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Article de revue

Prendre au sérieux la complexité Nouvelles bases pour une critique sociale

Pages 11 à 42

1 Comment situer l’école, ses compétences et ses limites dans les modalités contemporaines de socialisation ? Quelle place prend-elle ou peut-elle prendre par rapport à un projet de société ?

2 Ces questions relatives à la sociologie de l’éducation supposent que l’on puisse élucider les faits, parfois inattendus, auxquels on est confronté aujourd’hui. L’évolution est telle que l’on doit réexaminer les paradigmes qui sont à la base de l’interprétation sociologique.

3 Les paradigmes habituels n’ont-ils pas perdu leur plausibilité ? Si oui, on assisterait à une fragmentation du discours sociologique incapable de resituer des observations partielles dans leur relation avec une unité globalisante ou totalisante.

4 Si la lucidité en sociologie suppose un effort pour comprendre les processus sociaux en cours, les questions qui s’imposent comme pertinentes ne sont pas totalement indépendantes par rapport à une vision de société qui inspire l’engagement de chacun.

5 Dans cette perspective, le présent texte est connoté par le souci de réagir au désenchantement par rapport au “grand espoir du XXe siècle”, pour reprendre le titre d’un livre de Fourastié qui nous avait marqués au début des années 1960. Dans ce sillage, on rêvait de voir les inégalités s’atténuer et la pauvreté disparaître dans une croissance qui permettrait à une économie de devenir de plus en plus sociale. Aujourd’hui, malgré la généralisation de l’éducation et l’accroissement continu du niveau de vie, on assiste à un creusement des inégalités et à un développement de la précarité. Comment expliquer cet échec ? Cette question existentielle est en quête de réponses qui supposent une capacité d’élucider ce qui se passe de manière à reformuler une critique sociale adéquate.

6 La critique s’est fondée tout un temps sur des utopies radicales. Là aussi, il y a désillusion. Notre génération a vécu l’échec de ses utopies radicales qui, au nom des lois du sang ou de l’histoire, pensaient pouvoir rétablir l’harmonie par une dernière violence fondatrice. La désillusion de certains ne doit pas aboutir à un relativisme blasé. Le caractère illusoire des utopies fondées sur la grande rupture n’annihile pas une volonté de dépasser le vécu immédiat en proposant des alternatives. Cette attitude critique suppose un ancrage de l’action sur les valeurs ayant une performance dépassant le jeu des intérêts. Ce décalage entre la visée et le vécu quotidien est pour Simmel un fondement de la dynamique culturelle. Il est à l’origine de l’art, de la poésie et de la religion. On retrouve la même connotation chez Weber pour qui la culture occidentale est enracinée dans la dialectique du prêtre et du prophète, c’est-à-dire dans la tension entre ce qui est établi et ce qui le dénonce.

7 Cette ouverture sur un avenir différent est compatible avec une conscience pratique qui nous empêche de vendre du rêve. Même audacieuses, les propositions d’action doivent être marquées par un souci de véri?er les effets de leur mise en œuvre. Cela n’exclut pas une espérance portée par une visée utopique même si aujourd’hui le terme risque d’apparaître comme politiquement incorrect.

8 En adoptant cette perspective, l’analyse va procéder en plusieurs étapes. Tout d’abord, il convient de prendre au sérieux la complexité et de se dé?er d’une vue généralisante et dualiste. Cela nous amènera à proposer, à titre exploratoire, deux paradigmes complémentaires en vue de rendre compte à la fois de la complexité et de la totalité.

9 Tout d’abord, on se demandera si le modèle cybernétique est une analogie qui permet de composer une autonomie croissante entre les composantes et orientations collectives. Ensuite, on proposera le concept de transaction sociale comme une forme générique de la négociation en liaison avec divers types d’appropriations actives. Cela nous amènera à relier transaction et production collective avec le sens de l’altérité. Cette étape sera décisive pour une interrogation sur les modes contemporains de socialisation. Elle introduira à deux questions complémentaires portant sur le même thème. L’une examinera les nouveaux outils de communication ; l’autre se penchera sur la démocratisation des savoirs et le développement d’une ré?exivité discursive. Comme tel, ce texte n’est pas un bilan critique des multiples apports d’une sociologie de l’éducation. Il est davantage une propédeutique proposant quelques outils à mettre en œuvre qui permettraient d’opérationnaliser une visée particulière sur le devenir social.

Du dualisme idéologique à l’acceptation de la complexité

10 Selon Weber, plus l’explication devient profonde, plus elle devient complexe. Seule une exigence idéologique tend à réduire l’évolution à un facteur unique surplombant tous les autres qu’il suf?rait de contrôler pour modi?er radicalement la situation. Ce monolithisme est en connivence avec les utopies radicales. Pour la critique, cela aboutit volontiers à une attitude où l’on cherche à repérer les ennemis et, si possible, l’ennemi principal : on évoquera par exemple aujourd’hui le communautarisme, l’intégrisme...

11 Dans la perspective de Weber, il convient de prendre au sérieux la complexité de l’explication. Un processus en cours résulte de l’interférence entre une multiplicité de facteurs et d’acteurs dont la pondération varie avec le temps. La plausibilité du présupposé weberien se con?rme à partir de faits auxquels on est confronté dans les pratiques quotidiennes.

L’ambiguïté des pratiques sociales

12 Pour Simmel, l’ambiguïté est une caractéristique inhérente à toute action. Son poids grandit avec la complexité typique de la modernité. Ainsi la responsabilisation des élèves peut être une mesure qui a des effets positifs dans un certain nombre de cas, alors qu’elle produit des culpabilisations négatives ailleurs. Faut-il la rejeter à cause de l’ambiguïté ? Ou prendre en compte cette ambiguïté et proposer une modulation selon le degré de maîtrise de la situation ?

13 Créer des relations entre les écoles et les entreprises privées est ainsi marqué par l’ambiguïté. Dans un univers dualiste, on aura tendance à diaboliser tout échange. Les risques que la relation comporte n’annihilent pas certains aspects positifs. L’employabilité n’est pas un mal en soi. Le risque de pervertir les objectifs globaux que l’école se doit de poursuivre suppose un discernement. Le dé? peut être un atout stimulant l’école à expliciter sa mission propre. Refuser l’échange aboutit peut-être à un repliement. Il ne s’agit pas ici de prendre position sur le fond, mais d’élucider l’ambiguïté de toute pratique sociale.

Antagonisme des valeurs

14 L’antagonisme des valeurs, cher à Weber, suppose que les valeurs ne sont pas en tout point complémentaires. On peut être juste et inef?cace, être moral et ennuyeux. Il a évoqué aussi le polythéisme des valeurs pour signi?er qu’il n’y a pas une hiérarchie qui s’impose de soi par analogie à un monothéisme où un dieu supérieur met les autres puissances en sous-ordre. Les hiérarchies qui s’imposent sont toujours des hiérarchies de fait soumises à révision.

15 Ainsi en va-t-il pour l’école. Assurer l’égalité n’implique pas de soi que l’on a un régime ef?cace. En outre, l’école doit assurer l’articulation entre une pluralité de registres : égalité, ef?cacité, créativité, épanouissement personnel... L’arbitrage suppose une capacité de gérer des dissonances. Rendre un objectif prioritaire signi?e que l’on prend des risques sur la réalisation des autres. On doit raisonner en tenant compte de la rareté des moyens.

16 Weber a évoqué en outre ce qu’il appelle le paradoxe des conséquences, où l’intention “bonne” peut avoir des effets contraires à ce qui est escompté. Pourtant, ceux-ci ne sont pas aléatoires. Ils demandent donc à être compris.

La structure sociale et les effets de sens opposés

17 Une politique peut avoir des effets similaires sur tous mais d’intensité variable d’après les milieux sociaux. Ce type d’inégalité pourrait se neutraliser en améliorant la performance moyenne. Il en va tout autrement quand les effets sont de sens opposés, renforçant les uns et déforçant les autres, selon les capacités d’appropriation. Ce type radical d’ambiguïté est une des expressions que revêt la structure sociale dans le déroulement de la vie quotidienne. Si l’on veut diminuer ces effets dissymétriques, il faut trouver des modulations pour inverser ce qui est indésirable en tenant compte de ce que Goldman aurait appelé “la conscience possible”. Celle-ci n’est pas la même pour les diverses positions sociales.

18 Les effets des structures sociales nous incitent à prendre au sérieux la complexité constitutive de l’inégalité. Un jeu dialectique existe entre rapport social et formes de sociabilité. Démasquer le rapport social qui s’instaure derrière les formes de sociabilité ne réduit pas ces dernières à être des épiphénomènes. Elles restent un levier pour transformer un rapport social non désiré.

19 Le rapport social en place aujourd’hui est lui-même le résultat d’une complexité de facteurs. Dire qu’une politique a été détournée des intentions qui l’ont mise en place au pro?t des classes moyennes est un point de départ insuf?sant au plan analytique. La prise en compte de la complexité demande que l’on puisse combiner la logique intentionnelle avec la logique objective, c’est-à-dire celle qui sort ses effets de façon autonome. Ces derniers effets peuvent pervertir les intentions de départ, ils n’en relèvent pas moins d’une logique sociale dont il convient de comprendre la cohérence car elle est associée à un jeu d’interdépendances modi?able avec le temps (Remy, Voyé & Servais 1991, I, 93-95,359-370).

