Couverture de ETHN_081

Article de revue

Le premier album de Mademoiselle K

Entre création individuelle et coopérations négociées

Pages 69 à 78

Notes

  • [1]
    Mademoiselle K, Ça me vexe, emi Music France (Roy Music, Capitol Music), 2006. L’album se situe musicalement aux frontières entre chanson et rock. Les noms mentionnés dans l’article ne sont pas fictifs. « Mademoiselle K » est le nom d’artiste de Katerine Gierak et elle sera souvent désignée par son prénom dans la suite de l’article. Jamais « Katerine » ne désigne ici Philippe Katerine, autre chanteur très présent dans la chanson actuelle en France.
  • [2]
    L’observation de musiciens au travail dans un studio d’enregistrement a été relativement peu pratiquée. On se reportera à Hennion [1981] (variété française), Faulkner [1985] (musiciens de studio à Hollywood), et Cugny, Ravet, Rudent [2004] (album de Juliette Gréco). Des répétitions de jazz ont été observées [Bonnerave, 2006] ; Marie Buscatto a étudié les chanteuses de jazz dans une approche ethnographique qui a combiné, entre autres, observations (cours, concerts, jam, répétitions) et entretiens [Buscatto, 2003]. Hyacinthe Ravet a observé le travail d’orchestres symphoniques (répétitions, concerts et enregistrements) [Ravet, 2000 et 2006]. Fabien Hein [2006] et Damien Tassin [2004] ont une approche ethnographique des pratiques rock, mais cette fois en un sens large, le second ayant consacré de très intéressants développements au déroulement de concerts et de répétitions, celles-ci déjà abordées auparavant par Jean-Marie Seca [Seca, 1988 ; 2001]. Marc Perrenoud [2003] a enquêté sur le « musicos » des « musiques populaires actuelles » à travers de nombreux entretiens enregistrés et des observations participantes.
  • [3]
    D’origine polonaise, Katerine est née et a grandi en proche banlieue parisienne, dans un appartement modeste. Son père, aujourd’hui à la retraite, a été peintre en bâtiment. Sa mère, titulaire d’un dess, est travailleuse sociale avec le statut de cadre.
  • [4]
    Pédale échantillonneuse : elle enregistre sur commande une formule jouée ou chantée par l’interprète, puis la répète en boucle à volonté. L’interprète peut alors superposer plusieurs lignes mélodiques et rythmiques, y compris sur scène, sans avoir d’autres musiciens avec lui.
  • [5]
    Émission nocturne de Serge Levaillant, programmée du mardi au vendredi, de 1 h à 4 h 30.
  • [6]
    Interview publiée sur Internet, consultée le 12 mai 2006 à l’adresse hhttp:// macdan. org// article. php3? id_article= 755.
  • [7]
    Y ont enregistré, depuis trente ans, des artistes comme Jacques Higelin, Renaud, Julien Clerc, Johnny Hallyday, Jacques Dutronc, Manu Chao, etc.
  • [8]
    Il dénomme ainsi son rôle lors de l’entretien que j’enregistre avec lui un peu plus tard, et le terme figure sur le livret du cd. Le réalisateur intervient plus complètement sur les chansons que l’ingénieur du son, et travaille sur celles-ci en amont de l’enregistrement.
  • [9]
    Ingénieur du son attaché à Ferber, Laurent Binder est l’assistant d’Antoine sur cet album. En particulier, c’est lui qui manipule l’interface Pro Tools (logiciel d’enregistrement).
  • [10]
    À l’adresse hhhttp:// photo. 163.com/photos/gostcry/54552943/, on trouve des photos de l’un des concerts en Chine.
  • [11]
    Ceci est bien illustré dans les travaux de Fabien Hein [Hein, 2006]. Marc Touché a réfléchi au dialogue matériel du musicien de rock avec les objets et les technologies qu’il utilise, en commençant par les instruments des « musiques amplifiées » (formule que ce chercheur a inventée), mais en étendant cela aux outils de l’amplification, voire aux configurations de lieux, de décor et d’espace [Touché, 1998 ; Douce de la Salle et al., 1998]. Gérald Côté [1998], Olivier Julien [1998, 1999], Albin J. Zak [2001] et Serge Lacasse [1998, 2000] ont montré en quoi le studio et les techniques sonores qui se développent en son sein font partie intégrante des développements esthétiques du rock ou de la pop, donc du travail des musiciens. Le rapport privilégié entre musiciens de rock et objets ou supports de la musique est enfin au centre des travaux de François Ribac [2004].
  • [12]
    Ce qui est habituel pour un groupe de rock [Tassin, 2004].
  • [13]
    Le terme de « forme » est celui qui est utilisé ordinairement en analyse musicale pour désigner l’organisation et l’ordre de succession des différentes parties d’une pièce musicale. Le mot de « structure » est celui qui a été employé, dans cette enquête, par la plupart des acteurs, pour désigner cela, et j’emploierai ici l’un ou l’autre comme s’ils étaient synonymes. Je laisse donc de côté les différences entre ces deux notions, telles qu’elles ont été présentées par exemple par Laurent Cugny [Cugny, 2001 : 65-68] à propos du jazz.
  • [14]
    Le problème soulevé par cette formulation est très dense. La notion même de genre peut être pensée sous un angle formel ou sociologique. On peut se faire une idée des recherches françaises récentes sur le « genre chanson » à travers les travaux de Cécile Prévost-Thomas [Prévost-Thomas, 2006] et de Stéphane Hirschi [1998 ; 1999].
  • [15]
    Retour à l’identique d’une idée musicale autonome, sur des paroles elles aussi inchangées, en alternance régulière avec une musique différente, qui d’ordinaire prend la forme de couplets. Les formes, histoire et fonctions esthétiques ou sociales du refrain ont été étudiées avec profondeur par Maria Spyropoulou Leclanche [1998].
  • [16]
    Un pattern est une courte formule mise en boucle. Il existe des patterns rythmiques, mélodiques, harmoniques, etc.
  • [17]
    Parallèlement à l’observation réalisée sur l’album de Mademoiselle K, j’ai également enquêté sur la création d’un autre album, enregistré presque au même moment (février 2006), par l’auteur-compositeur-interprète Bruno Joubrel. Cet artiste étant différent par son style musical, son parcours, son âge et bien sûr en tant que chanteur homme, la comparaison des deux était révélatrice. Cette deuxième recherche a été menée à travers deux entretiens et des communications de documents divers (traces enregistrées du travail). L’observation directe n’y a pas eu sa place. L’entretien cité ici est le premier des deux, réalisé au Centre universitaire Malesherbes le 12 avril 2005.
  • [18]
    En faisant l’expérience de la scène au cabaret « Chez Georges ».
  • [19]
    Entretien avec Antoine, dans la cabine en sous-sol du studio Ferber, 12 avril 2006.
  • [20]
    Cette confiance est verbalisée dans un mail que m’écrit Mademoiselle K, avant l’enregistrement, durant la phase de préproduction ; et dans l’entretien avec Peter, réalisé juste après l’enregistrement et juste avant le début du mixage.
  • [21]
    Importante parce qu’elle appartient pour Antoine au groupe des quelques-unes qui constituent « l’ossature » de l’album, à savoir dans ce cas celles qui sonnent le plus « rock » (entretien avec Antoine). C’est l’une des deux ou trois qui ont été envisagées pour faire la promotion de l’album. Elle fait partie des quatre mises en écoute, avant la sortie de l’album, sur la page de Mademoiselle K, à l’adresse hhttp:// www. myspace. com/ 01mademoisellek.
  • [22]
    La structure originelle brouille l’alternance d’usage « couplet refrain » ainsi que les autres formes courantes en chanson ou en rock. On a l’enchaînement suivant : intro, couplet, séquence instrumentale (je l’abrégerai en « instru », par la suite), refrain, couplet (très enchaîné au refrain précédent), instru, refrain, digression (moment de liberté vocale sans paroles), couplet, coda sur une nouvelle idée mélodique jouée par la guitare.
  • [23]
    Il est intéressant de noter l’emploi du même mot, « décrocher », par ces deux personnes qui ne se connaissent pas, ne pratiquent pas le même style musical et n’ont pas le même âge (une quinzaine d’années de plus pour B. Joubrel). Ils n’ont pas non plus la même expérience concrète de la pratique chanson, l’un chantant, l’autre enregistrant et mixant, l’un se référant ici à des prestations sur scène, dans les petites salles de ses débuts, l’autre à des écoutes de disques. Quand B. Joubrel confère à la structure le pouvoir d’empêcher les gens de « décrocher », il se réfère à des expériences précises, même si elles sont lointaines et concrètes. La formulation d’Antoine est une espèce d’extrapolation (il parle d’abord de « on » puis de « l’auditeur », enfin de « la personne qui écoute ») dont on ne sait pas à quelles expériences réelles elle renvoie. On peut avoir le sentiment qu’il juge d’après sa propre façon de ressentir la structure de la chanson, et qu’il généralise alors intuitivement à « l’auditeur » (démarche qui n’a rien d’aberrant puisqu’il a bien multiplié des expériences d’écoute et d’efficacité de chansons à travers un parcours professionnel déjà multiple).
  • [24]
    Par exemple la première fois (enchaînement du refrain 1 au couplet 2) : entrée d’une guitare supplémentaire et de la basse sur le couplet, alors que le refrain était accompagné seulement d’une charleston en noires et d’une guitare entrecoupée de silences.
  • [25]
    À deux reprises dans son entretien, Antoine parlant de l’« instru » l’appelle « le refrain ».
  • [26]
    Des doubles-croches de caisse claire sur les backbeats – c’est-à-dire sur le deuxième et le quatrième temps de la mesure à quatre temps.
  • [27]
    Astuce musicale, contraction pour l’anglais « give me a trick ». On trouvera une définition très complète de son rôle de relance ou de densification de l’intérêt musical dans Antoine Hennion [Hennion, 1981].
  • [28]
    Cette double approche permettra d’ailleurs de répondre aux préoccupations récemment exprimées par Denis-Constant Martin [Martin, 2006 : 135] : « penser les phénomènes musicaux aussi globalement que possible, en particulier pour élargir les visions proposées par les analystes anglo-saxons de la popular music et combler le double déficit, d’ethnographie et d’analyse musicale, qu’y lisait Sara Cohen ; pour redonner place aux structures intramusicales, trop souvent délaissées au profit de la recherche interprétative du sens (Middleton, 1993) ».

