Notes
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[1]
Cet article s’appuie sur les recherches menées en réponse à l’appel d’offres lancé par la Mission du patrimoine ethnologique, « Ethnologie de la relation esthétique ». Voir [Anna Zisman, 2000].
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[2]
Cette investigation dans l’univers privé, à travers les objets qui y sont mis en scène, constitue une tentative d’approcher la sphère intime comme terrain, avec toutes les réserves formulées à ce sujet par Gérard Althabe, 1990 : « Nos interlocuteurs sont pris dans le mouvement de production du privé familial qui, dans notre société, se fait à travers la construction d’une séparation d’avec le public, d’une frontière qui refoule systématiquement l’ethnologue en dehors de cette sphère. »
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[3]
« On ne peut séparer [l’objet] ni de son inventeur, ni de ceux qui l’ont enrichi, ni de ceux qui l’ont utilisé : il est une nébuleuse anthropologique. » [François Dagognet, 1992].
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[4]
« Toutes les activités humaines se traduisent par des objets, et l’on peut dire que, théoriquement, il serait possible de parvenir à la connaissance d’une société en fondant l’observation sur tout ce qu’elle crée ou utilise » [Marcel Griaule, 1933 : 7-12].
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[5]
Michel de La Pradelle, postface à l’article posthume de [Jean Bazin, 2002].
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[6]
C’est ainsi que le vendeur l’a appelé lors de la transaction avec Annie. Cf. paragraphe suivant.
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[7]
Annie veut « s’imprégner » des objets. Cf. la citation de Walter Benjamin, notée plus haut.
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[8]
« On conçoit corrélativement que “l’authentique” enchante son possesseur et lui procure une sensation éminemment névrotique : il s’est approprié ce dont personne ne peut se prévaloir – l’opposé d’une marchandise qui passe indifféremment de main en main et ne retient rien de ces transferts » [François Dagognet, 1989].
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[9]
On peut ici faire référence aux analyses de Jean Baudrillard [1969]. La valeur d’ancienneté, pour Annie, n’est en effet plus un caractère novateur. Elle adopte l’attitude du dandy : le comble de la distinction, c’est d’annoncer qu’elle ne possède qu’un seul objet ancien.
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[10]
« Le véritable beau, ce n’est pas le beau socialement défini comme tel, c’est ce qu’on a soi-même découvert » [Olivier Burgelin, 1967].
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[11]
C’est Awa, la danseuse malienne engagée dans la compagnie pour le spectacle qu’ils ont tourné, qui a parlé à Herman des coutumes du peuple dogon. Considérons qu’elle donne une des interprétations possibles parmi celles, nombreuses, offertes par les interlocuteurs locaux aux étrangers. Herman n’a pas cherché à vérifier la véracité de ces propos.
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[12]
On est ici dans le même cas de figure que pour les statuettes du Zimbabwe d’Annie : magiques, mais pas trop.
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[13]
À propos de l’« art d’aéroport » : « Dans la mesure où ce n’est pas l’objet façonné que cela prétend être, c’est évidemment un faux. Toutefois, dans la mesure où il est acheté en connaissance de cause, c’est authentique. Quand vous regardez le vendeur dans les yeux tout en menant à bien votre achat, il sait que vous savez que c’est un faux (malgré ses dénégations) et vous savez qu’il sait que vous savez, etc. ; il s’agit clairement d’une transaction authentique. En tant que touriste, vous considérez cet achat comme une bonne blague » [David Boron, 1999].
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[14]
Marie-Noël Delorme, « La parure des objets », Recherches poétiques, la présentation, René Passeron [dir.], Paris, éd. du cnrs, 1985.
L’Afrique intime
1Annie, Herman et Mathilde, la chorégraphe, sont membres d’une compagnie de danse contemporaine. Ils effectuent depuis longtemps des tournées internationales qui les mènent dans le monde entier. En décembre 1998, ils rentraient d’un voyage de trois semaines en Afrique. Le spectacle « Pour Antigone » avait ainsi été présenté dans cinq pays (Sénégal, Ghana, Côte-d’Ivoire, Nigeria, Burkina), et les quinze personnes (danseurs, techniciens et personnel administratif) revenaient chacune plus ou moins chargée d’objets glanés sur les marchés artisanaux et dans les boutiques d’antiquités des différents pays. L’expérience qu’ils ont partagée lors de cette tournée ne les a pas laissés indifférents. En effet, tandis que souvent les destinations représentent pour eux presque uniquement des lieux de spectacles uniformisés par l’habitude, ils se sont laissé charmer par l’attrait d’étrangeté que recelaient les pays traversés lors de cette tournée.
2Ces trois personnes que j’ai rencontrées [1] ont voulu me donner l’impression qu’elles n’étaient que très peu impliquées dans leur récit de ce voyage – un voyage comme un autre. Et pourtant, leur attachement à ces objets venus d’ailleurs s’avère au contraire très important.
3L’analyse des entretiens montre en effet ce paradoxe : les membres de la compagnie se positionnent comme étant très détachés de leurs expériences de voyages à l’étranger (après tout, c’est leur métier, ils sont payés pour voyager, ils sont tout sauf des touristes), ils en parlent comme de quelque chose de très banal et même parfois d’un peu ennuyeux (la routine, les relations de groupe, l’impossibilité de visiter réellement le pays), mais la façon dont ils parlent de ce qu’ils ont rapporté dénote qu’ils se projettent totalement dans ces objets venus d’ailleurs, d’un ailleurs qu’ils affectent ne pas avoir cherché.
