Couverture de ESP_182

Article de revue

Isabel Diaz et Émilie Fleury-Jägerschmidt, Réinventer la ville centre, le patrimoine en projet, Marseille, Parenthèses (Territoires en projets), 2020, 235 p.

Pages 223 à 225

Notes

  • [1]
    Jean-Paul Lévy, « Réflexions sur l’évolution contemporaine des centres-villes », Bulletin de l’Association de géographes français, vol. 4, no 4, 1987, p. 307-316, [URL : https://doi.org/10.3406/bagf.1987.1399].

1Ce livre est sorti quelques semaines à peine avant qu’une grave pandémie ne plonge en mars 2020 l’objet même dont il traite dans un durable état léthargique. À peine exposé sur les étagères des librairies, qu’il rejoint ainsi, comme beaucoup d’autres, la catégorie des produits dits « non essentiels ». Et pourtant, Réinventer la ville centre, le patrimoine en projet, offre, à l’heure où cet enjeu n’en est que plus grand, un vibrant plaidoyer en faveur des villes centres, dont les commerces souffrent d’une concurrence, encore plus vive que d’habitude, de la part des géants de la vente en ligne.

2Placée sous la direction d’Isabel Diaz et Émilie Fleury-Jägerschmidt, cette publication collective de 235 pages est une compilation stimulante de regards et d’approches sur la manière d’interroger des projets urbains au sein de villes centres. À travers sept exemples, Gien, Romorantin-Lanthenay, Bar-le-Duc, Chaumont, Saint-Dié-des-Vosges, Figeac et Mende, s’entrecroisent les propos de différents acteurs concrets des projets de revitalisation. Architectes, paysagistes, urbanistes, élus, hauts fonctionnaires se succèdent et livrent leurs points de vue sur les opérations menées. Les principaux contributeurs sont Jérémie Bebel, Elia Creunier, Bertrand Folléa, Sylvie Groueff, Laure Marieu et François Nowakowski. Ce croisement de regards conduit à un parti pris éditorial intéressant. Ainsi, plutôt qu’un catalogue de projets, exemple après exemple, les auteurs ont organisé leurs travaux autour de grandes thématiques transversales, ce qui a pour effet de faire ressortir les similitudes et les différences de chacun des cas étudiés.

3L’ouvrage se compose ainsi de deux grandes parties, organisées en plusieurs articles. La première porte sur une analyse de plusieurs villes, dans la perspective de trouver dans le déjà-là les ressources nécessaires pour penser le futur. C’est la thèse même de l’ouvrage et elle est explicitement exposée. Comme principales perspectives de recherche, il est par exemple donné un certain nombre d’éléments permettant de « comprendre le passé et lire la ville » pour pouvoir susciter un désir de ville (pour reprendre le titre de l’entretien réalisé avec Priscilla Malagutti, p. 113-115). Sur le fond, cette première partie offre aussi plusieurs thèmes et questionnements très stimulants. En voici quelques-uns : la possibilité de penser un développement sans croissance (voir à ce sujet le chapitre « Saint-Dié entre Meurthe et montagne, des vallées reconnectées », p. 87-95) ; le sentiment de déclassement des villes moyennes ; ou le besoin de définir ou non des limites aux centres (dans le chapitre « Bar-le-Duc : entre vallée et coteaux, des liens réactivés », p. 59-68). Dans cette première partie, les restitutions sont également de nature assez diverse. Entretiens (signalés par des pages roses), comptes rendus d’ateliers, notes d’étonnements et restitutions de plans guides jalonnent ainsi ce travail collectif.

4La seconde partie se démarque nettement de la première, en ce qui concerne cette restitution. Le foisonnement narratif fait place à une grille d’analyse de projet bien plus systématique. Ce canevas de lecture, organisé sous la forme d’une analyse du contexte, des conditions de réussites ou des enseignements, a l’avantage de permettre de comparer facilement les différentes initiatives. Loin d’être réducteur, ce principe permet de saisir efficacement les enjeux essentiels des démarches de projet. L’exercice de comparaison reste à la charge du lecteur, qui peut ainsi plus facilement construire son propre avis. L’organisation en trois chapitres transversaux, qui est une des qualités de l’ouvrage, permet aussi de dresser un tour d’horizon de questions récurrentes. Le premier reprend ainsi les différentes stratégies de transformation, dont la manière d’articuler et d’ouvrir une centralité sur le grand paysage. Le levier de l’espace public n’est pas en reste, avec des réalisations originales, comme cette analyse de l’articulation des zones pavillonnaires au centre de Cajarc (p. 191-194). Le dernier chapitre discute la notion d’habiter le patrimoine, avec plusieurs exemples d’aménagements de cœurs d’îlots. Enfin, plus que d’essayer d’établir, d’une manière qui aurait été un peu artificielle, une boîte à outils, les différents contributeurs livrent un éventail de possibles et de postures adoptées par les élus et autres acteurs des territoires.

5Pour conclure, il est donc possible d’affirmer que le livre cerne efficacement un sujet d’actualité, mis en avant par les actions cœur de ville. Le titre évoque ainsi la ville centre, plutôt que le centre-ville. La nuance mérite d’être relevée, tant elle invite à questionner l’articulation des échelles d’intervention et de compréhension. Le choix des communes étudiées est d’un grand intérêt. La notion de patrimoine est en effet différente selon les cas. Saint-Dié-des-Vosges, par exemple, a été détruite pendant la Deuxième Guerre mondiale. Son profil de cité reconstruite aurait pu passer inaperçu, tant il diffère de celui de bourgades pittoresques plus sujettes à promouvoir le charme de leurs vieilles pierres. Agréable, en plus d’être très instructive, la lecture de cette publication peut également donner envie d’approfondir davantage les questions posées. En effet, l’ouvrage examine les villes françaises de moins de cent mille habitants avec un regard très contemporain. Sans se détourner du sujet, toujours dans l’optique d’élargir le champ de vision, il pourrait être intéressant de compléter cette lecture par d’autres concernant l’histoire de la revitalisation des villes centres. Un petit regard dans le rétroviseur peut ainsi accompagner cette lecture. À ce titre les travaux du géographe Jean-Paul Lévy peuvent être cités pour saisir le chemin parcouru sur la manière de questionner les centralités, tout en soulignant l’aspect possiblement cyclique de leurs transformations [1].

6D’une manière générale, si le patrimoine est une ressource, il pourrait s’avérer pertinent de savoir s’il a toujours été considéré comme tel. La prise en compte de l’importance patrimoniale ne doit pas être rattachée à des considérations esthétiques et par conséquent subjectives et superficielles. L’ouvrage en fait certes la démonstration, mais ne met peut-être pas assez l’accent sur le risque de ce type d’attitude et les conséquences potentielles en matière d’opérations ratées ou stéréotypées. Par ailleurs, sans rien enlever à la qualité de la compilation d’études d’Isabel Diaz et d’Émilie Fleury-Jägerschmidt, les perspectives ouvertes pourraient également être complétées par des analyses de travaux menés dans d’autres pays européens.

Notes

  • [1]
    Jean-Paul Lévy, « Réflexions sur l’évolution contemporaine des centres-villes », Bulletin de l’Association de géographes français, vol. 4, no 4, 1987, p. 307-316, [URL : https://doi.org/10.3406/bagf.1987.1399].
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