1Les processus de création artistique sont fréquemment considérés comme des actes intimes, appartenant à une sphère réservée. L’artiste ne dévoilerait de son travail de poiésis que le résultat final, un « produit » ou une « œuvre » auxquels le public n’a enfin accès qu’en aval de toute l’élaboration. On trouve une formulation exemplaire de ces idées sous la plume d’Hannah Arendt [Arendt, 1972 : 198-200] à propos des « arts créateurs de fabrication » :

2

« […] le processus créateur ne se déploie pas en public et n’est pas destiné à faire son apparition dans le monde […] ; ce n’est pas le libre processus créateur qui finalement fait son apparition et importe au monde, mais l’œuvre d’art elle-même, le produit final du processus. »

3La création d’un album de chansons entre a priori dans ce cadre, puisque les arts créateurs sont ceux qui aboutissent à un « produit fini qui survit à l’activité qui l’a amené à l’existence ». La philosophe oppose à cela les « arts d’exécution », « où l’accomplissement consiste dans l’exécution même » : « […] les artistes qui se produisent – les danseurs, les acteurs de théâtre, les musiciens et leurs semblables ont besoin d’une audience […] d’un espace publiquement organisé pour leur “œuvre”, et les deux dépendent d’autrui pour l’exécution elle-même. »

4En observant différentes étapes dans la création de Ça me vexe, premier album de l’auteur-compositeur-interprète Mademoiselle K [1], j’ai constaté à quel point la création du « produit fini », l’album, se faisait dans un dialogue avec une « audience », une dépendance à « autrui », au sein d’un espace fortement « organisé », même s’il ne s’agit pas pour autant d’un espace « public » au sens où l’entend Hannah Arendt.

5L’album est au carrefour des deux situations, entre « art créateur » et « art d’exécution » : il appartient bien à la catégorie des œuvres, car il est « quelque chose de tangible » et « réifie la pensée humaine dans une mesure telle que la chose produite possède une existence autonome » [Arendt, op. cit. : 200]. On peut affirmer que l’objet qu’est l’album constitue « l’accomplissement » de l’acte créateur. Cela est perceptible en observant le travail de l’artiste. Ainsi, dans la période qui précède l’enregistrement, certains mots révèlent que le parcours vers le premier album est une ligne de force des efforts poursuivis depuis des années. Quand je prends des nouvelles de l’activité de Mademoiselle K, en février 2006, elle m’écrit : « J’ai signé en licence avec emi Music, ça y est » (jusque-là elle créait ses chansons, les jouait en concert, avait un contrat avec un manager, mais n’avait pas de contrat avec une maison de disques). Quelques jours plus tard, alors que j’assiste à l’une des répétitions préparatoires à l’enregistrement, elle dit à ses musiciens : « De toute façon, moi, tant qu’il n’y aura pas la galette… » C’est-à-dire qu’avant le moment où le disque sera sorti, fabriqué, où « il y aura la galette », elle ne considérera pas son activité comme aboutie. « La galette », dans sa bouche à ce moment-là, avec l’intensité particulière qu’elle donne à la prononciation du mot, désigne le but enfin atteint, celui qui est visé depuis longtemps et avant lequel elle ne sera pas satisfaite.

6Mais s’il y a création d’un « produit fini », le « processus créateur » par lequel il est fabriqué « fait » néanmoins « son apparition dans le monde ». L’observation du travail de Mademoiselle K sur son album a révélé qu’il est pris dans une négociation musicale incessante avec d’autres acteurs. Il faut donc admettre que le « libre processus créateur » est bel et bien confronté à une « audience », à la manière des « arts d’exécution ».

7Dans cette position hybride entre libre processus créateur caché à autrui et exécution dialoguée avec une audience, que devient la « liberté » de la création, concept qui est au centre du texte d’Hannah Arendt ? Les observations menées sur Mademoiselle K permettront d’en questionner et d’en repenser la nature : liberté et contraintes se sont ici articulées sur une autre opposition, entre choix individuels (Mademoiselle K est auteur-compositeur-interprète) et décisions musicales négociées au sein d’une collectivité qui n’était pas entièrement choisie. Ceci sera illustré avec plus de précision dans la deuxième partie, à propos du travail collectif sur la structure musicale de l’une des chansons, « À l’ombre ».

