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Article de revue

20 ans d’évolutions régionales de l’insertion : mobilité, métropolisation et contextes économiques régionaux

Pages 21 à 31

Notes

  • [1]
    La métropolisation désigne « le mouvement de concentration de populations, d’activités et de valeur dans des ensembles urbains de grande taille » (CGET 2016, p. 23).
  • [2]
    Une aire urbaine est un ensemble de communes, d’un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurales ou unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci (Floch, Levy, 2011).
  • [3]
    1,3 million d’habitants dans l’aire urbaine de Toulouse (2013), 1,7 à Aix-Marseille, 2,2 à Lyon, 1,1 million d’habitants dans l’aire urbaine de Bordeaux, 680 000 à Grenoble (source : INSEE, recensement de la population 2013).
  • [4]
    « La notion de cadre des fonctions métropolitaines (CFM) est un nouveau concept. Il remplace la notion d’emploi métropolitain supérieur (EMS). L’objectif des deux concepts est le même (mesurer la présence d’emplois stratégiques sur un territoire). Cinq fonctions, plus spécifiquement métropolitaines, forment ainsi le groupe des fonctions métropolitaines : Conception-recherche, Prestations intellectuelles, Commerce inter-entreprises, Gestion, Culture-loisirs. Le concept de « cadres des fonctions métropolitaines » (CFM) vise à offrir une notion proche d’emplois « stratégiques », en assurant la cohérence avec les fonctions. La présence d’emplois « stratégiques » est utilisée dans l’approche du rayonnement ou de l’attractivité d’un territoire » (INSEE, 2009 et en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1893116).

1 Du côté scientifique, divers travaux ont souligné les disparités d’insertion des jeunes entre régions. Ce faisant, ils ont pointé différents éléments de contexte pouvant expliquer tout ou partie de ces disparités (Caro, Martinelli, 2002 ; Caro, 2006). Certains d’entre eux soulignent que la répartition des formations, et donc des jeunes diplômés, n’est pas homogène sur le territoire. L’exemple de l’enseignement supérieur est le plus évident : un nombre réduit de grands établissements se concentre dans quelques grands pôles métropolitains (Vignale, 2016). Or, le diplôme imprime sa marque sur les conditions d’insertion (Éphiphane et al., 2005 ; Mora, Sulzer, 2008 ; Arrighi, 2012 ; Rouaud, Joseph, 2014). Les disparités régionales d’insertion doivent donc être relativisées au regard de la structure particulière à chaque région en matière d’offre de formation et de niveaux de diplôme des sortants.

2 D’autres travaux, étudiant les conditions locales d’insertion des jeunes, ont souligné l’importance des disparités de destinée professionnelle rencontrées d’un territoire à l’autre, fortement dépendantes des contextes économiques locaux (Roux, 2005).

3 Il apparaît donc opportun de tenter ici un bilan des évolutions sur longue période des variations régionales en matière d’insertion. Parmi les facteurs explicatifs, quelle est la part de la localisation des jeunes diplômés sur le territoire ? Y-a-t-il des effets régionaux dans le processus d’insertion professionnelle des jeunes, et ceux-ci sont-ils demeurés constants ou ont-ils évolué à 20 ans d’écart ?

4 Les enquêtes Génération du Céreq permettent d’étudier l’évolution de l’insertion professionnelle des jeunes en France à 20 ans d’écart à l’échelle des anciennes régions telles qu’elles existaient jusqu’en 2015. En se focalisant sur les cohortes de sortants de formation initiale de 1992 et 2010, observées chacune pendant 5 ans (jusqu’en 1997 et 2015), il est alors possible d’étudier l’évolution des disparités régionales d’insertion, qui plus est dans deux contextes conjoncturels difficiles marqués par des pics de chômage à plus de 10 % de la population active (en 1994 et 1997 puis en 2015).

5 Nous commençons par une analyse des disparités d’évolution des conditions d’insertion selon les régions sur une vingtaine d’années. Une deuxième partie s’attache à confirmer l’existence d’effets économiques régionaux nets pesant sur l’insertion des jeunes, c’est-à-dire prenant en compte les inégalités structurelles entre les différentes offres de formation régionales. Une troisième partie explore les relations entre conditions d’insertion et différents éléments caractérisant le contexte régional économique, démographique et géographique.

