mnatp, ciap.
-
[13]
Pour une discussion détaillée de la résistance au sein de la ciap contre cette ethnologie appliquée, voir [Rogan, 2007].
-
[14]
Manuscrit du discours d’Erixon le 14.12.1948. Nordiska museet, Collection Sigurd Erixon.
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[15]
Mémorandum du 15 octobre 1945. mnatp, ciap/sief boîte 804.
-
[16]
Pour le contenu du congrès et les débats, voir [Nilsson, 1935]. Pour une discussion détaillée, voir [Rogan, 2007].
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[17]
« Le putsch » de S. Erixon à Uppsala et Lund en 1935 est discuté en détail dans [Rogan, 2008].
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[18]
Autour de la nouvelle revue scientifique, Folk, se déroule un jeu difficile à analyser. En mai 1937 Folk apparaît avec son premier numéro, chez un éditeur à Leipzig et probablement financé par les Allemands. Le numéro 2 est publié en août, et puis la revue cesse – après un demi-volume – sans aucune explication officielle.
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[19]
Rapport sur le Congrès International de Folklore, 23-28 août 1937, du 8 juillet 1937 : 2. Le rapport est signé Le Secrétaire général (G. H. Rivière) et le Secrétaire général adjoint (A. Varagnac). Archives mnatp : cifl – Paris 1937 – Rapports.
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[20]
Rapport sommaire sur les résultats des travaux du Congrès ; Archives mnatp : cifl – Paris 1937 – Rapports. Le rapport est sans signature, mais en toute probabilité rédigé par Rivière.
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[21]
Voir [G. H. Rivière et A. Varagnac, 1937]. Lors du congrès à Paris plusieurs vœux ont été votés, dont le plus remarquable (d’un point de vue scandinave) était une définition du « folklore », qui allait désormais comprendre toutes les sous-disciplines (vie matérielle, sociale et spirituelle). Si le congrès a accepté le terme de folklore, c’était plutôt par politesse que par conviction. Car le terme de folklore a vite été supprimé par les participants des pays du Nord.
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[22]
Lettre de Campbell à von Sydow, du 19.5.1938. Håndskriftsamlingen, la Bibliothèque de l’Université de Lund. Je remercie le prof. Nils Arvid Bringéus, Lund, de m’avoir signalé l’existence de cette lettre. Traduction par br.
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[23]
La détermination de S. Erixon à résoudre le problème des revues ressort clairement du fait qu’il lui a fallu arrêter une troisième revue internationale, Acta Ethnologica, parue en 1936, publiée à son insu par un de ses subordonnés au Nordiska museet.
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[24]
Pour une discussion plus détaillée du « problème allemand » dans ce contexte, voir [Rogan, 2007b].
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[25]
L’iaeef a été attaquée par les ethnologues britanniques John L. Myres et Charles G. Seligman, par la voie de la revue Nature et de la Royal Anthropological Society à Londres. Les Volkskundler allemands, y compris Lutz Mackensen, ont protesté vivement contre les Anglais. Mackensen était l’un des trois secrétaires de l’iaeef, mais en même temps un nazi qui travaillait pour l’Amt Rosenberg, l’outil central de Hitler pour les questions de culture et de race.
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[26]
Lettre de Campbell à C. W. von Sydow, du 19.5.1938.
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[27]
À cause de la guerre mondiale, le congrès à Stockholm sera annulé sine die.
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[28]
Rapport de Marcel Maget de la réunion à Genève, les 29 novembre-2 décembre 1945. mnatp : Org. app-ciap 1947-48-49, etc.
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[29]
Compte rendu sommaire des travaux de la 1re session plénière. Paris, Musée de l’Homme, 1er-5 oct. 1947. Archives mnatp : Org. app-ciap 1947-48-49, etc.
1La période de l’entre-deux-guerres fut marquée par une forte volonté de coopération internationale, sous la forme de congrès, de revues scientifiques, de projets de publication et d’organisations supranationales. Cela valait pour les sciences humaines et sociales en général, mais aussi pour les disciplines qui avaient depuis le xixe siècle pour objet d’étude les cultures populaires nationales et régionales partout en Europe [1].
2L’ethnologie des populations européennes – ou Volkskunde, folklivsgranskning, folklore… – comprise comme un parapluie couvrant les études ethnographiques, ethnologiques et folkloriques en Europe, a longtemps lutté pour obtenir une légitimité académique et s’établir comme une science comparative. Mais elle a probablement peiné à s’établir plus que beaucoup d’autres disciplines, à cause du caractère même – national, régional ou local – de ses objets d’étude. Ce n’est que dans les années 1930 qu’un nouveau terme pour ce « parapluie » voit le jour : l’ethnologie (régionale) européenne, proposé par le Suédois Sigurd Erixon. À la même époque, le Français Georges Henri Rivière prend et élargit le terme de folklore – introduit par des savants britanniques au xixe siècle dans le sens plus restreint de culture orale – pour le même vaste champ d’étude.
? Cadres, défis et aléas de coopération internationale
3Les motivations d’ordre scientifique concernent les matériaux de recherche aussi bien que les méthodes et les cadres théoriques. Le besoin de coopération internationale s’est d’abord fait sentir chez les folkloristes (dans le sens restreint de spécialistes de littérature et traditions orales). Grâce à la connaissance des migrations et des distributions spatiales d’éléments culturels, les folkloristes œuvrèrent pour l’échange de données, l’établissement d’archives, la traduction des textes (contes, légendes, chansons, proverbes, etc.), afin de faciliter la recherche comparative transfrontière. Les disciples de l’école historico-géographique furent les premiers à en ressentir la nécessité.
