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Article de revue

Compte rendu thématique

La ville et la nature : de la mise à distance à l'imbrication

Pages 251 à 266

English version

1Cette note thématique est inspirée par diverses publications récentes. Tout d’abord, il convient d’évoquer le numéro prémonitoire des Annales de la recherche urbaine : « Natures en villes » (n? 74, mars 1997). Parmi la diversité de textes, nous avons retenu :

P. Poullaouec-Gonidec, S. Paquette et G. Domon, Les temps du paysage, Actes d’un colloque tenu à Montréal en 1999, Presses de l’université de Montréal, 2003. S. Jonas (sous la dir. de), Les cités-jardins du Mitteleuropa : étude de cas de Strasbourg, Dresde, Wroclaw et Budapest, Budapest, M. Képek, 2004. V. Berdoulay, O. Soubeyran, L’écologie urbaine et l’urbanisme, Paris, La Découverte, 2002

2Ces notes seront aussi l’occasion d’évoquer diverses contributions qui furent présentées aux deuxièmes rencontres internationales de recherches en urbanisme de Grenoble sur le thème : « La ville-nature contemporaine : quelle réalité ? quel projet ? »

3Ces ouvrages et les travaux de la seconde rencontre de Grenoble ont été pour nous l’occasion de prendre conscience d’une sensibilité nouvelle dont nous essayons de rendre compte. Cette sensibilité nous paraît donner une clé de lecture pour saisir la connivence entre ces divers ouvrages, à première vue différents. Notre essai se présente comme une hypothèse. Comme telle, elle est sujette à des vérifications et à des mises en question qui pourraient alimenter un débat. En cours d’élaboration du texte, nous avons cité des contributions de divers auteurs qui nous ont permis d’expliciter notre position.

4Aujourd’hui, on assiste à une évolution des représentations autant de la ville que de la campagne. Cette transformation au niveau des représentations a été bien analysée par diverses recherches de N. Mathieu (1999) présentées dans le colloque de Grenoble.

5Jadis, la discontinuité entre ville et campagne était valorisée, car elle permettait de préserver les caractéristiques de deux espaces qui n’avaient rien à gagner en s’entremêlant dans des lieux hétéroclites qui n’étaient plus ni ville ni campagne. Il y avait un certain consensus sur cette vue dualiste qui permettait de connoter les deux milieux de vie positivement ou négativement d’après les critères d’évaluation utilisés. La ville pouvait apparaître à certains comme un espace artificiel, anti-nature, engendrant des coûts sociaux. Pour d’autres, au contraire, cette mise à distance permettait à la ville de s’affirmer comme un creuset de culture, d’ouverture à la diversité. Cette densité sociale typique de la ville se diluerait dans un espace où les éléments naturels seraient un facteur de dispersion.

6Ceux qui restent attachés aujourd’hui à cette vue dualiste adoptent volontiers une attitude nostalgique. Que d’ouvrages évoquent le crépuscule de la vraie ville ou de la campagne authentique au moment où naissent des modes nouveaux de relation, voire d’interpénétration ! Ces modifications sont évaluées différemment par ceux qui ont abandonné cette vue dualiste et se représentent autrement les rapports entre la nature et l’habitat.

7Le présent texte essaie d’entrer en connivence avec cette nouvelle logique socio-spatiale en supposant que la dynamique sociale pourrait être en avance sur les formalisations abstraites qui guident quelquefois des propos urbanistiques ou des programmes politiques. Voici quelques années, nous analysions déjà la métamorphose des relations entre la ville et la campagne (Remy, 1993) à partir du passage d’une situation de rupture à une valorisation de la différence dans la continuité. Dans une telle logique, les modes d’appropriation de la nature peuvent devenir un axe sémantique transversal connotant les différences et les solidarités entre les divers types d’habitat.

8L’évolution des représentations en cours fait partie d’un enracinement historique. Depuis longtemps, l’image de la non-compénétration entre la ville et la campagne, nette dans les pays méditerranéens, était plus floue dans d’autres contextes. Dans le Nord de l’Europe, l’idée de la cité-jardin a trouvé plus d’écho. La cité-jardin est née comme utopie concrète à la fin du xixe siècle, elle s’est répandue dans des espaces non anglo-saxons, comme le montre bien l’ouvrage de S. Jonas à propos de sa diffusion dans le « Mitteleuropa », au sens large du terme. Cette conception d’une ville à petite échelle voulait faire d’un habitat destiné prioritairement à des populations laborieuses un lieu de mise en œuvre d’une utopie urbaine de la modernité : la ville à la campagne. Ce propos, qui n’était guère plausible dans les contextes marqués par la dichotomie, le fut davantage dans la zone culturelle sous influence germanique. Cette option cherchait à inventer une transaction entre deux modes d’habiter, suscitant par ailleurs une réinterprétation des cultures régionales, y compris du patrimoine architectural.