1. Évolutions des conditions d’insertion en région à 20 ans d’écart : une typologie

6 Les régions peuvent être classées selon le temps passé par les jeunes en emploi à durée indéterminée (EDI), incluant le CDI et les autres formes d’emplois stables comme ceux de la fonction publique et territoriale, au cours des cinq années passées depuis la sortie de formation initiale, et en considérant la région d’obtention du dernier diplôme. Les écarts sont importants puisque la moyenne de cet indicateur varie d’un gros tiers à la moitié des 56 mois d’observation, l’écart entre régions tendant à se réduire à la génération 2010 par rapport à la génération 1992. Une douzaine de régions peuvent être considérées comme inscrites dans une dynamique favorable d’emploi alors que neuf autres apparaissent comme fragilisées par les années de crise.

Encadré 1. Méthodologie

L’échelle privilégiée est celle des régions métropolitaines (sauf Corse, données non significatives) avant la réforme territoriale introduite par la loi NOTRE de 2015. La complexité inhérente au fait de chercher à mesurer et comparer des processus d’insertion a conduit à retenir une pluralité d’indicateurs. Les huit indicateurs retenus sont :
  • la part de temps passé en emploi à durée indéterminée (EDI),
  • la part de temps passé en contrats à durée déterminée (CDD),
  • la part de temps passé en emploi aidé,
  • la part de temps passé au chômage,
  • la part de temps passé en formation,
  • la part de temps passé en inactivité,
  • le nombre de mois écoulés avant l’obtention du premier emploi à durée indéterminée (contrat à durée indéterminée ou fonction publique),
  • le nombre de mois écoulés avant l’obtention d’un premier emploi ordinaire (emploi à durée indéterminée ou contrat à durée déterminée).
Les données relatives à l’insertion ont été calculées pour les deux générations extrêmes (1992 et 2010) à partir des calendriers professionnels recueillis (56 mois, de septembre 1992/2010 à mai 1997/2015).

1.1. Deux groupes de régions aux conditions plutôt favorables pour les deux générations

7 Du côté des régions aux conditions favorables d’insertion pour la génération 2010, deux groupes se distinguent. Dans le premier, la part de temps passé en EDI reste parmi les plus élevées pour les deux générations bien que son évolution soit orientée à la baisse. Dans le second, les évolutions – positives – de cette part sont les plus remarquables.

  • Une part de temps passé en emploi à durée indéterminée importante mais en érosion : des régions à composantes abritées (Alsace, Île-de-France, Rhône-Alpes et Franche-Comté)

8 Dans ces quatre régions, les jeunes ont un accès plus rapide qu’ailleurs à l’emploi et ont passé une part importante des cinq ans qui ont suivi leur sortie du système éducatif en EDI, pour les deux générations considérées. Il s’agit de régions disposant de composantes abritées sur le plan spatial, sectoriel et de niveaux de qualification se traduisant par un marché du travail plus favorable.

9 Ces quatre régions demeurent en tête de classement aux deux dates, même si la part de temps en EDI est en recul pour la génération 2010, (entre 46,6 % et 50 % pour la génération 2010 contre 48,8 % à 54,5 % pour la génération 1992). Symétriquement, le temps passé au chômage est toujours inférieur à la moyenne nationale, bien qu’il tende à s’en rapprocher en Alsace et en Franche-Comté. Pour les deux « grandes » régions (Île-de-France et Rhône-Alpes), les conditions prévalant dans les secteurs les plus concurrentiels ou en restructuration ont pu s’étendre à toute leur économie. Les deux « petites » régions, Alsace et Franche-Comté, apparaissent moins diversifiées d’un point de vue sectoriel et donc plus dépendantes des aléas de la conjoncture.

Encadré 2. Des composantes abritées, facteurs de stabilité en emploi

En Alsace, Rhône-Alpes et Franche-Comté, le poids du travail frontalier est constant, d’une période à l’autre. Si une certaine dégradation est observée dans l’industrie, les activités tertiaires suisse et allemande demeurent de longue date pourvoyeuses d’emplois. De plus, les secteurs du commerce et de l’immobilier profitent de la proximité avec les consommateurs des mêmes pays au bénéfice de petites villes françaises frontalières. En Île-de-France, les politiques de grands projets d’État en matière d’aménagement sont récurrentes malgré la crise : développement des emplois publics de l’enseignement supérieur et de la recherche (Saclay), emplois du BTP et des transports (Grand Paris Express 2019-2030, rénovation du quartier des Halles au cœur de Paris, etc.). D’autres métropoles telles que Lille (Euralille), Marseille (Euromed) ou Lyon (Confluences) ont aussi bénéficié de grands projets d’aménagement. Enfin, les quatre régions bénéficient d’activités touristiques et d’emplois d’économie présentielle.
  • Un accès à l’emploi durable en progression : des régions à dynamisme variable (Midi-Pyrénées, Pays-de-la-Loire, Auvergne, Bretagne, Aquitaine, Poitou-Charentes, Basse-Normandie et Centre-Val-de-Loire)

11 Ce deuxième groupe de régions, centrées plutôt sur l’Ouest, se singularise par deux caractéristiques de la part du temps passé en EDI : sa progression entre les deux périodes, alors même qu’elle diminue au niveau national ; et son niveau proche ou (très) supérieur à la moyenne nationale pour la génération 2010. Nous les identifierons comme des régions à dynamisme variable.

