Couverture de ETHN_021

Article de revue

Comptes rendus

Pages 159 à 176

Notes

  • [1]
    F. Rudolf emploie le terme « UmweltberaterInnen » : les « conseiller(ère)s en environnement ».
  • [2]
    Cf. p. 19. F. Rudolf ne nous précise pas que M. Gege est un entrepreneur, conseiller en management écologique. Il dirige l’association « Bundesdeutscher Arbeitskreis für umweltbewusstes Management e.V. » (baum), primée par les Nations unies. Cette association regroupe plus de 500 entreprises dont Adidas, Ikea, bmw, Siemens… Toutes ces entreprises investissent le nouveau marché des produits et procédés de production écologiquement corrects, et à ce titre se voient dotées de labels décernés par baum.
  • [3]
    Plus d’une centaine de formations aux métiers de l’environnement existent aujourd’hui en France, dispensées par les universités, les iut et autres instituts de formation. D’autre part, nombre de formations se font aussi « sur le terrain » au travers par exemple du réseau de la cinquantaine de cpie (Centres permanents d’initiative pour l’environnement) ou encore au sein des divers parcs régionaux ou nationaux.
  • [4]
    Un responsable de cpie nous les décrit comme « des “bac + 40”, avec une formation technocratique. Rien à voir avec des naturalistes ou des amoureux de la nature ».
  • [5]
    Renseignement pris dans la bibliographie.
  • [6]
    1987, Paris, Gallimard.
  • [7]
    « Relativisation toujours. Si les “séparatistes” relèvent du vieux fond gaulois, ils n’ont pas vraiment à voir avec le Satan bolchevique. D’ailleurs le Général croyait, dans la même logique, qu’il existait une “Russie éternelle” derrière le communisme. Tout cela demanderait plus de commentaires et plus de discussions. Mais il s’agit moins de réfuter le Général que de rapporter sa pensée. Pour lui la Révolution est donc un mal issu d’une hérédité fâcheuse, mais qui peut se transmuer en bien lorsque le danger de la patrie la métamorphose en défense nationale, donc en un grand moment français. » [P. 49-50]
English version

Michelle Salitot, Mode d’appropriation d’un rivage. La baie du Mont-Saint-Michel, Paris, L’Harmattan (coll. « Maritimes »), 2000, 280 pages

1par Nathalie Meyer-Sablé

2ehess

3Dans son dernier ouvrage, Michelle Salitot écrit dès l’introduction qu’elle est devenue tour à tour ethnologue, sociologue, historienne et juriste pour étudier les activités halieutiques de la baie du Mont-Saint-Michel, pêcheries et établissements de pêche, en insistant sur la spécificité de cet espace littoral, les effets qu’il a sur la reproduction socio-économique, et la façon dont il s’articule avec l’organisation domestique.

4Proposant en exergue la phrase de Jacques Le Goff « L’imaginaire est une dimension de l’histoire », elle consacre son premier chapitre au récit légendaire des origines de la forêt de Sciccy, thème qui lui tient particulièrement à cœur, en insistant sur le mythe comme « fonction d’instauration ». Une grande marée, alliée à un très fort vent du nord, firent passer, en 709, toute une partie de la baie jusque-là boisée, « sous le domaine de l’océan ». Mais l’histoire géologique se double d’une histoire mythique dans laquelle se croisent archange, malédiction d’ermite, saints, punition divine et marée fatale pour aboutir à la construction d’un sanctuaire sur le mont. L’auteur travaille alors à l’analyse du mythe comme la base même de la construction du domaine religieux et politique. Et s’en explique par le fait que, au Moyen Âge, la forêt (terme dérivant du latin foresticus, signifiant « ce qui est en dehors », c’est-à-dire ce qui est en dehors de l’usage public) est représentative ici du passage de la nature à la culture. La forêt de Sciccy incarne en effet le lien unissant le désordre (naturel et social) et l’ordre. Elle met donc en parallèle le pouvoir de contrôler l’eau et celui de contrôler l’ordre social, et conclut : « Le changement politique notifié symboliquement par la fameuse marée et l’élévation d’un sanctuaire “au péril de la mer”, donne tout autant à voir la victoire du christianisme que la volonté de l’Église d’affirmer son autorité sur l’État. »

5Le deuxième chapitre est consacré à l’aspect juridique de l’appropriation des rivages dans le temps, les textes et les lois conditionnant en effet l’accès à des espaces spécifiques. Si, n’appartenant à personne, pas même à la couronne ou à l’État, les rivages ont toujours participé du domaine public, Michelle Salitot souligne que les rapports entretenus par le pouvoir ne sont pas dénués d’ambiguïté. En prenant pour fil conducteur la transformation de l’espace maritime en « un espace cultivé », avec la multiplication du nombre de pêcheries, elle dresse le portrait fluctuant de la définition du rivage, celui des rivalités de pouvoir, et de la composition (on pourrait même dire de la recomposition) du domaine public. S’attachant en premier lieu au Remorae piscatoriae (tribut dû par les possesseurs d’établissements de pêche), puis au Dominium aquae (domaine maritime seigneurial presque en tous points similaire au Dominium terrae), signe d’un pouvoir royal affaibli, l’auteur évoque ensuite l’émergence de la mer et du rivage comme enjeu économique et militaire, et parcourt le lent processus qui aboutira aux textes étendant le domaine maritime à douze milles marins.

6Dans une riche troisième partie, Michelle Salitot aborde les formes de production huîtrière en concentrant son étude sur l’aire géographique de la baie de Cancale.

7Replaçant son étude dans une perspective historique (qui va du iie siècle avant J.-C., époque à laquelle les huîtres étaient simplement conservées dans des bassins, à la culture en eaux profondes apparue dans les années 1960), elle s’attache à définir le processus de mise en place d’un cadre territorial, passant du quadrillage des pouvoirs à l’encadrement politique, via les réglementations de l’exploitation des rivages marins.

8L’étude des différents modes de pêche et leur évolution, la prise de conscience de la fragilité de la ressource, et de manière parallèle, l’augmentation du nombre des bateaux, permettent à l’auteur de travailler sur le thème du renforcement de la notion d’identité locale et l’émergence d’un mode collectif de pêche (entendu dans la stricte limite de l’appartenance au groupe).

9Avec l’analyse des rôles d’équipages, Michelle Salitot éclaire non seulement les pratiques familiales, mais elle met également en évidence la place importante que les femmes tiennent dans l’économie huîtrière.

10Enfin, l’étude de la pêche à pied lui permet de mesurer l’antagonisme existant entre gens de mer et gens de terre.

11Avec la naissance de l’ostréiculture, fruit de la convergence d’intérêts sociaux et de ceux de l’État (la notion de productivité associée à celle de la protection de la ressource), la transformation du rivage en un espace foncier cultivé distendra, pour un temps, souligne-t-elle, le tissage serré des relations familiales, en assimilant l’exploitation de culture marine à un système proche de celui du fermage (droit d’exploitation, mais non de propriété), avant d’opérer un recentrage sur la famille, par le biais d’un nouveau système successoral, mais introduisant cependant une notion importante : celle de la professionnalisation.

12La dernière partie de son ouvrage est consacrée à la culture sur bouchots, mais c’est par l’étude des établissements de pêche que commence l’auteur, insistant sur le fait que seul le bâti des pêcheries est propriété privée sise sur le domaine public maritime. Elle s’attache d’ailleurs au thème récurrent de la suppression de ces installations au cours des siècles, ces tentatives de mainmise de la royauté sur les rivages qui se heurtent à l’opposition quasi systématique des détenteurs de parcs. Elle souligne que, en fait, ce seront la modernisation de la pêche et la mise en valeur du rivage (avec l’apparition, justement, de la culture des huîtres et des moules) qui feront de cette activité un élément marginal dans l’économie de la baie.

13Pour aborder le thème de la culture des moules sur bouchots, elle se réfère, comme dans la première partie de son ouvrage, à une légende : un Irlandais du nom de Walton, qui était arrivé en barque sur les vasières, y installa une sorte de pêcherie doublée d’un système de piège à oiseaux. Il inventa ainsi le principe de la moulière artificielle : les pieux de son installation se couvraient de naissain de moules. La légende situe l’arrivée de cet étranger dans les années 1035. Une « période référentielle », souligne l’auteur, correspondant à ces temps durant lesquels les rapports qu’entretenaient les seigneurs et la royauté face à la domination des rivages de la mer où se développe cette culture furent ébranlés.

14Les « seigneurs des vases molles » (avec une telle appellation, comment ne pas penser au « dandy des gadoues » de Michel Tournier ?) seront d’ailleurs les propriétaires des bouchots, depuis l’expansion de cette technique se situant au xve siècle jusqu’à la première moitié du xixe, même si, considérées comme les huîtres des pauvres, voire même comme les parasites de celles-ci, les moules ne sont pas chargées de la même valeur économique et symbolique que les huîtres.

15Dans les années 1950 cependant, suite à la déflation des activités traditionnelles (pêche de la morue, cabotage), cette culture est alors considérée comme une solution pour faire repartir l’activité économique de la région.

16Michelle Salitot aborde le système des pratiques familiales et les mouvements migratoires qui accompagnent l’implantation de cette « industrie ». De son étude, elle déduit que c’est là encore une affaire de famille ; mais à la différence de ce qui se passe pour la transmission des pêcheries et même des terres, où la stricte égalité successorale est de rigueur, la mytiliculture, elle, exclut les femmes.

17« Le mode de faire-valoir de cet espace particulier – le rivage – est […] autant une réalité juridique que culturelle », écrit l’auteur dans sa conclusion. On pourrait ajouter qu’il est également une réalité « politique ». Sur ce thème, on peut poursuivre la lecture avec l’ouvrage codirigé par Gérard le Bouëdec et François Chappé, Représentations et images du littoral, publié aux Presses Universitaires de Rennes, en 1998. ?

Jacques Pezeu-Massabuau, Demeure, mémoire. Habitat : code, sagesse, libération, Marseille, Éd. Parenthèse, 2000, 179 pages

18par Philippe Bonnin

19cnrs, ipraus

20Certains se souviennent du fameux La maison, espace social, que Jacques Pezeu-Massabuau avait donné en 1983, et qui forma plus d’une génération d’étudiants à entrevoir que la maison ne se réduisait certes pas à un sous-produit matériel, à un objet technique que l’on aurait pu étudier à l’égal d’un outillage. Elle se révélait bel et bien comme un condensé de culture : à la fois produit de celle-ci, dispositif central contribuant à la faire fonctionner, mais encore à la transmettre. La connaissance intime et inégalable que J. Pezeu-Massabuau avait de la culture et de la maison japonaises, à laquelle il avait consacré, en 1981, son imposante thèse, lui permettait de s’appuyer sur cet exemple nippon « nec plus alter » pour faire entendre et sentir la subtilité des mécanismes en jeu dans la forme et le fonctionnement de la maison.

21Auteur prolifique, J. Pezeu-Massabuau est assidu et fidèle à la question de la demeure. Il poursuit aujourd’hui dans sa veine coutumière par un nouvel essai, Demeure, mémoire, au ton très bachelardien, au moins pour l’éloquence et la manière sensible d’explorer la face inconsciente de notre attachement à la maison. Évidemment, son matériau n’est plus l’anthologie poétique de maître Gaston, mais celle des travaux de nos collègues chercheurs, en même temps qu’il va largement et justement puiser à son expérience première, personnelle et directe, celle d’une confortable maison familiale aveyronnaise, alternativement quittée et retrouvée pour une expatriation japonaise et de multiples explorations de notre petite planète.