4Via cette altérité à domicile, c’est en fait eux-mêmes qu’ils observent et exposent. Des objets exotiques comme transfert, comme miroir, comme support d’une narration intime.
5L’enquête a été effectuée au retour des voyageurs. Il s’agissait en effet d’élaborer une analyse à partir de la réflexion que les interlocuteurs eux-mêmes développent à propos des choix et attitudes qu’ils adoptent à l’étranger – et qu’ils mettent en scène à leur retour. Ce travail repose ainsi sur un constat, une autoréflexion élaborée par les personnes interrogées. Nous ne sommes pas là au cœur du processus d’achat, mais dans son « résultat », pris dans un quotidien domestique et privé [2]. L’étude porte ainsi sur un double contexte : celui de l’histoire, du récit de l’expérience vécue en pays étranger ; et celui de l’avant et de l’après-voyage, indirectement évoqués par ceux qui le racontent, et à replacer dans un champ plus large, plus explicite, plus révélateur de la situation ponctuelle vécue lors de la tournée.
6Il a donc fallu effectuer un aller et retour entre le lointain et l’ici, écouter ce qu’on me disait de là-bas et décrypter ce que j’entendais et voyais chez les différents interlocuteurs. Les objets prennent alors un sens à lire à travers les pratiques quotidiennes de leurs possesseurs, à travers les strates de leur existence, s’échappant ainsi de leur condition [3] pour devenir un des éléments de compréhension des rapports de notre société contemporaine avec un ailleurs et un ici qui de plus en plus se mélangent.
7Se mélangent aussi, si l’on se réfère à l’idée de voyage qui guide ce travail, les habitudes méthodologiques appliquées à la recherche anthropologique : dans cette enquête auprès des voyageurs, la relation entre l’ethnologue et les informateurs est en quelque sorte inversée. Ce sont eux qui sont partis. Ce sont eux qui ont choisi et qualifié les objets-témoins. Et ce sont eux qui les exposent.
8Car s’il ne s’agit pas d’objets véritablement muséographiés, ils sont bien pourtant mis en scène, ayant acquis le statut de signifiant dans l’environnement privé des membres de la compagnie, qui entretiennent avec eux une relation très privilégiée, quasi fusionnelle.
9Annie, Herman et Mathilde ne sont pas collectionneurs. La façon dont ils investissent les objets qu’ils ont rapportés d’Afrique évoque pourtant parfaitement l’analyse de Walter Benjamin : « Pour le collectionneur, la possession est le rapport le plus profond que l’on puisse avoir avec les choses : ce ne sont pas elles qui vivent en lui, mais lui qui habite en elles » [1998 (1931) : 159172, 172].
10C’est cette fusion que le travail présenté ici décrypte et remet en scène à travers une incursion dans le rapport intime à l’objet d’« ailleurs ». Nous sommes ici dans le domaine du récit, de la description-démonstration, dont ce texte, dans sa forme narrative, tente de rendre à la fois l’évidence de ce qui se laisse montrer et la ténuité de ce qui se laisse dire.
11À l’instar de la « topo-analyse » proposée par Gaston Bachelard pour montrer comment les souvenirs liés aux premiers lieux que nous avons habités continuent d’investir l’espace des différentes maisons que l’on occupe ensuite [1957 : 27-28], c’est ici la mise en application d’une sorte d’« objet-analyse » qui est présentée. Les objets sont évalués comme un outil de réflexion sur l’individu. La démarche se différencie en cela de celle adoptée par un large courant de l’anthropologie, qui étudie en eux une société tout entière [4], devant ainsi les considérer, selon la jolie formule de Michèle de La Pradelle, comme des « précipités de sens et d’essence culturelle » [5].
12C’est plutôt dans leur relation personnelle avec ce qu’ils ont choisi de rapporter d’Afrique, ce lointain pays, que le rapport entre les interlocuteurs et les objets sera ici interrogé ; chacune des personnes rencontrées envisagée dans sa propre singularité – son histoire, son quotidien, sa culture aussi, bien sûr. Chacun des objets redéfini dans le cadre de ce qui le rattache à son propriétaire actuel – le choix, l’achat, l’installation dans le domicile montpelliérain.
13Dans la perspective ainsi adoptée, l’objet n’exprime pas la personne qui le possède ; et l’individu n’éclaire pas l’objet. C’est leur association qui fait sens, et qui les fait s’incarner l’un par rapport à l’autre, l’un dans l’autre.
Annie, statue dogon
14Annie vit dans les cartons depuis une semaine. Elle fait faire des travaux de peinture et de plomberie dans son appartement. Tous les murs seront blancs. Elle ouvre les caisses marquées « fragile » pour me montrer les objets qu’elle a rapportés de ses voyages en Afrique. Depuis quinze ans qu’elle travaille comme scénographe avec Mathilde Monnier, elle y est allée quatre fois.
15Annie se promène dans la grande pièce du salon et me désigne les emplacements habituels de ce qu’elle sort précautionneusement des caisses. Sur le bar de la cuisine américaine, il y a les deux statuettes qui viennent du Zimbabwe. À côté, elle installe deux plats namibiens, où elle dispose habituellement des fruits. Sur son bureau, la statue dogon. Accrochée au mur, une boîte provenant du Zaïre, qu’elle qualifie de garde-manger. En face, sur le mur aussi, un « tissu de baptême » [6].
16Chacun de ces objets a une histoire, une raison d’être ici.