? La création longue et médiate de l’album

8Je vais récapituler, pour commencer, les étapes du parcours de Mademoiselle K, depuis le début de son activité de créatrice de chansons jusqu’à la date de sortie de l’album. Ces données, présentées en un calendrier de faits, seront complétées par deux séries d’informations : d’une part, les moments dans lesquels se sont insérées mes investigations (observation directe à découvert faisant l’objet d’un journal de terrain, et entretiens enregistrés) [2] ; d’autre part, les enregistrements des chansons sur des « maquettes » réalisées au fil du travail. Ce sont des versions successives des chansons, avec des modifications : ces évolutions retracent aussi une trajectoire vers la version définitive, celle qui fera référence en figurant finalement sur l’album mis en vente.

9Le but de cet exposé chronologique initial des faits est triple. Situer les circonstances et les personnages sur lesquels vont s’appuyer les analyses ; préciser le cadre et le contenu de l’observation menée ; surtout, montrer la durée dans laquelle est pris le processus de création de l’album. Il ne commence pas au moment où Mademoiselle K signe un contrat d’édition pour faire un disque, à l’automne 2005, mais bien avant : en réalité les étapes antérieures sont elles-mêmes orientées vers l’horizon de cette signature, donc vers l’album. Par conséquent, plusieurs des chansons figurant sur l’album existent déjà quand le contrat d’édition du disque est signé, à la rentrée 2005. Quand l’album sort en août 2006, certaines chansons ont presque deux ans. « Ça me vexe » a été écrite et composée à la rentrée de 2004, de même que « À l’ombre ». La musique de « Ça sent l’été » commence à prendre forme en février 2005, et le texte avait été écrit plus tôt encore. C’est donc en années que se compte la durée de création de l’album, et il vaut la peine d’exposer en un calendrier succinct une genèse aussi peu immédiate.

10

Avant 2003 : Katerine Gierak [3] apprend à jouer de la guitare en conservatoire, passe un bac musical et commence à composer des chansons (musique et texte), que, d’abord, elle ne chante pas elle-même.
Été 2003 : Mademoiselle K (le nom de scène que Katerine s’est choisi) enregistre un cd que j’appellerai la « maquette 1 ». Intitulé Petit pas, ce disque compte cinq titres. Mademoiselle K y chante et y tient la guitare acoustique, quatre autres musiciens jouant de la guitare électrique, de l’accordéon, de la basse, de la batterie et des percussions.
Hiver 2003-2004 : Elle prépare le capes de musique à Paris IV. Elle me rencontre en tant qu’enseignante dans ce cursus et me transmet la maquette 1. Je réagis en manifestant mon intérêt.
2004 : Elle joue et chante en concert des chansons qu’elle compose (paroles et musique). Elle évolue d’un style « chanson » vers un style « rock ». Elle se met à utiliser une guitare électrique, ainsi qu’une pédale sampler[4] pour étoffer son accompagnement, car elle se produit souvent seule en scène. Elle est programmée plusieurs fois au House of Live, car elle a attiré l’attention du programmateur de cette salle, Yvan Taïeb. Le guitariste Pierre-Antoine Combard, dit Peter, l’entend en concert et lui propose de devenir son guitariste.
Janvier 2005 : Elle réalise avec l’aide de Peter, dans le studio auquel il a accès et avec certains de ses partenaires instrumentistes habituels, une maquette de quelques titres (maquette 2, janvier 2005, « À l’ombre », « Ça me vexe », « Peur du noir »). Le son de la maquette 2, contrairement à la maquette 1, est clairement rattaché au rock ; l’effectif comporte batterie (plus une boîte à rythmes sur certains titres), deux guitares électriques et une basse (électrique), en plus de la voix. Mais les compositions et les paroles sont celles de la chanteuse, qui reste « auteur-compositeur-interprète ». Il ne s’agit pas des compositions collectives d’un groupe de musiciens, cas fréquent dans le rock [Tassin, 2004] : ce sont des titres que Mademoiselle K avait écrits, composés et joués sur scène avant la rencontre avec Peter.
Début 2005 : La maquette 2 est communiquée à Yvan Taïeb et le convainc de devenir le manager de Mademoiselle K.
Le bassiste change : ce ne sera plus celui que Peter avait fait venir dans le groupe, mais Pierre-Louis Basset, dit Pilou, présenté par Yvan Taïeb.
Avril 2005 : J’ai décidé de mener une observation du travail d’auteur-compositeur-interprète de Mademoiselle K (séances de répétition et d’enregistrement, concerts). Dans ce cadre, je vais écouter un concert au Réservoir (Paris, 11e arrondissement), le 4 avril. Je réalise avec elle un entretien enregistré, le 7 avril. À cette occasion, elle me communique la maquette 2.
Printemps 2005 : Le batteur initial quitte le groupe. David Boutherre, un ami de Peter, le remplace.
Automne 2005 : Mademoiselle K signe un contrat en licence (emi Music) et en coédition (emi Music et roy Music – le label créé par Yvan Taïeb et deux associés). Mademoiselle K va donc pouvoir enregistrer un album dans les mois qui suivent.
De janvier à mars 2006 : Les quatre musiciens préparent l’enregistrement de l’album. Ils sont en résidence dans un studio de répétition à Saint-Ouen (au sein de la structure Main d’œuvre), aux frais des éditeurs. Ils répètent cinq fois par semaine. J’assiste à différentes répétitions, courant février, puis courant mars. Ils s’enregistrent au cours des séances, pour se réécouter et guider leur travail, mais aussi parce qu’ils doivent aboutir à une maquette qui témoignera des avancées réalisées, à l’intention des éditeurs. Mademoiselle K me communiquera, un peu plus tard, cette « maquette 3 ».
Le groupe continue les concerts et Katerine donne des interviews : à France Inter, « Sous les étoiles exactement » [5], le 17 janvier ; à Mac & Guitare[6].
Le studio est choisi, principalement par les éditeurs : ce sera Ferber, l’un des studios importants de Paris, créé en 1972 [7].
Fin février 2006 : Mademoiselle K et ses musiciens choisissent l’ingénieur du son, guidés par différentes suggestions d’Yvan Taïeb. Ce sera Antoine Gaillet. Celui-ci vient alors assister à leurs répétitions dans le local de Saint-Ouen et travaille avec eux pendant trois semaines, avant l’enregistrement proprement dit : en effet, il souhaite avoir un rôle plus complet que celui d’ingénieur du son, celui de réalisateur [8]. Mi-mars, je rencontre une première fois, dans le studio de répétition, Antoine et Yvan.
Du 22 mars au 3 avril 2006 : Mademoiselle K enregistre à Ferber. J’assiste à l’une des séances.
Le 7 avril : Je réalise un entretien enregistré avec Peter.
Avril 2006 : Les treize jours de mixage s’enchaînent à l’enregistrement, toujours à Ferber. J’assiste à trois de ces séances. Je réalise sur les lieux des entretiens enregistrés avec Yvan Taïeb, Pilou, Antoine Gaillet et Laurent Binder [9].
Les éditeurs choisissent le ou les titres à utiliser pour la promotion dans les médias. J’assiste à l’une des rencontres où ce choix est en jeu, dans la régie de Ferber, deux personnes d’emi étant venues écouter des titres après mixage.
Une fois les titres mixés, ils sont envoyés à la masterisation : cela se fait dans un autre studio et par un autre ingénieur du son dont le mastering est la spécialité.
Avril et été 2006 : Mademoiselle K multiplie les concerts, par exemple deux dates au Printemps de Bourges en avril et une tournée en Chine dans le courant de juin [10].
21 août 2006 : L’album sort.

