Essaim 2016/2 n° 37

Couverture de ESS_037

Article de revue

« Dieu n’a pas encore fait son exit »

Pages 35 à 56

Notes

  • [1]
    S. Freud, « Actes obsédants et exercices religieux », dans L’avenir d’une illusion, Paris, puf, 1980.
  • [2]
    Ibid., p. 94.
  • [3]
    S. Freud, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Paris, Gallimard, 1980.
  • [4]
    Ibid., p. 125. Traduction modifiée.
  • [5]
    Ibid.
  • [6]
    Pélage, moine du ve siècle, originaire de Grande-Bretagne, niait le péché originel. Pour lui la volonté n’a pas été affectée par la chute d’Adam.
  • [7]
    S. Kierkegaard, Le traité du désespoir, Paris, Gallimard, 1967, p. 167. Cf. Rm, 14, 23 : « Or, tout ce qui ne procède pas d’une conviction de foi est péché. »
  • [8]
    S. Freud, L’homme Moïse et la religion monothéiste, Paris, Gallimard, 1993, p. 137. Ces thèses sont, bien sûr, celles de Totem et tabou, dont Freud était si fier, soit le meurtre du père et le retour du refoulé.
  • [9]
    Il est intéressant de comparer « L’hymne à Aton » et le Ps. 104.
  • [10]
    En fait, nous pensons que Freud bute sur le fait suivant : « Le cadre de la religion de Moïse n’offrait aucun espace à l’expression directe de la haine meurtrière du père » (L’homme Moïse et la religion monothéiste, op. cit., p. 240). Suit un petit dialogue qui met en scène des chrétiens adressant ce reproche aux juifs : « Ils ne veulent pas reconnaître qu’ils ont mis Dieu à mort, alors que nous, nous l’avouons et que nous avons été lavés de cette faute » (op. cit., p. 243). C’est le mythe de la rédemption, de la mort expiatoire du Christ qui ouvre cet espace dans le champ du christianisme. Freud aurait donc postulé un démenti plutôt qu’un refoulement du meurtre du père en raison de l’absence dans l’Ancien Testament d’un retour du refoulé équivalant au mythe chrétien de la rédemption. Pourtant, ce retour du refoulé y est bel et bien présent. Il se développe dans la figure du Serviteur souffrant (l’Ebed Yahvé) d’Ésaïe 42-53. C’est la figure à laquelle Jésus s’est le plus fortement identifié en tant qu’elle inclut les deux traits essentiels du mythe de la rédemption : le rachat pour l’expiation des péchés et la substitution. Par ex. comp. És 53, 12 : « puisqu’il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort... » et Ph 2, 7-8 « Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur... jusqu’à la mort. »
  • [11]
    S. Freud, L’avenir d’une illusion, dans ocp, XVIII, Paris, puf, 1994, p. 142s.
  • [12]
    Non sans rappeler les thèses précédentes.
  • [13]
    O. Pfister, « Die Illusion der Zukunft », Imago, 14 (2-3), 1928, p. 149-184. « L’illusion d’un avenir », Revue française de psychanalyse, vol. 40, n° 3, 1977, p. 503-546.
  • [14]
    S. Freud, L’avenir d’une illusion, op. cit., p. 170.
  • [15]
    S. Freud, « XXXVe Leçon, D’une vision du monde », dans opc XIX, Paris, puf, 1995, p. 243. C’est nous qui mettons les italiques. Nous avons remplacé « animique » par « psychologique ».
  • [16]
    S. Freud et O. Pfister, Correspondance, 1909-1939, lettre du 25 novembre 1928, Paris, Gallimard, 1991, p. 182 ; « als eine der logisch unhaltbaren, psychologisch nur zu begreiflichen Inkonsequenzen des Lebens », Briefe 1909-1939, Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag, 1963, s. 135.
  • [17]
    Ibid., p. 186. « Man kann natürlich sich des menschlichen Recht auf Inkonsequenz bedienen », op. cit., s. 139.
  • [18]
    S. Freud, « Au-delà du principe de plaisir », dans Essais de psychanalyse, Paris, Petite bibliothèque Payot, 1970, p. 81.
  • [19]
    M. Darmon, article « Topologie », dans R. Chemama et B. Vandermersch (sous la dir. de), Dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Larousse, 2001, p. 430 ; cf. aussi article « Coupure », p. 72-73.
  • [20]
    J. Granon-Lafont, La topologie ordinaire de J. Lacan, Paris, Point Hors Ligne, 1985, p. 82.
  • [21]
    M. Royer, « Un abord topologique de a », Apertura, n° 2, Springer Verlag, Condé sur Noireau, 1988, p. 132.
  • [22]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre IX, L’identification, leçon du 13 juin 1962, transcription M. Roussan, p. 275. C’est nous qui soulignons.
  • [23]
    Ibid., leçon du 6 juin 1962, p. 265. C’est nous qui soulignons.
  • [24]
    Ibid., p. 266. Citons également dans la leçon du 13 juin : « […] cette division a justement pour résultat de diviser la surface en : 1) une surface de Mœbius, c’est-à-dire une surface unilatère […] celle-ci conserve si l’on peut dire en elle une partie seulement des propriétés de la surface appelée cross-cap […] il s’agit d’une surface spécularisable. 2) […] la partie centrale […] qui emporte avec elle la véritable structure de l’appareil appelé cross-cap […] c’est à celle-là que nous allons nous fier pour nous donner un schéma de représentation schématique de ce qu’est la relation $ ◊ a […]. »
  • [25]
    Ibid., leçon du 27 juin 1962, p. 296.
  • [26]
    Ibid.
  • [27]
    Ibid., leçon du 6 juin 1962, p. 266.
  • [28]
    Ibid., leçon du 16 mai 1962, p. 230 ; cf. aussi la leçon du 23 mai, p. 237.
  • [29]
    Ibid., leçon du 20 juin 1962, p. 283 ; cf. aussi la leçon du 13 juin, p. 279.
  • [30]
    Ibid., leçon du 30 mai 1962, p. 244. Sous peine de lui restituer une qualité dont Lacan l’a justement débarrassé.
  • [31]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre IX, L’identification, op. cit., leçon du 27 juin 1962, p. 297.
  • [32]
    J. Lacan, L’angoisse, leçon du 9 janvier 1963, transcription M. Roussan, p. 78.
  • [33]
    Ibid., p. 78.
  • [34]
    J. Lacan, L’objet de la psychanalyse, leçon du 15 décembre 1965, transcription de M. Roussan, p. 45.
  • [35]
    Ibid. C’est nous qui soulignons.
  • [36]
    Ibid. C’est nous qui soulignons.
  • [37]
    Sans cette précision, l’énucléation de l’objet a produit bien une bande de Mœbius, mais pas encore un $, qui requerrait pour ex-sister une deuxième coupure (médiane) sur la bande.
  • [38]
    Une coupure simple passant par la ligne de recoupement du cross-cap modifie ses propriétés. Il devient une surface bilatère, non spécularisable. Quant à la coupure, « elle a la structure de la surface appelée bande de Mœbius », ibid., p. 44.
  • [39]
    Dénomination qui montre bien que l’important est le changement de propriété. Nous trouvons dans les leçons du 15 décembre 1965 et du 12 janvier 1966 beaucoup d’éléments qui réapparaîtront dans l’article « L’étourdit » de 1972.
  • [40]
    J. Lacan, L’objet de la psychanalyse, op. cit., leçon du 12 janvier 1966, p. 98.
  • [41]
    Ibid., leçon du 15 décembre 1965, p. 47.
  • [42]
    Ibid.
  • [43]
    Ce point a été repéré par E. Porge dès 1992 : « Écritures lacaniennes », Littoral, n° 36, Paris, Epel, octobre 1992, p. 11, note 3.
  • [44]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre III, Les psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 77. Ajoutons que ce dieu non trompeur est aussi garant d’un point tout à fait fondamental concernant les lois de la physique : elles sont immuables. Lacan envisage une hypothèse différente dans « Conférence de presse du Docteur Lacan au Centre culturel français », Rome, le 29 octobre 1974, parue dans Lettres de l’École freudienne, n° 16, 1975, p. 6-26.
  • [45]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre IX, L’identification, op. cit., leçon du 17 janvier 1962, p. 83.
  • [46]
    Ibid.
  • [47]
    E. Porge, Jacques Lacan, un psychanalyste, Parcours d’un enseignement, Toulouse, Érès, 2000, p. 274.
  • [48]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 204.
  • [49]
    Ibid.
  • [50]
    Ibid., p. 210-211.
  • [51]
    Ibid., p. 209.
  • [52]
    Nous rencontrons dans ces réflexions de Lacan comme un écho du dialogue entre Freud et le pasteur Pfister : « Vous ne doutez pas, je suppose, que vos succès soient obtenus en premier lieu par le même moyen que les nôtres : le transfert érotique sur votre personne. Mais vous avez le bonheur de pouvoir conduire ce transfert jusqu’à Dieu et de rétablir ainsi ces temps bénis […] où la foi religieuse étouffait les névroses. Pour nous, cette chance de liquidation n’existe pas. » S. Freud et O. Pfister, op. cit., p. 47.
  • [53]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 37.
  • [54]
    Ibid., p. 121.
  • [55]
    Selon l’expression de Pascal.
  • [56]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre III, Les psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 77.
  • [57]
    J. Lacan, « La science et la vérité », dans Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 865.
  • [58]
    C’est le fil que nous suivrons ici.
  • [59]
    J. Lacan, « La méprise du sujet supposé savoir », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 337, à côté de la théologie classique et de la mystique.
  • [60]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986p. 205.
  • [61]
    Ibid., p. 208.
  • [62]
    Ibid., p. 101.
  • [63]
    Ibid., p. 213. Chacun connaît la vaste culture théologique de Lacan. Pourtant, concernant cette mention du Fils de l’Homme nous relevons un petit contresens. En effet, ce titre christologique, souvent proche de celui d’Ebed Yahvé, concerne l’Homme céleste auquel s’identifiera Jésus pour évoquer son œuvre future. Cf. O. Cullmann, Christologie du Nouveau Testament, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, p. 118s.
  • [64]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 213.
  • [65]
    Cf. l’exemple choisi par Lacan dans L’identification, leçon du 17 janvier 1962 : tout père est Dieu, mais c’est pour aussitôt retourner la formule : seul Dieu est père.
  • [66]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 217.
  • [67]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 77.
  • [68]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XXII, r.s.i., non publié, leçon du 17 décembre 1974.
  • [69]
    Ibid.
  • [70]
    Ibid.
  • [71]
    On se serait attendu à « Je suis qui je suis » !
  • [72]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XXII, r.s.i., non publié, leçon du 15 avril 1975.
  • [73]
    Formule du séminaire Encore, op. cit., p. 78.
  • [74]
    Ibid., p. 44.
  • [75]
    Sur le développement qui suit : cf. J. Lacan, Le séminaire, Livre XXII, r.s.i., non publié, les leçons de décembre à avril. On peut également consulter : M. Bousseyroux, Au risque de la topologie et de la poésie, Élargir la psychanalyse, Toulouse, Érès, 2011 ; E. Porge, Lettres du symptôme, version de l’identification, Toulouse, Érès, 2010.
  • [76]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XXII, r.s.i., op. cit., leçon du 11 février.
  • [77]
    Ibid., leçon du 11 mars.
  • [78]
    On pourrait s’attendre à juste titre à ce qu’une troisième nomination, Nr, nomination du réel par l’angoisse, vienne prendre place au côté des deux autres. En fait il n’en est rien. C’est ce que montre Lacan dans les dessins du catalogue de François Rouan, Paris, Centre Georges Pompidou, coll. « Contemporains », n° 4, 1983, p. 93-94. « La nomination du réel, par couplage du rond R avec celui N de la nomination, n’est pas permise dans la chaîne borroméenne à quatre », M. Bousseyroux, op. cit., p. 200. Cf. aussi E. Porge, op. cit., p. 46. En effet, lorsque sur trois ronds empilés dans la position sri on faufile un quatrième rond en demi-lune autour du rond intermédiaire R, et qu’après manipulation on obtient quatre ronds repliés deux à deux en demi-oreilles, on peut constater que le rond Ns (Nomination du S) + S (symbolique) fait la ronde en passant par le trou formé par R et I : Ns + S : R + I. Cela dans le cas où le quatrième passe en demi-lune autour du rond R en commençant et en finissant par-dessous. S’il passe par-dessus, on aboutira au résultat suivant : Ni + I : S + R. Dans le séminaire XXIII, le symptôme est représenté par un seul rond, le quatrième. Dans r.s.i., Lacan associe la nomination symbolique et le symbolique. Sur ce point, cf. E. Porge, op. cit., p. 48 et suiv.
  • [79]
    Je fais ici abstraction de la question de savoir si le symptôme est un Nom du Père ou une consistance qui permet de s’en passer. Cf. E. Porge, op. cit., p. 49.
  • [80]
    Il est tout à fait remarquable, mais ô combien cohérent, que dans le séminaire XXII, à la leçon du 21 janvier 1975, Lacan donne une définition de la fonction paternelle radicalement laïcisée, c’est-à-dire déconnectée du trio œdipien et de toute idéologie normativante, religieuse ou sociale.
  • [81]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XX, Encore, op. cit., p. 98.
  • [82]
    J. Lacan, « Subversion du sujet et dialectique du désir », dans Écrits, op. cit., p. 819.
  • [83]
    Mat. 19, v. 14.
  • [84]
    Elle a même trouvé le moyen d’y parer en déplaçant la finalité de la jouissance sexuelle de la castration à la reproduction : « L’Église catholique affirme qu’il y a un rapport sexuel, c’est celui qui aboutit à faire des petits enfants. C’est une affirmation qui est tout à fait tenable, simplement elle est indémontrable. » J. Lacan, Le savoir du psychanalyste, leçon du 4 novembre 1971, publié sous le titre : Je parle aux murs, Paris, Seuil, 2011, p. 35-36.
  • [85]
    Dans certaines confessions de foi, notamment celles influencées par le théologien balois Karl Barth, l’annonce de la grâce et la promesse du salut précèdent la reconnaissance des péchés.
  • [86]
    Position qui prend une forme radicale dans la préface à L’éveil du printemps : « Parmi les Noms du Père, il y a celui de l’Homme masqué […] Le masque seul existerait à la place vide où je mets la femme. » J. Lacan, dans Autres écrits, op. cit., p. 563.
  • [87]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil, 2006, p. 166.
  • [88]
    Selon la formule qui clôt Télévision, Paris, Seuil, 1974, p. 72.
  • [89]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XXIV, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, 1976-1977, non paru, leçon du 14 décembre.
  • [90]
    S. Freud et O. Pfister, op. cit., p. 183.
  • [91]
    J. Lacan, « Conférence de presse du docteur J. Lacan au Centre culturel français », art. cit.
  • [92]
    Ibid.
  • [93]
    Ibid.
  • [94]
    Ibid.
  • [95]
    Lors de l’entretien de J. Lacan avec Emilia Granzotto du 21 novembre 1974, « Freud pour toujours », paru dans Panorama le 29 novembre 1974.
  • [96]
    Ibid.
  • [97]
    E. Klein, « L’origine de l’univers est-elle pensable », conférence, Internet.
  • [98]
    C’est pourquoi on peut s’interroger : à l’heure actuelle, la nécessité d’abord que ça fonctionne (cf. Internet, les réseaux sociaux, les marchés financiers, la prévalence d’une législation de circonstance couvrant à peine l’inexistence d’une pensée politique et sociale) n’aurait-elle pas pris le pas sur la demande de sens ?
  • [99]
    J. Lacan, Déclaration à France Culture à propos du 28e Congrès internationnal de psychanalyse, juillet 1973. Paru dans Le coq héron, n° 46-47, Paris, 1974, p. 3-8.

