Couverture de ETAN_653

Article de revue

Henry David Thoreau et l'intraduisible du réel

Pages 315 à 330

Notes

  • [1]
    Ce n’est pas là dire que Walden présente un texte totalement cohérent, mais reconnaître que la version finale d’un texte élaboré sur une période d’une dizaine d’années et passé par sept phases successives représente tout de même un ensemble de choix contrôlés par son auteur.
  • [2]
    Cette exploration de diverses formes de conscience dans Walden poursuit ainsi la discussion fondatrice de la notion d’« awareness » par Slovic, dont le chapitre sur Thoreau est consacré au Journal (Slovic).
  • [3]
    L’original de la carte est conservé à la Concord Free Public Library, Massachusetts, parmi des dizaines de documents d’arpentage réalisés par Thoreau. Il est visible à l’adresse http://concordlibrary.org/scollect/Thoreau_Surveys/133a.htm [20/09/2011].
  • [4]
    Les rêveries étymologiques de Thoreau furent encouragées et alimentées par la lecture d’ouvrages du linguiste hongrois Charles Kraitsir (Kraitsir), et du pasteur et lexicologue anglais Richard Chenevix Trench (Trench). Ce qui importe ici c’est sa manière d’en faire de la littérature. Sur l’intérêt de Thoreau pour les questions de langage et sa prédilection pour les jeux de mots et les jeux avec les mots, voir West et Gura.
  • [5]
    Thoreau éprouva à l’égard de William Gilpin (1724-1804), dont il avait lu toutes les œuvres, un mélange d’admiration et de défiance : « An elegant writer of English prose—I wish he would look at scenery sometimes not with the eye of an artist …. However his elegant moderation his real discrimination—& real interest in nature, excuse many things. » (Thoreau 5, 1997, 283-84 [6 août 1852])
  • [6]
    C’était là une caractéristique du grotesque : « […] sous le couvert de l’antique, on tient là un principe de style exactement inverse de ce qu’exige et fonde au même moment l’ordre classique. On peut en énoncer l’originalité à l’aide de deux lois, qui faisaient et font toujours le charme irrésistible des grottesques : la négation de l’espace et la fusion des espèces, l’apesanteur des formes et la prolifération insolente des hybrides. D’abord un monde vertical entièrement défini par le jeu graphique, sans épaisseur ni poids, mélange de rigueur et d’inconsistance qui faisait penser au rêve. Dans ce vide linéaire merveilleusement articulé, des formes mi-végétales, mi-animales, des figures “sans nom” surgissent et se confondent selon le mouvement gracieux ou tourmenté de l’étendue concrète, où règne la pesanteur et à l’égard de l’ordre du monde, que gouverne la distinction des êtres […]. Le domaine des grottesques est donc assez exactement l’antithèse de celui de la représentation, dont les normes étaient définies par la vision “perspective” de l’espace et la distinction, la caractérisation des types » (Chastel 25).
Is not Nature, rightly read, that of which she is commonly taken to be the symbol merely?
(Thoreau 1849, 382)
What is man but a mass of thawing clay?
(Thoreau 1854, 307)

1Si l’appel de Thoreau en faveur de la protection de la nature qui conclut « Chesuncook », deuxième partie de The Maine Woods, constitue depuis longtemps l’un des socles de la pensée environnementale américaine (Specq 409-17, Suberchicot 19-58), la célébration comparable du monde sauvage qui figure dans l’avant-dernier chapitre de Walden (« Spring ») a curieusement moins retenu l’attention :

2

Our village life would stagnate if it were not for the unexplored forests and meadows which surround it. We need the tonic and wildness,—to wade sometimes in marshes where the bittern and the meadow hen lurk, and hear the booming of the snipe; to smell the whispering sedge where only some wilder and more solitary fowl builds her nest, and the mink crawls with its belly close to the ground. At the same time that we are earnest to explore and learn all things, we require that all things be mysterious and unexplorable, that land and sea be infinitely wild, unsurveyed and unfathomed by us because unfathomable. We can never have enough of Nature. We must be refreshed by the sight of inexhaustible vigor, vast and Titanic features, the sea-coast with its wrecks, the wilderness with its living and its decaying trees, the thunder cloud, and the rain which lasts three weeks and produces freshets. We need to witness our own limits transgressed, and some life pasturing freely where we never wander.
(Walden 317-18)

3Cette vibrante déclaration referme les deux derniers chapitres du livre avant la « Conclusion », et je voudrais montrer comment elle forme l’aboutissement logique du mouvement de la pensée de Thoreau dans ces deux chapitres, « The Pond in Winter » et « Spring ». Ceux-ci sont souvent considérés comme secondaires, parce qu’ils semblent largement réductibles aux conventions narratives de l’observation du déroulement des saisons. Lawrence Buell nous suggère pourtant d’y regarder de plus près : « from now until spring, seasonality dominates. To some extent this change makes the latter third of Walden a more conventional logbook. In other ways, the appearance of straightforwardness increases the opportunities for deviance » (Buell 244). Prolongeant cette intuition, cet article entend montrer que lesdits chapitres offrent une exploration parfaitement construite [1] de trois grands modes de relation au monde qui nous entoure, aussi distincts qu’antagonistes. Entendons par là trois manières d’affronter l’écart entre le monde matériel et la conscience [2].