11Si la création de l’album s’étend dans le temps, son ampleur doit aussi être mesurée au nombre de personnes qui interviennent dans son histoire. Des rencontres jalonnent ce long calendrier : avec Yvan Taïeb, d’abord manager puis éditeur, avec Peter (Pierre-Antoine Combard), guitariste, avec Antoine Gaillet, pressenti comme ingénieur du son, mais qui prendra le rôle, plus présent, de « réalisateur » de l’album. Ces rencontres peuvent se faire en plusieurs fois, comme avec Yvan : d’abord approché sans succès, il accepte ensuite de programmer Mademoiselle K dans une salle pour laquelle il sélectionne les artistes ; puis il devient son manager quelques mois plus tard, enfin il est coéditeur dans le contrat de l’automne 2005, avec Capitol (emi). Pour Peter, au contraire, il y a eu une « élection » mutuelle très rapide (le temps d’un concert de Mademoiselle K et d’une sollicitation directe de celle-ci par Peter, juste après). Mais ce choix réciproque n’est pas initial, dans la démarche créatrice de Katerine. Si Peter joue un rôle musical et technique très important dans les mois qui précèdent l’enregistrement de l’album, il n’a collaboré avec Mademoiselle K qu’à partir de décembre 2004 : c’est dire qu’il est entré dans son entourage en cours de route, alors que le style musical de la chanteuse compositrice s’était déjà affirmé et, encore une fois, que différentes chansons étaient déjà composées et jouées sur scène. Par ailleurs, ces rencontres sont plus ou moins choisies. Par exemple le bassiste (Pierre-Louis Basset dit « Pilou ») a été présenté à Katerine par Yvan Taïeb quand le premier bassiste du groupe fit défection ; et il n’a fait sa place dans le groupe que progressivement, car il ne correspondait pas, dans les premières séances de travail en commun, aux idées et aux envies musicales de Katerine. En revanche, le choix d’Antoine Gaillet, comme ingénieur du son puis comme réalisateur, s’est fait au terme de tâtonnements sélectifs, plusieurs autres personnes ayant été envisagées, et parfois même « essayées » (rencontres et séances de travail) avant lui.

12S’il faut insister sur ces rencontres, c’est parce que ces personnes, et d’autres encore, participent aux décisions musicales de Mademoiselle K, aux modifications qu’elle apporte (ou accepte) à ses chansons, à leur mise en forme, à leur interprétation musicale, en somme, à la création de l’album. Cela est très clair concernant les instrumentistes qui l’accompagnent (Peter, Pilou, ainsi que le batteur, David), puisque de nombreux choix d’arrangements, de notes, de rythmes, de tempos, et même d’idées musicales se font dans la collaboration et l’échange au moment de la répétition. Ces échanges se font verbalement mais aussi musicalement, soit au fil du jeu, soit en montrant aux autres, sur l’instrument ou à la voix, l’idée musicale que l’on voudrait faire adopter.

13Mais c’est aussi le cas pour Antoine Gaillet, comme on le verra dans la deuxième partie de l’article, et même de façon plus purement verbale, et plus diffuse peut-être, pour des personnes comme Yvan Taïeb ou les deux représentants de Capitol. Ceux-ci de façon ponctuelle, celui-là dans toute la durée de sa collaboration avec Katerine, expriment des avis sur ses prestations ou ses enregistrements provisoires, avis qui influent sur l’artiste, même si le résultat concret de cette influence est impossible à déterminer avec précision et objectivité. Toutes ces personnes, à tour de rôle, sporadiquement, alternativement ou de façon répétitive, sont autant d’acteurs, qui jouent, dans des temps inégalement distribués, un rôle dans les choix de style ou de sonorité effectués sur l’album tel qu’il prend finalement forme en août 2006.

14Il ne faut donc pas négliger de préciser quand celui-ci ou celui-là est entré dans le projet, quand il a pris telle ou telle fonction. Cette fonction se concrétise souvent de façon contractuelle : passage du contrat de manager à celui d’éditeur, pour Yvan Taïeb ; statut d’Antoine Gaillet prévu d’abord comme ingénieur du son, mais qui obtient aussi l’étiquette de réalisateur ; rémunération comme interprètes d’abord, mais ensuite également comme coarrangeurs, des trois musiciens qui entourent Mademoiselle K.

15On comprend qu’au total la création de l’album doit être décrite comme un processus non seulement long, mais aussi négocié, même si le rôle d’auteur-compositeur-interprète est premier en tous les sens du terme : différents acteurs coconstruisent l’objet esthétique au fil d’un façonnage collectif où se succèdent échanges d’idées parfois contradictoires, propositions et contre-propositions, modifications, tâtonnements et retours en arrière, rarement décidés de façon univoque par l’auteur-compositeur-interprète. On peut revenir alors sur l’absence d’immédiateté qui caractérise cette création d’album, et insister de ce fait sur ce qu’elle a au contraire de médiat, par sa durée, mais aussi par son ancrage dans une dimension collective, enfin par sa dépendance de configurations matérielles et techniques. Le terme « médiat » est nécessairement connoté par les travaux d’Antoine Hennion et la sociologie de la médiation : à ce titre, le mot évoque une conception de la musique comme existant à travers objets et situations et non par elle-même, dans le support idéalisé d’une partition constituée en référence et dépositaire de l’essence des œuvres. Il est particulièrement approprié dans ce contexte de chansons en style rock, où les instruments et les équipements électroniques d’amplification, d’enregistrement et de traitement du son jouent un rôle de premier plan, aussi bien dans les représentations et les discours que dans le déroulement concret du travail (que ce soient des répétitions, des concerts, ou l’enregistrement de l’album) [11].

16Mais ce n’est pas ce sens précis du terme « médiat » qui est convoqué ici en priorité. Plus largement, il s’agit d’indiquer que la création d’album a rencontré de nombreux intermédiaires : loin d’être le fruit d’illuminations individuelles sans durée et sans explication imaginable (l’immédiateté supposée du geste créateur inspiré), elle prend la forme d’un cheminement de version en version, d’enregistrement de maquette en exécution en concert, de répétition en répétition avec les membres du groupe (qui ont changé en cours de route, changeant donc fatalement aussi l’interprétation des mêmes chansons), de mois en mois, d’année en année, de rencontre en rencontre… Ce cheminement laisse des traces objectives et analysables car, bien souvent, les formes provisoires et successives de chaque chanson font l’objet d’enregistrements, qui servent de support au travail des musiciens entre eux [12] ou, en tant que « maquettes », leur permettent de montrer à d’autres, extérieurs au groupe (manager, éditeurs, journalistes, enquêtrice…) ce qu’ils font, « où ils en sont » de leur processus créateur.

17Elles permettent une évaluation continue des chansons par les interprètes ou par d’autres, et sont importantes dans le travail de décisions musicales qui est la création même. La deuxième partie de cet article donnera, avec la chanson « À l’ombre », un exemple de ce cheminement long et médiat.