1 Avec Freud, les racines pulsionnelles de la religion ont été mises à nu. Pourtant, « Dieu n’a pas encore fait son exit ». En effet, la religiosité continue à déployer ses rhizomes y compris là où on l’attendrait le moins : dans la lecture de textes psychanalytiques. Nous nous arrêterons sur un exemple choisi, celui de la coupure en double boucle du cross-cap dans le séminaire L’identification. Avec Lacan, les cartes sont rebattues. Son objectif, « la laïcisation du bon vieux Dieu », pour être apparemment plus modeste, est néanmoins abordé à son niveau le plus radical.

Freud : une attaque en règle de la religion

2 Les thèses de Freud sur la religiosité et la religion sont relativement bien connues. On peut les répartir selon trois fonctions distinctes, chacune associée à un ou plusieurs textes importants.

3 Mettons à part l’article de 1907 « Actes obsédants et exercice religieux [1] » qui porte sur la comparaison des comportements du religieux et du névrosé obsessionnel. Freud montre comment la religiosité est à l’œuvre de façon pathologique dans cette névrose qui constitue, en quelque sorte, une religion privée. Réciproquement, il suggère de qualifier la religion de « névrose universelle [2] ».

4 La première fonction est décrite dans Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci [3]. La religiosité découle du dénuement et du continuel besoin d’assistance du petit enfant humain. La croyance en Dieu concerne le complexe paternel. La psychanalyse « nous a montré que le Dieu personnel n’est rien d’autre, psychologiquement, qu’un père transfiguré [4] ». Il s’agit là d’une conception projective tout à fait classique. Pourtant la suite du texte fait apparaître un hiatus que l’argument ne permettait pas de prévoir. « La protection que la religion offre aux croyants contre la névrose s’explique ainsi : elle les décharge du complexe parental, auquel est attaché le sentiment de culpabilité aussi bien de l’individu que de toute l’humanité, et elle le résout pour eux tandis que l’incroyant reste seul en face de cette tâche [5]. » Quel rapport y a-t-il entre d’un côté la religion conçue comme la projection d’images parentales protectrices et bienveillantes, et de l’autre une religion qui soulage du sentiment de culpabilité aussi bien l’individu que toute l’humanité ?

5 C’est que Totem et tabou est passé par là. En effet, cette dernière phrase est une adjonction de 1919. En 1910, Freud en reste à la conception projective de la religion. Elle se distingue par une tendance moralisante et rétributive telle qu’on la rencontre dans la vie des églises et plus spécifiquement telle qu’elle fut prônée par le pélagianisme en son temps [6].

6 Cependant, le péché et la culpabilité ne trouvent pas réellement leur place dans ce cadre-là. On ne peut rabattre ni l’un ni l’autre sur la problématique de la désobéissance. D’un point de vue théologique, le péché est d’un tout autre ordre : « Trop souvent, écrit S. Kierkegaard, on a négligé que le contraire du péché n’est nullement la vertu. C’est là une vue plutôt païenne, qui se contente d’une pure mesure humaine, ignorant ce qu’est le péché et qu’il est toujours devant Dieu […] C’est une des définitions capitales du christianisme que le contraire du péché n’est pas la vertu, mais la foi [7]. »

7 Nous avons là, en filigrane, tout l’enjeu de Totem et tabou du côté de la psychanalyse, et du dogme du péché originel et de la foi en la résurrection du côté de l’Église.

8 Le lecteur qui referme Totem et tabou ne peut manquer de se poser une question : pourquoi Freud fait-il l’impasse sur le judaïsme ? C’est cette question qu’il reprendra avec L’homme Moïse et la religion monothéiste. « Mon manque d’assurance commence lorsque je me demande si j’ai réussi à apporter la preuve de ces thèses sur l’exemple choisi du monothéisme juif [8]. »

9 Les arguments de cet ouvrage extraordinaire sont assez connus :

10 deux dieux : Aton, dieu du monothéisme égyptien, et Yahvé, dieu cananéen des volcans ;

11 deux fondateurs de religion : le Moïse égyptien et le gendre de Jéthro ;

12 deux peuples : l’un sorti d’Égypte, l’autre madianite ; puis deux royaumes.