22Aux dires même de l’auteur, cet essai est en effet conçu autour de trois solides idées. Après l’énoncé de la première, certes déjà ancienne, il tente de systématiser certains corollaires qu’elle implique : la maison, cette construction à usage d’habitation, est un « comprimé de civilisation », selon l’heureuse formule de P. Gourou qu’il rappelle à propos. Et ceci d’abord parce que son édification demande la mise en œuvre volontaire de techniques, d’outils, de matériaux, d’un vocabulaire de formes et de procédés propres à une société donnée, et simultanément parce que ceux qui la conçoivent et l’édifient sont eux-mêmes les tenants de cette même culture. Ainsi manient-ils et sollicitent-ils la matière première elle-même selon des représentations que la culture leur dicte : les façons de « penser bois » d’un Japonais, d’un Russe, d’un Coréen ou d’un Canaque, diffèrent entre elles autant qu’elles divergent de notre « penser pierre » solide et pérenne.

23Condensé de civilisation ensuite, car toute démarche bâtisseuse met en jeu, à l’insu des bâtisseurs, des valeurs que l’on dira, selon le cas, religieuses, esthétiques ou cosmologiques, qui, partagées, sonnent comme une évidence au sein d’une même culture et ne sont pas interrogeables. D’où la nécessité du détour soit historique soit ethnique. Si le bâtisseur s’éloigne trop de ces valeurs, ou s’il ne sait traduire le sens dans lequel elles se transforment, son effort comme son travail sera vain et inopérant, son œuvre illisible, incompréhensible, impartageable.

24Dès lors les variations historiques d’un type « traditionnel » de maison, mais aussi ce que l’on nomme styles architecturaux, modes ou figures, et tous types d’acculturations spatiales permettent différents modes opératoires d’analyse des transformations sociales.

25Porteuse de civilisation, la maison a de ce fait une fonction de mémoire, et donc de communication. Ayant condensé, cristallisé des valeurs et des formes du mode de vie dans des dispositions topologiques et surtout dans un matériau plus durable que la parole ou l’idée, elle enregistre cette dernière mieux encore qu’un manuscrit. Son étude relève alors d’une sorte d’herméneutique à laquelle nous nous livrons tous, ainsi que d’une sémiologie selon J. Pezeu-Massabuau. Elle transmet à quiconque l’occupe les valeurs dont elle est la dépositaire, du moins à ceux qui partagent le code des signes qu’elle porte subtilement : ce que n’aura pas le Breton dans une maison alsacienne ou un Nippon dans une isba russe.

26J. Pezeu-Massabuau a tenté dans le corps même de cet essai d’énumérer la teneur de ce message de la maison : comment la maison se fait l’interprète privilégié d’une image du monde et de la place de l’homme en son sein, des rapports avec l’environnement, des rapports entre soi et les autres, selon les rythmes, les formes et les rituels de la vie quotidienne ; comment elle transmet une compétence, un savoir et une discipline de la sociabilité : les limites et la condition de l’expression du moi, la structure complexe, variable et pourtant immuable de la vie familiale, et jusqu’au rapport entre ce noyau et une collectivité, un voisinage, une communauté locale ou nationale ; comment elle s’érige comme gardienne des valeurs centrales de ladite culture : les normes du goût, si fruste soit-il, la construction des lieux du spirituel et du sacré qui assurent la survie du groupe dans une dimension qui dépasse la finitude des existences individuelles, et jusqu’au répertoire d’arts manuels et populaires mis en œuvre pour exprimer ces valeurs ; comment elle se présente comme une machine à s’insérer dans l’espace et dans le temps : étant elle-même une mosaïque complexe et organisée de lieux, de pièces, d’espaces divers, étant une organisation d’espaces dans du temps qu’elle ordonne et mesure, étant la scène où se joue le théâtre de la vie.

27Au bout du compte, outre son état d’objet (au plein sens du titre : objet à vendre, à occuper, à détruire, etc.), la demeure semble assumer une fonction de sujet, et comme prendre en charge en notre nom l’énonciation du discours de la culture, puisqu’elle nous détermine à son tour par le jeu de l’habiter, par les rituels de la vie quotidienne, etc.

28De bonne heure, cette fonction didactique de la maison a été perçue, et donc mise à profit ; des concepteurs (bien avant les « architectes-démiurges » de la modernité) ont tenté de construire explicitement en vue de transmettre un message au futur occupant, en y insérant volontairement valeurs, styles de vie, normes esthétiques, etc. On a tenté de définir – à dessein, cette fois – l’homme par sa demeure, plutôt que la demeure par l’homme. Cette « maison-système » a peu à peu gagné la plupart des constructions, en Occident tout d’abord, depuis les cas extrêmes mais révélateurs des lupanars de Sade et de Ledoux, les loges maçonniques, puis plus réellement avec le familistère de Jean-Baptiste Godin à Guise et les habitations ouvrières de Mulhouse, etc.

29Ce faisant, déviant de l’usage à la norme, et de celle-ci à la règle puis à la loi, l’architecture est devenue un champ clos où s’affrontent l’architecte (ce « médecin de l’habiter », dit J. Pezeu-Massabuau) et l’usager contemporain qui voudrait être « bien chez lui ». Cette diatribe et cet antagonisme débouchent selon l’auteur sur le problème de notre liberté : n’est-ce pas y attenter que de nous appliquer les recettes du confort normalisées, « imposées d’en haut », par exemple ? C’est là l’objet du dernier de ses chapitres et, si l’on peut le dévoiler, d’un prochain ouvrage qui achèvera cette trilogie qu’il consacre à la maison.

30Cherchons pourtant à redire. La première question, à laquelle on ne saurait répondre, mais qui n’est pas sans importance, est de savoir si son beau langage, son style classique, épanoui, nourri d’humanités et de multiples allusions ou références puisées à un vaste réservoir culturel, est encore accessible à une population étudiante contemporaine. La seconde, qui la prolonge, est de savoir s’il s’agit bien d’un « essai », comme l’affirme l’auteur, ce qui lui donne tous les droits quant à la forme. Ne s’agit-il pas plutôt d’une vaste synthèse, ordonnée et assujettie à une vision personnelle, qui requerrait en principe une laborieuse discipline de références et de citations, afin que l’étudiant en question puisse retourner aux bonnes sources et prolonger son étude ? De toute évidence, J. Pezeu-Massabuau aura voulu s’épargner ce pensum pour rester primesautier, comme à sa manière habituelle. ?

Florence Rudolf, L’environnement, une construction sociale. Pratiques et discours sur l’environnement en Allemagne et en France, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1998, 184 pages

31par Marie Percot

32cnrs, lau

33Andrea Tribess

34sociologue

35

« Les Allemands, à quelques exceptions près, sont peu capables de réussir dans tout ce qui exige de l’adresse et de l’habileté : tout les inquiète, tout les embarrasse, et ils ont autant besoin de méthode dans les actions que d’indépendance dans les idées. Les Français, au contraire, considèrent les actions avec la liberté de l’art, et les idées avec l’asservissement de l’usage. Les Allemands, qui ne peuvent souffrir le joug des règles en littérature, voudraient que tout leur fût tracé d’avance en fait de conduite. »
(G. de Staël-Holstein, Œuvres complètes, tome II, Firmin Didot frères, Paris, 1844 : 9)

36Ceux qui ont eu l’occasion de pratiquer les deux pays sentent intuitivement cette différence, ne serait-ce qu’en ce qui concerne l’environnement. La normativité des Allemands dans les détails de la vie quotidienne est frappante : dans quelle poubelle jeter les ordures, comment démarrer sa voiture, comment tirer la chasse d’eau en fonction de la quantité de détritus ? Tout cela n’est pas considéré comme étant des décisions prises à huis clos, d’ordre privé, mais comme des décisions engageant immédiatement la collectivité. Des termes comme « Ökosünder », « pêcheur écologique », ou, dans un langage plus familier, « Ökosau », « porc écologique », font partie du vocabulaire courant pour juger de la conformité des attitudes adoptées par chacun. On peut constater qu’à l’heure actuelle, pareil usage est peu répandu en France.

37Cette similitude frappante des différences nationales à travers le temps se reflète également dans l’analyse entreprise par F. Rudolf. Cette dernière aborde la question de l’environnement en France et en Allemagne en analysant les pratiques et les discours au sein d’une même profession dans les deux pays : les « éco-conseillers » ou les « Umweltberater » [1]. Tels que présentés, ces professionnels de l’environnement, de part et d’autre de la frontière, s’inscrivent en effet dans une continuité culturelle implacable : en Allemagne, l’action privilégiée des éco-conseillers serait de sensibiliser les foyers à leur responsabilité dans la protection de l’environnement et de les guider dans leurs actions concrètes ; en France, leur rôle serait de sensibiliser les décideurs et d’orienter leurs mesures politiques.

38Cependant, plutôt que d’approfondir la différence entre les deux pays, F. Rudolf cherche à trouver les similitudes et à poser la question plus générale du rôle joué par les éco-conseillers dans le processus de « modernisation de la société » : « L’étude des éco-conseillers en Allemagne et en France peut faire fond tant sur leur différence que leur convergence. Cette dernière repose sur le fait que tout en s’y prenant différemment, ils contribuent à une activation des communications sociales autour de l’environnement, et qu’à ce titre ils participent au développement de la société. » [cf. p. 44-45] Ainsi s’annonce le passage de la partie empirique à la partie théorique où le concept d’environnement est examiné selon différents points de vue, en se référant à des auteurs comme S. Moscovici et K. Eder « qui traitent des relations entre les sociétés humaines et la nature », E. Morin et N. Luhmann, « qui illustrent la substitution du concept d’environnement à celui de nature », J. Habermas, U. Beck, A. Giddens, « pour prolonger cette étude par une réflexion sur la modernité et ses conséquences » [cf. p. 79].

39Il est dommage que la partie empirique, très suggestive, tourne un peu court. De ce fait, certaines questions subsistent à la lecture. On peut notamment se demander qui sont précisément les vingt-deux éco-conseillers que F. Rudolf nous présente. S’agit-il réellement de la même profession d’un pays à l’autre ? En Allemagne le terme « Umweltberater » est très général, pouvant désigner aussi bien des conseillers politiques, techniciens ou scientifiques, des entrepreneurs que de petits employés de la ville ou d’une association. Le lecteur reste dans l’ignorance quant à la formation et la position institutionnelle des « Umweltberater » cités. Ils sont, nous dit F. Rudolf, pour la plupart d’anciens militants du mouvement écologiste. Mais dans le même temps, F. Rudolf nous indique que « la première tentative d’institutionnalisation du conseil en environnement revient à Maximilian Gege, un industriel de Hambourg » [2]. Avons-nous alors affaire à un mouvement écologiste issu de la société civile, mais récupéré et institutionnalisé par un industriel ? Par qui les éco-conseillers de l’échantillon allemand ont-ils été formés ? Est-ce que leurs postes sont, partiellement ou entièrement, financés par des privés ou par l’administration publique ? F. Rudolf ne soulève pas ces questions. En France, en revanche, la profession d’éco-conseiller est une notion plus clairement définie dans l’ouvrage, tout du moins en ce qui concerne leur formation : « Nous cédons à un abus de langage en utilisant le terme éco-conseiller de façon générique, dans la mesure où ayant été déposé par l’Institut Eco-conseil de Strasbourg, seuls les diplômés de cette institution ont le droit de se faire appeler ainsi. » [cf. p. 15] Cependant, en France il existe aussi nombre d’autres « métiers verts » dépendant notamment d’institutions ou collectivités territoriales, de structures de pays… et qui, pour beaucoup, font office de conseillers [3]. Certains d’entre eux considèrent les « éco-conseillers strasbourgeois » comme sur-diplômés [4]. Il nous semble qu’il aurait fallu mieux situer l’échantillon choisi, même si, vraisemblablement, certaines particularités françaises relevées dans l’échantillon strasbourgeois concernent également les autres professionnels de l’environnement en France. Le fait encore que l’industriel M. Gege participe à des colloques organisés par l’Institut Eco-conseil (institut privé) ne manquera pas d’intriguer le lecteur [5].