12 Des évolutions du contexte économique local semblent ainsi avoir particulièrement profité à cinq de ces régions qui se situaient pour la génération 1992 un peu en dessous de la moyenne nationale. C’est le cas de Midi-Pyrénées, qui connaît une progression remarquable (+7,5 points entre les deux générations) qui l’amène à atteindre la part de temps passé en EDI la plus élevée pour la génération 2010 (51,6 %).

13 Pour trois autres régions (Poitou-Charentes, Basse-Normandie et Centre-Val-de-Loire) leur dynamisme leur permet de rattraper la moyenne nationale pour la génération 2010. La croissance économique et démographique des grandes aires urbaines explique en partie ce constat (Poitiers, La Rochelle, Caen, Orléans, Tours).

14 Dans l’ensemble, ces douze régions sont aussi symétriquement celles où le temps passé au chômage est le plus faible pour la génération 2010, de 15,4 % dans les Pays-de-Loire à 19,8 % en Basse-Normandie.

1.2. Deux groupes de régions aux conditions d’insertion plutôt incertaines

15 À l’opposé, neuf régions, plus exposées, ont les temps de chômage les plus élevés pour la génération 2010 : jusqu’à 28,5 % en Picardie, soit 10 points de plus en moyenne que dans les régions connaissant les processus d’insertion les plus favorables. Le temps nécessaire pour obtenir un emploi ordinaire (EDI ou CDD) connaît lui aussi d’importants écarts entre régions exposées et fragilisées et régions plus abritées et dynamiques.

16 La désindustrialisation de ces régions est en cause, elle touche à la fois leurs branches industrielles historiques comme la sidérurgie, le textile, la chimie, mais aussi celles qui ont été implantées plus récemment au fil des politiques publiques de reconversion. Cette désindustrialisation sous-tend une croissance très ralentie du PIB, comme on le verra plus loin.

  • Un accès à l’emploi à durée indéterminée amélioré mais limité : régions exposées à un risque d’insertion dans la précarité (Languedoc-Roussillon, Champagne-Ardenne, Nord-Pas-de-Calais)

18 Ces trois régions se caractérisent par une augmentation du temps passé en EDI d’une génération à l’autre, dans un contexte national où il est à la baisse. Cependant cette dynamique les laisse encore nettement en dessous de la moyenne nationale pour la génération 2010 et le temps passé au chômage est supérieur à la moyenne nationale de 2 à 6 points.

  • Un accès à l’emploi dégradé : régions fragilisées (Picardie, Haute-Normandie, Limousin, PACA, Lorraine et Bourgogne)

19 Ces six régions sont fragilisées du fait d’un accès à l’EDI dégradé entre les deux générations. Cette faiblesse de l’EDI n’est qu’en partie compensée par des temps passés en CDD et en emplois aidés supérieurs à la moyenne nationale. Cette dégradation de la qualité des emplois est également à mettre en relation avec l’augmentation du poids du temps passé au chômage, PACA faisant exception.

20 Cela rend la situation très délicate pour quatre régions (Picardie, Haute-Normandie, Limousin et PACA) dont la part de temps passé en EDI, déjà faible dans la génération 1992, régresse pour atteindre les niveaux les plus faibles observés au niveau des régions dans la génération 2010. Pour la Lorraine et la Bourgogne qui étaient autour de 47 % de temps passé en EDI, la dégradation observée (41,4 % et 39,9 %) les fait plonger nettement sous la moyenne nationale (44,4 %).

21 Au regard de ces quatre groupes, les évolutions divergentes du temps passé en CDD interrogent la notion de qualité des emplois dans la phase d’insertion. Si les signes d’une dégradation ne manquent pas, leur articulation avec les temps passés en EDI, d’une part, et au chômage, d’autre part, s’avère complexe selon les régions. Dans les deux premiers groupes, les plus favorables à l’insertion dans la génération 2010, le cas le plus fréquent est celui d’évolutions du temps passé en CDD qui accompagnent les évolutions générales du temps passé en EDI : soit à la hausse (Aquitaine, Auvergne, Bretagne, Champagne-Ardenne, Poitou), soit à la baisse (Alsace, Île-de-France, mais aussi Haute-Normandie et Lorraine dans les groupes les plus marqués par l’incertitude). Mais, dans la moitié des régions à insertion difficile en EDI, la progression des CDD prend un sens aigu.