13 Après le meurtre du Moïse égyptien, les immigrants s’allièrent aux tribus madianites de Cadès-Méribat. De cette union naquirent la religion de Yahvé et le peuple d’Israël.

14 Cependant, ce texte hors du commun soulève un certain nombre de problèmes délicats. Je n’en mentionnerai que deux :

15 il y a l’écart considérable qui sépare Aton, dieu unique, universel, sublime, mais dont la représentation et la fonction sont encore liées aux cycles de la nature, et Yahvé, le dieu de l’histoire, qui élit son peuple et fait alliance avec lui [9] ;

16 la loi atonienne imposée par le Moïse égyptien à son peuple précède le parricide commis sur le « Grand Homme ». Elle s’impose donc du fait d’une contrainte et non d’un retour du refoulé. Ce pour quoi en fin de compte elle ne put être acceptée.

17 Avec cette inversion, on est là aux antipodes de Totem et tabou. En l’absence de refoulement, le meurtre de Moïse ne saurait être que démenti. Sa représentation ne sera donc pas inscrite dans l’inconscient (d’où elle aurait pu faire retour par des voies détournées), mais rejetée dans le réel. Et là il n’y a pas de retour, simplement la trace de sa disparition. Ce qui du même coup oblitère la question de la transmission [10].

18 La troisième fonction de la religion s’inscrit dans le cadre des exigences de la culture. Il s’agit de contribuer au refoulement des pulsions.

19 C’est L’avenir d’une illusion[11] qui principalement présente ce point de vue [12]. Nous y voyons apparaître un adversaire, probablement le pasteur Pfister, qui lui répondra, l’année suivante, par un article que Freud publia : « L’illusion d’un avenir [13] ».

20 Selon Freud, les doctrines religieuses sont toutes des illusions, soit « l’accomplissement des souhaits les plus anciens, les plus forts et les plus pressants de l’humanité [14] ». Une croyance est une illusion lorsqu’elle est motivée de façon prévalente par la réalisation d’un désir et ne tient pas compte de son rapport à la réalité.

21 Telle pourrait être une définition de la religiosité : une machine susceptible de convertir les passions (humaines, trop humaines) en illusions.

La revanche de la religiosité : Freud et la science

22 Il est peut-être moins connu que l’opposition de Freud ne se limite pas à la religion. Elle est beaucoup plus large et concerne aussi le monde scientifique en tant qu’il n’est pas exempt de religiosité.

23 Freud, on le sait, souscrit au néopositivisme. Mais non sans ajouter que sans la psychanalyse il serait incomplet. À partir de là, il estime donc que la psychanalyse a « un droit particulier à être ici le porte-parole de la vision du monde scientifique, parce qu’on ne peut pas lui faire le reproche d’avoir négligé le psychologique dans l’image du monde [15] ». Or, c’est à partir de ce « droit particulier » qu’il va se séparer de la pure et simple conception néopositiviste. Pour quelle raison ? Tout simplement parce que l’idéologie néopositiviste fait partie du monde et devient ainsi, pour lui, un objet d’analyse. Et là que découvre-t-il ? Que le champ de la croyance ne s’oppose pas seulement à la science, mais traverse aussi le monde scientifique. Il convient donc de reconsidérer la frontière séparant la science et la religion. « Je considère, écrit-il au pasteur Pfister, la rupture subite de la pensée, non pas analytique, mais scientifique, dès que l’on touche à Dieu et au Christ, comme une des inconséquences de la vie, logiquement indéfendable et uniquement concevable sur le plan psychologique [16]. »

24 quoi Freud fait-il allusion en évoquant « une des inconséquences de la vie » ? Ce sujet devait le travailler puisque nous retrouvons ce terme dans la lettre suivante du 16 février 1929 : « On peut naturellement user du droit humain à l’inconséquence, faire un bout de chemin avec l’analyse, puis s’arrêter pile, un peu comme Charles Darwin, qui allait régulièrement à l’église le dimanche [17]. » Comment comprendre, en effet, que passant de son laboratoire où il déboutait jour après jour le dogme de la Création, il puisse, sans autre, se rendre régulièrement à l’église ? Freud a ici clairement décollé de l’idéologie néopositiviste puisque cette contradiction, insoluble scientifiquement, n’est concevable que sur le plan psychologique.

25 Avec la psychanalyse, l’inconséquence darwinienne a changé de statut. Elle devient un symptôme. Un symptôme qui dévoile quoi ? Que si la névrose est à l’œuvre dans le champ religieux, elle l’est tout autant dans celui de la science !

26 C’est cette même argumentation que l’on retrouve dans les dernières lignes d’« Au-delà du principe de plaisir ». En introduisant sa deuxième topique, Freud sait qu’il a toutes les chances de provoquer le scandale parmi ses disciples. C’est pourquoi il anticipe les réactions. « Seuls les croyants qui demandent à la science de leur remplacer le catéchisme auquel ils ont renoncé verront d’un mauvais œil qu’un savant poursuive et développe ou même modifie ses idées [18]. » Il exhorte donc ses disciples à ne pas adopter vis-à-vis de la science une attitude religieuse qui figerait les découvertes en dogmes et ruinerait du même coup toute possibilité de recevoir les nouveaux concepts qu’il avance.

27 Freud constate que le phénomène de la croyance s’immisce dans tous les domaines de la vie. Même là où on serait en droit de ne pas l’attendre : dans les milieux analytiques.

28 Si la science est loin d’en avoir fini avec la pensée religieuse, qu’en est-il dans le champ de la psychanalyse ? Qu’elle soit à l’origine du dévoilement de ce qui est en jeu dans la religiosité ne l’exonère en rien d’en être elle-même imprégnée. Nous pourrions ici évoquer le fonctionnement des associations et des écoles de psychanalyse. Nous choisirons une autre voie : celle de la religiosité susceptible de se glisser, à notre insu, dans la lecture de textes psychanalytiques. Nous nous arrêterons plus particulièrement sur la lecture des dernières leçons du séminaire L’identification.

De la religiosité dans la lecture d’un séminaire de J. Lacan

29 On est accoutumé à dire et à lire que la coupure en double boucle sur le cross-cap représente la formule du fantasme ($ ◊ a), la bande de Mœbius étant le sujet, tandis que l’objet a prend la forme du huit intérieur.

30 Ainsi, dans le Dictionnaire de la psychanalyse, l’auteur de l’article « topologie » se référant au séminaire L’identification écrit : « Cette topologie soutient le mathème du fantasme ($ ◊ a) où la coupure du sujet est représentée par la bande de Mœbius alors que l’objet a est figuré par la rondelle [19]. »

31 C’est cette même présentation que nous retrouvons chez J. Granon- Lafont : « La formalisation du phantasme s’écrit avec ce reste, l’objet a, détaché d’une bande de Mœbius, qui représente le sujet barré du fait de cette perte [20]. »

32 Une dernière citation, choisie parmi tant d’autres : « L’application du 8 intérieur sur le cross-cap, de manière à ce que le trait de la coupure fasse deux fois le tour de ce point Ö, isole un disque “a-spéculaire” – donc à même de représenter l’objet a – et une bande de Mœbius droite ou gauche, en tout cas spécularisable – donc à même de représenter $  [21]. »

33 Est-il sûr que ce soit là ce que Lacan nous dit dans les dernières leçons de son séminaire L’identification ? Soutenir que la bande de Mœbius, parce qu’elle est spécularisable, est à même de représenter le sujet ne s’accorde pas vraiment avec une des phrases clés de ce séminaire : le sujet est représenté par un signifiant pour un autre signifiant et donc par définition n’a pas d’image dans le miroir. Au reste, ne serait-il pas étonnant qu’après avoir dépensé tant d’efforts pour élaborer un sujet « sans qualité », il en revienne tout à coup à un sujet de la représentation ?

34 Dans sa leçon du 13 juin 1962, Lacan précise ainsi son intention : « Nous essaierons d’introduire aujourd’hui pour vous que cette figure, dans sa fonction schématique, est assez exemplaire pour nous permettre de trouver la relation de $ coupure de a, la formalisation du fantasme, dans son rapport avec quelque chose qui s’inscrit dans ce qui est le reste de la surface dite plan projectif, ou cross-cap, quand la pièce centrale est en quelque sorte énuclée [22]. »

35 Ainsi ne s’agit-il pas tant d’illustrer la coupure du fantasme que de disposer d’une surface dont la coupure permet d’établir un rapport entre deux éléments distincts : « La double coupure divise toujours la surface appelée cross-cap en deux : ce quelque chose auquel nous nous intéressons et dont je vais faire pour vous le support de l’explication du rapport de $ avec a dans le fantasme et de l’autre côté une surface de Möbius [23]. »

36 La fonction du fantasme est ici tout entière supportée par le huit intérieur. Après avoir souligné que cette surface n’a pas d’image, Lacan avance qu’à ce niveau radical (celui de la coupure) « qui constitue le sujet dans sa dépendance par rapport à l’objet du désir, la fonction i(a), fonction spéculaire perd sa prise si l’on peut dire [24] ».

37 Bien que résultant d’une même coupure, il ne faudrait cependant pas croire qu’un rapport complémentaire existerait entre a « où se situe notre objet » et « ce reste où nous pouvons tout lire et spécialement notre figure i(a) [25] ». Bien au contraire, ce qui apparaît là c’est la méconnaissance résultant de l’illusion spéculaire : « $ prend fonction d’image spéculaire sous la forme de i(a) alors qu’il n’a, si je puis dire, avec elle rien à faire de semblable. Il ne saurait d’aucune façon y lire son image pour la bonne raison que s’il est quelque chose ce $, ce n’est pas le complément de i facteur de a, i(a) [26]. » On ne s’étonnera donc pas que Lacan insiste autant sur la disparité qui distingue les deux surfaces : « […] les propriétés d’une surface de Mœbius sont complètement différentes de celles de cette petite surface tournante [27]. »

38 Ainsi, nous pouvons constater que, dans ce séminaire de 1962, Lacan n’identifie pas la bande de Mœbius au sujet barré. Certes, il lui arrive de mentionner que la coupure médiane a pour effet d’en modifier la structure. Mais en 1962 il s’en tient là [28].