40Toutefois, malgré l’hétérogénéité des échantillons français et allemand, les témoins choisis de part et d’autre de la frontière partagent des points communs. On perçoit notamment, dans une retranscription très intéressante, que les éco-conseillers interrogés font part d’une impuissance chronique et d’un manque de reconnaissance affirmée. « Je suis assis à côté de mon téléphone et personne n’appelle ou de temps en temps quelqu’un appelle… » [cf. p. 5], se plaint un éco-conseiller allemand. Un autre explique : « Une forme active ça consiste à aller vers l’extérieur, ce domaine tombe complètement à l’eau en ce moment, parce que nous n’avons pas d’argent, nous ne pouvons pas l’assurer en ce moment, aussi fort soit notre désir […] » [cf. p. 25]. « Pendant six mois, personne ne venait me solliciter sur quoi que ce soit, affirme un éco-conseiller français, je n’ai jamais vu personne. Maintenant, il y a des gens qui viennent des services. Ils montent parce qu’ils ont besoin de conseil, soit d’un avis pour un dossier. » [cf. p. 38] Un collègue français estime que son travail passe à côté des choses intéressantes : « Je me suis rapidement rendu compte que le traitement des plaintes, ça te bouffe un temps fou, parce que les plaintes, il y en a deux ou trois par jour […]. Souvent ce sont des choses très simples, j’essaye de déléguer, je fais une note au policier municipal. » [cf. p. 36] « On règle les problèmes comme ça, à part les problèmes qui durent. Y’en a un qui dure depuis que je suis arrivée, c’est le klaxon de la boulangère le matin dans le quartier. » [Id.] Ce manque de pouvoir semble moins lié au fait d’une population civile ou d’hommes politiques insensibles aux questions touchant à l’environnement, qu’à celui d’un problème institutionnel. Dès lors se pose la question de savoir si les éco-conseillers de l’Institut strasbourgeois que F. Rudolf a interrogés occupent les postes les moins privilégiés dans la gamme des professions théoriquement possibles à l’issue de cette école. Quant aux « Umweltberater » – dont le rôle serait de conseiller et de guider une population déjà largement convaincue de la nécessité de la protection de l’environnement –, on peut se demander si leurs postes ne font pas office de caution, et, le cas échéant, de quoi et de qui.

41Un approfondissement des diverses inscriptions institutionnelles de ces éco-conseillers aurait permis d’affiner la comparaison franco-allemande, mais sans doute aussi de faire un passage plus convaincant à la partie théorique portant sur le processus de modernisation relativement au problème de l’environnement. Car même si les éco-conseillers interrogés souffrent d’un manque de pouvoir consubstantiel aux postes qu’ils occupent et que les transformations de la société se décident en réalité ailleurs – comme on est tenté de le croire à la lecture de la partie empirique –, l’existence de ces « petits agents » paraît en soi significative.

42Avec ce travail, F. Rudolf pose le premier jalon d’une recherche passionnante sur les différentes formes d’institutionnalisation du savoir et du pouvoir écologiques dans des pays européens aussi différents que sont la France et l’Allemagne. Aurait-il suffi de préciser comment les témoins ont été recrutés, comment ils sont reliés entre eux, par quelles institutions ils sont passés et de donner un bref aperçu de l’ensemble des métiers de l’environnement dans les deux pays pour clarifier les zones d’ombre laissées dans cet ouvrage ? Quoi qu’il en soit, le sujet et l’échantillon choisis sont originaux et mériteraient un approfondissement, surtout de la part d’un chercheur formé dans les deux pays et de ce fait en mesure d’éviter le piège des clichés franco-allemands. ?

Anne Zink, Pays ou circonscriptions. Les Collectivités territoriales de la France du Sud-Ouest sous l’Ancien Régime, Paris, Publications de la Sorbonne, 2000 (avec une préface d’Emmanuel Leroy Ladurie), 374 pages

43par Rolande Bonnain

44ehess

45Que le chercheur confirmé, a fortiori l’étudiant en histoire administrative ou régionale, ouvrant le très savant et très érudit (comme on le sait, les deux termes ne sont pas synonymes) ouvrage qu’Anne Zink vient de consacrer aux pays, à leur généalogie, leur mode de fonctionnement et leurs effets sur les comportements collectifs, ne se laisse pas effrayer par l’abondance des références géographiques qu’elle nous offre en première partie. Il n’est pas nécessaire de connaître les détails de la toponymie de cet ensemble entre Atlantique, Garonne et Pyrénées choisi comme terrain de chasse par notre auteur pour comprendre son propos, si actuel, quand les réformes touchant l’aménagement du territoire se succèdent. À l’heure où le slogan « Volem viure al païs » a quitté le discours de la revendication pour s’incarner dans de multiples objets signalant l’appartenance, du paysage au légume aoc, quand l’identité est brandie dès qu’il s’agit d’exclure, il a semblé légitime à A. Zink de publier ce qu’elle avait trouvé sur le « pays », terme ô combien polysémique, dans un espace réputé pour sa diversité, ses cloisonnements et son esprit frondeur.

46Elle commence par les « pays » officiels, là où s’exerçait un contrôle qu’il fût civil ou religieux, administratif, judiciaire ou fiscal. Elle y met en évidence que loin d’être intangibles, leurs frontières étaient indécises et mouvantes au gré de l’Histoire tout comme leurs modes de fonctionnement variaient selon la date de leur établissement. Néanmoins, en dépit de ces variations qui affectaient surtout les populations des marges de ces « pays » prescrits, les contraintes à vivre ensemble, toutes arbitraires qu’elles aient pu paraître, leur apprenaient à vivre de la même façon.

47Dans une seconde partie, elle met en regard à ces « pays » imposés les « pays » vécus, et privilégie pour les discerner les critères productifs, culturels et d’échange, en somme très classiquement les genres de vie. Là, elle constate qu’au vu de ces critères, il n’y a pas d’« isomores » (lignes où tous les critères, signaux d’une civilisation sont remplacés par d’autres critères), que les limites s’estompent et que les « pays » tendent à se confondre. En bonne historienne, elle retourne alors à ces découpages officiels pour voir si leurs habitants étaient influencés par leur appartenance officielle dans leurs comportements quotidiens.

48Auparavant, A. Zink nous aura livré des pages fourmillantes d’informations, de réflexions et d’humour sur les comportements des jeunes gens pendant les courses landaises et ceux des femmes lors de ces moments d’effervescence. Grâce aux archives de toutes natures qu’elle a minutieusement explorées avec grand soin, mais aussi avec distance (c’est un des enseignements du livre), l’auteur nous montre que ces « pays » entre Garonne et Pyrénées étaient indifférents à la différence. À ce sujet, elle nous livre des pages passionnantes sur la vie et le statut des Juifs dits Portugais à Saint-Esprit, faubourg de Bayonne. Ni xénophobes ni antisémites, les habitants de l’Aquitaine sont par contre très attachés aux privilèges qu’ils ont pu acquérir ou gagner au cours de l’Histoire : ce sont ces privilèges (qu’ils soient législatifs, fiscaux, militaires) qui font de chaque pays officiel une réalité. Analysant avec subtilité les rapports entre le local et le national, A. Zink suggère que si le Labourd, province basque, a sombré dans la contre-Révolution, c’était parce que les agents de la Ferme y avaient été très actifs juste avant 1789.

49En conclusion de ce très riche ouvrage, l’auteur reconnaît que si le cadre de la coexistence n’est pas forcément redoublé par celui des façons de faire, le pays est très souvent au confluent du ressort et de l’aire de civilisation. Elle rejoint ici les observations actuelles sur la construction des pays qui doivent associer identité, projet et négociation avec les cadres administratifs. On l’aura compris, la lecture de Pays ou circonscriptions n’est pas réservée aux purs historiens, elle intéressera chercheurs des sciences sociales et praticiens de terrain. ?

Maurice Agulhon, De Gaulle. Histoire, mythe et symbole, Paris, Plon, 1999, 165 pages

50par Bernard Traimond

51Université Victor-Segalen Bordeaux 2

52L’œuvre de Maurice Agulhon comprend deux volets. D’un côté, il a « inventé » de nouveaux objets d’étude : la sociabilité et l’iconographie politique – thèmes que connaissent bien les lecteurs d’Ethnologie française – et qui ont fait de lui un des maîtres de l’anthropologie historique. De l’autre, il s’intéressait à cette histoire politique que réprouvaient tant les fondateurs des Annales, Marc Bloch et Lucien Febvre. Il a donc poursuivi parallèlement deux démarches qu’il n’est pas interdit de considérer comme incompatibles. Il doit être l’un des seuls à avoir osé devoir maintenir ces deux traditions, ce dont il s’explique dans Essais d’ego-histoire[6]. S’étant considéré comme un militant, sous diverses formes, il a toujours cherché à lier son activité politique à sa production scientifique. Son intérêt pour la « cité » l’a conduit donc à réfléchir sur les questions d’histoire politique, affirmant bien évidemment que chacun des domaines étudiés déroule ses propres protocoles, utilise ses propres sources, chacun étant radicalement différent de l’autre. Les textes et les méthodes divergent, mais l’auteur n’a jamais séparé ses deux lieux d’expression.

53Son De Gaulle – et c’est l’un de ses intérêts – permet à Agulhon de joindre enfin les deux paradigmes antérieurement séparés, preuve qu’il ne les vivait pas si sereinement. Il prend donc un personnage politique, mais il l’examine comme une image, ainsi qu’il l’avait fait pour Marianne. Il peut donc dérouler sans retenue sa subtile ironie que ses proches connaissent bien et dont, désormais, pourront bénéficier ses lecteurs. Ses paraphrases de de Gaulle constituent des passages dignes de figurer dans les anthologies de l’humour [7]. Le ton adopté introduit une distance qui ménage le passage de son ancienne opposition résolue au Général à l’analyse de ses politiques, d’une position de citoyen à celle du critique académique, du militant au chercheur, de l’hostilité rigide à l’acceptation critique, en un mot, la reconnaissance du rôle joué par de Gaulle lors de son retour aux affaires. Dans ce livre, Maurice Agulhon réconcilie également les méthodes élaborées depuis son premier article traitant de Marianne en 1973 (et surtout dans trois livres) et son intérêt pour l’histoire politique. Il pose de Gaulle, homme politique, comme une image tout autant que la Marianne républicaine mais il s’agit cette fois d’un personnage vivant et non d’une image ; d’un homme politique qui a dirigé la France à deux reprises. En ce sens, ce petit livre mérite un examen attentif de la part des anthropologues.

54La jonction de deux préoccupations permet à Agulhon de s’abstraire de tout impératif concernant le recours à la « réalité » : le de Gaulle étudié dans le dernier ouvrage réside tout entier dans ses représentations. Aucun recours au « pratico-inerte » de Sartre (ce qui ne réagit pas au discours tenu sur lui) ou aux « structures » (opposées aux représentations) de Bourdieu n’est donc nécessaire. L’auteur se situe résolument au-delà, dans « quelques dates, quelques signes, quelques hauts lieux, quelques fortes paroles » [p. 7], des images à décrypter, présentes dans l’imaginaire des locuteurs, qu’ils parlent ou qu’ils s’écrivent. En un mot, par son sujet, Agulhon se situe dans le camp de ce que l’on a pu appeler l’anthropologie symbolique.

55Comment procède-t-il ? Tout comme Geertz naguère, il fait jouer au départ l’effet « j’y étais » en invoquant dès le premier chapitre quelques-unes de ses « Rencontres » (avec R majuscule) avec l’image du personnage, en automne 1978 (à l’occasion d’un passage à Colombey au hasard d’un déplacement professionnel), et en 1980 (lors de son livre d’histoire politique sur la République du xxe siècle). Agulhon confronte donc les sources écrites sur l’homme public avec les marques actuelles du personnage, sans oublier, évidemment, l’histoire personnelle de l’auteur dont les relations avec la politique et le gaullisme ont nécessairement évolué. Dès le départ, nous savons d’où parle Agulhon, et connaissons la place qu’occupe l’enquêteur.