17Les deux statuettes du Zimbabwe ne lui ont appartenu qu’après plus d’une heure de discussion avec la femme qui les vendait sur un marché. Mais ça n’était pas du marchandage. Non, « c’était un très beau rapport entre nous. On a beaucoup parlé, de tout et de rien. En fait, elle était contente que ces deux objets aillent chez moi. “Ça va te porter bonheur”, elle m’a dit. Et puis elle m’a offert un cendrier ». Annie a besoin de faire en sorte qu’elle puisse considérer l’échange marchand comme un acte affectif. Elle n’a pas seulement décidé de s’approprier les statues. Elle a voulu instituer, pendant la transaction, une relation dont elle puisse se souvenir aujourd’hui comme de quelque chose de « beau », de « fort » : « Souvent, je n’achète pas tout de suite. Quand je repère un objet, je repasse ensuite plusieurs fois. Pour m’imprégner. Pour vivre autre chose que simplement acheter pour posséder. » [7] Les deux personnages de bois, très allongés, très filiformes, à l’instabilité fragile mais sûre, induisent désormais l’échange verbal (culturel ?) qu’Annie s’est efforcée d’établir avec la vendeuse africaine. Pourtant, elle sait bien que ni l’une ni l’autre ne croyaient réellement à la valeur magique, porte-bonheur, des statuettes. Annie est cependant rentrée dans le jeu, séduite par la différence de culture que toutes deux ont mise en œuvre et savamment cultivée. Elle cherchait à avoir un « vrai » rapport d’Européenne à Africaine. Le rationalisme face à la magie. Elle est satisfaite. Les statuettes sont maintenant chez elle, certainement pas magiques, mais portent en elles le contraste qu’elle est allée chercher sur ce marché africain. Entre réalité et magie, entre matérialisme et symbolique, elles affirment que chaque chose, chaque culture, est bien restée en place. En annonçant d’emblée leur caractère pseudo-magique, Annie se positionne dans les cadres de ses références.
18Les plats en terre namibiens sont juste « de la déco ». Rapidement achetés, très facilement intégrés dans l’espace domestique, ils sont fonctionnels. Ils échappent un peu à Annie, qui les voit disparaître sous les fruits qu’elle a l’habitude d’y mettre. Parce qu’ils existent par eux-mêmes, Annie ne peut les investir. Ils ont une vie parallèle. Ils ne lui appartiennent pas vraiment. « Ça amène de la couleur mais sans plus. Mais j’y tiens quand même. Comme ils sont faits à la main, ils sont uniques, ces objets. » Voilà finalement ce qui permet à Annie de les appréhender. Ils sont uniques, donc authentiques ; elle en est donc la seule détentrice [8]. Et c’est cela qui les rend intéressants et les charge d’une valeur esthétique, en quelque sorte détournée par le seul fait de leur unicité. Le caractère artisanal de ces plats leur confère une aura dont Annie a besoin pour les habiter. Ils sont comme un prolongement matériel de son quotidien. Elle ne les met donc pas en situation d’exposition : elle préfère s’en servir comme d’objets « réels », dans la banalité qui fait la vie de tous les jours.
19Le garde-manger en bois date du début du siècle. « C’est le seul objet ancien que j’aie. » [9] À Nairobi, tandis qu’elle déjeunait, Marco, un technicien de la compagnie, est arrivé en disant qu’il avait vu un entrepôt débordant d’objets. Annie a abandonné son repas et s’y est précipitée. Une femme était là, qui lui a expliqué que la vente aux enchères d’un collectionneur s’était achevée la veille, et que tout avait été vendu. Il restait juste cette boîte accrochée à un cordon, qu’elle lui a cédée pour la somme de sa mise à prix, 1 500 francs. Cette fois aussi, Annie a beaucoup parlé, beaucoup écouté. Les deux femmes se sont promenées entre les objets, Annie a emporté celui qui restait à vendre. Celui-là ou un autre, peu importait. Annie goûte aux plaisirs du hasard, qui transforment l’acte d’achat en aventure. Un hasard qui donne aux objets une beauté particulière [10]. Ainsi, tout de suite, elle s’est projetée dans cet objet dont elle ne connaît pas vraiment la destination – ni la réelle ancienneté, qu’elle estime à une centaine d’années – pour ce qu’il dit d’elle-même. Parce qu’elle avait décidé de l’acheter, et que désormais il serait une parcelle de ce qui constitue son univers. Ou plutôt : il serait une parcelle de l’univers qu’elle choisit de se constituer. Il y a en effet une étonnante dualité dans cette opposition entre hasard et choix. Annie choisit son hasard…
20Le vendeur du « tissu de baptême » lui a raconté que des bébés avaient été enveloppés dedans, lors de la cérémonie religieuse. « J’ai eu d’abord un échange culturel avec lui. » Elle n’a pas vérifié l’authenticité de ses propos. Elle a acheté sa rencontre avec cet homme, qui, sur un marché à Abidjan, lui a parlé d’une Afrique à ramener par bribes de tissus.
21Annie s’entoure des relations qu’elle tisse avec les vendeurs. Les conversations précédant l’achat et les récits qu’elle en fait sont quasiment plus importants que les objets eux-mêmes. Ils sont en fait de véritables sujets esthétiques, qui transcendent l’existence même des objets. D’autant plus que c’est Annie qui décide de l’intérêt de ce qu’on lui dit. Annie invente et façonne la légende de ses objets.