39 maintes reprises aussi, Lacan répète que « dans le désir, le sujet n’est rien d’autre que la coupure de cet objet (a) [29] ». Cependant, il ne saurait en être l’agent – propriété qui revient au signifiant : « Le signifiant est coupure, et ce sujet et sa structure, il s’agit de l’en faire dépendre [30]. »

40 Pour l’instant, la représentation du sujet $ reste flottante entre i(a) qui dans le désir perd sa prise et l’objet a énucléé. D’autant que dans cet intervalle entre « cuir et chair », entre Wahrnehmung et Bewusstsein, entre perception et conscience, Lacan situe la « Selbstbewusstsein », la conscience de soi [31].

Dans le séminaire L’angoisse

41 Dans le séminaire L’angoisse, Lacan revient, dans sa leçon du 9 janvier 1963, sur la question de la spécularité de la bande de Mœbius. Manifestement, cette propriété fait problème. Il explique que si l’on retourne une surface unilatère sur elle-même, elle restera identique à elle-même. « C’est, nous dit-il, ce que j’appelle n’avoir pas d’image spéculaire [32]. » Voilà un énoncé qui surprend si l’on se souvient que dans L’identification Lacan a maintes fois souligné la disparité des propriétés entre la bande de Mœbius (spécularisable) et le huit intérieur (qui ne l’est pas). Cependant, topologiquement il semble pertinent.

42 Fort de sa démonstration il poursuit : quand la coupure s’est produite (que ce soit celle du cordon, de la circoncision...) il reste « quelque chose de comparable à la bande de Mœbius, quelque chose qui n’a pas d’image spéculaire [33] ».

Dans le séminaire L’objet de la psychanalyse

43 Nous sommes maintenant en 1965 et 1966, dans le séminaire L’objet de la psychanalyse. Et là du nouveau nous attend, du nouveau et de l’inattendu.

44 Lacan part de la question suivante : « Qu’est-ce qu’il faut […] pour faire apparaître une structure qui satisfasse à ce que nous exigeons de la constitution du sujet : le sujet comme fondamentalement divisé [34] ? »

45 Il commence par rappeler que la bande de Mœbius n’a qu’une surface et qu’un seul bord. Si on la refend par le milieu, il n’y a plus de bande de Mœbius, ou plutôt faudrait-il dire : on modifie la structure et les propriétés de la surface ainsi obtenue par rapport à la surface originelle. Et c’est là le point important. « Car c’est mon trait de coupure, c’est la propriété de la division qui institue la bande de Mœbius. Vous pouvez retirer de la bande de Mœbius autant de petits morceaux que vous voudrez, il y aura toujours une bande de Mœbius tant qu’il restera quelque chose de la bande. Mais ça ne sera pas la bande que vous tiendrez[35]. »

46 Ainsi, la bande que je tiens dans la main, que je peux montrer à mon interlocuteur en lui disant « voici le sujet » n’est pas la bande attendue. Elle ne représente pas le sujet. Tout au plus est-elle le support de sa possible représentation. Telle est la « trouvaille » de Lacan en cette fin d’année 1965. « La bande de Mœbius, c’est une surface telle que la coupure qui est tracée en son milieu soit, elle, la bande de Mœbius. La bande de Mœbius dans son essence c’est la coupure même. Voilà en quoi la bande de Mœbius peut être pour nous le support structural de la constitution du sujet comme divisible [36]. »

47 Ce qui importe ici à Lacan, c’est de mettre en valeur non pas seulement la coupure, mais ce qui en résulte, à savoir un changement des propriétés de la surface obtenue par rapport à la surface restante [37].

48 Ainsi, sur un cross-cap (surface unilatère et non spécularisable), une coupure entraînant l’énucléation de a produit :

49 une bande de Mœbius (surface unilatère et spécularisable) ;

50 un huit intérieur (surface bilatère et non spécularisable).

51 Si je recouds le huit intérieur, je retrouve un cross-cap, c’est-à-dire qu’il y a de nouveau changement de propriétés des surfaces [38].

52 Enfin, ce qui est bien connu, la coupure par le milieu d’une bande de Mœbius en change la structure. Elle devient ce que Lacan appellera plus tard une bande « bipartie [39] », qui peut se recoudre sur elle-même et retrouver ses propriétés premières.

53 Ainsi, contrairement à ce que nous pouvions attendre,

54 la bande de Mœbius ne représente pas en elle-même le $. Le soutenir nous entraînerait sur la pente d’une ontologisation de la topologie ;

55 elle est simplement le support et la structure du sujet « en tant que nous la divisons [40] » et que ses propriétés s’en trouvent modifiées.

56 Pourquoi un tel renversement qui fait non pas d’une surface mais d’une coupure (c’est-à-dire de l’absence de surface) la représentation du sujet ? La réponse viendra quelques paragraphes plus loin : « Le langage ordinaire aboutit à une ontification du sujet qui est le véritable nœud du problème [41]. » Et suit cette remarque fondamentale : « Chaque fois que nous partons de quelque chose qui s’appelle le sujet, nous en faisons un Un. Ce qu’il s’agit de concevoir, c’est justement ceci : c’est que le nom du sujet est ceci : il manque l’un pour le désigner [42]. »

57 Ainsi, si en 1965 Lacan identifie le sujet divisé à la bande de Mœbius, par un retournement inattendu, ce n’est pas celle que nous tenons dans la main, mais bien celle, invisible, qui se nomme la coupure. Manière de contrer toute velléité susceptible d’entraîner un retour à une ontologisation du sujet.

L’athéisme de J. Lacan : le sujet supposé savoir

58 Ce n’est donc que le 15 décembre 1965 que Lacan identifie pour la première fois le sujet barré à la bande de Mœbius [43]. Il en résulte que, par rapport à 1962, on anticipe de trois ans une invention que Lacan n’a faite qu’en 1965. Que signifie cette anticipation ? En quoi consiste-t-elle ?

59 Ne s’agit-il pas d’un court-circuit que l’on peut repérer en se référant au temps logique ? Le moment de conclure est directement rabattu sur l’instant de voir au détriment du temps pour comprendre. C’est tout le travail d’élaboration effectué par Lacan sur la propriété spéculaire de la bande de Mœbius qui se trouve éludé. La solution est donnée dès le départ et la recherche devient donc superflue.

60 Cela ne signe-t-il pas le caractère religieux d’une telle lecture ? Si en 1962 on attribue à Lacan un savoir auquel il n’avait pas encore les moyens d’accéder, la question se pose : ce savoir, d’où lui serait-il venu ? De quelle révélation serait-il issu ?

61 On reconnaît là la problématique maintes fois reprise par Lacan notamment à propos de Cantor et de son transfini. Ce savoir était-il déjà là ? Quelqu’un le savait-il avant qu’il ne soit découvert ? Où étaient écrites les lois de l’univers avant que Newton ne découvre la gravitation, Einstein la relativité ?

62 cette question, la réponse s’impose d’elle-même : celle d’un Dieu supposé connaître les lois de l’univers. Il n’y aurait dès lors plus qu’à les décrypter. Autrement dit, la science lit dans la nature ce que Dieu y a déposé en termes géométriques (Galilée), en termes mathématiques (Newton).

63 Seule condition préalable : que ce Dieu ne soit pas trompeur : « Cela est tellement vrai qu’un personnage aussi lucide qu’Einstein quand il s’agissait du maniement de l’ordre symbolique qui était le sien, l’a bien rappelé – Dieu, disait-il, est malin, mais il est honnête […] Cela dit, j’admets que la référence au Dieu non trompeur, seul principe admis, est fondée sur les résultats obtenus de la science [44]. »

64 Or, ce Dieu supposé savoir ce qu’il en est de l’ordre du cosmos, voilà ce que Lacan récuse au titre d’une illusion philosophique issue de Descartes. Pour lui, le scientifique n’est pas du tout celui qui sait lire, décrypter les lois de l’univers, il est celui qui invente : « […] le Verbe existe, mais non pas le Dieu de Descartes. Pour que le Dieu de Descartes existe, il faudrait que nous ayons un petit commencement de preuve de sa volonté créatrice à lui dans le domaine des mathématiques. Or ce n’est pas lui qui a inventé le transfini de Cantor, c’est nous [45]. »

65 Cet écart entre lire et inventer est ce qui permet de comprendre l’angoisse, voire l’incrédulité ressentie par certains scientifiques confrontés à ce qui se présentait sous leurs yeux : « C’est bien pourquoi l’histoire nous témoigne que les plus grands mathématiciens qui ont ouvert cet au-delà de la logique divine, Euler, tout le premier, ont eu très peur. Ils savaient ce qu’ils faisaient : ils rencontraient non pas le vide de l’étendue du pas cartésien qui finalement, malgré Pascal, ne fait plus peur à personne, parce qu’on s’encourage à aller l’habiter de plus en plus loin, mais le vide de l’Autre, lieu infiniment plus redoutable, puisqu’il y faut quelqu’un [46]. »

66 Confronté à ce qui est susceptible d’émerger, le phénomène de l’incroyance (Unglaubigkeit) peut se manifester : « Alors qu’il [Cantor] venait de démontrer ce qui s’appela par la suite la puissance du continu, il s’exclame en écrivant à son ami Dedekind : “Tant que vous ne m’aurez pas approuvé, je ne puis que dire : je le vois, mais je ne le crois pas [47]”. »

67 Si en 1962 Lacan énonce sa récusation radicale du sujet supposé savoir, en 1964, de façon quelque peu inattendue, il le récupère pour y voir un élément déterminant de la cure.