9Malgré quelques similitudes, les transactions en gestation aujourd’hui ont des connotations particulières. Elles ne sont pas dans la ligne de la cité-jardin. Ce qui se cherche ne correspond pas non plus à l’idée des parcs urbains en vogue à la fin du xixe siècle et essentiellement destinés à la promenade, permettant une mise en scène sociale dans un contexte paysager. Sans exclure ces formes de sociabilité, la recomposition en cours est animée par un souhait de proximité sensorielle, voire d’un contact familier. On s’éloigne donc du rapport distancié qui suppose le primat du regard. On valorise au contraire une appropriation active sous le mode générique du jardinage. Celle-ci est elle-même régulée par une opposition qui devient de plus en plus prégnante entre la nature cultivée et la nature spontanée. Un souci de préservation d’espaces sauvages est valorisé, y compris en ville. Ces derniers, comme le disait F. Beaucire aux entretiens de Grenoble, sont des espaces composites configurés par un jeu naturel spontané, sans exclure quelques interventions à condition qu’elles restent mineures.

10Ce souci de proximité, d’appropriation active ne se limite pas au monde végétal. Il s’étend à divers éléments d’un cadre naturel, comme l’eau. Cette aspiration constitue un des facteurs de transformation affectant la ville comme la campagne. Cette évolution prend toute sa force lorsqu’elle est associée à deux autres facteurs de transformation du rapport à la ville. Tout d’abord, il convient de donner toute son importance au souci d’investir le logement comme une demeure, c’est-à-dire comme un territoire propre apprécié en lui-même et doté d’une ouverture sélective sur l’extérieur (Remy, 2004a). Ensuite, la compétence en termes de mobilité est un autre facteur qui accroît la possibilité de jouir de lieux significatifs dispersés dans l’espace (Remy, 2004b).

11Les aspirations européennes sous-tendant le mode de vie américain sont un cas paroxystique permettant de saisir certaines aspirations contemporaines sans qu’il s’agisse d’une reproduction à l’identique. Comme le souligne C. Ghorra-Gobin (1997), aux États-Unis, on ressent autrement les rapports entre culture et nature, au point que l’expérience quotidienne de la nature peut être donnée comme un garant de la civilisation. Vu cette connivence, on se soucie de trouver des moyens d’articuler la ville et la campagne plutôt que de les opposer. Cette relation organique se retrouve dans le plan de la capitale fédérale conçue en 1790 par Lenfant, urbaniste français. Cette affinité entre ville et nature est d’autant plus plausible qu’aux États-Unis, la ville n’a jamais été associée à la cité politique, ni donc à une école de démocratie. L’évolution affectant aujourd’hui la ville européenne est au contraire marquée par la tension entre l’urbs et la civitas.

12Chacun de ces espaces reste distinct parce qu’ils sont marqués par des dominances différentes. Ces hybridations se mettent en place non sous l’impulsion d’un pouvoir coordinateur, mais parce qu’elles sont sous-tendues par des mouvements collectifs. Elles ne résultent donc pas de pensées urbanistiques préalablement formalisées.

13Pour comprendre les transformations des morphologies qui en résultent, nous nous proposons de partir du périurbain et de le considérer comme un tiers espace entre ville et campagne. Ce tiers espace pourrait être un bon analyseur de ce qui se passe par ailleurs. À partir de là, nous reprendrons les interrogations d’abord sur la ville « compacte », puis sur la campagne. Cela nous conduira à nous interroger en finale sur l’invention d’un nouveau paradigme.

Le périurbain : tiers espace, lieu de tous les possibles

14Le périurbain est souvent présenté à partir d’une double négation, comme une perversion autant de la ville que de la campagne. Cela ne donne aux acteurs impliqués dans ce tiers espace aucune légitimité pour être porteurs d’une nouvelle culture intégrant la ville et la nature. Pourtant les habitants de ces zones représentent souvent une population égale à celle vivant dans la ville compacte. Nous osons l’hypothèse que le tiers espace est un lieu où s’invente une nouvelle manière de vivre et même, osons le paradoxe, une nouvelle manière de faire la ville. Cela se complète par une hypothèse complémentaire. Cette modalité d’habiter n’a pas encore trouvé toutes ses expressions spatiales dans la balance entre dispersion et regroupement, dans l’équilibre entre les modes de déplacement, où le piéton doit retrouver son statut. À travers des modes de recomposition qui sont en cours à bien des endroits, se cherche une meilleure harmonie. Ce mode d’abordage permet de se donner une liberté d’observation par rapport aux évidences portées par la routine qui connotent très facilement le tiers espace de façon négative.

15Si l’on continue à observer le phénomène avec une certaine connivence, on pourrait évoquer le souhait de bénéficier de certains avantages à caractère urbain sans payer les coûts sociaux et environnementaux qu’engendre la ville compacte ; ces avantages devant se comparer avec le supplément de coût de la mobilité telle qu’elle se pratique actuellement. Les défenseurs de la ville compacte ont tendance à oublier les coûts sociaux et environnementaux vu qu’ils attribuent d’emblée des vertus bénéfiques à l’habitat dense. En prenant de la distance par rapport à ce propos, nous adoptons une attitude heuristique cherchant à donner signification à une version alternative. Il s’agit en outre de relativiser la volonté de culpabilisation provoquée par un discours évoquant, de façon unilatérale, les coûts élevés de ce qui se développe en dehors de la ville compacte.