22 Ainsi, dans le groupe des six régions fragilisées, le recul du temps passé en EDI est en partie compensé par l’accroissement du temps passé en CDD (sauf Haute-Normandie et Lorraine). Jusqu’à quel point peut-on parler de compensation ? Cet accroissement du temps passé en CDD est associé dans plusieurs régions à un temps au chômage accru de plus de 7 points (Bourgogne, Haute-Normandie, Lorraine, Picardie). La compensation ne serait complète que si le temps au chômage était stable ou en tout cas inférieur à l’évolution moyenne (comme en PACA, ainsi qu’en Rhône-Alpes dans le groupe de tête).

23 Ces différentes combinaisons entre temps passé en CDD qui accompagne ou au contraire évolue à l’inverse de celui en EDI, ou bien encore qui évolue dans le même sens ou à l’opposé du temps passé au chômage, amènent à suggérer que différents régimes prévalent d’une région à l’autre. Pour les unes, l’accroissement du temps passé en CDD signifierait une précarisation de l’emploi, alors que pour d’autres, il traduirait l’installation de nouveaux modes de recrutement prenant sur le chômage. Rappelons que 87 % des nouveaux contrats sont en CDD, dont 70 % pour une durée inférieure à un mois. Le halo du chômage (Cézard, 1986 ; Coudin, 2009) s’étendrait ainsi et selon les régions, à un halo de l’emploi.

2. Neutraliser l’influence d’offres de formation disparates dans les régions pour isoler l’effet d’un contexte économique régional « NET »

24 Le niveau de diplôme est, d’une façon générale, le facteur qui joue le rôle le plus important dans les inégalités d’accès à l’emploi des jeunes. Or, l’inégale répartition des diplômés dans les régions est forte et contribue ainsi à alimenter, parallèlement au contexte économique territorial, les disparités d’insertion entre elles.

25 Ainsi, les diplômés du supérieur se concentrent dans certaines régions métropolisées comme l’Île-de-France, tandis qu’ils sont beaucoup moins présents en Picardie ou en Normandie, régions moins urbanisées. La densité, la variété et la spécialisation de l’offre de formation proposée par les grands pôles d’enseignement supérieur alimentent leur attractivité auprès de bon nombre de bacheliers et entretiennent les disparités régionales de concentration étudiante. Les mobilités en cours d’études induites conduisent à une forte surreprésentation des jeunes diplômés du supérieur (du simple au double) parmi les sortants de formation des régions les mieux dotées en pôles attractifs comparées aux régions les moins bien dotées.

26 Mais l’effet structurant de l’offre agit dès le lycée. Ainsi, la part des lycées professionnels varie de 23-24 % dans les académies d’Île-de-France à 48-52 % dans les académies de Bordeaux, Amiens et Besançon, la moyenne nationale se situant à 38 % (DEPP, 2010).

27 L’éloignement de l’offre d’enseignement peut aussi dissuader de poursuivre des études. Ainsi, en moyenne 8,5 % des jeunes ont déclaré avoir arrêté leurs études en 2010 car la formation souhaitée n’existait pas à proximité de leur résidence, cette proportion variant de 13 % (Poitou-Charentes) à 7 % (Île-de-France).

28 Cependant, la diversité de la répartition des niveaux de diplômes des jeunes sortants du système éducatif dans les différentes régions n’explique pas à elle seule les écarts régionaux observés dans l’insertion des jeunes. De la même façon, les évolutions de la distribution des niveaux de diplômes en 20 ans n’expliquent pas non plus les évolutions de l’insertion des jeunes entre les générations 1992 et 2010. Le contexte économique local pèse sur les conditions d’insertion, comme le suggère la typologie esquissée précédemment : mais jusqu’à quel point ?

29 Pour y répondre, il est nécessaire de neutraliser l’effet de structure régionale de l’offre de formation et donc des disparités de structure selon le niveau de diplôme des sortants. À cette fin, compte tenu de ces valeurs moyennes observées par niveau de diplôme pour l’ensemble de la France, la valeur attendue des différents indicateurs de temps passé a été calculée au regard de la distribution des diplômes dans la région. Un « effet économique régional net » apparaît lorsque la valeur observée s’écarte significativement de cette valeur attendue.

30 Cet effet économique régional net est en partie constitué pour chaque région de dimensions structurelles abordées par la suite, considérées ici dans leur globalité.