20 Néanmoins cette demande de lucidité pour dégager le jeu des “intérêts” derrière les apparences ne signi?e pas non plus que chez les acteurs le registre des valeurs est un simple travestissement d’un calcul d’intérêt. La vulgarisation d’une telle version analytique favorise parfois un désengagement : quoi que l’on fasse, tout est récupéré. La complexité tient compte de l’entrecroisement entre deux registres qui gardent une autonomie relative. L’action éclairée demande une vigilance critique.

Action et degré de complexité des schémas de causalité

21 Les schémas de causalité sont des schémas d’anticipation que nous utilisons tous et chacun dans la vie quotidienne. Ainsi les parents pilotent-ils l’éducation qu’ils escomptent donner à leurs enfants. Ces schémas se présentent comme des paramètres plus ou moins diffus ou explicites : telle mesure va provoquer quelles réactions chez qui, avec quels effets pour qui ? Ces schémas de causalité sont plus ou moins complexes d’après les auteurs.

22 La connaissance sociologique peut aider à une action plus ré?échie dans la mesure où elle peut se transposer en schéma de causalité. Ces derniers peuvent s’expliciter dans quelques scénarios qui sont d’autant plus pertinents qu’ils partent de la mise en œuvre des décisions précises. Ces scénarios reposent entre autres sur des matrices de comportements qui donnent des probabilités de réaction. Vu les perspectives pragmatiques, ils sont révisables dès que la réalité les contredit. Cette révision permet de garder le cap tout en adaptant les routes pour y parvenir. Intégrer l’incertitude ne veut pas dire que l’on vit dans l’aléa.

23 Tel qu’il vient d’être présenté, le schéma de causalité suppose un jeu interactif complexe. Aucun acteur n’est en position monopolistique, même si certains ont une capacité de décision plus lourde de conséquences. Ainsi en va-t-il pour la puissance de l’État vis-à-vis de ses partenaires obligés. De même pour l’école qui doit se préserver comme un lieu autonome, alors qu’elle est de moins en moins autarcique. Cela vaut même si l’institution totale, dans la version du monastère qu’évoque Goffmann, est un lieu privilégié de formation de la personnalité, à la manière dont la faute est quelquefois idéalisée dans le cadre des grandes écoles françaises.

24 Du point de vue des étudiants, on peut évoquer le tiers milieu entre la famille et l’école où la rencontre entre les “pairs” est prioritaire. Outre l’importance particulière qu’il revêt au moment de l’adolescence, le contexte actuel en favorise la non-transparence, ce qui renforce l’ambiguïté. Certains étudiants peuvent vouloir développer à partir de celui-ci des forces de socialisation autonomes et favoriser à partir de là une diversité de rapports au savoir. Mais le propos peut être tout différent. La complexité grandit dans la mesure où les divers acteurs s’autonomisent et entrent en transaction permanente.

Comprendre : une posture méthodologique

25 Cette complexité est déroutante si l’on se limite à la raison déductive fonctionnant sur le principe d’identité : A est A et ne peut être non-A. Ce mode de composition logique inclut dif?cilement l’incertitude et l’ambiguïté. Une attitude pragmatique se construit en intégrant un raisonnement dialectique. En outre, adopter une attitude pragmatique suppose que le concept est une hypothèse d’interprétation utile mais réductrice par rapport à une réalité qui est toujours plus complexe. De ce fait, le concept est révisable en vue d’améliorer la compréhension.

26 Comprendre au sens weberien du terme est une attitude méthodologique qui suppose une empathie au départ. La mise à distance vient après coup. Ainsi en va-t-il pour la compréhension des évolutions contemporaines qui quelquefois déroutent parce qu’elles ne correspondent pas à l’univers du vraisemblable inspirant le chercheur.

27 La compréhension n’est pas une simple transposition. La mise en ordre de l’observation suppose diverses techniques. Il en est ainsi par exemple pour la manière de dégager la perspective d’avenir de divers acteurs observés. Comment se dé?nissent le manque et l’élimination collective du manque, ce qui aboutit à percevoir des critères d’évaluation d’une société qui serait meilleure. Une utilisation du récit de quête dérivé de Greimas nous est souvent apparue comme un outil d’intercompréhension permettant à chacun de développer une ré?exion critique dans le cadre d’une recherche-action.

Comment problématiser dans un univers probabiliste ?

28 La prise au sérieux de la complexité éloigne d’une perception déterministe et mécanique des interdépendances. Elle est davantage en connivence avec une perspective probabiliste intégrant par ailleurs des ruptures de séquences. Celles-ci reposent entre autres sur des événements faiblement prévisibles. C’était une de nos préoccupations dans le texte : “comment problématiser le changement social ?” (Remy 1989). En outre, on peut se trouver à un moment de bifurcation où chaque acteur a le souci d’accroître la chance de faire advenir l’orientation collective portée par ses espérances.

29 Cette perspective probabiliste induit une lecture particulière de l’histoire. La séquence chronologique qui s’est réalisée, même si elle peut s’expliquer, n’était pas au départ la seule séquence possible. Ce qui vaut pour le passé vaut aussi pour le futur : l’histoire n’est pas écrite à l’avance. Cette indétermination permet de fonder une science de l’action. Comme le dit Prigogine ( 2003), l’incertitude et la bifurcation transforment le moment présent en un temps de création. L’orientation de ce qui va advenir dépend d’actions individuelles multiples autant que d’actions collectives variées. Les transformations ne s’expliquent pas prioritairement à travers le mouvement social tel qu’A. Touraine l’avait théorisé. Ce faisant, il avait transposé des présupposés inspirés des utopies relatives au moteur fondamental du changement social. Comme le montrent bien Cefai & Trom ( 2003), l’action collective est multiforme. Le mouvement social joue un rôle qui peut être important mais qui se combine avec d’autres modalités.

30 Cette perspective probabiliste est déroutante pour diverses théories sociologiques construites sur des con?gurations de liens logiques. Abandonner cette con?guration risque par ailleurs de faire perdre une référence à la globalité qui est une des bases de la critique de la sociale.

31 Nous allons proposer à titre exploratoire deux paradigmes complémentaires avec comme préoccupation de joindre complexité, probabilisme et totalité. La validité de ces paradigmes est soumise à un débat critique centré sur l’ampleur des phénomènes sociaux qu’ils permettent de situer les uns par rapport aux autres. Un test complémentaire découle des balises possibles pour une action éclairée et critique.

La complexité et le modèle cybernétique

32 Le modèle cybernétique permet de se représenter la vie collective en inté-grant la complexité, l’autonomie, l’interdépendance avec une orientation globale. Il aide à formuler un paradigme alternatif à la fois par rapport à une conception holiste et atomistique de la vie sociale. Le holisme était en “af?nité élective” avec un État-nation en constitution tandis qu’une perception atomistique convient à une idéalisation néo-libérale de la vie sociale. Une autre voie est ainsi proposée qui n’est pas un compromis entre les deux autres. Elle permet de recomposer dans un syntagme nouveau des éléments mis en place de part et d’autre.

33 Un nouveau paradigme doit être pertinent pour comprendre ce qui se passe, tout en reformulant une conception de la société. Garder cette visée globale est un enjeu important pour le projet sociologique, comme l’indique Derouet-Besson ( 2003,100-103).

34 Si le paradigme aide à comprendre la société telle qu’elle se met en place, il ne s’ensuit pas une idéalisation de l’état présent. Le schéma d’intelligibilité pose des balises par rapport auxquelles la critique sociale peut se démarquer et dégager les points d’appui pour des opérations visant à une transformation.

Orientation collective et centralisation

35 Le modèle cybernétique prend de la pertinence dans la mesure où les orientations communes ne reposent pas uniquement sur un pouvoir de centralisation et où l’accroissement de l’autonomie des acteurs n’anéantit pas les effets de convergence. La cohérence de la totalité ne suppose pas la subordination des parties, selon une conception inspirée d’un modèle politique centralisateur. Les modalités de coordination ne reposent pas sur une plani?cation avec un scénario pratiquement écrit à l’avance.

36 Le modèle cybernétique aide à se représenter comment des lieux polarisateurs multiples et relativement autonomes sont mis en relation par un jeu d’interdépendances qui résulte de causes multiples et diffuses.

37 La multiplication de lieux semi-autonomes et leur interférence contribuent à complexi?er les étapes d’une socialisation. L’école, comme la famille, perd de sa prédominance hiérarchique, mais retrouve du sens dans une composition plus large.

Régulation et gestion des écarts

38 La régulation est un mode de coordination différent du contrôle social. Dans sa conception durkheimienne, ce dernier trouve sa cause profonde dans l’identi?cation des individus à un “nous”, unité collective de conscience et d’action. Outre l’intériorisation des normes, ce contrôle a toute chance d’être renforcé lorsqu’il y a visibilité réciproque et centralisation des informations et du commandement.

39 La régulation repose sur des principes de rétroaction qui permettent d’établir des équivalences et de fonder l’interchangeabilité en vue de renforcer l’orientation collective prévalente. Ces régulations peuvent provenir d’ajustements induits par les interdépendances que toute vie sociale suppose. Ces ajustements s’appuient autant sur des références culturelles que sur la circulation des ressources. À côté de ce type d’autorégulations, vient prendre place un ensemble de régulations construites, notamment à travers les dispositifs juridico-?nanciers.