16L’hybridation en gestation dans le tiers espace pourrait aboutir à inventer un lieu de vie doté de propriétés particulières où la familiarité avec la nature est compatible avec des avantages urbains, à condition que quelques régulations assurent le maintien des avantages à long terme.

17Dans le tiers espace se développent de nouveaux modes de consommer, de travailler et de se déplacer. Des activités culturelles peuvent y prendre corps et l’intensité des interactions qu’elles suscitent ne s’évalue pas à la manière des « sorties » caractérisant la participation à la vie sociale en milieu urbain traditionnel. Ces formes de sociabilité sont connotées par la familiarité avec la nature. La proximité permet un jeu d’appropriations. Pour en saisir toute la logique, il conviendrait de bien observer les usages qui en découlent.

18Ce désir de nature peut transformer, avec le temps, le désir de campagne qui quelquefois avait déterminé le choix du lieu. Cela se manifeste dans les réactions face à un « mitage » par l’habitat qui laisse apparaître le paysage naturel comme résiduaire. On assiste à divers types d’actions collectives qui visent à protéger et à valoriser certains espaces interstitiels. C’est le cas lorsque l’on met en scène des espaces nature s’insinuant comme des doigts à l’intérieur des zones construites. Ainsi en est-il, lorsque l’on s’associe pour promouvoir des contrats de rivière ou lorsque l’on protège certains axes boisés. Il peut s’agir aussi de la préservation de campagnes interstitielles, comme le cas du plateau de Saclay, étudié par M. Bouraoui et présenté aux rencontres de Grenoble. Sur ce plateau, situé à 20 km au sud-ouest de Paris, se sont installés de grands établissements, depuis le Centre nucléaire jusqu’à l’École polytechnique. De multiples associations se sont liguées pour limiter une urbanisation intensive, pourtant prévue au plan urbanistique. Il s’agissait de préserver des exploitations agricoles rentables. Cette promotion d’un cadre de vie avec une cohabitation mixte oriente la maîtrise d’une urbanisation qui promeut une familiarité avec la nature. Le cas de Saclay est emblématique dans la mesure où un mouvement collectif a modifié une régulation étatique pour la faire évoluer vers un autre projet.

19À d’autres endroits, des bourgs peuvent se densifier et se diversifier, ce qui préserve des campagnes de proximité. Ainsi en est-il des country-side cities dans la grande périphérie de Londres. Cela aboutit à ce que le tiers espace se structure sur un réseau de petites villes qui gagneront à être bien interconnectées entre elles. La discontinuité de l’habitat reposera entre autres sur les frontières représentées par la préservation de certains espaces à caractère agricole, écologique ou paysager. La structure paysagère sera d’autant plus durable qu’elle n’apparaîtra plus comme un espace résiduaire.

20Dans la mise en place de configurations appropriées, la ville nouvelle de l’Isle-d’Abeau constitue un autre cas de figure. L’habitat y est regroupé en pôles discontinus installés sur les collines, alors que la vallée centrale est préservée comme un site semi-humide et qu’une agriculture est maintenue dans certains interstices. La configuration de la nature domine et construit l’image du site. Comme le disait P. Donadieu, la composition s’est faite autour de l’image de la ville-campagne en vue de promouvoir des imbrications multiples avec la nature.

21Louvain-la-Neuve représente une autre manière de mêler la ville et la nature. Ici, le centre du site est bâti et l’espace construit se prolonge à la manière de tentacules séparés les uns des autres par des couloirs verts. Ces derniers aboutissent jusqu’au centre et prennent de l’ampleur vers la périphérie. Il s’agit par là de concilier une morphologie de l’habitat dense et continu favorisant une sociabilité urbaine avec l’aspiration d’un contact de proximité avec la nature. On retrouve la même configuration dans la ville d’Orebrö en Suède, qui fut présentée par F. Beaucire.

22Ce thème de recomposition du tiers espace s’appuyant sur la préservation d’une nature de proximité a été évoqué dans le colloque organisé à Toulouse en 2002 sur la ville étalée en perspective (actes publiés en 2003). Tout un atelier était consacré à la relation entre « Systèmes naturels, ruraux et systèmes urbains ».

23En posant les questions de cette manière, une conscience positive se projette sur le tiers espace. Elle suscite une prise au sérieux des problèmes méritant une mise en cohérence urbanistique. Cela va à l’encontre d’une stigmatisation que certains milieux d’urbanisme espèrent développer afin de décourager un mode d’habiter qu’ils estiment néfaste. Cette conscience positive n’induit pas la passivité. Elle incite à divers types d’intervention : combiner mode de regroupement et familiarité avec la nature, éviter les coûts sociaux associés à certains types de densité, favoriser des lieux d’accessibilité multimodale… La conscience positive tient compte du bilan des nuisances et le met en rapport avec des qualités de vie sociale. Ces évolutions sont d’autant plus plausibles que la participation à la vie municipale est souvent intense en milieu suburbain. Si cette conscience positive prend de la consistance, elle risque de développer un conflit de légitimité avec les tenants de la ville compacte. Diverses manières de vivre l’urbanité risquent de s’imposer.

