Couverture de ETHN_041

Article de revue

La montagne, le hameau et le prophète de malheur

Histoire d'un risque moderne

Pages 49 à 57

Notes

  • [1]
    J’ai été impliquée dans l’affaire à trois titres, d’abord comme sociologue dans le cadre de l’étude de vulnérabilité dont il est dit un mot plus loin (1995-1996), puis comme consultante du préfet dans l’ultime épisode critique de l’histoire (1997), et enfin pour une recherche financée par le Contrat Plan État-Rhône Alpes [Decrop et al., 1997].
  • [2]
    Service faisant partie de l’Office national des forêts (onf).
  • [3]
    Par exemple, ils soupçonneront qu’un projet inavouable d’autoroute se dissimule derrière le risque.
  • [4]
    Pour mettre en œuvre son projet, il a dû néanmoins remonter le courant des démissions de responsabilités en cascade qui ont dégradé la situation jusqu’au point décrit ici. On ne s’appesantira pas ici sur cette face peu glorieuse de l’affaire, qui, pourtant, en fut un ingrédient agissant. Il suffira juste de signaler ici qu’une fois la crise dénouée, l’administration n’eut rien de plus pressé que de muter ce chef de service dans un poste obscur.
  • [5]
    Le pilote du projet ayant subi à ce moment-là un grave accident de santé était alors hors d’état d’agir.

1Le rapport entre un territoire et les risques auxquels il est exposé a été assez profondément bouleversé au cours des dernières décennies. Jusqu’à très récemment, le risque – a fortiori le risque naturel – était un des éléments constitutifs de l’identité d’un territoire donné, et d’ailleurs pas nécessairement perçu comme négatif. En montagne, tout particulièrement, les dangers venant du milieu naturel (avalanches, crues torrentielles, foudre, glissements de terrain, etc.) ont occupé une place de choix dans les représentations sociales de l’espace montagnard et dans l’identité de ses habitants. Non seulement ces derniers les ont généralement gérés eux-mêmes, quasiment sans intervention de l’État, mais, de plus, cette confrontation à un milieu dangereux et peu propice à l’installation humaine confère traditionnellement au montagnard un titre de noblesse qui le distingue de l’homme de la plaine et des villes. La reconversion de la montagne vers l’économie du tourisme et du loisir a profondément changé la donne. Mais il y a sans doute davantage que les mutations socio-économiques. Si on a pu, à la suite d’Ulrich Beck [2001], parler de « sociétés du risque », c’est que la notion de risque n’est plus seulement un attribut parmi d’autres d’un espace social donné. Elle est devenue un opérateur universel, jouant le rôle d’organisateur des rapports entre les hommes et entre eux et leur environnement. Il a fallu pour cela que le risque soit tiré hors de son contexte local pour devenir une sorte d’objet autonome, fabriqué par des experts et des spécialistes. Il a fallu en un mot qu’il se déterritorialise, opération impensable il y a encore trente ans. On n’abordera ici cette question que « par le petit bout de la lorgnette », en observant ce qui se passe dans un petit territoire, quand il se trouve brutalement réordonné dans une telle perspective. J’entends par territoire un système défini par un ensemble d’interactions entre un ou plusieurs collectifs humains et un lieu géographique déterminé. Il s’agit, bien sûr, d’un système ouvert, à géométrie variable, qui admet d’autres découpages et d’autres appartenances et se déploie dans le temps (de la mémoire, de l’histoire et du projet). C’est dans ces interactions que se construisent les représentations définissant une identité locale.

2Le glissement de terrain des Ruines de Séchilienne, au sud-est de Grenoble, illustrera au mieux notre propos. Il concerne une zone de montagne accueillant des collectivités enracinées de longue date, ayant une bonne appréhension et une mémoire active de ses dangers. Ce territoire est cependant relié à des systèmes plus vastes, du fait de sa proximité avec l’agglomération grenobloise et de sa position stratégique en matière de communication. Pendant une vingtaine d’années, il a été le théâtre d’un véritable sociodrame, offrant le spectacle d’une communauté convulsionnée par la menace indéfiniment reculée d’un éboulement majeur [1].

3À l’heure où j’écris ces lignes, le hameau qui a été l’acteur principal de toute l’affaire est un désert : presque tous les habitants sont partis et leurs maisons ont été écrasées, non par la montagne, qui se dresse toujours imperturbablement à la même place, mais par les bulldozers de la puissance publique. Pour en arriver là, il aura fallu la conjugaison d’une multitude d’actions, de décisions et de non-décisions d’acteurs très divers, agissant au nom de procédures sociales et d’intérêts souvent emmêlés et parfois divergents.

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Sud-est de la région de Grenoble (2003, carte réalisée par Catherine Lefebvre, inra).