4Pour prendre forme, les grands projets, comme un atlas européen de la culture populaire, devaient avoir à la fois un ancrage national et l’appui d’une organisation internationale. En effet, les méthodes cartographiques exigeaient un appareil commun au niveau international, pour la coordination des techniques, des échelles, des questionnaires, etc.
5De plus, la coopération internationale apparaissait nécessaire pour lier entre elles les diverses disciplines et leurs variantes locales. Il fallait pour cela une superstructure servant de plate-forme méthodologique et théorique commune. Outre les ponts entre les variantes nationales et les spécialités thématiques, il s’agissait de définir les relations à la « discipline mère », l’ethnologie générale. Comme un proche collaborateur de S. Erixon et de G. H. Rivière, Géza de Rohan-Csermak, l’a formulé bien plus tard : « Nous estimons indispensable une synthèse de l’ethnologie européenne et de l’ethnologie extra-européenne d’une part, et le rapprochement des trois principaux champs d’études de l’ethnologie, la culture spirituelle, la culture matérielle et la culture sociale. » [2]
6En simplifiant quelque peu, on peut recenser trois types de défis. D’abord, la nature même de l’objet d’étude – la raison d’être des disciplines – posait des problèmes à la coopération nationale aussi bien qu’internationale. Comme le Portugais Jorge Dias [3], qui a soutenu la politique de S. Erixon et de G. H. Rivière après la guerre, l’a dit : « Le caractère lui-même des études des cultures traditionnelles implique un amour excessif de la chose régionale et particulière, qui est même arrivé, en certains cas, à prendre un aspect de séparatisme politique, et qui est sans doute un des grands obstacles à l’entente de tous les investigateurs à l’intérieur même de chaque pays, indispensable à la formation d’un Comité national dans l’esprit de la ciap […] Ce qui d’entrée fut une force – l’amour pour les faits de la culture locale, qui a marqué l’essor des études folkloriques – est devenu un obstacle à leur plein développement comme science […] »
7Deuxièmement, la diversité des traditions nationales, la volonté plus ou moins forte d’indépendance (surtout du côté des folkloristes), la délimitation disciplinaire (par rapport à l’ethnologie générale) se reflétaient dans des débats relatifs à l’appellation de la nouvelle science. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que l’on a tenté de traiter ces problèmes d’une manière plus systématique au niveau international. Les pratiquants de la Volkskunde germanophone se sont opposés à la désignation « ethnologie (européenne) » jusque dans les années 1970. Il en était de même pour les francophones dans les années 1930, quand G. H. Rivière a insisté sur le terme de folklore – qu’il abandonnera après la guerre. Enfin les Nordiques n’avaient aucune sympathie pour le terme « folklore » comme appellation générale de la nouvelle science.
8Troisièmement, les enjeux d’ordre politique n’étaient pas, dans les années 1930, les moindres des obstacles à la coopération internationale. Comme beaucoup de faits culturels se prêtent facilement à la « revitalisation », les autorités ont souvent voulu puiser dans le registre des traditions populaires, mais en ont aussi abusé à des fins de propagande politique. Les risques étaient doubles : d’un côté, que les autorités qui donnaient les crédits – telle la Société des Nations – favorisent un folklore appliqué aux dépens de la recherche [Rogan, 2007], et de l’autre que les autorités politiques nationales mettent des contraintes idéologiques à la coopération, comme le faisaient les régimes autoritaires à l’époque, en Allemagne, en Italie et en urss.
9Enfin, une remarque sur la situation du contexte linguistique et académique s’impose. Force est de constater que les contacts scientifiques internationaux des ethnologues et folkloristes scandinaves ont jusqu’aux années 1930 surtout été orientés vers l’Allemagne et le monde germanophone, et ensuite, à partir de la seconde moitié des années 1930, davantage vers le monde anglophone. On ne peut pas occulter le fait qu’une des causes de la faiblesse relative des contacts franco-scandinaves durant cette période fut d’ordre linguistique. Les deux linguae francae en folklore et en ethnologie européenne étaient l’allemand et l’anglais, deux langues que – bien qu’étrangères – la plupart des chercheurs nordiques de l’époque maîtrisaient. Comme il ressort des documents de l’époque, les Français étaient (déjà !) – à quelques exceptions près – peu enclins à communiquer en d’autres langues que la leur, une situation qui a contribué à la faiblesse du dialogue.
10Comme le montrera l’histoire qui suit, Sigurd Erixon et Georges Henri Rivière, dans leurs efforts pour rallier les chercheurs européens à leurs nouvelles organisations internationales et à l’idée d’une science unie, ont dû faire face à tous ces défis. De plus, ces deux personnages sont entrés en scène en même temps, donc nécessairement comme des rivaux. Enfin, leurs motivations n’étaient pas toujours les mêmes. Ils avaient chacun de leur côté réussi à s’imposer « à domicile » ; S. Erixon en ralliant à sa cause même les folkloristes (qui au départ ne voulaient qu’une coopération technique concernant la littérature orale), et G. H. Rivière en institutionnalisant (par le biais du muséum) sa discipline sur la scène française. Pour S. Erixon, le défi consistait à obtenir un consensus général autour de la plate-forme théorique qu’il avait proposée pour une ethnologie régionale européenne. Pour G. H. Rivière, il s’agissait d’instituer en France un espace académique pour une « ethnographie métropolitaine », à côté d’une ethnologie extra-européenne dominée par la sociologie durkheimienne. De manière un peu lapidaire, on peut dire que S. Erixon a eu besoin d’un succès à domicile pour conquérir l’Europe, tandis que G. H. Rivière a eu besoin de conquérir l’Europe pour assurer son succès à domicile et y consolider sa discipline.