4Ces trois modes distincts correspondent aux trois moments-clés de ces deux chapitres qui forment un tout indissociable : le relevé topographique du lac de Walden effectué par Thoreau et la récolte de la glace de ce même lac par une armée de scieurs, tous deux dans « The Pond in Winter », et la célèbre description du flux d’un talus sableux sous l’effet du dégel dans « Spring » — trois passages que, par commodité, je désignerai comme séquences 1, 2 et 3 dans mon analyse, tandis que le paragraphe cité ci-dessus constituera la séquence 4. J’entends mettre en évidence la manière dont ces passages forment un triptyque et doivent être lus les uns par rapport aux autres, non comme simple récit du cours des saisons, mais comme argumentation — comme rhétorique plutôt que narration. Cette rhétorique repose sur ce que l’on peut sommairement décrire comme une mise en scène de trois attitudes vis-à-vis du monde matériel : du déni de la matérialité au nom d’un humanisme ordinaire nourri d’idéalisme, via un matérialisme dévoyé par son caractère trop humain, jusqu’à un matérialisme véritable, reposant sur la double reconnaissance du caractère concret du monde environnant et de la matérialité du langage, qui fonde une forme plus haute d’humanisme. Je suggérerai également que les trois passages mis en lumière relèvent de trois modes rhétoriques distincts — allégorique, littéral, symbolique — et que la conscience environnementale de Thoreau, dans Walden, est profondément ancrée dans le mode symbolique. Si souligner l’importance du mode symbolique dans Walden n’est guère nouveau, celui-ci a généralement été envisagé selon la perspective formelle du New Criticism (voir notamment Paul et Anderson). Leo Marx a tracé une perspective dont ma lecture offre un prolongement : « The description of the melting railroad bank is an intricately orchestrated paean to the power of the imagination. … Meaning and value … [do] not reside in the natural facts or in social institutions or in anything “out there,” but in consciousness. It is a product of imaginative perception, of the analogy-perceiving, metaphor-making, mythopoeic power of the human mind » (Marx 261 et 264).

De la carte à la traduction éthique : la rhétorique de l’idéal

tableau im1

De la carte à la traduction éthique : la rhétorique de l’idéal

5En janvier 1846, Thoreau, qui était arpenteur professionnel, se rendit, muni de son matériel — « compass and chain and sounding line » (285) —, jusqu’au lac de Walden, alors gelé, et en dessina avec précision une carte, en ayant sondé ses profondeurs plus d’une centaine de fois. Il rapporte cette expérience dans l’avant-dernier chapitre de Walden, « The Pond in Winter », lequel comprend également une reproduction à taille réduite de la carte elle-même (286) [3]. Ce long passage consacré au dessin de la carte du lac de Walden s’organise fondamentalement en deux parties : la cartographie même du lac, d’une part, et la traduction de celle-ci en leçon d’éthique, d’autre part. Cette structure en deux volets reflète la tension entre deux approches antagonistes de la transcendance : tandis que l’acte de cartographier vise à s’en déprendre, dans la mesure où Thoreau entend dissiper les légendes affirmant l’absence de fond du lac, la traduction éthique apparaît pour sa part comme une manière de la restaurer.

6La cartographie répond à l’exigence d’enquête rationnelle qui définit la science moderne — « It is remarkable how long men will believe in the bottomlessness of a pond without taking the trouble to sound it » (285) — et semble l’incarnation même de la science humboldtienne : animée du désir « to explore and learn all things », cette entreprise répond à l’exigence formulée par le savant allemand Alexander von Humboldt (1769-1859) d’une « délinéation » de la « physionomie de la nature » (Humboldt I, 81). Comme le fait observer Laura Dassow Walls, « Thoreau’s local would always speak to the cosmic : Walden, like Eureka, was a response to Humboldt’s Cosmos » (Walls 2009, 264 ; Walls offre l’analyse la plus complète de Thoreau en savant humboldtien [Walls 1995, 134-47]). On rappellera ici que la page d’ouverture de Walden, évoquant le désir qu’a Thoreau d’écrire « as … from a distant land » (3), faisait écho à l’idée exprimée par Humboldt de l’équivalence entre l’enquête scientifique et l’infinité du monde : « The study of a science that promises to lead us through the vast range of creation may be compared to a journey in a far-distant land » (Cosmos I, 50). Dans cette tradition, la carte représente le pouvoir de synthèse du travail de connaissance. La dimension cruciale de l’acte cartographique, dans l’économie rhétorique du texte de Thoreau, tient au fait que le lac est objectivé : devenu objet de connaissance rationnelle, il subit une transformation d’ordre ontologique en étant domaine de la mesure plutôt que de l’imagination, laquelle est ici écartée comme relevant de la fantaisie : « The amount of it is, the imagination, give it the least license, dives deeper and soars higher than Nature goes », proclame le narrateur à l’issue de l’expérience (288). À travers la création d’une image qui prend ainsi le contre-pied de l’imagination, l’altérité de la nature est niée, ou plutôt réduite, dans la mesure où le monde est soumis à nos cadres et à notre raison (ainsi que l’exigeait Humboldt : « the traveler … is guided by reason in his researches » [Humboldt I, 51]), si ce n’est à notre volonté. Le travail de cartographie repose sur la dissociation de la matière et de la conscience, et sur la croyance simultanée en la possibilité de résorber cet écart par l’intellect : quoique le processus de constitution de la carte ne soit pas dénué de dimension perceptive, l’altérité de la nature est in fine subsumée.