Nature de proximité et requalification de la ville compacte

24Plus les compositions nouvelles en gestation dans le périurbain permettront de proposer des modes durables de cohabitation entre nature et espace construit, plus elles renforceront les tendances de fond incitant à une requalification de la ville compacte. Cette requalification dépend autant d’une possibilité de contacts familiers et polyvalents avec la nature que de la présence d’espaces publics favorables à des rencontres sociales ouvertes. La demande pour ces deux dimensions de l’expérience urbaine est d’ailleurs sous-tendue par une demande de logements aptes à devenir une demeure. Cette conjonction est un des thèmes de recherches de N. Mathieu et de son équipe de chercheurs : Habiter le dedans et le dehors ou l’éden recréé et recherché (2003).

25Une telle attitude suppose que l’on n’ait plus de la nature une représentation anti-urbaine, sauf si elle est domestiquée et maîtrisée. Au-delà de notion de paysage à laquelle nous reviendrons, on peut se demander quelles sont les différentes manières dont le végétal se réintroduit dans la ville. Comme le disait P. Amphoux lors des entretiens de Grenoble, quel est l’impact du végétal dans l’ambiance urbaine ? Un indice de ces aspirations se retrouve dans le souci d’intégrer dans la représentation de la ville des éléments du site, comme l’eau de la mer ou du fleuve. Les exemples sont multiples depuis Barcelone, Lisbonne, La Rochelle, Nantes. Cela est souvent relié aux modes de réappropriation des friches urbaines. Certaines d’entre elles peuvent devenir partiellement des sites où une nature plus sauvage peut se redéployer. De telles orientations sont souvent appuyées par des mouvements souhaitant promouvoir une alternative urbaine. Cela nous est apparu dans une recherche sur des sites bruxellois : Entre ville et nature, les sites semi-naturels (1993). Ces sites ayant eu une affectation antérieure, la « nature » y a repris ses droits. Dans certains cas, ils sont devenus des niches écologiques particulières. Ce sont des espaces d’entre-deux, des espaces lisières à l’intérieur de l’agglomération urbaine, dont les groupes de pression veulent garantir les virtualités qu’ils recèlent et la multiplicité des usages dont ils sont susceptibles, contre la volonté de les réapproprier pour densifier l’habitat.

26Ces revendications sont en connivence avec des comportements connotés par une pratique de la nature. Cela ressort bien de l’exposé qu’a fait M. Cohen aux rencontres de Grenoble où elle présentait quelques résultats de recherches qui abordent l’appropriation de la nature par les citadins à travers la notion de jardin de ville. La réinvention du jardin de ville se fait de multiples manières : mini-espace sur un balcon, demande de jardinage dans des espaces publics… Ces pratiques sont très souvent associées à des rapports de proximité. Elles sont aussi différentes des jardins urbains issus du xixe siècle où des parcelles de jardin privé étaient distribuées à partir d’un espace collectif dissocié de la maison. Cette dissociation permet par ailleurs une vie sociale alternative, comme le décrit bien E. Pasquier (2001) à propos des jardins de la Fourmilière de la ville de Nantes.

27D’autres font remarquer l’importance que revêt l’ouverture du logement sur l’extérieur. Ainsi en est-il de l’attrait du balcon dans les nouvelles constructions d’appartements. Ailleurs, la mise en place de terrasses, de pergolas, voire de plans d’eau, exprime l’importance d’un investissement paysager dans l’art d’habiter.

28D’une part, une certaine forme de naturalité devient partie intégrante de l’expression de soi. D’autre part, un lieu se construit entre naturalité et formes de sociabilité. D’une certaine manière, la nature peut être reliée à un désir de sociabilité urbaine. Ville et nature entrent alors en symbiose. On assiste par exemple à la naturalisation de certains parcours urbains. Ainsi, à Lyon, l’aménagement d’une berge du Rhône permettra de relier le parc de la Tête d’Or au parc de Gerlan. À cela, on peut ajouter l’attrait pour les pique-niques et les barbecues où le cadre naturel est souvent l’occasion de rencontres conviviales. Ce mode d’imbrication contribue à renforcer un décalage entre la densité réelle et la densité perçue. Elle tend à humaniser une densité qui, autrement, apparaîtrait rudimentaire.

29L’évaluation du cadre bâti en partant d’une imbrication avec la nature repose sur une double exigence. La première est relative aux dimensions sensibles telles qu’elles ont été évoquées jusqu’à présent. La seconde relève davantage de préoccupations environnementales. Les deux sont entremêlées, mais la prédominance d’un aspect sur l’autre varie d’après les contextes nationaux et les acteurs concernés. De toute manière, les enjeux naturels interpellent la ville compacte.