? Les deux protagonistes
11L’ethnologue Sigurd Erixon (1888-1968) fut professeur à Stockholm, directeur de recherche du Nordiska museet, et l’européaniste scandinave le plus renommé des années 1930 à la fin des années 1960 [Arnstberg, 1989 ; 2008 : 213-219]. En France, il entretenait des relations respectueuses et plutôt amicales avec Arnold Van Gennep – rencontré une première fois en Prague en 1928 – quand la ciap fut fondée, et jusqu’à la mort de ce dernier en 1957. Avec Marcel Maget, il partageait durant les années 1950 un grand intérêt pour la cartographie. Mais son contact le plus régulier en France au long de trois décennies, jusqu’à sa mort en 1968, a été Georges Henri Rivière.
12Parmi les européanistes français qui paraissent régulièrement sur la scène internationale, c’est G. H. Rivière – à côté d’A. Van Gennep – qui tisse le plus activement ses réseaux avec le monde extérieur. G. H. Rivière avait visité le Nordiska museet et Skansen à Stockholm déjà en 1929. En ce qui concerne l’ethnologie européenne et son organisation internationale, son interlocuteur – rival aussi bien que collaborateur – fut Sigurd Erixon.
13En tant que personnalités, S. Erixon et G. H. Rivière étaient très différents. Pour un public français, il n’est guère nécessaire de présenter longuement Georges Henri Rivière (1897-1985) – muséologue, administrateur, bon stratège, créateur éminent de réseaux et spécialiste des relations publiques. G. H. Rivière était très respecté par les ethnologues et les folkloristes scandinaves : « sage, intègre et aimable » sont des caractéristiques qu’utilise un collègue norvégien dans une lettre à Erixon [4]. G. H. Rivière était plein de « […] ténacité et persévérance, charme et entregent lorsqu’il faut à tout prix convaincre et remercier politiques, administrateurs ou mécènes », selon Martine Segalen, mais aussi d’« opportunisme qui ne recule pas devant les revirements idéologiques quand il s’agit de faire aboutir son “grand dessein” » [Segalen, 2005 : 8-9]. Son « grand dessein » était l’établissement du Musée national des Arts et Traditions populaires (atp), son musée « de synthèse » de la culture populaire de France fondé en 1937, grâce à ses ambitions et son énergie infatigable. L’engagement de G. H. Rivière dans l’organisation internationale d’ethnologie européenne (ou de « folklore ») vers la fin des années 1930, y compris son grand congrès en 1937, ne se comprend guère sans « prendre la mesure de son obsession qui sera celle de toute une vie : créer un espace muséal pour donner une vitrine au folklore puis à l’ethnologie » [id. : 26]. Pour « ce parvenu de la science » [id. : 29], formule qu’il aimait à s’appliquer à lui-même, une organisation internationale scientifique – selon l’objectif de S. Erixon – était un outil de légitimation et de publicité. Cette obsession expliquerait aussi son flirt avec la Volkskunde allemande au sein de la nouvelle organisation, rapprochement qui lui a causé des difficultés dans ses relations avec les Scandinaves.
14Sigurd Erixon était lui aussi un organisateur doué et un bon stratège, pourtant sans le charme indéniable de G. H. Rivière. Mais il était, par-dessus tout, l’universitaire par excellence, un chercheur porteur de vision pour une nouvelle science de l’homme, l’ethnologie européaniste, et avec la force de poursuivre ses visées, décennie après décennie. Il est symptomatique que des deux biographies publiées sur ces deux personnages, intitulées respectivement Le magicien des vitrines. Le muséologue Georges Henri Rivière et Utforskaren. Studier i Sigurd Erixons etnologi, l’une porte sur le muséologue, l’autre sur l’utforskaren – le chercheur-explorateur.
15Les ambitions de S. Erixon allaient ainsi vers la mise en place d’un fondement théorique et méthodologique de l’ethnologie européenne – étude moderne de la culture matérielle et spirituelle et de la vie sociale du peuple –, pour faire le pont entre les ethnographies régionales et les études folkloriques. Il était le seul à l’époque à proposer une plate-forme théorique et méthodologique [5].
16Dans les années 1930, S. Erixon trouve sa grande inspiration dans une sociologie américaine de type béhavioriste qui se fonde sur des études de time measurement, ou des time-and-motion studies et des données statistiques, conception fonctionnaliste et positiviste de la vie humaine. Il l’abandonnera après la guerre pour les thèses de la cultural anthropology. Son énorme capacité de travail trouvera un débouché dans l’ethnologie comparative et diffusionniste, et dans sa méthode corollaire, la cartographie et les atlas. Mais, grosso modo, il partage avec G. H. Rivière et son « folklore » la conception d’une science unie qui couvre la vie matérielle, spirituelle et sociale – même s’il a été très critique à l’égard de certaines écoles de folklore, surtout de type psychologisant.
? Arrière-plan : essor et décadence de la ciap d’avant-guerre
17S. Erixon et G. H. Rivière s’efforcent donc de mettre sur pied une instance internationale, mais pourquoi n’ont-ils pas voulu se servir de la Commission internationale des Arts et Traditions populaires (ciap) [6], une organisation en apparence si adéquate, établie en 1928 sous l’égide de la Société des Nations [7], pour atteindre leurs objectifs ? Dans la dernière moitié des années 1930, tous les deux négligent la ciap en promouvant, chacun de leur côté, sa propre organisation internationale. Une brève esquisse de ses activités dans l’entre-deux-guerres expliquera pourquoi ils ont contourné cette organisation.