? La mise en forme collective de la chanson « À l’ombre »

18Toute pièce musicale est organisée en une forme [13] : elle voit se succéder différentes parties dans un ordre défini, tributaire d’habitudes collectives (quelque chose comme une grammaire des formes), et comportant généralement des éléments prégnants grâce à la répétition ou la réitération. Certains aspects de la structure sont très perceptibles : pour rester dans le domaine de la chanson comme genre [14], toutes périodes confondues, on peut citer le refrain [15] comme élément formel fréquent. Si l’on se restreint à la période écoulée depuis les années 1960, voici quelques exemples de procédés formels courants, mais non systématiques, qui sont très repérables à l’écoute : l’introduction de nouveaux éléments instrumentaux en cours de chanson (la batterie, la basse, des cordes…) ; la présence d’un pont (nouvelle idée musicale faisant irruption au milieu de la chanson avant le retour à la musique initiale) ; la présence d’un passage instrumental, collectif ou soliste, avant, après ou au milieu des parties chantées. La construction d’une forme musicale repose également sur des procédés moins évidents : on peut se demander à quel point l’auditeur en est conscient. Ainsi la modulation de relance à chaque couplet (« L’aigle noir », Barbara ; « Think », Aretha Franklin) ou au dernier couplet (« Je te donne », Jean-Jacques Goldman, et d’innombrables autres chansons) ; la modification des patterns[16] rythmiques de façon à accélérer en apparence le déroulement musical sans changer la pulsation (« Try a Little Tenderness » par Otis Redding) [Bowman, 2003 ; Rudent, 2003] ; la conquête progressive des aigus par la voix et la multiplication parallèle des ornements vocaux (dans des chansons actuelles héritières d’une certaine pop des années 1960, comme « Parle-moi », chanson de Jimmy Kapler pour Isabelle Boulay) [Rudent, 2007]…

19Il est tentant de supposer que la structure, en tant qu’ossature spécifiquement musicale du morceau, est en grande partie inactive dans le rapport des auditeurs à la chanson. Nous avons tendance à penser que ceux-ci captent plutôt des superstructures, rarement de l’ordre de la forme, comme les mélodies, certaines formules rythmiques très fortement mises en valeur, les couleurs des sons choisis, les instruments, les paroles, sans parler des attitudes, du discours et du look des principaux interprètes, etc. En effet, les aspects formels ne sont presque jamais évoqués dans les échanges publics ou quotidiens concernant la musique : dans mes analyses de presse musicale grand public [Rudent, 2000], dans les commentaires de concerts sur Internet, dans les conversations musicales entre amis, dans les émissions musicales de radio ou de télévision, on ne rencontre pas les termes « forme » ou « structure ». Les notions formelles (de refrain, de riff, de solo, d’« intro ») n’apparaissent qu’exceptionnellement, et sont maniées intuitivement, parfois en divergence avec l’usage des musiciens. La structure peut alors apparaître comme un souci de spécialistes ou de personnes ayant un minimum de pratique ou de formation musicale, qui entendent ce que les autres n’entendent pas.

20Or la notion de structure a été très présente dans le travail des artistes que j’ai observés. Et, contre toute attente, le travail sur les structures a été rattaché explicitement à la capacité de séduction immédiate de la chanson vis-à-vis du grand public.

21Bruno Joubrel [17] : « [18] j’ai commencé à comprendre que les structures des chansons c’est super important. Une chanson mal équilibrée, trop longue, trop courte, ou avec des refrains déséquilibrés par rapport aux couplets, des choses comme ça, souvent, décrochait les gens. »

22Le terme de structure est employé par Antoine, quand j’assiste à l’une des séances de la préproduction : Mademoiselle K et lui parlent de certaines chansons dont il ne comprend pas la structure. C’est l’une des préoccupations de leur travail préliminaire à l’enregistrement, et cela a concerné plusieurs chansons. À ce moment-là, je perçois d’une part l’importance que cette notion a pour ce réalisateur, et d’autre part le lien d’implication fort que Mademoiselle K entretient avec « [ses] structures ». Elle semble à la fois les avoir pensées de façon pleinement consciente, mais aussi admettre qu’elles paraissent singulières à l’oreille de cet ingénieur du son. C’est avec humour que, en cours de séance, elle lui dit : « De toute façon je fais que des structures bizarres. »

23Dans notre entretien [19], Antoine est revenu à plusieurs reprises sur le travail des structures fait en vue de l’album. Certains aspects de ce travail concernent l’ordre, le contenu et la durée des différentes parties des chansons : il s’agit alors de décisions collectives, prises avec les différents musiciens, qui doivent modifier ce qu’ils jouent en conséquence. D’autres aspects consistent à mettre en évidence telle ou telle des parties en question, à souligner les structures après enregistrement, grâce à des procédés de traitement du son : dans ce cas, ce sont les décisions individuelles d’Antoine, car le dialogue avec les interprètes au moment du mixage est, d’après ce que j’ai pu voir, réduit. Pourtant, il n’est ni interdit ni impossible. La porte du studio de mixage est ouverte, les musiciens du groupe viennent librement, commentent autant qu’ils le souhaitent. Cependant ils profitent peu de cette possibilité, sans doute parce qu’ils ont confiance non seulement dans les compétences techniques d’Antoine, mais aussi dans sa faculté de compréhension de leurs intentions musicales [20].

24Prenons le cas d’une des chansons « importantes » de l’album [21], « À l’ombre ». Un gros travail a été fait sur la structure peu habituelle de cette chanson [22]. On peut le retracer à travers les trois versions dont je dispose : maquette 2, avant la signature chez emi, janvier 2005 ; maquette 3, à l’issue du travail préparatoire à l’enregistrement, mars 2006 ; et version de l’album. La première version (maquette 2) est plus longue que le format médiatique usuel des chansons : au lieu de 3 min ou 3 min 30 s elle dure 4 min 10 s. Autre singularité, c’est une chanson sans basse, la voix étant accompagnée d’une batterie et de deux guitares. Après le travail de préproduction, avec Antoine, à Main d’œuvre, elle est ramenée à une durée de 2 min 52 s (maquette 3). L’introduction a été écourtée, l’un des passages instrumentaux (je dirai par la suite « instru ») a été retiré, une digression chantée sans paroles, après le deuxième refrain, a également été supprimée. Le traitement de la coda a été complètement modifié : elle n’est plus aussi longue, ni surtout aussi répétitive. Les claquements de mains qui intervenaient dans l’introduction et dans la coda, très intéressants musicalement mais pour le moins atypiques dans une musique rock, ont été supprimés, et la basse ajoutée. Globalement, la recherche de concision s’est exercée partout, la tension est devenue plus constante tout au long du titre. Parallèlement, les aspects atypiques ont été estompés ou effacés. Cela correspond bien aux propos d’Antoine lors de notre entretien :

25

« Par exemple [au cinéma] si on veut avoir un montage lent et qui laisse le temps de s’exprimer, bien sûr on va monter d’une manière très étirée, mais si on veut quelque chose d’assez dynamique et qui donne une certaine énergie, il faut être condensé, il faut avoir un montage très rapide, avec un certain rythme, et un morceau c’est un peu pareil. C’est-à-dire que s’il y a une partie du morceau où entre guillemets on décroche un peu, enfin l’auditeur décroche, c’est jamais très bon. Il faut réussir à garder l’attention de la personne qui va écouter le morceau. » [23]

26Un deuxième point important est la façon de différencier le couplet du refrain. Ici, il ne s’agit plus de changer la structure, mais de mieux souligner celle qui a été choisie. Dans la version initiale de la chanson, le refrain s’enchaîne au couplet suivant avec une telle homogénéité musicale qu’on ne repère pas sa fonction de refrain. Il est fondu dans le reste de la chanson. Dès la deuxième version, le passage du refrain au couplet suivant est marqué avec une grande clarté par un procédé d’arrangement [24]. Comme le dit encore Antoine :

27

« Je tends à être plutôt producteur entre guillemets que simple ingénieur, voilà, ouais. […] ça va être par exemple un truc tout bête mais sur la structure des morceaux essayer de faire en sorte que ce soit lisible par tout le monde, ou en fait par peu de personnes en fait assez spé entre guillemets mais voilà ça peut être dans la structure des morceaux, dans les arrangements, dans l’interprétation. » Par la suite, la formule « créer le relief » (dans le morceau) revient plusieurs fois dans la bouche d’Antoine pour décrire l’un de ses objectifs.