68 La démonstration de Lacan se développe en trois temps :

69 1. « Il [Descartes] met le champ de ces savoirs au niveau de ce plus vaste sujet, le sujet supposé savoir, Dieu [48] » ;

70 2. « Le sujet supposé savoir dans l’analyse, c’est l’analyste [49] » ;

71 3. « Dès qu’il y a quelque part le sujet supposé savoir […] il y a transfert […] chaque fois que cette fonction peut être, pour le sujet, incarnée dans qui que ce soit, analyste ou pas, le transfert est d’ores et déjà fondé [50] ».

72 Le parallèle est donc établi : dans un cas le sujet supposé savoir est Dieu, dans l’autre l’analyste.

73 Il ne faut cependant pas conclure à une stricte superposition des deux situations. Sur un point précis la psychanalyse se démarque de la religion. Où porte la différence ? « Il n’y a pour le psychanalyste aucun au-delà, aucun au-delà substantiel, à quoi pourrait se rapporter ce en quoi il se sent fondé à exercer sa fonction […] il ne se présente pas comme un dieu, il n’est pas Dieu pour son patient [51]. » Et pourtant, ajoute Lacan, ce qu’il obtient est d’un grand prix : la confiance de son patient [52].

74 Si dans les deux cas la confiance est là, présente au premier plan, alors sur quoi porte la différence ? Elle consiste en ceci que le sujet cartésien n’est pas dans le même rapport à l’Autre que le sujet analysant. Dans le premier cas, l’Autre est susceptible d’être trompeur, dans le second, il est susceptible d’être trompé. « Je veux accentuer maintenant que, dès lors, le corrélatif du sujet n’est plus maintenant l’Autre trompeur, il est l’Autre trompé [53]. »

75 Sur quoi porte précisément cette tromperie ? « Quelle meilleure manière de s’assurer, sur le point où on se trompe, que de persuader l’autre de la vérité de ce qu’on avance ! N’est-ce pas là une structure fondamentale de la dimension de l’amour que le transfert nous donne l’occasion d’imager ? À persuader l’autre qu’il a ce qui peut nous compléter, nous nous assurons de pouvoir continuer à méconnaître précisément ce qui nous manque [54]. »

76 L’analysant tient à la complétude de l’Autre. Sa demande est même faite pour la maintenir. Tant que l’Autre est complet, il peut se leurrer sur ce qui lui manque. Il suffit de se poser comme étant l’objet du désir de l’Autre. Le désir de l’analysant est un désir d’être désiré afin de recevoir de l’Autre le signifiant qui viendrait le combler.

77 Or, l’analyste n’est que supposé savoir. Une cure qui tend vers sa fin dévoile peu à peu l’inessentiel de cette fonction du sujet supposé savoir. Au fur et à mesure que le transfert se résout, il apparaît pour ce qu’il est, une fiction, un artifice requis pour la production du savoir inconscient.

78 Il n’en va pas de même avec le Dieu de Descartes. En effet, le sujet se décharge sur lui de la vérité des idées logiques. Mais après qu’il a donné sa « chiquenaude [55] » il n’en a plus que faire. L’hypothèse du Dieu trompeur a été rejetée, pour ne pas dire forclose, et on peut se demander si les preuves de l’existence de Dieu ne visent pas d’abord à prévenir de son retour. Reste que les démonstrations logiques de l’existence de Dieu supposent que cette logique ait été préalablement garantie par Dieu, le Dieu non trompeur !

79 C’est donc « un acte de foi qui a été nécessaire aux premiers pas de la science et de la constitution de la science expérimentale [56] ». Cet acte de foi laisse le sujet « dépendant du Dieu de la religion. Curieuse chute de l’ergo, l’ego est solidaire de ce Dieu [57] ».

Lacan : la laïcisation du bon vieux Dieu

80 En se référant à la distinction de Pascal, Lacan a toujours distingué deux hypothèses concernant Dieu : le Dieu des philosophes et le Dieu de la révélation biblique. Si le Dieu des philosophes fait l’objet d’une destitution subjective, l’Autre, celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, aura droit à un traitement particulier : sa laïcisation, voire son exorcisme [58].

81 Mais l’originalité de Lacan, sa rigueur logique se manifestent dans l’apparition au premier plan, dès 1967, non d’une théologie, mais d’une « Dio-logie [59] », hypothèse d’un Dieu nécéssité par la structure du langage.

82 la différence de Freud, Lacan ne va pas attaquer la religion de front, la réduisant à un mythe. Au contraire, on le voit importer dans le champ psychanalytique des concepts théologiques majeurs, tel le Nom du Père, et éclairer certains aspects de la religion sous un jour psychanalytique.

83 Dans un premier temps, celui des séminaires III et VII, Lacan reprend les thèses de L’homme Moïse et la religion monothéiste, mais sans se soucier de la valse hésitation de Freud entre démenti et refoulement.

84 L’intérêt majeur de l’histoire juive consiste en ce qu’elle est le véhicule du message du Dieu unique. « Ce message s’est trouvé lié dans le refoulement au meurtre du Grand Homme […] C’est pour autant que le meurtre primordial du Grand Homme vient émerger dans un second meurtre qui, en quelque sorte, le traduit et le promeut au jour, celui du Christ, que le message monothéiste s’achève [60]. » Comme on le sait, le meurtre du père primitif, loin d’ouvrir la voie à une quelconque jouissance, en interdit l’accès. Désormais, l’exercice de la jouissance comporte quelque chose qui vient s’inscrire au « livre de la dette dans la Loi [61] ».

85 On pourrait relever maints passages sur la Loi, la transgression, le surmoi, qui résonnent comme un écho aux exhortations de l’apôtre Paul. Après avoir commenté les Dix Commandements Lacan énonce : « Est-ce que la Loi est la Chose ? Que non pas. Toutefois, je n’ai eu connaissance de la Chose que par la Loi. En effet, je n’aurais pas eu l’idée de convoiter si la Loi n’avait pas dit – Tu ne convoiteras pas. Mais la Chose trouvant l’occasion produit en moi toutes sortes de convoitises grâce au commandement, car sans la Loi la Chose est morte […] Et pour moi, le commandement qui devait mener à la vie s’est trouvé mener à la mort [62] […]. » On reconnaît ici, à une petite modification près, la Chose à la place du péché, le discours de Paul dans l’Épître aux Romains, chapitre 7, verset 7.

86 Les fréquents allers et retours de Lacan entre Totem et tabou et L’homme Moïse... lui permettent d’aborder à peu près tous les thèmes composant le dogme de la rédemption (meurtre, substitution, rachat). Ainsi ce passage : « […] ce Dieu-symptôme, ce Dieu Totem autant que Tabou […] c’est par son biais qu’a pu venir au jour la vérité sur Dieu, c’est-à-dire que Dieu a été réellement tué par les hommes, et que la chose ayant été reproduite, le meurtre primitif a été racheté. La vérité trouva sa voie par celui que l’Écriture appelle sans doute le Verbe, mais aussi le Fils de l’Homme, avouant ainsi la nature humaine du père [63]. »

87 C’est, à notre connaissance, dans le Séminaire VII que se produit pour la première fois une jonction décisive qui marque chez Lacan un réel tournant par rapport à Freud : « Freud ne néglige pas, loin de là, le père réel. Pour lui, il est souhaitable qu’au cours de toute aventure du sujet, il y ait sinon le Père comme Dieu, au moins comme un bon père […] Mais cet effet [de normalisation du désir produit par le père] ne se produit sous son mode favorable qu’autant que tout est en ordre du côté du Nom du Père, c’est-à-dire du côté de Dieu qui n’existe pas [64]. »

88 Comme on peut le voir, Lacan emprunte à la religion un concept théologique central pour penser l’Œdipe et Totem et tabou. Ce n’est pas le père qui permet de comprendre Dieu, mais au contraire Dieu qui rend intelligible le père, sa place particulière et sa fonction dans l’ordre des signifiants [65].

89 Deux indices ont sans doute favorisé cette jonction :

90 l’insistance de Freud sur la « sublimité du Dieu des juifs » qui apporte le progrès dans la vie de l’esprit ;

91 l’interdit de la représentation, qui s’accorde avec ce que dit Lacan : « J’ai souvent insisté sur le fait que ce père symbolique en fin de compte n’est nulle part représenté [66]. »

92 Dieu est ainsi ramené à un signifiant qui fonctionne dans le symbolique comme représentant de la Loi. « Que le symbolique soit le support de ce qui a été fait Dieu, c’est hors de doute [67]. » Il fait ainsi son entrée dans le cadre de l’inconscient structuré comme un langage. Il ne faudrait pourtant pas en déduire qu’il serait dans le langage. Il est le (– 1), ce signifiant S(%) qui se compte mais sans y être.

93 Le Séminaire XXII nous donne une précision importante : la religion (chrétienne) est la vraie religion. Mais en quoi ? En ceci qu’il n’est pas vrai « que Dieu soit seulement, […], ce que Voltaire croyait dur comme fer [68] ». Exit donc tout Dieu assimilé à une essence, ainsi que tous les problèmes de transsubstantiation qui l’accompagnent nécessairement. « Elle dit qu’il existe, qu’il est l’ex-sistence par excellence [69]. » Et la conséquence arrive aussitôt : « C’est-à-dire qu’en somme il est le refoulement en personne, il est même la personne supposée au refoulement. Et c’est en ça qu’elle est vraie [70]. »

94 maintes reprises Lacan a fait appel à l’épisode du buisson ardent (Exode 3). À chaque fois il lit le « Ehyèh asher Ehyèh » en récusant toute résurgence de l’ontologie. Ce n’est pas « Je suis ce que je suis », mais « Je suis qui je suis ». En fait, pour Lacan, et de façon encore plus radicale, c’est un refus de se nommer. Le dernier commentaire se trouve dans le Séminaire XXII : « “Je suis ce que je suis [71]” ça c’est un trou, non ! Ben, c’est de là que part un mouvement inverse car un trou ça – si vous en croyez mes petits schèmes – un trou, ça tourbillonne, ça engloutit plutôt, hein, puis il y a des moments où ça recrache. Ça recrache quoi ? Le Nom. C’est le Père comme Nom [72]. »

95 Pourtant, dans ce cas précis, le Nom n’est pas vraiment recraché. En effet, les voyelles qui vocalisent le tétragramme sacré sont à tout jamais perdues. Le Nom de Dieu peut s’écrire mais il ne peut pas se vocaliser. Tel est le refoulé originaire du Nom du Père dont les quatre consonnes (yod, hè, wav, hè) ne font que border le trou.