18Les années 1928 à 1931 représentent une période tumultueuse pour la ciap. L’organisation avait eu une naissance difficile à Prague en août 1928, lors du Congrès des Arts et Traditions. L’organisateur en fut l’Institut international de Coopération intellectuelle (iici), section de recherche et de culture de la Société des Nations (sdn). Arnold Van Gennep fut embauché comme secrétaire scientifique du congrès. L’idée d’un congrès d’ethnologie et de folklore avait été lancée déjà en 1922. Mais ce n’est qu’avec la proposition en 1927-1928 de l’historien d’art Henri Focillon, membre de la Commission internationale de Coopération intellectuelle (cici) de la sdn, que la cici donne le feu vert pour un congrès d’art populaire.
19La sdn voulait un congrès qui aborde l’artisanat dans ses usages du moment, et qui étudie l’esthétique ainsi que le caractère utilitaire et pratique des objets et des pratiques populaires. Ou comme le disait le secrétaire administratif de la ciap, le Belge Richard Dupierreux, il s’agit de « […] servir en même temps la science et l’idéal de rapprochement des peuples […] le but poursuivi n’est donc pas seulement scientifique, il est aussi pratique » [8].
20D’un côté, la sdn avait bien reconnu le rôle potentiel de la culture populaire au service de la paix et de la compréhension mutuelle des peuples. D’un autre, elle craignait des revendications nationalistes sur la base de cette culture, appréhension non sans fondement, car « certains congressistes, représentant différents pays […] introduisaient insidieusement des revendications annexionnistes d’ordre politique », remarque le Belge Albert Marinus [9]. A. Van Gennep rappelle que l’iici avait refusé les termes de folklore, d’ethnologie ou d’ethnographie pour le congrès, se tenant fermement aux « arts et traditions » [10], pour ne pas s’engager sur un terrain trop risqué.
21Dès le début, la préparation de l’événement à Prague est une longue dispute entre administratifs et scientifiques. L’iici décide que le congrès ne traitera que des sujets relevant du concept d’« arts et traditions », les thèmes folkloriques étant repoussés. Pour citer le secrétaire Dupierreux qui, dans une lettre à Erixon, refuse l’intervention à Prague du folkloriste le plus connu de la Scandinavie, C. W. von Sydow : « […] vous aurez pu vous en rendre compte en lisant le programme […] la poésie populaire a été écartée de nos préoccupations. Nous nous en sommes tenus aux arts plastiques, à la musique, à la chanson (les paroles n’étant considérées que dans la mesure où elles sont en rapport avec le rythme), au théâtre et à la danse. » [11]
22Lors du congrès, la bataille éclate entre les représentants des autorités nationales et les scientifiques. Les premiers ont en vain essayé d’empêcher qu’une suite au congrès eût lieu, mais les scientifiques – en premier lieu des chercheurs allemands, autrichiens, néerlandais et belges, et plus tard italiens – ont persisté. L’iici a essayé de reprendre le contrôle, refusant d’autres lieux de réunion que Paris et insistant sur le droit de décider du contenu du programme, de nommer le secrétaire, etc. Mais échappant au contrôle de l’iici, les scientifiques organisèrent un colloque à Rome en octobre 1929, au cours duquel la ciap fut refondue, et un congrès, indépendant de l’iici, eut lieu à Anvers en 1930.
23La réaction à Genève fut forte. La sdn ne voulait pas courir le risque d’une organisation scientifique qui alimentât les nationalismes européens, en cette période caractérisée par des revendications territoriales, des disputes frontalières, et par l’émergence de régimes totalitaires de gauche et de droite. En Italie, où la ciap avait été si bien reçue, les fascistes étaient déjà au pouvoir depuis 1922. L’indépendance de la ciap n’a pas duré longtemps. Après négociations, l’iici en a regagné le contrôle. Son directeur a rapporté à Genève vers la fin de 1930 que « […] l’oiseau qui s’est échappé de sa cage est prêt à y entrer » [12] – une formule juste du régime sévère que la ciap devait subir dans les années suivantes.
24Le rôle de la ciap, vite paralysée, est finalement peu important, car elle a été victime de politiques gouvernementales qui cherchaient notamment à contrôler la nouvelle classe ouvrière par une pédagogie patrimoniale et identitaire [Thiesse, 1999 : 257]. Par le biais du Bureau international du Travail, la sdn a tenté d’imposer à la ciap un programme d’ethnologie appliquée : pour occuper le temps libre des travailleurs – forcés au travail à temps réduit ou au chômage – elle suggérait le développement d’activités folkloriques [13]. Cette ethnologie appliquée des loisirs des ouvriers a été mal reçue par les scientifiques de la ciap.
25La renommée de la sdn elle-même était en chute libre. En 1933, le président de la ciap, Otto Lehmann, de Hambourg, dut démissionner, quand l’Allemagne se retira de la sdn. Emilio Bodrero en reprend les rênes comme président, mais avec le retrait de l’Italie, il doit aussi démissionner, en janvier 1938. La ciap était alors moribonde.
26Les Scandinaves étaient indifférents, voire hostiles, à la ciap. S. Erixon a accusé la ciap d’avoir « des approches d’amateur à l’égard de l’art populaire », de ne s’occuper que « d’art populaire et de folklore dans un sens restreint », et non d’ethnologie régionale [14]. G. H. Rivière partageait la même opinion. A. Van Gennep était plus ambivalent. En 1945, il résume ainsi la situation dans un rapport rétrospectif : « Organisatrice en majeure partie du Congrès de Prague, la France se trouve évincée peu à peu de toute action décisive, d’abord par le groupement allemand, puis par le groupement italien, comprenant chacun un groupement de membres très actifs qui organisèrent des réunions spectaculaires et des congrès nationaux importants. » [15]
27Les dernières vis dans le cercueil de la ciap furent posées par S. Erixon et G. H. Rivière. Avec des collègues nordiques, anglais et allemands, le premier fonde en 1935-1936 l’International Association for Folklore and Ethnology (iafe, plus tard iaeef), avec des soutiens allant des îles Britanniques jusqu’à l’Europe centrale. Le second organise en 1937 le Congrès international de Folklore (cifl). C’est l’histoire de cette relation faite de rivalité et de coopération que nous allons développer.
