Lorand Gaspar a placé en tête de son recueil Sol absolu une quinzaine de pages qui composent un modèle d’autobiographie. Bref, précis, coloré, ce résumé d’une existence alors parvenue dans sa cinquante-septième année donne la tonalité d’une œuvre qui se sera déroulée presque exclusivement sur les rivages de la Méditerranée. Terrien, puisqu’il est né dans un village reculé de la Transylvanie, le poète est devenu maritime par goût et par choix. C’est dans le splendide village de Sidi Bou Saïd, à quelques encablures de Carthage et de Tunis, là où la mer est d’un bleu cobalt confinant à la couleur pourpre du vin dont parle Homère, que le poète rédige ces quelques lignes personnelles. On pourrait même évoquer à son propos la figure nomade d’Ulysse, puisque Lorand Gaspar a voyagé de Bethléem à Jérusalem, puis à Tunis, en passant par Patmos, les îles de la mer Égée, mais aussi le désert, tout en pratiquant le métier de chirurgien.
Voici une éblouissante description marine, plutôt inédite en matière de paysages poétiques. Peu de poètes en effet ont plongé à cette profondeur : « Quelle débauche de couleurs et de formes, quelle puissance d’invention, quelle diversité dans le détail, quelle précision dans le dessin buissonneux de la colonie récifale ! Poissons anges, poissons demoiselles, poissons chirurgiens, poissons pierres, papillons impériaux, sergents-majors, rascasses volantes, poissons perroquets brouteurs de corail, poissons clowns couchés entre les bras fatidiques des anémones, et vous hirondelles de mer, d’un bleu si violent, qui tenez boutique de teinturier au coin d’une ruelle entre hydraires et acropores, je vous vois encore affairées sur le veston de votre client, flottant entre deux eaux, les nageoires écarquillées…