2.1. Des effets économiques régionaux nets variables

31 Pour la génération 1992, les régions pour lesquelles l’effet économique régional net sur la part du temps passé en EDI est important, sont les régions Alsace et Île-de-France avec un effet positif, et Languedoc-Roussillon et Nord-Pas-de-Calais avec un effet négatif. Mais ces effets économiques régionaux nets ne touchent pas les mêmes régions pour la génération 2010. Ainsi, la part de temps passé en EDI semble être influencée négativement en Languedoc-Roussillon, en Limousin et positivement en Midi-Pyrénées.

32 L’effet économique régional net ne se manifeste ni avec la même ampleur ni à la même période sur toutes les dimensions de l’insertion des jeunes. L’influence du contexte régional sur la part de temps passé en emploi précaire (emploi aidé et CDD) est ainsi très faible pour la génération 1992, tandis qu’elle apparaît forte et positive pour la génération 2010 en Limousin et en Lorraine.

33 Concernant le temps passé au chômage, un effet économique régional net marqué et durable – car observé pour les deux générations – singularise le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie. Cet effet régional marqué est également observé en Poitou-Charentes et Alsace pour la génération 1992, et en Haute-Normandie et Lorraine pour la génération 2010.

34 En considérant les indicateurs dans leur globalité, l’effet économique régional net moyen est plus important pour la génération 2010 que pour la génération 1992. Pour la génération 1992, l’effet économique régional net global, qu’il soit porteur ou défavorable, est le plus marqué dans les régions Alsace, Nord-Pas-de-Calais, Poitou-Charentes, Île-de-France, Champagne-Ardenne et Languedoc-Roussillon. Pour la génération 2010, il prédomine dans les régions Picardie, Limousin, Nord-Pas-de-Calais, Languedoc-Roussillon, Franche-Comté, Auvergne et Lorraine.

2.2. Effet économique régional net : une révision à la marge de la typologie

35 Au total, en se focalisant sur la part de temps passé en EDI, les régions peuvent être distinguées selon qu’elles montrent un effet économique régional net favorable ou non. Elles se répartissent ainsi en deux grands ensembles qui comptent chacun deux sous-ensembles, qui confirment en grande partie les groupes identifiés précédemment.

Graphique 1

Effet économique régional net et évolution de la part de temps passé en EDI les cinq premières années entre les générations 1992 et 2010

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Effet économique régional net et évolution de la part de temps passé en EDI les cinq premières années entre les générations 1992 et 2010

Source : Céreq, Enquête Génération 1992 et Génération 2010, interrogation à 5 ans,calculs Céreq ESO Caen UMR 6590.

Un effet économique régional net favorable dans dix régions

36 Dans un premier ensemble, un effet économique régional net favorable contribue à maintenir le temps passé en EDI à un niveau élevé en dépit d’une certaine érosion (carte 1). Île-de-France, Rhône-Alpes, Alsace et Franche-Comté confirment leurs spécificités identifiées précédemment de régions à composantes abritées avec un marché du travail de grande taille ou très actif, qui déborde parfois les frontières nationales, même en neutralisant l’effet de la structure des diplômes délivrés. Les diplômés « francs-comtois » présentent le cas particulier d’être multi-polarisés en dehors de leur territoire d’origine : ils doivent une partie de leur bonne insertion à un accès devenu aisé aux grands marchés de l’Île-de-France et de Rhône-Alpes, et aussi à une proximité immédiate avec l’Alsace, la Suisse et l’Allemagne.

37 Un deuxième ensemble montre aussi un effet économique régional net favorable renforçant l’amélioration du temps passé en EDI. Il reprend six des huit régions classées dans le groupe qualifié de régions à dynamisme variable, particulièrement positif pour Midi-Pyrénées, Pays-de-la-Loire et Basse-Normandie, et à un moindre degré pour les régions Auvergne, Centre et Bretagne, touchée par plusieurs crises dans l’agro-alimentaire.

Carte 1

Types de régions selon l’évolution du temps passé en EDI et selon l’effet économique régional net

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Types de régions selon l’évolution du temps passé en EDI et selon l’effet économique régional net

Source : Céreq, Enquête Génération 1992 et Génération 2010, interrogation à 5 ans, calculs et cartographie Céreq ESO Caen UMR 6590.

Un effet régional défavorable dans onze régions

38 Un troisième ensemble porte la trace d’un effet économique régional net plutôt défavorable bien que le temps passé en EDI soit en augmentation. Poitou-Charentes et Aquitaine, précédemment associées au groupe des régions à dynamisme variable, rejoignent les trois régions (Languedoc-Roussillon, Champagne-Ardenne et Nord-Pas-de-Calais) identifiées au risque d’insertion dans la précarité, caractérisé par un accès à l’EDI en amélioration mais limité.