40 L’orientation collective est maintenue par diverses procédures assurant des compensations. La conformité n’est plus assurée principalement par la codi?cation des comportements aboutissant à une certaine homogénéisation. Un jeu de différences peut se mettre en place dont les écarts seront gérés de manière à rester dans une zone compatible avec le maintien de l’orientation générale. Dans les limites acceptables, la pluralité de références pourra se déployer. Par ailleurs, ces régulations, qui permettent d’élargir et d’assouplir les échanges, ont davantage un caractère impersonnel. Ceci explique la connivence que Simmel établit entre l’assouplissement par le caractère impersonnel et “l’esprit” de la grande métropole. Cette dernière se présente pour lui comme le laboratoire où s’invente une nouvelle société, dont les formes de sociabilité se diffuseront dans l’ensemble du corps social. Dans un tel contexte, des îlots de relations interpersonnelles et des “nous” viennent prendre forme sur un fond marqué par les mécanismes d’autorégulation à caractère plus impersonnel résultant du système d’interdépendances reliant les diverses activités sociales. Des lieux d’initiatives décentralisés peuvent néanmoins avoir des effets convergents. Les globalisations qui en résultent ne se réduisent pas à être des structures additives. On est loin d’une conception atomistique de la vie sociale. Pour assurer l’orientation globale, aucun acteur n’est en position monopolistique, même si certains d’entre eux ont beaucoup plus de poids que d’autres.

Autorégulation et auto-organisation

41 La conjonction entre des régulations construites et des autorégulations est le propre des systèmes sociaux. Pourtant, même dans ce cas, nous faisons l’hypothèse que les mécanismes d’autorégulation jouent un rôle fondamental dans la genèse des processus sociaux. À travers eux, on comprend mieux la portée globale du bricolage social, présentée par Javeau ( 2001). Le politique n’est pas le seul opérateur qui permet de sortir du chaos. La régulation suppose des créations collectives qui combinent les dimensions humaines et non humaines pour évoquer les hybrides proposés par Callon ( 1986). Tout cela donne un statut particulier à la matérialité du social et notamment à l’outil technique. Ceux-ci peuvent être des sédimentations d’actions multiples ou provenir de coordinations explicites. L’intervention du politique sera d’autant plus ef?cace qu’elle est capable d’orienter des mécanismes autorégulateurs. N’oublions pas la perspective probabiliste qui sous-tend l’évolution historique.

42 Les interférences sont constitutives de la complexité de la vie. Elles participent à une auto-construction du social. Cela rejoint le propos de Prigogine ( 2003,3), lorsqu’il dit que l’univers tel que le dé?nit la science d’aujourd’hui est “un univers qui s’auto-organise, sans fonctionner comme un automate”. Cette auto-organisation se fait par étapes dans une séquence temporelle où se combinent continuité et rupture.

Perturbation et effet de seuil

43 Des perturbations atteignent parfois une telle ampleur que le système n’est plus capable de gérer les écarts selon les modalités qui prévalaient jusqu’alors. Une étape nouvelle s’annonce où l’orientation est autant remise en question que les régulations sont devenues inadéquates.

44 Les perturbations peuvent venir de l’extérieur puisque l’on se trouve face à un système ouvert. Elles peuvent venir de l’intérieur en relation comme un résultat collectif de certaines actions extérieures. Les perturbations externes sont multiples. Signalons à titre d’exemple l’irruption des nouvelles technologies de communication. La perturbation est d’autant plus nette que nous sommes dans la phase innovante de cette nouvelle grappe technologique qui n’a pas encore atteint sa maturité. Les effets de restructuration qui en résulteront demanderont une longue mise au point (Piaser 1986) et auront une incidence sur la position de l’école dans la formulation et la structuration du savoir, ainsi que sur son rapport avec d’autres lieux de socialisation.

45 Des perturbations internes contribuent aussi à dé?nir la situation en termes nouveaux. La réussite partielle des politiques antérieures d’ouvrir l’école à tous a permis d’augmenter fortement le nombre de béné?ciaires. Ceci a eu d’autant plus d’effets que le mouvement a été combiné avec l’évolution de la structure du marché du travail. Il en est résulté une transformation du rapport quantitatif entre les positions sociales. Les positions moyennes sont de plus en plus majoritaires, alors que les milieux ouvriers et populaires sont devenus minoritaires. Cela a créé un effet de seuil d’autant plus net que la classe ouvrière ne s’impose plus comme référence médiatrice apte à construire une identité commune pour des populations d’origines diverses. Cette minorité s’est elle-même diversi?ée à travers les appartenances ethniques. L’implication dans un jeu social élargi ne se passe plus selon les modalités prédominantes jusqu’à il y a vingt-cinq ans. La question de l’égalité se pose sous un jour nouveau qui peut être provocant. Les stratégies réciproques se sont modi?ées.

46 La dé?nition de la situation se modi?e d’autant plus que le marché du travail a évolué. L’employabilité devient une ressource stratégique. Face à ce fait, les réactions peuvent être opposées. D’une part, il y a ceux pour qui l’école reste un espoir permettant de créer ultérieurement des espaces de liberté ; d’autre part, il y a ceux qui doutent de ce que l’école peut leur apporter. Cela peut aboutir à une déréalisation où l’école apparaît comme un lieu illusoire. Le consensus faiblit relativement à l’école comme voie royale ou comme chemin unique vers l’émancipation. On assiste donc à un fractionnement des attentes par rapport à l’école.

Effet de seuil et bifurcation

47 Lorsque l’effet de seuil est atteint, le retour en arrière est peu probable. Le système se trouve à une bifurcation. Il est à la recherche de nouvelles régulations et d’un nouvel équilibre, même s’il s’agit de préserver une orientation collective équivalente. Le moment est décisif pour réadapter des modalités si l’on veut continuer à poursuivre l’objectif d’égalité. Ce qui va s’imposer ne résulte pas d’une nécessité logique. Dans un contexte probabiliste, plusieurs orientations sont compatibles avec les nouvelles contraintes structurantes. Le chemin une fois balisé et formalisé a toute chance d’être naturalisé, de s’imposer comme allant de soi et d’être légitimée par une “violence symbolique”. La réduction du champ des possibles est un effet de structure sociale. Une vigilance critique est nécessaire pour se préserver un champ d’action en vue de promouvoir une alternative réaliste, c’est-à-dire enracinée dans la situation à transformer.

48 Le degré de liberté plus grand que le contexte permet est un des facteurs qui ont rendu les régulations antérieures inopérantes. L’autonomie grandissante entre les éléments constitue un appui structurel pour promouvoir le niveau local comme un lieu d’initiatives et assurer de façon générale la diffusion d’une culture entrepreneuriale. Le goût d’entreprendre à toute chance de s’imposer dans certains milieux, au détriment d’une culture administrative où la dé?nition du travail découle de la structuration fermée des jeux sociaux.

49 Une culture entrepreneuriale ne signi?e pas que l’école se transforme en entreprise. Pourtant, la volonté d’entreprendre qui stimule l’émulation a des effets ambigus. La compétition peut aboutir à se faire valoir par des différences marginales. L’ambiguïté ne rend pas l’attitude inadéquate, mais demande des réactions compensatoires en vue de préserver l’objectif poursuivi. N’oublions pas que plus l’univers devient complexe, plus l’ambiguïté est présente.

50 L’effet de seuil et la bifurcation nous incitent à considérer la société comme une totalité en voie de constitution et évoluant par étapes dans une séquence où continuité et discontinuité s’entremêlent. Une représentation qui était prédominante à l’étape antérieure peut être remise en cause même si l’on veut garder les mêmes objectifs, par exemple en termes d’égalité. Donc, à chaque étape, il est utile de prendre conscience que l’harmonie globale que l’on poursuit se pro?le comme un horizon, sachant que l’on fait un bout de chemin en vue de réaliser un modèle qui ne sera jamais atteint totalement puisque le contexte imposera d’autres conditions avant son aboutissement.

Opérationnaliser la notion de processus

51 Le modèle cybernétique permet d’opérationnaliser la notion de processus comme une séquence qui dépend d’une multiplicité d’interventions qui prennent corps en fonction des événements et donc de manière semi-aléatoire. Cette séquence a néanmoins une cohérence et une orientation liées à un jeu d’interdépendances à travers lesquelles se composent des effets globaux. La stabilité comme l’évolution dépendent de causes multiples aux effets diffus. Le processus combine continuité et discontinuité. Il suppose des formes de coordination. Il ne se réduit ni au jeu du marché ni aux interventions politiques, mais il englobe l’un et l’autre dans une structuration plus complexe.

Une nouvelle représentation de la totalité

52 Le monde cybernétique présente un schéma global d’intelligibilité intégrant la complexité et la totalité. Il fonctionne donc comme un paradigme analogique. “Si la société fonctionne à la manière de...” incite à formuler des hypothèses appropriées. Ce paradigme permet d’abandonner la perspective fonctionnaliste où la société repose sur des éléments strictement interdépendants, sur un modèle proche de la machine ou de l’automate. Alors que dans toute machine, dès qu’il y a du jeu, le fonctionnement général risque d’être grippé, il en va tout autrement si l’on imagine qu’avoir du jeu est une ressource positive permettant la mise en forme d’une totalité qui est toujours en voie de constitution. Plus le contexte devient complexe, plus il y a du jeu. Ceci donne une pertinence particulière aux propos de Javeau sur le bricolage social où il s’agit de comprendre comment des éléments hétéroclites peuvent tenir ensemble.

53 Néanmoins, le concept d’interdépendance n’est pas totalement abandonné. Il est repris comme un des facteurs permettant de comprendre les mécanismes d’autorégulation. L’interdépendance est réinterprétée dans une perspective probabiliste examinant la chance de survenance d’une réaction ou d’un ajustement. Cette manière de voir est en connivence avec l’esprit des analyses empiriques imprégnées du raisonnement statistique lui-même fondé sur la théorie des probabilités. Cette connivence est un atout dans la mesure où elle facilite la transposition entre l’empirique et la problématique.