28Cette « création de relief » et cette recherche d’une « dynamique » maximale pour le morceau ont été également faites dans le travail sur l’« instru » de « À l’ombre ». Présent trois fois dans la version initiale, on a vu que sa première apparition avait été supprimée de la deuxième version. À l’enregistrement de Ferber, il est réapparu à cet endroit et se met à jouer en réalité le rôle de refrain instrumental dans la chanson, plus que le refrain « à paroles », dont la dynamique est bien moins importante [25]. Cette mise en valeur de l’« instru » comme réel refrain instrumental repose sur un double travail du son. D’abord le traitement de la batterie avec un filtre spécial :

29

« Par exemple sur “À l’ombre”, je mélange sur les refrains, je mélange des sons de batterie saturés avec un son qui est clean, sur tout le morceau en fait il y a un son clean et sur les refrains je rajoute un son saturé de batterie. » (Il me précise ensuite qu’il obtient ce deuxième son en passant la batterie dans un filtre Shermann.)

30Mais aussi le refrain instrumental ressort grâce à la mise en évidence d’une formule de batterie particulière [26], qu’Antoine traite comme un « gimmick » [27] :

31

« Sur “À l’ombre” il y a une espèce de roulement de caisse claire sur le refrain qui pour moi est un gimmick, un truc, je voulais le mettre vraiment en avant, j’ai travaillé en sorte que ce roulement de caisse claire soit évident. »

32Ce pattern de batterie sur l’« instru » n’existe pas dans la première version, alors qu’il devient une caractéristique du passage dans les deux versions suivantes. Tout ce travail est mené par le réalisateur dans le but de donner à la chanson un maximum de dynamique, d’énergie, pour qu’elle « fonctionne » :

33

« C’est-à-dire que, en amont de l’enregistrement, pendant trois semaines, c’est ce qu’on appelle la préproduction, on travaille les morceaux pour que à quatre ils fonctionnent, sans arrangement ; quand il y a des parties un peu faibles, tout ça, on essaie de revoir les arrangements, pour faire en sorte que ça fonctionne, voilà […]. Je vais faire une balance qui est très rapide, c’est-à-dire en une heure deux heures j’ai le morceau et après tout le travail il va être justement sur créer le relief dans le morceau en fait. Essayer d’aller au maximum de la dynamique dans un morceau. »

34Mais le but est aussi de simplifier, de ramener à des usages plus communs les structures conçues d’abord par Mademoiselle K dans une première partie de parcours où ses chansons n’avaient pas encore rencontré les autres, ni, pourrait-on dire, la coercition d’une collectivité de musiciens. Seule en scène, elle n’était pas liée à un groupe ; pas encore « signée », la question du public se posait dans l’immédiateté des salles, et non dans les habitudes de professionnels du disque ni dans l’objectif de séduire un très large auditoire.

35Antoine : « Avec Mademoiselle K c’était la première fois où je me retrouvais à faire ce travail-là [de réalisateur et pas seulement d’ingénieur du son] dans un truc un peu plus pop-rock, en fait. Je peux pas parler de formatage ou de chose comme ça parce que c’est pas vraiment le cas non plus, mais quand même, on essayait un peu tu vois de tirer le truc, de pas le rendre trop spé quand même. »

36Peter, parlant de la composition d’« À côté » : « Moi j’avais envie qu’il y ait des morceaux comme ça [comme « À côté »], un peu rock, un peu simples, un peu envoyés, parce que des fois c’est compliqué les trucs de Katerine […] En fait on a eu vachement de mal sur les chansons qu’elle avait déjà dès le début, parce qu’elle s’était habituée à ces structures-là et c’est un bordel… »

? La structure sous tous ses rapports

37Finalement, le rapport entre structure de la chanson et séduction supposée pour le public s’opère avec trois conceptions implicites : pour Antoine, il y a une oscillation entre une structure perceptible aux gens « spé » (c’est-à-dire spécialistes, qui ont des compétences au-dessus de la moyenne) et une structure convenable (« lisible », dans ses termes) pour le grand public, pour « tout le monde ». Selon les moments, il insiste sur l’une ou l’autre de ces qualités de la structure, son objectif de travail semblant alors à double face. La deuxième idée implicite, concernant le rapport de la structure à l’auditeur de la chanson, c’est que plus une structure est simple, plus elle facilite l’accès de l’auditeur, donc son plaisir. Cette théorie sous-jacente est illustrée par les phrases d’Antoine sur le style « pop-rock » (ce qui selon lui renvoie à quelque chose de plus « formaté », sans excès toutefois, que d’autres styles musicaux comme le rock ou le jazz, qui lui sont par ailleurs familiers). On trouve déjà un lien entre « construction de la chanson » et plaisir des auditeurs, des décennies plus tôt, dans la bouche d’un producteur anonyme cité par Antoine Hennion [Hennion, 1981 : 27], à propos d’une chanson de Gérard Lenorman :

38

« [C’est un enquêté qui parle, son nom n’est pas donné] : Je me rappelle le titre “De toi” de Lenorman, un de ses premiers titres qui ont bien marché. On avait fini le titre, je le faisais écouter autour de moi ; j’étais vraiment content. Et chaque fois que je le faisais écouter, c’était le bide ! Ça m’étonnait vraiment, parce que j’étais presque sûr que c’était un bon titre. J’ai refait le mixage dix fois, mais c’était toujours la même chose, je ne comprenais pas. Et puis à un moment j’ai changé la construction de la chanson : la même chanson, mais construite autrement ; le refrain qui venait au bout d’une minute trente, on l’a mis au début de la chanson. J’ai fait réécouter la chanson autour de moi : et tout le monde l’a trouvée formidable ! C’était pourtant la même chanson, les gens ne voulaient même pas en convenir ! Ils ne savaient pas pourquoi ils l’aimaient là et pas avant. C’est le petit détail ! le succès d’une chanson, c’est une accumulation de petits détails. Quelquefois la chanson est bonne : mais elle est mal réalisée. Ou alors il y a un truc qui ne va pas ; et si vous arrivez à trouver ce truc-là : ça change tout. »

39La théorie de la « structure comme clé du plaisir de l’auditeur » traverse donc les styles, les contextes et les années, de la chanson à la variété ou au rock, d’un producteur des années 1970 à un album de la scène française des années 2000, en passant par de petites scènes vouées à la chanson, entre 1980 et aujourd’hui.