Comment un risque banal devient un risque incalculable

4Au début des années quatre-vingt, ce ne sont que des cailloux – parfois de gros blocs – qui se détachent du versant du Mont-Sec et tombent en contrebas sur la nationale 91. À cet endroit, la nationale et le lit de la Romanche passent, au coude à coude, dans un goulet formé par le resserrement des deux versants qui se font face, le Mont-Sec et Monfalcon. Nous sommes au sud de Grenoble, dans la vallée de la Romanche, un torrent de montagne né dans les massifs de l’Oisans qui rejoint le Drac aux portes de Grenoble. La rn 91 est le seul axe qui relie la capitale dauphinoise à Briançon, en passant par le col du Lautaret, le long duquel s’égrènent les plus prestigieuses stations de ski de ces massifs. La vallée s’évase en amont du goulet des Ruines vers la commune de Séchilienne. Le bourg de Saint-Barthélemy-de-Séchilienne lui fait face sur la rive opposée de la Romanche, accroché sur le flanc est de la falaise de Montfalcon. En aval du goulet, avant de s’évaser dans la plaine de Vizille, la vallée forme une cuvette nommée « Île de Falcon », où se dresse un hameau, Saint-Barthélemy, gros d’une centaine de maisons. Pour les vieux habitants des deux villages, installés dans la vallée depuis des générations, ces chutes de blocs n’ont rien de bien nouveau, malgré la gêne et le danger. Si les anciens ont appelé cet endroit « Les Ruines », ce n’est pas pour rien, disent-ils, et l’étonnant est plutôt cette accalmie du versant depuis une cinquantaine d’années : les deux derniers morts remontent à 1932, deux touristes écrasés dans leur voiture par un bloc. Pour les usagers de la nationale, et pour beaucoup de nouveaux habitants, l’émoi est plus important : la nationale 91 est l’unique voie qui relie les deux villages aux centres urbains de l’aval, le hameau de l’Île Falcon au bourg communal et, plus stratégiquement encore, la seule voie qui relie Grenoble aux massifs alpins de l’Oisans. Les pouvoirs publics ne peuvent donc pas non plus rester inertes face au risque.

5La Direction départementale de l’Équipement (dde), compétente puisqu’il s’agit d’une route nationale, installe donc des filets de protection. Mais le phénomène s’amplifie et les filets s’avèrent insuffisants. L’inquiétude ne baisse pas chez les usagers. En particulier chez les parents d’élèves des écoles de Séchilienne et de Saint-Barthélemy dont les cars scolaires passent quatre fois par jour sous le site des Ruines. Ils multiplient les pétitions et, lassés de n’être pas suffisamment entendus, ils envoient une lettre à Haroun Tazieff, délégué aux Risques majeurs dans le premier gouvernement de François Mitterrand. Personnage médiatique, Haroun Tazieff cumule la légitimité du politique et celle de l’expert. Son intervention – car il se déplace, non pas une fois, mais à de nombreuses reprises – est décisive. Il diagnostique « un phénomène de grande ampleur », face auquel les mesures de protection prises sont radicalement inadéquates. Il donne ainsi le coup d’envoi à un processus d’expertise scientifique et technique qui n’est pas encore achevé. Mais au fur et à mesure que ce processus d’expertise se développe, l’« acte » fondateur se réédite : le dispositif de protection concret est en permanence invalidé, dépassé par l’expertise.

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Vallée de la Romanche entre Séchilienne et le hameau de l’Île Falcon (2003, carte réalisée par Catherine Lefebvre, inra).

6C’est ainsi que se creuse un premier fossé entre le territoire et le risque. L’énonciation scientifique du risque s’émancipe de son énonciation pratique, dont le vocabulaire se décline en parades techniques et mesures réglementaires. En matière de risques naturels, tout particulièrement en montagne, la connaissance et les savoir-faire pratiques pour s’en prémunir se confondent. Les montagnards reconnaissaient le risque en choisissant l’implantation de leurs habitations et bâtiments agricoles, en édifiant des « chantournes » contre les avalanches, des murets et des digues contre l’érosion et les crues torrentielles, etc. Les techniciens territoriaux de l’État, qu’ils appartiennent aux services de l’Équipement, de l’Agriculture, de la Restauration des terrains de montagne (rtm) [2], n’ont pas agi différemment. Leur action, depuis plus d’un siècle, s’est inscrite dans la continuité de la pratique ancestrale – en y ajoutant un peu plus de science, de technicité et d’extériorité.

7L’expertise scientifique qu’Haroun Tazieff initie est d’une tout autre nature : elle procède bien davantage du travail du laboratoire et de la recherche fondamentale que des savoirs issus du terrain et de l’expérience collective – elle est menée par des universitaires de Grenoble et des ingénieurs du Laboratoire central des Ponts, officiant au cete (Centre technique de l’Équipement), basé à Lyon. En dix ans, les estimations données par les scientifiques font plusieurs fois la culbute : le volume en mouvement passe de deux millions de mètres cubes à cinquante, voire cent millions. Les services techniques de l’Équipement sont très rapidement distancés. Ils ont d’abord procédé dans l’urgence à la déviation de la route et du lit de la rivière et à l’édification d’un mamelon de protection. Cependant, malgré leur ampleur, ces travaux ne correspondent qu’aux estimations initiales du risque. Les estimations suivantes laissent présager que la Romanche ne se contenterait pas de divaguer : elle serait totalement bouchée par les matériaux éboulés, suffisants pour fermer le goulet. Un lac se formerait alors derrière le barrage inondant l’amont, et comme ce barrage « spontané » ne serait sans doute pas très stable, il risquerait de se rompre, en propageant une vague vers l’aval, dont l’importance dépendrait de la hauteur de la retenue, et donc de la masse éboulée. Le risque géologique se double ainsi d’un risque hydrologique de grande ampleur, affectant tout le territoire jusqu’à Grenoble, hypothéquant au passage les installations chimiques « Seveso » au sud de l’agglomération.