54 Certains modèles cybernétiques peuvent être non humains. Dans ce cas, l’orientation ne découle pas du psychique. Dans d’autres cas, on se trouve face à une mixité où l’interdépendance souple se combine avec l’action, l’interaction et la transaction. Se crée aussi une transversalité entre l’humain et le non humain. Les inductions existantes entre le matériel et le social y trouvent donc un statut particulier. Entre le conditionnement fournissant l’énergie et l’appropriation sociale, il y a une conjugaison permettant une mise en forme au sens simmelien du terme. Ceci prend toute son importance à un moment marqué par la diffusion d’une nouvelle grappe technologique.

55 À côté de la logique intentionnelle, il faut prendre en considération une logique objective. Les effets inattendus de certaines interventions, même s’ils pervertissent les intentions de départ, ne sont pas nécessairement aléatoires. Une logique objective suppose une cohérence qui ne repose pas sur des intentions préalables. L’orientation qui s’impose, même si elle est non souhaitée, ne doit pas s’interpréter de façon prépondérante d’une logique du complot.

56 Le paradigme proposé permet de recomposer divers éléments issus de la matrice d’interrogations marxiste : con?its, tensions, relations avec la matérialité entre autres à travers l’économique. La reprise de certains éléments se fait tout en modi?ant la perspective globale, par exemple, la supposition : un con?it est d’autant plus transformateur qu’il est radical. L’esprit d’une pensée dialectique, même si elle n’est pas explicitement requise dans un modèle cybernétique, est compatible avec celui-ci. Cette réappropriation du modèle en fait une version particulièrement éclairante pour les analyses sociologiques. Cela permet de garder en mémoire certaines contradictions décelées par l’analyse marxiste, qui pourraient réalimenter une critique sociale. L’économique est un facteur prédominant dans les évolutions contemporaines. La concentration du capital n’a jamais été aussi forte avec comme conséquence qu’un nombre croissant de travailleurs vend sa force de travail dans la précarité. La réutilisation de certains acquis de l’analyse marxiste doit se faire avec subtilité. Il convient de reprendre des éléments pour les recomposer dans un syntagme nouveau. On ne se trouve plus devant un groupe porté par une mission d’avenir à la manière dont la mystique de la classe ouvrière reposait sur une grande espérance. Dans le contexte contemporain, on assiste au déclin de l’acteur unique porteur d’un contre-pouvoir. Comme l’a jadis constaté Touraine, la puissance actorielle se fragmente sur une multiplicité d’agents.

57 Nous avons développé quelque peu ce modèle. Il incite à une recomposition globale de constats empiriques qui, autrement, risquent d’apparaître comme des fragments épars. Il permet de prendre distance autant par rapport au modèle holistique que par rapport au modèle atomistique. La posture épistémologique qui en découle fonde une manière d’aborder la critique sociale qui associe degré de liberté, interdépendances, interactions, mouvement dialectique... En outre, les effets de seuil et les bifurcations demandent que les évolutions soient recadrées dans une séquence temporelle où continuités et discontinuités s’entremêlent. Dans cette perspective, aucun acteur n’a une position monopolistique. Même si certains acteurs sont dominants, leur poids peut ?uctuer avec le temps.

Comprendre n’est pas idéaliser : les paradoxes d’une intégration par la mesure

58 Si nous avons privilégié une attitude de compréhension fondée sur une empathie, cela ne signi?e pas une idéalisation des évolutions en cours. Comprendre donne une base pour une critique plus appropriée que celle permise par une méthodologie de la rupture. Cette dernière risque toujours de se dé?er de ce qui est vécu dans la vie quotidienne, en y voyant l’expression d’une conscience myope, voire aliénée. Une telle attitude permet au sociologue de faire l’économie d’une mise en question de ses présupposés, notamment de sa vision du politique.

59 La compréhension aboutit à un modèle d’intelligibilité. D’une part, celui-ci révèle les points faibles ; d’autre part, il donne une base plus pertinente pour mettre au point des priorités différentes.

60 Dans le paradigme cybernétique, le terme de régulation se substitue à la notion de contrôle conçue à la manière durkheimienne. Le contrôle social reposait principalement sur l’intériorisation des normes, ce qui permettait de s’y conformer, tout en dépassant le sentiment de contrainte sociale. La régulation est un processus d’intégration plus complexe où l’intériorisation des normes n’est plus la manière prédominante pour assurer des convergences. Celles-ci reposent sur une diversité de procédures qui ont une incidence sur les modes de socialisation et les lieux d’apprentissage.

61 Les régulations permettent d’assurer des convergences malgré une certaine dispersion vu l’autonomie croissante entre les parties. Dans un contexte décentralisé, elles ne reposent pas de façon prédominante sur un principe organisateur de la totalité opérant à la manière de l’État-nation.

62 Les ajustements se réalisent davantage par des comparaisons et des substitutions permettant à des coordinations de prendre forme. Ceci suppose la mise au point de divers paramètres servant de mesure. L’autonomie et la diversité sont d’autant plus acceptées qu’elles se comparent entre elles à travers une panoplie de mensuration. Au premier abord, ces instruments de mesure permettent à chacun de garder son autonomie, tout en étant impliqué dans un jeu d’échanges élargi. Le souci de garder la distance n’est pas d’emblée une volonté de sécession, comme on l’interprète facilement lorsque l’on s’inspire d’un présupposé holistique. La recherche d’un écart, l’af?rmation d’une différence n’implique pas nécessairement un repli égoïste. Obtenir l’égalité par une uniformisation a toute chance d’être démonétisé. L’évaluation par des critères de qualité permet aussi au destinataire de service de véri?er la qualité de ce qui est produit. Dans la mesure où ce souci d’évaluation se diffuse chez tous et chacun, il s’ensuit une démocratisation d’une critique plus ou moins bien éclairée d’après les critères pris en considération. Il n’empêche que ce type d’attitude affecte divers aspects de nos participations sociales, y compris dans l’enseignement.

63 Cette intégration par la mesure a comme effet paradoxal de produire un type particulier de bureaucratisation qui peut avoir bien des effets pervers. Ceci peut être une source d’inspiration pour diverses mises en garde critiques.

64 La coordination par la mesure tient compte de la complexité tout en étant un réducteur de complexité. Il en résulte des tensions, voire des contradictions qui peuvent avoir des effets négatifs. Tout d’abord, ce qui est facilement mesurable risque d’être surévalué. Ceci amène des déviations par rapport aux objectifs proposés à l’origine. Les bilans comparatifs sur la “School Effectiveness” établis par Normand ( 2001) sont très révélateurs des déviances possibles... On se trouve devant une quasi nécessité d’imaginer des systèmes plus souples et plus appropriés.

65 Ce souci de correction risque d’enclencher un engrenage bureaucratique de plus en plus “raf?né”. À partir de là, se développent des systèmes experts, des agences médiatrices de contrôle qui s’autonomisent par rapport aux échanges sociaux directs. Cela avait déjà été pressenti par Weber et Simmel lorsqu’ils prédisaient une intellectualisation de la vie sociale à travers la multiplication d’abstractions régulatrices. Les statistiques n’ont jamais joué un rôle de comparaison et d’évaluation comme elles le font aujourd’hui.

Composer cybernétique et transaction

66 Même dans les cas où l’intégration est plus ou moins réussie, elle peut néanmoins être handicapée par une cohésion sociale en déclin. Dans le sens utilisé ici, la cohésion sociale se distingue de l’intégration. La cohésion sociale suppose l’adhésion morale à un projet commun. Ce prérequis perd de son poids dans un modèle cybernétique. Néanmoins, des formes d’implication restent indispensables. Un équilibre doit être trouvé sans quoi le système risque de fonctionner sur la dé?ance généralisée. La cohésion se constitue sur des bases nouvelles. Des projets spéci?ques sont à l’origine de mobilisations fortes. Ils sont multiples, liés à la solution de problèmes particuliers. Certains sont censés promouvoir un bien collectif. La cohésion englobante se forge de diverses manières. Elle ne s’impose plus avec autant de poids comme un préalable. On sort d’une société de notables pour reprendre le titre de la thèse de Delruelle qui assure une articulation globale fondée sur la con?ance et l’implication réciproque. Pour Simmel, la généralisation de la loi du nombre qu’implique la démocratie passe par le paradoxe de la multiplication des appartenances distantes les unes des autres.

67 Face à ces multiples lieux d’appropriations actives qu’un modèle cybernétique permet, la transaction sociale devient une modalité forte pour assurer des convergences à diverses échelles de la vie sociale. La transaction sociale complémentaire d’un modèle d’intelligibilité où les interactions ne se réduisent pas à exprimer les interdépendances. On sort donc d’une version fonctionnaliste, même si elle est assouplie par le jeu stochastique.

68 Le modèle cybernétique nous sert donc comme une trame de base dans laquelle viennent s’insérer d’autres références. Tout en étant compatibles avec celui-ci, elles ne sont pas nécessairement explicitement élaborées par ce dernier. Il s’agit plus de greffes encastrées dans un tronc porteur avec lequel elles entrent en symbiose. Cette opération permet d’améliorer les fruits que l’arbre peut porter.

Le modèle cybernétique et le statut de la transaction

69 Le modèle cybernétique prend toute sa signi?cation lorsqu’on y intègre la transaction comme manière d’expliquer la genèse de consensus et de dispositifs socialement construits. Le statut de la transaction s’af?rme d’autant plus que grandit l’autonomie des partenaires, ce qui multiplie les lieux d’initiatives. Les deux paradigmes sont non seulement mutuellement compatibles, mais se complètent. Cela relève de ce que les Anglo-saxons appelleraient la “cross-fertilisation”.