96 Alors, le trou recrache-t-il ou non les Noms ? Certes, sans aucun doute, mais parce qu’il y a trou dans le symbolique. Le trou du refoulé originaire qui n’est autre que le Nom de Dieu.

97 En énonçant « Dieu est inconscient », Lacan nous livre la véritable formule de l’athéisme. En 1964, il l’oppose au « Dieu est mort » de Nietzsche qu’il avait reconnu au temps de l’Éthique comme une vérité historiale de notre époque. Mais ce n’est pas pour autant que Dieu a fait « son exit [73] ». En fait, ce nouvel énoncé implique que l’hypothèse Dieu serait en quelque sorte inhérente à la structure même du langage. Ce que Lacan formule ainsi dans le séminaire Encore : « Dieu est proprement le lieu où, si vous m’en permettez le jeu, se produit le dieu – le dieur – le dire. Pour un rien, le dire ça fait Dieu. Et aussi longtemps qu’il se dira quelque chose, l’hypothèse Dieu sera là [74]. »

Le père nommant

98 Une nouvelle étape est franchie avec l’apparition du père nommant. Il ne s’agit pas d’une récusation du père nommé de la métaphore. Énoncer que le père nomme implique de lui attribuer une fonction qui dépasse le registre du symbolique. Nommer est un acte, un événement qui se réfère à l’ex-sistence.

99 Avec les nœuds borroméens la nomination va prendre toute son ampleur. En effet, c’est en se démarquant de Freud et de sa réalité religieuse que Lacan invente sa solution : un nouage par le quatrième rond du symptôme. Il réalise ainsi son programme de laïcisation du bon vieux Dieu  [75].

100 Que nous dit-il ? Que le nouage par la religion impose un certain ordonnancement des ronds r.s.i., soit de réaliser le symbolique de l’imaginaire. Or, Lacan remarque que, chez Freud, dans ce nouage r.s.i. le réel ne surmonte pas en deux points le symbolique. On peut ainsi comprendre que Freud, dans ses fins de cure, bute d’une part sur l’angoisse de castration, d’autre part sur l’envie du pénis. De ce ratage il résulte que les trois ronds ne tiennent plus ensemble. Ils sont dénoués dans l’ordre suivant : r.i.s.

101 Comment Freud va-t-il réparer ce ratage ? Par le recours à la réalité psychique, c’est-à-dire au mythe : Œdipe, Totem et tabou. « Ce que Freud instaure avec son Nom du Père, identique à la réalité psychique, à ce qu’il appelle la réalité psychique, nommément à la réalité religieuse, car c’est exactement la même chose, que c’est ainsi, par cette fonction de rêve que Freud instaure le lien du symbolique, de l’imaginaire et du réel [76]. » Il y a donc chez Freud une réalité religieuse qui n’est autre que le meurtre du père. Ce quatrième rond a pour fonction de réparer l’erreur survenue au niveau du réel.

102 Quelle est la solution adoptée par Lacan ? Il s’en explique dans sa leçon du 11 mars 1975. Dans un premier temps il repart du nouage r.s.i. Mais pour qu’il y ait réparation, il faut que le nœud soit d’abord dénoué. C’est là que s’opère le choix. « Ne passons plus ce symbolique devant l’imaginaire [77] […]. » Le nœud se trouve ainsi défait et les trois ronds sont libres dans la position : s.r.i.

103 Et là, Lacan se trouve de nouveau placé devant un choix :

104 effectuer une réparation par un quatrième rond Ni, qui viendra nommer l’imaginaire. Cette nomination de l’imaginaire est appelée inhibition ;

105 effectuer une réparation par un quatrième rond Ns, qui viendra nommer le symbolique. Cette nomination du symbolique est appelée symptôme [78].

106 Il privilégie le choix suivant : se servir du quatrième (Ns) pour nommer le symbolique et faire symptôme (Ns + S) en nommant la jouissance que le symbolique de lui-même n’a pu lier. Ici, ce n’est pas le réel qui rate, mais le symbolique qui est défaillant. Lacan fait donc le choix de la nomination par le symptôme [79]. Tel est son Nom du Père, et ce Nom du Père nomme la défaillance du symbolique relativement à la jouissance.

107 Nous considérons que c’est en opposant la solution freudienne, r.i.s. noués par la réalité religieuse, à la sienne, s.r.i., avec une nomination par le symptôme, que Lacan parachève son programme : laïciser, voire exorciser le bon vieux Dieu[80].

108 Pour cela, il lui aura fallu apprécier la portée de vérité de l’Œdipe (le rêve de Freud) et de Totem et tabou (la névrose de Freud). L’inconscient freudien est appréhendé au travers de ces mythes. La réalité psychique freudienne n’est autre qu’une réalité religieuse. Il s’agit toujours en fin de compte de sauver l’idée d’un père non châtré qui interdit la jouissance tout en la conservant pour lui et qui ainsi s’attire l’amour (et la haine) des fils.

109 Que le Père soit un nom qui porte à la fois sur le désir et la jouissance n’est pas sans conséquence puisque la Loi véhicule nécessairement son double surmoïque. Il est interdit de jouir et simultanément il faut jouir. Pris dans cet étau, le plus simple n’est-il pas de s’abstenir de la jouissance pour s’adonner à l’amour du Père ?

110 On peut dire que chez Freud, le Nom du Père, on ne peut pas s’en passer et donc on ne peut pas s’en servir (pour désirer). « Il est vrai que l’historiole du Christ se présente, non pas comme l’entreprise de sauver les hommes, mais comme celle de sauver Dieu. Il faut reconnaître que, pour celui qui s’est chargé de cette entreprise, le Christ nommément, il y a mis le prix, c’est le moins qu’on puisse dire [81]. » Sauver le père ne va pas sans l’aimer : « […] je puis à la rigueur prouver à l’Autre qu’il existe, non bien sûr avec les preuves de l’existence de Dieu dont les siècles le tuent, mais en l’aimant, solution apportée par le kérygme chrétien [82]. »

111 Lors du baptème, le chrétien est nommé « enfant de Dieu ». Les trois évangiles synoptiques rapportent l’épisode dans lequel Jésus, s’adressant à ses disciples, leur dit : « Laissez faire ces enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le Royaume des Cieux est à ceux qui sont comme eux [83]. » Donc devenir enfant de Dieu... et le rester !

112 La religion (catholique) a bien perçu l’impossible du rapport sexuel [84]. La perte du paradis, la mort du Christ suivie du tombeau vide constituent des étapes d’un chemin de « séparation » proposé au croyant. Mais la réponse est là avant même que la question ne soit posée : résurrection, promesse de salut [85]. C’est ce qui fait dire à Lacan que le véritable catholique est inanalysable.

113 De l’autre côté, le Nom du Père, on peut s’en passer à condition de s’en servir... pour la nomination. Le père ici n’est plus tout à fait celui de l’Œdipe ni de la réalité religieuse freudienne. N’est-il alors qu’un symptôme ?

114 Énoncer que le père nomme, c’est l’amener au-delà de sa fonction métaphorique. Mais s’il peut être considéré comme un semblant [86], son « dire » certainement non !

115 Qu’est-ce qui est nommé ? La jouissance qui n’est pas passée au symbolique. Cette nomination a un effet de suppléance. Les trois ronds tiennent ensemble par le quatrième, le symptôme. La jouissance est ainsi nouée au symbolique et à l’imaginaire, c’est-à-dire aux semblants.

116 La religion, tout comme l’inconscient freudien, s’en tient au père. Le problème est que cette solution débouche sur une croyance : foi faite au signifiant maître. Or, cette vérité énoncée au nom de Freud est une « vérité menteuse ». Elle nous ment sur le réel pour autant qu’elle le masque.

117 Si Lacan évoque une révélation, c’est celle fournie par le savoir du névrosé : « Rien d’autre que ceci, qui s’articule – il n’y a pas de rapport sexuel [87]. »

118 Passer du « père au pire [88] » a amené Lacan à renommer l’inconscient freudien l’Unbewusst. Une-bévue, cet inconscient nous pousse à la bévue de l’Un. Ce dont il s’agit avec Lacan, c’est d’aller plus loin que le vrai, de dépasser le vrai pour aborder le réel. « Réel ou vrai ? Tout se passe […] comme si les deux mots étaient synonymes. L’affreux, c’est qu’ils ne le sont pas partout. Le vrai, c’est ce qu’on croit tel. La foi, et même la foi religieuse, voilà le vrai, qui n’a rien à faire avec le réel. La psychanalyse, il faut bien le dire, tourne dans le même rond. C’est la forme moderne de la foi, de la foi religieuse. À la dérive, voilà où est le vrai quand il s’agit de réel [89] […]. »

Conclusion

119 Le 25 novembre 1928, Freud écrivait au pasteur Pfister : « Je ne sais si vous avez saisi le lien secret qui existe entre l’analyse par les non-médecins et l’illusion. Dans l’un, je veux protéger l’analyse contre les médecins, dans l’autre contre les prêtres [90]. » Les choses sont claires, la psychanalyse est menacée des deux côtés : par la médecine et par la religion. Père garde-toi à droite, père garde-toi à gauche !

120 Chez Lacan, les frontières ne sont plus tout à fait les mêmes. Quels sont les rapports entre la psychanalyse et la religion ? « Ils ne sont pas très amicaux. C’est en somme ou l’un ou l’autre. Si la religion triomphe, comme c’est le plus probable […] ce sera le signe que la psychanalyse a échoué [91]. » Qu’est-ce qui motive ainsi l’inquiétude de Lacan ? Depuis toujours la religion consiste à donner un sens aux choses. Les religieux sont d’ailleurs formés pour ça : « Ils sont capables de donner un sens, on peut dire, vraiment à n’importe quoi, un sens à la vie humaine par exemple [92]. » La psychanalyse n’a aucune chance de triompher face à la religion : elle est increvable. Quant à la psychanalyse, qui s’occupe de ce qui ne marche pas, elle survivra ou pas !