22Quant à la statue dogon, elle exprime la sûreté de son goût de scénographe. « J’ai été la première à en acheter. » Bon nombre des membres de la compagnie l’ont ensuite suivie. « Mais moi, c’était il y a déjà six ans. C’est que j’ai un œil. J’ai une mémoire visuelle terrible. J’incorpore très vite. Je chope les formes, les volumes, les couleurs. » Sur le bureau, la femme penchée témoigne : Annie connaît son travail, Annie sait ce qui est beau, Annie communique avec les objets qu’elle parvient à rendre nécessaires, Annie est précurseur. Annie la laisse parler pour elle. Annie s’en remet à elle. Le charme de la statue opère : Annie et la femme dogon ne font plus qu’une, elles se régénèrent l’une l’autre, elles existent l’une par l’autre. Et la beauté fusionne de l’une à l’autre. L’objet vit ; Annie s’expose. Transfert de statuts.
23Depuis toutes ces années où la compagnie tourne dans le monde entier, Annie s’est en effet taillé une réputation d’expert en objets exotiques. Tandis qu’elle achète, elle consolide son rôle de spécialiste de l’espace scénique à aménager. Elle se pose même comme une initiatrice de modes : « Dans les marchés pour touristes, où je n’achète jamais, il y a toujours des objets un peu “aéroport”. Ils essaient d’adapter la mode au goût du touriste. Une fois, à Ouagadougou, je parlais avec des gens qui tenaient un stand de cartes postales peintes. C’était toujours le même genre d’images pseudo-traditionnelles, du style : des femmes qui pilent le mil. Je leur ai fait remarquer que maintenant, il y a plein de femmes qui se baladent en scooter, et que ça devient aussi une image typique. Quelques jours après, je suis repassée, et il y avait des cartes postales de femmes en scooter ! » Annie sait ce qui est beau – ce qui devrait plaire au moins –, au point de faire le beau. La scénographe distingue d’ailleurs la portée de son impact, suivant qu’elle évalue l’esthétique d’un objet dans des pays comme ceux qu’elle a traversés en Afrique, ou en France. Ici, elle n’achète rien. Pas de bibelots, pas de tableaux, juste le mobilier nécessaire. Juste l’utilitaire, ce qui n’est pas censé traduire un choix esthétique. Rien qui puisse affirmer ses goûts. Ici, elle se sent trop canalisée dans son choix. Tout est déjà codifié, elle ne peut intervenir pour juger par elle même. Les objets s’affichent comme de beaux objets, sans qu’elle l’ait décidé. Là-bas, ailleurs, là où elle imagine que son avis semble avoir plus de poids, en Afrique, elle se sent au contraire plus libre d’exercer son pouvoir de transformer l’anecdotique en esthétique. « En Afrique, j’accomplis un acte. C’est moi qui choisis, c’est moi qui dis que c’est beau, tandis qu’en France, on achète quelque chose qui est qualifié de beau. » Annie a besoin d’être à l’origine du sentiment qu’elle éprouve pour les objets qu’elle intègre dans son intérieur. Elle les considère presque comme inachevés, malléables – sans âme encore, sans son âme. Finalement, c’est grâce à elle qu’ils sont beaux. C’est parce qu’elle les a vus et les a nourris de son désir de juger le beau. Son emprise sur eux est totale. Elle les anime jusqu’à leur donner l’image de l’ensemble de sa conception d’une esthétique contemporaine, dont elle voudrait exclusivement faire son univers. Sa profession l’amène à penser l’espace comme un art ; et les objets dont elle s’entoure doivent démontrer un certain art de vivre. Elle leur délègue la faculté de dire qui elle est.
24À travers ces objets qu’elle est allée trouver loin de chez elle, Annie constitue son environnement quotidien. Dans le salon de son appartement, cette pièce publique du privé, elle se définit avec ces éléments venus d’ailleurs, qui désormais mieux que rien d’autre parlent de sa relation intime aux formes, à la vie, à son travail. Ils ne sont désormais plus africains, ils ont perdu leur origine lointaine, ils viennent de nulle part ; ils sont simplement chez Annie, sans passé, sans attaches, sans culture. Ils se sont vidés de toute leur substance préalable pour opérer leur transmutation. Ils sont Annie ; et Annie vit en eux.
Herman, « si beau, si fin, si long »
25Cela fait à peine deux mois qu’Herman occupe cet appartement du sixième étage, duquel on voit les toits de tuiles rondes du centre-ville montpelliérain. C’est un petit trois pièces très bien aménagé ; les fenêtres à double vitrage ne laissent rien passer du bruit et du vent du dehors, la moquette rase et grise est aussi nette que celle d’un bureau, les murs sont blancs, l’électricité et la plomberie ont été refaites à neuf. Herman s’y sent bien. Il espère que l’atmosphère confortable de son nouveau lieu de vie l’aidera à recomposer un quotidien qui le mine depuis sa récente séparation d’avec son compagnon. Maintenant qu’il est rentré d’Afrique, il commence tout juste à vraiment habiter ici. Mais tout est déjà en place : il n’y a plus de cartons à vider, les livres sont alignés sur les rayons de la bibliothèque du salon, la cuisine est fonctionnelle, la chambre est devenue sa chambre, la table du coin repas offre des produits frais qu’il est allé acheter au marché. Il n’y a que la chambre d’amis qui dégage une sorte de flou dans l’aménagement de l’appartement. Elle est encore inorganisée. Sur le lit sont disposés des objets en attente d’être intégrés, rien n’a été accroché au mur, il n’y a pas de rallonge électrique à la lampe de chevet.
26Une semaine après son retour du Burkina, presque tout ce qu’Herman a rapporté d’Afrique s’est inséré dans cet intérieur qu’il avait commencé d’élaborer juste avant son départ en tournée.