Interactions et interdépendances

70 La transaction suppose une nécessaire entente vu l’interdépendance autour de certains enjeux. Dans un premier temps, on part de l’hypothèse que la vie collective repose sur une multiplicité de négociations entre partenaires inégaux qui essaient de modi?er les termes d’échanges en leur faveur. L’analogie de la négociation permet, dans un second temps, de donner sens aux transactions sociales comme forme générique. La négociation se déroule dans des lieux et des temps déterminés et elle suppose une formalisation de l’accord qui sera mis en œuvre dans une période ultérieure. Sans exclure les négociations explicites, la transaction se présente comme une forme englobante, intervenant de façon diffuse, exprimant au quotidien la confrontation de points de vue. À travers ces échanges inégaux, s’inventent des produits transactionnels, qui à un certain moment peuvent être en quête de formalisation.

Au-delà des ajustements à la marge

71 Dans la conjonction avec le modèle cybernétique, les transactions ne se réduisent pas à des ajustements à la marge. On ne se trouve pas dans un modèle déterministe où les orientations de base sont données par ailleurs. De façon inverse, cela ne signi?e pas que les transactions ne sont pas cadrées dans un contexte. Les effets de seuil indiquent des points de non-retour. Mais les bifurcations ouvrent le champ des orientations possibles. L’histoire n’est pas écrite à l’avance. Une action collective qui garde la visée d’origine doit pouvoir la cibler dans les espaces de liberté nouvellement dé?nis, sans nostalgie pour un passé révolu.

72 Les produits transactionnels ont d’autant plus de poids qu’ils contribuent progressivement à modi?er la dé?nition de la situation et des priorités. Dans un premier temps, il s’agit de s’approprier les structurations préexistantes pour promouvoir un projet. Dans un second temps, la conjonction d’actions multiples peut par convergence avoir des effets globaux modi?ant les interdépendances. La combinaison de degrés de liberté croissants, avec un système plus complexe d’interdépendances, est un des paradoxes du contexte contemporain. Des structurations peuvent naître sans impliquer une centralisation préalable, en conformité avec un modèle cybernétique. Dans un tel jeu où les intervenants sont multiples, le politique doit s’imposer comme partenaire privilégié : meneur du jeu, arbitre, dé?nition de certaines règles du jeu, distributeur de ressources... limitation du marché par des balises négociées.

Con?it et con?ance

73 Les transactions, sous des formes multiples, ont un poids d’autant plus net que l’élucidation du bien commun découle d’un jeu interactif se déroulant dans des situations à structuration souple. L’avenir dépend d’un jeu de pouvoir et de contre-pouvoir. Il est donc marqué par l’incertitude. C’est dans un tel contexte qu’une démocratie participative tente de trouver sa place et ses modalités. La con?ance ou la dé?ance peut prédominer, d’après les cas, même si le but est d’établir une relation qui aura un lendemain.

74 Ce con?it permanent se déroule sur fond d’interdépendance. L’opposition radicale comme l’harmonie totale sont des hypothèses limites qui n’expliquent pas les modalités les plus fréquentes de transformation du rapport social. La dé?ance radicale comme la con?ance naïve sont à exclure.

Réciprocité des points de vue

75 La transaction suppose la capacité de situer son point de vue par rapport à d’autres modalités d’énonciation. Ce souci d’intercompréhension permet de se doter d’une compétence pour faire valoir aux partenaires le point de vue que l’on veut promouvoir et pour complexi?er ses schémas de causalité. Faire avancer les mises en œuvres adéquates suppose une vigilance constante sur les effets inattendus des actions entreprises. Certains acquis sociologiques risquent d’être transposés dans une perspective de gestion. Réagir activement suppose de faire un bilan critique. Si les aspects positifs doivent être évalués correctement, il convient de réagir aux aspects négatifs. La perspective gestionnaire peut avoir tendance à lisser les con?its ou à les expliquer par une communication dé?ciente.

76 Dans la mesure où la transaction se diffuse comme forme de sociabilité, elle a une incidence sur les comportements acceptés ou rejetés. Ceci affecte les modalités d’exercice des relations asymétriques telles que professeurs, parents, étudiants. L’exercice de l’autorité se doit d’éviter tout ce qui est perçu comme du “harcèlement”.

77 Par ailleurs, dans un contexte de transition, on peut se trouver devant diverses dissonances cognitives. C’est le cas, entre autres, pour les décalages entre les objectifs et les moyens, par exemple entre la volonté d’égalisation des chances et les moyens pour y aboutir. Ces dissonances créent une anomie subjective qui peut se résoudre de différentes manières depuis le repli ritualiste, la révolte... jusqu’à l’innovation sous contrainte. Le texte de Merton, Structure sociale et anomie ( 1964) reste une référence pour imaginer les manières de dépasser la tension.

Îlot de cohésion sur fond d’intégration

78 Les séquences transactionnelles naissant à partir de projets d’action collective peuvent devenir des lieux de coopération intenses autour desquels peuvent se développer des îlots de cohésion forte. Ils prennent leur signi?cation sur un fond où la mise en ordre se fait par intégration. Ces multiples îlots peuvent former des réseaux et devenir un mouvement qui s’exprime autour d’événements récurrents à la manière dont cela se passe pour l’altermondialisation.

79 Cette structuration du social pose en des termes nouveaux la relation à l’altérité, y compris à l’autre qui se dé?nirait comme une entité collective. La transaction incite à ne pas penser la relation à l’autre collectif sur le modèle exclusif de la communauté repliée sur elle-même. Un tel présupposé est fréquent, particulièrement en France. Cette réduction du champ des possibles handicape l’observation des faits et suspecte toute médiation collective d’être une menace de succession et fragmentation. On pressent comment cette évaluation spontanée relève encore d’un modèle holistique. Ces modes de relation à d’autres partenaires introduisent à la question du lien entre cybernétique, transaction et ouverture à l’altérité.

80 Expliciter cette structuration du social peut devenir le point de départ d’une ré?exion sur le rôle de l’école comme lieu de mobilisation ainsi que sur les modes de transaction qu’elle entretient avec d’autres lieux de socialisation. Cela devrait aboutir à ce que l’école réaf?rme son identité propre.

81 Nous limitons la présentation des possibilités heuristiques associées à la transaction ayant eu l’occasion de nous expliciter dans plusieurs textes (Remy 1994,1998,1999).

Transaction et statut de l’altérité

82 Vu le statut des transactions dans l’émergence des convergences globales, la relation à l’autre prend une pertinence particulière. Des différences s’exprimant même dans l’espace public peuvent contribuer à une cohabitation constructive. Certes, ces dernières doivent être limitées par des régulateurs. Mais cette ouverture à l’altérité s’impose d’autant plus que l’on se trouve à un moment de bifurcation qui suppose des ouvertures exploratoires où il faut gérer l’imprévu tout en gardant le cap. Cela nous éloigne des utopies radicales imposant sur l’avenir une projection rationaliste, fondées sur une certitude déductive non soumise à l’épreuve des faits.

Con?guration sociale et dilution de la conscience de classe

83 Jusqu’il y a quarante ans, la relation aux autres était perçue à travers un rapport de classe, particulièrement dans les milieux populaires. Le rapport de classe mêlait opposition et hiérarchisation à partir d’une implication commune dans un processus de production. Même pour les travailleurs immigrés, la classe sociale était une médiation intégratrice dans un échange inégal. L’école a contribué à brouiller la référence à la classe en mettant en valeur la mobilité sociale. Le marché du travail s’étant transformé, les positions moyennes ont pris du poids et sont devenues une référence identi?catrice, se distinguant de l’image du petit-bourgeois chère aux problématiques marxisantes.

84 Sur ce déclin d’une référence monolithique et nette, ont surgi des identités multiformes. La ville est devenue un univers cosmopolite, à la manière de ce qui c’est passé dans diverses métropoles méditerranéennes au XIXe siècle. Alexandrie en était le prototype. La manière dont l’islam a pris racine en Europe depuis cinquante ans est révélatrice de la situation nouvelle. L’espoir de voir l’islam devenir résiduaire s’est progressivement évanoui. Même s’ils sont minoritaires, des jeunes de deuxième ou troisième génération ayant réussi économiquement s’efforcent d’inventer un islam ouvert à la modernité, au-delà des formes intégristes, Ce mouvement est d’ailleurs confronté au processus d’individuation qui force à redé?nir les relations avec les appartenances collectives quelles qu’elles soient. Une ?uidité se développe entre des “familles” qui jadis auraient été idéologiquement séparées. Tout cela comporte des risques, mais dé?nit la situation en termes nouveaux.

La laïcité bousculée

85 La laïcité propose un type de cohabitation dont les formes concrètes prennent racine dans le contexte où elle est née. La situation française est typique d’un sociodrame que la laïcité a cherché à dépasser. Dans la France divisée de la ?n du XIXe siècle, il s’agissait d’inventer une cohabitation entre deux composantes autochtones s’opposant dans leur prétention à régir la globalité de la vie sociale. La paci?cation imposée par la laïcité supposait que les différences soient reléguées dans l’espace privé en vue de permettre la création d’un espace public où s’inventeraient les bases communes d’une citoyenneté.

86 L’école a joué un rôle clé en devenant un lieu de rencontre d’autant plus qu’elle était neutre respectant les différences à condition qu’elles ne handicapent pas la formation d’un espace commun. L’école unique fréquentée par tous et garantie par l’État devenait le lieu par excellence de la construction citoyenne.