7La carte est une représentation abstraite de l’espace vouée à communiquer un sens de manière « linéaire », en fonction des principes de rationalité et de progrès — ce qui rend possible sa mise au service des aspirations expansionnistes, comme suggéré par Humboldt lui-même :

8

… so ought we likewise, in our pursuit of science, to strive after a knowledge of the laws and the principles of unity that pervade the vital forces of the universe ; and it is by such a course that physical studies may be made subservient to the progress of industry, which is a conquest of mind over matter.
(Humboldt I, 53-54, c’est moi qui souligne)

9La forme délicatement festonnée de cette étendue d’eau excentrée et d’une asymétrie flagrante peut certes être également lue comme un commentaire oblique et quelque peu ironique sur la passion séculaire de l’Amérique du Nord pour la déshumanisation de l’espace par la géométrie — remontant au plan de Philadelphie imaginé par William Penn (1681) et, de manière encore plus spectaculaire, à la Land Ordinance votée par le Congrès en 1785, qui divisait le Territoire du Nord-Ouest (à l’ouest et au nord de la rivière Ohio) en sections uniformes formant un véritable quadrillage de l’espace.

10Dans l’économie rhétorique du texte de Thoreau, cependant, la carte incarne avant tout la possibilité, pour le sujet de la perception, de transposer le monde physique en un autre ordre de réalité. Il s’agit, à proprement parler, d’un processus de traduction ou translation, c’est-à-dire non pas seulement de déplacement d’un lieu à un autre, mais de transformation d’un état à un autre, dont la manifestation la plus simple est la réduction dans l’ordre physique de trois à deux dimensions. Le corollaire avancé par le texte de Thoreau est qu’il est ainsi logiquement possible de soumettre le monde physique à une autre forme de translation (pour ainsi dire au sens religieux ancien d’un transfert de la Terre vers le Ciel ; Thoreau fait allusion à ce sens dans un passage de son Journal [18 février 1852] : « … the most interesting and beautiful facts are so much the more poetry and that is their success. They are translated from heaven to earth— » [Thoreau 4, 1992, 356 ; c’est Thoreau qui souligne]), qui le fait apparaître comme une allégorie de la physionomie morale de l’Homme :

11

What I have observed of the pond is no less true in ethics. It is the law of average. Such a rule of the two diameters not only guides us toward the sun in the system and the heart in man, but draw lines through the length and breadth of the aggregate of man’s particular daily behaviors and waves of life into his coves and inlets, and where they intersect will be the height or depth of his character.
(291)

12Thoreau fait ici de toute évidence écho à la fameuse maxime d’Emerson dans Nature : « The axioms of physics translate the laws of ethics » (Emerson 38). Dans cette version du rapport de l’homme à son environnement, le monde matériel n’est pas simplement matière, mais presque immédiatement doté ou imprégné d’un sens allégorique, si l’on convient de définir l’allégorie au sens le plus large, comme une illustration du général par le particulier, un particulier qui peut être circonscrit. Le mode allégorique repose sur la conviction qu’il est possible d’appréhender les correspondances entre ordres de réalité par le biais de la pensée rationnelle (par opposition tant aux caprices de l’imagination qu’à la « folie » qui est ultérieurement au cœur du passage sur le talus en dégel dans le chapitre « Spring »). L’allégorie, c’est l’imagination au service du sens discursif — c’est-à-dire fondé sur la séquence logique plutôt que sur la substitution ou l’équivalence symbolique. Faire sens du monde de cette manière implique donc, non pas seulement de tracer des limites, mais d’effacer sa dimension matérielle par le biais d’une « translation ».

13En dépit d’un humour sous-jacent qui invite à ne pas prendre les déclarations du narrateur trop au sérieux, la cartographie, dans l’économie du texte de Thoreau, opère fondamentalement une idéalisation de la nature, qui ôte à celle-ci sa substance et produit un effet de clôture du réel. Cette approche semble gouvernée par le désir de se placer au-delà de la contingence, conformément à l’exigence formulée par Humboldt de tracer « the stable amid the vacillating, ever-recurring alternation of physical metamorphoses » (Humboldt I, xli) : si teinté d’ironie joyeusement complice que puisse être le travail cartographique de Thoreau, celui-ci dénie ou déjoue la mutabilité des choses, venant à l’appui d’une rhétorique de l’idéal.