27La statue dogon est la première chose que l’on remarque en pénétrant dans l’appartement. L’homme courbé et barbu en bois clair est placé juste derrière la porte d’entrée. Du haut de ses cinquante centimètres, il semble être là pour accueillir les visiteurs. Sa tête apparaît de profil, tournée vers le salon, son corps de face, nu. Il est aux côtés d’Herman lorsque la porte s’ouvre. Ils sont deux. Le grand et le petit, l’Africain et le blond hollandais, le danseur et l’incarnation de l’immobilité, le danseur et celui qui défie les lois de l’équilibre dans une improbable courbure. « De celui-là, j’en suis vraiment content », se satisfait Herman en regardant la statue avec une tendresse amicale. Ce n’est certes pas une antiquité, de celles dont on lui a dit qu’on les trouve peut-être au Mali si l’on a la chance d’entrer en contact avec une famille en deuil cherchant à se débarrasser de ce fétiche qui porte malheur après un décès [11], mais elle n’est pas non plus tout juste sortie de derrière l’étalage d’un marché pour touristes. Il pense qu’il détient un objet qui n’est ni authentique, ni artificiel, ce qui rapproche d’autant plus la statue de lui-même. En effet, s’il lui avait accordé le statut d’authenticité, n’aurait-elle pas plus appartenu à ceux qui l’auraient investie de ce pouvoir magique, attribut dont il ne possède nullement les clés [12] ? En n’étant pas authentique, la statue est moins africaine, moins l’Autre, et plus lui. Enfin, elle n’est pas non plus artificielle, puisqu’elle est vivante : c’est Herman qui l’habite.
28Il l’a achetée chez un antiquaire de Ouagadougou, après, précise-t-il avec une fierté non dissimulée, une heure de marchandage. « Le vendeur s’accrochait à sa statue ! » Or, ce n’est pas une éventuelle bonne affaire qu’Herman met en avant, mais l’attachement à l’objet qu’aurait laissé transparaître le vendeur. Si l’on reprend, encore une fois, les mots de Walter Benjamin, Herman laisse croire qu’il a senti chez son interlocuteur une réelle difficulté à quitter l’habitacle de la statue… Cette construction l’aide à penser que l’antiquaire entretenait avec cet objet un rapport de collectionneur. Il a désormais pris la place du vendeur dans l’objet.
29La statue d’homme barbu était à l’origine accompagnée d’une femme, courbée comme lui, taillée dans le même bois. Pour huit cents francs, Herman et Dimitri, un autre danseur de la compagnie, les ont emportés. Dimitri a gardé la femme. Herman aime sa statue, qui lui évoque « un certain physique des Africains, si beaux, si fins, si longs ». Elle lui fait penser aussi aux sculptures de Giacometti. Mais il ne l’aurait pourtant sûrement pas achetée en France. Il n’aurait pas eu d’empathie pour ce monsieur, qui parle pourtant pour lui de certaines de ses préoccupations professionnelles – l’équilibre, l’immobilité, la posture antinaturelle. Finalement, il ne l’aurait tout simplement pas considéré, pas vu. Parce que chez l’Autre, c’est lui-même qu’il poursuit ; ici, il sait qu’il est là. Il ne cherche pas.
30La statue dogon d’Herman a ainsi passé avec succès toutes les étapes de la menace de désenchantement auxquelles elle a été soumise depuis son achat à Ouagadougou. Elle n’était pas destinée aux touristes attendus dans les marchés d’artisanat local. Son acquisition a nécessité de fines négociations avec le vendeur. Elle n’a été découverte par Herman qu’à la dernière étape de la tournée : « Au fil du voyage, l’objet acheté perd de son originalité et de sa beauté ; ou alors aussi, on se rend compte après qu’il y a beaucoup plus beau. » Awa (la danseuse malienne [cf. note 11] l’a trouvée belle, tandis que les Africains de la compagnie ont souvent tendance à mépriser ces objets convoités par les Européens, « la plupart du temps uniquement fabriqués pour les Blancs, qui sont les seuls à les trouver beaux, comme les bibelots en tours Eiffel à Paris », analyse Herman. Dans ce processus, Herman n’est pas Blanc, il n’est pas Noir. Il est celui qui a vu la statue, et qui s’est infiltré en elle. Enfin, la statue a tout de suite trouvé une place dans son nouvel environnement. Elle reste belle ici, chargée de tout ce qu’il a bien voulu mettre en elle, dégageant, aux côtés du mobilier « Habitat », un sens et une esthétique revendiqués par son propriétaire. Herman se reconnaît dans l’attitude de la statuette dogon. C’est peut-être son double idéal, dans son équilibre à la fois périlleux et parfait. Cet homme barbu, si beau, si touchant, ce doit être lui. Il ne représente plus nécessairement la culture africaine dont il est issu. Il n’est plus l’émissaire d’un exotisme à ramener chez soi. Il est l’image de celui qui a choisi de l’inviter à habiter avec lui. Ils vivent désormais en symbiose.
31Ce n’est pas le cas de tous les objets qu’il a rapportés de cette tournée. Certains, comme cette tenture tissée et brodée à la main restée pliée sur le lit de la chambre d’amis, ne sont pas encore parvenus à occuper l’espace quotidien de l’appartement d’Herman. Deux masques allongés en bois peint sont posés sur la pièce de tissu ; ils ne trouvent pas leur mur. Il y a ces deux « bâtons de marche » sculptés, polis, surmontés d’un pommeau en forme de tête d’homme, posés contre le mur, à côté de la table du salon. Pas vraiment mis en évidence, ils se détachent pourtant bien sur le blanc de la pièce. Herman les a achetés à l’aéroport. Se situant tout d’abord dans le schéma habituel de la quête d’un récit, il a voulu connaître leur origine. Mais l’employée de la boutique n’a pas pu le renseigner. « En fait, je m’en fous. Je les trouve beaux. Et tant pis si je les ai trouvés dans le pire endroit à touristes ! » Ainsi, sans histoire, sans un sens à donner à l’absurdité de ces bâtons de marche, il adopte une autre attitude, celle du touriste complice, qui ne s’en laisse pas conter [13]. Il revendique finalement d’avoir le pouvoir de décréter qu’ils sont beaux.