? L’iaeef contre le cifl : l’hypothèque nazie
28Une des premières rencontres de S. Erixon et G. H. Rivière eut lieu en octobre 1935 à Berlin, à la réouverture du musée de Volkskunde allemande, où était présentée une exposition consacrée à l’art paysan allemand, qui faisait « des concessions idéologiques aux dirigeants fascistes » [Erika Karazek d’après Gorgus, 2003 : 240]. Tout porte à croire que S. Erixon y a appris les plans de G. H. Rivière pour son congrès (le cifl), en voie d’élaboration.
29Un mois plus tard eut lieu un petit congrès à Lund [16], qui allait déclencher une série d’événements. L’intention de l’organisateur, le folkloriste C. W. von Sydow, était de rassembler un groupe de spécialistes de littérature orale pour traiter les problèmes de coopération internationale liés à un manque d’infrastructure (archives, frais de traduction de textes). C. W. von Sydow n’avait voulu inviter que des folkloristes, mais S. Erixon obtint la participation d’ethnologues et de philologues, les liens entre les folkloristes et les philologues (dialectologie, onomastique, toponymie, Wörter und Sachen, etc.) étant très proches en Scandinavie et en Europe centrale. Dans un esprit érixonien, et d’après un plan conçu par lui et le dialectologue Herman Geijer (Uppsala), le petit congrès de C. W. von Sydow définit l’ethnologie, le folklore et la philologie comme « les trois branches de notre discipline » [17]. Sous les vives protestations de bon nombre des folkloristes présents, il est décidé de procéder à la création d’une organisation internationale commune. La participation était restreinte à l’Europe du Nord-Ouest, aux pays baltes et aux usa. L’axe académique Allemagne – pays nordiques avait longtemps été très important pour les sciences humaines, et dans les années 1930 les contacts entre les ethnologues et folkloristes nordiques et irlandais/écossais étaient en plein épanouissement.
30Le congrès à Lund a été suivi de trois réunions – à Berlin en avril 1936, à Bruxelles en mai 1937 et à Édimbourg en juillet 1937. À Berlin sont créées l’iaeef et une revue scientifique internationale – Folk [18]. L’iaeef (ou iafe) ne couvrait que l’Europe du Nord, de l’Ouest et centrale (l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique et les Pays-Bas) et les usa. Son premier président fut le philologue d’Uppsala Herman Geijer, et ses vice-présidents le Volkskundler Adolf Spamer (Berlin) et le germaniste Jan de Vries (Leyde). Ce dernier a joué un rôle important pour le rapprochement des ethnologies du Nord et du Sud, mais il ne réapparaît pas après 1945, ayant entretenu des relations très proches avec les Allemands durant les années de l’occupation des Pays-Bas.
31Lors de ces réunions ont été prises une série de décisions, non commentées dans les comptes rendus, dont les plus inattendues furent l’ouverture vers les pays latins, l’arrêt de la revue Folk et l’annulation du grand congrès de l’iaeef qui devait avoir lieu à Édimbourg en juillet 1937 – au profit d’un congrès de folklore pour les chercheurs scandinaves et britanniques. Derrière ces turbulences se cachent deux problèmes de nature différente : l’un concerne l’Allemagne et la nazification de la Volkskunde, l’autre le congrès cifl, en chantier depuis 1935, sous l’impulsion de G. H. Rivière, qui apparaît de plus en plus comme un concurrent. Cette situation pose un double défi à S. Erixon, qui œuvre pour une organisation et une revue sur une base géographique plus large que celle que souhaitent ses collègues folkloristes, notamment toute l’Europe, et pas seulement le Nord-Ouest. Au fur et à mesure que les plans de G. H. Rivière se matérialisent, l’iaeef voit que la coopération est la seule voie possible, ce qui expliquerait une ouverture aux pays latins.
32G. H. Rivière n’avait en effet aucun intérêt à ce que la France adhère à l’iaeef. Pour lui, l’enjeu était une victoire dans l’arène internationale qui pourrait assurer son succès à domicile. Un rapport interne sur les préparations du congrès parisien de 1937 (le cifl) révèle l’appréhension devant l’épreuve de force qui se dessine avec l’ethnologie allemande et scandinave : « Cette initiative a été prise pour marquer avec solennité la création du Département des Arts et Traditions populaires des Musées Nationaux et la préparation du futur Musée national des Arts et Traditions populaires. En entrant enfin dans le concert des pays où le folklore est activement étudié par des institutions officielles, la France se devait de montrer sans retard la méthode qu’elle est à même d’apporter dans un champ d’activité où beaucoup d’autres nations l’avaient devancée. C’est pourquoi les travaux de ce Congrès revêtiront une importance exceptionnelle pour l’avenir du Département et du Musée nouveau.
33[…] Telle a été, jusqu’à présent, l’œuvre du Comité français d’organisation et du secrétaire général [Rivière]. La détermination logique de thèmes correspondant aux problèmes fondamentaux des études et des activités folkloriques modernes aura montré d’ores et déjà aux folkloristes de tous pays quel esprit de méthode la France est en mesure d’apporter dans un champ de travaux et d’activités où l’on a trop souvent pu déplorer la plus regrettable confusion.