14Mais, peut-on de nouveau se demander, la lecture allégorique de la topographie du lac proposée par le narrateur est-elle à prendre au sérieux ? Ou bien celui-ci fait-il seulement mine de se conformer aux conventions allégorisantes héritées d’Emerson ou de la tradition typologique ? Il me semble que Thoreau ne fait ici que jouer avec la possibilité de l’allégorie, et les deux derniers chapitres de Walden sont en fait destinés à célébrer le symbolisme aux dépens de l’allégorie, qui se trouvera finalement rejetée comme étant trop rationnelle, discursive et linéaire. Buell considère que, dans le passage relatant la cartographie du lac, Thoreau « completely suspends the “poetic” dimension of Walden for the nonce and lets geometry take over » (Buell 276). Il serait toutefois réducteur de penser que la carte entrave purement et simplement la vision : la carte ouvre en un sens la vision, précisément parce que c’est la première fois que le lecteur a la possibilité de se représenter ce à quoi ressemble le lac. Quant au genre de géométrie qu’il met en avant, il reste extrêmement « poétique » et bien différent de celui privilégié par les aménageurs de la nation ou les scieurs de glace de la séquence 2. Si le narrateur prétend ici rejeter les errements de l’imagination, ce n’est d’ailleurs que pour mieux laisser la fantaisie imaginative la plus débridée reprendre ses droits dans le chapitre « Spring » (séquence 3). Thoreau se moque gentiment du lecteur lorsqu’il écarte le libre jeu de l’imagination en commençant son récit de la cartographie du lac. Mais Buell a raison de relever que ce passage témoigne aussi à sa manière d’une forme d’anxiété quant à la possibilité de concilier science et poésie (Buell 276).

15Assurément, l’arpentage du lac de Walden n’est pas totalement à prendre au sérieux, et il apparaît dans une certaine mesure comme une version parodique de la nécessité pour l’individu de contribuer à des projets socialement acceptables. Thoreau fait à demi-ironiquement allégeance à la figure de l’explorateur humboldtien et à son désir humaniste de connaissance pour mieux les détourner ensuite. Dans la mesure où elle est un travail socialement valorisé et une forme d’appropriation (intellectuelle) du lac, la cartographie tout à la fois annonce et parodie l’exploitation — c’est-à-dire l’appropriation économique — de la glace de Walden, qui suit immédiatement, formant le second volet de ce que Buell appelle « a diptych of “enterprise” scenes » (Buell 277). Elle contribue ainsi à une interrogation ou une mise en question des usages et conventions par lesquels les êtres humains cherchent généralement à atteindre une normalité et une stabilité rassurantes.

La découpe de la glace ou le principe de soustraction

16La séquence médiane est consacrée à la récolte de la glace de Walden : l’hiver suivant la cartographie du lac, une équipe d’une centaine d’ouvriers vient découper sa glace à la scie pour l’expédier sous les tropiques. La découpe de la glace offre un parallèle au relevé cartographique, dans la mesure où il s’agit d’une entreprise socialement définie et respectable — une forme de business, par opposition à l’idleness du poète vagabond ou de l’errance poétique. Les deux premières séquences doivent en effet être analysées ensemble, l’une et l’autre s’inscrivant comme démarches approuvées par la société en ce qu’ellent procurent un gain, intellectuel ou économique. Le relevé cartographique, si teinté d’auto-dérision qu’il puisse être, n’en relevait pas moins d’un désir de reconnaissance sociale. Cet objectif importait sans aucun doute à Thoreau (qui était un arpenteur estimé et recherché), même s’il en déplorait souvent la vacuité, ainsi que l’indiquent sa fameuse et fréquente métaphore pour le travail d’arpentage (« tending the flocks of Admetus » ; Thoreau compare souvent sa dépendance envers la nécessité de gagner sa vie par des travaux socialement utiles, tels que l’arpentage, à la sujétion du dieu Apollon banni de l’Olympe et obligé de passer quelque temps sur Terre au service d’Admète, roi de Thessalie. Voir notamment Walden [70]) et sa déclaration dans le passage analysé ici :

17

[We] are conversant only with the bights of the bays of poesy, or steer for the public ports of entry, and go into the dry docks of science, where they merely refit for this world, and no natural currents concur to individualize them [i.e. our thoughts].
(292)

18Cette observation s’inscrit dans une longue série montrant que la quête de connaissance poursuivie par la science n’était pas la forme de rapport au monde que privilégiait Thoreau, quoiqu’il fût lui-même un naturaliste averti (sur cette question complexe, voir Walls 1999, ix-xviii).

