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Sous la direction de J.-M. Jadin et M. Ritter, La jouissance au fil de l’enseignement de Lacan, Toulouse, érès, 2009.
1Un séminaire tenu entre 2004 et 2006, à Strasbourg, à l’initiative de Jean-Marie Jadin et Marcel Ritter, ayant pour objet la jouissance, est à l’origine de cet ouvrage.
2Entreprise ardue, compliquée : la jouissance fait obstacle à toute somme qui tenterait d’en établir une connaissance livresque, et s’avère également résistante au savoir lui-même. En effet, elle est partie prenante du trou du savoir chez l’Autre. Dès que l’on parle d’elle, elle tend à s’échapper.
3La jouissance est interdite à qui parle comme tel, nous rappelle utilement Lacan. On pourrait ajouter qu’elle se montre singulièrement rétive à qui veut en rendre compte. Raison de plus pour soutenir sans réserve l’initiative de ces auteurs qui prennent le risque d’en parler ! La limite à l’exploration de ce champ défriché par Lacan, qui souhaitait qu’on nommât celui-ci lacanien, est qu’il demeure inabouti, selon le propre aveu de ce dernier.
4L’ouvrage est ainsi composé : suite d’articles qui abordent dans l’ordre chronologique de l’œuvre de Lacan les occurrences du concept de jouissance. Les intervenants sont au nombre de dix. S’ajoutent à ces interventions « chronologiques » plusieurs textes introductifs et conclusifs de Jadin et Ritter.
5Ce livre ne vise pas à « mâcher le travail » au lecteur, mission d’ailleurs impossible sauf à opérer des raccourcis par trop simplificateurs, mais propose un aperçu de la position de chacun des auteurs. Comme il convient pour un ouvrage collectif, l’unité de pensée n’est pas de mise.
6Marcel Ritter résume en un mot, dans sa conclusion, ce que peut provoquer un tel abord de la jouissance : rien de moins que le vertige ! Cette conclusion s’intitule : « Le carrousel des jouissances ou les variantes de la jouissance ». Il écrit : « Il m’est arrivé de dire au sortir du séminaire, que ce travail sur la jouissance me donnait le vertige. »
7Il note que dans son introduction il avait évoqué les variétés de la jouissance, et que, maintenant, il préfère lui substituer le terme de variante, en écho à l’article de Lacan « Variantes de la cure-type ». Ce dernier faisait entendre au moyen de ce titre qu’il n’y a pas de cure type ; Ritter en fait de même pour la jouissance.
8Il ajoute : « Pour ce qui est du terme de jouissance, la première partie du titre le met au pluriel et la deuxième au singulier. Les deux trouvent leur justification. En effet notre parcours nous a conduit à la conclusion qu’il n’y a pas une jouissance type, si ce n’est sous forme d’hypothèse, ou de supposition. Il n’y a que des variantes, toutes fondées sur l’expérience psychanalytique, et aucune n’est sans limite » (p. 490).
9La conclusion en termes de variantes ne peut survenir qu’après les différentes « variations » des auteurs à propos de celles-ci. On mesure le parcours accompli à reprendre la liste, proposée au début de l’ouvrage, par le même Marcel Ritter, des variétés de la jouissance : « La jouissance de la Chose, la jouissance de l’être, la jouissance de l’Autre, la jouissance de l’image du corps, la jouissance phallique, la jouissance sexuelle, la jouissance de la vie » (p. 24 à 29). Liste non exhaustive, puisque sont aussi évoqués dans ce livre la jouissance du corps de l’Autre, la jouissance féminine, le plus de jouir, et j’en passe sûrement.
10Toutes ces variétés de jouissance se regroupent dans le schéma borroméen que propose Lacan dans « La troisième », à Rome en novembre 1974. Autour de l’objet petit a, plus de jouir situé au centre du nœud, en position de pivot, se retrouvent diversement « coincés » entre imaginaire, symbolique et réel, la jouissance phallique, la jouissance de l’Autre et le sens.
11Ce schéma a l’avantage d’une remarquable simplification, mais quelques… désavantages aussi. Ainsi, comment expliquer la nature de cette jouissance de l’Autre en laquelle se condensent tant d’hypothèses différentes formulées par Lacan sur des jouissances qui ont nom Autre jouissance, jouissance féminine, jouissance du corps de l’Autre, etc. ? Et la présence du sens, non indexé du terme de jouissance, laisse en suspens la question de savoir si celui-ci y participe, comme pourraient le laisser entendre les quelques (rares) occurrences du terme de j’ouï-sens, ou jouis-sens, dans l’enseignement lacanien.
12À ce propos, Jean-Marie Jadin, qui, parmi les auteurs, est probablement celui qui se livre le plus hardiment à des hypothèses théoriques, en émet une à propos de cette « j’ouï-sens ». Selon lui, quand Lacan fait ce jeu de mots, « il rapporte ce qui se passe après réduction du sens au cours d’une analyse. Grâce à la déjouissance le sujet entend le sens qu’il y avait et qu’il méconnaissait » (p. 51). Cette hypothèse mériterait discussion. Selon moi, l’auteur tranche un peu vite en orientant ce terme quelque peu énigmatique de Lacan vers la signification d’une réduction de sens. La première interprétation qui vient à l’esprit (en tout cas au mien) serait plutôt une jouissance du sens, donc plutôt orientée vers, ou tout au moins reliée à la jouissance phallique.
L’un des charmes de cet ouvrage est qu’il donne envie d’ouvrir la discussion avec certains de ses auteurs. À ce titre, comme à d’autres dont j’espère avoir livré un aperçu, il mérite le détour.
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Sous la direction de J.-M. Jadin et M. Ritter, La jouissance au fil de l’enseignement de Lacan, Toulouse, érès, 2009.