32Quant aux trois plats en terre qu’il a rangés dans un placard au-dessus de l’évier, il ne croit pas que les membres d’une tribu aient véritablement mangé dedans, comme on le lui a pourtant laissé entendre lors de l’achat. Mais il continue à les aimer, à y mettre sa propre cuisine, « tout simplement parce qu’ils sont beaux, même s’ils ne [lui] rappellent pas l’Afrique ». À travers ces plats s’opère ainsi, comme pour les coupes à fruits d’Annie, une réincarnation domestique, dernier stade de la déqualification sentimentale et esthétique des objets – avant l’abandon total.
33C’est le sort qu’Herman a réservé à un masque de cérémonie qu’il a fini par donner à sa voisine, parce qu’il ne savait plus ce qui lui avait plu en lui, parce qu’il l’avait acheté trop vite, parce qu’il ne savait pas ce qu’il faisait chez lui, intrus parmi les objets de sa vie quotidienne, absent de lui-même, ni beau ni laid, juste étranger à son univers. Il ne se reconnaissait pas dans ce masque.
34Ces objets soudain devenus incongrus au retour en France sont le résultat de ce qu’Herman qualifie de « pression du groupe ». À quinze sur un marché, entre deux dates de spectacle, avec l’idée que demain on repart vers un autre pays, il lui semble que chacun se sent contraint de trouver quelque chose à rapporter. C’est à celui qui marchandera le plus habilement, à celui qui découvrira la meilleure boutique, à celui qui sortira victorieux de ce parcours du touriste, à celui qui réussira à débusquer tous les pièges, tant ceux élaborés par les vendeurs que ceux produits par l’émulation dégagée entre chacun des membres de la compagnie. Depuis presque quinze ans qu’il tourne dans le monde entier, Herman n’est pas parvenu à s’affranchir de cette quasi-frénésie de réussite touristique, quand bien même il ne voyage que dans le cadre de son travail. Il est touriste malgré lui, il achète parfois malgré lui aussi ; la beauté et l’intérêt de ce qu’il rapporte se révèlent seulement à son retour, quand il est enfin seul avec ses objets et parvient à déceler en eux ce qui lui permet de se retrouver un peu lui-même.
Mathilde, statuette têtue
35La première chose dont parle Mathilde lorsqu’elle évoque les objets qu’elle a rapportés d’Afrique, c’est d’une statuette mossi qu’elle a offerte à un ami « très cher » – et qui ne se trouve donc pas chez elle. Pourtant, elle tient à me la décrire et à me raconter comme elle la trouve belle, avec son « air têtu, son front bombé, comme celui de Salia et Blandine », les deux danseurs burkinabés qui participent à son spectacle. La statuette mesure vingt centimètres de haut, elle est en bois et de facture « très primitive ». On ne distingue que les formes proéminentes de son corps : ses seins, son nez, et son front.
36Dans l’immense magasin d’antiquités de Ouagadougou qu’elle arpentait, Mathilde ne trouvait rien qui lui accroche le regard. Le propriétaire de la boutique, un Français, lui proposa alors de venir observer quelques pièces entreposées dans son propre domicile. La statuette lui est alors apparue comme une évidence, comme une nécessité, comme quelque chose qui lui parlait déjà. Mais elle appartenait à la mère du vendeur, qui ne voulait pas s’en séparer. À force de conviction, Mathilde parvint cependant à l’emporter. « Elle me l’a vendue à contrecœur. » L’acquisition de cette statuette correspond au degré ultime de l’acte d’appropriation. Mieux que d’acheter un objet qui ne serait pas destiné aux touristes, mieux que de provoquer le hasard, mieux que de chercher l’authenticité, Mathilde achète chez le vendeur ce qui justement lui a été présenté comme quelque chose qui n’était pas à vendre. Même si, encore une fois, elle n’est peut-être pas vraiment dupe, elle a pourtant le sentiment de transgresser les codes habituels, formulés ainsi par Marie-Noël Delorme : « L’objet est d’abord montré pour qu’on veuille le posséder, puis il est possédé pour être montré en réponse. » [14] En ce qui concerne Mathilde, l’objet acheté ne sera pas montré, mais offert ; ce qui peut constituer une manière encore plus évidente de montrer, justement, de se montrer. Se procurer dans le domicile du commerçant un objet à installer chez l’homme qu’elle aime : via la statuette à l’air têtu, Mathilde rappelle qu’elle habite un peu chez lui et marque ainsi son territoire.
37« Elle n’est pas finie, c’est ça qui me plaît en elle. » En qualifiant ainsi cet objet d’inachevé, elle prolonge son emprise sur lui. Il continue d’exister et d’évoluer par l’attention qu’elle lui porte. Mathilde est une créatrice ; elle évoque la statuette comme elle le fait de son propre travail, jamais achevé, toujours en cours. Elle persiste aujourd’hui à communiquer à travers elle, même si la femme mossi n’habite pas les rayonnages de son spacieux appartement du rez-de-chaussée d’un hôtel particulier du centre historique de Montpellier. Mathilde montre ses spectacles, Mathilde s’exporte chez les autres.