34En résumé l’effort d’organisation des matériaux folkloriques français […] a été systématiquement poursuivi dans tous les domaines par le Département des Arts et Traditions populaires. Ce travail scientifique permet désormais d’envisager sans appréhension la confrontation des activités folkloriques françaises avec celles de l’étranger. » [19]
35G. H. Rivière cache mal son mécontement face à la création de l’iaeef, son nouveau rival. Ou, comme il le formule en 1937, après le congrès, dans un mémento interne : « Le succès immédiat du Congrès International de Folklore a décidé les dirigeants de l’Association Internationale de Folklore Européen [l’iaeef] à y venir. Comme il s’avérait que cette organisation n’était pas disposée à s’occuper d’autre chose que de littérature orale européenne, ni à accorder d’emblée à la France une place de premier rang, le Congrès International de Folklore a décidé de constituer un Conseil Permanent […] » [20]
36Le prétexte avancé par G. H. Rivière pour légitimer l’établissement d’un Conseil Permanent est un pieux mensonge. Les dirigeants de l’iaeef s’étaient depuis longtemps décidés à une coopération. Et G. H. Rivière savait bien que la culture matérielle et sociale avait une place aussi importante que la littérature orale dans la politique de l’iaeef. En 1937, l’iaeef et le cifl labourent les mêmes terres. C’est plutôt le sentiment de ne pas avoir obtenu « d’emblée […] une place de premier rang » dans l’autre association qui pèse lourd pour G. H. Rivière.
37Ce mémento était à usage interne. À l’égard de S. Erixon et de l’iaeef, G. H. Rivière s’est montré plus diplomate et conciliant, et – écrit-il – les deux organisations sont arrivées à « une entente complète » (cf. note 20). Lors du congrès à Paris, un Comité Exécutif du cifl se met en place, où S. Erixon reçoit un siège. De plus, les deux organisations créent un Comité de Coordination, l’iaeef invite deux représentants du cifl au sein de la rédaction de la revue Folk, et il est décidé que cette revue sera désormais l’organe commun des deux organisations. À l’inverse, des membres de l’iaeef sont admis dans les commissions de bibliographie et de cartographie instituées lors du cifl. Pour continuer le rapprochement, rendez-vous est pris à Copenhague en 1938, où une nouvelle série d’accords sont conclus. Malgré ces accords de collaboration, Erixon n’accepte pas le titre de « Congrès d’Ethnologie et de Folklore » pour celui qui est projeté à Stockholm en 1940. Le terme de « folklore », choisi par G. H. Rivière et André Varagnac pour nommer une discipline qui couvre aussi la vie matérielle et sociale [21], était rejeté par les Scandinaves.
38De plus, ces derniers avaient dû éprouver un certain malaise en raison des relations trop proches entre G. H. Rivière et les Allemands : au congrès à Paris fut créée une sous-commission cartographique franco-allemande, et G. H. Rivière offrit un siège dans le Comité Exécutif du cifl à Adolf Helbok, qui s’était déclaré en faveur du folklore national-socialiste à Paris [Gorgus, 2003 : 110 et 236], et œuvrait pour que le prochain cifl ait lieu en Allemagne.
39La nazification du folklore explique les tensions au sein de l’iaeef comme la disparition de la revue Folk. S. Erixon avait déjà compris à Berlin en avril 1936 que la publication de Folk à Leipzig ne pourrait durer longtemps. Il lui fallait mettre les Allemands sur la touche et œuvrer pour un rapprochement avec les Français et G. H. Rivière. Dès 1936, alors que Folk est en chantier, S. Erixon fait le projet d’une autre revue internationale, Folkliv, qui devait être publiée en Suède.
40La question de la revue avait été discutée au congrès de Paris en août 1937, ou peu de temps après. Car dans un rapport G. H. Rivière écrit : « La revue Folk fera connaître les problèmes d’ordre général, discutés dans [… la Commission de Coordination], les mesures décidées, et d’une façon générale, les résultats du travail commun. Pour réaliser cette collaboration, le Comité de redaction s’est adjoint deux nouveaux membres, en la personne de Messieurs Geiger et Varagnac, faisant ainsi de Folk (Folk-Liv) l’organe officiel des deux organismes » [Folk-Liv 1938 : 117].
41Cette note de G. H. Rivière masque le fait que cette commission avait déjà sacrifié Folk. En 1938, Åke Campbell (Uppsala) dévoile dans une lettre [22] que les nazis avaient imposé des conditions inacceptables pour la publication de Folk, et que le rédacteur Jan de Vries avait essayé en vain en 1937 de renégocier ces conditions avec Adolf Helbok et Heinrich Harmjanz.
42Mais avec Folk en place en mai 1937 et une autre revue, Folkliv, en chantier, S. Erixon avait un atout dans les négociations avec G. H. Rivière à Paris en août 1937 [23]. Le premier volume de Folkliv est publié à l’automne 1937. Avec le deuxième volume, en 1938, le nom est changé en Folk-Liv (cf. la citation de G. H. Rivière ci-dessus), en réminiscence de Folk – la revue qu’elle avait absorbée. En 1938 c’est G. H. Rivière que S. Erixon invite au sein du comité de rédaction, et non pas Paul Geiger et A. Varagnac.
43L’autre défi pour S. Erixon découle du fait que l’iaeef avait été établie à Berlin, sous les auspices du conseil de recherche allemand et de son département de Volkskunde alors bien nazifié sous la direction d’Adolf Spamer – vice-président de l’iaeef [24]. Les rumeurs commencent vite à courir que l’iaeef était « une organisation clandestine nazie internationale […] sous la direction des Allemands » (cf. note 24). Plusieurs ethnologues britanniques avaient réagi aux rumeurs en attaquant durement l’iaeef [25], avec pour résultat le fait que les Allemands boycottèrent le congrès à Édimbourg en juillet 1937, après avoir essayé de le faire annuler. Ce sont ces événements qui se cachent derrière la décision plutôt mystérieuse de l’iaeef de remplacer le congrès international par un congrès folklorique anglo-scandinave.