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Le Mont-Sec (2003, document de Catherine Lefebvre, inra).

8Il n’y a aucune parade technique connue à un tel scénario. Il ne reste aux autorités qu’à installer un système d’alerte et à mettre au point un plan de secours. Mais même ces sécurités paraissent bien anémiques au regard de la menace. Elle est en effet caractérisée par des incertitudes majeures, tout particulièrement au regard de la temporalité du phénomène. On ne sait ni quand, ni selon quelles séquences la catastrophe se réalisera : en une fois, en plusieurs effondrements successifs, sur quelle durée ? Cela peut être l’affaire de cinq ans, dix ans, trente ou cent ans. Au regard du temps géologique, c’est sans importance et sans signification, mais pour le temps humain la question du délai et de la cinétique est, au contraire, centrale. Or, le savoir-faire de la sécurité civile est articulé sur un imaginaire de la crise dont les caractéristiques sont l’irruption brutale, l’urgence, le temps court. On a affaire à un risque plausible, qu’on peut prédire, mais non pas prévoir au sens de la modélisation dans le temps et dans l’espace. Et ces incertitudes n’étant pas de celles qu’il est possible de lever avec de nouvelles études, elles s’avèrent structurelles.

9Toute la gestion préventive du risque tend alors à se retourner contre son objet. Le préfet de l’Isère avait, dans l’urgence, pris une mesure conservatoire en suspendant les permis de construire dans l’Île Falcon, directement exposée à l’éboulement. Il la renforce en la classant « zone inconstructible », par arrêté, pris au titre de l’article R 111-3 du code de l’urbanisme. La mesure est destinée à « réduire la vulnérabilité » sous le danger, comme la doctrine de prévention le prescrit, mais elle a pour effet immédiat de bloquer sous le risque ceux qui s’y trouvent déjà. Les terrains et les maisons sont fortement dévalués et, à moins de vendre à perte, les résidents propriétaires sont contraints d’y rester.

10Pour les habitants, la situation, à ce stade de l’histoire, est devenue critique. La relation qu’ils entretiennent avec leur espace de vie a été doublement affectée. Une première fois par l’annonce d’un risque en rupture avec la mémoire locale, pour lequel ils ne disposent pas de cadre de représentation. Une deuxième fois par le gel administratif de l’urbanisation sur leur territoire. À chaque fois, ils subissent une situation générée par des acteurs dont les principes et les logiques d’action leur échappent. Autrement, dit, le risque qu’ils subissent est « construit » par le système d’expertise et de décision, et ce risque n’est pas fait seulement de rocs qui dévalent et de flots qui submergent. Ils l’énoncent ainsi, au plus fort du drame, dans une délibération municipale : « Plus que le risque réel, cette “affaire” a eu sur les habitants de l’Île Falcon un impact catastrophique. En quelques mois, tout s’est écroulé autour d’eux – tout sauf la montagne. »

11Comment comprendre cette catastrophe d’avant la catastrophe ?

À l’ombre de la catastrophe annoncée

12L’espace du risque est comme une scène où les acteurs vont et viennent, entrent et sortent. Dans l’histoire des Ruines, une petite poignée d’acteurs a été contrainte de rester en scène de bout en bout : ce sont les habitants de l’Île Falcon et leurs édiles. Il n’y avait pas d’évidence à ce qu’ils y soient seuls : les scénarios de risque élaborés par les experts incluaient des collectifs beaucoup plus importants, tous ceux en particulier qui étaient concernés par les hypothèses d’inondation en amont et en aval. Mais, pour des raisons sur lesquelles nous ne nous étendrons pas ici, les uns et les autres sont parvenus à gagner les coulisses, puis les rangs des spectateurs. La menace qui pesait sur eux est restée dans l’indétermination, sans qu’aucune procédure publique ne vienne l’attester, lui donner la validation sociale qui confère à un danger le statut de risque. Si bien qu’au bout de quelques années, un risque déclaré majeur s’est trouvé réduit, reformaté, aux dimensions d’un petit hameau.

13Au moment où le risque est annoncé, l’Île Falcon compte une centaine de maisons, mais elle est promise, dans l’esprit de ses habitants et surtout du conseil municipal de Saint-Barthélemy, à un grand avenir. Il s’agit en effet du seul terrain propice à l’urbanisation de la commune, constituée de trois hameaux étagés à 300, 460 et 1 000 mètres d’altitude. Les deux derniers escaladent les pentes du Montfalcon, et seule l’Île Falcon est plate comme la main, sur la rive gauche de la Romanche. Jusqu’au début des années soixante-dix, il n’y avait là que quelques fermes occupées par des vieilles familles de la région, car le cours capricieux de la Romanche avait interdit jusqu’ici toute implantation sur le site. À la fin du xixe siècle, la Romanche, alors endiguée, avait pratiquement cessé de divaguer dans l’Île Falcon. Cependant les choses étaient restées en l’état pendant près de trois quarts de siècle, jusqu’à la poussée de l’urbanisation du dernier tiers du xxe siècle.