38Les deux autres objets qu’elle préfère sont couchés sur le haut de la bibliothèque du salon. Un homme et une femme dogons. Là-haut, ils semblent attendre que Mathilde ait à nouveau besoin de les regarder pour retrouver leur position verticale. Cela fait six ans qu’elle les a achetés au Mali, lors d’une précédente tournée. Comme Annie, la scénographe, elle dit être la première, parmi les membres de la compagnie, à les avoir remarqués, à les avoir aimés. Initiatrice de goûts, elle aussi. Comme Annie. Toutes les deux ont ce même double rapport à l’esthétique de l’objet, et ne sont pas prêtes à céder leur place. Elles défendent leur rôle de précurseur. Ce qu’elles trouvent beau doit être vierge et représenter ainsi leur avancée personnelle dans l’univers des objets qui les définissent auprès de leur famille professionnelle.
39Mathilde insiste donc : elle est la première à avoir pu admirer la posture troublante de ces statues dogon, « à la fois légères et lourdes », démontrant à la perfection « le rapport de l’axe gravitationnel avec l’axe d’orientation. Chaque fois que je les observe, ça me fait travailler ». Elle les avait d’ailleurs apportés au Centre chorégraphique national de Montpellier qu’elle dirige pour qu’ils l’aident à animer un atelier, « pour que chacun se questionne sur cette sorte de mystère de l’équilibre ». Mathilde se nourrit de ses Dogons ; c’est justement pour cela qu’elle tient à ne pas trop éroder leur force évocatrice, les rangera ainsi parfois à l’abri de son regard inquisiteur. Elle ne parle pas d’un éventuel pouvoir magique, importé de leur pays d’origine qu’elle ne mentionne d’ailleurs même pas, mais d’une force dont ils sont investis qu’il ne faut pas dilapider : sa propre force créatrice. Vidés de toute connotation d’altérité, ils sont désormais les dépositaires de son inspiration ; elle va puiser en eux ce qu’elle abrite elle-même. Elle scrute en eux quelle chorégraphe elle est.
40Pour d’autres objets, le destin se réduit parfois à rejoindre un placard. Parce qu’ils se sont vidés de leur émotion, parce que Mathilde ne retrouve plus rien de ce qu’elle avait mis en eux. Elle revendique de ne pas rapporter d’objets insignifiants de ses très nombreux voyages à l’étranger ; et chez elle, elle ne laisse à sa vue rien qui soit devenu stérile exposé. Mathilde aime les objets – ses objets – au point de ne pas vouloir risquer de gâcher l’énergie qu’elle leur transmet en la laissant se perdre dans un non-regard, dans un regard qui ne voit plus. Alors elle range, elle cache.
41Les motos en fer-blanc de boîtes de conserve rapportées il y a quelques années d’Afrique ne veulent plus rien dire aujourd’hui. Elles se sont banalisées depuis qu’on les trouve dans tous les magasins européens d’objets exotiques. Elles sont dans un placard [Baudrillard, 1969].
42Les poupées en tissu et perles d’Afrique du Sud restent en sursis sur un meuble du couloir ; bientôt, elles seront à l’intérieur. Les tambours plats et carrés commandés en Guinée sont accrochés au mur. Ils devaient servir pour un de ses spectacles ; ils sont finalement ici pour lui dire ce qu’ils ont à lui communiquer. Il y a aussi, sur un autre mur du salon, deux petits masques namibiens. Leurs couleurs évoquent à la danseuse chorégraphe le courant avant-gardiste russe ; et c’est Nijinski qu’elle voit à travers eux. Les Dogons ; les masques ; Nijinski ; une famille d’adoption ; une famille que Mathilde s’est choisie et qu’elle habite de sa réflexion artistique.
43Mathilde sait toujours exactement pourquoi un objet lui plaît. Elle ne se sent pas influencée par la fièvre de découverte qui atteint les autres membres de la compagnie lors des tournées à l’étranger. « J’ai horreur des appartements où il y a de beaux objets. » Elle aime les choses quand elle en a besoin. Elle trouve en elles quelque chose – une partie d’elle-même – qui l’aide à continuer de créer. Ces objets sont ses outils. Des boîtes qu’elle remplit de ses émotions, et qu’elle ouvre de temps en temps. Au risque de les vider et, en les faisant disparaître derrière une porte de placard, disparaître un peu elle aussi.
44Revenons au collectionneur de Walter Benjamin : « Il fait son affaire de l’idéalisation des objets » [W. Benjamin, 1991, (1939)]. Finalement, Annie, Herman et Mathilde sont des collectionneurs ; des collectionneurs de miroirs. « Miroir ! Ô mon beau miroir ! Dis-moi qui… »
45Une « objet-analyse » qui ne pourrait être finalement réellement pratiquée que dans un face-à-face avec soi-même… Et l’anthropologue, lui, serait derrière le miroir ? Qu’y a-t-il d’autre, en fait, entre l’intime et la connaissance scientifique, que ce miroir, à la fois rempart et reflet ? ?
Bibliographie
Références bibliographiques
- Affergan Francis, 1987, Exotisme et altérité, Paris, puf.
- Althabe Gérard, 1990, « Ethnologie du contemporain et enquête de terrain », Terrain, no 14.
- Augé Marc, 1994, Pour une anthropologie des mondes contemporains, Paris, Aubier.
- – 1997, L’impossible voyage ; le tourisme et ses images, Paris, Rivages.