40Et pourtant, on voit que dans la bouche d’Antoine comme dans celle de Peter la question des structures est étroitement rattachée à un style musical : le très relatif « formatage », disons l’emploi de « structures » usuelles, est pour Antoine inscrit dans l’esthétique « pop-rock ». La « simplicité » d’une chanson qui doit être un peu « envoyée » est pour Peter un marqueur du style rock (qu’il a opposé, dans son entretien, au style « chanson française » que Katerine pratiquait dans un premier temps). Et du reste Peter, s’il pense bien la nécessité de simplifier la structure de certaines chansons, ne rattache pas pour sa part cette simplicité souhaitable au plaisir de l’auditeur mais bien à son plaisir à lui (à son « envie » de morceaux « comme ça », en tout cas), comme guitariste de rock (il appartient à divers groupes de rock plutôt expérimental, en dehors de ce qu’il fait avec Mademoiselle K). Au point que finalement, si le lien entre structure et plaisir est visiblement fait ici par les acteurs, la question du plaisir du public est plus floue, l’« auditeur » invoqué étant parfois réel (producteur cité par Hennion, qui parle des « gens » « autour de [lui] », auditeurs de Bruno Joubrel), parfois plus virtuel (propos d’Antoine).

41Au total, on voit que la structure est traitée comme un paramètre clé pour accrocher l’autre ou le soi, pour séduire et retenir à l’audition. C’est, entre autres, sur la structure que le matériau musical inventé par Mademoiselle K devient le fruit d’un travail collectif de façonnage, en vue d’une compréhension et d’une « accroche » efficace vis-à-vis d’autres personnes. Il peut s’agir des personnes réellement en posture d’auditeurs : les instrumentistes, le réalisateur, les éditeurs, le public bien réel des concerts faits dans la même période, les journalistes qui diffusent certains titres à la radio ou sur Internet. Mais ces personnes peuvent aussi n’être qu’un fantasme plus général et plus vague : celui du public à venir dont il faut capter l’attention pour qu’il achète, dans le futur, l’album.

42De ce fait, la structure des morceaux mérite une attention particulière car elle prend en compte, dans son intimité et son détail, le matériau musical certes, mais aussi le rôle de chaque acteur dans les décisions. Une simple description de la structure musicale – on entend d’abord telle idée, tel rythme, telle mélodie, puis revient tel autre – est une base utile mais incomplète pour un travail de réflexion proprement dite sur le « musical ». Mais, à l’inverse, l’absence de toute description musicale est également insatisfaisante. L’on perd beaucoup si l’on ne saisit pas dans le concret du son les modifications opérées d’une version à l’autre ; si les buts, tels qu’ils sont formulés par les acteurs, ne prennent pas chair à travers ce qu’ils ont effectivement réalisé, à travers leur choix de tel son plutôt que de tel autre. Si l’on se prive de ces éléments, comment peut-on comprendre le travail des musiciens tel qu’il est mené ici, en commun et en vue d’un album précis, en visant un certain public ? Comment saisir les enjeux des rapports de travail, des dénominations de rôles, des choix effectués, des interactions présidant aux décisions prises ?

43Autrement dit, la structure des chansons exige une compréhension à double aspect. À première vue, elle paraît relever d’une approche entièrement musicologique : combien d’idées musicales successives, dans la version enregistrée des chansons, apparaissent ou réapparaissent, et dans quel ordre ? Ne suffit-il pas d’écouter le disque, et d’avoir connaissance des usages musicaux, pour répondre à cette question ? Les interactions qui ont produit l’album ne paraissent pas ici devoir être prises en compte et ne le sont en général pas dans ce type de questionnement. Mais cette structure est en fait l’objet d’une négociation serrée, longue et progressive entre les différents acteurs, et pas les seuls musiciens – instrumentistes ou chanteuse. Élément d’accroche des chansons, la structure permet non seulement une cohérence et une organisation interne de la musique, une satisfaction de spécialistes, une « mise aux normes » professionnelles, mais elle contribue aussi à la séduction et à la compréhension du morceau pour des cercles de plus en plus larges (partenaires musiciens, puis réalisateur, manager, journalistes, représentants de Capitol, c’est-à-dire des personnes dont l’implication dans la création va du plus au moins). Elle est en cause dès que la chanson commence à être mise au contact d’autres musiciens et d’autres auditeurs que sa conceptrice initiale, Katerine. Et elle se constitue dans un travail collectif où les décisions successives et leurs modalités se donnent à l’observation et visent une communication réussie avec les auditeurs.

44Si la structure se saisit au mieux à travers une approche musicologique d’analyse, elle est en même temps d’une nature si hybride, si sociale et sonore à la fois, que l’observation du travail musical nous donne des clés essentielles de sa compréhension [28]. ?

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : album, structure musicale, chanson française, observation, création

Date de mise en ligne : 04/03/2008.