19Par-delà la relation semi-parodique entre les séquences 1 et 2, cependant, la seconde diffère fondamentalement de la première en ce qu’elle est totalement étrangère à toute forme d’enquête, et plus encore de quête. Dans cette section médiane la matière n’est rien d’autre que de la matière : elle n’est ni allégorique ni symbolique, mais une simple ressource à exploiter en fonction d’une finalité pratique et d’un gain matériel. On notera toutefois que, si Thoreau dénonce la logique économique qui sous-tend l’extraction de la glace (294), il reste plein de bienveillance envers les pauvres hères qui sont les agents de ce qu’il présente comme une dégradation de l’environnement (295), allant jusqu’à s’essayer avec eux aux travaux de découpe. L’important, dans l’économie du texte de Thoreau, est que ce processus ne se prête à aucune forme de traduction ou conversion — si ce n’est, in fine, monétaire —, et encore moins à une quelconque translation transcendantale. Plus encore que le passage évoquant la cartographie du lac, celui sur la découpe de la glace repose sur les principes rationnels de séquence, linéarité et causalité. Ce travail d’exploitation de la matière récuse toute forme de substitution, privilégiant au contraire la répétition à l’identique — comme l’indique avec force l’image de l’entrepreneur conduisant l’exploitation de la glace de Walden « in order to cover each one of his dollars with another » (294). Cette activité se résorbe donc en un strict processus de duplication ou reproduction mené à l’infini (les blocs de glace « placed evenly side by side, and row upon row » [295]) : loin de produire une forme de différence ou d’expansion, elle contracte et opère une réduction du réel. L’exploitation est fondée sur le principe de répétition et d’identité. Ou, pour dire les choses autrement, la seule substitution qu’elle opère est celle de l’immobilité en lieu et place de l’énergie et du processus (le flux des saisons) : l’immense tas de glace, statique, massif, monumental, n’a d’autre fonction que de soustraire la matière à son cycle de vie normal, et de rompre ou brouiller le cycle normal des saisons, en procurant du froid en été (ce en quoi, comme le relevé cartographique, elle vise à supprimer la contingence, quoique d’une autre manière). Cela résulte de ce que la découpe de la glace obéit au principe capitaliste de minimisation de la valeur du présent au profit d’un intérêt futur. À l’inverse, l’extraction de la saveur du réel et de sa valeur intrinsèque au jour le jour, démarche entièrement respectueuse de l’environnement qu’exalte superbement Walden et qu’incarne le Journal, vise à donner sa pleine valeur à la relation de l’individu au moment présent.

20Tant le relevé du lac que l’extraction de sa glace apparaissent, chacun à sa manière, comme illustrant un principe de perfection : la cartographie aspire à une totalité idéale de nature synthétique ou transcendantalisante, l’extraction de la glace vise à produire un tas de glace d’une régularité parfaite, qui apparaît comme une transposition parodiquement réductrice d’une totalité qui n’a plus rien à voir avec les wholes humboldtiens. Comme le relevé cartographique, l’extraction de la glace opère un effacement de la contingence. Mais, suggère Thoreau, le contingent et le particulier ne peuvent être éliminés sans éliminer la vie elle-même, sans vider la vie de sa substance — d’où son désir diamétralement opposé d’être attentif au singulier (« to individualize », 292). Dans la séquence 2, la matière est simultanément et paradoxalement chérie comme un trésor et dématérialisée (la seule translation ou conversion dont elle soit susceptible est d’ordre monétaire). Les scieurs de glace incarnent ou sont la courroie de transmission d’une conception du monde matérialiste, mais il s’agit d’un matérialisme de la soustraction (il s’agit en fait d’un double système de soustraction [matérielle]/ addition [monétaire]), même si le lac finira par être réapprovisionné par la nature, comme le souligne Thoreau (297), par opposition au matérialisme mis en avant dans le chapitre « Spring », que je vais maintenant aborder.

Désaveu de la rhétorique de l’idéal et matérialisme repensé

21La troisième séquence est centrée sur le dégel du talus de la « grande trouée » permettant la circulation du chemin de fer à proximité immédiate du lac de Walden (304-309). Ce passage, pris isolément, est souvent considéré comme le point culminant de Walden et il a suscité un grand nombre de commentaires (voir notamment Boudreau [105-34], Milder [151-60], West [183-96] et Richard [113-39] ; bien que la plupart des ouvrages sur Thoreau se réfèrent à ce passage, mon objectif, différent, est de l’analyser non pas comme une unité autonome, en fonction de questionnements qui le dépassent, mais comme contribuant à la dynamique rhétorique de la dernière partie de Walden prise dans son ensemble). Il apparaît aussi comme l’apogée du cycle des saisons qui structure le livre. Il importe toutefois de garder à l’esprit qu’il s’agit dans une certaine mesure d’un événement « fabriqué » — que Buell qualifie même de « conceit », en faisant observer que « [it was] introduced into the last draft » et s’appuyait « on periods of thaw that took place in December, January, and February » plutôt qu’au printemps (Buell 245, 246 ; cette question a été analysée plus en détail par Shanley [Shanley 62-63]). Cela révèle un but spécifique — peut-être ce que Thoreau appelait la découverte du (ou de la) « spring of springs » (41) —, et nous rappelle que Thoreau a délibérément orchestré la dernière partie de son livre, non pas simplement pour achever le cycle des saisons, mais pour produire l’effet littéraire maximal, préoccupé qu’il était « [to] wander far enough beyond the narrow limits of my daily experience, so as to be adequate to the truth of which I have been convinced » (324).