39 Le quatrième ensemble (Haute-Normandie, Picardie, Lorraine, Bourgogne, Limousin et Provence-Alpes-Côte-d’Azur) est dans une situation plus délicate dans la mesure où il atteste d’un effet économique régional net défavorable pour la génération 2010 cumulé avec une régression du temps passé en EDI. Il confirme l’identification d’un groupe de régions fragilisées avec un accès à l’emploi dégradé.

3. Les contextes économiques régionaux de l’insertion et la mobilité des jeunes

40 Les régions ont leur propre histoire économique et sociale tout en s’inscrivant dans des mutations globales affectant l’ensemble du territoire. La croissance de l’emploi, et plus largement la croissance du PIB, les comportements adaptifs des jeunes susceptibles de mobilité géographique en sont les dimensions principales. Ces dernières évoluent depuis au moins 30 ans en lien avec le degré de métropolisation [1] des régions.

3.1. Insertion, PIB et emploi régional

41 L’hypothèse de régimes d’insertion différents d’une région à l’autre invite à considérer les contextes économiques régionaux comme structurant les conditions d’insertion des jeunes.

42 L’évolution du PIB régional constitue un indicateur pertinent pour identifier les différences de dynamisme entre économies régionales. La reprise de la croissance du PIB ou un ralentissement confirmé les différencient fortement et influencent donc leur potentiel d’insertion. Les régions de Champagne-Ardenne, Picardie, Haute Normandie, Lorraine, Limousin ou Auvergne ont connu une croissance très ralentie de leur PIB (1990-2011, carte 2). Ces régions, économiquement plus en difficulté, sont aussi en situation défavorable du point de vue de l’insertion des jeunes mesurée par l’évolution du temps passé en emploi et en EDI.

Carte 2

Types de régions selon l’évolution à long terme de leur PIB (1990-2011)

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Types de régions selon l’évolution à long terme de leur PIB (1990-2011)

Source : INSEE, PIB régionaux en volume, base 100 en 1990 (CGET, 2015).

43 À l’inverse, les jeunes formés en Midi-Pyrénées, Pays-de-la-Loire ou Bretagne connaissent une évolution du temps passé en emploi et en EDI plus favorable que la moyenne, en lien avec la progression au-dessus de la moyenne du PIB de leur région. L’évolution favorable du PIB à long terme en Languedoc-Roussillon apparaît surtout à travers une meilleure qualité de l’insertion, caractérisée par une augmentation du temps passé en EDI entre les deux générations.

44 Ces évolutions de PIB conditionnent en partie celles de l’emploi régional. De 1999 à 2013, les régions les plus métropolisées, ont fréquemment connu les plus fortes croissances d’emploi. Outre Rhône-Alpes, une nouvelle fois, les régions Aquitaine, Midi-Pyrénées, Bretagne et Pays-de-la-Loire ont connu un taux de croissance de l’emploi supérieur à 13,5 %, à rapprocher de leur positionnement dans le groupe des régions à dynamisme variable. En revanche, dynamisme de l’emploi au niveau régional et insertion favorable pour les jeunes formés dans la région ne vont pas systématiquement de pair. Ainsi, les régions Languedoc-Roussillon et PACA connaissent-elles aussi une croissance régionale de l’emploi parmi les plus élevées bien qu’elles se classent dans des groupes plus pénalisés en matière de temps passé en EDI.

45 À l’opposé, la croissance de l’emploi est faible dans les régions du nord-est (Champagne-Ardenne 1,2 %, Lorraine 2,6 %, Bourgogne 4,4 % et Franche-Comté 4,1 %). Elle se cumule avec une faible part d’emplois de cadres et correspond, pour les jeunes des générations étudiées, à un temps passé limité en EDI, Franche-Comté mise à part.

46 Le cas particulier de la Franche-Comté est intriguant. Il souligne que, malgré les évolutions plutôt atones du marché du travail régional (marqué entre autres par les difficultés de l’industrie automobile), un certain nombre de jeunes formés dans cette région s’adaptent et contournent cette difficulté, soit par une mobilité professionnelle hors de la région (voire transfrontalière), soit par une double mobilité, professionnelle et résidentielle. Ainsi, alors que la part de temps passé en EDI situe en bonne place les jeunes formés dans la région, ce même indicateur calculé au lieu de résidence cinq ans plus tard situe la Franche-Comté parmi les six régions les plus mal placées.