30Né dans un autre contexte, l’urbanisme moderne était peu sensible à ces modes de familiarité et d’imbrication entre nature et ville, même si l’ensoleillement et les espaces verts étaient l’objet d’une constante préoccupation. Cette sensibilité a pris forme lorsque est née une critique de l’urbanisme moderne s’appuyant sur un double mouvement : la redécouverte du centre historique et l’attrait pour l’écologie. De part et d’autre, il convenait de redonner poids à une forme de sociabilité urbaine. Cela valait pour l’espace public favorisant le coude à coude, à la manière des centres historiques bien différents des espaces ouverts aux gabarits disproportionnés des nouveaux ensembles d’habitat. La critique des réalisations de l’urbanisme moderne a permis de comprendre la différence énorme entre les espaces verts, souvent laissés à eux-mêmes, et les jardins publics. Ces derniers étaient souvent porteurs d’animation, dans la mesure où ils étaient construits à partir d’entrecroisements d’itinéraires.

31Cette attention à un mode d’imbrication entre ville et nature fut soutenue par une écologie urbaine soucieuse de créer des espaces de vie mieux équilibrés. C’était l’époque des grands succès de J.-M. Pelt qui publia en 1977 L’homme renaturé et qui contribua à la création du centre d’écologie urbaine à Metz. Le centre de recherches en urbanisme y organisa d’ailleurs en novembre 1978 un colloque sur l’écologie urbaine, publié en 1979 et où l’écologie scientifique était confrontée à l’écologie militante. B. Kalaora publia en 1976 L’ordre et la nature : le vert endimanché. En 1981, R. Klaine du Centre européen d’écologie de Metz diffusa les résultats d’une recherche au titre évocateur : Renaturer et réenchanter la ville : les fondements biologiques et culturels du besoin de nature en ville.

32Après avoir marqué ce moment fondateur, il ne s’agit pas de faire ici l’évolution historique du propos. Signalons toutefois que le souci de renforcer les structures paysagères amena certaines disciplines à prendre une part plus active pour façonner le devenir urbain. Ce thème est abordé par l’ouvrage publié à l’université de Montréal (2003), Les temps du paysage. Cet ouvrage assemble des contributions d’auteurs nord-américains et européens. Il fait ressortir combien le paysage est indissociable du temps selon les modalités à travers lesquelles la diversité est associée à la mémoire comme à l’appropriation par le parcours.

33Dans cette perspective, M. Conan (2003) associe la création paysagère à la manière d’accompagner un mouvement se composant avec des moments d’arrêt. Il s’intéresse particulièrement à des sites où la séquence de scènes paysagères s’intègre au point qu’elles apparaissent comme les figures d’un récit. La ressemblance structurale entre le paysage et le récit peut donner au parcours une puissance métaphorique. Ce type de potentialités ressort bien lorsque l’on évoque ce qui a pu être inventé à des moments de l’histoire occidentale comme la Renaissance ou l’époque romantique, c’est-à-dire à un moment où la sensibilité paysagère était forte.

34D’autres textes du volume évoquent comment, lors de la réappropriation des friches urbaines, la mémoire du lieu s’est combinée avec des préoccupations écologiques. Diverses tendances peuvent d’ailleurs s’affronter chez les professionnels du paysage. Ils peuvent s’inspirer d’une recherche parfois minutieuse sur l’histoire du lieu ou s’appuyer sur les potentialités écologiques pour valoriser la biodiversité. Certains rêvent de planifier l’usage et le regard. D’autres au contraire pensent que le meilleur des jardins est celui qui s’ouvre à une multiplicité d’histoires dont certaines sont bien imprévisibles. Dans ce dernier, le paysagiste cherche à créer une ambiance, support de l’imaginaire.

35L’imbrication de la nature à la ville comporte de multiples facettes qui sont transversales à d’autres préoccupations. Il ne s’agit pas d’ajouter une demande sectorielle à d’autres qui sont déjà prises en considération. Certains pensent à la nécessité d’aborder la ville à partir d’un nouveau paradigme qui rende mieux compte de la complexité des interférences. Cette question sera abordée dans la dernière partie.

L’invention du rural : de la rusticité à l’environnement

36Les transformations du rural sont fortement liées aux représentations auxquelles il est associé. Si le désir de campagne reste fort, particulièrement en France, cela n’équivaut pas nécessairement à une nostalgie des valeurs du passé. Il peut s’agir d’une capacité de se familiariser avec des ressources naturelles dans le cadre de formes particulières de sociabilité. Dans ce cas, on passe d’une représentation du rural caractérisée par la rusticité à un rural caractérisé par un environnement naturel et social. Nous continuons à rester fidèles à l’option qui caractérise ce texte : en quoi le rapport à la nature est-il un bon analyseur des transformations de la vie sociale contemporaine ?

37Abandonner le présupposé que l’attrait de la campagne est lié à l’atavisme et aux valeurs du passé donne une liberté très grande pour imaginer l’ouverture possible à de multiples fonctions, y compris pour l’agriculture. Le champ de liberté est analogue lorsque l’on abandonne le présupposé que l’attrait de la maison individuelle est un signe de passéisme, de familialisme ou de repli sur soi.