87 Cette conception ne s’est jamais totalement imposée en Belgique. Vu le rapport de forces, chaque famille idéologique a dû admettre bon gré mal gré que l’univers commun à construire supposait une coexistence pluraliste. Des compromis ont dû s’inventer entre des acteurs où l’univers commun à construire se fondait sur la permanence d’un désaccord au moins partiel. Divers blocs se sont constitués qui furent à l’origine d’une forme de pluralisme qui est aujourd’hui bousculé par un jeu d’appartenances croisées. La construction citoyenne est passée par d’autres formes de médiation collective À travers ces divers avatars, la Belgique fournit néanmoins un contexte privilégié pour problématiser la transaction sociale comme expérience fondatrice pour l’élargissement du lien social.

Les certitudes des Lumières et le statut de l’étranger

88 Le rapport à l’altérité se module d’après les certitudes que l’on entretient par rapport au soi individuel ou collectif. L’ouverture à l’autre est plus attractive dans une situation marquée par l’incertitude et la recherche d’une dé?nition adéquate de soi. Le contexte actuel est profondément modi?é par rapport à celui qui a façonné le siècle des Lumières.

89 Comme le dit Baysson ( 2003) dans son ouvrage L’idée de l’étranger chez les philosophes des Lumières, chacun fait à sa manière l’éloge de la tolérance, mais paradoxalement chaque pensée reste hermétique à l’accueil de la différence. Cela donne naissance au monocentrisme et à la conscience de la supériorité civilisationnelle. Ces présupposés deviendront la base des nationalismes futurs. On en trouve aujourd’hui une expression paroxystique dans des pensées d’extrême droite où la défense de l’identité culturelle est présentée comme la ?nalité même de l’action politique. Cette dernière devrait protéger l’ensemble des représentations symboliques dans lesquelles se reconnaît une communauté historique et linguistique donnée. Dans cette perspective, une société multiculturelle ne peut être qu’un magma d’individus sans racine et sans destin. Face à ces déviances paroxystiques exaltant une culture nationale, une sensibilité nouvelle commence à germer où la culture s’entend comme un ensemble de créations et d’expressions multiformes et multiculturelles (Larouche 2003, Genard 2003, Beauchemin 2003). Pour certains, le dynamisme de Bruxelles par rapport à d’autres capitales européennes pourrait reposer sur ce multiculturalisme. Le sociologue anglo-saxon Storrie va sortir un volume sur “Citizenships intercultural enterprise”.

90 Un chemin a été parcouru en deux siècles et particulièrement dans les cinquante dernières années. L’évolution s’est faite par étapes. Tout d’abord il s’est agi de sortir de l’intolérance comme forme extrême du refus de l’autre qui contesterait la prétention de réduire l’un ou l’autre au même. La tolérance fut la première étape de l’acceptation de l’autre. Un monde marqué par l’incertitude et la recherche amène à une étape ultérieure, où au-delà de la tolérance chacun se demande ce que l’autre peut lui apporter. Cette constatation était déjà présente chez Simmel lorsqu’il faisait du statut de l’étranger un élément fondateur pour les métropoles en constitution. L’ouverture à l’autre suppose que soit neutralisée la peur de ce qui vient de l’extérieur comme risque de barbarie. Jadis, la neutralisation supposait une folklorisation. Ce mode d’apprivoisement est débordé par une quête plus radicale. Pourtant, cette attente vis-à-vis de l’autre ne doit pas aboutir à une naïveté irénique. L’autre est aussi une menace. Le rapport à l’étranger est marqué par l’ambiguïté, comme le signale Simmel. Le même auteur invoque aussi les risques découlant de l’incertitude relationnelle dans un contexte où l’anonymat permet une non-transparence dans la formation des réseaux. Tout ceci peut prendre une connotation dramatique à travers les potentialités de terrorisme.

91 La vigilance et le discernement n’excluent pas la multiplication d’échanges qui aboutissent à une conception plus pragmatique de la genèse de l’universel. Comme le dit Verret dans son texte Ré?exion d’un athée sur l’intolérance et l’histoire de l’Édit de Nantes en France ( 2003) : “Longue découverte de l’universel dans l’altérité... à faire et refaire sans cesse. Du religieux au politique, on l’a vu, mais ce serait vrai de tout terrain de différence”.

92 Pour Habermas ( 2003), cette ouverture à l’autre amène à reposer radicalement la question de l’égalité : “L’universalisme fondé sur l’égalité qui non seulement requiert que l’on se décentre de sa propre perspective, mais impose encore que l’on départicularise son propre regard, a?n de pouvoir le mettre en relation avec les perspectives d’interprétation adoptées par l’autre, considéré à égalité”. Penser que l’autre puisse nous apporter quelque chose fonde la plausibilité de la démarche. Si nous transposons cette question à ce que l’islam peut nous apporter, nous risquons d’être étonnés de notre réticence. Cette réaction est révélatrice d’une conjoncture affective. Certains d’entre nous admettront n’avoir pas les mêmes dé?ances vis-à-vis de la culture orientale qui est parfois perçue comme source de régénérescence.

93 Autant Habermas que Verret présentent l’ouverture à l’altérité comme une condition d’universalité. Ils proposent une formulation abstraite de ce qui pourrait être ressenti de façon plus diffuse dans le vécu quotidien d’une école où travaillent ensemble des étudiants de cultures différentes. Une pédagogie de l’intercompréhension n’est-elle pas en train de se mettre en place, dans un processus actif où des transactions aboutissent à des sélections. Tout se réinterprète en fonction des problèmes nouveaux à résoudre. La mise au point de cette problématique est devenue un thème de recherches sur les lieux de l’interculturalité.

Intercompréhension et relativisme situé

94 Lorsque les confrontations ont une issue positive, les zones de compatibilité réciproque s’élargissent alors que les incompatibilités apparaissent mieux. La confrontation où s’entremêlent coopération et con?it peut aboutir à ce que l’on invente ensemble des manières de faire et de penser que personne n’aurait été capable d’inventer sans les confrontations d’héritages différents. La voie n’est pas tracée d’avance, les chemins sont hasardeux, l’innovation se fait souvent sous contrainte.

95 L’intercompréhension est une nécessité. Lorsque des transactions réussissent, la reconnaissance réciproque a toute chance de développer progressivement une culture de référence partagée. Le chemin peut être long. La con?ance peut se développer sur fond de con?it. La complexité nous incite à voir la solidarité où l’opposition radicale comme des cas limites.

96 Cette ouverture peut aboutir à un relativisme culturel exprimant un état d’hésitations subjectives où tout s’équivaut à condition d’être adapté à son contexte. D’autres réactions sont possibles, entre autres la position exprimée par le pluralisme situé. Chacun, tout en restant ?dèle à son point de vue et à son héritage croit pouvoir l’enrichir et le remodeler à partir du partage de l’expérience des autres. Cette ouverture suppose une capacité de se décentrer pour mieux se recentrer et redé?nir son identité, et donne au pluralisme une valeur permanente.

Rapport social et mixité sélective

97 Deux niveaux d’interprétation doivent être distingués tout en étant mis en relation : les formes de sociabilité et le rapport social. Les formes de sociabilité émergentes peuvent renforcer ou transformer un échange inégalitaire. À Bruxelles, la fréquentation des écoles internationales peut être recherchée, même si les Belges sont minoritaires et si le milieu est multilingue. Il en va autrement des écoles pluriethniques dans des quartiers défavorisés. À la limite, on pourrait se trouver devant un processus où l’ouverture aux autres devient un fait courant dans certains milieux privilégiés, alors qu’elle se fait ailleurs dans le con?it et l’animosité.

98 Aborder le problème du rapport social est une préoccupation fondamentale pour une critique sociale inspirée par une visée égalitaire. Face à un problème aussi complexe, on ne peut se contenter des déductions inspirées des utopies rationalistes.

99 L’égalité combinée à l’intercompréhension suppose-t-elle une mixité généralisée ? Déjà Marx critiquait ce qu’il appelait le socialisme utopique. Celui-là se donnait comme objectif premier de mélanger à petite échelle spatiale pour rapprocher socialement. De façon inverse, la paix sociale paraît reposer sur la mise à l’écart pour éviter les échanges con?ictuels. Il convient de sortir de ces univers dualistes pour rencontrer la complexité des échanges. La complexité tient compte des régimes distance/proximité, des échelles spatiales, des enjeux de pertinence. Le thème des mixités sélectives devrait être abordé, même si cela paraît paradoxal à première vue.

100 S’éloigner des certitudes déduites d’utopies rationalistes suppose une observation comparative sur les lieux d’interculturalité qui réussissent par rapport à ceux qui échouent. Il en va de même pour les relations entre milieux sociaux... Des dispositifs sont aptes à favoriser un vivre ensemble. Mais celui-ci se pose autrement aux diverses échelles de la vie sociale. La variation dans les compositions n’exclut pas l’émulation, la compétitivité, le con?it, à condition d’avoir des balises pour gérer les écarts acceptables. Des ajustements sont à inventer dans un jeu d’essais et d’erreurs.

101 La mixité sélective doit prendre en compte la complexité des objectifs à poursuivre. Elle se modulera autrement selon la manière dont les priorités se dé?nissent. Ce qui vaut de façon générale vaut en particulier pour le système éducatif. Ainsi en est-il de la tension entre justice et ef?cacité. Améliorer l’ef?cacité tout en augmentant le niveau moyen peut apparaître comme l’objectif fondamental. Mais il ne s’impose pas comme naturel et allant de soi. On ne peut exclure le cas de ?gure inverse où plus d’égalité contribue à diminuer le niveau moyen. Diverses modulations peuvent prendre forme comme produit transactionnel, résultat du jeu des acteurs en présence : élever le niveau moyen, tout en acceptant que la dispersion grandisse ; élever le niveau moyen et réduire la dispersion entre les résultats.