- Bachelard Gaston, 1957, La poétique de l’espace, Paris, puf.
- Barthes Roland, 1957, Mythologies, Paris, Seuil.
- – 1970, L’empire des signes, Genève, Skira.
- Baudrillard Jean, 1968, Le système des objets, Paris, Gallimard.
- – 1969, « La morale des objets. Fonction-signe et logique de classe », Communications, no 13, Paris, Seuil.
- Bazin Jean, 2002, « N’importe quoi », Musée Cannibale, Neuchâtel, Musée d’ethnographie.
- Benjamin Walter, 1991 [1939], « Paris, capitale du xixe siècle », chap. « Louis-Philippe ou l’intérieur », Écrits français, Paris, Gallimard.
- – 1998 [1931], « Je déballe ma bibliothèque », Images de pensée, Paris, Christian Bourgois.
- Boron David, 1999, « Des faux authentiques. Tourisme versus pèlerinage », Terrain, no 33.
- Burgelin Olivier, 1967, « Le tourisme jugé » dans « Vacances et tourisme », Communications, no 10, Paris, Seuil.
- Dagognet François, 1989, Éloge de l’objet : pour une philosophie de la marchandise, Paris, Vrin.
- – 1992, Pour l’art d’aujourd’hui. De l’objet de l’art à l’art de l’objet, Paris, Dis-voir.
- Goffman Erwin, 1956, La mise en scène de la vie quotidienne. 1. La présentation de soi, Paris, éd. de Minuit.
- Griaule Marcel, 1933, « Introduction méthodologique », Minotaure, 2, Paris, Skira.
- Prado Patrick, « Faut-il mettre un porte-bouteilles dans un musée de société ? », article en ligne, www.memoire-etat.fr.st
- Zisman Anna, 2000, Les objets du tourisme à l’étranger. Une beauté faire-valoir ? Étude au retour de voyages, rapport de recherche pour la Mission du patrimoine ethnologique.
Notes
-
[1]
Cet article s’appuie sur les recherches menées en réponse à l’appel d’offres lancé par la Mission du patrimoine ethnologique, « Ethnologie de la relation esthétique ». Voir [Anna Zisman, 2000].
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[2]
Cette investigation dans l’univers privé, à travers les objets qui y sont mis en scène, constitue une tentative d’approcher la sphère intime comme terrain, avec toutes les réserves formulées à ce sujet par Gérard Althabe, 1990 : « Nos interlocuteurs sont pris dans le mouvement de production du privé familial qui, dans notre société, se fait à travers la construction d’une séparation d’avec le public, d’une frontière qui refoule systématiquement l’ethnologue en dehors de cette sphère. »
-
[3]
« On ne peut séparer [l’objet] ni de son inventeur, ni de ceux qui l’ont enrichi, ni de ceux qui l’ont utilisé : il est une nébuleuse anthropologique. » [François Dagognet, 1992].
-
[4]
« Toutes les activités humaines se traduisent par des objets, et l’on peut dire que, théoriquement, il serait possible de parvenir à la connaissance d’une société en fondant l’observation sur tout ce qu’elle crée ou utilise » [Marcel Griaule, 1933 : 7-12].
-
[5]
Michel de La Pradelle, postface à l’article posthume de [Jean Bazin, 2002].
-
[6]
C’est ainsi que le vendeur l’a appelé lors de la transaction avec Annie. Cf. paragraphe suivant.
-
[7]
Annie veut « s’imprégner » des objets. Cf. la citation de Walter Benjamin, notée plus haut.
-
[8]
« On conçoit corrélativement que “l’authentique” enchante son possesseur et lui procure une sensation éminemment névrotique : il s’est approprié ce dont personne ne peut se prévaloir – l’opposé d’une marchandise qui passe indifféremment de main en main et ne retient rien de ces transferts » [François Dagognet, 1989].
-
[9]
On peut ici faire référence aux analyses de Jean Baudrillard [1969]. La valeur d’ancienneté, pour Annie, n’est en effet plus un caractère novateur. Elle adopte l’attitude du dandy : le comble de la distinction, c’est d’annoncer qu’elle ne possède qu’un seul objet ancien.
-
[10]
« Le véritable beau, ce n’est pas le beau socialement défini comme tel, c’est ce qu’on a soi-même découvert » [Olivier Burgelin, 1967].
-
[11]
C’est Awa, la danseuse malienne engagée dans la compagnie pour le spectacle qu’ils ont tourné, qui a parlé à Herman des coutumes du peuple dogon. Considérons qu’elle donne une des interprétations possibles parmi celles, nombreuses, offertes par les interlocuteurs locaux aux étrangers. Herman n’a pas cherché à vérifier la véracité de ces propos.
-
[12]
On est ici dans le même cas de figure que pour les statuettes du Zimbabwe d’Annie : magiques, mais pas trop.
-
[13]
À propos de l’« art d’aéroport » : « Dans la mesure où ce n’est pas l’objet façonné que cela prétend être, c’est évidemment un faux. Toutefois, dans la mesure où il est acheté en connaissance de cause, c’est authentique. Quand vous regardez le vendeur dans les yeux tout en menant à bien votre achat, il sait que vous savez que c’est un faux (malgré ses dénégations) et vous savez qu’il sait que vous savez, etc. ; il s’agit clairement d’une transaction authentique. En tant que touriste, vous considérez cet achat comme une bonne blague » [David Boron, 1999].
-
[14]
Marie-Noël Delorme, « La parure des objets », Recherches poétiques, la présentation, René Passeron [dir.], Paris, éd. du cnrs, 1985.