38Les notes suivantes sont inspirées du texte de B. Jeansez, professeur à l’université de Québec à Rimouski, qui a écrit dans Les temps du paysage « La construction sociale de la ruralité » (2003). La ruralité peut être pensée comme un milieu sain, vivifiant et propice au développement personnel et social. Même s’il s’agit souvent d’un discours des urbains sur le rural, il est réapproprié et retraduit par les gens du cru. La force symbolique de la représentation précède quelquefois les possibilités, d’où la nécessité d’un ajustement. Cette définition ne porte pas uniquement sur la campagne. Elle est imbriquée dans de nouvelles représentations des interférences entre ville et nature, ce qui modifie les usages urbains de la campagne et réciproquement. Ainsi, de multiples fonctions peuvent être associées au métier d’agriculteur. Ce dernier a toutes les chances de voir son rôle de moins en moins se cantonner à l’exploitation agricole. Diverses tâches peuvent s’inventer qui sont associées à une familiarité avec la nature qui ne se ramène pas à un retour nostalgique à la vie des champs.

39Le plateau de Saclay déjà évoqué est un cas de figure pour réfléchir à la substitution de la campagne comme périphérie de ville à une représentation de la campagne interstitielle. Dans ce cas, la campagne peut être un espace réglant des mitoyennetés. Vu qu’elle a des significations propres, elle ne se réduit plus à être une réserve foncière. Mais l’agriculture doit avoir des assurances sur la durabilité de son travail.

40Cette manière de se représenter le rural est d’abord une construction sociale. Elle ne correspond pas à une réalité empirique facilement identifiable. On ne sait pas où elle commence et où elle finit. Elle suppose un type particulier de rapport à l’espace faisant apparaître des paysages à couverture végétale, selon l’heureuse expression de B. Kayser (1993), sur laquelle viennent se distribuer des regroupements discontinus de faible densité et de petite dimension. Le paysage est ainsi le fond sur lequel un habitat particulier vient prendre forme. Définir un seuil au-delà duquel une région n’est plus rurale est une mission impossible. La composition relève d’une emblématique à caractère culturel. L’espace transitionnel, la lisière plus ou moins large remplacent la notion de frontière qui supposerait une coupure nette.

41Le caractère plausible de la représentation de ces espaces va dépendre d’« une expérience de la viabilité économique, de la vitalité sociale et d’une validité politique » (Jeansez, 2003, p. 112). La viabilité économique se teste de diverses manières. Un réseau de pme peut s’y développer, dépendant de gens issus du lieu ou de personnes qui s’y sont implantés. L’agriculture garde une portée symbolique, mais n’a plus le monopole pour définir ce qui est valable pour les campagnes. Elle est d’ailleurs elle-même reliée à un réseau de coordination qui fait de l’ouverture vers l’extérieur un élément du dynamisme. La modification est d’autant plus nette qu’il faut tenir compte de la diversification des mobilités. Le transfert d’informations, stimulé par l’ordinateur, mêlé au développement de l’intermodalité, va permettre des souplesses dans l’usage de l’automobile. Le regroupement en petites unités discontinues signifiera de moins en moins isolement et interactions moins intenses. Les contraintes de contiguïté étant moins fortes, la diffusion des possibilités d’échanges fait que l’attrait que le rural exerce ne se limite plus aux aménités résidentielles qu’il permet. Il porte aussi sur l’implantation de petites entreprises innovantes et d’initiatives culturelles. La vitalité sociale liée à la cohésion de petite communauté ouverte à l’innovation permet, d’une certaine manière, d’éviter les coûts sociaux de l’urbanisation massive qui compensent certains coûts de mobilité. C’est du moins l’hypothèse que nous proposons pour sortir d’un débat qui reste trop souvent unilatéral.

42La légitimité politique repose sur une démocratie de proximité à condition qu’elle soit apte à s’appuyer sur des ressources localement implantées. Si la ruralité existe aujourd’hui, on doit pouvoir l’observer comme un fait social structurant. À la manière dont Giddens parle de la structuration sociale, on doit pouvoir décrypter « les règles (et notamment les règles implicites) et les ressources dont se servent les acteurs pour organiser leur monde ». Parmi celles-ci, la régulation du rapport habitat/nature est une des clés de la réussite. Les campagnes peuvent évoluer de façons multiples et contrastées et devenir plus différentes entre elles que par rapport à des espaces qui leur sont extérieurs. « La ruralité devient une construction spécifique d’éléments non spécifiques » (Jeansez, 2003, p. 13). Divers types de rapports à la nature peuvent s’imbriquer les uns dans les autres. On assiste aussi à un mouvement de patrimonialisation du territoire. Ainsi fleurissent des associations des plus beaux villages de France et des mouvements visant à protéger les paysages emblématiques. Le tourisme est une des modalités d’usage de la campagne par les citadins.

Vers un nouveau paradigme

43Le changement de représentation des liens entre ville et nature nous fait sortir d’un univers dualiste qui opposait villes et campagnes. Ainsi naissent différents types d’hybrides qui, dans le monde végétal, caractérisent des espèces nouvelles, quelquefois dotées de qualités supérieures. De toute manière, la nature et l’agriculture deviennent des infrastructures structurant le territoire et intervenant dans divers types d’habitat.

44Ce changement de représentation est concomitant avec le développement de l’urbanisation engendrant une culture de la mobilité et créant des possibilités d’individualisation. Cela se répercute sur l’appropriation du logement en termes de demeure. Cela ne signifie pas nécessairement un repli sur soi, mais contribue à l’émergence de formes sociales. Celles-ci peuvent s’imposer comme un préalable à des formes matérielles appropriées.