3.2. Mobilité interrégionale et métropolisation : un jeune sur quatre change de région

47 Jusqu’à présent, les conditions d’insertion étudiées concernaient les jeunes identifiés au lieu du dernier diplôme obtenu. Or, selon les régions, une partie d’entre eux a migré pendant les cinq années d’observation : 23,2 % en moyenne, mais de 14,3 % en Île-de-France à 39,4 % en Poitou-Charentes (génération 2010). Ces flux dépendent de nombreux facteurs tels que la taille du territoire mais aussi la structure des qualifications recherchées, la rotation sur le marché du travail, la création nette d’emplois, etc. Ainsi, un effet économique structurel marque l’insertion professionnelle des jeunes en région parce que les branches ne font pas appel aux débutants de la même manière sur le marché du travail régional. Les activités hôtels, cafés, restaurants (HCR), par exemple, recrutent des débutants en plus grande proportion que les transports. Selon qu’une branche occupe une place plus ou moins centrale dans l’économie de la région, un effet structurel y sera plus ou moins développé (Couppié, Mansuy, 2004, p. 159).

48 Les régions où les jeunes sont les plus sédentaires (à partir des mobilités observées entre 2010 et 2015, carte 3), sont les plus métropolisées, c’est-à-dire celles où le réseau urbain est le plus dominé par une grande aire urbaine [2] peuplée d’au moins 500 000 habitants en 2013 : Paris (12 millions), Lille (1,3 million), Strasbourg (770 000) ou Rouen (650 000), constituent par exemple des marchés du travail massifs, diversifiés et en forte croissance sur 20 ans [3].

Carte 3

Taux de sédentarité* des jeunes entre 2010 et 2015 dans leur région de formation en 2010

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Taux de sédentarité* des jeunes entre 2010 et 2015 dans leur région de formation en 2010

* NB : Le taux de sédentarité correspond à la part des jeunes résidant en 2015 dans leur région de formation de 2010, soit celle du dernier diplôme obtenu.
Source : Céreq, enquête Génération 2010, interrogation à 5 ans, calculs et cartographie Céreq ESO Caen UMR 6590.

49 Leur capacité d’attraction est forte sur les régions voisines moins urbanisées ; ainsi, le rayonnement de Bordeaux et Nantes sur Poitou-Charentes, de même pour Strasbourg et Lyon sur la Franche-Comté, de Paris sur le nord Bourgogne ou le nord de la région Centre-Val-de-Loire. Les arrivées sont donc plus importantes que les départs de 2010 à 2013 en Île-de-France à l’inverse de ce qui se passe en Bourgogne et en Franche-Comté par exemple (Vignale, 2016). Pourtant, les régions Aquitaine, Midi-Pyrénées, Bretagne et Pays-de-la-Loire ont des flux de sorties qui se traduisent au total par un taux de sédentarité faible.

50 Le phénomène de polarisation métropolitaine de l’emploi et de la population joue aussi sur des régions comme Rhône-Alpes avec la proximité de Genève ou Lausanne. L’emploi frontalier en Suisse ou au Luxembourg tire sans doute les indicateurs d’insertion d’une manière favorable pour la Lorraine ou la Franche-Comté.

51 L’Île-de-France (12,4 millions d’habitants dans l’aire urbaine parisienne en 2013), constitue la région la plus avancée dans le processus de métropolisation avec une concentration de 20,7 % d’emploi de cadres des fonctions métropolitaines [4] dans l’emploi total au lieu de travail, suivie de Rhône-Alpes (10,2 %) et de l’Alsace (8,4 %) pour le groupe le plus abrité.

52 Parmi les régions à dynamisme variable, Midi-Pyrénées et l’Aquitaine confirment cet effet d’entraînement des emplois qualifiés. À l’opposé, une faible proportion de cadres des fonctions métropolitaines en Bourgogne va dans le même sens qu’un accès dégradé à l’emploi durable (groupe des régions fragilisées). Mais là encore, la relation n’est pas mécanique : la Basse-Normandie, bien que peu dotée de cadres de fonctions métropolitaines (5,3 %) relève, en matière d’insertion des jeunes, du groupe favorisé des régions à dynamique variable.

53 Enfin, deux situations se présentent à nouveau comme atypiques. La région PACA (8,9 %) se caractérise par un taux significatif de cadres des fonctions métropolitaines, supérieur par exemple à celui de l’Alsace, sans pour autant que cela se traduise pour les jeunes qui y résident dans le temps passé en EDI. Le décalage est encore plus marqué pour le Nord-Pas-de-Calais qui présente lui aussi une part significative de ces cadres (près de 8 %), mais demeure dans le groupe des régions fragilisées avec un accès limité à l’EDI, bien qu’en progression. Cette particularité s’explique par une désindustrialisation de l’économie régionale ainsi qu’une part croissante de cadres dans les diverses fonctions publiques qui ne constituent pas des portes d’entrée sur le marché du travail pour les jeunes.