44La présence allemande presque ostentatoire – en nombre et en comportement [Gorgus, 2003, chapitres iv et x] – à Paris un mois plus tard avait alerté les Scandinaves qui cherchaient des moyens diplomatiques pour exclure de l’iaeef les nazis les plus agressifs, sans pourtant trop provoquer les autorités allemandes. Åke Campbell explique la situation en mai 1938 dans une lettre à C. W. von Sydow : « Nous représentons aussi l’initiative française, après le congrès de Paris, et je sais que les Français désirent une suite positive aux efforts de collaboration entre les Allemands et les Français, ce que nous avons pu observer lors du congrès à Paris. Si nous n’arrivons pas à une entente acceptable avec les Allemands, nous allons courir le risque que les Français continuent leur politique et établissent directement une association avec les Allemands. Je dois pourtant dire que je ne trouve pas ce danger imminent, comme nos relations avec les Français sont pour l’instant amicales et cordiales. » [26]
? La fin d’une coopération
45Pour S. Erixon, le défi avait été de contourner les Allemands mais d’éviter de les offenser. Il avait regagné le contrôle en remplaçant la revue publiée à Leipzig par une autre publiée à Stockholm. Et il avait obtenu que le lieu du prochain congrès du cifl fût Stockholm et non pas Berlin [27] – le tout en accord avec G. H. Rivière. G. H. Rivière ne pouvait pas conquérir l’Europe du Nord sans s’allier avec S. Erixon, et S. Erixon savait bien que son rêve d’établir une nouvelle science ne se réaliserait pas sans de solides contacts avec l’Europe méridionale. Pour y arriver, mais aussi conformément avec l’ambition d’établir une ethnologie européaniste, la France était un allié important. Mais S. Erixon était inquiet de l’attitude de G. H. Rivière qui voulait entretenir des contacts avec les deux camps – et son cauchemar était la possibilité d’une association franco-allemande. Ce fut un grand soulagement pour S. Erixon, lors des derniers accords conclus avec G. H. Rivière à Copenhague en 1938, de constater que « les deux organisations européennes […] coopèrent en harmonie totale » [Erixon, 1938b].
46« En harmonie »… oui, mais pour peu de temps, et c’était une alliance fragile qui devait en grande partie son existence au rôle agressif joué par la Volkskunde allemande dans les années 1930. Tout porte à croire que le pacte de 1938 fut un mariage de raison plutôt que d’amour, imposé par la situation internationale d’avant-guerre. Car les contacts franco-scandinaves n’ont pas été renoués tout de suite après la guerre, qui mit fin aux trois organisations – la ciap, l’iaeef et le cifl –, les deux dernières ne s’en étant jamais relevées. En novembre 1945, un petit groupe se donne rendez-vous à Genève pour discuter de la renaissance de la ciap [28], et en octobre 1947 une soixantaine de personnes se réunissent à Paris, pour sa refonte [29]. Comme la ciap n’avait plus de siège statutaire, par suite de la disparition de l’iici et de la sdn, c’est le Musée des atp au palais de Chaillot qui accepte de l’héberger. Mais ni S. Erixon ni G. H. Rivière ne jouent un rôle actif dans les premières années d’après-guerre. Il faudra attendre les années 1950 pour que les contacts entre eux soient renoués, dans une étroite coopération – au sein de la ciap –, et pour que renaisse une forme d’ethnologie européenne. ?
Bibliographie
Références bibliographiques
- Actes de la Conférence de Namur, 1956, Commission internationale d’Arts et Traditions populaires (ciap), Namur, 7-12 septembre.
- Arnstberg Karl-Olov, 1989, Utforskaren. Studier i Sigurd Erixons etnologi, Stockholm, Carlssons.
- – 2008, « Le moment Sigurd Erixon », Ethnologie française, 2 : 213-219.
- Erixon Sigurd, 1937, « Regional European Ethnology I. Main Principles and Aims with Special Reference to Nordic Ethnology », Folkliv, 2-3 : 89-108.
- – 1938a, « Regional European Ethnology II. Functional Analysis – Time Studies », Folkliv 3 : 263-294.
- – 1938b, « Introduction/Vorwort », Folk-Liv : 5-8.
- Folk, 1937, Zeitschrift des Internationalen Verbandes für Volksforschung/The Journal of the International Association for Folklore and Ethnology, vol. I-II, Leipzig.
- Folk-Liv (Folkliv), Stockholm.
- Gorgus Nina, 2003. Le magicien des vitrines. Le muséologue Georges Henri Rivière, Paris, Éditions de la msh.
- Nilsson Albert (Eskeröd), 1935, « Sagoforskarekongressen i Lund 6-8 nov », Saga och Sed : 71-82.
- Rivière Georges Henri et André Varagnac, 1937, « Le premier congrès international de folklore », Annales d’Histoire économique et sociale, vol. 9 : 195-196.
- Rogan Bjarne, 2007, « Folk Art and Politics in Inter-War Europe : An Early Debate on Applied Ethnology », Folk Life, vol. 45 : 7-23.
- – 2008, « From Rivals to Partners on the Inter-War European Scene. Sigurd Erixon, Georges Henri Rivière and the International Debate on European Ethnology in the 1930s », Arv. Nordic Yearbook of Folklore, vol. 64.
- Segalen Martine, 2005, Vie d’un musée, 1937-2005, Paris, Stock.
- Thiesse Anne-Marie, 1999, La création des identités nationales. Europe xviiie-xxe siècle, Paris, Seuil.