45Dans cette recomposition, les habitants jouent un rôle moteur, dans la mesure où ils sont capables de prendre de la distance par rapport à « la ville des aménageurs ». On est loin d’un discours fédérateur autour de la marche vers le progrès où la ville était le lieu et l’enjeu centraux parce qu’elle était reçue comme porteuse d’un germe émancipateur.

46Pour corriger la problématique urbanistique, il ne suffit pas d’ajouter une facette dans une panoplie d’usages et de besoins. Cela ne se ramène pas non plus à cadrer un projet en y incluant une préoccupation en termes d’écosystème naturel. Un nouveau mode d’habiter se cherche et est en quête de légitimité.

47Aborder de telles transformations suppose que l’on se mette en quête d’un nouveau paradigme. C’est ce que nous proposent V. Berdoulay et O. Soubeyran, dans leur ouvrage Écologie urbaine et urbanisme : aux fondements des enjeux actuels. Dans ce texte, ils trouvent une intuition de ce paradigme dans des analyses antérieures à la guerre de 1940 et qui ne sont pas arrivées à maturité, marginalisées par les courants dominants. Cette rétrospective historique est très éclairante, mais elle nous laisse un peu sur notre faim, car elle n’arrive pas à proposer une matrice conceptuelle susceptible d’être utilisée à la manière d’un paradigme. Mais peut-être était-ce trop tôt pour s’y risquer. Néanmoins, ce parcours historique permet de dégager quelques convergences que nous retraçons brièvement.

48Le propos tourne autour de la mise en place d’une écologie compréhensive en vue d’analyser la façon dont interfèrent des systèmes qui ont des modes de régulation différents. Il s’agit de dégager des interactions entre systèmes sociaux et systèmes naturels sans confondre les mécanismes des uns et autres. Respecter les différences entre sciences de la nature et sciences de la société doit permettre de mieux saisir leurs implications réciproques. L’ouvrage veut découvrir à travers un parcours historique quelques convergences qui permettent de tracer un sillon.

49Tout d’abord, l’écologie compréhensive suppose des interactions qui reposent sur un bouclage local. Ce bouclage n’empêche pas que l’on ait affaire à des systèmes ouverts. Ainsi peuvent apparaître des îlots d’ordre sur un fond non ordonné ou ordonné selon d’autres modalités. Par là se constitue un milieu au sens complexe du terme. Le milieu est une médiation dont la pertinence peut changer d’échelle et changer de forme. Les mobilités contemporaines peuvent d’une certaine manière transformer ces médiations.

50La notion de milieu est ainsi proposée comme un substrat de la mise en ordre. Cette hypothèse est en connivence avec la sensibilité des géographes. En outre, la notion de milieu est un concept dynamique qui contribue à orienter une séquence temporelle. Cela imbrique l’espace et le temps et donc relie la géographie et l’histoire. Le milieu ne se réduit pas à des contraintes dont le poids diminuerait lorsque les maîtrises techniques grandissent. Il se présente comme un jeu complexe de contraintes et d’opportunités, susceptible d’appropriations multiples. Certaines appropriations ont plus de probabilité que d’autres en fonction des logiques sous-tendant l’action des divers partenaires et leur capacité d’imposition.

51Le paradigme compose ainsi le « possibilisme », lié aux potentialités offertes, et le « probabilisme », lié au jeu des acteurs, pour reprendre deux termes que Roncayolo met en valeur dans la préface. La connaissance du champ des possibles ainsi que des probabilités d’appropriation permet de garder la volonté de maîtrise typique de la modernité, tout en le contextualisant, s’éloignant ainsi d’une imposition abstraite. L’image d’un démiurge apparaît comme une maladie infantile de l’urbanisme. Le paradigme proposé suppose que l’urbaniste s’implique dans le processus en vue d’accroître la chance de survenance de certaines orientations.

52L’évolution de divers éléments peut perturber l’orientation générale du système d’interdépendances. Ainsi en va-t-il aujourd’hui d’une recherche de proximité et de familiarité avec la nature. Le processus suppose des moments de discontinuité, ce qui impose des ajustements : effet de seuil, bifurcations, régulations devenues désuètes, genèse de nouvelles régulations… La durabilité comme enjeu est à la recherche de nouvelles modalités d’équilibre. L’articulation entre sciences de la nature et sciences de la société devient un des éléments du « savoir-faire » en urbanisme.

53Se référer à l’effet de milieu permet d’élaborer un nouveau schéma d’intelligibilité des relations entre l’habitat et son environnement. Les auteurs se demandent si un tel schéma n’a pas été pressenti par un courant de pensée que l’on pourrait appeler l’école française d’écologie urbaine. Cette école présente une configuration de pensée qui a des connotations bien différentes de ce qui est proposé par l’École de Chicago. Répondre à cette question est l’objet d’une rétrospective historique qui remonte au xixe siècle et s’intéresse particulièrement à ce qui s’est passé dans l’entre-deux-guerres. Dès le début (p. 16), l’ouvrage affirme sa prétention de dégager les fondements historiques d’une orientation scientifique, de manière à lui fournir des éléments cruciaux pour son identité et sa légitimité. Cela devrait permettre de faire avancer la question de la ville durable et de l’écologie urbaine dans un contexte où la démarche est partiellement bloquée. Le problème des transports innerve la rhétorique du développement durable comme s’il s’agissait d’une variable autonome, tandis que des interférences entre le milieu social et le milieu naturel ont une difficulté à s’imposer comme des composantes actives.