14Dans le courant des années soixante, certains propriétaires fonciers, très attachés à l’Île Falcon, ont cherché à attirer de nouveaux habitants et vendu des parcelles à des prix avantageux. S’est constitué ainsi un premier noyau de nouveaux habitants. Ils y ont construit – et en grande partie auto-construit – des villas spacieuses et de qualité. Ce groupe a comme caractéristique d’avoir été quasiment coopté par les premiers habitants : des liens d’affinité préexistaient entre eux à leur installation. Ils s’intègrent au village et assimilent les traits principaux de la culture locale. Une dizaine d’années plus tard, un mouvement d’urbanisation sensiblement différent s’amorce. D’autres propriétaires fonciers de l’Île se lancent dans des opérations immobilières, encouragés par une demande en expansion. Deux, puis quatre lotissements voient le jour, sans qu’aucune planification urbaine n’ait été entreprise par la commune. Leur architecture et leur sociologie en sont très différentes : des couples jeunes, d’origine citadine, avec enfants, s’endettant pour acquérir des petites villas de série et de moindre qualité, selon une modalité d’occupation du type « dortoir ». La commune construit à la hâte une école primaire en préfabriqué (l’école maternelle restant au bourg, d’où les transports scolaires dans les deux sens). Le lien de ces nouveaux habitants avec la commune est purement fonctionnel, réduit presque exclusivement à l’école. Au début des années quatre-vingt, l’Île comporte donc une centaine de maisons, pour 300 habitants (le village compte au total 700 habitants).

15Le conseil municipal de Saint-Barthélemy se saisit alors de la situation, pressé par la nécessité de réaliser quelques équipements publics (assainissement, école en dur, etc.). Il commence également à entrevoir le parti qu’il peut tirer d’un développement de l’Île Falcon. Elle dispose en effet d’atouts uniques sur le plan géographique : tout le développement de la commune pourrait s’y réaliser (il est envisagé un millier de maisons à terme) sans venir perturber le moins du monde la tranquillité du bourg à laquelle tous les anciens habitants sont très attachés. Le développement est cependant jugé indispensable pour la survie du village : d’ores et déjà les implantations de l’Île Falcon alimentent près de 70 % du budget communal. Le maire entreprend donc l’élaboration d’un plan d’occupation des sols, qui prévoit une forte urbanisation de l’Île Falcon dans les années à venir. Le plan est prêt, mais non approuvé, au moment exact où le risque est officiellement annoncé. Selon les termes du maire de l’époque, « on a mis un cache sur l’Île Falcon et tout s’est arrêté ». À partir de ce moment, les habitants de l’Île Falcon se retrouvent entre eux, dans une sorte de huis clos à l’ombre de la catastrophe annoncée, ce qui va vite devenir insupportable.

16Le risque est reçu différemment selon les catégories d’habitants qui peuplent l’Île Falcon. Les anciens, enracinés depuis des générations dans ce coin de montagne, ont la même perception que les habitants du bourg, groupés derrière leur maire. Ils ne « croient » pas à un risque aussi démesuré au regard de la mémoire locale. Les experts et les médias se sont donné la main, pensent-ils, pour faire de banals cailloux une véritable affaire. Au paroxysme de la crise, dans l’esprit de bon nombre d’entre eux, les soupçons se feront plus précis : ils soupçonneront tour à tour les résidents des lotissements, l’État, certains grands élus de promouvoir d’autres intérêts sous couvert de la sécurité collective [3].

17Les nouveaux résidents sont plus enclins à croire les experts et à faire confiance à la science. Cependant, l’alerte s’éternisant, le sentiment du danger s’émousse, d’autant que le déplacement de la route nationale a rendu invisibles les symptômes du risque. À cela s’ajoute le système de surveillance de la montagne que les ingénieurs du cete perfectionnent d’année en année et qui, assurent-ils, permettra de voir venir une crise avec un délai suffisant pour évacuer la population menacée. De temps à autre, l’inquiétude est ravivée, soit parce qu’un nouvel épisode de chutes de blocs est survenu (sur l’ancienne route nationale fermée à la circulation), soit parce que l’affaire a fait l’objet d’un reportage dans la presse ou à la télévision. Quelques familles nouvellement installées, très peu nombreuses, ne supportant plus la tension de ces alertes, ont alors décidé de quitter l’Île Falcon. Elles ont mis leur maison en location ou se sont résignées à la vendre à perte. Fait insolite, les maisons se louent à des prix élevés, tandis qu’elles se vendent à perte. On n’a pas peur d’habiter à l’Île Falcon : on craint d’y posséder un bien. Il n’y a là rien que de très logique au regard de la gestion du risque qui a été conduite depuis le début. Au fil de cette gestion, et sans que les gestionnaires en prennent conscience, le risque naturel s’est effacé pour les personnes les plus directement exposées derrière un autre risque, bien plus pressant que le premier : celui de la perte patrimoniale.