121 Mais, dans cette conférence de presse, Lacan ajoute une seconde donnée : la science. Avec toutes les nouvelles découvertes scientifiques, notamment en biologie, les savants commencent à avoir « les foies » ! « Ce serait un soulagement sublime si tout d’un coup on avait affaire à un véritable fléau, un fléau sorti des mains des biologistes […] ça voudrait dire vraiment que l’humanité est arrivée à quelque chose, sa propre destruction par exemple […] Mais ça fout quand même un peu d’angoisse [93]. » C’est bien pourquoi Lacan situe la science comme une alliée objective de la religion. Elle va avoir « là encore beaucoup plus de raison d’apaiser les cœurs […] le réel, pour peu que la science y mette du sien […] ça va introduire des tas de choses bouleversantes dans la vie de chacun. Et la religion […] ils y ont mis le temps, mais ils ont tout d’un coup compris quelle était leur chance avec la science. La science va introduire de tels bouleversements qu’il va falloir qu’à tous ces bouleversements ils donnent un sens [94]. »

122 Trois semaines plus tard les choses sont disposées de façon un peu différente [95]. Certes, nous assistons à une reviviscence de la religion. Mais il n’en reste pas moins que « la science est en train de se substituer à la religion, avec autant de despotisme, d’obscurité et d’obscurantisme [96] ». Que ce soit la religion ou la science qui l’emporte, et la psychanalyse est finie.

123 Allons-nous souscrire à ces propos ? Pas sans certaines nuances.

124 La science triomphera-t-elle de la religion ou bien lui permettra-t-elle de s’épanouir en produisant du sens en veux-tu, en voilà ? Depuis plus de trois siècles la religion a parfaitement su s’adapter aux avancées scientifiques. Nous assistons à l’heure actuelle à une sorte de modus vivendi bien illustré par l’anecdote racontée par Étienne Klein : après avoir reçu Stephen Hawking, le pape Jean-Paul II le raccompagna et avant de le quitter lui déclara : « Alors, monsieur l’astrophysisien, nous sommes bien d’accord. Tout ce qui est après le Big-Bang, c’est pour vous ; mais tout ce qui est avant, c’est pour nous [97] ! » Il est peu vraisemblable que cette anecdote soit authentique. Elle n’en reste pas moins pertinente. L’angoisse a rattrapé nombre de croyants, et la croyance est toujours présente dans le champ scientifique.

125 La religion vaincra-t-elle la psychanalyse ? On peut en douter. Elle est bien moins triomphante qu’il y a un siècle et trop préoccupée par ses problèmes internes (paralysie hiérarchique, scandales pédophiliques, etc.). Le réel danger, et Lacan l’a bien perçu, réside dans l’alliance implicite, via la technique, qui lie en sous-main la science et le discours capitaliste  [98].

126 La religion fonctionne comme un cas particulier du discours du maître. À ce titre, elle a sa place dans le cadre des quatre discours. Il est possible à quiconque de passer d’un discours à l’autre, y compris au discours analytique. Avec le discours capitaliste il n’en va pas de même. En effet, à la différence du discours du maître, le discours capitaliste n’est pas l’envers du discours psychanalytique. Il a son autonomie, il fonctionne, ou plutôt il tourne sans fin sur lui-même, assurant au sujet (forclos de sa castration) une jouissance dont on lui souffle quels sont les objets. Le capitalisme produit, grâce à la science, ce que le consommateur est appelé à demander. Mais non sans le laisser dans l’insatisfaction. Ce qui fait dire à Lacan : « […] le discours de la science à des conséquences irrespirables pour ce qu’on appelle l’humanité. L’analyse, c’est le poumon artificiel grâce à quoi on essaie d’assurer ce qu’il faut trouver de jouissance dans le parler pour que l’histoire continue [99] ».

127 Encore faudrait-il savoir jusqu’à quel point nous, psychanalystes de ce temps, ne sommes pas nous-mêmes pris, à notre insu, dans les rets des « valeurs » du capitalisme.