56Ensuite, il propose d’examiner son objet de trois points de vue, de trois lieux : 1) les représentations politiques exprimées par de Gaulle lui-même ; 2) les concrétisations du mythe, monuments et rites (on pourrait dire les concrétions), et enfin, 3) les récits qui l’expriment. Remarquons le déroulement résolument inductif du propos qui, par son plan, classe les sources des plus indiscutables (les propos imprimés du personnage) à ses manifestations observables pour finir par les configurations mythiques relevées çà et là. Il va donc, en bon historien (mais aussi en bonne démarche scientifique), du plus assuré vers le plus discutable, sans jamais s’aventurer vers une extrapolation éloignée des données recueillies, sans faire la moindre « conjecture », comme disait Malinowski. Si Agulhon n’éprouve pas le besoin de justifier son plan, c’est qu’il le considère comme évident, tant il l’arrime à l’antique tradition de la critique historique, fondée sur l’appréciation maniaque de la qualité des sources. Ce présupposé évident fonde une démarche, mais surtout trace une frontière entre les auteurs et les disciplines. Les unes se préoccupent de la validité relative des matériaux à partir desquels elles construisent le savoir, alors que d’autres cherchent ailleurs leur autorité. En effet, la force de la science historique ne réside pas seulement dans ses analyses diachroniques, sur la sanction que posent l’irréversibilité du temps et l’anachronisme, mais surtout peut-être, dans ses exigences documentaires, tellement évidentes qu’elles ne sont (presque) jamais rappelées. L’habitude de la critique des sources entraîne une grande exigence sur la qualité de toute donnée. De ce point de vue, les sciences sociales ont beaucoup à lui emprunter, elles qui trop souvent s’appuient par exemple sur des chiffres dont nul ne sait comment ils ont été fabriqués ou imposent des classements préétablis à des matériaux ou des locuteurs qui n’en peuvent mais, sous le nécessaire prétexte de construire un texte en trois parties.

57Armé d’une méthode rigoureuse pour décrire l’imaginaire politique du Général, Agulhon s’appuie sur le socle solide de ses écrits qu’il est facile de citer mais surtout dont les techniques de critique ont été affinées par des générations d’historiens. En l’affaire, le travail est fortement facilité par la permanence des idées de de Gaulle sur une sorte d’« ontologie de la France » avec, qui plus est, le miroir d’interlocuteurs complices comme, entre autres, ses anciens ministres Pompidou et Peyrefitte. En bon spécialiste du xixe siècle, Agulhon va cependant chercher les origines de ces conceptions dans Guizot ou Renan. En un mot, pour de Gaulle, la France s’incarne dans une succession de succès ou d’échecs résultant du dualisme État/peuple qui semble bien issu de Maurras dont on parle fort peu selon l’avis de l’auteur lui-même et surtout, peut-être, des topiques de la jeunesse de de Gaulle. Pour aller plus loin, une comédie historique écrite en 1927 permet de déterminer les modèles du Général aux deux sens du terme, Carnot constitue – avec quelques autres – l’homme à imiter mais aussi le type de conduites à tenir. Agulhon détermine les catégories qui organisent la pensée politique d’un indigène nommé de Gaulle.

58Après l’examen des textes, il en recherche les effets dans l’observation des pierres et des rituels. Il fait une géographie de l’hagiographie parisienne gaullienne avec ses concurrences, ses complémentarités, ses amalgames, ses innovations, Arc de triomphe, Panthéon, Invalides : autant de lieux avec lesquels de Gaulle a joué, attentif à l’efficacité symbolique des monuments.

59Enfin dans la partie consacrée à la mythologie, Agulhon s’interroge sur les mécanismes de constitution, dans le public, des images, des propos, des données largement imaginaires ou, en tout cas, décontextualisées qui évoquent le personnage « de Gaulle ». Il ne s’agit plus d’histoire, mais de fable, pour reprendre le terme du xviie siècle, ce qui ne veut surtout pas dire que ces fictions ne soient pas ressenties comme des réalités. De là découlent les deux interrogations que propose la prudence d’Agulhon : quels sont les ingrédients qui permettent à un homme politique de devenir un mythe ? Comment de Gaulle a-t-il forgé son personnage que d’autres ont pu imaginer ? Évidemment, il n’y a pas de réponses définitives à de si larges questions, mais de fortes hypothèses, invitations à de nouvelles recherches.

60Le livre d’Agulhon est important à divers titres. En premier lieu, il montre, si tant est que cela ne soit pas devenu une évidence, la capacité de la démarche historique (en tout cas celle dite des Annales, celle de l’anthropologie historique) à enrichir l’anthropologie, voire à la développer. On savait déjà la fécondité du thème de la sociabilité. Mais en étudiant le de Gaulle d’aujourd’hui, qui n’est ni celui d’avant-guerre, ni celui de la Libération, ni même celui de la Ve République, Agulhon examine les configurations que prend l’image de cet homme politique dans les représentations ordinaires, objet anthropologique s’il en est. Pour cela, avec précision, prudence et sens critique (autant de pléonasmes pour définir un bon travail académique), il s’appuie sur les sources les plus diverses qui vont de l’enquête directe, ses visites successives dans les magasins de verroterie, à l’examen des déclarations et des écrits du personnage (non seulement ses discours politiques, mais aussi des textes de fiction, sans évidemment oublier ses Mémoires). Il mêle ces informations en fonction du contexte qui a produit chacune d’entre elles, et selon les nécessités de sa propre démonstration.

61En second lieu, cet ouvrage ouvre l’anthropologie à de nouveaux objets. Celle-ci en effet, et ce livre le démontre, dispose de la capacité de comprendre des conduites du haut comme du bas. Au lieu de se limiter à une seule face, elle s’est donné pour tâche de regarder de l’autre côté du miroir, d’examiner les résultats fournis par divers points de vue. Jamais nous ne voyons la totalité des objets, mais les autres peuvent nous donner une idée des aspects cachés. En un mot, il s’agit de transposer, dans l’étude des sociétés d’aujourd’hui, ce que savent faire les historiens qui travaillent sur les archives et les anthropologues qui vont dans les sociétés exotiques observer des conduites singulières. Dans les deux cas, une information ne résulte que d’une série de coïncidences, surtout d’ailleurs si elle se présente sous forme chiffrée. La réalité n’apparaît jamais directement, immédiatement. Elle doit être reconstituée, à partir des données partielles et partiales qu’il faut interpréter. C’est tout le travail d’Agulhon, qui décrit avec le plus grand soin les procédures suivies pour recueillir les données qu’il utilise. Le résultat : son De Gaulle dit bien davantage que d’autres études plus prétentieuses.

62En effet, en troisième lieu, l’ouvrage réalise une sorte d’exploit en ce sens qu’en s’appuyant sur la seule micro-observation (sous des formes fort diverses comme nous l’avons vu), il analyse un dirigeant politique dont l’action intéresse pour le moins une nation (à condition d’oublier ses effets internationaux). Le microcosme explique avec succès le macrocosme. Que ce mouvement soit depuis au moins la Renaissance un ressort de ce qui s’appelle aujourd’hui les sciences sociales, le succès des sondages le montre. Mais notre auteur rompt avec l’idée que l’un se trouve dans l’autre, que l’échantillon révèle l’ensemble de la population, que pour étudier certaines personnes il faut s’intéresser à d’autres, que la partie exprime le tout. Cette idée de représentation est étrangère à Agulhon. Il ne travaille que sur ce qu’il connaît et donne à voir au lecteur la légitimité des déductions issues de ses rencontres contingentes que ce soit à Colombey-les-Deux-Églises, dans la boutique des Invalides ou dans les textes mêmes du personnage. Les idées les plus générales résultent immédiatement des données recueillies. La continuité fonde la démonstration. Agulhon met le dossier sur la table et les hôtes – ses lecteurs – disposent des moyens d’apprécier la qualité des démonstrations. À eux d’accepter (ou de refuser) le droit de l’auteur de passer des informations collectées à des idées plus larges. Évidemment, il s’agit d’une démarche habituelle des historiens qui utilisent les archives que le hasard leur a fait parvenir mais, cette fois, elle s’applique à un objet qui relève de l’anthropologie du présent, voire de la science politique. Mais dans cette perspective, comment passer du détail au général ? Avec une extrême rigueur, Agulhon n’effectue aucun glissement. Il ne montre que ce qu’il constate, en indiquant chaque fois le contexte de son observation. En revanche, il offre au lecteur la possibilité de croire que des renseignements supplémentaires, un livre plus gros, des enquêtes plus longues, n’apporteraient pas grand-chose de nouveau. La densité du texte, la rigueur de la démarche convainquent sans peine du contraire. Avec le minimum de moyens, les exigences d’Agulhon emportent l’adhésion du lecteur.

63Sous des formes modestes, un nombre de pages restreint, un style humoristique, des enquêtes posées comme limitées, le livre d’Agulhon peut se lire comme un manifeste en faveur de sciences sociales rigoureuses s’appuyant sur des démarches exigeantes. Il n’avance que ce qu’il connaît en donnant chaque fois l’origine de ses sources, les conséquences qu’il en tire, les limites de son propos. Pourtant, ces habitudes indispensables dans le domaine académique surprennent. Pourquoi apparaissent-elles si insolites ? C’est qu’il aborde un thème, un chef d’État, une échelle, la nation, un domaine, la politique où fleurissent généralement les catégories pré-construites, les sources non critiquées, les amalgames, les informations fabriquées, une infinité de « boîtes noires » auxquelles le lecteur n’a généralement jamais accès. Les clichés ainsi fabriqués gagnent leur crédit par la répétition, mais ne résistent pas à un examen attentif. Au contraire, l’apparente modestie d’Agulhon donne à son propos une force et une autorité qu’il ne cherche pas dans les statistiques, dans des confidences, d’autres livres ou dans des relations, dites privilégiées, mais dans l’analyse rigoureuse des quelques données qu’il a pu réunir en marge de ses recherches principales.

64Marginal par rapport aux démarches habituelles sur les questions politiques, l’ouvrage présente une conclusion qui, en bonnes règles de rhétorique, propose d’élargir le sujet. Intitulée « Dernière leçon », elle confronte les résultats de l’enquête à d’autres ouvrages plus classiques sur la politique et la France, invoquant tout à coup Vidal de La Blache, Jean Brunhes et René Rémond. Quel est le sens de cette confrontation de dernière minute avec des auteurs qui n’avaient pas été évoqués ? Proposons trois types d’explications. En premier lieu, cela souligne la faiblesse de l’anthropologie dans notre pays qui, n’étant pas assurée de sa démarche et de son statut (à la différence des pays anglo-saxons), éprouve le besoin de chercher ailleurs par une comparaison avec d’autres disciplines davantage établies une légitimité qui lui est largement refusée. Alors qu’elle est pourtant en toute rigueur – comme le montre avec évidence le livre d’Agulhon – bien plus exigeante que d’autres, elle a souvent par méconnaissance une réputation inverse. Il lui faut donc trouver ailleurs, en s’appuyant sur d’autres disciplines, une légitimité qui lui est souvent refusée. Une deuxième explication réside dans le mépris dont pâtissent trop souvent les « savoirs assujettis », les discours naturels, la parole ordinaire. Les prendre en compte dans l’étude d’un chef d’État demande d’autant plus une justification qu’Agulhon les met au même rang que les déclarations politiques : la médaille vendue avec les pacotilles des Invalides est, à ses yeux, aussi intéressante qu’une étude s’appuyant sur des données plus reconnues (des chiffres dont par ailleurs personne ne peut savoir comment ils ont été fabriqués, des déclarations publiques, des citations d’auteurs reconnus). De plus, une forme de rhétorique met en marge des recherches – en introduction, conclusion, notes ou annexes – les données de seconde main. Ces dernières contribuent à légitimer les résultats antérieurement posés de l’enquête directe et à montrer que l’auteur a utilisé toutes les ressources disponibles. Agulhon appelle donc Brunhes et Rémond à défendre la démarche anthropologique puisqu’elle lui a permis d’obtenir des résultats que confirment les propos des maîtres de la science politique et de la géographie. Et puis enfin, là aussi, la prudence de l’auteur tempère son audace antérieure par une fin plus conformiste renvoyant explicitement à ses propres travaux d’histoire politique.