102 L’équivalence suppose-t-elle une homogénéité ou va-t-elle s’exprimer à travers des cheminements diversi?és ? Les solutions à inventer seront d’autant plus plausibles qu’elles tiendront compte des déterminants exogènes au système éducatif, comme l’a bien montré Bourdieu. Cette liaison se complique lorsqu’on a affaire à des populations pour qui l’école n’est plus un enjeu important, notamment parce que les promesses reposant sur la scolarité ne se concrétisent pas sur le marché du travail. Tout cela nous ramène aux effets de structure sociale et à la manière progressive de les modi?er.

L’interethnique et la genèse des liens sociaux

103 Un effet de seuil induit une conjoncture nouvelle où le rapport global à l’altérité est en train de changer. Cette hypothèse repose sur la condensation de multiples expériences.

104 Dans une telle perspective, ne s’agit-il pas de ré?échir dès maintenant à l’immigration qui a toute chance de s’imposer progressivement en Europe dans les prochaines années. Quelles que soient les procédures d’ouvertures, nous risquons d’être mal préparés culturellement et socialement à cet accueil. Le modèle de citoyenneté devra probablement être révisé. Des populations nouvelles risquent d’entrer dans un jeu de double appartenance. Dans ce cas, la survivance de l’identité ethnique pourrait être complémentaire avec une forte implication dans des enjeux nationaux. À côté des problèmes que cette situation va poser, il conviendrait d’y voir un atout pour évaluer les chances de renouveau. Ici, comme dans toute situation de transition, une liberté d’esprit est nécessaire pour poser des questions d’une manière nouvelle, en ayant le sens de la complexité, tout en sachant que les réponses sont multiples et ne s’imposeront pas d’emblée.

105 Prendre au sérieux la complexité suppose une manière particulière d’aborder les problèmes. On se dé?e des positions extrêmes qui ont toute chance d’être simpli?catrices. Dans le cas de l’immigration, les positions radicales aboutissent à des exclusives empêchant un regard lucide. D’un côté, on exclut toute immigration au nom d’une culture de l’authenticité enracinée. Une tolérance est acceptée si l’immigration aboutit à l’assimilation. Dans l’autre position extrême, une ouverture humanitaire est prônée. Cette ouverture est supposée avoir des effets positifs puisqu’elle est inspirée par une valeur de partage et de générosité. Dans les deux cas, la solution est connue d’avance puisqu’elle découle d’évidences qui s’imposent a priori.

106 Si l’on veut aborder le problème sous ses multiples facettes, on ne peut éluder la tension entre morale de conviction et morale de responsabilité. Aborder cette tension est pour Weber constitutif d’un regard lucide sur les transformations collectives. Aujourd’hui, un extrémisme, qu’il soit de droite ou de gauche, pèse sur le débat et empêche cette analyse lucide.

107 La diversité interne à chaque pays suppose par ailleurs que chaque région du monde ait la possibilité de faire sa synthèse particulière. L’existence de synthèse située est centrale chez Simmel, lorsqu’il évoque la formation d’identité et l’attrait de la différence. Ainsi va-t-il évoquer la synthèse autour de l’individualité latine par rapport à l’individualité germanique. Il opposera de la même manière les versions masculine et féminine de l’existence. La connaissance de la synthèse de l’autre n’aboutit pas à prôner un commun dénominateur indistinct.

108 Cette diversi?cation des synthèses est un dé? de la mondialisation. Comment sera préservé le droit à la différence régionale, tout en intensi?ant les échanges et les emprunts dans le domaine culturel. Les technologies nouvelles de communication introduisent déjà des perturbations dans le champ culture et éducatif.

Système ouvert et perturbations : les nouveaux outils de communication

109 Les systèmes sociaux sont des systèmes ouverts, in?uencés par ce qui leur est extérieur. Dans le cas présent, la modi?cation des techniques de communication induit des perturbations qui obligent les diverses instances de socialisation à se redé?nir qu’elles le veuillent ou non.

Outil technique, nouveau système d’interdépendance

110 Bruno Latour fait remarquer comment la pratique du médecin généraliste s’est trouvée transformée au XIXe siècle par les découvertes de Pasteur. Le laboratoire est devenu un passage obligé pour l’identi?cation des microbes, ce qui a transformé la pratique médicale (Latour 1994,2). De manière analogique, l’introduction de l’ordinateur n’est pas simplement un outil permettant d’ampli?er les pratiques antérieures. Cette innovation introduit progressivement diverses perturbations. L’école est devenue plus perméable à des programmations qui sont mises au point en dehors d’elle. L’étudiant participe à des interactions autonomes par rapport à l’échange avec les enseignants. Cela peut même modi?er une manière de poser les problèmes en introduisant une pensée en réseau, fonctionnant sur une association entre des mots clés plus ou moins hiérarchisés entre eux, mais en connexions multiples avec d’autres.

111 Pour aborder ce vaste sujet, nous nous limiterons à un exemple qui nous servira d’analyseur de la situation nouvelle. Le WEM (World Education Market) organise des réseaux et des événements récurrents facilitant la rencontre et les échanges entre une pluralité d’acteurs. La troisième édition du forum s’est tenue à Lisbonne en 2003. Divers thèmes y étaient abordés : installation du système d’apprentissage à distance, village e-learning (université virtuelle), jeux vidéo, y compris à caractère pédagogique.

112 Faut-il être présent ? Des structures modestes plus ?exibles peuvent-elles être innovantes ? Le carrefour apporte une meilleure visibilité de l’ensemble des possibilités offertes. Quels types de partenariat développer ? À quel niveau ? Adopter une attitude d’ouverture suppose que nos préférences vont pouvoir orienter les industries de l’audiovisuel et de l’informatique. Il en va de même pour les éditeurs traditionnels et multimédias. Notre présence peut-elle induire des solutions plus appropriées à la mission que l’enseignement veut défendre ?

113 Entrer dans le jeu suppose d’emblée une modi?cation des frontières entre le privé et le public, un risque potentiel d’uniformisation et de marchandisation. Pourtant, on ne peut réagir comme si le dé? n’était pas présent et allait s’atténuer dans l’avenir.

L’école comme lieu d’arbitrage

114 De nouveau, la complexité et l’ambiguïté sont au rendez-vous. La prise de risque suppose un discernement critique. Comment neutraliser ou atténuer le risque de la marchandisation ? Comment composer la différenciation locale avec la globalisation ? Dans toutes ces perturbations, il convient de redé?nir l’école comme un lieu af?rmant avec force sa spéci?cité, malgré la multiplication des confrontations avec des lieux extérieurs de socialisation. L’évolution, subrepticement ou ouvertement, a une incidence sur l’identité des enseignants. La crise d’identité ne sera conjurée qu’à travers une redé?nition des enjeux pour lesquels l’école est en position privilégiée. La formation au jugement personnel est décisive lorsque l’on est confronté à l’éclectisme que la multiplicité des canaux permet. L’école doit être capable de créer une compétence critique autant chez les enseignants que les étudiants, parce qu’elle est capable de nous situer par rapport à des objectifs généraux. La démocratisation des savoirs et la ré?exivité diffuse viennent encore s’ajouter à ce qui vient d’être dit à partir de la complexité de la transaction et de l’altérité.

Démocratisation des savoirs : tensions entre la critique ordinaire et la critique savante

115 La démocratisation des savoirs suppose des modalités variables de diffusion et de réappropriation par l’homme ordinaire.

Critique ordinaire et critique savante

116 La “vulgarisation” des savoirs intensi?e les relations entre la conscience diffuse et la conscience discursive, pour reprendre la distinction de Giddens. La première n’a pas besoin de se dire pour opérer des discriminations et des évaluations dans le cadre de la vie quotidienne. La conscience discursive au contraire passe par des capacités d’énonciation. Cette conscience discursive se nourrit de l’appropriation de divers savoirs, dont la pertinence s’évalue en fonction de tests de plausibilité. La conscience diffuse joue un rôle important dans l’élaboration de ceux-ci. Les deux niveaux de conscience sont en tension et se nourrissent réciproquement. La critique ordinaire qui en découle se nourrit de la critique savante, tout en gardant ses distances. La relation entre les deux n’est pas totalement hiérarchique. Les deux sont en implication distante.

117 Les agents de la critique ordinaire peuvent préserver leur “quant-à-soi”, pour reprendre l’expression de Simmel. Dans notre enfance en milieu ouvrier, nous avons souvent été frappés de la force que pouvait avoir l’homme ordinaire, en adoptant une attitude double vis-à-vis du militant. D’une part, on le respectait et, d’autre part, on faisait de l’humour à son propos. Après coup, l’implication distante nous est apparue comme salutaire pour les uns comme pour les autres.

118 Cette expérience nous a servi d’analogie pour imaginer les rapports réciproques entre critique savante et critique ordinaire. Du côté de la critique ordinaire, on prend volontiers quelque distance par rapport aux déformations de l’intellectuel qui construit son originalité sur la manière de faire une différence avec ce que d’autres ont dit.