Notes

  • [1]
    S. Freud, « Actes obsédants et exercices religieux », dans L’avenir d’une illusion, Paris, puf, 1980.
  • [2]
    Ibid., p. 94.
  • [3]
    S. Freud, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Paris, Gallimard, 1980.
  • [4]
    Ibid., p. 125. Traduction modifiée.
  • [5]
    Ibid.
  • [6]
    Pélage, moine du ve siècle, originaire de Grande-Bretagne, niait le péché originel. Pour lui la volonté n’a pas été affectée par la chute d’Adam.
  • [7]
    S. Kierkegaard, Le traité du désespoir, Paris, Gallimard, 1967, p. 167. Cf. Rm, 14, 23 : « Or, tout ce qui ne procède pas d’une conviction de foi est péché. »
  • [8]
    S. Freud, L’homme Moïse et la religion monothéiste, Paris, Gallimard, 1993, p. 137. Ces thèses sont, bien sûr, celles de Totem et tabou, dont Freud était si fier, soit le meurtre du père et le retour du refoulé.
  • [9]
    Il est intéressant de comparer « L’hymne à Aton » et le Ps. 104.
  • [10]
    En fait, nous pensons que Freud bute sur le fait suivant : « Le cadre de la religion de Moïse n’offrait aucun espace à l’expression directe de la haine meurtrière du père » (L’homme Moïse et la religion monothéiste, op. cit., p. 240). Suit un petit dialogue qui met en scène des chrétiens adressant ce reproche aux juifs : « Ils ne veulent pas reconnaître qu’ils ont mis Dieu à mort, alors que nous, nous l’avouons et que nous avons été lavés de cette faute » (op. cit., p. 243). C’est le mythe de la rédemption, de la mort expiatoire du Christ qui ouvre cet espace dans le champ du christianisme. Freud aurait donc postulé un démenti plutôt qu’un refoulement du meurtre du père en raison de l’absence dans l’Ancien Testament d’un retour du refoulé équivalant au mythe chrétien de la rédemption. Pourtant, ce retour du refoulé y est bel et bien présent. Il se développe dans la figure du Serviteur souffrant (l’Ebed Yahvé) d’Ésaïe 42-53. C’est la figure à laquelle Jésus s’est le plus fortement identifié en tant qu’elle inclut les deux traits essentiels du mythe de la rédemption : le rachat pour l’expiation des péchés et la substitution. Par ex. comp. És 53, 12 : « puisqu’il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort... » et Ph 2, 7-8 « Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur... jusqu’à la mort. »
  • [11]
    S. Freud, L’avenir d’une illusion, dans ocp, XVIII, Paris, puf, 1994, p. 142s.
  • [12]
    Non sans rappeler les thèses précédentes.
  • [13]
    O. Pfister, « Die Illusion der Zukunft », Imago, 14 (2-3), 1928, p. 149-184. « L’illusion d’un avenir », Revue française de psychanalyse, vol. 40, n° 3, 1977, p. 503-546.
  • [14]
    S. Freud, L’avenir d’une illusion, op. cit., p. 170.
  • [15]
    S. Freud, « XXXVe Leçon, D’une vision du monde », dans opc XIX, Paris, puf, 1995, p. 243. C’est nous qui mettons les italiques. Nous avons remplacé « animique » par « psychologique ».
  • [16]
    S. Freud et O. Pfister, Correspondance, 1909-1939, lettre du 25 novembre 1928, Paris, Gallimard, 1991, p. 182 ; « als eine der logisch unhaltbaren, psychologisch nur zu begreiflichen Inkonsequenzen des Lebens », Briefe 1909-1939, Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag, 1963, s. 135.
  • [17]
    Ibid., p. 186. « Man kann natürlich sich des menschlichen Recht auf Inkonsequenz bedienen », op. cit., s. 139.
  • [18]
    S. Freud, « Au-delà du principe de plaisir », dans Essais de psychanalyse, Paris, Petite bibliothèque Payot, 1970, p. 81.
  • [19]
    M. Darmon, article « Topologie », dans R. Chemama et B. Vandermersch (sous la dir. de), Dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Larousse, 2001, p. 430 ; cf. aussi article « Coupure », p. 72-73.
  • [20]
    J. Granon-Lafont, La topologie ordinaire de J. Lacan, Paris, Point Hors Ligne, 1985, p. 82.
  • [21]
    M. Royer, « Un abord topologique de a », Apertura, n° 2, Springer Verlag, Condé sur Noireau, 1988, p. 132.
  • [22]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre IX, L’identification, leçon du 13 juin 1962, transcription M. Roussan, p. 275. C’est nous qui soulignons.
  • [23]
    Ibid., leçon du 6 juin 1962, p. 265. C’est nous qui soulignons.
  • [24]
    Ibid., p. 266. Citons également dans la leçon du 13 juin : « […] cette division a justement pour résultat de diviser la surface en : 1) une surface de Mœbius, c’est-à-dire une surface unilatère […] celle-ci conserve si l’on peut dire en elle une partie seulement des propriétés de la surface appelée cross-cap […] il s’agit d’une surface spécularisable. 2) […] la partie centrale […] qui emporte avec elle la véritable structure de l’appareil appelé cross-cap […] c’est à celle-là que nous allons nous fier pour nous donner un schéma de représentation schématique de ce qu’est la relation $ ◊ a […]. »
  • [25]
    Ibid., leçon du 27 juin 1962, p. 296.
  • [26]
    Ibid.
  • [27]
    Ibid., leçon du 6 juin 1962, p. 266.
  • [28]
    Ibid., leçon du 16 mai 1962, p. 230 ; cf. aussi la leçon du 23 mai, p. 237.
  • [29]
    Ibid., leçon du 20 juin 1962, p. 283 ; cf. aussi la leçon du 13 juin, p. 279.
  • [30]
    Ibid., leçon du 30 mai 1962, p. 244. Sous peine de lui restituer une qualité dont Lacan l’a justement débarrassé.
  • [31]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre IX, L’identification, op. cit., leçon du 27 juin 1962, p. 297.
  • [32]
    J. Lacan, L’angoisse, leçon du 9 janvier 1963, transcription M. Roussan, p. 78.
  • [33]
    Ibid., p. 78.
  • [34]
    J. Lacan, L’objet de la psychanalyse, leçon du 15 décembre 1965, transcription de M. Roussan, p. 45.
  • [35]
    Ibid. C’est nous qui soulignons.
  • [36]
    Ibid. C’est nous qui soulignons.
  • [37]
    Sans cette précision, l’énucléation de l’objet a produit bien une bande de Mœbius, mais pas encore un $, qui requerrait pour ex-sister une deuxième coupure (médiane) sur la bande.
  • [38]
    Une coupure simple passant par la ligne de recoupement du cross-cap modifie ses propriétés. Il devient une surface bilatère, non spécularisable. Quant à la coupure, « elle a la structure de la surface appelée bande de Mœbius », ibid., p. 44.
  • [39]
    Dénomination qui montre bien que l’important est le changement de propriété. Nous trouvons dans les leçons du 15 décembre 1965 et du 12 janvier 1966 beaucoup d’éléments qui réapparaîtront dans l’article « L’étourdit » de 1972.
  • [40]
    J. Lacan, L’objet de la psychanalyse, op. cit., leçon du 12 janvier 1966, p. 98.
  • [41]
    Ibid., leçon du 15 décembre 1965, p. 47.
  • [42]
    Ibid.
  • [43]
    Ce point a été repéré par E. Porge dès 1992 : « Écritures lacaniennes », Littoral, n° 36, Paris, Epel, octobre 1992, p. 11, note 3.
  • [44]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre III, Les psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 77. Ajoutons que ce dieu non trompeur est aussi garant d’un point tout à fait fondamental concernant les lois de la physique : elles sont immuables. Lacan envisage une hypothèse différente dans « Conférence de presse du Docteur Lacan au Centre culturel français », Rome, le 29 octobre 1974, parue dans Lettres de l’École freudienne, n° 16, 1975, p. 6-26.
  • [45]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre IX, L’identification, op. cit., leçon du 17 janvier 1962, p. 83.
  • [46]
    Ibid.
  • [47]
    E. Porge, Jacques Lacan, un psychanalyste, Parcours d’un enseignement, Toulouse, Érès, 2000, p. 274.
  • [48]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 204.
  • [49]
    Ibid.
  • [50]
    Ibid., p. 210-211.
  • [51]
    Ibid., p. 209.
  • [52]
    Nous rencontrons dans ces réflexions de Lacan comme un écho du dialogue entre Freud et le pasteur Pfister : « Vous ne doutez pas, je suppose, que vos succès soient obtenus en premier lieu par le même moyen que les nôtres : le transfert érotique sur votre personne. Mais vous avez le bonheur de pouvoir conduire ce transfert jusqu’à Dieu et de rétablir ainsi ces temps bénis […] où la foi religieuse étouffait les névroses. Pour nous, cette chance de liquidation n’existe pas. » S. Freud et O. Pfister, op. cit., p. 47.
  • [53]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 37.
  • [54]
    Ibid., p. 121.
  • [55]
    Selon l’expression de Pascal.
  • [56]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre III, Les psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 77.
  • [57]
    J. Lacan, « La science et la vérité », dans Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 865.
  • [58]
    C’est le fil que nous suivrons ici.
  • [59]
    J. Lacan, « La méprise du sujet supposé savoir », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 337, à côté de la théologie classique et de la mystique.
  • [60]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986p. 205.
  • [61]
    Ibid., p. 208.
  • [62]
    Ibid., p. 101.
  • [63]
    Ibid., p. 213. Chacun connaît la vaste culture théologique de Lacan. Pourtant, concernant cette mention du Fils de l’Homme nous relevons un petit contresens. En effet, ce titre christologique, souvent proche de celui d’Ebed Yahvé, concerne l’Homme céleste auquel s’identifiera Jésus pour évoquer son œuvre future. Cf. O. Cullmann, Christologie du Nouveau Testament, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, p. 118s.
  • [64]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 213.
  • [65]
    Cf. l’exemple choisi par Lacan dans L’identification, leçon du 17 janvier 1962 : tout père est Dieu, mais c’est pour aussitôt retourner la formule : seul Dieu est père.
  • [66]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 217.
  • [67]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 77.
  • [68]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XXII, r.s.i., non publié, leçon du 17 décembre 1974.
  • [69]
    Ibid.
  • [70]
    Ibid.
  • [71]
    On se serait attendu à « Je suis qui je suis » !
  • [72]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XXII, r.s.i., non publié, leçon du 15 avril 1975.
  • [73]
    Formule du séminaire Encore, op. cit., p. 78.
  • [74]
    Ibid., p. 44.
  • [75]
    Sur le développement qui suit : cf. J. Lacan, Le séminaire, Livre XXII, r.s.i., non publié, les leçons de décembre à avril. On peut également consulter : M. Bousseyroux, Au risque de la topologie et de la poésie, Élargir la psychanalyse, Toulouse, Érès, 2011 ; E. Porge, Lettres du symptôme, version de l’identification, Toulouse, Érès, 2010.
  • [76]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XXII, r.s.i., op. cit., leçon du 11 février.
  • [77]
    Ibid., leçon du 11 mars.
  • [78]
    On pourrait s’attendre à juste titre à ce qu’une troisième nomination, Nr, nomination du réel par l’angoisse, vienne prendre place au côté des deux autres. En fait il n’en est rien. C’est ce que montre Lacan dans les dessins du catalogue de François Rouan, Paris, Centre Georges Pompidou, coll. « Contemporains », n° 4, 1983, p. 93-94. « La nomination du réel, par couplage du rond R avec celui N de la nomination, n’est pas permise dans la chaîne borroméenne à quatre », M. Bousseyroux, op. cit., p. 200. Cf. aussi E. Porge, op. cit., p. 46. En effet, lorsque sur trois ronds empilés dans la position sri on faufile un quatrième rond en demi-lune autour du rond intermédiaire R, et qu’après manipulation on obtient quatre ronds repliés deux à deux en demi-oreilles, on peut constater que le rond Ns (Nomination du S) + S (symbolique) fait la ronde en passant par le trou formé par R et I : Ns + S : R + I. Cela dans le cas où le quatrième passe en demi-lune autour du rond R en commençant et en finissant par-dessous. S’il passe par-dessus, on aboutira au résultat suivant : Ni + I : S + R. Dans le séminaire XXIII, le symptôme est représenté par un seul rond, le quatrième. Dans r.s.i., Lacan associe la nomination symbolique et le symbolique. Sur ce point, cf. E. Porge, op. cit., p. 48 et suiv.
  • [79]
    Je fais ici abstraction de la question de savoir si le symptôme est un Nom du Père ou une consistance qui permet de s’en passer. Cf. E. Porge, op. cit., p. 49.
  • [80]
    Il est tout à fait remarquable, mais ô combien cohérent, que dans le séminaire XXII, à la leçon du 21 janvier 1975, Lacan donne une définition de la fonction paternelle radicalement laïcisée, c’est-à-dire déconnectée du trio œdipien et de toute idéologie normativante, religieuse ou sociale.
  • [81]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XX, Encore, op. cit., p. 98.
  • [82]
    J. Lacan, « Subversion du sujet et dialectique du désir », dans Écrits, op. cit., p. 819.
  • [83]
    Mat. 19, v. 14.
  • [84]
    Elle a même trouvé le moyen d’y parer en déplaçant la finalité de la jouissance sexuelle de la castration à la reproduction : « L’Église catholique affirme qu’il y a un rapport sexuel, c’est celui qui aboutit à faire des petits enfants. C’est une affirmation qui est tout à fait tenable, simplement elle est indémontrable. » J. Lacan, Le savoir du psychanalyste, leçon du 4 novembre 1971, publié sous le titre : Je parle aux murs, Paris, Seuil, 2011, p. 35-36.
  • [85]
    Dans certaines confessions de foi, notamment celles influencées par le théologien balois Karl Barth, l’annonce de la grâce et la promesse du salut précèdent la reconnaissance des péchés.
  • [86]
    Position qui prend une forme radicale dans la préface à L’éveil du printemps : « Parmi les Noms du Père, il y a celui de l’Homme masqué […] Le masque seul existerait à la place vide où je mets la femme. » J. Lacan, dans Autres écrits, op. cit., p. 563.
  • [87]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil, 2006, p. 166.
  • [88]
    Selon la formule qui clôt Télévision, Paris, Seuil, 1974, p. 72.
  • [89]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XXIV, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, 1976-1977, non paru, leçon du 14 décembre.
  • [90]
    S. Freud et O. Pfister, op. cit., p. 183.
  • [91]
    J. Lacan, « Conférence de presse du docteur J. Lacan au Centre culturel français », art. cit.
  • [92]
    Ibid.
  • [93]
    Ibid.
  • [94]
    Ibid.
  • [95]
    Lors de l’entretien de J. Lacan avec Emilia Granzotto du 21 novembre 1974, « Freud pour toujours », paru dans Panorama le 29 novembre 1974.
  • [96]
    Ibid.
  • [97]
    E. Klein, « L’origine de l’univers est-elle pensable », conférence, Internet.
  • [98]
    C’est pourquoi on peut s’interroger : à l’heure actuelle, la nécessité d’abord que ça fonctionne (cf. Internet, les réseaux sociaux, les marchés financiers, la prévalence d’une législation de circonstance couvrant à peine l’inexistence d’une pensée politique et sociale) n’aurait-elle pas pris le pas sur la demande de sens ?
  • [99]
    J. Lacan, Déclaration à France Culture à propos du 28e Congrès internationnal de psychanalyse, juillet 1973. Paru dans Le coq héron, n° 46-47, Paris, 1974, p. 3-8.
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