Désir d’enquête

22En un sens le relevé cartographique et le passage sur le talus forment une sorte d’« arche », dans la mesure où l’un et l’autre relèvent d’un désir d’exploration du réel, à l’inverse du passage médian sur la découpe de la glace, dont l’esprit de recherche est totalement absent. Par ce mot il faut entendre non pas une enquête métaphysique sur l’origine et la fin du monde, mais sur sa dimension matérielle : la configuration purement terrestre de ce monde d’eau, de glace et de sable. Si l’ombre de la métaphysique planait encore sur la séquence 1 — conduisant finalement à la circonscription ou subsomption de la matière —, il n’y a plus rien de métaphysique dans la séquence 3. Celle-ci est une vibrante ode à la prééminence de la matière et célèbre une réalité intensément concrète et palpable — par opposition à la matière artificialisée et comme déréalisée des scieurs de glace. La richesse de la surface de la terre, avec sa couleur, sa diversité organique et minérale évoquée dans une approche quasi-phénoménologique, le plaisir du sensible, constituent la préoccupation première de l’écrivain. Celui-ci reste terre à terre, déterminé qu’il est à tirer le maximum de cette restriction — mais animé assurément d’une aspiration bien différente du désir qu’avait Humboldt « to trace the stable » :

23

The whole bank, which is from twenty to forty feet high, is sometimes overlaid with a mass of this kind of foliage, or sandy rupture, for a quarter of mile on one or both sides, the produce of one spring day. What makes this sand foliage remarkable is its springing into existence thus suddenly. When I see on the one side the inert bank,—for the sun acts on one side first,—and on the other this luxuriant foliage, the creation of an hour, I am affected as if in a peculiar sense I stood in the laboratory of the Artist who made the world and me,—had come to where he was still at work, sorting on this bank, and with excess of energy strewing his fresh designs about. I feel as if I were nearer to the vitals of the globe, for this sandy overflow is something such a foliaceous mass as the vitals of the animal body. You find thus in the very sands an anticipation of the vegetable leaf. No wonder that the earth expresses itself outwardly in leaves, it so labors with the idea inwardly. The atoms have already learned this law, and are pregnant by it. The overhanging leaf sees here its prototype. Internally whether in the globe or animal body, it is a moist thick lobe, a word especially applicable to the liver and lungs and the leaves of fat, (?????, labor, lapsus, to flow or slip downward, a lapsing; ?????, globus, lobe, globe, also lap, flap, and many other words,) externally a dry thin leaf, even as the f and v are a pressed and dried b. The radicals of lobe are lb, the soft mass of the b (single lobed, or B, double lobed,) with a liquid l behind it pressing it forward. In globe, glb, the guttural g adds to the meaning the capacity of the throat. The feathers and wings of birds are still drier and thinner leaves. Thus, also, you pass from the lumpish grub in the earth to the airy and fluttering butterfly. The very globe continually transcends and translates itself, and becomes winged in its orbit.
(306-307)

24Comme dans la séquence 1, mais de manière plus évidente, Thoreau se montre ici attaché à la subversion de tout système productif, et promoteur d’un art dédaigneusement indifférent à toute forme de gain commercial ou d’approbation sociale — désireux qu’il était, assurément, « to transact some private business » (19). Ce passage brandit fièrement son opposition à toute attente sociale et exigence d’intégration de l’art à la société. Il manifeste la dimension profondément anti-institutionnelle de la prose de Thoreau. Il nous est difficile d’imaginer aujourd’hui ce qu’incarnait à l’époque le passage sur le talus en dégel en tant que littérature — à savoir le rejet de la littérature elle-même comme institution. Parmi la littérature largement domestiquée, voire bienséante, des années 1850, les fameuses élucubrations étymologiques de Thoreau produisent un effet analogue par son impact à l’usage du langage que fait Emily Dickinson — en quête d’une « communion dans une langue qui ne soit pas commune », comme le dit joliment Michel Granger (Granger 201.) [4] Dans ce passage, Thoreau semble n’être tenu par aucune obligation envers la société et même ne pas avoir conscience que celle-ci existe : la porte est grande ouverte à l’oubli de toute éducation ou usage scolaire de la parole, à la répudiation de toutes les idées reçues, en un puissant exemple d’« extra-vagan[ce] » (324).

25Nous sommes ici confrontés à un art trop frénétiquement sauvage pour se soumettre même à une obligation minimale de communiquer — que ce soit vérité, méthode ou valeur, comme dans les séquences 1 et 2 —, mais à un art au contraire voué à la circulation de l’énergie, aux relations entre des phénomènes mystérieux quoique suprêmement concrets. À travers une subversion radicale de nos habituelles manières de voir, Thoreau nous donne la forme « réelle », littérale, des transactions entre la nature et la conscience, refusant finalement de séparer la matière de l’esprit. L’homme n’est plus le grand ordonnateur du monde, le grand-maître de la matière face à une nature docile, mais simple témoin d’un réel autonome sinon rebelle, qui se fait agent de sa propre traduction : « The very globe continually transcends and translates itself… » (306, c’est moi qui souligne ; cette remarque témoigne d’une pensée qui préfigure l’idée d’évolution).

Reconnaître l’altérité

26La radicalité de ce passage prend violemment le contrepied de la deuxième séquence, mais aussi de la première, avec laquelle il présente certaines différences cruciales.