Notes
-
[1]
Mes remerciements à Thomas Schippers, Aix-en-Provence, pour de riches discussions sur le thème et la période.
-
[2]
Géza de Rohan-Csermak, Pour une association d’ethnologie européenne : 4, mnatp, Org. Div. ciap – Réunion de travail, Bonn, 26-27 avril 1964 ; Nordiska museet, Collection Sigurd Erixon.
-
[3]
Jorge Dias, Rapport moral sur les activités du secrétariat de la ciap, du 30 mai 1957. Nordiska museet, Collection Sigurd Erixon 8 : 28.
-
[4]
Lettre de Christiansen à Erixon du 15.8.1961. Nordiska museet, Collection Sigurd Erixon 8 : 30. Le professeur de folkloristique Reidar Th. Christiansen fut président de la ciap de 1954 à 1964.
-
[5]
Voir surtout les deux grands articles de S. Erixon dans Folkliv où il élabore ce programme de recherche [Erixon, 1937 et 1938a]. Pour comparer, cf. l’article de G. H. Rivière et A. Varagnac [1937] sur le même sujet qui n’est qu’une brève esquisse.
-
[6]
On a ajouté « et Traditions » en 1936.
-
[7]
Pour une présentation plus détaillée de la genèse et de l’histoire de la ciap, voir [Rogan, 2007].
-
[8]
Neptune (journal belge), le 1er mai 1927.
-
[9]
Albert Marinus, Séance d’ouverture, Actes de la Conférence de Namur, 1956 : 18.
-
[10]
Mémorandum du 15 octobre 1945. mnatp, ciap/sief boîte 804.
-
[11]
Lettre du 8 février 1928 de R. Dupierreux à S. Erixon. unesco, iici, F.IX. 8 Participation de la Suède.
-
[12]
Procès-verbal de la 12e session, cici, la Société des Nations (1930). Archives mnatp, ciap.
-
[13]
Pour une discussion détaillée de la résistance au sein de la ciap contre cette ethnologie appliquée, voir [Rogan, 2007].
-
[14]
Manuscrit du discours d’Erixon le 14.12.1948. Nordiska museet, Collection Sigurd Erixon.
-
[15]
Mémorandum du 15 octobre 1945. mnatp, ciap/sief boîte 804.
-
[16]
Pour le contenu du congrès et les débats, voir [Nilsson, 1935]. Pour une discussion détaillée, voir [Rogan, 2007].
-
[17]
« Le putsch » de S. Erixon à Uppsala et Lund en 1935 est discuté en détail dans [Rogan, 2008].
-
[18]
Autour de la nouvelle revue scientifique, Folk, se déroule un jeu difficile à analyser. En mai 1937 Folk apparaît avec son premier numéro, chez un éditeur à Leipzig et probablement financé par les Allemands. Le numéro 2 est publié en août, et puis la revue cesse – après un demi-volume – sans aucune explication officielle.
-
[19]
Rapport sur le Congrès International de Folklore, 23-28 août 1937, du 8 juillet 1937 : 2. Le rapport est signé Le Secrétaire général (G. H. Rivière) et le Secrétaire général adjoint (A. Varagnac). Archives mnatp : cifl – Paris 1937 – Rapports.
-
[20]
Rapport sommaire sur les résultats des travaux du Congrès ; Archives mnatp : cifl – Paris 1937 – Rapports. Le rapport est sans signature, mais en toute probabilité rédigé par Rivière.
-
[21]
Voir [G. H. Rivière et A. Varagnac, 1937]. Lors du congrès à Paris plusieurs vœux ont été votés, dont le plus remarquable (d’un point de vue scandinave) était une définition du « folklore », qui allait désormais comprendre toutes les sous-disciplines (vie matérielle, sociale et spirituelle). Si le congrès a accepté le terme de folklore, c’était plutôt par politesse que par conviction. Car le terme de folklore a vite été supprimé par les participants des pays du Nord.
-
[22]
Lettre de Campbell à von Sydow, du 19.5.1938. Håndskriftsamlingen, la Bibliothèque de l’Université de Lund. Je remercie le prof. Nils Arvid Bringéus, Lund, de m’avoir signalé l’existence de cette lettre. Traduction par br.
-
[23]
La détermination de S. Erixon à résoudre le problème des revues ressort clairement du fait qu’il lui a fallu arrêter une troisième revue internationale, Acta Ethnologica, parue en 1936, publiée à son insu par un de ses subordonnés au Nordiska museet.
-
[24]
Pour une discussion plus détaillée du « problème allemand » dans ce contexte, voir [Rogan, 2007b].
-
[25]
L’iaeef a été attaquée par les ethnologues britanniques John L. Myres et Charles G. Seligman, par la voie de la revue Nature et de la Royal Anthropological Society à Londres. Les Volkskundler allemands, y compris Lutz Mackensen, ont protesté vivement contre les Anglais. Mackensen était l’un des trois secrétaires de l’iaeef, mais en même temps un nazi qui travaillait pour l’Amt Rosenberg, l’outil central de Hitler pour les questions de culture et de race.
-
[26]
Lettre de Campbell à C. W. von Sydow, du 19.5.1938.
-
[27]
À cause de la guerre mondiale, le congrès à Stockholm sera annulé sine die.
-
[28]
Rapport de Marcel Maget de la réunion à Genève, les 29 novembre-2 décembre 1945. mnatp : Org. app-ciap 1947-48-49, etc.
-
[29]
Compte rendu sommaire des travaux de la 1re session plénière. Paris, Musée de l’Homme, 1er-5 oct. 1947. Archives mnatp : Org. app-ciap 1947-48-49, etc.