65Voilà qu’Agulhon réunit les deux veines de ses travaux. Je ne sais si l’histoire politique saura en profiter, mais ce dont je suis sûr, c’est que les anthropologues ont beaucoup à apprendre de ce livre modeste par la taille, mais riche d’enseignements. ?

Valéria A. Hernandez, Laboratoire mode d’emploi. Science, hiérarchies et pouvoirs, Paris, L’Harmattan (coll. « Anthropologie critique »), 2001, 395 pages

66par Monique Selim

67ird

68L’ouvrage de Valéria Hernandez est fondé sur une problématique rigoureuse, centrée sur la production hiérarchique et ses logiques spécifiques dans un champ particulier d’activité finalisée : la science.

69Montrant une connaissance maîtrisée de la littérature scientifique impliquant ici, outre l’anthropologie, la philosophie, l’épistémologie et la sociologie de la science, il s’appuie sur un travail de terrain approfondi construisant l’enquête en miroir de dévoilement des enjeux internes au champ social à partir de la position de médiateur de l’ethnologue. Dans cette optique, V. Hernandez a retiré un bénéfice intellectuel certain de son regard d’étrangère et de sa propre altérité sur un double plan : dans son observation des rapports hiérarchiques entre les acteurs, mais aussi face à elle-même ; dans son interprétation des différences qui régissent les structurations hiérarchiques des communautés scientifiques française et argentine, cette dernière devant de surcroît gérer sa place défavorisée dans le cadre de la hiérarchie nord/sud.

70Ce livre constitue donc une réelle contribution à une anthropologie du présent centrée sur les lieux centraux des contradictions qui imprègnent les sociétés contemporaines industrialisées. Plusieurs points méritent d’être soulignés, dont le premier est le caractère pionnier de ce travail anthropologique sur un laboratoire scientifique, champ social peu visité par les anthropologues (particulièrement français) et qui est ici appréhendé dans sa spécificité propre, sans glissements conceptuels et analogiques, sans concession à une métaphorisation facile et suggestive. Le laboratoire est replacé en tant qu’objet ethnologique, d’un côté dans une matrice plus large où prennent place les entreprises en même temps que l’ensemble des institutions publiques et privées ; de l’autre dans son contexte historique récent marqué par la crise du marché du travail scientifique et la fonctionnarisation de la recherche.

71Au plan méthodologique, outre la traditionnelle combinaison entre entretiens/immersion/observation, l’auteur s’est, avec une grande intelligence, saisi de deux événements décisifs réinvestis comme des opérateurs d’analyse de la dynamique des rapports sociaux : la réforme de l’epst auquel appartient le laboratoire et la vacance momentanée de sa direction. Le schéma agonistique mis en évidence à partir de la réforme de l’inra dépasse largement le microcosme ethnographique décrit. En effet, plusieurs axes généralisables sont dégagés : tout d’abord l’édification imaginaire de l’administration en instance de domination extrême, refoulée en étranger à la scène interne de la recherche. Ensuite, la crispation des chercheurs dans une identité ontologisée de « scientifique » occultant les dispositifs fondamentaux des rapports de production où est contenue la dépendance étatique. Enfin la cristallisation d’une appartenance communautaire toujours susceptible d’être amputée de son passé, érigé en référent ultime d’auto-légitimation, et les effets d’exclusion de ces constructions symboliques sur les catégories dominées que sont les ita et les Hors Statuts insistent sur l’accentuation des ruptures hiérarchiques en jeu.

72Deux angles d’attaque révèlent l’originalité de cet ouvrage. Les logiques internes de hiérarchisation sont saisies, d’un côté à travers les contraintes propres à chacune des catégories en jeu mettant en œuvre des réinterprétations spécifiques ; de l’autre dans le champ social total d’interaction entre ces différents registres. L’accent est, d’autre part, mis avec pertinence sur les modalités de construction des identités, refoulant ou au contraire exhibant les inscriptions personnelles dans les autres champs d’insertion des acteurs que sont la famille, l’habitat, la vie associative, etc.

73En montrant l’importance centrale de ce processus d’élimination, ou au contraire de réédification de la pluralité des appartenances individuelles dans l’espace hiérarchique du travail, en en faisant le moteur du procès de hiérarchisation dans une configuration où la norme implique une séparation des sphères publiques et privées, V. Hernandez décrypte avec finesse la complexité microsociale : l’autonomie illusoire des ita revendiquant la multiplicité de leurs insertions – contrepartie nécessaire à leur consentement à la dépendance et à la subordination – est ainsi opposée au resserrement des chercheurs sur une identité « scientifique » exclusive, monolithique et réifiée, conséquence inéluctable de la dominante qui sert de modèle pour les jeunes se destinant à la recherche.

74En sortant du champ clos de son terrain – replacé dans la conjoncture globale qui lui donne sens et appréhendé dans une perspective historique et comparative –, l’auteur nous propose une réflexion d’anthropologie politique prenant pour objet les logiques d’action des sujets sociaux d’autant plus pris dans les amphibologies inesquivables de la domination et de l’émancipation qu’une réflexivité généralisée – impliquée par la circulation des informations, des connaissances et des regards – est devenue constitutive des identités. L’intérêt d’une recherche anthropologique sur des institutions typiques de la « modernité », tels les laboratoires scientifiques, se voit ici largement confirmé. ?

Olivier Faure (sous la dir. de), Les thérapeutiques : savoirs et usages, Actes du colloque de Saint-Julien-en-Beaujolais, Lyon, Centre Pierre-Léon, 1999, 486 pages

75par Chantal Mougin

76cnrs, cesames

77La thérapeutique a été et reste la parente pauvre de l’histoire de la médecine. À la suite d’un colloque, les articles rassemblés dans cet ouvrage tentent de contribuer à l’élaboration d’une histoire sociale des thérapeutiques qui n’existe pas en français à ce jour. Ils indiquent des pistes à suivre et des terrains à fréquenter [O. Faure : 9]. Près de la moitié de ces articles concernent la médecine des xviiie et xixe siècles. À travers cette gamme de regards multiples, apparaissent les heurs et les déboires d’une tentative constante de faire de la thérapeutique un savoir scientifique, « prouvé ». À la fin du Moyen Âge, médicaments, ex-voto et offrandes propitiatoires se côtoient dans les prescriptions des médecins et apothicaires. Cette irruption du miraculeux semble relever d’une démarche moins irrationnelle qu’il n’y paraît, la démarche positiviste intégrant les aspirations des patients [J.-P. Bénézet : 19]. C’est avec cette réflexion que s’ouvre cet ouvrage où les ambiguïtés des diverses démarches thérapeutiques, plus ou moins rationnelles (ou irrationnelles), traversent l’ensemble des articles et se retrouvent encore dans ceux qui présentent la mise en œuvre des thérapeutiques actuelles.

78En avançant dans le temps, on croise ce qu’a pu être, dans les siècles passés, le regard sur des notions comme le corps, le vide, la mort [C. Beauchamp : 87], la nature et le naturel [D. Teysseire : 55], la folie, le sang (et le rôle de la saignée, seule ressource des médecins contre la plupart des maladies jusqu’à la fin du xixe siècle [J.C. Beaune : 35]), etc.

79Dès 1778 en France, la Société royale de médecine évalue scientifiquement et rigoureusement les remèdes, autorisant ou non les nouveautés [P. Kibleur : 73]. En 1832, débute une tentative d’utilisation des statistiques dans la recherche médicale (sans grand succès) [P. Bourdelais : 107 ; G. Jorland : 123]. Malgré tout, jusqu’à l’arrivée des antibiotiques en 1944, domine le sentiment de l’impuissance à guérir, les médecins prescrivant surtout en réponse aux demandes des patients, par humanité, plus que par souci scientifique [B. Vergez-Chaignon : 135]. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que s’impose progressivement l’essai clinique contrôlé, base essentielle d’un savoir thérapeutique, dans le cadre de ce qui serait une médecine reposant sur des preuves, la notion de preuve et d’évidence dans l’action et la décision thérapeutique posant toujours question. « La standardisation des méthodes répond au souci de substituer à l’arbitraire sauvage du jugement individuel un arbitraire collectif raisonné, prudent. » Voilà « comment la raison humaine débrouille une réalité en acceptant quelques fils qui lui échappent » [A. Fagot-Largeault in N. Bossard, J.C. Thalabard : 169].

80Les limites du rationnel dans l’usage des médicaments sont encore aujourd’hui manifestes dans l’analyse des discours des visiteurs des laboratoires auprès des thérapeutes : il s’agit d’une transmission brouillée de connaissances pseudo-scientifiques, de savoirs difficilement conciliables, dans laquelle le rôle de la rentabilité des industriels privés n’est pas neutre. Savoirs scientifiques, préoccupations sociales et politiques interfèrent. Après quoi, l’usager s’approprie ou non la thérapeutique par de multiples négociations. Le médicament est aussi là pour rassurer le médecin. « Il faut reconnaître la nécessaire partialité d’une décision, l’intrication des pouvoirs, et arrêter de croire au pouvoir unique de la science et de la rationalité. » [P. Maire : 171]

81Dans une seconde partie de l’ouvrage, consacrée aux pratiques et terrains, sont décrites ce qu’étaient aux xviiie et xixe siècles les pratiques des médecins [J. Bernier : 223], chirurgiens [M. Louis-Courvoisier, V. Barras : 195] et pharmaciens [V. Berridge, S. Anderson : 317], l’organisation de la médecine militaire [P. Hudon, O. Keel : 209], les rencontres et confrontations entre médecine officielle et médecines parallèles face à la rage : où l’on voit que la démarcation entre prévention et thérapeutique est floue, tout comme le terme de « remèdes » [M. Ramsey : 237]. L’on voit aussi que face à l’alcoolisme, l’impuissance thérapeutique a stimulé la recherche et l’expérimentation [D. Nourrisson : 251]. « Les thérapeutiques non conventionnelles et les maladies spécifiques jouent un rôle décisif dans l’histoire des thérapeutiques […] La dynamique thérapeutique est d’autant plus grande que la maladie est rebelle ».

82L’analyse d’un ordonnancier de la fin du xixe siècle révèle un recul des pratiques médicales, par scepticisme, et la popularité des remèdes secrets, mais aussi l’industrialisation et la commercialisation du médicament par l’industrie pharmaceutique, ainsi que le processus de médicalisation de la société [J. Collin : 267]. Et l’étude du thermalisme en France au xxe siècle montre comment celui-ci est soutenu par les médecins (non sans intérêt), alors que l’efficacité thérapeutique des eaux thermales reste à prouver [G. Weisz : 285].

83Une analyse de la façon dont s’élaborent les médicaments dans les entreprises pharmaceutiques aux xixe et xxe siècles éclaire le passage du contrôle à la recherche appliquée puis à la recherche fondamentale, et les transferts de savoirs avec l’arrivée de la chimiothérapie puis de la biologie moléculaire et de la génétique [S. Chauveau : 303].