27La première peut être résumée à grands traits par l’idée que le registre ou mode esthétique essentiel passe du pittoresque au grotesque : on notera d’ailleurs que Thoreau fait explicitement référence, au cours de la description de la cartographie du lac, à l’un des grands-prêtres de la théorie et de la description pittoresques, William Gilpin — « who is so admirable in all that relates to landscapes » (287) —, tandis qu’il souligne (en italiques) sa référence à l’esthétique du grotesque dans son évocation du talus en dégel (305) [5]. Vecteur du fantastique et du monstrueux depuis la Renaissance, le grotesque apparaît comme une métaphore de la non-linéarité, de la métamorphose, de la libération vis-à-vis de l’orthodoxie des perspectives ordinaires (sur la tradition du grotesque à laquelle Thoreau fait référence, voir notamment Chastel et Morel). Il est essentiel de souligner le caractère profondément anti-pittoresque du passage sur le talus sableux. Le pittoresque entendait « donner au paysage des formes et significations culturellement et esthétiquement respectables » (Grove Dictionary, article « Picturesque » ; ma traduction). À une époque où l’une des aspirations esthétiques les plus essentielles pour les artistes et intellectuels américains était de découvrir ou former des « associations » qui feraient des États-Unis l’égal culturel de l’Europe, celles proposées par Thoreau dans ce passage (et notamment sa référence aux excréments) ne comptaient certainement pas au nombre de celles qui étaient privilégiées… Le pittoresque repose fondamentalement sur une pensée et une perception désincarnées (avec une primauté accordée au regard), tandis que le corps joue ici un rôle central, d’une manière qui évoque Merleau-Ponty : « l’épaisseur du corps, loin de rivaliser avec celle du monde, est au contraire le seul moyen que j’ai d’aller au cœur des choses, en me faisant monde et en les faisant chair » (Merleau-Ponty 178). Le pittoresque est aussi un mode qui met en avant la lisibilité (en digne héritier des Lumières), c’est-à-dire la possibilité de lire et organiser rationnellement le paysage. Dans la séquence 3, il y a certes une forme d’ordonnancement, mais d’un type qui relève bien davantage d’un mystique — ou proto-écologique ? — sens de la corrélation généralisée : « Thus it seemed that this one hillside illustrated the principle of all the operations of Nature. The Maker of this earth but patented a leaf » (308). Et ici, sans détour, Thoreau affronte la possibilité que le monde soit illisible ou impossible à lire rationnellement — que le fameux « Livre de la Nature » soit désormais si usé par le temps qu’il ne présente plus qu’une séquence de mots et de syllabes quelque peu chaotique — une Terre chaos plus que cosmos, mais par là redevenue « living earth » (309 ; pour une vue d’ensemble sur la tradition du « Livre de la Nature » dans la littérature américaine, voir St. Armand).

28La seconde différence cruciale entre les séquences 1 et 3 concerne l’importance donnée au non-mesuré et non-mesurable — au réel « unsurveyed and unfathomed by us because unfathomable » (318) —, où se loge l’essence de la poésie (ainsi que le suggérait également Humboldt). Si la cartographie célébrait l’acte de dessiner et imposer des limites — au territoire comme à notre propre imagination —, le passage sur le talus sableux, au contraire, répond au désir d’avoir « our own limits transgressed » (318), ainsi que Thoreau résume sa pensée à la fin du chapitre « Spring » (séquence 4) — nos propres limites, c’est-à-dire aussi nos propres constructions mentales (la nature a alors cessé d’être “constantly and obediently answer[ing] to our conceptions” [97]). Cela implique notamment la transgression des limites du langage (le matériau linguistique), autrement dit de son emprise sur le monde — tout comme il nous faut reconnaître le flux libre et incontrôlable de la matière, son efflorescence. Il s’agit ici d’une économie de l’excès et non du contrôle ou de la soustraction (cf. « excess of energy » [306]). En particulier, ce passage met l’accent sur la force de l’imagination comme excédant — sans qu’il s’agisse aucunement de supprimer — la connaissance issue de l’expérience. Et il s’inscrit dans des processus signifiants qui battent en brèche l’accès à des significations logiques et des objets définissables, laissant libre cours au jeu des substitutions sur l’axe paradigmatique au détriment de l’enchaînement séquentiel. L’excès est fondamental : dans la conception de Thoreau, la nature est ce qui excède l’humain. Alors que l’imagination, dans la première séquence, venait s’intégrer à un projet humaniste qui la dépassait, Thoreau met ici en avant l’idée d’un processus imaginatif disjoint de toute image ou représentation (il est beaucoup plus difficile de se représenter le monde évoqué dans le passage sur le talus en dégel) et de toute signification aisément définissable ou transparente [6]. Si la cartographie apparaissait comme un projet fondamentalement humaniste, le passage sur le talus sableux exalte une forme d’imagination qui récupère la matière et excède la définition conceptuelle — sans toutefois être une quelconque négation du sens. Ou, pour dire les choses un peu différemment, il met en question ou suspend le sens linguistique, mais pas la signification humaine, en s’ouvrant à la floraison du symbole. Une telle approche suggère l’impossibilité de pleinement saisir (c’est-à-dire synthétiser) notre expérience du monde, et sert donc in fine de fondement au plaidoyer de Thoreau en faveur de la nature à la fin du chapitre « Spring » : « At the same time that we are earnest to explore and learn all things, we require that all things be mysterious and unexplorable… » (317).