Un risque peut en cacher un autre

18À partir du moment où les autorités en charge de la prévention ont appliqué la procédure ordinaire, à savoir le gel de l’urbanisme, à une situation qu’elle ne pouvait résoudre, elles ont substitué une situation nouvelle bien plus déterminante pour les habitants visés que l’objet initial pour lequel la procédure a été déclenchée. On peut dire que si le risque géologique détermine la situation, la gestion de ce risque la surdétermine d’un poids autrement lourd. La relation des habitants à leur espace de vie et à leur propriété s’est trouvée subrepticement réordonnée par le dispositif de prévention, mais dans un climat de confusion et de malentendus. Une seule chose apparaît sans ambiguïté : les habitants vivent désormais leur lien au territoire sous le signe de la perte et du deuil. Les raisons en sont, cependant, différentes, quasiment opposées, selon les catégories d’occupants.

19Les premiers à subir les effets de la dévalorisation de l’immobilier sont les derniers arrivés, les habitants des lotissements. Ils n’ont aucune attache familiale ou affective avec l’Île Falcon et avec la commune. L’achat d’une maison a correspondu à la stratégie sociale typique des classes moyennes urbaines modestes : devenir propriétaire en s’endettant lourdement. Le crédit leur tient lieu d’épargne. Nombre d’entre eux, quelques années plus tard, sont dans l’obligation de quitter les lieux, pour des raisons de mobilité professionnelle, de chômage ou de divorce. Réaliser leur bien, dans le contexte du R 111-3, équivaut à perdre la plus grande part de leur épargne. Ceux qui ne sont pas encore dans cette situation le seront tôt ou tard. Tour à tour, les autorités, Haroun Tazieff, le préfet de l’Isère, le président du conseil général leur ont prodigué des assurances. « Vous serez indemnisés pour pouvoir partir », avait dit notamment Haroun Tazieff. Les services juridiques des administrations centrales se sont alors mis à chercher la procédure juridique applicable à la situation… avant de conclure, en 1992, soit sept ans plus tard, qu’il n’y en avait aucune – mais sans pour autant préconiser de lever l’arrêté de R 111-3, sur lequel il était d’ailleurs difficile de revenir.

20Les résidents des lotissements ont alors constitué une association de défense qui s’est fait connaître des grands élus de la zone, des experts, des fonctionnaires responsables et des journalistes. À leur instigation, les médias locaux ont périodiquement réactivé le problème. Et ils ont fini par enrôler dans leur combat le député communiste local. Ce dernier est allé au bout de la logique suivie depuis l’origine de l’affaire : puisque la loi n’offre pas d’issue au problème, changeons la loi. L’occasion favorable se présente avec le projet de protection de l’environnement et de prévention des risques naturels, en préparation sous l’impulsion du nouveau ministre de l’Environnement, Michel Barnier. Dans le courant de l’année 1994, on parle d’une procédure d’expropriation préventive, qui pourrait figurer dans la loi, pour des situations particulièrement redoutables, dont le site des Ruines de Séchilienne offre le cas d’école. Dans l’esprit des rédacteurs de la loi, il s’agit de mettre en sécurité des gens dont la vie est menacée. Le malentendu s’est propagé au plan national. La loi est votée le 2 février 1995. Elle introduit en France le principe de précaution et la disposition de son article 11 qui stipule que « Lorsqu’un risque prévisible de mouvements de terrain, d’avalanches ou de crues torrentielles menace gravement des vies humaines, les biens exposés à ce risque peuvent être expropriés par l’État […] sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s’avèrent plus coûteux que les indemnités d’expropriation ».

21Les habitants des lotissements sont soulagés. C’est au tour des « anciens » de manifester leur colère et leur désarroi. Ces derniers ne se sont sentis que peu concernés par l’arrêté de R 111-3. Le patrimoine n’a pas du tout le même sens pour eux que pour les propriétaires des lotissements. Leurs maisons sont des maisons de famille, dont ils ont hérité de leurs parents et qu’ils se doivent de transmettre à leurs enfants ; elles symbolisent leur enracinement dans le pays et dans sa culture. Elles n’ont pas de valeur monétaire à leurs yeux, et ils n’envisagent en aucun cas de quitter les lieux. Comme on l’a dit plus haut, ils n’ont pas cru à la « prophétie » des experts. Ils ont seulement été gênés par la publicité négative qui en a résulté pour leur espace de vie. Jusqu’à la loi Barnier, ils ont choisi de « faire le gros dos » en attendant que se calme toute cette agitation. Le vote de la loi leur enlève leurs illusions. Le réveil est brutal et il ressemble pour eux à un cauchemar : être chassés de chez eux, au nom de leur(s) bien(s). Ils ont beaucoup moins de ressources que leurs voisins des lotissements pour mobiliser des réseaux d’influence sur leur affaire. La violence de leurs actions et réactions est à la mesure de cette impuissance : barrages de la nationale, agressions verbales des autorités et des experts, jusqu’à l’incendie de la voiture du président de l’association de défense, jugée responsable de la loi Barnier.