84La troisième partie de ce livre analyse comment le malade négocie et s’approprie les thérapeutiques. En matière de consentement du malade, le droit médical a évolué, le médecin ayant aujourd’hui obligation d’informer, mais pas obligation de résultats. En arriverions-nous à une relation hiérarchique où le médecin serait un subordonné ? [J. Michel : 341]. Déjà au xviiie siècle, l’analyse d’un corpus de lettres met en lumière comment sont négociés les traitements et les régimes, comment les patients sont plus ou moins soumis et jugent par eux-mêmes ce qui leur convient [M. Stolberg : 357].

85Thérapeutiques empiriques et symboliques sont toujours liées, complémentaires, comme le sont médecine savante et populaire. L’examen des recettes de médecine populaire collectées par les folkloristes en France à la fin du siècle dernier révèle une thérapeutique souvent préventive (amulettes, protections), avec une dimension rituelle et religieuse qui intègre des transferts sur des objets. Le remède rétablit l’équilibre entre le corps malade et l’extérieur. Les gestes de soins et les paroles qui nomment le mal sont tout aussi importants [F. Loux : 369]. Depuis toujours, les rituels sont une part du médicament, la forme du soin est incluse dans le soin, sans laquelle celui-ci est inerte. Le médicament suit un trajet biologique et un trajet social qui lui donne accès au corps du malade. Le placebo met en évidence l’efficacité de la représentation et de la relation. Objets transactionnels, les médicaments libèrent de leur anxiété les patients comme les médecins. Ils agissent en tant que parole [J. Benoist : 383].

86L’analyse des discours et des pratiques, des contradictions, des ruptures et des inadéquations entre ce qui se dit et se fait, doit précéder toute élaboration d’une information dans le domaine de la santé. L’information est mieux perçue si elle est cohérente, répétée, relayée, si elle répond à un besoin et est transmise par un familier estimé compétent. Elle peut être vécue comme persécutoire, voire mauvais présage pouvant engendrer la maladie. Les résistances sont constitutives d’un espace privé qui permet de protéger l’identité. Le dialogue et le temps sont nécessaires à l’appropriation des savoirs [C. Durif-Bruckert : 395].

87L’analyse de ce qui concerne les psychotropes, dans des entretiens sur les pharmacies familiales, révèle l’ambivalence de ces médicaments. Si anxiolytiques et hypnotiques sont perçus comme remèdes décontractants pour dormir ou pour l’angoisse, les « nerfs qui craquent » sont attribués au rythme de vie, de travail, à l’alimentation et l’environnement, mais aussi au relâchement des liens familiaux que le remède restaure. Les interlocuteurs ne semblent pas reconnaître une grande légitimité au traitement médicamenteux du mal-être [C. Haxaire, E. Cambon : Wald, J. Brabant-Harmonic : 407].

88Dans la prise en charge médicale de l’hémophilie, le passage d’un modèle fondé sur une forte dépendance à l’égard des médecins à un autre fondé sur l’autonomie des malades montre une mutation profonde, la reconnaissance que le malade en sait autant, voire plus que le médecin sur sa maladie [D. Carricaburu : 429]. Pour ce qui est du sida, les nouvelles thérapeutiques modifient l’inscription dans le temps – temps scandé par les prises quotidiennes ou temps de l’avenir modifié – et dans l’espace social – espace du secret maintenu ou partagé, de la négociation thérapeutique où le médicament prend fonction de médiateur symbolique [C. Broqua : 441]. Quant au cancer, si la science et la puissance des moyens transforment l’expérience de la souffrance et de la mort, ils n’en neutralisent pas pourtant le poids existentiel et la signification. Ici, la relation thérapeutique n’est plus l’espace tranquille de la puissance humaine ; le mode de relation dont dispose l’hôpital est fondé sur la dérobade humaine : plus que des médecins, le patient voit des chercheurs qui lui demandent de s’associer à leurs recherches, maladroits à penser la nature de la relation thérapeutique. L’aspect scientifiquement établi du traitement permet d’évacuer le rôle du médecin et la prise en compte de ce que les relations inter-humaines peuvent avoir de thérapeutique [O. Marcel : 481].

89« L’histoire des thérapeutiques ne peut se limiter à l’échange visible d’un acte ou d’un remède en échange d’une rémunération, car il est aussi échange symbolique et échange entre des êtres. Ainsi appréhendée, […] par l’étude de situations concrètes vues à travers des sources bien réelles, l’histoire des thérapeutiques […] peut aussi être centrale pour retracer celle de la société. » ?

90Les références entre crochets renvoient aux contributeurs de l’ouvrage dont il est rendu compte.

Bertrand Hell, Possession et chamanisme. Les maîtres du désordre, Paris, Flammarion, 1999, 392 pages

91par Jean-Pierre Chaumeil

92cnrs

93Confrontant sa propre réflexion sur les cultes de possession au Maroc (tout particulièrement chez les Gnawa) avec d’autres travaux d’anthropologues menés dans différentes régions du monde, Bertrand Hell propose dans cet ouvrage largement ouvert au comparatisme une approche conjointe du chamanisme et de la possession. L’heure lui semble en effet venue de rompre une fois pour toutes avec le « dogme structuraliste d’une opposition binaire irréductible » entre les deux phénomènes [p. 17]. Ceux-ci doivent être pensés ensemble, animés qu’ils sont par une même logique de fonctionnement (celle d’une alliance avec la surnature) et un même objectif (la « maîtrise du désordre »), et non plus comme deux phénomènes antithétiques. L’idée de réunir sous un même chapeau chamanisme et possession n’est cependant pas une nouveauté. I. Lewis préconisait dès 1971 de les regrouper dans la catégorie des « religions extatiques ». B. Hell préfère quant à lui parler de « système du désordre » [voir notamment p. 165], qui s’opposerait aux « religions de l’ordre », à savoir les religions universalistes. La ligne de fracture ne serait donc pas entre chamanisme et possession, mais bien entre ces derniers et les religions du salut dominées par le dogme et les écritures (comme on le voit, les oppositions catégorielles ont la vie dure).

94Ce point exprimé en termes d’opposition tranchée entre « religions » de l’ordre et du désordre est toutefois discutable si l’on considère que, dans nombre de sociétés, le chamanisme, tout comme la possession, sont loin d’occuper l’intégralité du champ religieux, et se trouvent souvent associés à d’autres dynamiques (messianismes, prêtrise comme dans les Andes sud-américaines, etc.). Nombreux sont également les exemples de configurations religieuses associant chamanisme et religion du salut (ainsi que le note d’ailleurs l’auteur lui-même). Il ne faudrait donc pas voir ces deux grandes traditions religieuses comme deux mondes étanches, incompatibles et en constante opposition, même si à l’évidence les principes qui les gouvernent sont fort différents.

95Cela dit, nous rejoignons B. Hell lorsqu’il souligne les difficultés croissantes à opposer dans les faits chamanisme et possession. Si l’on s’en tient aux typologies classiques, on aurait bien des difficultés à les départager, tant il est vrai que nombre d’éléments supposés appartenir en propre à l’un ou à l’autre se chevauchent continuellement dans les phénomènes que nous décrivons. C’est ainsi que B. Hell parle de possession « active » chez les Gnawa et que les cas d’« incorporation » dans le chamanisme sont légion. Sur un plan analytique, cependant, beaucoup de chercheurs préféreront maintenir la distinction, car la place qu’y occupe, par exemple, le corps humain (comme lieu privilégié ou non du contact) et les types de relations sollicités restent fort différents dans les deux cas. La tendance actuelle à vouloir tout expliquer en terme de chamanisme incite, par ailleurs, à la prudence dans ce domaine.

96En second lieu, la question du « désordre » est ici problématique en ce qu’elle apparaît essentiellement comme la conséquence de catastrophes ou de malheurs [voir à cet égard le compte rendu de M.-C. Dupré, 2000]. « Partout où l’aléatoire fait vaciller l’ordre des choses – précise l’auteur –, l’intervention des chamanes-possédés semble à nouveau indispensable » [p. 10], « Toujours, il est donc question de malheur et d’infortune lorsque les messagers de l’invisible sont appelés » [p. 105]. Réparer le désordre serait ainsi la tâche essentielle des chamanes-possédés. Or, dans de nombreuses traditions chamaniques, le chamane a un rôle parfaitement actif, voire productif en tant qu’intercesseur auprès des instances gardiennes des ressources naturelles, sans pour autant qu’il y ait nécessité de catastrophe naturelle ou de pénurie alimentaire. Subvenir aux manques ou répondre aux malheurs apparaissent au mieux comme l’une de ses fonctions, mais non la seule (la gestion du milieu naturel semble tout aussi déterminante). De même, loin d’être perçues comme de terribles calamités, les guerres intertribales peuvent être envisagées comme des formes de relations sociales particulièrement fertiles (comme en Amazonie). Le rôle qu’y jouent les chamanes doit être compris comme une démarche productive, et non comme une simple réponse à un quelconque désordre. Ordre et désordre ne sont pas des valeurs absolues, mais relatives. B. Hell précise plus loin ce qu’il entend par « désordre », mais cette précision vient en fin d’ouvrage [p. 333] alors qu’elle aurait dû se trouver au début, de même que la référence à l’ouvrage de G. Balandier (1988) auquel il emprunte la notion de désordre. Celle-ci y est alors définie « comme facteur de régénérescence de l’ordre, comme force porteuse de création nouvelle » [p. 337]. « Le désordre fait partie de l’ordre naturel des choses… [il] n’est en aucun cas synonyme de chaos. » [P. 333]

97Un élément qui aurait sans doute permis un meilleur éclairage de cette notion aurait consisté à développer la figure, trop rapidement évoquée dans le texte, du décepteur ou du bouffon [p. 338-339] dont les liens avec le chamane ont souvent été relevés, ne serait-ce que par leur qualité commune de « passeur de frontières » [de Sales, 1995]. Si l’on a longtemps cru voir dans ce personnage burlesque l’expression d’une pensée indifférenciée, non dichotomisée (un « esprit du désordre », en somme, qui aurait rompu les liens avec la société humaine pour devenir purement instinctif), on a également noté que ce personnage occupait bien souvent une position centrale dans les mythes et qu’il était source d’innovations culturelles, comment à travers lui se jouait toute l’ambiguïté de l’expérience humaine, comment le sens de l’illusion, du paradoxe et de la contradiction qu’il incarne apparaît essentiel pour arriver à une compréhension du penser et de l’agir humains. La « symbolique du désordre » n’est autre que celle d’« une pensée ouverte » sur le monde, reliant les éléments plus qu’elle ne les sépare. On est loin en tout cas d’une définition du désordre en termes d’aléas catastrophiques. Reste que l’ouvrage de B. Hell réunit une somme impressionnante de données et fourmille d’idées et d’intuitions nouvelles, même si l’on est parfois gêné par le recours constant au comparatisme au détriment d’une meilleure contextualisation (historique, politique) des exemples choisis. D’où parfois cette impression d’éparpillement, pour ne pas dire de « désordre », que l’on éprouve à la lecture de certains passages de ce livre par ailleurs fort bien écrit. ?

Jean-Bruno Renard, Rumeurs et légendes urbaines, Paris, puf (coll. « Que sais-je ? »), 1999, 128 pages

98par Gilles Ferréol

99Université de Poitiers

100Une légende urbaine, souligne d’emblée Jean-Bruno Renard, peut être définie comme un récit anonyme, constamment réactivé par la mémoire collective, offrant de multiples variantes attestées dans le temps et dans l’espace, de forme brève, au contenu le plus souvent surprenant – supposé être véridique et authentique, se présentant comme une « histoire exemplaire » et exprimant de manière imagée les peurs et les espoirs, les angoisses et les désirs d’individus ou de groupes sociaux.

