En octobre 1971, Paris offrait à Francis Bacon la consécration qu’il attendait : une exposition rétrospective au Grand Palais. Il l’avait éminemment souhaité, dans le lieu qui avait célébré, cinq ans plus tôt, Picasso qu’il admirait, notamment, dira-t-il, parce que ce dernier fait ressortir la brutalité de la vie. Ce rendez-vous, Bacon l’avait intensément préparé. Il avait même, non pas reproduit, mais réinventé pour l’occasion certaines de ses toiles antérieures. Et il s’était investi profondément dans l’accrochage de cette exposition. Ce qui devait être une fête fut une tragédie. Deux jours avant le vernissage, son compagnon George Dyer se suicidait avec des barbituriques, dans leur chambre de l’hôtel des Saints-Pères. La mort faisait irruption de la manière la plus violente et la plus tragique dans l’œuvre et la vie du peintre.
Tel est le point de départ incontournable de l’exposition proposée par Didier Ottinger, à Beaubourg. Cette date de 1971 marque un tournant. Les quelques tableaux plus anciens présentés cette année, cinq en tout et pour tout, permettent d’en prendre la mesure : la touche n’est pas la même. Le peintre n’a rien perdu de sa force, de sa détermination, de sa hargne même, mais son rapport à la toile est moins brut – ou rough, pour prendre ce mot anglais dont la sonorité est plus expressive. Son approche est plus cristalline, plus fine – on voudrait dire plus légère, mais la légèreté n’est pas vraiment le fond de l’œuvre de Bacon, à moins de l’entendre comme Kundera, comme une insoutenable légèreté…