22La situation paraît inextricable. La cause principale est à chercher dans la manière dont le risque naturel a été approprié par la collectivité – mais on devrait plutôt dire non approprié, ou inapproprié. Le risque dit « majeur », c’est-à-dire géologique et hydrologique, est essentiellement l’affaire d’une petite poignée d’experts et de quelques acteurs techniques des administrations en charge de la prévention et de la gestion de crise. Il est sans commune mesure avec l’espace social qui y est exposé, et du point de vue des représentations/perceptions et du point de vue des possibilités pratiques de s’en prémunir. Cependant les acteurs technico-administratifs, par les mesures contraignantes qu’ils ont néanmoins prises, l’ont « formaté » aux dimensions d’une petite commune. Un risque de grande ampleur pèse donc sur un territoire grand comme un mouchoir de poche. Il va sans dire que l’assiette « objective » du risque est bien plus vaste, mais en l’absence de procédure administrative de délimitation de cette assiette celle-ci n’existe que de manière informelle, comme en clair-obscur, soumise à un danger vague et non socialement élaboré (donc pas un « risque » stricto sensu, notion qui suppose ce travail d’identification sociale). L’absence de pertinence géographique et sociale du risque a eu pour résultat que, dans son ombre projetée, l’espace de vie s’est figé et la mort sociale a commencé à faire son œuvre. Le paradoxe est que les stigmates de la catastrophe naturelle sont apparus sur le territoire avant la catastrophe elle-même. Les habitants vivent leur territoire sous le signe de la perte et du deuil, non pas tant à cause de l’aléa géologique, mais du fait d’un dispositif de prévention inadapté. Le village stigmatisé entre en crise, alors que les acteurs publics pensent et agissent dans le registre de la prévention d’un risque. La procédure d’expropriation préventive de la loi Barnier n’a fait qu’augmenter la confusion, en renforçant le malentendu à propos de ce qui est à redouter : sous couvert de prévention d’un risque vital, le législateur a, en réalité, protégé des intérêts patrimoniaux, certes légitimes, mais néanmoins relatifs à une seule des parties prenantes de l’affaire. Il était donc logique que l’autre partie prenante s’insurge à son tour.

23Ce quiproquo engendre une nouvelle phase critique, mais au même moment un chef de service de la dde, en poste depuis peu, imagine un dispositif global de gestion du risque adapté aux enjeux, c’est-à-dire rompant avec les procédures routinières dont l’effet a été désastreux [4]. Sur ce projet, appelé improprement « étude de vulnérabilité », s’ouvre le dernier acte de notre récit, lequel débouche sur un dénouement partiel de la crise.

Vers une sortie (provisoire ?) de crise

24La nouvelle proposition mise en œuvre au tout début de l’année 1995 s’attaque aux racines de la crise. Il s’agit de resituer le risque dans le territoire, dont il avait été abusivement extrait au cours d’un processus d’expertise et de gestion mené sans souci des collectivités humaines concernées. Dans ce processus, le risque avait été réduit à l’une seulement de ses composantes, le phénomène physique. La montagne avait été l’objet de toute l’attention des experts. La deuxième composante du risque – la plus importante, puisque sans elle il n’y a pas de risque, mais tout au plus une curiosité scientifique –, la part sociale et humaine n’avait pas été prise en compte. Pire, elle avait été rabotée, retaillée par les procédures dans lesquelles on avait essayé de la mouler. Il n’est pas indifférent alors que l’acteur qui propose de dénouer la situation soit un praticien et théoricien de l’aménagement du territoire et non pas un spécialiste du risque. Il propose, avec un grand bon sens, de transformer un problème de risque en un projet d’aménagement du territoire.

25Dans cette perspective, il entreprend, en premier lieu, de mettre en œuvre une expertise collégiale et pluridisciplinaire. Il s’agit de susciter et construire la représentation la plus large possible de ce qui est en jeu. La seule discipline scientifique convoquée jusqu’à ce moment avait été la géologie. Le responsable de la dde, avec l’aide d’universitaires grenoblois impliqués dans la connaissance et la prévention des risques naturels, parvient à intéresser des chercheurs dans les disciplines les plus diverses. Pour la première fois, des hydrologues sont formellement invités à modéliser l’inondation et l’onde de submersion qui résulteraient d’une bouchure de la vallée, restituant par là au risque la totalité de son territoire. Mais au-delà des sciences naturelles, ce sont les sciences sociales qui sont très largement convoquées : droit, économie, sociologie, histoire, urbanisme. Il s’agit de ramener dans la définition du risque toute sa dimension humaine et, par là, de mettre en lumière les questions implicites qui ont miné la scène du risque : Qui est menacé ? Par quoi ? Comment se répartissent les responsabilités juridiques ? Quels sont les intérêts économiques en jeu ?