29Dans la séquence de conclusion, qui peut aussi apparaître comme un exposé du principe sous-tendant l’écriture du Journal, la nature conserve pleinement son altérité, dans la mesure où y est affirmé et accepté l’écart entre la nature et la conscience : la nature y est reconnue comme une force tout à la fois au cœur et à l’extérieur de l’humain et, de manière spécifique, comme ce qui excède et désoriente, mais aussi anime, le langage. Le langage dans sa matérialité est précisément ce qui en retour empêche l’assomption de la nature dans la conscience humaine.

30Dans ses efforts pour rompre tout enfermement, Thoreau lutte pour atteindre la pureté d’une tabula rasa, d’un nouveau commencement, de matériaux bruts au lieu d’idées et idéaux préfabriqués ou simplement hérités. Il semble avide de dévorer tout cru, non plus simplement une marmotte (210), mais les mots eux-mêmes. Son langage est ici irrationnel, et même insondable (unfathomable), à l’inverse du lac (qui peut être matériellement sondé mais aussi récupéré par la raison et l’ordre rationnel, ainsi que l’indique la « translation éthique »). Le langage n’est pas simplement un instrument mais semble jouer un rôle actif et réduire le degré de contrôle exercé par l’observateur. En ce sens, dans le passage sur le talus sableux, Thoreau se met lui-même — c’est-à-dire l’humain — en danger : il embrasse la contingence et accepte la perte de contrôle du réel comme partie intégrante de l’accomplissement de notre propre humanité ; il accepte l’existence de la nature comme excédant notre emprise et nos processus signifiants. Le lecteur n’est pas invité à se représenter mentalement des formes réalistes de maîtrise du réel (telles que le relevé cartographique ou la découpe de la glace et sa transposition en tas régulier), mais à se figurer de nouvelles — et jusque-là insoupçonnées — relations au monde physique et formes de conscience, dans lesquelles la fonction symbolique se fait libératrice. Il se met ainsi en danger, dans la mesure où il choisit d’ignorer les dispositifs de sûreté que nous mettons en place pour nous protéger et esquiver les risques inhérents à notre être-au-monde. Le but n’est pas de communiquer un sens abstraitement figuratif, mais de créer par le biais du matériau linguistique une conscience plus vive du monde qui nous environne, par laquelle le lecteur peut faire l’expérience de la dimension imaginaire de la sensation. Loin de menacer la perception, ce refus de la transparence et de la linéarité est précisément ce qui enrichit et avive la conscience, permettant de saisir le réel dans son surgissement.

Bibliographie

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Date de mise en ligne : 17/12/2012

https://doi.org/10.3917/etan.653.0315

Notes

  • [1]
    Ce n’est pas là dire que Walden présente un texte totalement cohérent, mais reconnaître que la version finale d’un texte élaboré sur une période d’une dizaine d’années et passé par sept phases successives représente tout de même un ensemble de choix contrôlés par son auteur.
  • [2]
    Cette exploration de diverses formes de conscience dans Walden poursuit ainsi la discussion fondatrice de la notion d’« awareness » par Slovic, dont le chapitre sur Thoreau est consacré au Journal (Slovic).
  • [3]
    L’original de la carte est conservé à la Concord Free Public Library, Massachusetts, parmi des dizaines de documents d’arpentage réalisés par Thoreau. Il est visible à l’adresse http://concordlibrary.org/scollect/Thoreau_Surveys/133a.htm [20/09/2011].
  • [4]
    Les rêveries étymologiques de Thoreau furent encouragées et alimentées par la lecture d’ouvrages du linguiste hongrois Charles Kraitsir (Kraitsir), et du pasteur et lexicologue anglais Richard Chenevix Trench (Trench). Ce qui importe ici c’est sa manière d’en faire de la littérature. Sur l’intérêt de Thoreau pour les questions de langage et sa prédilection pour les jeux de mots et les jeux avec les mots, voir West et Gura.
  • [5]
    Thoreau éprouva à l’égard de William Gilpin (1724-1804), dont il avait lu toutes les œuvres, un mélange d’admiration et de défiance : « An elegant writer of English prose—I wish he would look at scenery sometimes not with the eye of an artist …. However his elegant moderation his real discrimination—& real interest in nature, excuse many things. » (Thoreau 5, 1997, 283-84 [6 août 1852])
  • [6]
    C’était là une caractéristique du grotesque : « […] sous le couvert de l’antique, on tient là un principe de style exactement inverse de ce qu’exige et fonde au même moment l’ordre classique. On peut en énoncer l’originalité à l’aide de deux lois, qui faisaient et font toujours le charme irrésistible des grottesques : la négation de l’espace et la fusion des espèces, l’apesanteur des formes et la prolifération insolente des hybrides. D’abord un monde vertical entièrement défini par le jeu graphique, sans épaisseur ni poids, mélange de rigueur et d’inconsistance qui faisait penser au rêve. Dans ce vide linéaire merveilleusement articulé, des formes mi-végétales, mi-animales, des figures “sans nom” surgissent et se confondent selon le mouvement gracieux ou tourmenté de l’étendue concrète, où règne la pesanteur et à l’égard de l’ordre du monde, que gouverne la distinction des êtres […]. Le domaine des grottesques est donc assez exactement l’antithèse de celui de la représentation, dont les normes étaient définies par la vision “perspective” de l’espace et la distinction, la caractérisation des types » (Chastel 25).

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