https://doi.org/10.3917/ethn.081.0069

Notes

  • [1]
    Mademoiselle K, Ça me vexe, emi Music France (Roy Music, Capitol Music), 2006. L’album se situe musicalement aux frontières entre chanson et rock. Les noms mentionnés dans l’article ne sont pas fictifs. « Mademoiselle K » est le nom d’artiste de Katerine Gierak et elle sera souvent désignée par son prénom dans la suite de l’article. Jamais « Katerine » ne désigne ici Philippe Katerine, autre chanteur très présent dans la chanson actuelle en France.
  • [2]
    L’observation de musiciens au travail dans un studio d’enregistrement a été relativement peu pratiquée. On se reportera à Hennion [1981] (variété française), Faulkner [1985] (musiciens de studio à Hollywood), et Cugny, Ravet, Rudent [2004] (album de Juliette Gréco). Des répétitions de jazz ont été observées [Bonnerave, 2006] ; Marie Buscatto a étudié les chanteuses de jazz dans une approche ethnographique qui a combiné, entre autres, observations (cours, concerts, jam, répétitions) et entretiens [Buscatto, 2003]. Hyacinthe Ravet a observé le travail d’orchestres symphoniques (répétitions, concerts et enregistrements) [Ravet, 2000 et 2006]. Fabien Hein [2006] et Damien Tassin [2004] ont une approche ethnographique des pratiques rock, mais cette fois en un sens large, le second ayant consacré de très intéressants développements au déroulement de concerts et de répétitions, celles-ci déjà abordées auparavant par Jean-Marie Seca [Seca, 1988 ; 2001]. Marc Perrenoud [2003] a enquêté sur le « musicos » des « musiques populaires actuelles » à travers de nombreux entretiens enregistrés et des observations participantes.
  • [3]
    D’origine polonaise, Katerine est née et a grandi en proche banlieue parisienne, dans un appartement modeste. Son père, aujourd’hui à la retraite, a été peintre en bâtiment. Sa mère, titulaire d’un dess, est travailleuse sociale avec le statut de cadre.
  • [4]
    Pédale échantillonneuse : elle enregistre sur commande une formule jouée ou chantée par l’interprète, puis la répète en boucle à volonté. L’interprète peut alors superposer plusieurs lignes mélodiques et rythmiques, y compris sur scène, sans avoir d’autres musiciens avec lui.
  • [5]
    Émission nocturne de Serge Levaillant, programmée du mardi au vendredi, de 1 h à 4 h 30.
  • [6]
    Interview publiée sur Internet, consultée le 12 mai 2006 à l’adresse hhttp:// macdan. org// article. php3? id_article= 755.
  • [7]
    Y ont enregistré, depuis trente ans, des artistes comme Jacques Higelin, Renaud, Julien Clerc, Johnny Hallyday, Jacques Dutronc, Manu Chao, etc.
  • [8]
    Il dénomme ainsi son rôle lors de l’entretien que j’enregistre avec lui un peu plus tard, et le terme figure sur le livret du cd. Le réalisateur intervient plus complètement sur les chansons que l’ingénieur du son, et travaille sur celles-ci en amont de l’enregistrement.
  • [9]
    Ingénieur du son attaché à Ferber, Laurent Binder est l’assistant d’Antoine sur cet album. En particulier, c’est lui qui manipule l’interface Pro Tools (logiciel d’enregistrement).
  • [10]
    À l’adresse hhhttp:// photo. 163.com/photos/gostcry/54552943/, on trouve des photos de l’un des concerts en Chine.
  • [11]
    Ceci est bien illustré dans les travaux de Fabien Hein [Hein, 2006]. Marc Touché a réfléchi au dialogue matériel du musicien de rock avec les objets et les technologies qu’il utilise, en commençant par les instruments des « musiques amplifiées » (formule que ce chercheur a inventée), mais en étendant cela aux outils de l’amplification, voire aux configurations de lieux, de décor et d’espace [Touché, 1998 ; Douce de la Salle et al., 1998]. Gérald Côté [1998], Olivier Julien [1998, 1999], Albin J. Zak [2001] et Serge Lacasse [1998, 2000] ont montré en quoi le studio et les techniques sonores qui se développent en son sein font partie intégrante des développements esthétiques du rock ou de la pop, donc du travail des musiciens. Le rapport privilégié entre musiciens de rock et objets ou supports de la musique est enfin au centre des travaux de François Ribac [2004].
  • [12]
    Ce qui est habituel pour un groupe de rock [Tassin, 2004].
  • [13]
    Le terme de « forme » est celui qui est utilisé ordinairement en analyse musicale pour désigner l’organisation et l’ordre de succession des différentes parties d’une pièce musicale. Le mot de « structure » est celui qui a été employé, dans cette enquête, par la plupart des acteurs, pour désigner cela, et j’emploierai ici l’un ou l’autre comme s’ils étaient synonymes. Je laisse donc de côté les différences entre ces deux notions, telles qu’elles ont été présentées par exemple par Laurent Cugny [Cugny, 2001 : 65-68] à propos du jazz.
  • [14]
    Le problème soulevé par cette formulation est très dense. La notion même de genre peut être pensée sous un angle formel ou sociologique. On peut se faire une idée des recherches françaises récentes sur le « genre chanson » à travers les travaux de Cécile Prévost-Thomas [Prévost-Thomas, 2006] et de Stéphane Hirschi [1998 ; 1999].
  • [15]
    Retour à l’identique d’une idée musicale autonome, sur des paroles elles aussi inchangées, en alternance régulière avec une musique différente, qui d’ordinaire prend la forme de couplets. Les formes, histoire et fonctions esthétiques ou sociales du refrain ont été étudiées avec profondeur par Maria Spyropoulou Leclanche [1998].
  • [16]
    Un pattern est une courte formule mise en boucle. Il existe des patterns rythmiques, mélodiques, harmoniques, etc.
  • [17]
    Parallèlement à l’observation réalisée sur l’album de Mademoiselle K, j’ai également enquêté sur la création d’un autre album, enregistré presque au même moment (février 2006), par l’auteur-compositeur-interprète Bruno Joubrel. Cet artiste étant différent par son style musical, son parcours, son âge et bien sûr en tant que chanteur homme, la comparaison des deux était révélatrice. Cette deuxième recherche a été menée à travers deux entretiens et des communications de documents divers (traces enregistrées du travail). L’observation directe n’y a pas eu sa place. L’entretien cité ici est le premier des deux, réalisé au Centre universitaire Malesherbes le 12 avril 2005.
  • [18]
    En faisant l’expérience de la scène au cabaret « Chez Georges ».
  • [19]
    Entretien avec Antoine, dans la cabine en sous-sol du studio Ferber, 12 avril 2006.
  • [20]
    Cette confiance est verbalisée dans un mail que m’écrit Mademoiselle K, avant l’enregistrement, durant la phase de préproduction ; et dans l’entretien avec Peter, réalisé juste après l’enregistrement et juste avant le début du mixage.
  • [21]
    Importante parce qu’elle appartient pour Antoine au groupe des quelques-unes qui constituent « l’ossature » de l’album, à savoir dans ce cas celles qui sonnent le plus « rock » (entretien avec Antoine). C’est l’une des deux ou trois qui ont été envisagées pour faire la promotion de l’album. Elle fait partie des quatre mises en écoute, avant la sortie de l’album, sur la page de Mademoiselle K, à l’adresse hhttp:// www. myspace. com/ 01mademoisellek.
  • [22]
    La structure originelle brouille l’alternance d’usage « couplet refrain » ainsi que les autres formes courantes en chanson ou en rock. On a l’enchaînement suivant : intro, couplet, séquence instrumentale (je l’abrégerai en « instru », par la suite), refrain, couplet (très enchaîné au refrain précédent), instru, refrain, digression (moment de liberté vocale sans paroles), couplet, coda sur une nouvelle idée mélodique jouée par la guitare.
  • [23]
    Il est intéressant de noter l’emploi du même mot, « décrocher », par ces deux personnes qui ne se connaissent pas, ne pratiquent pas le même style musical et n’ont pas le même âge (une quinzaine d’années de plus pour B. Joubrel). Ils n’ont pas non plus la même expérience concrète de la pratique chanson, l’un chantant, l’autre enregistrant et mixant, l’un se référant ici à des prestations sur scène, dans les petites salles de ses débuts, l’autre à des écoutes de disques. Quand B. Joubrel confère à la structure le pouvoir d’empêcher les gens de « décrocher », il se réfère à des expériences précises, même si elles sont lointaines et concrètes. La formulation d’Antoine est une espèce d’extrapolation (il parle d’abord de « on » puis de « l’auditeur », enfin de « la personne qui écoute ») dont on ne sait pas à quelles expériences réelles elle renvoie. On peut avoir le sentiment qu’il juge d’après sa propre façon de ressentir la structure de la chanson, et qu’il généralise alors intuitivement à « l’auditeur » (démarche qui n’a rien d’aberrant puisqu’il a bien multiplié des expériences d’écoute et d’efficacité de chansons à travers un parcours professionnel déjà multiple).
  • [24]
    Par exemple la première fois (enchaînement du refrain 1 au couplet 2) : entrée d’une guitare supplémentaire et de la basse sur le couplet, alors que le refrain était accompagné seulement d’une charleston en noires et d’une guitare entrecoupée de silences.
  • [25]
    À deux reprises dans son entretien, Antoine parlant de l’« instru » l’appelle « le refrain ».
  • [26]
    Des doubles-croches de caisse claire sur les backbeats – c’est-à-dire sur le deuxième et le quatrième temps de la mesure à quatre temps.
  • [27]
    Astuce musicale, contraction pour l’anglais « give me a trick ». On trouvera une définition très complète de son rôle de relance ou de densification de l’intérêt musical dans Antoine Hennion [Hennion, 1981].
  • [28]
    Cette double approche permettra d’ailleurs de répondre aux préoccupations récemment exprimées par Denis-Constant Martin [Martin, 2006 : 135] : « penser les phénomènes musicaux aussi globalement que possible, en particulier pour élargir les visions proposées par les analystes anglo-saxons de la popular music et combler le double déficit, d’ethnographie et d’analyse musicale, qu’y lisait Sara Cohen ; pour redonner place aux structures intramusicales, trop souvent délaissées au profit de la recherche interprétative du sens (Middleton, 1993) ».
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