26Les experts se mettent au travail, chacun selon sa discipline, et se réunissent à intervalles réguliers en collège ; au bout d’une année, les travaux disciplinaires sont remis et font l’objet d’une synthèse. Ce n’est qu’à ce moment, soit dix ans après les premiers faits, qu’une description socio-historique de l’affaire a pu être élaborée, par l’auteur de ces lignes qui la livre ici à gros traits. Malheureusement, le retard pris était considérable, et pour certains développements de l’histoire, irrémédiable. Quand l’étude sociologique a pu mettre en évidence les malentendus, facteurs de crise, de la loi Barnier, celle-ci était déjà votée et ses promoteurs pressaient les pilotes de l’étude de vulnérabilité de mettre en œuvre la procédure d’expropriation préventive. L’article 11 de la loi Barnier, loin d’être une ressource, était une donnée et une contrainte pour ceux qui entendaient résoudre la crise au mieux de l’intérêt des parties.

27Cependant, dans le répit offert par la rédaction des décrets d’application de la loi, le collège des experts, sous la houlette du chef de projet, rassemble ses conclusions et construit sa proposition. La synthèse, conçue pour articuler l’action, est construite selon deux axes. D’une part, la distinction et l’énoncé précis de ce que l’on sait avec certitude (dans tous les domaines) et de ce que l’on ignore. Structurelle et incompressible, l’incertitude a été en effet un des grands ingrédients de la crise et il était urgent de la prendre collectivement en charge. D’autre part, plusieurs scénarios possibles de réalisation du risque sont avancés, assortis de propositions de parades techniques. L’équipe a ici choisi une méthode quelque peu inédite, puisqu’il s’est agi, non pas de choisir une parade au risque le plus probable (les calculs de probabilité en l’espèce ayant une trop grande part d’arbitraire), mais au risque inacceptable, c’est-à-dire la bouchure de la vallée et l’onde de submersion subséquente. Il n’était pas alors besoin de s’occuper du risque évalué à 50 ou 100 millions de m3, car un effondrement en masse, voire en deux épisodes successifs de 5 à 7 millions de m3 suffisait à faire advenir le scénario catastrophe. L’équipe préconise alors le creusement d’un tunnel de dérivation calculé pour accueillir la route et la rivière en cas de catastrophe. Techniquement, la solution était irréprochable ; il restait à trouver l’argent nécessaire et les patrons de l’opération s’y sont employés activement auprès des administrations centrales.

28Mais ni les scénarios ni le tunnel n’étaient en mesure de dénouer la crise sociale qui avait frappé de convulsions le petit village de Saint-Barthélemy, depuis la promulgation de la loi Barnier. Comme je l’ai évoqué plus haut, les autorités locales (un nouveau préfet est arrivé entre-temps) et nationales (un nouveau Premier ministre) somment les acteurs locaux de mettre en œuvre dans les plus brefs délais la solution, miracle à leurs yeux, de l’expropriation. Pratiquement, celle-ci revenait à parachever le mouvement de déterritorialisation du risque à l’œuvre depuis le début de l’histoire, sous la forme, définitive cette fois, de la mort du territoire concerné.

29À nouveau contraints de courir derrière l’événement, les responsables du projet s’emploient à colmater quelques décalages. Ils font savoir en haut lieu que la loi appliquée selon un « régime sec » est une nouvelle catastrophe dans la catastrophe et s’efforcent d’obtenir des moyens et du temps pour construire ce qu’ils appellent « l’accompagnement social » de la procédure. Ils entendent par là la possibilité de mener une opération d’aménagement concertée dans la commune de Saint-Barthélemy pour reloger les expropriés qui le souhaiteraient, des crédits pour aider au redéploiement de la commune et un soutien social et psychologique aux personnes prises dans la procédure d’expropriation. Mais alors qu’ils sont en passe de parvenir à leurs fins auprès des décideurs parisiens, le dialogue avec la collectivité locale la plus concernée tourne à l’affrontement. Il a en effet été engagé trop tardivement, à un moment où l’exaspération et les passions contradictoires ont atteint le niveau où toute discussion n’est plus qu’un dialogue de sourds. La sociologue engagée dans cette histoire, appelée en urgence par le préfet [5] pour l’assister dans la communication de crise, tentera avec un succès mitigé de mettre en place un espace de dialogue raisonnable, dans l’esprit du modèle proposé par le philosophe Jürgen Habermas [1987], qui sera vite recouvert par le concert des passions déchaînées.

30Cependant, l’histoire s’achemine vers un dénouement. L’expropriation est engagée, mais le préfet a entendu le message : il a fait savoir qu’aucun usage de la force ne sera employé et que la procédure sera largement étalée dans le temps. L’État décide de faire procéder dans l’immédiat au creusement d’une galerie dite « de reconnaissance » en attendant le tunnel définitif, renvoyé à plus tard. Reculant devant la perspective d’une nouvelle crise, étendue cette fois-ci à toute la vallée, le préfet renonce à faire établir un plan de prévention du risque inondation. Il le remplace par un plan d’alerte et de secours sur tout le territoire concerné (y compris les usines chimiques du Sud grenoblois). Une fois la tension retombée et les habitants de l’Île Falcon sur la voie du départ, la commune de Saint-Barthélemy, réduite à 480 habitants, a élaboré un nouveau plan local d’urbanisme. La montagne est toujours en place ; nul ne sait si elle y sera toujours, mais une nouvelle expertise, sans remettre en cause les précédentes, les a quelque peu revues à la baisse. Les sciences dites « dures » ont parfois quelques mollesses…