54Pendant cette période, la notion de milieu est une référence qui tâtonne en vue de se donner une configuration. Le milieu ne ramène pas à une étude de site dans la perspective d’étudier une relation entre un contenant et un contenu. Il s’agit davantage de donner un statut du milieu comme médiation. La tâche est d’autant plus ardue qu’à ce moment, la notion d’écosystème n’a pas encore été mise au point par les naturalistes. L’exploration, en vue de donner un contenu à ce qui n’est souvent qu’une intuition, crée une certaine connivence entre des géographes et des urbanistes. Citons à titre d’exemple Jaussely (1905) avec son plan d’extension de Barcelone. Il prend de la distance par rapport à la conception de Cerda. Même s’il reconnaît les qualités de ce dernier, il cherche à ne pas se limiter aux conditions construites de l’environnement comme si la morphologie de l’habitat était déterminante du reste. La nature est une matrice sur laquelle s’appuyer, et pleine de possibilités inexploitées : rapprocher la vie de l’homme urbain avec la nature est une manière d’améliorer la qualité de la ville.

55Si la ville se pose comme une médiation complexe, le milieu n’est pas seulement une clé de compréhension, il est aussi un moyen de l’action. L’urbaniste doit jouer avec les contraintes et les desiderata pour les mettre en cohérence. Son propos est d’impulser des orientations nouvelles qui peuvent être considérées comme des bifurcations. Leur mise en œuvre dépend de la conjonction avec d’autres acteurs. Néanmoins, les virtualités d’avenir peuvent être multiples et les incertitudes sont grandes. Évaluer les réactions et les enchaînements les plus probables suppose un récit prospectif plausible. L’enjeu est alors de voir quel type de relation peut entretenir le récit géographique avec un projet marqué par l’anticipation.

56L’idée de requalifier la ville par la nature n’était pas le simple fait de Jaussely. Elle était dans l’air du temps et cherchait à s’exprimer selon une pluralité de modèles. Nous avons déjà évoqué la cité-jardin. C’est aussi un aspect qui, sous l’impulsion de Napoléon III, va caractériser l’urbanisme haussmanien. F. Choay consacre un texte (1981) où elle va faire ressortir combien, d’une certaine manière, Haussmann est l’inventeur de ce que l’on pourrait appeler un greenery system. Par là, il contribue à structurer le tissu urbain en l’imbriquant dans des circuits contribuant à développer une urbanité de promenades parties prenantes du spectacle urbain. L’attrait de certains lieux où l’on peut jouir d’une nature de proximité va permettre l’exploitation de la plus-value des terrains mitoyens. Comme le dit F. Choay (1981, p. 83), en 1867, Adolphe Alphand, directeur des promenades et plantations, estimait que le travail accompli n’était que le début d’un nouvel art urbain. Il ne pouvait prévoir que le chapitre était clos pour Paris, où les décennies suivantes n’apporteraient rien au développement de l’œuvre jardinière du Second Empire.

57Toute une culture était en germe qu’on a perdue de vue pendant plus d’un siècle. Les espaces verts qui sont créés à partir des années 1960, selon F. Choay (1981, p. 97) ne sont guère articulés à la trame urbaine et deviennent volontiers des espaces à l’abandon. Pourtant, en 1906, J.-C. Forestier, s’inspirant de divers projets mis au point aux États-Unis, publie un ouvrage qui servira de référence pour des projets faits par des urbanistes français entre les deux guerres. Il est à noter que ces projets sont souvent en dehors de la France métropolitaine, y compris dans diverses villes européennes. Cette période n’a pas laissé de grands écrits des urbanistes. Vu l’absence de publication marquante, l’ouvrage de V. Berdoulay et O. Soubeyran s’efforce d’analyser diverses contributions qui apparaissent dans une phase d’innovation foisonnante, particulièrement entre les deux guerres. Il s’intéresse notamment à la revue La vie urbaine éditée par l’institut d’urbanisme de la ville de Paris. Elle fut un lieu de confrontation et de visibilisation que l’on a intérêt à se remémorer face au défi contemporain incitant à s’inspirer d’un nouveau paradigme.

58L’ouvrage est à lire avec le souci de glaner diverses intuitions et de les regrouper pour configurer une nouvelle matrice de questions. Un tel ouvrage mériterait de se continuer en mettant en comparaison diverses expériences contemporaines.

59Ces diverses lectures ont stimulé la présentation d’un ensemble d’hypothèses sur le devenir de la ville et de la campagne. Puissent-elles ouvrir un débat.

Bibliographie

Références Bibliographiques

Ne reprend pas les ouvrages recensés
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