119 L’univers savant, de son côté, craint d’être travesti à travers la démocratisation des savoirs. Ceux-ci sont quelquefois réappropriés dans des perspectives d’action qui ne sont pas nécessairement celles dont il a rêvé. Ainsi l’univers gestionnaire et le monde de la publicité ont souvent une grande appétence pour s’approprier le discours savant. Tout cela aboutit souvent à une vulgarisation simpli?catrice et déformante. Utiliser rapidement le terme de récupération n’est pas très adéquat. Nous préférons de loin une problématique de la traduction (Callon 1986). Il convient néanmoins d’être vigilant pour garder la pertinence au propos. Mais cette vigilance suppose que le chercheur sorte de sa réserve et soit préoccupé d’être présent dans les lieux où les résultats de ses recherches sont utilisés. En acceptant de jouer d’autres rôles, il obtiendra des informations à chaud qu’il n’obtiendrait pas par ailleurs. Une relation entre recherche et action peut s’instaurer sans prendre, prioritairement, la forme d’expertise. L’élucidation permet une transposition plus adéquate.

120 Ces jeux interactifs permettent d’ouvrir l’univers des possibles. Bien des choses données comme allant de soi peuvent apparaître comme transformables. Des situations euphémisées peuvent livrer leur caractère dramatique. Outre l’effet de naturalisation, la structure sociale a aussi une incidence sur la variété des rapports au savoir. Cela vaut particulièrement pour l’école. Une absence de ré?exion à ce propos explique en bonne partie les dif?cultés qu’a soulevées en France le collège unique supposé être un dispositif d’égalisation démocratique.

L’école face à divers lieux de diffusion et de socialisation

121 Cette démocratisation s’accompagne d’une multiplication de canaux de diffusion et de lieux de socialisation qui ont tendance à s’autonomiser les uns par rapport aux autres. L’école doit tenir compte de cette situation pour imposer une dé?nition appropriée de son autonomie.

122 L’adolescence au sens large du terme est révélatrice de l’ampleur du problème. Le tiers milieu permet à l’adolescent de prendre distance tout en gardant des relations variables avec la famille et l’école. La prise de distance permet à des groupes de pairs de se constituer. Ces groupes peuvent d’ailleurs rechercher des échanges avec des adultes qui n’ont pas autorité sur eux. Cette autonomisation est ambiguë dans la mesure où la non-transparence au moins partielle permet bien des écarts.

123 Cet exemple est emblématique du contexte général. On assiste à une complexi?cation des scènes où se déroule la vie quotidienne. Les substitutions de l’une à l’autre participent à la construction d’une identité plurielle.

Conclusion : prendre au sérieux la complexité fournit de nouvelles bases pour la critique sociale

Complexité et visée globale

124 La critique sociale a souvent reposé sur une perspective dualiste et holiste de la société. Cette critique était d’autant plus radicale, voire exaltée, qu’elle s’appuyait sur un utopisme. Dans certains cas, l’utopie de référence revêtait un caractère rationaliste dans la mesure où des déductions appuyées sur la raison théorique donnaient une certitude qui ne peut être battue en brèche par une confrontation au réel. Le propos demandait simplement d’être concrétisé, voire nuancé, par les résultats des observations sociologiques. En aucun cas, il ne pouvait être mis en question. Toute critique qui de façon plus ou moins implicite garderait la nostalgie de ce type de références risque d’être déçue, dans un contexte où l’autonomie des composantes grandit en même temps que l’interdépendance.

125 La critique contemporaine sera d’autant plus performante qu’elle intègrera la complexité du social. La sociologie se doit par ailleurs de bien garder en visée la société dans sa globalité. La mise en question du holisme et de l’atomisme suppose la proposition d’un nouveau schéma d’intelligibilité. À titre d’essai, nous avons proposé un paradigme inspiré de la cybernétique. Celui-ci nous paraît pouvoir combiner le sens de la totalité et l’autonomisation des composantes, expliquer les discontinuités par les effets de seuil et les bifurcations. À partir d’espaces de liberté ainsi dé?nis, les transactions sociales acquièrent un statut par rapport à la totalité à construire. Ceci amène par contre-coup à donner un statut à l’altérité.

Propos analytique et sciences de l’action

126 La critique sera d’autant plus performante que l’interprétation se transpose en analyse stratégique et réciproquement. Faire valoir des alternatives demande de pouvoir intégrer les contenus sociologiques dans une véritable science de l’action qui, à bien des égards, reste embryonnaire.

127 Garder la société en visée et les objectifs éthiques comme paramètres d’évaluation sont les exigences d’une critique sociale fondée sur la sociologie. Celle-ci doit tenir compte d’une absence de concordance a priori en une pluralité de valeurs, selon le propos de Weber. Prendre conscience du décalage entre les espérances et le champ des possibles est déterminant pour éviter la déception et la démotivation. Cette critique sera d’autant plus pertinente qu’elle sera modeste, s’éloignant des certitudes triomphantes, des périodes d’exaltation utopique. La modestie inspirée par le sentiment du possible donne lieu à une critique d’autant plus audacieuse qu’elle sera éclairée par un jeu de va-et-vient intégrant le ré?exe d’observation que la sociologie prône.

L’école face au processus de socialisation

128 Ce qui vaut pour la vie sociale en général vaut pour la socialisation. Elle résulte d’un jeu beaucoup plus diffus et multilatéral. À partir de là, une analyse critique peut se mettre en place à propos de l’école. Elle se déroule à divers niveaux. Reprenons à titre d’exemple l’un ou l’autre aspect évoqué au cours du texte. Nous avons conscience du caractère générique de ces questions étant donné que nous transposons notre vision de la sociologie à un domaine que nous connaissons peu.

L’école et la globalité du social

129 L’école se renforcera comme lieu spéci?que de socialisation en gardant un lien à la globalité. Ceci la met en opposition avec une perspective du marché poussant à instrumentaliser et à fragmenter les objectifs. Pour garder cette perspective d’ensemble, l’école peut-elle développer une pédagogie de la transaction sociale ? Se présente-t-elle comme un lieu de réconciliation au-delà des con?its ou est-elle à la base d’une expression régulée des con?its ? Comment se pose le problème du rapport à l’altérité dans le cadre d’une universalité à construire ?

Égalité et arbitrage

130 Pour contribuer à un objectif d’égalité croissante, l’école, à travers des politiques publiques, doit réagir contre des effets de structure sociale. Cela suppose des interventions progressives aptes à s’appuyer sur les libertés internes et à neutraliser les déterminants externes. Pour dé?nir le chemin à parcourir, un bilan des actions antérieures serait utile. D’une part, on pourrait constater que l’école a contribué à réduire les inégalités de façon sélective. De ce fait, elle a élargi le nombre de ceux qui réussissent. D’autre part, des écarts se sont creusés qui sont décevants. Comment réagir en tenant compte d’une démotivation qui affecte certains élèves, l’école n’étant plus chargée d’espérance pour tous et chacun ?

131 Vu l’évolution des rapports quantitatifs entre positions sociales, diverses questions se posent sous un jour nouveau : la tension entre la justice et l’ef?cacité, le lien entre égalité et homogénéisation. Il en va de même de l’ambiguïté de certains propos relatifs à l’autonomie et à la responsabilisation. Les effets étant positifs dans certains cas, négatifs dans d’autres, il ne faut pas rejeter, mais relativiser. Les déterminants externes jouent ici tout leur rôle. La critique se doit d’inventer des balises et des limites.

132 Politiques publiques face à divers partenaires Les politiques publiques seront d’un appui d’autant plus pertinent que l’on aura conscience du statut ainsi que des limites dé?nissant les possibilités de l’État. Dans un contexte où il y a une autonomie croissante des intervenants, la puissance publique ne peut plus réagir comme si elle était en position monopolistique. Des perturbations s’ajouteront, liées au développement des nouvelles technologies de communication. Celles-ci feront de plus en plus des offres d’outils pédagogiques. Leur contenu devrait être in?uencé par l’af?rmation collective d’un certain nombre de demandes pédagogiques.

133 Une vigilance s’impose à propos d’une alliance objective entre sciences, politiques et actions collectives. Les transpositions peuvent aboutir à des décalages ayant des effets pervers. Ainsi en va-t-il à propos du management et de nouvelles formes organisationnelles.

134 Paradoxe de l’autonomie et de la mesure coordinatrice Cela nous amène à un des paradoxes du modèle cybernétique. D’une part, il est compatible avec l’autonomie croissante des parties ; d’autre part, il assure une régulation entre autres pour la mesure, ce qui induit une bureaucratisation croissante.

135 Cette régulation par la mesure est abordée par “l’école de la performance”. Ce qui est plus facilement mesurable risque d’être prédominant. Le contrôle de la qualité dans le domaine scolaire ne peut se faire sur une analogie à propos de ce qui se passe avec des objets matériels particulièrement à caractère technique. De même, l’évaluation ne peut se réduire à une rationalité économique en termes de coût/béné?ce. La qualité elle-même des résultats pédagogiques peut être analysée à travers une typologie réductrice : ouvert-fermé, ef?cace-non ef?cace, élitiste-adapté... Inventer des balises appropriées est un enjeu central. Le discernement nécessaire sera favorisé par une connaissance comparative.

136 Conscience de l’histoire en train de se faire Ces niveaux de critique soutiendront un engagement optimiste dans la mesure où sera présente une conscience de l’histoire en train de se faire : participation partielle à une construction collective, coopération entre de multiples partenaires, séquence temporelle avec effet cumulatif... Cela demande une panoplie d’interventions où s’entrecroisent le court terme et le long terme. Cette action critique est elle-même soumise à un paradoxe. D’un côté, le discernement suppose une prise en compte de la complexité ; d’un autre, le langage mobilisateur implique souvent une réduction de la complexité pour localiser l’action sur des objectifs précis.

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