31Reste le petit bout de territoire de Falcon, théâtre involontaire d’affrontement de forces qui le dépassaient. Il offre aujourd’hui, quelque vingt ans après l’ouverture de l’affaire, un bien étrange spectacle. L’État a racheté la totalité des propriétés de l’Île, mais une quinzaine de foyers y demeurent encore. Parmi eux, cinq ou six y vivent comme retranchés : ils n’ont pas accepté la transaction, qui a été, de ce fait, imposée par le juge des expropriations. Des panneaux à l’entrée de leurs habitations rappellent leur colère, leur douleur et leur détermination. Les autres familles ont accepté la procédure et attendent qu’un nouveau logement soit prêt à les accueillir, avec l’assentiment des pouvoirs publics. Tout autour d’eux, le paysage devient insolite. L’État a fait procéder à la démolition des maisons, mais les déblais ont été évacués et sur les anciennes fondations l’herbe a repoussé. Les haies, les clôtures des propriétés et les ornements horticoles sont restés en place, n’ouvrant sur rien, ne « paysageant » qu’un désert. Après le départ des derniers habitants, ils seront les seuls témoins d’une occupation humaine des lieux, dont le visiteur de passage se demandera à quel événement elle doit une fin aussi surprenante. Le lieu a pris, en cinq années, la physionomie… d’un site archéologique !

32Il lui aura fallu seulement trente ans pour connaître tout le cycle de la naissance, de la croissance, du déclin et de l’ensevelissement. Son histoire est cependant riche d’enseignements, que nous avons tenté de mettre en lumière dans le cours de notre récit. On a pu y voir les discontinuités, les ruptures qui se sont creusées au sein d’un territoire pris dans une problématique propre à la « modernité aiguë », au sens d’Anthony Giddens [1994]. Une modernité qui se caractérise, selon cet auteur, par des phénomènes massifs de délocalisation, de « déboîtement de l’espace par rapport au lieu », pour reprendre une de ses heureuses formules, et par une très forte réflexivité de la société. Elle peut être décrite comme le rapatriement dans le champ de la responsabilité humaine de ce que les sociétés traditionnelles – et même des premiers âges de la modernité – abandonnaient à la force majeure, c’est-à-dire de ce qui excède toute maîtrise humaine. La « force majeure » a cédé la place au « risque majeur », en France au début des années 1980, mais aussi, presque en même temps et sous des couleurs locales diverses, dans toute la sphère d’influence de la civilisation occidentale [Decrop, 2003]. La micro-histoire dont il a été question ici montre les limites d’un tel rapatriement. La responsabilité de principe de la collectivité au regard d’un risque « irreprésentable » comme celui des Ruines de Séchilienne a fait fonction de postulat de base de l’affaire, mais sans jamais que le régime des responsabilités concrètes, particulières, attribuées à des acteurs identifiés, ne soit clairement établi. Un des enseignements de cette histoire (mais l’affaire du sang contaminé, de bien plus grande envergure, pointe aussi dans cette direction) peut être celui-ci : il reste à la modernité contemporaine à repenser de fond en comble la question de la responsabilité, sous peine de verser, par pans entiers, dans la crise aiguë. ?

Bibliographie

Références bibliographiques

  • Beck Ulrich, 2001, La société du risque, Aubier [trad. française].
  • Decrop Geneviève, 2003, « Sous le soleil de la menace », Panoramiques, 2e trimestre : 148-157.
  • – [en collaboration avec Christine Dourlens, Pierre A. Vidal-Naquet], 1997, Les scènes locales de risque, cerpe/Futur Antérieur, Lyon.
  • Giddens Anthony, 1994, Les conséquences de la modernité, L’Harmattan [trad. française].
  • Habermas Jürgen, 1987, Théorie de l’agir communicationnel, Fayard.

Mots-clés éditeurs : territoire, expertise, risque, montagne

Mise en ligne 03/10/2007

https://doi.org/10.3917/ethn.041.0049

Notes

  • [1]
    J’ai été impliquée dans l’affaire à trois titres, d’abord comme sociologue dans le cadre de l’étude de vulnérabilité dont il est dit un mot plus loin (1995-1996), puis comme consultante du préfet dans l’ultime épisode critique de l’histoire (1997), et enfin pour une recherche financée par le Contrat Plan État-Rhône Alpes [Decrop et al., 1997].
  • [2]
    Service faisant partie de l’Office national des forêts (onf).
  • [3]
    Par exemple, ils soupçonneront qu’un projet inavouable d’autoroute se dissimule derrière le risque.
  • [4]
    Pour mettre en œuvre son projet, il a dû néanmoins remonter le courant des démissions de responsabilités en cascade qui ont dégradé la situation jusqu’au point décrit ici. On ne s’appesantira pas ici sur cette face peu glorieuse de l’affaire, qui, pourtant, en fut un ingrédient agissant. Il suffira juste de signaler ici qu’une fois la crise dénouée, l’administration n’eut rien de plus pressé que de muter ce chef de service dans un poste obscur.
  • [5]
    Le pilote du projet ayant subi à ce moment-là un grave accident de santé était alors hors d’état d’agir.
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