54 Le profil relatif des régions en matière d’insertion diffère donc quelque peu selon que l’individu est considéré dans sa région du dernier diplôme ou sur son lieu de résidence cinq ans plus tard. Si les grands marchés métropolisés de l’emploi confirment l’existence d’un groupe de régions à composantes d’emploi plutôt abritées (Île-de-France, Rhône-Alpes et Alsace de moindre taille), trois autres pôles s’illustrent plus par le sous-emploi (Languedoc-Roussillon, Nord-Pas-de-Calais, PACA). Le phénomène de métropolisation concentre donc à la fois des emplois durables et du sous-emploi, selon les configurations régionales.

Conclusion

55 Le contexte démographique, économique et géographique régional influence donc l’insertion. L’analyse de l’évolution de l’insertion des jeunes à l’échelle régionale doit distinguer les observations enregistrées au lieu d’obtention du dernier diplôme, de celles localisées en région de résidence cinq ans après la sortie du système éducatif. Pour affiner la compréhension de l’évolution de l’insertion des jeunes à l’échelle régionale et des effets régionaux associés, il conviendrait d’approfondir l’analyse des mobilités géographiques des jeunes lors de leur insertion. En effet, si le rôle structurant de la métropolisation dans les flux est attesté, il demeure dépendant d’autres mutations qui ont un effet propre sur la qualité de l’insertion professionnelle (CGET, 2016). Les professions de techniciens, ingénieurs, cadres de direction liées aux activités de la recherche, de la finance et du droit s’exercent massivement au cœur des centres névralgiques technopolitains, de la décision et de la finance. Elles précèdent donc au moins autant qu’elles suivent ce processus. Plus largement, des mutations macro-régionales sont parfois transversales aux métropoles : attractivité démographique des côtes maritimes, spécialisations intra-sectorielles mais aussi sentiers d’inertie de spécialisations antérieures.

56 Une schématisation spatiale de la géographie de l’insertion amènerait donc à distinguer une France de l’Ouest, celle des régions atlantiques ainsi que de Midi-Pyrénées, qui constituent le centre de gravité des régions les plus dynamiques où la part de temps passé en EDI a augmenté pour la génération 2010 par rapport à la génération 1992. Cette partie de la France est attractive et a gagné en population et en emplois dans les vingt dernières années. Le Centre-Val-de-Loire, l’Auvergne et le Languedoc-Roussillon se rattachent potentiellement à cette France de l’Ouest. Celle de l’Est, centrée sur l’Alsace, la Franche-Comté et Rhône-Alpes agrège des régions dont les tendances sont plus incertaines du fait d’une diminution du temps en EDI, mais dans un contexte économique régional favorable poussé par la croissance des pays voisins. Cette France est toutefois moins attractive. La Bourgogne, la Lorraine, Provence-Alpes-Côte-d’Azur, la Picardie et la Haute-Normandie s’en rapprocheraient si les temps passés en emploi durable s’y amélioraient. Enfin, l’Île-de-France et son aire urbaine de 12 millions d’habitants attirent les jeunes issus des régions voisines que sont Bourgogne, Champagne-Ardenne, Picardie ou Haute-Normandie.


Date de mise en ligne : 18/12/2023.

Notes

  • [1]
    La métropolisation désigne « le mouvement de concentration de populations, d’activités et de valeur dans des ensembles urbains de grande taille » (CGET 2016, p. 23).
  • [2]
    Une aire urbaine est un ensemble de communes, d’un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurales ou unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci (Floch, Levy, 2011).
  • [3]
    1,3 million d’habitants dans l’aire urbaine de Toulouse (2013), 1,7 à Aix-Marseille, 2,2 à Lyon, 1,1 million d’habitants dans l’aire urbaine de Bordeaux, 680 000 à Grenoble (source : INSEE, recensement de la population 2013).
  • [4]
    « La notion de cadre des fonctions métropolitaines (CFM) est un nouveau concept. Il remplace la notion d’emploi métropolitain supérieur (EMS). L’objectif des deux concepts est le même (mesurer la présence d’emplois stratégiques sur un territoire). Cinq fonctions, plus spécifiquement métropolitaines, forment ainsi le groupe des fonctions métropolitaines : Conception-recherche, Prestations intellectuelles, Commerce inter-entreprises, Gestion, Culture-loisirs. Le concept de « cadres des fonctions métropolitaines » (CFM) vise à offrir une notion proche d’emplois « stratégiques », en assurant la cohérence avec les fonctions. La présence d’emplois « stratégiques » est utilisée dans l’approche du rayonnement ou de l’attractivité d’un territoire » (INSEE, 2009 et en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1893116).
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