101Les folkloristes de la fin du xixe siècle et du début du xxe ont été, précise l’auteur, parmi les premiers à s’intéresser à ce type de narration, la collecte et l’analyse non seulement des traditions populaires, mais aussi de croyances plus contemporaines étant au cœur des préoccupations de nombreux spécialistes tels Paul Sébillot, Arnold Van Gennep ou Wilhelm Mannhardt. Il faudra cependant attendre les années quarante pour que se développe, sous l’impulsion notamment d’Ernest Baughman, un champ de recherche de plus en plus spécifique prenant en compte des rumeurs ou des anecdotes relatives aux nouveaux biens de consommation. Par la suite, d’autres travaux comme ceux de Richard Dorson, de Linda Dégh ou de Gary Alan Fine viendront enrichir notre connaissance, tant théorique que méthodologique, de ces divers « matériaux » dénommés tall tales en Grande-Bretagne et aux États-Unis, yarns en Australie, Broodje Aap aux Pays-Bas, Klintbergers en Suède… En langue française, les contributions d’Edgar Morin et de Véronique Campion-Vincent apporteront également leur pierre à l’édifice, plusieurs disciplines (dont la sociologie, l’ethnologie ou la psychologie) étant en outre sollicitées.

102Après ces points de repère, une place importante est consacrée à l’examen de « genres voisins », en particulier les mythes, les contes ou les fables : sont alors mis en évidence des « traits communs », des « interdépendances » et des « métamorphoses réciproques » [p. 66]. L’étude de l’émergence, de la diffusion et des usages de ces différentes « productions » révèle le rôle prédominant des minorités actives et attire notre attention sur des principes d’« implication », d’« amplification » ou de « déplacement ». Combinant des dimensions à la fois syntagmatique et paradigmatique, le modèle du « double renversement » offre ici, quelles que soient les versions retenues (celles de Vandendorpe, de Williams ou bien encore de Labov et d’Adam), une meilleure compréhension de certaines figures de style : métaphores, métonymies, hyperboles, chiasmes, antithèses… Les mutations technologiques, l’évolution des mœurs et la peur de l’étranger constituent, dans cette optique, des thèmes privilégiés, de même que la violence ou le surnaturel.

103Toutes ces manifestations, est-il noté en conclusion, ne sont pas sans évoquer une « pensée symbolique » prenant appui sur un « raisonnement analogique » et portant témoignage des interrogations d’une « modernité en crise ».

104Au total, une belle synthèse, riche en illustrations (songeons au « plongeur carbonisé », au « doberman qui étouffe » ou à l’« auto-stoppeur fantôme ») et que l’on peut recommander sans hésitation… de bouche à oreille ! ?

Rémy Guadagnin, Fosses, Vallée de l’Ysieux. Mille ans de production céramique en Île-de-France, Volume I : Les données archéologiques et historiques, Caen, Publications du cram, 2000, 367 pages

105par Daniel Dufournier

106cnrs

107Cet ouvrage de près de 370 pages présente le bilan de dix années de recherches archéologiques conduites sur les ateliers de potiers qui ont jalonné, à Fosses et sur quelques communes voisines, la petite vallée de l’Ysieux située à 30 km au nord de Paris.

108Ce sont les vestiges de plus d’une vingtaine de sites potiers, couvrant près d’un millénaire de production (du ixe au xixe siècle environ), qui ont été repérés puis fouillés et analysés sous la direction de l’auteur. Ce volume forme la première partie d’une étude dont la seconde, consacrée à la présentation et à l’examen du mobilier céramique, devrait voir le jour à la fin de l’année 2001.

109L’ouvrage comporte quatre chapitres : une présentation détaillée de la vallée de l’Ysieux ; une synthèse des opérations archéologiques ; l’étude diachronique des ateliers mis au jour ; l’apport des sources écrites à la connaissance de cette activité artisanale dans ce secteur francilien.

110Le premier chapitre occupe une cinquantaine de pages. Il dépeint, en y intégrant de nombreuses données économiques, les contextes géographique et historique dans lesquels ont évolué, sans interruption depuis le vie siècle au moins, ces villages et hameaux de la vallée de l’Ysieux. Une description géologique du terroir met par ailleurs en lumière toutes les données qui ont contribué au développement de l’artisanat céramique dans cette zone. Celles-ci sont complétées par des résultats d’analyses physico-chimiques qui ont permis de souligner le choix des potiers pour une matière première argileuse et leur volonté d’utiliser celle-ci en « terre franche ». Le chapitre se termine par une présentation des villages qui, à un moment ou à un autre de leur histoire, ont touché à l’activité potière.

111À l’issue de cette première partie, le lecteur simplement préoccupé d’artisanat céramique et de céramologie, aura pu trouver « le temps long », mais le lecteur attaché à cette région, spécialiste céramologue ou non, appréciera de trouver là tout ce qu’il faut savoir des patrimoines historique, géographique, économique et géologique de cette vallée.

112Le second chapitre relate en une trentaine de pages toute l’histoire de l’occupation du site villageois de Fosses, au travers des découvertes archéologiques qui, pour la plupart d’entre elles, datent de la décennie 1989-1999. Des preuves sont données d’une occupation au moins ponctuelle des sites de Fosses et Bellefontaine aux époques préhistorique et protohistorique, d’une occupation tout aussi lacunaire aux périodes gauloise et gallo-romaine et de la présence sans doute continue d’un habitat, à partir de la fin de l’Antiquité.

113L’auteur s’étonne simultanément que les premières traces d’activité potière n’apparaissent à Fosses qu’à la fin du xie siècle, alors que les analyses physico-chimiques de poteries du ixe siècle recueillies sur le site montrent que celles-ci avaient, dès cette époque, une origine locale. L’auteur en déduit, peut-être un peu hâtivement, que les vestiges de cet artisanat antérieur au xie siècle sont vraisemblablement encore enfouis sous le village de Fosses. Ne pourrait-on pas imaginer que cette activité ait pris naissance sur un autre site, même peu éloigné ?

114Dans ce deuxième chapitre, débute aussi la description des principales zones d’activité potière repérées sur le site, que le chapitre suivant reprendra très largement, entraînant des redondances textuelles et iconographiques qui n’étaient peut-être pas indispensables.

115La troisième partie présente toutes les données de la fouille, atelier par atelier, dans l’ordre chronologique de leur activité, mis à part les officines des xe et xie siècles de Lassy qui ont été traitées en fin de chapitre en raison de leur découverte récente, postérieure à la rédaction du reste de l’étude.

116Ce chapitre, qui forme le corps du travail (150 pages environ lui sont consacrées), débute par une description des principales étapes de la fabrication céramique depuis l’extraction des matières premières jusqu’à l’obtention du produit fini, en passant par le transport, le stockage et la préparation de l’argile, le façonnage, l’habillage, la décoration, le séchage et la cuisson de l’objet. Cette présentation technique s’adresse plus directement au grand public, mais l’auteur en profite pour marquer les connexions entre les données techniques de la fabrication et la lecture de certains vestiges archéologiques (fosses d’extraction, fosses de marchage, zones de façonnage, aires de cuisson, aires ou fosses de rejet, etc.).

117Suit la présentation détaillée de tous les faits archéologiques concernant chacun des nombreux ateliers mis au jour (plus d’une vingtaine, distribués sur les trois communes de Fosses, Bellefontaine et Lassy). Le secteur de production le plus remarquable se trouve sur Fosses ; il comprend une séquence continue d’ateliers, sur plus de cinq siècles, depuis le xie siècle jusqu’au xviie siècle, marquée par les vestiges d’une dizaine de fours et ceux, exceptionnels, d’un bâtiment atelier de la première moitié du xive siècle et d’une unité de production du xvie siècle, qui ont autorisé de bonnes hypothèses de restitution.

118L’ensemble de ces très nombreuses données a aussi permis à l’auteur de proposer un schéma d’évolution technique des fours qui, de « piriformes » à « sole » très inclinée sont progressivement passés, à la charnière des xve-xvie siècles, à une forme plus longitudinale, avec une « sole » beaucoup moins pentue, un volume plus important et une construction plus élaborée. Cette évolution a sans doute simultanément concerné le système de tirage et d’évacuation des gaz et fumées, dont, malheureusement, ici comme ailleurs, il ne reste aucun élément d’appréciation. On sait que, dès l’époque moderne, les potiers ont souvent mis à profit les qualités économiques d’un grand four, pour mettre en œuvre des fours collectifs, mais il ne semble pas que cette démarche ait été celle des potiers de Fosses ; les textes sont en tout cas totalement muets en ce domaine. Notons encore l’usage systématique de pots dans la construction des fours, obéissant en cela à une tradition technique très largement répandue. La description minutieuse des fouilles nous amène aussi à constater que beaucoup de fours sont construits sur l’emplacement d’un four plus ancien, ce qui permet de conjecturer une organisation matérielle plutôt stable et/ou un intérêt technique à cette manière de procéder : un sol déjà préparé et « cuit », un système de drainage déjà en place sont autant d’avantages pour résoudre les problèmes d’humidité.

119Le quatrième et dernier chapitre est consacré à l’apport des sources écrites (actes de ventes, procès, registres paroissiaux, inventaires après décès…) qui nous renseignent à la fois sur la pérennité de l’activité potière depuis le xiiie siècle au moins, les grandes lignées de potiers, la définition de leur profession (laboureur-potier-marchand…), le lieu de leur installation, leur équipement professionnel et domestique, etc.

120Dans ce chapitre, l’auteur essaie d’expliquer la fin de l’activité potière à Fosses, au xviie siècle, au profit de Bellefontaine où se développe une production céramique plus large, englobant poteries et céramiques architecturales. Plusieurs raisons sont avancées, mais l’auteur n’en retient aucune en particulier, invoquant plutôt leur conjonction pour expliquer le phénomène. Tout aussi conjecturale apparaît la participation féminine à cette activité potière, notamment au façonnage des pots. Les textes n’y font aucune allusion, même s’il transparaît clairement que des femmes, généralement veuves, assurent la propriété et la responsabilité de l’atelier. L’auteur nous fait part de sa conviction « qu’il existait bien des potières à Fosses et à Bellefontaine », fondée sur quelques éléments de présomptions (une bague retrouvée dans l’argile, des empreintes de doigts féminins et/ou enfantins sur les pots, etc.) qui pourraient aussi bien marquer une participation féminine, réduite à l’habillage et à la décoration des pots, telle qu’elle existe dans de nombreuses autres régions. L’auteur finit, néanmoins, par exprimer que « l’hypothèse d’une participation féminine à l’activité potière paraît […] recevable mais dans une mesure qu’il reste difficile à déterminer ».

121Après avoir montré qu’ici comme ailleurs les relations potières sont très endogamiques et que le métier de potier n’est pratiquement jamais exclusif, l’auteur aborde l’organisation de la vente et de la diffusion des produits, en se fondant toujours sur les textes mais en y confrontant les données archéologiques faites d’une reconnaissance de tous les lieux où des poteries fabriquées à Fosses ont été découvertes. La question du « marchand-potier » ou du simple « marchand » est évoquée, mais il est clairement exposé que les deux ont coexisté.

122Le chapitre se termine par une description précise des ateliers, habitats et/ou boutiques de potiers, aux xviie et xviiie siècles, à Bellefontaine, tels qu’ils apparaissent au travers des inventaires après décès de plusieurs potiers. Ces inventaires apportent aussi une forte contribution à la connaissance de l’outillage du potier, des matières premières utilisées, des fournisseurs, de la clientèle, des employés, etc.

123L’ouvrage s’achève enfin par 25 pages d’annexes qui regroupent les transcriptions intégrales des principaux textes d’archives utilisés au cours de ce travail, notamment les inventaires après décès.

124Il est manifeste que l’auteur a voulu un ouvrage « grand public » autant que « savant », prenant ainsi le risque de ne pas tous nous satisfaire, chacun y trouvant son compte et ses mécomptes. Les uns trouveront que la description des faits archéologiques est parfois difficile à suivre, notamment parce qu’elle fait appel à une numérotation stratigraphique très technique (bien qu’heureusement logique), au sein d’un répertoire tout aussi codifié mais peu explicite des sites. Les autres pourront s’agacer des redondances ou des rappels de connaissances. Tous seront surpris par la profusion de mires qui parsèment nombre de photos de fouilles dont on appréciera néanmoins la reproduction en couleur, même si l’éditeur en a malheureusement un peu maltraité l’étalonnage.

125Est-ce malice de l’auteur s’il a laissé « traîner » un balai sur la photo de fouilles, en première de couverture ? le jeu étant sans doute d’en retrouver la trace, bien peu évidente il est vrai.

126Certains lecteurs pourront encore se sentir frustrés de ne pas trouver plus d’éléments de comparaison, archéologiques ou bibliographiques, mais s’il manque quelques références (comme celle aux travaux de L. Beuchet et F. Fichet de Clairfontaine sur les ateliers médiévaux de Chartres-de-Bretagne, par exemple), il faut bien admettre que la richesse archéologique des unités de production potière de la vallée de l’Ysieux en fait un peu oublier les autres sites.

127L’ouvrage fourmille de précisions archéologiques, auxquelles l’auteur renvoie systématiquement le lecteur pour justifier telle ou telle de ses propositions. L’ensemble est une véritable mine de renseignements, non seulement pour le lecteur intéressé par l’histoire de cette région ou, plus spécifiquement, par celle de l’artisanat céramique, mais encore pour l’archéologue peu accoutumé aux fouilles toujours très délicates des sites potiers. Il s’agit d’un ensemble de données exceptionnel et probablement unique, à la mesure d’un site tout aussi remarquable dont l’identification, la caractérisation et la défense doivent pratiquement tout à l’auteur et à son équipe. Notons encore que l’ouvrage est parfaitement écrit et que sa parution au lendemain même d’un travail de dix années, sur un site aussi complexe, suscite autant l’admiration que la reconnaissance.

128Ajoutons enfin la bonne qualité d’ensemble de l’édition (couverture, reliure, papier, présentation du texte et des notes) qui rend la prise en main de cette publication très agréable et sa consultation très attrayante.

129Nous attendons tous, avec une grande impatience, la parution du second volume qui sera consacré au mobilier céramique. ?

Jean-Marie Seca, Les musiciens underground, Paris, puf (coll. « Psychologie sociale »), 2001, 246 pages

130par Dominique Goubert

131Université de Paris-X-Nanterre

132Dans cet ouvrage de psychosociologie, Jean-Marie Seca tente de conduire à terme ce que l’on peut décrire comme une réflexion anthropologique sur les pratiques musicales alternatives. Celles-ci expriment une modalité marquante de la professionnalisation postadolescente et l’une des traductions esthétiques de la révolte durant le siècle dernier. Dans un tel cadre, l’underground désigne le champ de reconnaissance sociale et artistique d’anciens adorateurs de styles plus ou moins rock ou pop et le caractère débutant et balbutiant de leurs activités créatives, depuis les garage bands des années soixante ou le moment punk de 1975-1978.

133Cinq chapitres servent de telles fins, selon une progression inductive et analytique, le dernier étant plus théorique et interprétatif : La volonté de puissance des cristaux de masse, Les motivations pour l’underground, Sens et finalités des messages, L’éthique et les rituels de travail, La mise en rythme des conduites rebelles. Notons qu’il est difficile d’approcher de tels milieux sur un mode expérimental ou quantitatif. Les travaux dans ce domaine étant, le plus souvent, journalistiques, impressionnistes, partiaux ou partisans, cette recherche demeure l’une des rares sources de données empiriques, basée sur un corpus important (110 groupes contactés, 50 entretiens collectifs, observation participante).

134L’ouvrage s’ouvre sur l’observation des espaces d’effervescence et de fête. Ceux-là constituent la finalité forte de ces engagements. Le concert est notamment caractérisé à travers le but, souvent dénié, de domination de la foule et par la désignation de certaines phases rituelles de l’activité scénique. La délimitation et l’analyse linguistique de la représentation de la musique, qualifiée de « fluidique », réactualisée dans les disques ou lors des diffusions publiques, permettent d’appréhender ce que J.-M. Seca nomme l’« idéologie de l’hétérodoxie ».

135La joie trépidante de la scène et ses fastes sont cependant soutenus par d’autres motivations plus « secrètes ». La fascination pour ces divers styles (rap, rock, techno) est alliée à une nécessité presque vitale d’exprimer une violence mimétique et contenue à défaut d’être expurgée. L’agressivité amère qui affleure dans l’espace social, du fait d’un manque fondamental d’orientation professionnelle et spirituelle, se cherche des prothèses sémiotiques et néo-rituelles qui, par leur intense expressivité, renforcent ce mouvement de ressentiment dont les industries de la distraction tirent profit depuis des années. J.-M. Seca trace néanmoins un portrait nuancé de ces mondes où l’engagement rageur et altier voisine parfois avec le sentiment de modestie de l’artisan accomplissant sa tâche avec application. Des statistiques, uniques pour ce type d’objet d’étude, sont citées à l’appui d’une argumentation sur la visée professionnalisante, l’appartenance sociale, sexuelle et sociodémographique, la représentation du succès et de l’auto-désignation (nom propre collectif) de ces formations.

136Le message est analysé dans un troisième chapitre, prenant à contre-pied les tendances apologétiques ou les interprétations nihilistes et cyniques de ces pratiques. Les objectifs contestataires du rock (changer, voire – pour certains – détruire le monde) et leur agrégation à l’activité créative (subvertir en distrayant ou amuser en contestant) sont pensés à partir des conséquences de l’indétermination identitaire de ces créateurs à la recherche de devises qui les représentent dans leur originalité et leur dimension personnelle ou privée. L’auteur propose un modèle de la socialisation des artistes dans ces genres électroniques et populaires en s’appuyant sur les acquis des travaux ethnomusicologiques et d’une psychologie des minorités, de l’orientation et du projet. Le langage de l’authenticité est aussi décrypté dans sa sémantique et sa nature structurante pour les productions d’un groupe (pur / impur musical, représentation du style, des médias, etc.).

137La présentation des résultats de cette recherche se termine par un quatrième chapitre plus spécifiquement centré sur les conduites de composition (élaboration du répertoire, répétition, improvisation, reproduction, diffusion, continuité de l’entreprise…) et d’affermissement des valeurs mises en commun dans les groupes. On perçoit ainsi, dans ces activités, une résurgence éthique, proche d’une passion exigeante. Le retour aux sources, le réchauffement utopique, l’affirmation d’un soi plus total, en harmonie avec le monde, évoquent une philosophie politique implicite, naguère analysée par Max Weber, pour qui le mouvement de la Réforme synthétise l’émergence de l’individualisme moderne. La notion de consistance tient une place centrale dans l’analyse des buts de ces fabricants de collages rythmiques, en lutte pour leur reconnaissance « sonique ».

138Mises bout à bout, ces différentes parties s’agrègent en un tableau à la fois impressionniste et construit, allant parfois à l’encontre des idées reçues sur les pratiques musicales rock, rap et techno. Dans le chapitre final, on repérera dans la démarche de l’auteur une volonté d’appréhension à la fois distante et empathique de ces activités. La fabrication de la société par ses adolescents et ses vingt/trente ans, voire la tendance récurrente au « jeunisme », ne cristallisent-elles pas une mutation déroutante de ces cinquante dernières années en Occident ? On peut parler de la généralisation d’une représentation de l’« être jeune », modelant les conduites des « anti » et des « pro »- rock ou techno. Comme d’autres groupuscules, plus politisés, ces minorités musicales se proposent de réécrire, à leur façon, l’histoire et d’organiser une vision du monde tournant autour d’une « musicalisation » de l’existence. Elles sont des faiseuses d’opinions au même titre que les journalistes ou d’autres professions intellectuelles. Une dimension (approfondie dans le chapitre v) est celle de la place et de la fonction des états modifiés de la conscience et du corps pour lesquels quelques pistes de compréhension sont proposées.

139L’auteur insiste tout le long du livre sur la résurgence du phénomène rituel à travers ces conduites et propose le modèle théorique de l’« état acide » pour qualifier cette forme de socialisation émergente et minoritaire. Au final, on insistera sur le caractère original de cette contribution et sur sa lisibilité. Cette accessibilité du contenu ne réduit pas le phénomène observé à une curiosité pour amateur d’exotisme. Elle invite à une lecture et à l’appréciation d’une pensée sur la stylisation des identités minoritaires qui ont trouvé à travers le rock et ses métamorphoses des langages et des publics. Au-delà du cas de figure musical, ce livre interroge l’agitation rebelle, la mise en son de l’« époque », son ambivalence et un certain mode de production des représentations sociales. ?

Bibliographie

Références bibliographiques

  • Pezeu-Massabuau Jacques, 1966, La maison japonaise et la neige, Paris, puf.
  • – 1978, « La maison japonaise : plaisir esthétique et harmonie sociale », Cahiers internationaux de Sociologie, LXV : 315-332.
  • – 1981, La maison japonaise, Paris, puf.
  • – 1984, « Demeure-mémoire, réflexions sur l’habitation des Japonais », Corps-écrit, 9 : 29-36.
  • – 1993, La maison, espace réglé, espace rêvé, Montpellier, É. Reclus.
  • Zink Anne, 1993, L’héritier de la maison. Géographie coutumière du sud-ouest de la France, Paris, ehess.
  • – 1997, Clochers et troupeaux. Les communautés rurales des Landes et du Sud-Ouest avant la Révolution, Bordeaux, pub.
  • Dupré M.-C., 2000, « La fascination du désordre. Un comparatisme décontextualisé », L’Homme, 156 : 247-258.
  • Lewis I., 1971, Ecstatic Religion. An Anthropological Study of Spirit Possession and Shamanism, Baltimore, Penguin Books.
  • Sales A. de, 1995, « Chamanes et bouffons (Népal et Sibérie) », Études mongoles et sibériennes, 26 : 17-39.

Notes

  • [1]
    F. Rudolf emploie le terme « UmweltberaterInnen » : les « conseiller(ère)s en environnement ».
  • [2]
    Cf. p. 19. F. Rudolf ne nous précise pas que M. Gege est un entrepreneur, conseiller en management écologique. Il dirige l’association « Bundesdeutscher Arbeitskreis für umweltbewusstes Management e.V. » (baum), primée par les Nations unies. Cette association regroupe plus de 500 entreprises dont Adidas, Ikea, bmw, Siemens… Toutes ces entreprises investissent le nouveau marché des produits et procédés de production écologiquement corrects, et à ce titre se voient dotées de labels décernés par baum.
  • [3]
    Plus d’une centaine de formations aux métiers de l’environnement existent aujourd’hui en France, dispensées par les universités, les iut et autres instituts de formation. D’autre part, nombre de formations se font aussi « sur le terrain » au travers par exemple du réseau de la cinquantaine de cpie (Centres permanents d’initiative pour l’environnement) ou encore au sein des divers parcs régionaux ou nationaux.
  • [4]
    Un responsable de cpie nous les décrit comme « des “bac + 40”, avec une formation technocratique. Rien à voir avec des naturalistes ou des amoureux de la nature ».
  • [5]
    Renseignement pris dans la bibliographie.
  • [6]
    1987, Paris, Gallimard.
  • [7]
    « Relativisation toujours. Si les “séparatistes” relèvent du vieux fond gaulois, ils n’ont pas vraiment à voir avec le Satan bolchevique. D’ailleurs le Général croyait, dans la même logique, qu’il existait une “Russie éternelle” derrière le communisme. Tout cela demanderait plus de commentaires et plus de discussions. Mais il s’agit moins de réfuter le Général que de rapporter sa pensée. Pour lui la Révolution est donc un mal issu d’une hérédité fâcheuse, mais qui peut se transmuer en bien lorsque le danger de la patrie la métamorphose en défense nationale, donc en un grand moment français. » [P. 49-50]
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